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Les moyens

p. 23-32


Texte intégral

L’armée césarienne1

Le recrutement des légions

1Sous la République et sous le Haut-Empire, l’armée romaine a été essentiellement une armée de fantassins issue d’une longue tradition, généralement glorieuse malgré quelques désastres, car elle en a subis à toutes les époques. Malgré quelques périodes difficiles, que Rome a toujours fini par surmonter, cette longue et solide tradition n’a jamais empêché une évolution à tous égards, parfois lente, constante cependant ; l’armée de César n’était pas plus celle qui avait triomphé des Guerres Puniques, cent cinquante ans plus tôt, que celle qui triompherait des Daces cent cinquante ans plus tard. Son équipement, en particulier, n’était pas celui dont les sculptures de la Colonne Trajane nous imposent trop facilement l’idée.

2La tradition exigeait que le corps de bataille fût formé par des légions de fantassins lourds, constituées uniquement, en principe, par des citoyens mobilisés pour la durée du commandement du général auquel ils avaient prêtés serment d’obéissance lors de leur appel. Mais à l’époque de César on était en pleine mutation : le principe de l’obligation militaire pesant sur le citoyen existait toujours – il n’a jamais été aboli – mais sans être encore un professionnel, comme ce sera presque toujours le cas à partir d’Auguste, le légionnaire césarien était en fait un engagé qui avait répondu affirmativement lors d’une levée. Il semble bien que César ne se soit jamais heurté à une difficulté de recrutement, ni dans la Péninsule ni en Gaule Cisalpine, bien qu’il lui soit arrivé de lever des légions sans s’être attardé à en demander l’autorisation au Sénat, comme il l’aurait dû. Cette facilité tenait sans doute au fait qu’être soldat gardait le prestige dû au passé et à un sentiment du devoir civique qui subsistait encore, peut-être aussi au fait que César paraît avoir doublé la solde –, mais nous ne savons pas à quel moment il aurait pris cette mesure, dont la Gaule aurait eu évidemment à couvrir les frais. En tout cas il y avait en Italie et en Cisalpine des masses paysannes nombreuses et pauvres qui pouvaient espérer améliorer leur sort par la guerre, non seulement grâce aux pillages et à la vente des prisonniers ennemis comme esclaves, mais encore grâce aux dons qu’un général vainqueur devait offrir à ses hommes sur sa propre part du butin lors de leur démobilisation, et aux attributions de terres qu’il se devait également de leur procurer à leur retour à la vie civile.

Leur équipement

3La supériorité technique du légionnaire césarien sur les Gaulois tenait d’abord à son armement. Il était bien protégé par une cotte de mailles à épaulières, par un casque de bronze à panache, à couvre-joues et jugulaire, probablement muni d’un protège-nuque et évidemment rembourré par une coiffe. Il portait au bras gauche un long bouclier en bois renforcé par une garniture métallique qui pouvait résister aux coups de taille, avec, au centre, une bosse appelée umbo qui rendait plus efficace les coups qu’on pouvait porter avec le bouclier à un adversaire pour le faire trébucher : au total ce bouclier ressemblait fort à ceux des Gaulois dont il s’inspirait peut-être.

4Comme armes offensives, le légionnaire disposait d’abord d’un pilum, javelot lourd et à long fer qu’il pouvait lancer à une trentaine de mètres, et d’un glaive assez court – une soixantaine de centimètres, semble-t-il, solide, pointu, susceptible de frapper d’estoc et de taille sans faiblir. Les légionnaires étaient capables d’utiliser aussi d’autres armes lorsque cela pouvait être utile, par exemple des pila de remparts, plus lourds et donc plus meurtriers que les pila ordinaires, des piques. À Alésia même, ils continrent le grand assaut lancé de nuit dans le plaine des Laumes par l’armée de secours gauloise en utilisant des épieux, des frondes et d’autres engins lanceurs de pierres que César appelle librilia, peut-être des fustibales, c’est-à-dire des frondes attachées à un bâton, ce qui devait permettre d’atteindre des portées plus grandes, à moins qu’il ne s’agisse d’un engin que Festus décrit sous le nom de librile et qui ressemblait à un fléau composé d’un manche à l’extrémité duquel pendait une courroie à laquelle une pierre était attachée.

