Introduction
p. 8-16
Texte intégral
1Le 30 juillet 1917, ‘Abd al-Raḥmān ibn (fils de) Yūsuf Bā Nāja récupérait auprès du représentant britannique à Djedda son passeport hedjazi visé pour l’Égypte. Le 5 août, il embarquait avec l’un de ses serviteurs pour Suez sur un bateau à vapeur égyptien de la compagnie khédiviale, le Dakahlia. Au début du mois de septembre suivant, le cheikh revenait à Djedda, profitant de l’une des lignes régulières de vapeurs qui, depuis près d’un demi-siècle, reliaient le principal port du Hedjaz à Suez et aux autres grandes cités de la Méditerranée et de l’océan Indien.
2‘Abd al-Raḥmān avait alors 55 ans. Comme son passeport l’indiquait, il portait une fine barbe blanche. Il avait une taille moyenne. Son corps resté mince était élégamment habillé par le léger manteau que les riches Hedjazis, l’été, portaient ouvert sur leur habit blanc. La mention remplie sur le passeport par les autorités du royaume chérifien du Hedjaz confirmait la dignité de son apparance : les fils du défunt Yūsuf Bā Nāja faisaient partie de l’élite urbaine des « notables » (a‘yān) et des « négociants » (tujjār) de Djedda.
3Comme une bonne partie de ces notables et grands négociants, le voyage en Égypte permettait à ‘Abd al-Raḥmān d’échapper à la chaleur et à l’humidité étouffantes de la cité portuaire hedjazie en été. D’autres notables de Djedda, quand ils n’allaient pas au Caire, passaient l’été dans la résidence que la plupart d’entre eux possédaient à Taëf, sur les hauteurs. Les Bā Nāja y jouissaient d’une magnifique maison dotée d’un jardin. Mais comme le motif du voyage porté sur son passeport l’indiquait, ‘Abd al-Raḥmān souhaitait « changer d’air (tabdīl al-hawā) » et « se détendre (tanazzuh) » dans l’immense et moderne métropole cairote, plutôt que se retirer sur les hauteurs du Hedjaz.
4Pour les fils de Yūsuf Bā Nāja, les vacances au Caire, aussi prestigieuses et régulières fussent-elles, n’étaient pas la seule raison du voyage en Égypte. La capitale égyptienne était l’un des pôles du réseau marchand qui faisait le succès des affaires de leur famille entre la Méditerranée et l’océan Indien. ‘Abd Allāh ibn Yūsuf Bā Nāja, le frère aîné de ‘Abd al-Raḥmān et le chef de la maison marchande (bayt tijārī) familiale, passait au Caire une part croissante de son temps, dans l’une des nombreuses propriétés immobilières qu’il y avait acquises. C’est de là qu’il gérait les entreprises commerciales de la famille et ses propres affaires.
5En son absence, la maison et l’établissement fondés par Yūsuf Bā Nāja à Djedda étaient confiés à la gestion de ‘Abd al-Raḥmān ou de son fils aîné, Muḥammad Ṣāliḥ ibn ‘Abd al-Raḥmān. Une correspondance nourrie et recoupée par des télégrammes fréquents entre ces hommes permettait de suivre les affaires familiales et de coordonner depuis Le Caire ou Djedda les activités des membres de la famille et des partenaires, répartis entre Istanbul et Calcutta. Les Bā Nāja appartenaient en effet au groupe des négociants spécialisés dans le commerce entre l’Égypte et l’Inde, dont Djedda avait été l’une des plaques tournantes.
6Comme beaucoup de négociants de Djedda engagés dans ce commerce depuis le milieu du xixe siècle, la famille Bā Nāja était originaire du Hadramaout, une région pauvre du Yémen connue pour l’émigration de ses sayyids (les descendants du Prophète Muḥammad) dans l’océan Indien et en mer Rouge mais moins pour ses marchands1. Comme l’écrasante majorité des négociants hadramis établis à Djedda jusqu’à aujourd’hui, la famille venait plus précisément d’une vallée (wādi) du Hadramaout : le Da‘wan. Au début des années 1880, le gouverneur ottoman du Hedjaz rapportait déjà que les marchands hadramis en étaient venus à constituer la « majorité des négociants réputés à Djedda et à La Mecque pour l’importance de leur fortune et l’étendue de leur commerce2 ». Leur origine était particulièrement visible dans le rôle des négociants au sein de la communauté hadramie de Djedda, dans leurs relations avec les sayyids de la même origine, et dans la composition de leurs alliances familiales et commerciales. Premier des Bā Nāja connus à Djedda, le père de ‘Abd al-Raḥmān fut peut-être aussi le premier membre de la famille à s’établir au Hedjaz au début du xixe siècle. ‘Abd al-Raḥmān et sa famille gardaient probablement le souvenir de leurs origines lorsqu’ils accueillaient les sayyids hadramis de passage dans leurs résidences du Caire et d’Istanbul, lorsqu’ils se mariaient au sein de la communauté hadramie de Djedda, ou lorsqu’il leur arrivait de citer un proverbe du Hadramaout à la fin d’une correspondance commerciale.
