Mémoire du crime, mémoire des peines. Justice et acculturation pénale en France à la fin du Moyen Âge
p. 691-710
Texte intégral
1Comment et pourquoi, au Moyen Age, se souvient-on du crime et des peines ? La question mérite d’être posée d’un triple point de vue : celui des justiciers qui ordonnent la peine, celui de la partie lésée par le crime qui peut tendre à la vengeance et exige que la peine soit une réparation, celui de l’opinion qui est censée recevoir la peine comme un message. Dans tous les cas, crime, peine et mémoire s’entrecroisent dans un jeu de correspondances serrées qui permettent à l’historien de réfléchir à la place que prend la justice légale dans la résolution des conflits aux XIVe et XVe siècles. Les études pionnières de Bernard Guenée ont montré comment la royauté, en particulier par le biais du prévôt de Paris considéré comme le « général réformateur par tout le royaume », a cherché à développer son emprise en matière de justice à la fin du Moyen Age et à quel point la population a pu aussi se révéler réceptive parce que procédurière, mais aussi à quelles limites s’est heurtée cette expansion du pouvoir royal1. De nombreux signes montrent que les sujets sont susceptibles de confier à l’Etat la résolution des crimes, du moins d’une partie d’entre eux, comme le soin d’en régler la mémoire. C’est dire que la résolution de la paix qui suit le conflit tend à être de plus en plus souvent aux mains du pouvoir et non plus seulement aux mains des parties adverses. Entre les exigences de la justice publique et celles que manifestent les parties privées, en particulier la partie lésée, comment se construit la mémoire du crime et de la peine pour que, finalement, se rétablisse et se maintienne la paix sociale ?
2Pour comprendre la façon dont l’Etat a pu imposer son mode de résolution des conflits, faire taire la partie adverse, et imposer sa marque dans la mémoire des sujets, il faut partir d’une constatation simple qu’impose l’analyse des sources narratives : la mémoire du crime et de la peine subsiste rarement dans les chroniques et, quand c’est le cas, elle se focalise sur des types de crimes, de peines et d’individus bien précis. Les faits consistent en crimes politiques ou en crimes de mœurs, les peines en exécutions capitales et les individus en larrons incorrigibles ou en ennemis politiques du roi et du royaume. La sensibilité des auteurs peut changer, le résultat reste identique : seule surnage une écume de crimes qui, devenus des faits divers, sont susceptibles d’intéresser l’ensemble de l’opinion, toutes cultures confondues2. Leur mémorisation constitue d’ailleurs le fond d’une histoire commune qui alimente les chroniques nationales, pour s’en tenir à elles, mais le processus est le même en ce qui concerne les chroniques universelles comme les chroniques locales. Les crimes et les peines qui sont ainsi sélectionnés contribuent alors à la cohésion du royaume, au même titre que les batailles, les paix, ou les mariages des rois et des grands. L’évocation de ces faits divers ne sert pas seulement à livrer au public des crimes horribles qui flattent son goût du morbide, elle contribue à donner un sens à son histoire. La Chronique scandaleuse, écrite sous le règne de Louis XI, pour prendre un exemple extrême par la quantité de faits divers qu’elle contient, doit être décodée et ne peut pas être considérée comme une simple succession de récits plus ou moins scabreux. Lorsque Jean de Roye raconte qu’en 1466 des larrons et des crocheteurs envahissent Paris et qu’un « gros Normant » est pris, auteur de l’un des crimes les plus horribles puisqu’il s’agit d’inceste accompagné d’infanticide, la raison est simple : la peste a de nouveau frappé la ville et il est temps de procéder à la purification de ce monde perverti3. Il est probablement exact que des « crocheteurs » ont été alors poursuivis dans Paris, et que leur action a ému les pouvoirs politiques et la population, comme en témoignent les sources judiciaires4. Mais là n’est pas le problème qui nous intéresse. Le fait réel a servi de tremplin à une réflexion sur le sens de l’Histoire. La conjonction des événements spectaculaires que rassemblent les chroniques tisse alors une trame qui prend sens.
3La mémoire du crime et de la peine peut aussi figurer sous forme de scènes liées aux événements politiques dont ils font partie intégrante, comme c’est le cas pour l’exécution fictive des bourgeois de Calais et du rituel de pénitence publique qui s’en est suivi5. L’exécution de Jean de Montaigu, en 1409, pour prendre un exemple dont la destinée historiographique a été moins riche, est l’un des points forts des chroniques du règne de Charles VI et elle s’inscrit dans un double contexte, celui de la lutte des Armagnacs contre les Bourguignons et celui de l’indépendance de l’Hôtel du roi face aux pouvoirs accrus du prévôt de Paris en matière de justice6. Enfin, le crime comme sa sanction peuvent être livrés à l’édification morale qui est l’une des missions par excellence de l’Histoire7. Le prévôt de Paris, Henri de Taperel, qui a contribué à renforcer le pouvoir prévôtal de façon impopulaire sous les derniers Capétiens, survit dans la mémoire collective près d’un siècle plus tard, comme l’auteur de « maint encombrement », en particulier parce qu’il a commis un crime horrible
car a une pucelle qui fut de haulte gent
toly son pucellaige et grant planté d’argent8.
4Le crime, la peine et l’histoire sont donc intimement liés et, d’une certaine façon, il ne peut pas y avoir de récit historique, encore en cette fin du Moyen Age, sans référence au fait divers et à sa sanction puisque l’histoire a un sens moral et religieux qui montre à la fois la main de Dieu et celle de son représentant, le roi. Il est donc normal que les chroniques médiévales ne retiennent que les cas exemplaires, ceux qui ont porté atteinte aux valeurs sacrées qui fondent la société chrétienne, adultère, viol, inceste, homosexualité, et ceux qui, surtout à partir du XIVe siècle, sapent le pouvoir royal dans ses fondements, en lésant la majesté. Les sanctions retenues par les mailles du récit en découlent : il s’agit essentiellement de la peine de mort. Mais le récit ne s’attarde pas sur n’importe quelle peine de mort. Il s’agit moins du gibet où pendent les larrons, sanction normale aux yeux de tous pour le crime de vol, surtout quand il est commis par des gens infâmes, que des bûchers où sont livrés aux flammes les auteurs des déviances sexuelles, les sorciers ou les hérétiques, ou encore des échafauds où sont conduits les auteurs de lèse-majesté décapités à la hache avant d’être pendus ou d’avoir parfois leurs restes exposés aux portes de la ville et aux frontières du royaume. Le Journal d’un bourgeois de Paris rapporte ainsi vingt-deux mentions d’exécutions capitales : ce sont pour la plupart des décisions qui sont prises après trahison, dans le cadre de la guerre franco-anglaise ou de la guerre civile. L’un des meilleurs exemples concerne le siège de Soissons et les sanctions qui ont été prises par les Armagnacs contre ceux qui avaient résisté et étaient d’obédience bourguignonne9. Il faut interpréter ces récits comme un moyen que prend le pouvoir royal pour imposer sa majesté, au sens que Michel Foucault donnait à ces mises en scène terrorisantes10. N’attendons pas que soient racontées des scènes de noyades qui constituent encore une sanction fréquente à cette époque, d’emprisonnement, de bannissement ou de pilori. Quand c’est le cas, comme lors de la peine prononcée en août 1404 contre Charles de Savoisy et trois de ses valets qui avaient attenté aux écoliers de l’Université de Paris, il s’agit d’insister sur une sentence exceptionnelle. L’arrêt du Parlement, répété par les chroniqueurs, exige que la maison de Charles de Savoisy soit démolie, et décide de fustiger, puis de bannir ses complices aux carrefours de Paris. Or cette sentence qui frappe la maison d’un grand, membre de l’Hôtel du roi, lié au parti du duc d’Orléans qui est alors en pleine ascension politique, est exécutée, au grand étonnement de l’opinion qui pensait son application impossible étant donné le rang et les appuis du chambellan11. L’événement méritait donc, à plusieurs titres, d’être raconté. Les sources narratives ne donnent que ce qui étonne, soit par l’ampleur des transgressions morales que commet le criminel, soit parce que le crime de lèse-majesté et la peine effrayante, qui le sanctionne, appuient un pouvoir royal dont la nature politique est en cours de transformation.