5L’armée de César utilisait largement une artillerie qui a beaucoup intrigué les Modernes : on sait aujourd’hui que l’artillerie romaine a beaucoup évolué avec le temps tout en conservant un vocabulaire assez pauvre, si bien que les noms de certains engins ont fini par changer complètement de sens. Dans le De Bello Gallico, César parle assez souvent de son artillerie et des services qu’elle a rendus, mais il ne la désigne jamais que par le mot tormentum, qu’il emploie toujours au pluriel ; le mot rappelle que les pièces fonctionnaient grâce à la torsion de sortes de bobines chargées de crins, de nerfs ou peut-être de cordes, mais il ne les décrit pas. Il y a une seule exception à propos d’une scène dramatique qui s’est déroulée au siège d’Avaricum pendant une contre-attaque gauloise. Un Gaulois lançait des boules de combustible dans l’incendie allumé par ses compagnons : il fut abattu par le tir d’un scorpio. D’autres vinrent successivement occuper le même poste qui n’offrait aucune protection. Le scorpion les abattit les uns après les autres. On comprend que ce scorpion était un engin de tir tendu lançant des carreaux très meurtriers, mais cela ne le décrit pas ; il semble qu’il appartenait au type d’engins qu’on appelait alors catapultes, qui lançaient des carreaux ou des pierres légères, cependant qu’un autre type plus puissant, appelé à cette époque baliste, lançait de véritables boulets de pierre. Aucune de ces pièces n’étaient mobiles, elles n’étaient pas utilisées contre les fortifications comme ce sera le cas des engins qui porteront les mêmes noms plus tard, mais uniquement contre les personnes. Leur portée de tir était de 300 m et plus avec une grande précision. Les fouilleurs de 1861-1865 ont recueilli des boulets un peu partout dans les lignes de contrevallation et de circonvallation : ils étaient en calcaire et avaient été taillés grossièrement, évidemment par les soldats ; ils pesaient le plus souvent un peu plus de 10 kg, mais aussi jusqu’à 20,5 kg. Il est possible que les soldats aient utilisé aussi comme projectiles tout ce qui leur tombait sous la main – débris de meules ou d’amphores-, lorsque leur provision de carreaux ou de boulets s’avérait insuffisante. Ces tormenta étaient servis par les légionnaires eux-mêmes, sans qu’il y eût, semble-t-il, d’équipes spécialisées. Le légionnaire se devait d’assumer toutes les tâches : aménager les itinéraires, installer les camps ; c’est à lui que revient la gloire de l’investissement d’Alésia2.

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Fig. 7 : Soldats romains (Autel de Domitius Ahenobarbus, Rome).

Les unités subordonnées et la signalisation

6La légion était divisée en unités subordonnées : dix cohortes, de trois manipules chacune, les manipules étant constitués eux-mêmes par deux centuries d’environ 80 hommes – dont le seul nom rappelait qu’elles avaient dû jadis compter cent hommes. Une légion pouvait recevoir une mission, mais les unités subordonnées également : dans son récit de la bataille finale du siège, César parle à plusieurs reprises de cohortes envoyées en renfort3. Cette organisation donnait à l’armée romaine des possibilités de manœuvre exceptionnelles, même en pleine bataille. Les ordres étaient donnés à la voix mais aussi avec des instruments de musique à vent dont les sons perçants devaient couvrir les bruits de la mêlée : la tuba était une longue trompette droite, le cornu ressemblait à nos cors de chasse. Les Romains n’avaient pas de drapeaux ni de fanions analogues aux nôtres, mais ils avaient des enseignes qui en tenaient lieu ; chaque légion avait son aigle, qui en était le symbole, mais nous ignorons ce qu’étaient les enseignes des unités subordonnées ; ces enseignes indiquaient par leurs déplacements ce que devaient faire les unités. Au besoin, c’est à elles que se ralliaient les soldats qui s’étaient trouvés dispersés, même si celle qu’ils arrivaient à atteindre n’était pas celle de leur unité d’appartenance.

7Le maniement des armes, l’exécution des manœuvres, tout cela exigeait un entraînement poussé, complexe et continuel : les assiégés d’Alésia ont vu leurs adversaires s’y livrer et reconnaître les postes qu’ils auraient à occuper en cas d’attaque4.

Les cadres

8Les cadres étaient d’origines sociales très différentes.