7Cependant, leurs alliés et partenaires, comme leurs concurrents, ne se limitaient pas aux Hadramis, loin de là. Arabes d’Égypte, du Levant, du Maghreb et grandes familles du Hedjaz surtout, Africains d’Érythrée, Indiens, Turcs et même Européens apparaissent tout aussi régulièrement dans leurs affaires, dans leurs carnets de comptes et de crédit, et, parfois, au sein de leur famille.
8Au moment où ‘Abd al-Raḥmān partait de Djedda pour rejoindre son frère au Caire, alors que les échanges étaient sévèrement mis à l’épreuve par les blocus maritimes en mer Rouge, l’arrêt presque complet du pèlerinage, les restrictions des exportations, les quotas appliqués aux importations depuis l’Inde, et les opérations militaires de la Première Guerre mondiale, le dynamisme maintenu de leurs établissements témoignait toujours de l’intégration réussie de ces grandes maisons négociantes arabes et musulmanes dans le commerce mondial. Depuis le milieu du siècle précédent et l’accélération d’un processus de mondialisation porté par l’expansion des empires coloniaux et le développement des transports, les négociants de Djedda avaient pourtant dû faire face à une série de crises dont le conflit mondial ne fut qu’un épisode. Il leur avait fallu s’adapter à la rude concurrence indienne et européenne, au développement des échanges permis par les navires à vapeur et aux changements des régimes politiques dans le Hedjaz, où le Grand Chérif Husayn venait de déclarer la révolte contre l’Empire ottoman.
9En 1917, ‘Abd al-Raḥmān Bā Nāja et sa famille, comme les autres familles de négociants évoquées dans ce livre, animaient toujours un réseau marchand actif au sein duquel circulaient les textiles commandés à Bombay et Calcutta, le bois et les épices d’Indonésie, les céréales exportées d’Égypte, les dattes du golfe Arabo-Persique et, bientôt, les premières voitures européennes importées en Arabie. Ces échanges étaient réglés par un système financier complexe d’ordres de virement, de transferts de monnaies variées et de métaux précieux, parfois en contrebande, mais surtout par les jeux d’écriture que rendait possible la tenue scrupuleuse de comptabilités doubles, régulièrement vérifiées par les partenaires dans leurs correspondances. Les courriers circulant de plus en plus vite, les télégrammes et câblogrammes passant d’une rive à l’autre de la mer Rouge et de l’océan Indien, la circulation des membres et plus encore les liens de crédit qui unissaient les partenaires entre eux dessinaient un système de circulation de l’information permettant de connaître l’état des marchés, de mobiliser puis d’investir des capitaux, et d’entretenir des liens de confiance sur plusieurs générations.
10Cette organisation permettait aux Bā Nāja de compter parmi les acteurs importants d’un marché pénétré depuis longtemps par les entreprises à capitaux européens mais dont ils contrôlaient l’accès à l’échelle locale et régionale. Elle faisait aussi d’eux des interlocuteurs indispensables du pouvoir politique au Hedjaz, toujours en quête d’argent et de soutiens influents au sein de la société et du groupe des négociants.
11L’historiographie de ces réseaux négociants arabes et musulmans s’est longtemps concentrée sur leur divergence quant à l’évolution du capitalisme européen, d’une part, et sur leur intégration à des économies politiques contrôlées par les États contemporains, d’autre part3. Une comparaison prudente avec les travaux d’histoire économique portant sur les économies marchandes montre pourtant que les négociants arabes et musulmans comme les Hadramis de Djedda conduisaient leurs activités et maintenaient leur prééminence sur les marchés avec des techniques remarquablement similaires à celles de leurs homologues américains ou européens4. Mais en s’affranchissant du face-à-face avec l’histoire du commerce européen et en s’intéressant notamment aux activités qui n’étaient pas centrées sur l’Europe, les renouvellements de l’histoire économique de la Méditerranée et de l’océan Indien à l’époque contemporaine ont aussi mis en lumière la résilience des réseaux marchands non européens et le dynamisme maintenu de leurs activités commerciales et financières. L’ouvrage de Claude Markovits sur le fonctionnement des réseaux mondiaux des négociants indiens et leur adaptation à l’expansion impériale britannique, comme celui de Hala Fattah sur les stratégies de résistance des réseaux marchands régionaux du Golfe face à la concurrence européenne et à l’interventionnisme des autorités politiques en sont de remarquables exemples pour la période allant du xviiie au xxe siècle5.