5Dans leur démarche, les finalités du récit rejoignent les préoccupations du pouvoir qui, par l’intermédiaire des actes législatifs comme par les déclarations de ses juges, avoue son but : punir pour l’exemple. Jean-Marie Carbasse a montré comment, au moins dès le XIIe siècle, le fondement de la répression en France était à la fois distributif et dissuasif, c’est-à-dire que tout crime mérite une sanction qui doit être proportionnée, mais que cette sanction doit servir d’exemple afin d’édifier les sujets et de prévenir de nouveaux désordres12. De nombreuses déclarations du procureur du roi au Parlement reprennent ce point de vue lorsque ce dernier s’adresse aux juges pour les inciter à accroître leur sévérité. Les cas de crime « pullulent » au royaume et ils sont de mauvais exemple, donc ils doivent être punis en conséquence. Trois cas pris à un siècle d’intervalle suffisent à illustrer ce qui est l’une des constantes de la justice à la fin du Moyen Age. En 1394, la sévérité des peines demandées à l’encontre de la dame de Craon n’a qu’un but, clairement exprimé par le procureur « afin que ce soit exemple a tous autres »13. En 1447, le procureur du roi s’oppose à l’entérinement de lettres de rémission pour cas de blessures dans ce qui se présente comme un port d’armes prohibées, « et y chiet grant punicion pour l’exemple, veu que aujourduy telz cas pululent fort en Picardie »14. En 1483, à la fin du règne de Louis XI, face à Fleury de Bellemarin poursuivi pour homicide, usurpation d’office et résistance à l’exécution d’un arrêt royal, le procureur du roi demande que sa peine « constitue exemple a tous autres veu que telles resistances pululent aujourduy plus que jamais »15. Le fond de vérité n’est pas vérifiable et l’historien ne saura jamais si la résistance aux décisions royales est en progression à la fin du XVe siècle ; ce qui compte, c’est que cet acte est considéré comme un crime qu’il faut punir sans faille comme l’explique d’ailleurs la suite de la plaidoirie, car une résistance à un arrêt royal signifie qu’on « ne veult entrer en la puissance du roy », ce qui est un crime irrémissible ratione enormitatis criminis. Il ne s’agit plus d’adapter la peine à l’infraction elle-même, mais à la conjoncture criminelle et politique globales, dans un objectif de pure exemplarité. La peine est bien conçue comme un enseignement moral et un avertissement dissuasif. Tout est donc fait en sorte qu’elle puisse être inoubliable dans les mémoires de ceux qui ont assisté à son exécution. La violence des supplices et leur publicité en découlent, du moins en partie.
6Mais, en même temps que ces châtiments éduquent le public auquel ils s’adressent et qu’en matière politique ils contribuent à développer la sujétion, la fiction des récits comme la réalité de l’application des peines rencontrent aussi les désirs profonds de l’opinion. La punition féroce des sacrilèges, des crimes contre-nature et des viols d’enfants ou de femmes d’honneur est sollicitée par ceux qui, dans ces cas énormes, pourraient se charger de procéder directement au lynchage du criminel. La peine de mort n’est pas totalement imposée d’en haut par un pouvoir coercitif. Elle est aussi dictée pour répondre aux désirs d’une vengeance collective. Dans son analyse si pertinente sur la répression des crimes politiques, Michel Foucault a négligé la place qu’il convient d’accorder au lynchage. Face à la foule en colère, pour de nombreux crimes de mœurs, parfois pour des vols, la justice pouvait être de façon apparemment paradoxale la meilleure protectrice du criminel, car elle évitait la poursuite spontanée que la population risquait de mener jusqu’à une issue irréversible, celle que provoquait le lynchage16. Là c’est un voleur qui est « poursuy de chaude chasse » par la population ; ailleurs c’est un seigneur du lieu, le sire de Thuisy à Chevrières dans le comté de Rethel, qui, ayant violé une fillette, est agressé par les habitants du village : ceux-ci, alertés, « se emeurent et s’assemblerent entour l’ostel de Thuisi » et le criminel est conscient d’avoir la vie sauve grâce à l’arrivée du prévôt dont il eut « grant joie en le priant qu’il le gardast contre les vilains qui la estoient »17. On devine ce que cette émeute peut devoir à une hostilité contre le seigneur du lieu, mais elle prend ici un prétexte grave puisqu’il s’agit du viol d’une enfant. Le problème, et nous y reviendrons, est que tous les viols de ce type ne causent pas obligatoirement le même effet. La force des valeurs communes est cependant assez grande pour que naisse un récit stéréotypé des agressions qui menacent les fondements du lien social. Les modèles de ces stéréotypes sont parfois issus de l’Antiquité, par exemple à travers les Dicta et mirabilia de Valère Maxime ou à travers les récits d’une utilisation plus rare que sont ceux de Tite-Live, comme Bernard Guenée l’a montré à propos de l’affaire de viol et d’adultère qui, à partir de 1386, oppose Jean de Carrouges à Jacques Legris18. Mais ils peuvent aussi naître d’un amalgame subtil entre le récit de crimes stéréotypés par les narrateurs et l’opinion qui se saisit de ces crimes horribles pour les transformer en lieux communs que véhicule la rumeur, comme j’ai pu le montrer pour l’action criminelle des hommes d’armes à la fin du Moyen Age19. Aux crimes de mœurs traditionnels qui sont imputés à ces hommes de guerre, viennent alors s’ajouter la sorcellerie et le blasphème. On sait que ces deux crimes, et en particulier la sorcellerie, sont souvent dénoncés par le peuple avant d’être poursuivis par les autorités centrales, et il apparaît clairement que l’opinion contribue largement, par un jeu subtil avec les autorités, à construire la répression20. La criminalisation des délits est donc le fruit complexe des exigences du pouvoir, qu’il s’agisse de l’Eglise ou de l’Etat, et du consensus social.