9Les officiers de troupes, les centurions (centuriones) paraissent avoir été d’habitude des vétérans promus à ce grade en raison de leur valeur militaire reconnue, un peu comme nos « officiers de fortune » de l’Ancien Régime. Il y avait entre eux, à l’intérieur d’une légion, une hiérarchie que nous connaissons mal pour l’époque impériale et encore moins pour l’époque césarienne ; les plus élevés en grade, appelés primi ordines, étaient dans leur légion des personnages considérables que le général appelait même assez souvent dans son conseil.

10Il n’y avait pas d’officiers supérieurs de carrière. Des tribuns des soldats (tribuni milituni), certains étaient sans doute élus par les comices, les autres, nommés par le général ; quelques-uns étaient de jeunes chevaliers, parfois de jeunes sénateurs ; ils étaient affectés à une légion, mais leurs fonctions pouvaient y être variées selon les circonstances. Au plus haut degré de la hiérarchie se trouvaient les légats, peut-être désignés par le Sénat sur proposition du proconsul, tous membres de l’ordre sénatorial, qui existait déjà en fait, sinon en droit. Mais, au début de leur carrière en général, ils recevaient des missions importantes : commandement d’une légion ou d’un groupe de légions, parfois la direction d’une expédition loin du groupe principal, ce qui leur donnait une large autonomie. Dix sont nommés par le De Bello Gallico à propos du siège : Marc Antoine et Trebonius, qui tenaient les deux lignes fortifiées dans la plaine des Laumes, Caius Antistius Reginus et Caius Caninius Rebilus qui remplissaient le même rôle au pied du Réa et sur lesquels déferla l’attaque de Vercassivellaunos, Titus Atius Labienus que César envoya à leur aide, Caius Fabius envoyé à un autre endroit. César utilisa également des jeunes gens auxquels il confia des missions importantes sans qu’ils eussent de titre particulier, comme l’adulescens Decimus Iunius Brutus Albinus, amiral improvisé contre les Vénètes en 56 av. J.-C., employé à Alésia pour secourir les Romains au même endroit que Caius Fabius. César employa aussi des « préfets » qu’il paraît avoir choisis pour remplir telle ou telle mission, mais il n’est question d’aucun d’eux dans le récit du siège.

Le mystère des effectifs

11Évaluer les effectifs de légionnaires dont disposait César à Alésia est impossible. Il est probable qu’il avait dix légions, bien que certains érudits eussent pensé qu’il en avait onze, voire douze. Nous ignorons complètement combien il y avait d’hommes dans une de ces légions : les Anciens eux-mêmes n’en avaient pas gardé le souvenir. En outre, il y avait les auxilia, c’est-à-dire les contingents non légionnaires composés d’hommes qui n’étaient pas citoyens romains, des barbares d’origines diverses, donc mercenaires, fantassins et cavaliers. Mais nous ignorons desquels disposait César à Alésia, en dehors des cavaliers et fantassins légers germains qu’il avait fait venir pour renforcer sa cavalerie et dont nous ne connaissons pas le nombre. Peut-être y avait-il quelques Gaulois originaires des rares cités restées fidèles à César, mais le récit ne nous le dit pas.

12Il y avait parmi les citoyens une catégorie officielle qu’on appelait « les chevaliers » (équités). L’État leur donnait même un cheval – le « cheval public » –, mais il y avait belle lurette que ces chevaliers constituaient non plus une cavalerie mais une catégorie sociale. La cavalerie était même le point faible des armées romaines. Il semble que chaque légion avait une « turme » de cavaliers : en les regroupant, une armée disposait donc tout de même d’une cavalerie nationale, mais médiocre en nombre et en qualité. Ainsi en était-il à Alésia. Il y avait encore les calones : nous traduisons par « valets » ; ils étaient, semble-t-il, des esclaves à qui l’on confiait surtout de conduire et d’entretenir les animaux de bât, constituant le train, chargé du pesant fardeau de l’armement et du ravitaillement5, en principe non combattants, non armés, prompts à fuir pour se mettre à l’abri quand les choses tournaient mal, capables cependant d’achever les blessés ennemis pour les dépouiller si elles tournaient bien. Leur mettait-on des outils en main pour qu’ils participent aux travaux de campagne ? Nous l’ignorons. Ils étaient regroupés, probablement, dans les bagages ou impedimenta. En fin de compte, nous ignorons et ignorerons toujours quels furent les effectifs de l’armée qui a vaincu à Alésia, mais nous savons qu’elle a été capable d’effectuer d’immenses travaux tout en repoussant les sorties des assiégés et les attaques de l’armée de secours gauloise.