12La région de la mer Rouge et de ce qui devint en 1932 le royaume d’Arabie Saoudite est restée en marge de cette historiographie pour l’époque contemporaine, alors que les historiens des périodes précédentes ont mis en lumière le rôle du négoce local et de longue distance dans l’essor économique de la région, et plus particulièrement du port de Djedda à partir du xve siècle, jusqu’au ralentissement de la seconde moitié du xviiie siècle6. Le seul livre en français sur l’histoire de la mer Rouge ne fait une place aux marchands non européens qu’en évoquant les rivalités entre les puissances impériales européennes et ottomane, une perspective que conserve largement William Ochsenwald dans ce qui reste l’ouvrage le plus documenté sur l’histoire du Hedjaz7. Plus généralement, les travaux sur la région de la mer Rouge au xixe siècle et au début du xxe siècle sont particulièrement rares8. Ils relèvent essentiellement, comme pour la suite du xxe siècle, d’une histoire politique largement consacrée à la création du royaume saoudien qui apparaît comme une formation politique et sociale fondée sur le wahhabisme et la puissance pétrolière, en rupture avec les États précédents et avec son environnement régional.
13L’intérêt d’une histoire de familles marchandes du xixe siècle au xxe siècle est justement de relier les espaces et les époques que les découpages historiographiques ont souvent isolés, de rattacher l’histoire de l’Arabie Saoudite à celle de sa région et des régimes qui ont précédé l’actuelle monarchie, de montrer la pertinence d’une histoire plus économique de la région. Une telle histoire nous situe aux marges et points de contact des aires régionales et des périodisations historiques dans leurs découpages habituels, grâce à une variété de sources suffisante pour restituer les angles morts de ces découpages et pour varier autant que possible les points de vue sur un monde étonnant.
14Le succès des activités des négociants hadramis établis à Djedda reposait précisément sur leur contrôle de l’accès aux marchés locaux et régionaux et sur leur capacité à relier les différentes échelles de l’échange (les échanges de longue distance avec la Méditerranée et l’océan Indien puis avec les États-Unis et l’Europe, les échanges régionaux entre la côte africaine et la péninsule Arabique en mer Rouge, et les échanges locaux dans la cité portuaire) autour de la mer Rouge, dont le fonctionnement économique n’était pas seulement celui d’un « couloir » entre la Méditerranée et l’océan Indien. La maîtrise des connexions entre ces différents systèmes d’échanges reposait sur les « ensembles de relations » entretenues par les négociants avec leurs partenaires issus de communautés variées et sur les « structures durables issues de [ces] interactions », c’est-à-dire sur un réseau marchand plus que sur une diaspora9. C’est à l’étude de ce réseau à différentes échelles entre 1850 et 1950 que je me suis d’abord consacré dans la thèse de doctorat dont ce livre est issu. L’évolution d’un réseau marchand, manifestée par l’évolution de ses membres, des produits et des orientations du commerce, permet de comprendre le fonctionnement des échanges et le rôle que les activités de négoce confèrent aux négociants dans la société urbaine et dans la vie politique du Hedjaz.
15La consultation de registres des tribunaux cairotes et d’archives privées familiales comprenant des documents de nature immobilière, commerciale et parfois intime m’a permis de plonger dans les mécanismes de l’échange marchand qui se déroulait souvent loin des yeux européens, dans la circulation des biens, du crédit et de l’information, et dans la dimension sociale de ces activités, fondatrices d’un véritable ordre urbain à l’échelle de la cité. Enrichie par les témoignages des shaykhs actuels descendant de ces grands marchands du siècle dernier, la lecture de cette documentation privée fait apparaître le rôle structurant de la famille dans les échanges, ce qui m’a amené à profiter, là encore, d’une historiographie de la famille particulièrement dynamique pour les autres provinces arabes de l’Empire ottoman. L’importance du groupe familial dans la gestion des activités de la maison marchande, la plasticité qui lui permettait de s’adapter aux reconfigurations économiques en intégrant de nouveaux membres, et enfin son extension dans les différents cercles de la société urbaine et du pouvoir nous interdisent de voir dans le poids de la famille un signe univoque d’arriération économique à l’époque contemporaine.