7La collaboration du peuple et de la justice est patente lorsque se développe la dénonciation que conforte l’usage de la procédure inquisitoire. Le milieu social est alors doté d’un rôle actif puisqu’il agit en remarquant, en épiant et en se souvenant des agissements criminels. Assiste-t-on pour autant à une coercition accrue, fondée sur la dénonciation ? Rien n’est moins sûr. En premier lieu la dénonciation n’est pas systématique et elle dépend de choix variables. Les voisins peuvent dénoncer ceux qui leur portent déshonneur par leur conduite répréhensible, couples illégitimes ou filles communes, et les plaintes peuvent être nombreuses à proximité des bordels comme en témoigne, à Paris, le registre d’écrous qui a été conservé pour la fin du XVe siècle21. La dénonciation peut aussi être distillée en fonction des besoins. Dans cette société où l’individu appartient à des groupes emboîtés que sont la famille, la paroisse, les classes d’âge, les relations de travail, de piété, etc., l’oubli, au moins fictif, des transgressions, et éventuellement des peines qui ont pu les sanctionner, accompagne la création des solidarités qui cimentent le groupe. L’action criminelle d’un membre de la famille est le plus souvent occultée, non seulement parce qu’elle est source de déshonneur des membres du groupe vis-à-vis de l’extérieur, mais parce que le groupe ne peut fonctionner que grâce au maintien d’une certaine bienveillance entre ses membres. L’amour et l’amitié font taire le crime. Lorsque le sénéchal de Beaucaire fait crier par ses sergents que Jean d’Auxerre est criminel et qu’il faut le faire prendre, il trouve en face de lui 1’« especial ami » de l’accusé et rien, ni les ordres ni les cris, ne fait revenir la barque qui emporte les deux amis vers l’Empire pour « la grant amour, fraternité et compaignie que eulx deux avoient ensemble et ont eu ou temps passé en fais d’armes et autrement, tant es parties de Provence comme ailleurs en noz guerres »22. Et le roi approuve la qualité de ces relations en graciant cet ami devenu complice, « consideré aussi que ledit exposans a fait en ceste partie n’a pas esté fait par collusion en mauvaistié, mais pour la vraye et parfaicte amour qu’il avoit a sondit compaignon ». A l’inverse, la dénonciation marque le basculement de la nature de ces liens : elle transforme l’amour en haine. En janvier 1404, Jean Guilleteau se plaint au Parlement qu’on a conçu haine contre lui et qu’il est victime de fausses dénonciation d’infanticide, de tentative de meurtre et de concubinage. Parmi les auteurs de la dénonciation se trouvent deux hommes qui avaient été à son service et qui n’avaient pas reçu leur dû. C’est finalement le motif qui fait rompre leur silence, si bien que « longtemps apres les diz malefices se divulguerent et en plusieurs lieux furent recitez [...] et disoient quilz avoient esté bons amis et lui avoient celé lesdis malefices »23. De la même façon, ce bourgeois et échevin de Reims, Guillemin Lalemant, forgeron de son métier, fait la triste expérience de la dénonciation quand ses haineux suggèrent que, s’il est venu de Montmédy en Lorraine, c’est à la suite du vol d’une grande quantité de fer, que ce vol a été suivi de récidive à Reims, pour trois francs d’or, et qu’en l’absence de preuves, il faut le faire avouer sous la torture24. En fait, la machine judiciaire est mise en route sous l’effet de l’envie, voire de l’opposition du patriciat dont quelques familles se maintiennent à la tête de la ville, contre cet ancien valet forgeron à qui la mobilité sociale de la seconde moitié du XIVe siècle a permis de bien réussir. Seule la constance de l’accusé à ne pas avouer sous la torture répétée lui permet d’être sauvé par la justice royale venue à Reims pour le juger. Même dans la grande ville qu’est Paris où l’on pourrait penser qu’à la fin du XVe siècle s’épanouit un certain anonymat, une querelle entre hommes commence par une injure classique qui traite de « ribaude » et de « putain » la femme de l’un des protagonistes pour dévier ensuite sur le souvenir d’un meurtre, car toute installation récente peut cacher la fuite d’un coupable d’homicide, « pour ce que ledit Paquier a dit et publié a plusieurs personnes que ledit Robin s’en estait venu de la ville de Blangy luy et sa femme en ceste ville pour ung homme qu’il avoit tué »25. La dénonciation peut aussi porter sur le souvenir de la peine dont l’existence est évoquée selon les besoins des adversaires ou des haineux, en particulier à la faveur d’injures. Elle est toujours une source de déshonneur qui peut entraîner la rixe et suppose un démenti : « banni, excommunié » sont des mots qui ne restent pas sans réponse. En 1385, dans le bailliage de Sens cette fois, un homme reçoit de son adversaire l’injure finale qui exige d’être réparée dans le sang, à savoir qu’il « estait exillié ou banny de son pays »26. Il ne s’agit pas là d’une évocation anodine. La mémoire du crime et celle de la peine constituent donc une arme redoutable dans les mains du peuple qui conserve largement l’initiative de dénoncer ou de se taire.
8Résumons-nous. Dans de nombreux cas, il existe une large connivence entre l’action de la justice légale et l’opinion, ce qui interdit de conclure à une emprise coercitive de l’Etat. Certes des nuances s’imposent. Les crimes de mœurs sont plus facilement l’objet de ce consensus, tandis que les crimes politiques peuvent faire l’objet d’une action terrifiante de l’Etat, quoique, dans la France anglaise par exemple, les dénonciations puissent y avoir largement leur part27. Cette première constatation s’assortit d’une seconde remarque. Seuls un certain nombre de crimes et de criminels surnagent dans la mémoire collective. Rien ou presque rien ne concerne les crimes les plus courants : les vols sont rarement évoqués, sauf quand il s’agit de bandes criminelles ou de larrons récidivistes ; le silence est encore plus grand quand il s’agit des plus nombreux des crimes de sang, ceux qui résultent des rixes commises pour réparer un honneur blessé. La mémoire ne s’y intéresse pas et tout se passe comme si leur déroulement et leur issue restaient de l’ordre du privé. L’homicide est encore loin d’être entré dans le champ du pénal. D’ailleurs la résolution courante de ces conflits passe par d’autres voies que celle de la condamnation spectaculaire et infamante. De très nombreux homicides sont réglés par le biais de compositions privées ou par celui devenu officiel de la justice retenue, le coupable obtenant la grâce du prince28. Mais, quoique cette grâce manifeste la toute puissance du souverain et la force de son pardon au nom d’une miséricorde supérieure à la rigueur de justice, elle est obligée, pour être efficace, de tenir compte de la « satisfaction faite a partie » dans le domaine civil29. De nombreux conflits sont aussi résolus par des règlements privés qui relèvent de l’arbitrage ou de la simple transaction. Le champ de l’infra-judiciaire, dont les historiens de la justice commencent désormais à tenir compte dans leur analyse du pouvoir et de la société, limite considérablement, dans les faits, le fameux monopole de la justice, un monopole qui est loin d’être achevé à la fin du Moyen Age en France, si tant est que ce soit le but qu’ait poursuivi l’Etat30. Dans le domaine civil, la résolution des conflits relève encore largement du recours à ces transactions. Il en est de même dans certains cas criminels, en dépit des ordonnances royales qui cherchent, théoriquement, à en limiter l’ampleur. De ce point de vue, les décisions des réformateurs, que codifie l’ordonnance du 3 mars 1357, n’ont guère été suivie d’effet. Une large part d’initiative revient donc aux individus ou aux communautés qui peuvent faire, ou non, le choix de recourir aux tribunaux et qui, de ce fait, acquiescent à la décision possible de sanctionner le crime par une peine. Les exemples précédents ont bien montré ce que le corps social attend de la dénonciation : punition de certains types de délits, de certains types de coupables (par exemple l’étranger), mais aussi satisfaction que peut procurer une décision judiciaire pour la communauté concernée. Dans ces conditions qui atténuent considérablement les effets de la coercition légale, la peine exemplaire prend toute sa signification. Car les condamnés n’y perçoivent plus seulement leur peine pour leur méfait, mais en vue de l’effet que la sanction publiée peut avoir sur autrui, dans un accord total entre le pouvoir punissant et la communauté à laquelle appartient celui qui est puni31. L’exemplarité de la peine rejoint alors la satisfaction du plus grand nombre. Cette peine, issue de dénonciations ou de complicités locales, correspond à l’attente de tous. C’est l’une des raisons pour lesquelles la sentence décide souvent qu’une partie de la peine doit être exécutée sur les lieux du crime, de façon à donner satisfaction sur place à l’ensemble de la communauté autant qu’à la partie adverse. On pouvait croire, à lire les Coutumiers ou les théoriciens de l’Etat, que la peine exemplaire est le résultat terrible de l’arbitraire des juges. Elle est plutôt le fruit négocié du dialogue entre le pouvoir central et une dénonciation locale très sélective. Elle est fille du peuple autant que du pouvoir.