Les armées gauloises

13Si l’armée de César ressemble aux armées modernes par certains traits, les armées gauloises étaient plutôt semblables à celles du début de l’époque féodale, sauf pour leurs effectifs, qui étaient bien supérieurs. Deux d’entre elles ont opéré à Alésia, celle que commandait Vercingétorix et celle qui tenta de le secourir. Mais leurs caractéristiques générales étaient les mêmes.

14Leur fer de lance était la cavalerie, en réalité une chevalerie noble constituée par les seigneurs, que César appelle équités, et par leurs fidèles, appelés soldurii6 chez les Aquitains, ambacti ailleurs7. Ces gens vivaient constamment avec leur seigneur qui les entretenait ; ils combattaient avec lui et ils le suivaient jusque dans la mort, se suicidant même pour l’accompagner dans l’au-delà ; encore en 21 ap. J.-C., après la révolte de l’Eduen Sacrovir8, tous ses fidèles se suicidèrent en même temps que lui.

15L’infanterie était constituée par les gens du peuple, la plebs, mobilisés pour la campagne. La plupart étaient des paysans, peut-être quelques-uns des artisans, en tout cas de pauvres gens, souvent « clients » ou débiteurs des nobles.

L’armement

16L’équipement militaire n’avait aucune uniformité : il dépendait de la fortune de chacun9. Des Gaulois avaient peut-être combattu nus autrefois en raison de croyances religieuses, ou plutôt magiques. Il n’en était plus question. Il semble que la plupart n’avaient d’autre protection que leurs vêtements de tous les jours. La cotte de maille mentionnée par Diodore10 comme une invention gauloise était évidemment dispendieuse et ne pouvait être portée que par des gens fortunés, donc surtout des cavaliers. D’autres pouvaient avoir des cuirasses de cuir.

17Les casques de fer ou de bronze devaient également n’être portés que par des gens riches ; ceux qui ont été retrouvés et qui datent de la Guerre des Gaules ressemblent tout à fait aux casques romains contemporains11. On semble avoir renoncé aux ornements barbares – les cornes de taureaux par exemple – utilisés autrefois et que la tradition continuait de prêter aux casques gaulois. Les gens qui ne pouvaient avoir un casque se protégeaient la tête comme ils pouvaient, de façon plus ou moins efficace : sur l’Arc d’Orange, qui date de l’époque tibérienne, on voit des bonnets en peau de mouton, la laine à l’extérieur, qui devaient être capables d’atténuer les chocs dans une certaine mesure ; sur le fameux Pilier des Nautes de Paris défilent six hommes en armes portant aussi des bonnets, probablement en tissu ou en feutre, mais dont l’épaisseur paraît indiquer qu’ils étaient sérieusement rembourrés.

18L’arme défensive la plus importante, celle que tous portaient, était le bouclier. C’était un bouclier long, très semblable à celui des légionnaires de l’époque. Il était fait de matériaux légers – du bois, de l’écorce, de l’osier – renforcé par des éléments métalliques, au centre en particulier cette bosse que nous appelons l’umbo, par un cerclage au pourtour – l’orbe –, et éventuellement des ornements sur le plat, volontiers dorés ou argentés. Il semble qu’il était peint de couleurs vives. Le bouclier devait avoir un rôle symbolique, témoigner en quelque sorte de la personnalité de son propriétaire, car nous connaissons plusieurs statues du début de l’époque gallo-romaine montrant des personnages gaulois, certainement importants, appuyés de façon ostentatoire sur leur bouclier – guerriers de Mondragon, de Vachères, d’Alésia – et on sait que le druide éduen Diviciac, venu avant la guerre demander l’aide de Rome contre le Germain Arioviste, a parlé au Sénat appuyé lui aussi sur son grand bouclier12.

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Fig. 8 : Guerrier gaulois de Mondragon (Musée des Antiquités Nationales).

19Les armes offensives devraient nous être mieux connues car, depuis quelques années, on en a retrouvé un grand nombre, déposées dans les sanctuaires à titre d’ex-voto, par exemple à Gournay-sur-Aronde (Oise) et à Ribemont-sur-Ancre (Somme), mais leur datation conserve une forte incertitude et elles ne permettent pas de reconstituer la panoplie d’un guerrier. Quant aux armes recueillies à Alésia dans les fossés césariens, ce sont plutôt des débris et il est difficile de dire celles qui ont appartenu à des Gaulois et celles qui ont appartenu à des Romains13. Cavaliers et fantassins maniaient des lances à fers plats de formes variables, souvent assez légères pour être lancées à la main.