16A posteriori, le succès de ces familles négociantes a aussi reposé sur leur capacité à passer d’une époque à une autre, à s’adapter aux évolutions de l’économie marchande et aux crises familiales, à traverser les régimes politiques successifs. La récurrence de leurs noms sur un siècle dans les archives des consulats étrangers, de l’administration ottomane et dans les journaux hedjazis et saoudiens en témoigne. L’usage des archives ottomanes en particulier rappelle opportunément une partie négligée de l’histoire du Hedjaz, alors que l’histoire ottomane des autres provinces arabes de l’Empire ottoman connaît un essor considérable depuis plus de trente ans. Comme d’autres grands négociants de Djedda, les Bā Nāja furent d’abord d’honorables négociants ottomans, des sujets remarqués du padişāh d’Istanbul et des notables intégrés à l’administration de la province du Hedjaz, avant d’être les soutiens du royaume chérifien (1916-1925) puis les piliers économiques du royaume d’Arabie Saoudite naissant à la suite de la prise de La Mecque et Djedda (1924-1925).
17À cet égard, l’histoire économique n’éclaire pas uniquement l’évolution des échanges conduits autour de Djedda et la place du commerce au sein de l’économie régionale. Elle offre aussi d’intéressantes perspectives sur l’histoire politique du Hedjaz de l’époque ottomane à l’époque saoudienne, depuis le rôle des notables dans la gestion municipale jusqu’aux relations entre États dans lesquelles les négociants ont servi d’intermédiaires. Dans un pays dont l’économie repose bien plus sur l’échange que sur la production et dont les négociants contrôlent l’accès aux marchés locaux et régionaux, où la principale source de profit est donc marchande jusqu’à l’essor des revenus pétroliers au cours des années 1940, la puissance des institutions politiques était fortement conditionnée par les rapports que ces institutions entretenaient avec les négociants et par le soutien financier et politique que ces derniers apportèrent ou refusèrent d’apporter à l’État.
18Autour des Bā Nāja, ce livre suit l’histoire d’un ensemble de familles marchandes d’origine hadramie qui ont laissé des traces récurrentes dans les sources européennes, arabes et ottomanes entre 1850 et 1950, et pour lesquelles des archives familiales sont accessibles en totalité ou en partie. Ces familles ont pour point commun d’être établies à Djedda et actives dans le commerce du port au moment de la reprise en main de la province par l’Empire ottoman à partir de 1840. Les années 1840 sont aussi marquées par l’installation à Djedda des premiers consulats et négociants européens, attirés par le dynamisme retrouvé du commerce entre la Méditerranée et l’océan Indien (chapitre i). Après la crise de la fin du xviiie siècle, c’est le développement rapide du commerce régional dans les premières décennies du xixe siècle qui favorisa la formation de puissantes maisons marchandes, comme ces maisons hadramies en mer Rouge10. Toutes ces familles étaient encore actives, mais avec des fortunes différentes, à la fin des années 1940 lorsque l’exploitation des hydrocarbures commença à bouleverser les activités marchandes et le statut des négociants, et lorsque le règne du roi ‘Abd al-ʻAzīz (m. 1953) toucha à sa fin.
19Dans le cadre commun d’une présence continue et prolongée au sein de la notabilité de Djedda, ce sont les trajectoires différentes des entreprises familiales qui sont exposées. L’émeute qui éclata en 1858 dans la cité portuaire sert de point de départ. Son déroulement et l’enquête dont elle a fait l’objet mettent en lumière le groupe des grands négociants hadramis de Djedda et leurs connexions dans la société urbaine locale et dans une conjoncture régionale nouvelle caractérisée par l’intégration accélérée de l’économie djeddawie aux échanges mondiaux (chapitre ii). L’examen de la participation des négociants hadramis à ces échanges en période d’essor (années 1850-1870) puis de ralentissement commercial (années 1880-1890) permet de mieux mesurer l’impact de l’ouverture du canal de Suez et du développement des compagnies de navigation à vapeur sur les échanges dans la région au moment où ces échanges sont progressivement intégrés à l’échelle mondiale et confortés par la consolidation des empires (chapitre iii). Le poids économique des négociants et leurs réseaux locaux (au Hedjaz) et régionaux (en mer Rouge) faisaient de ces négociants des notables, interlocuteurs et relais indispensables du gouvernement ottoman (chapitre iii) puis chérifien (chapitre iv). L’examen d’une économie marchande conduit ainsi nécessairement à l’examen du pouvoir que leurs activités et leur contrôle du marché confèrent aux marchands vis-à-vis des institutions étatiques et du reste de la société. Un tel examen peut éclairer les moyens mis en œuvre pour manifester et entretenir leur pouvoir économique et politique, et notamment les ressources mobilisées lors des crises qui bouleversèrent régulièrement la situation politique du Hedjaz, de la révolution des Jeunes Turcs (1908) aux révoltes antisaoudiennes des années 1930.