9Si la peine exemplaire est rendue par la justice à la satisfaction du plus grand nombre, il convient maintenant de comprendre comment se manifeste l’adhésion du peuple à la peine de mort. Une enquête de saisine et de novelleté lancée en 1431-1432 dans le ban de Saint-Remi à Reims peut venir étayer la démonstration32. Les archives de Reims conservent le témoignage de dix personnes qui ont été interrogées du 18 décembre 1431 au 17 novembre 1432 par Jean Boutillier, lieutenant du bailli de Vermandois et par Jean Labbé, commissaire du roi, pour éclairer les droits de possession et de justice sur deux pièces de terre situées au ban de Saint-Remi que se disputent l’archevêque de Reims, demandeur, et les religieux de l’église de Saint-Remi, opposants et défendeurs. L’enquête porte sur vingt-quatre articles, sans que le détail de ces articles nous soit parvenu, mais plusieurs d’entre eux ont trait de façon précise à la justice du lieu. Il s’agit en particulier de savoir si l’abbaye de Saint-Remi dispose de la haute justice, donc du droit de condamner à mort alors qu’elle n’a pas de gibet. Les dix témoins qui déposent en faveur de l’abbaye sont choisis parmi les plus notables des habitants, comme il est normal dans ce type d’enquête. Ils sont supposés honnêtes, compétents, et porteurs de mémoire ?33. Effectivement, ils le sont par leur appartenance socio-professionnelle puisqu’il s’agit d’un châtelain, d’un maire, d’un notaire, d’un prieur, de quatre sergents, d’un tisserand et d’un jardinier. Ils le sont aussi par leur âge : six d’entre eux ont plus de soixante ans, deux entre cinquante et soixante ans et le plus jeune a trente-huit ans. Leur ancienneté dans le ban est aussi un facteur important de leur fiabilité. Un seul d’entre eux n’a « frequenté et repairié au ban de Saint Remi » que trois ans. Les autres y ont passé vingt ans et plus, le plus ancien, Gauthier de Ruilly, âgé de quatre-vingts ans, y étant depuis soixante-quatre ans. Quel est leur degré de culture ? Ce sont, dans l’ensemble, des hommes familiarisés avec le monde de la justice, mais cela n’induit pas qu’ils sont des hommes de savoir juridique. Un seul des témoins, le châtelain de l’église de Saint-Remi, se réfère à des documents d’archives pour authentifier ses dires, mais comme il a perdu la vue depuis plus de vingt ans, il est désormais privé de ce rapport intime avec l’écrit qui étayait sa pratique administrative. Tous ont de réelles difficultés pour répondre à des questions simples, y compris quand elles portent sur la pratique judiciaire que la plupart d’entre eux, y compris les sergents, devraient pourtant avoir assimilées. A la question de savoir quelle est la différence entre juger et justicier, un seul témoin, le sergent Jean Bonbuef, âgé de soixante ans et demeurant à Reims, est capable de répondre correctement. Il dit « qu’il luy semble avoir difference telle que jugier est avoir les jugemens, et justicier avoir l’exécution du jugement »34. En revanche, le châtelain « dit que peu en saveroit parler et s’en rapporte aux saiges »35. La même incertitude plane quand il s’agit de définir ce qu’est la haute justice. Colesson Le Bailly qui, au moment de l’enquête est notaire à la cour de Reims, se contente de répondre « qu’il ne scet que c’est de haulte justice, mais tousjours a oy dire iceulz religieux avoir seigneurie et justice esdis lieux, et y a veu exploiter comme dit est dessus »36. Quant au châtelain, il ne sait pas répondre non plus sur ce point. En fait, la culture de ces hommes se nourrit de l’expérience plus que d’une connaissance abstraite. Jacques de Chaumont, âgé de soixante-six ans au moment de l’enquête, a commencé sa carrière à dix-huit ans comme clerc de Pierre de Rethest, alors gardien de l’église de Saint-Remi, puis il est devenu successivement prévôt de Fymes à trente-six ans, prévôt de Châtillon à cinquante-quatre ans, prévôt de Laon à cinquante-neuf ans et enfin maire du ban de Saint-Remi, après avoir été pendant deux ans procureur des religieux. On sait qu’il a joué un rôle actif dans l’administration et qu’il a, lui-même, procédé à des exécutions capitales au cours de sa carrière, en particulier par noyade37. Cela ne l’empêche pas de s’embrouiller dans les définitions de la justice qui lui sont demandées. De même Colesson Le Bailly a servi comme clerc plusieurs maires du ban avant de devenir notaire. Il est d’ailleurs capable de donner une estimation du nombre de feux dans le ban, soit trois à quatre cents feux, car il y a levé le cens et d’autres redevances. Cette formation est typique des hommes de l’administration locale. Au mieux jurisperiti, ils sont surtout formés par la pratique du droit et de la justice. Ce qui compte pour leur formation, c’est d’être allé plusieurs fois répéter les mêmes gestes et les mêmes paroles. Leur mémoire est issue de cette expérience et de cette pratique : elle est pétrie par l’image et par la voix. Le châtelain devenu aveugle, dans une quête émouvante mais très précise du passé et des lieux qui lui étaient et qui lui restent familiers, énumère encore les frontières du petit ban de l’abbaye en fouillant la mémoire vivante des bornes et des places où « il saveroit bien aler se il avoit sa veue, comme il a eu ou temps passé et encore de present qui le menerait sur les lieux, il saveroit bien dire et montrer a la main comment elles vont, selon ce qu’il a veu ou temps passé »38. Aucune pierre, aucun cri n’ont échappé à son souvenir resté ancré dans le concret d’un paysage qu’il a parcouru à petits pas. La voix officielle que ces hommes retiennent est celle des cris répétés par les ordonnances ou celle des paroles prononcées au prône. Il n’y a là rien d’anormal étant donné leur implication professionnelle dans l’administration du lieu et leur statut de paroissien39. De même est-il tout à fait normal que, dans les strates successives de la mémoire, le concret tende à s’estomper au fur et à mesure que le souvenir s’enracine dans la durée, mais ce n’est pas ce qui nous retiendra ici40. Essayons plutôt de dégager les éléments qui, à travers ces témoignages, peuvent constituer le fond commun de la mémoire collective du ban de Saint-Remi en matière judiciaire, pour une durée d’une cinquantaine d’années qui correspond au temps de rassemblement des souvenirs.
10Tous les témoins font référence à une exécution capitale et certains en mémorisent jusqu’à six pendant leur séjour à Saint-Remi. La peine de mort est donc pratiquée, mais en petit nombre car les juges du ban préfèrent « amender », ainsi que le suggèrent d’ailleurs les témoins. Il faut d’ailleurs veiller à ce que les condamnés à mort, qui sont ensuite livrés au personnel judiciaire de l’archevêque, soient bien conduits au gibet, car un arrangement sur le chemin, sous la forme d’une composition financière, est toujours possible41. Pourtant, malgré leur rareté, ces condamnations à mort ne laissent pas une trace particulière dans la mémoire, du moins en tant que spectacle terrifiant. Tout semble se passer comme si l’exemplarité de la peine avait raté son effet. Dans l’échelle chronologique des souvenirs, la peine de mort se présente de façon assez récente puisqu’elle ne dépasse pas vingt-six ans, venant loin derrière la condamnation à l’échelle pour le blasphème qui constitue le souvenir de cas criminel le plus ancien qui soit répertorié puisqu’il remonte à cinquante ans42. L’exécution capitale, qu’il s’agisse de la pendaison ou du bûcher, est aussi traitée avec une certaine indifférence, comme les autres peines. La peine de mort n’est pas plus valorisée que le souvenir du bannissement d’un valeton accusé de vol, fouetté avant d’être expulsé, qui remonte à vingt-sept ans, tout comme celui des aulx ou de la chair condamnés à être brûlés au marché parce qu’ils étaient vendus pourris, des faits qui remontent respectivement à trente-trois et à vingt-huit ans. D’autres faits concernent deux suicides et des excommunications. Quant à la mémoire des amendes, elle l’emporte largement sur tous les autres cas puisqu’elle peut remonter à une quarantaine d’années, mais il est vrai que, dans ce cas, les témoins, en tant que sergents, étaient intéressés à la levée de sommes d’argent dont ils percevaient une partie43. C’est dire néanmoins que les peines les plus spectaculaires ne sont pas obligatoirement celles qui laissent le plus de traces dans la durée de la mémoire.
11Entre ces peines, il est difficile de cerner une hiérarchie du déshonneur. Les témoins évoquent seulement l’infamie de la peine dans le cas précis de celui ou de celle qui a dû subir l’affront de détruire une marchandise jugée invendable, surtout si cette marchandise a dû être brûlée en public. La « commune renommée » colporte alors le souvenir de la chair, des aulx et des oignons jetés au feu44. En revanche, du gibet ou du bûcher où pendent et brûlent les hommes, il n’est guère question. Ce témoin, qui se souvient de cette femme condamnée à être brûlée pour infanticide, raconte le fait de façon imperturbable, en évoquant seulement la fumée qu’il a vue, au loin, le lendemain de l’exécution ; cet autre évoque sans frémir le gibet situé dans les marécages où pendait un homme qui avait été autrefois condamné par la justice du ban45. Dans tous les cas la présence du gibet ne suffit pas à cristalliser la crainte que peut inspirer le pouvoir justicier. Certes le ban de Saint-Remi ne possède pas de fourches et c’est ce qui provoque l’enquête, mais les habitants savent évoquer celles qui sont proches, à Reims et aux alentours. En fait, pour eux, la confiscation des biens qui suit la condamnation est un traumatisme autrement plus important qui, plus que le droit d’appliquer la mort, signe le pouvoir du haut justicier. A la fameuse question sur la distinction entre juger et justicier, le maire du ban, Jacques de Chaumont, n’hésite pas à répondre qu’il y a peu de différences à ses yeux puisque celui qui a la confiscation des biens « est et doit estre reputé hault justicier »46. Enfin, la mémoire de l’absolution et de la délivrance semble aussi importante que celle de la peine. L’un des témoins raconte ainsi sept délivrances et absolutions qui ont marqué son souvenir, alors qu’il ne se souvient que de quatre condamnations à mort, ce qui est sans doute normal étant donné leur faible nombre et son jeune âge au moment des faits47. On peut donc dire que, d’une certaine façon, la mémoire banalise la peine de mort.