20Les épées étaient des armes de grande taille. L’une de celles trouvées à Alésia mesurait 74 cm ; leur métal était souvent d’une excellente qualité : une âme en fer doux, des tranchants en fer dur. Prétendre, comme l’a fait Polybe, que les épées gauloises pliaient au premier coup, n’a peut-être jamais été exact, en tout cas est complètement faux pour celles du temps de la Guerre des Gaules. Les fourreaux, en fer, étaient en général très ornés, le bout de la lame était arrondi. Il s’agissait donc d’une arme de taille, guère utilisable pour l’estoc. Elle n’était cependant pas réservée aux cavaliers, mais elle devait être moins fréquente que les lances parce qu’elle devait être beaucoup plus chère.

21Les Gaulois utilisaient fréquemment des armes de jet, javelots divers, frondes, arcs ; les meilleurs archers étaient les Rutènes, gens du Rouergue, mais les autres s’en servaient également. Les Gaulois n’avaient pas d’artillerie semble-t-il, mais leur ingéniosité leur permettait de s’adapter aux circonstances et aux ressources qui se trouvaient à leur disposition.

22Au combat et au campement, les Gaulois se groupaient par peuples et par pagi, le pagus étant une subdivision du peuple. Nous n’entrevoyons pour les peuples que les cadres supérieurs, rois ou magistrats, chefs désignés spécialement pour une expédition. C’est ainsi que Vercingétorix était à la fois roi des Arvernes et chef de la coalition. Les Gaulois manœuvraient eux aussi avec des enseignes, qui avaient un caractère sacré. Certains commandements étaient donnés grâce à des instruments de musique à vent : le plus connu était la carnyx – ayant l’apparence d’un long tube terminé par un pavillon en forme de gueule d’animal –, si caractéristique que les Méditerranéens l’ont considérée comme un symbole des armées gauloises et qu’elle apparaît souvent à ce titre sur les monuments figurés.

Les effectifs

23Le De Bello Gallico ne donne aucun effectif pour l’armée romaine. Au contraire, il en indique pour les armées gauloises. Après la grande réunion de Bibracte, qui l’avait confirmé dans son commandement, Vercingétorix aurait demandé à disposer de quinze mille cavaliers14. Un certain nombre furent perdus dans la « bataille de cavalerie », tués ou faits prisonniers durant le siège. Il renvoya tous ceux qui restaient avant que la contrevallation ne fut fermée, mais il aurait eu encore quatre-vingt mille fantassins15.

24Pour l’armée de secours, le total, d’après la répartition des contingents demandés aux peuples qui y participèrent, aurait été de 252 000 hommes16. César dit ailleurs17 huit mille cavaliers et environ 250 000 fantassins. Pratiquement ces nombres coïncident, surtout si l’on admet que la liste des contingents demandés à chaque peuple dont César a eu connaissance, ne comprenait pas les équités et leurs ambacts. Leur apparente précision montre qu’il s’agit de nombres ronds et que la réalité peut avoir été différente, mais leur importance a surtout donné à bien des gens l’impression qu’ils étaient faux. La répétition de quatre-vingt mille fantassins à deux reprises oblige à écarter pour eux l’idée d’une erreur de copiste. La quasi identité du décompte par peuples de l’armée de secours et de l’effectif indiqué par sa totalité empêche de supposer que César l’a gonflé pour augmenter l’importance de son succès. Mais surtout ces nombres sont du même ordre de grandeur que ceux qu’il a indiqués dans d’autres cas : quatre-vingt-douze mille pour les hommes de la migration helvète capables de porter les armes en 58 av. J.-C18, sur une population de trois cent soixante-huit mille, soit un sur quatre, ce qui parait une proportion normale. Or, ces nombres proviennent des états trouvés dans le camp des Helvètes. Les Belges et les Germains coalisés en 57 av. J.-C. auraient dû compter trois cent-six mille combattants19. Peu avant la guerre des Gaules, le roi arverne Bituit, en 121 av. J.-C., aurait lancé deux cent mille hommes contre les armées réunies du proconsul Cnaius Domitius Ahenobarbus et du consul Quintus Fabius Maximus.