20Le double examen du négoce et de sa dimension politique manifeste le rôle central de la famille dans la structuration des affaires et dans l’organisation de réseaux de relations aux différentes échelles de la cité portuaire, de la mer Rouge et du commerce de longue distance. Après l’exposé des échanges auxquels participent les négociants hadramis de Djedda et l’étude de leur rôle politique jusqu’au début de la période saoudienne dans les quatre premiers chapitres, c’est la famille elle-même et son intégration dans le réseau des négociants qui font l’objet du chapitre v. Comment le groupe familial s’organise-t-il et s’adapte-t-il à l’évolution des activités et à la succession des générations ? Quels sont les modes de transmission des différents éléments du patrimoine familial matériel et immatériel, et comment ces modes de transmission s’intègrent-ils au fonctionnement des deux autres institutions que sont le waqf et la šarika (chapitre v) ? Là encore, l’examen met au jour des points communs remarquables dans l’organisation des familles, mais aussi des trajectoires nettement contrastées. Ces différences contribuent tout autant que l’évolution de la conjoncture économique à expliquer la disparition progressive au sein de l’élite marchande de grandes familles hadramies du siècle précédent, le maintien d’autres et l’émergence de nouvelles familles entre les années 1930 et les années 1940 (chapitre vi).
21L’analyse de la transformation du groupe des négociants hedjazis est poursuivie dans le sixième et dernier chapitre. En une vingtaine d’années, c’est l’univers des vieilles familles marchandes, la géographie de leurs réseaux et leur poids politique qui sont entièrement transformés par les nouvelles frontières nationales, par la réorientation des échanges et par la croissance des revenus tirés de l’exploitation du pétrole. En une vingtaine d’années, les États-Unis et l’Europe de l’Ouest ont remplacé l’Inde et l’Égypte, et les Bin Lādin ont remplacé les Bā Nāja.
Notes de bas de page
1 A. Knysh, 1993 ; E. Peskes, 2005, et « al-‘Aydarūs » et « Bā ‘Alawī » (E. I. 3) ; I. Alatas, « ‘Alāwiyya » (E. I. 3).
2 Ve şimdiki hālde Cidde-ile Mekke-i Mükerreme-de ṯervet-i qudret ve vus‘at-i ticāret-ile iştihār eyleyen tüccaruñ ekṯerisi işbu Ḥaḍramūt ahālisi demek olduğu miṯillū : ‘Uṯmān Nūrī, BBA Y. PRK. UM. 5-59, 5/03/1300 (15/01/1883).
3 Sur ces questions, plusieurs mises au point sont disponibles : I. Wallerstein, H. Decdeli et R. Kasaba, 1987 ; G. Gilbar, 2003 ; S. Faroqhi, 2009.
4 P. Gervais, 2004 ; P. Gervais, Y. Lemarchand et D. Margairaz (dir.), 2014.
5 Cl. Markovits, 2000 et 2007 ; H. Fattah, 1997. Voir aussi J. Crystal, 1995, qui indique déjà des évolutions très différentes au Qatar et au Koweït des rapports entre les groupes négociants et le pouvoir politique.
6 Sur la période médiévale : É. Vallet, 2010 ; J. Meloy, 2010. Sur la période ottomane : A. Raymond, 1973-1974 ; S. al-Ḥalawānī, 1993 ; Ḥ. ‘Abd al-Mu‘ṭī, 1999 ; M. Tuchscherer, 2001 et 2002 ; N. Um, 2009. Pour l’océan Indien dans une perspective globale au xve siècle : Ph. Beaujard, 2012.
7 R. Joint-Daguenet, 1995 ; W. Ochsenwald, 1984.
8 J. Miran, 2014.
9 Sur les apports et les limites de cette analyse des réseaux en histoire : Cl. Lemercier, 2007, et, appliqué plus directement aux échanges marchands : A. Greif, 1989 et 2006 ; Cl. Markovits, 2000.
10 Sur la crise de la fin du xviiie siècle : A. Raymond, 1973, chapitre iv ; Ḥ. ‘Abd al-Mu‘ṭī, 1999, p. 171-174.
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