12En fait, dans la description des différentes séquences criminelles qui sont rapportées par l’enquête, l’attention reste fixée sur les rituels qui définissent le droit et la validité des opérations de justice48. On retrouve là ce que l’on sait de l’importance des gestes et des formules pour fixer la mémoire à cette époque49. Plus que sur le rituel de pendaison bien connu, cette enquête met l’accent sur un rituel particulier qui, lors d’une cérémonie, consiste à remettre celui qui a été condamné à mort par les juges du ban de Saint-Remi aux gens de justice de l’archevêque pour le mener au gibet50. Rappelons que les religieux, à la différence de l’archevêque, ne possèdent pas eux-même de gibet et qu’ils ne peuvent donc pas justicier leur criminel en cas de peine de mort. Là est le cœur de l’affaire qui, depuis au moins deux siècles, oppose la juridiction de l’archevêque à celle des religieux de Saint-Remi pour savoir lequel des deux possède la haute justice sur le ban51. C’est dans ce contexte que se place la scène de passation des pouvoirs sur le condamné à mort, scène qui est rapportée par tous les témoins en termes quasi identiques et où une pierre sert de repère. Empruntons à Jean Bonbuef, sergent, le récit de cette scène52 :
« et dit que apres ce que telz prisonniers estaient condempnez à mort, la justice desdis religieux le fait savoir au prevost de monseigneur de Reins, et qu’il soit prest a certain jour pour icellui recevoir et mectre a execucion ; auquel jour tel malfaiteur, aprez ce que par la justice desdis religieux est condempnez a recevoir mort, icellui malfaiteur est prins et mené es prisons desdis religieux a une pierre qui est tenant a la maison qui fut Guillaume Cocrenel, auquel lieu le doyen d’iceulz religieux monte sur ladicte pierre, declaire au prevost de Reins, qui la est, la cause de l’emprisonnement dudit prisonnier, ladicte condempnacion sur lui faite, et pour icelle mectre a execucion ledit doyen baille a icellui prevost et delivre ledit prisonnier ; et ledit prevost est tenu, en recevant ledit prisonnier, de baillier et paier audit doyen trente deniers parisis ; et apres ce que par icellui doyen tel prisonnier est delivré audit prevost en prenant trente deniers, les sergens dudit ban prennent ledit prisonnier, et le mainnent au long de la charriere pardevant Saint Thimothieu, jusques a l’endroit de la croix de fust, auquel lieu le baillent audit prevost, lequel est tenus de le prendre, et mener au gibet, sans tourner autre part [...] ».
13Certaines variantes précisent les modalités de l’échange qui a lieu sur la pierre. Selon le témoignage de l’un des sergents, Jean Roussel, âgé de cinquantequatre ans, un véritable dialogue ritualisé s’engage alors entre le doyen de Saint-Remi et le prévôt de l’archevêque53 :
« En le baillant, ledit doyen demanda audit prevost qu’il demandoit ? Et ledit prevost respondist par telz mots : « Je demande cest homme icy ». A quoy ledit doyen respondit : « Faictes ce que vous devez, et on le vous baillera » ; en tendant la main. Apres lesquelles paroles dictes, ledit prevost bailla audit Rogier de Suippes [...] trente deniers parisis, tous en parisis ; et quant ledit doyen les ot receus, il frapa de sa main un cop sur le col dudit homme, et le bailla audit prevost, en disant : « Prevost je vous baille et delivre cest homme ycy pour le justicier au gibet de Reins, comme murtrier et bouteur de feux, lequel sera convoyé par les officiers de messeigneurs de Saint Remy jusques a la croix de fust, ou le bourreau l’actent ».
14Il serait souhaitable, pour mener à bien l’interprétation de ce rituel, de l’insérer dans un ensemble de cas comparables. Dans l’état actuel de la recherche, il faut se contenter de quelques pistes. Rien ne peut être dit sur l’ancienneté de ce rituel : on sait seulement, d’après l’enquête, qu’il est pratiqué depuis au moins une cinquantaine d’années, mais il est sans doute antérieur et les témoins font état du caractère ancien de cette pratique. Peut-on la dater, au moins approximativement ? Le ban de Saint-Remi se forme à partir du Xe siècle et les pouvoirs de justice de l’abbaye sont définis par une bulle pontificale de Pascal II en mars 1114 : alors commence une série de rivalités avec l’archevêché qui, comme nous l’avons vu, réclame la haute justice. Il est alors probable que ce rituel s’est défini lors des négociations qui ont eu lieu entre l’archevêque et l’abbaye dans le cadre de cette compétition pour les droits de justice54. Mais à quel moment précis, il est impossible de le dire. La lutte qui s’est exacerbée au cours du XIIIe siècle a pu aboutir à un compromis de ce type, mais rien ne précise l’existence d’un rituel aussi structuré dans les enquêtes de saisine et novelleté qui se sont alors tenues et qui sont parvenues jusqu’à nous pour cette période. Vers 1254, il est seulement fait allusion à un lieu qui doit être choisi pour livrer le condamné à mort à l’archevêque afin que celui-ci se charge de le faire pendre et à la somme de trente deniers, dont l’usage semble déjà courant à cette date55.
15Comme il est normal, la mémoire des témoins se cristallise sur des lieux, des gestes et des paroles dont la succession parfaite et la répétition sont nécessaires à l’efficacité du rituel. En ce qui concerne les objets, l’attention se porte successivement sur une pierre puis sur une croix, c’est-à-dire sur deux repères qui, comme les bondes ou les chaînes, sont susceptibles de retenir la mémoire collective et d’assurer des bornes. D’autres sources médiévales, par exemple les censiers, montrent comment ces objets servent à cadrer une mémoire qui reste essentiellement visuelle. La pierre n’est pas évoquée de façon vague. Un nom lui est attribué, celui d’un ancien propriétaire de la maison proche, Guillaume Cocrenel. Il s’agit là d’une forme d’identification tout à fait courante à la fin du Moyen Age, mais qui révèle la précision de l’espace à cette époque. Les lieux portent un nom et, comme indifférents aux effets de la mort, ils constituent des sortes d’archétypes qui enracinent le paysage dans la mémoire d’ancêtres communs, quoique fortement individualisés. Mais la pierre n’est pas seulement un point de repère. Elle est ici dotée d’une fonction judiciaire qui lui est par ailleurs souvent assignée. Il est courant, en particulier dans les villes du Nord, de dire que les juges siègent à la pierre, ou que les accusés sont tenus de « venir à la pierre » pour être jugés56. L’échange des gestes et des paroles n’est pas indifférent. Le représentant de l’abbaye prend bien soin de montrer sa supériorité. Grimpé sur la pierre, il domine le représentant de l’archevêque qui se présente en requérant ; la colée qu’il donne au condamné peut aussi être considérée comme la marque fictive de la mort qui est finalement entre ses mains. Enfin, la négociation monétaire mérite réflexion. Elle est certainement le fruit des transactions initiales pour arriver à la paix entre les deux puissances, mais on peut deviner la charge symbolique que contiennent ces trente deniers. Cette somme n’est-elle pas la correspondance abâtardie des trente pièces d’or que Judas obtint pour avoir livré Jésus57 ? Incontestablement, ce rituel est le résultat de négociations qui ont été difficiles entre les deux pouvoirs ; les relents de culture savante et de pratiques populaires ont alimenté des palabres dont cet accord construit sur un bricolage de gestes et de paroles est le fruit. Son suivi scrupuleux reste ensuite la meilleure garantie de paix entre les deux seigneurs. Les témoins révèlent d’ailleurs que, dans certains cas, le déroulement a été troublé, les gens de l’archevêque voulant sauver, certainement à coups de compositions financières, celui que les gens de l’abbé avaient condamné à mort. Pour ce faire, ils ont usé de subterfuges, tenté d’extraire le condamné de la charrette qui le conduisait au-delà de la pierre ou bien ils ont pris le bourreau et l’ont emmené prisonnier58.