25Les trains de combats gaulois étaient formés surtout par des voitures probablement légères, par conséquent ne portant que des charges réduites. Aussi bien qu’elles fussent, semble-t-il, très nombreuses, elles ne pouvaient emporter des vivres que pour quelques jours, ce qui explique que de telles masses d’hommes ne pouvaient tenir longtemps en rase campagne. Bien sûr, il n’en était pas de même lorsqu’elles occupaient un oppidum abondamment approvisionné. Au besoin en puisant dans les réserves de la population normale elles pouvaient l’occuper très longtemps : c’est ce qui était advenu à Avaricum et s’est produit à Alésia.

26On dit couramment que les Gaulois, au contraire des peuples espagnols, ne savaient pas utiliser la guérilla et qu’ils se contentaient de mener des opérations de masse aboutissant à de grandes batailles dans lesquelles les Romains triomphaient toujours. Cette opinion est erronée et provient du fait que le De Bello Gallico n’a mis en valeur que les opérations importantes. Eût-il pu d’ailleurs en être autrement ? Les opérations de guérilla ont pour caractéristiques d’être de faible amplitude, brèves et dispersées : un tel ouvrage ne pouvait en rendre compte et d’ailleurs de quel intérêt le récit de coups de mains adverses eût-il été pour l’opinion romaine et pour la gloire de César ? Pourtant lorsqu’on lit l’ensemble du De Bello Gallico, on s’aperçoit que les Gaulois ont bien pratiqué la guérilla eux aussi20. C’est un aspect de cette stratégie que Vercingétorix a essayé de faire appliquer à son armée durant le siège d’Avaricum21 et qui faillit réussir. Cependant il n’en est pas question dans les opérations d’Alésia. La « bataille de cavalerie » qui a précédé la retraite gauloise a été une grande attaque par trois corps précisément de cavalerie, cependant que l’infanterie restait derrière une rivière, formant une ligne de repli ou de recueil qui n’est pas intervenue. Pourtant, dès le début de son entreprise, Vercingétorix avait tenté d’imposer à ses hommes une rude discipline, au besoin par des châtiments cruels22. Il y avait réussi dans une large mesure puisque à Gergovie il avait pu arrêter leur élan à un moment où ils croyaient qu’ils allaient triompher23, et, déjà auparavant, les lancer par vagues d’assaut successives contre le camp romain principal pendant une absence de César24, une tactique que Vercassivellaunos utilisa aussi au pied du Réa lors de la dernière grande bataille de l’armée de secours25. Elle exigeait évidemment une assez sérieuse obéissance aux ordres.

Notes de bas de page

1 J. Harmand, Alésia, et une excellente mise au point de C. Goudineau dans César et la Gaule, p. 221 suiv.

2 Chef de bataillon M. Carreau, Le génie d'accompagnement des légions de César.

3 B.G., VII, lxxxvi, 1,2 ; lxxxvii, 1, 4, 5 ; lxxxviii, 1, 2.

4 B.G., VII, lxxvii, 10.

5 Intendant militaire F. Aussaresses, Le ravitaillement de l’armée romaine pendant la guerre des Gaules.

6 B.G., III, xxii, I.

7 B.G., VI, xv, 2.

8 Tacite, Annales, III, xlv.

9 A. Deyber, Contribution à l’étude de la guerre à la fin de l’époque de la Tène : l’emploi de l’armement celtique en Gaule au premier siècle avant notre ère, dans J.-L. Brunaux et B. Lambot, Guerre et armement chez les Gaulois (450-52 av. J.-C.).

10 Diodore, V, 30.

11 A. Duval, L’art celtique, no 176.

12 Cicéron, De Div., I, 90.

13 A. Duval, Les armes d’Alésia au Musée des Antiquités Nationales.

14 B.G., VII, lxiv, 1.

15 B.G., VII, lxxi, 3 ; lxxvii, 8.

16 B.G., VII, lxxv, 2-5.

17 B.G., VII, lxxvi, 3.

18 B.G., I, xxix, 4.

19 B.G., II, iv, 8-10.

20 A. Deyber, La guérilla gauloise pendant la Guerre des Gaules (58-50 av. J.-C.).

21 B.G., VII, xiv ; xvi, 3 ; xvii, 3.

22 B.G., VII, iv, 9-10.

23 B.G., VII, li, 4.

24 B.G., VII, xli, 2.

25 B.G., VII, lxxxv, 5.

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