Avant-propos
p. 11-13
Texte intégral
1Ce n’est pas d’aujourd’hui que se pose la question du latin médiéval. Le grand colloque du CNRS avait, en 1978, abordé les problèmes de la lexicologie1. L’inspirateur et l’animateur en était le Comité Ducange, chargé, comme chacun sait, d’une ample tâche internationale de reprise et de mise à jour, sous d’autres formes, du Glossarium bien connu. Les linguistes côtoyaient les historiens. Ces derniers, confrontés en permanence à des sources latines, ressentent plus que jamais aujourd’hui le manque d’instruments de travail permettant d’accéder à une meilleure connaissance du vocabulaire médiolatin. Le Moyen Âge, longtemps maltraité – période « obscure », âge « moyen », art « gothique » – bénéficie depuis plusieurs décennies de réhabilitations successives. Cependant la tendance est encore trop répandue de considérer la langue principale du Moyen Âge, le latin, comme une simple dégradation du latin classique, dont il serait par conséquent un sous-produit négligeable. Cette vision des choses revient à ignorer d’abord que le latin « classique » lui-même a été une langue multiforme, ensuite que le latin médiéval est le produit d’une lente évolution qui, loin de bouleverser aussi profondément qu’on croit le système de la langue latine, l’enrichit de strates successives et la diversifie selon les pays. Selon le regard qu’on porte sur le « latin médiéval », on privilégiera ainsi son unité, ou bien sa spécificité, laquelle provient essentiellement des modifications profondes subies par les modes de pensée.
2Par-delà les préoccupations linguistiques des spécialistes surgit un problème plus grave. La question brûlante qui se pose aux historiens – et l’on ne s’en tient pas aux seuls médiévistes – est celle de l’apprentissage et de la connaissance du latin par les nouvelles générations. Le latin, longtemps enseigné de façon assez large dans les établissements d’enseignement secondaire, a subi de rudes attaques, a vu sa part réduite, puis augmentée selon l’humeur des responsables politiques, et ce dans tous les pays d’Europe ; d’une façon générale l’étude du latin répugne aux jeunes élèves, et la représentation de cette discipline dans les programmes scolaires ne tient plus qu’au pouvoir de sélection dont la créditent les familles, les chefs d’établissements ou les élèves eux-mêmes. Les jeunes historiens qui portent leur intérêt vers le Moyen Âge découvrent soudain, et souvent bien tard, que les sources médiévales étaient écrites en latin jusqu’au xiiie siècle, que l’ignorance de cette langue les rejette vers le Moyen Âge tardif, où le français ancien n’a même pas totalement éliminé l’usage du latin. Il est alors du ressort des historiens de tout faire pour qu’une telle situation ne condamne pas à brève échéance les études et la recherche médiévales. Ils savent quel appoint précieux représentent les traductions, et combien celles-ci sont en même temps un pis-aller qui ne remplace pas la connaissance de la langue de base de la culture médiévale.
3La publication récente d’un manuel de latin pour grands commençants voulait faire prendre conscience qu’il est possible de « relancer la machine », d’une part en offrant une méthode d’apprentissage accéléré à ceux qui n’ont jamais fait de latin, d’autre part en en facilitant la reprise chez ceux qui avaient abandonné l’étude du latin classique au lycée. Toutefois, au-delà de ce travail pédagogique de base, se pose la question de la spécificité du vocabulaire médiéval, qui s’avère d’une grande richesse, propre parfois à une période ou à une région, et instable en matière d’orthographe. Cette situation explique l’utilité de glossaires spécifiques qui, en fournissant des traductions commentées, apportent une précieuse contribution non seulement à la lexicologie, mais aussi à l’histoire des faits, des hommes et des idées.
4Il a paru à quelques-uns que l’heure était venue de reprendre la réflexion sur les relations des historiens avec le latin médiéval. À la faveur d’un renouvellement de son programme quadriennal, le Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris s’est doté d’un axe de recherche en latin médiéval, pour lequel il a reçu le renfort de deux latinistes classiques ayant choisi de travailler sur des sources médiévales. Le colloque qui s’est réuni durant trois jours à la Sorbonne en septembre 1999 a suscité une attention plus que bienveillante. Aux historiens médiévistes qui avaient accepté de faire part de leurs expériences se sont ajoutés les linguistes préoccupés de leurs contacts avec l’histoire. Les relations entre histoire de la langue et histoire de la société sont apparues plus étroites que jamais, et au terme d’un long état des lieux dressé durant les deux tables rondes du colloque s’est exprimé de façon unanime le besoin d’un nouvel instrument de travail, certes plus modeste, scientifiquement parlant, que les grandes entreprises en cours, mais plus directement utilisable par tous : un lexique latin – français intégrant, à côté de la langue médiévale spécifique, le substrat classique que celle-ci a presque entièrement assimilé et retravaillé.
5Le colloque de septembre 1999 n’aurait pu avoir lieu sans le bon accueil et la générosité de plusieurs institutions : l’université Paris I, le ministère de l’Éducation nationale, le CNRS et le Sénat. La plus vive reconnaissance des organisateurs et des participants va à ces institutions et à ceux qui en ont la charge. Enfin les Publications de la Sorbonne ont accepté de publier les actes de ce colloque ; nous leurs adressons nos sincères remerciements, et tout particulièrement à Élisabeth Mornet pour sa relecture attentive et exigeante. Enfin notre gratitude va aussi à Laurent Garrigues, qui a réalisé la maquette du volume.
Notes de bas de page
1 La lexicographie du latin médiéval et ses rapports avec les recherches actuelles sur la civilisation du Moyen Âge, Y. Lefèvre éd., Paris, 1981 (Colloque international du CNRS, octobre 1978).
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