16Le rituel décrit par l’enquête de Reims a donc un double effet. Son respect assure en premier lieu la paix entre les deux pouvoirs antagonistes et il maintient, au moins fictivement, le droit de vie et de mort que revendique l’abbaye de Saint-Remi en tant que seigneur haut justicier. La rigueur de son déroulement permet en second lieu aux habitants du ban de Saint-Remi de vérifier le bienfondé de la peine de mort qui a été prononcée. Ils peuvent s’assurer de sa publicité puisque la peine a lieu selon un scénario ritualisé donc apprivoisé, de jour, dans une rue toujours identique, la rue Barbâtre, en présence du peuple. Ce scénario ne peut être troublé que par la main de Dieu à qui il arrive de manifester sa désapprobation par un éventuel miracle. Dans les cas cités par l’enquête, le peuple n’a pas bougé et n’a pas crié au miracle, même quand les gens de l’archevêque tentaient de retarder l’échéance de la condamnation. Au contraire, la main de Dieu porte à la sévérité : le bourreau résiste malgré la partie adverse et le condamné peut même aller jusqu’à dire, presque spontanément, qu’il mérite d’être pendu et doit l’être59. La population et les autorités étaient donc attentives à l’exactitude du déroulement du rituel judiciaire car, à ce prix seulement, la justice pouvait être efficace et acceptée.
17Tout, dans cette enquête, tend à montrer que les justiciables ont apprivoisé la justice, y compris quand elle condamne à mort. La condamnation ne leur fait pas peur. Il s’agit moins d’un manque de sensibilité de leur part que d’une adéquation entre leurs aspirations et la peine. Ils ont assimilé les mécanismes de la peine au point de ne pas la subir comme une violence qui les prive de leurs droits, mais de la considérer désormais comme un moyen de restaurer l’honneur de leur communauté. La place qu’ils occupent comme témoins indispensables dans les rituels judiciaires publics leur donne une large part de responsabilité dans l’accomplissement des peines. Dans ces conditions, le gibet sert moins de référence à leur orgueil collectif que le « bel et notoire auditoire » situé au chevet de l’église, dans lequel ont lieu les plaidoiries et où sont rendus les jugements, le tout peuplé de « notables conseillers », ou encore que les « prisons fermans » et le « tourier pour les garder »60. Tous les témoins énumèrent avec fierté l’existence de ces lieux où se rend la justice. Et, quand gibet oblige, il convient de savoir à qui il est destiné et pour quels crimes. L’application de la peine ne perturbe pas la collectivité car il s’agit de cas pour lesquels elle consent effectivement à la sentence. Le jeune homme qui a été banni pour larçin, cachant le drap volé sous son manteau, venait du comté de Rethel : c’était un homme « de dehors », un étranger à la communauté, facile à exclure. Il en est de même pour celui que le portier trouve en habit de pèlerin et qu’il fait conduire à la prison de Saint-Remi, ou encore de cet autre qui finit par avouer qu’il a bouté le feu et chevauché avec les gens d’armes61. Plus délicats sont les cas du dedans, mais la condamnation qui les touche trouve aussi son explication. Elle satisfait la communauté pour laquelle se mêle un fond subjectif de dénonciation lié à l’envie d’exclure l’un des siens et une analyse objective de ses démérites. Cette femme qui subit le bûcher près de Reims a commis un infanticide, c’est-à-dire un crime atroce. Dans le cas d’un autre habitant du ban, Etienne Baudry, l’exécution est précédée d’une dénonciation. Plusieurs personnes s’étant plaintes de vols de blés, la rumeur se porte contre lui. Il est trouvé avec « grant foison de blef en sa maison, qui aloit de nuyt » ; or la fortune qu’il vient d’accumuler ne correspond pas à son état, car Etienne Baudry est « jardinier et poure homme en apparence »62. Quant à Person Bedelet, il s’agit d’un boucher soupçonné de nombreux viols dont l’un est doublé d’inceste, en même temps que d’un meurtre et de sacrilèges, c’est-à-dire des crimes horribles que l’ensemble de la communauté a effectivement choisi de condamner et de punir par la mort, sous peine de lynchage63. A l’inverse, il semble normal que Guillemette, femme mariée à un homme de la communauté et soupçonnée de proxénétisme soit délivrée, de même que Jean La Gaude utilise le serment purgatoire pour prouver son innocence dans une affaire de vols64. Or le serment purgatoire, de type ordalique, repose sur un consensus de la communauté qui choisit de croire à l’innocence de celui dont elle sait qu’il est supposé coupable et, d’une certaine façon, d’occulter le crime. La peine pour l’exemple n’est retenue que si elle est négociée d’en bas, par un choix volontaire de la communauté qui en a pris l’initiative et mène le coupable qu’elle désigne là où elle veut.
18La mémoire du crime et celle de la peine se focalisent donc sur quelques cas et elle les traite avec une apparente indifférence. En suivant la tendance ouverte par Norbert Elias, les historiens ont replacé cette attitude de froideur dans une histoire des comportements qui place l’homme du Moyen Age en état d’insensibilité car « la potence, symbole de la juridiction du chevalier, fait partie du décor de sa vie, mais sa vue ne suscite en lui aucun sentiment de malaise »65. Question de sensibilité donc, d’une sensibilité qui n’a pas encore relégué l’horreur de la mort dans la coulisse. Ce point de vue est en partie repris par Pieter Spierenburg qui se montre attentif, avec raison, aux évolutions de l’histoire des sensibilités66. Certes l’histoire des comportements est possible, elle est même souhaitable. Mais une étude attentive de l’exemplarité des peines ouvre sur d’autres explications. L’exemplarité est le résultat d’un choix subtil entre la justice qui condamne et la communauté qui dénonce, en sorte que la forme que prend la résolution du crime est finalement attendue par le plus grand nombre. Jusqu’au bout, le peuple reste en grande partie maître du jeu, pouvant aller jusqu’à faire croire, et croire lui-même au miracle de la corde qui glisse, de l’échelle qui se casse et du bourreau qui se cache. Dans ces conditions, aucune peine n’est cruelle ou barbare : seuls certains crimes sont atroces et certains criminels incorrigibles. Ceux-là doivent être expulsés à cause de ce qu’ils ont fait et pour que le corps social retrouve son ordre. Mais cette expulsion est elle-même contrôlée par un ensemble de rites qui donnent au peuple son droit de regard et font que la vengeance ne pourra pas répliquer à la peine. Ainsi jugulé, le jugement ne détruit pas la paix sociale : il est au contraire accepté, voire souhaité. Alors, doté de sa propre performance, il peut servir d’enseignement à son tour et jouer son rôle d’exemple. Mais, en prenant l’effet pour la cause, on risque d’oublier que ce renversement ne vient qu’au terme d’une lente alchimie construite sur les antagonismes des rapports sociaux et sur la volonté que la société conserve encore, à la fin du Moyen Age, de classer les individus, d’en détruire certains, et d’occulter ce qu’elle désire pour préserver la paix. Le maintien du lien social se fait au prix de ces bricolages qui font souvent préférer la paix à la vérité de la justice. A terme, une étroite connivence s’installe entre le pouvoir justicier et la communauté, ce qui prouve finalement l’extrême souplesse avec laquelle s’est faite, dans l’Etat naissant, l’acculturation du pénal.
Notes de bas de page
1 B. Guenee, Tribunaux et gens de justice dans le bailliage de Sentis à la fin du Moyen Age (vers 1380-vers 1550), Paris, 1963.
2 Sur la place du crime et de la peine dans les sources narratives, C. Gauvard, « De grace especial ». Crime, Etat et Société en France à la fin du Moyen Age, 2 vol., Paris, 1991.
3 de Jean de Roye dit Chronique scandaleuse, B. de Mandrot éd., 2 vol Paris 1894 et 1896, t. 1, p. 166.
4 La présence de crocheteurs dans Paris est corroborée par les archives judiciaires, AN X2a 35, f. 154v, avril 1469, où, à propos d’une contestation d’une lettre de rémission obtenue par un prisonnier du Châtelet, l’avocat du procureur du roi parle de « plusieurs larecins, pilleries, roberies sacrileges, crocheteries et piperies lesquels crimes pour la plupart sont publiques, dont Paris et tout le royaume ont esté fort scandalisé et aussi l’a esté le roy ».
5 J.-M. Moeglin, « Edouard III et les six bourgeois de Calais », RH, 292 (1994), p. 229-267.
6 La Chronique d’Enguerran de Monstrelel en deux livres avec pièces justificatives, 1400-1444, L. Douet-d’Arcq éd., 6 vol., Paris, 1857-1862, t. 2, p. 44, donne bien le résumé de cette double perspective, conflits entre les partis politiques et conflits de juridiction. Lors de son arrestation par Pierre des Essarts, bourguignon et prévôt de Paris, le grand maître de l’Hôtel du roi, Jean de Montaigu, armagnac, riposte : « Et tu ribault traistre, comment es-tu si hardy de moy oser toucher ? ». Tout est dit dans cette réponse où la morgue de la charge la plus honorifique de l’Hôtel du roi sous-tend l’hostilité de partis opposés et de juridictions rivales.
7 B. Guenee, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1980, p. 27 sq.
8 C. Gauvard et G. Labory, « Une chronique rimée parisienne écrite en 1409 : « Les aventures depuis deux cents ans », Le métier d’historien au Moyen Age. Etudes sur l’historiographie médiévale, B. Guenee dir., Paris, 1977, p. 183-231, texte cité p. 207.
9 Journal d’un bourgeois de Paris, 1405-1449, A. Tuetey éd., Paris, 1881, p. 51-53. Sur les circonstances de cette affaire, B. Schnerb, Enguerrand de Bournonville et les siens. Un lignage noble du Boulonnais aux XIVe et XVe siècles, Paris, 1997, p. 109-138.
10 M. Foucault, Surveiller et punir ; naissance de la prison, Paris, 1975, chap. 1.
11 Sicque contra oppinionem multorum qui sentenciam exequucioni mandari impossibilem credebant, écrit Michel Pintoin, Chronique du religieux de Saint-Denys, abrégée RSD, t. 2, p. 192-193. Texte de l’arrêt décidant de la démolition et d’une réparation financière dans AN, X2a 14, f. 206v, 22 août 1404 et ibid., f. 207-207v, 6 septembre 1404 pour la condamnation des trois valets qui ont jusqu’au 21 septembre pour quitter la ville.
12 J.-M. Carbasse, « La peine en droit français », La peine, 2e partie, Europe avant le XVIIIe siècle, Recueils de la Société Jean Bodin, Bruxelles, 1991, p. 157-172. Sur l’application exemplaire des peines, on peut se référer aux cas de Paris et de Florence, E. Cohen, « To Die a Criminal for the Public Good » : the Execution Ritual in Late Medieval Paris », Law, Custom, and the Social Fabric in Medieval Europe, Essays in Honor of Bryce Lyon, B. S. Bachrach and D. Nicholas éd., Kalamazoo, 1990, p. 285-304, et A. Zorzi, « Rituali di violenza, cerimoniali penali, rappresentazioni della giustizia nelle città italiane centro-settentrionali (secoli XIII-XV) », La forme della propaganda politica nel due e nel trecento, Ecole française de Rome, 1994, p 395-425.
13 AN, X2a 12, f. 171v-173v, janvier 1394 : il s’agit d’une amende pécuniaire de mille livres, d’amendes honorables successives et de privation d’offices.
14 AN, X2a 24, f. 154, janvier 1447.
15 AN, X2a 49, f. 30v, décembre 1483.
16 Sur les critiques que peut suggérer l’œuvre de Michel Foucault, voir D. Garland, Punishment and Modem Society : a Study in Social Theory, Chicago, 1990, p. 157 sq.
17 AN, X2a 12, f. 295, mars 1396 ; X2a 14, f. 44v, décembre 1401. Chevrières, c. de Novy-Chevrières, Ardennes, c. Rethel. Autre exemple pour un drapier de Reims, Pierre Dausale, qui est condamné à être pendu pour le viol d’une jeune fille, crime pour lequel une foule hostile se rassemble devant la prison où il est incarcéré et réclame sa mort, AN, X2a 16, f. 89, septembre 1410, bailliage de Vermandois.
18 B. Guenee, « Comment le Religieux de Saint-Denis a-t-il écrit l’Histoire ? L’exemple du duel de Jean de Carrouges et Jacques Le Gris (1386) », Pratiques de la culture écrite en France au XVe siècle, M. Ornato et N. Pons éd., Louvain-La-Neuve, 1995, p. 331-343.
19 C. Gauvard, « Rumeur et stéréotypes à la fin du Moyen Age », La circulation des nouvelles au Moyen Age, XXIVe Congrès de la SHMESP (Avignon, 1993), Paris, 1994, p. 157-177, en particulier p. 172 sq.
20 C’est le cas au Moyen Age comme à l’époque moderne, A. Soman, Sorcellerie et Justice criminelle (XVIe-XVIIIe siècles), Variorum, 1992, partie I et « Sorcellerie, justice criminelle et société dans la France moderne », Histoire, Economie et Société, 12 (1993), p. 177-217 ; R. Briggs, Witches and Neighbours : the Social and Cultural Context of European Witchcraft, New York, 1996 ; C. Gauvard, « Paris, le Parlement et la sorcellerie au milieu du XVe siècle », Finances, pouvoir et mémoire. Hommage à Jean Favier, J. Kerherve et A. Rigaudiere éd., Paris 1999 p. 85-111.
21 AN, Y 5266 : dans 8 % des cas il s’agit de crimes de mœurs, la plupart du temps sur dénonciation des voisins, par exemple f. 3v et 6v. C. Gauvard, « Violence citadine et réseaux de solidarité. L’exemple français aux XIVe et XVe siècles », Annales ESC, 1993, p. 1113-1126.
22 AN, JJ 129, pièce 31, juin 1386, lettre adressée au sénéchal de Beaucaire, citée dans C. Gauvard, « De grace especial », op. cit. (n. 2), p. 884.
23 AN, X2a 14, f. 153-155, janvier 1404.
24 Reims, AM Registre 137, 12 septembre 1391-17 décembre 1392. Mémoire de maîtrise de Vincent Charles, 1992, dactylographié. Sur le contexte rémois de cette seconde moitié du XIVe siècle, P. Desportes, Reims et les Rémois aux XIIIe et XIVe siècles, Paris, 1979, p. 633 sq. Ce personnage ne figure pas, en effet, parmi les familles patriciennes de Reims. Il est pourtant dit dans sa déclinaison d’identité qu’il fait partie du corps de l’échevinage de la ville. Originaire de Montmédy, ce nouveau venu est de surcroît un étranger car sa ville d’origine se trouve dans l’Empire, Montmédy, Meuse, ch.-l.-ca.
25 AN, Y 5266, f. 29v, juillet 1488.
26 AN, JJ 127, pièce 136, septembre 1385, lettre adressée au bailli de Sens.
27 La France anglaise au Moyen Age, Actes du IIIe Congrès international des Sociétés savantes (Poitiers 1986), Philologie et Histoire jusqu’en 1610, Paris, 1988.
28 C. Gauvard, « De grace especial », op. cit. (n. 2), chap. 18.
29 Sur les implications de cette clause, Y. Bongert, « Rétribution et réparation dans l’ancien droit français », Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des institutions des Anciens pays bourguignons, comtois et romands, 45 (1988), p. 59-107.
30 Sur l’impact et la permanence de l’infrajustice, L’infrajudiciaire du Moyen Age à l’époque contemporaine, B. Garnot dir., Dijon, 1996. Sur les liens entre ces différents aspects de la résolution des conflits, C. Gauvard, Le pénal dans tous ses états. Justice, Etats et sociétés en Europe (XIIe-XXe siècles), R. Lévy et X. Rousseau dir., Bruxelles, 1997, p. 81-112.
31 Voir sur ce point, pour l’époque moderne, les réflexions suggestives de Y. Castan, « Exemplarité judicaire, caution ou éveil des études sérielles », Mélanges R. Mandrou Paris’1985, p. 51-59.
32 Conservée en très mauvais état sous forme de rouleau de parchemin aux Archives municipales de Reims, 56 H 39, cette enquête a été publiée en partie par P. Varin, Archives législatives de la ville de Reims, 6 vol. Paris, 1840-1853, t. 1, Coutumes, p. 481-602. Elle est citée par la suite Enquête du ban de Saint-Remi.
33 Sur la pratique de ce type d’enquête au XVe siècle, B. Guenée, Tribunaux et gens de justice, op cit. (n. 1), p. 222-230. L’honorabilité des témoins est une garantie de l’enquête, A. Porteau-Bitker et L. Talazac, « La renommée dans le droit pénal laïc du XIIIe au XVe siècle », La Renommée, C. Gauvard dir., Médiévales, 24, 1993, p. 67-80.
34 Enquête du ban de Saint-Remi, p. 540.
35 Ibid., p. 502.
36 Ibid, p. 555.
37 Nombreux témoignages de son action dans P. Varin, Archives législatives, op. cit. (n. 32), p. 566-569, 616, 679 689, 695, etc.
38 Enquête du ban de Saint-Remi, p. 490.
39 Jacques de Chaumont rappelle ainsi comment sont criées les ordonnances : « ont accoustumé aussy de faire faire par leurs officiers ordonnances, et icelles faites de les faire crier et publier par le crieur sur ce ordonné au dit ban, pour le bien de la chose commune [...] et encores dit que durant le temps qu’il a esté procureur et mayeur, dont dessus a deposé, il a fait crier et publier oudit ban a haulte voix, et par especial aux foires de la Saint-Remy [...] que aucuns n’alaissent de nuit par ledit ban [...] et quant ilz crient, ilz dient et ont acoustumé de dire en leurs crix, par telz mots : Oyez, oyez de par monseigneur de Saint-Remy, du comandement du roi nostre sire, de monseigneur le bailli de Vermandois, du prevost de Laon », ibid., p. 579-580. Sur le cri prononcé au prône que les témoins entendent comme paroissiens dans l’église Saint-Julien où est annoncée la vente des deux pièces de terre, ibid., p. 530 et 583.
40 Sur les étapes de la mémoire, voir l’ensemble des contributions dans Le métier d’historien au Moyen Age, op. cit. (n. 8). Sur ce type d’enquête, Y. Grava, « La mémoire, une base de l’organisation politique des communautés provençales au XIVe siècle », Temps, mémoire, tradition au Moyen Age, Actes du XIIIe congrès de la SHMESP (Aix-en-Provence 1982), Marseille, 1983, p. 67-94.
41 Voir infra, n. 57.
42 Enquête du ban de Saint-Remi, p. 500.
43 Enquête du ban de Saint-Remi, p. 493.
44 Ibid., p. 503 : Jean Trichot, boucher du ban, est ainsi puni et « fut icelle char arse publiquement ». Le témoin cite ce fait « non pas que ad ce faire fust present, mais commune renommee en estoit oudit ban ». Le déshonneur consiste bien à « ardoir publiquement, au veu d’un chacun » les marchandises incriminées. Un autre témoin se souvient aussi de Pasquette, femme d’un nommé Holandre, parmentier, demeurant à Reims, condamnée à brûler aulx et oignons pourris, ibid., p. 529.
45 Ibid., p. 595 et 567.
46 Ibid., p. 584.
47 II s’agit de Philippot Loppin, sergent du ban, qui a seulement quarante ans au moment de l’enquête, ibid., p. 522-523.
48 Sur la force des rituels judiciaires jusqu’à la fin du Moyen Age, Les rituels judiciaires au Moyen Age, C. Gauvard et R. Jacob dir., Paris, Léopard d’Or, à paraître.
49 P. Connerton, How Societies Remember, Cambridge, 1989 et J.-C. Schmitt, La raison des gestes au Moyen Age, Paris, 1990 et, récemment, E. Mum, Ritual in Early Modem Europe, Cambridge, 1997.
50 Sur le rituel de pendaison, C. Gauvard, « Pendre et dépendre à la fin du Moyen Age : les exigences d’un rituel judiciaire », Histoire de la Justice, 4 (1991), p. 5-24.
51 Sur les principales phases de la compétition entre les deux pouvoirs à propos de la haute justice, P. Desportes, Reims et les Rémois, op. cit. (n. 24), p. 169-173.
52 Enquête du ban de Saint-Remi, p. 539.
53 Enquête du ban de Saint-Remi, p. 593.
54 Sur la formation du ban de Saint-Remi, on peut consulter avec profit, A. Duflot et C. Niay, Le ban de Saint-Remi de Reims, de la naissance du bourg à la commende (Xe-XVe siècle), mémoire de maîtrise, Université de Reims, 1993-1994, dactylographié.
55 BNF, lat. 9015, pièces 5-8. Item depponunt omnes testes quod archiepiscopus non habet aliquam jurisdicionem in burgo Sancti Remigii, nisi hoc solum quod condempnatus ad mortem redditur proposito archiepiscopi per majorem Sancti Remigii in quodam loco determinato, solutis prius a proposito archiepiscopi dicto majori triginta denariis, et in hoc concordant omnes testes utriusque partis, Pièce 7, citée par P. Guilhiermoz, Enquêtes et procès, Paris, 1892, p. 328.
56 Voir Lapis dans Ducange ; autre exemple dans AN, X2a 10, fol. 161 v, juillet 1383, Epernay, qui éclaire la pratique rémoise : « Combien qu’il soit accoustumé ou lieu d’Espernay que quant aucun malfaiteur doit estre executé pour ses desmerites l’en le mene de plain jour a la justice et doit confesser son malefice a la pierre etc et au gibet aussi, oyant le peuple ».
57 Matthieu, 26, 14-15.
58 En ce qui concerne Person Bedelet, le subterfuge consistait à faire diversion en prenant le prétexte d’une truie qu’il fallait aller pendre avant lui et mettre dans la charrette à sa place, mais les gens de Saint-Remi dirent : « Alez la querir se bon vous samble, et la faites mener au gibet ; vous n’enmenrez point en vostre chastel Bedelet, qui vous a esté baillié tout jugié a mort : menez le tout droit, sans arrester, morir, comme faire le devez », Enquête du ban de Saint-Remi, p. 572. Autre cas, ibid., p. 595.
59 Toujours dans le cas de Bedelet, celui-ci dit à ceux qui voulaient encore intervenir au pied du gibet : « J’ay dit et confessé aux gens et officiers de Saint-Remy ce que j’ay meffait : je ne vous en diray plus, ne je vous en doys rien dire ». Puis « et apres ce, ledit Bedelet monta hault sur l’eschiele, et fut pendus et estranglez », ibid., p. 573.
60 La plupart des témoins notent la prestance de ces édifices, par exemple, ibid., p. 524-525 et p. 566. Cette présence dans la mémoire conforte leur place dans l’imaginaire de la justice, R. Jacob, Images de la justice, Paris, 1994.
61 Enquête du ban de Saint-Remi, p. 569, 570, 593.
62 Ibid., p. 575.
63 Ibid., p. 571-572.
64 Ibid., p. 538.
65 N. Elias, La civilisation des mœurs, trad., Paris, 1973, p. 351.
66 P. C. Spierenburg, The Spectacle of Suffering. Executions and the Evolution of Repression : from a Preindustrial Metropolis to the European Experience, Cambridge, 1984, p. 13 et 54.
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