Contribution à la reconstitution du paléoenvironnement sur les sites du Bassin parisien de la fin du Paléolithique (18 000-12 000 cal BC)
Apports des analyses biochimiques et des micro-usures dentaires
Reconstruction of Palaeoenvironments on the Paris Basin Sites at the End of Paleolithic (18 000-12 000 cal BC): Contribution from Isotopic Analysis and Dental Microwear Texture Analysis
Résumés
En archéologie environnementale, un des moyens de reconstituer les paysages du passé est d’analyser les restes anthracologiques, carpologiques ou palynologiques. Or ce type d’approche n’est possible que lorsque ces restes sont présents sur le site archéologique en assez grande quantité. Dans le cas des gisements magdaléniens du Bassin parisien, malgré des contextes stratigraphiques exceptionnels, ils livrent des vestiges paléoenvironnementaux pollués ou en assez faible quantité. Comment reconstituer les paysages fréquentés par les magdaléniens dans le cas du Bassin parisien ? Nous proposons d’utiliser deux autres types de sources pour apporter de nouvelles informations sur les paléoenvironnements : la faune et les données palynologiques issues de carottages en contexte non anthropique. Les vestiges fauniques apportent des informations sur les stratégies de chasse des hommes préhistoriques et sur l’écologie des proies visées. La comparaison des données écologiques avec les données palynologiques issues des sites de référence nous permet d’apporter de nouvelles informations pour la reconstitution des environnements fréquentés par les groupes préhistoriques à la fin du Paléolithique. L’analyse des restes fauniques du site de Pincevent a permis de tester cette approche indirecte pour remédier à un manque de sources directes sur l’environnement.
To reconstruct palaeoenvironment in archeology (anthracology, carpology and palynology), researchers use environmental remains. But this type of approach is only possible if those types of remains have been found in a substantial quantity and quality on archaeological sites. In our context, the Magdalenian deposits of the Paris Basin delivered contaminated remains or no remains at all, despite their exceptional stratigraphic contexts. How can we reconstruct palaeoenvironments of the Magdalenian societies in the Paris Basin without these sources? This article offers two kinds of sources that can provide new information about landscape reconstruction: faunal remains and palynological data exploited in non-anthropic coring contexts. Faunal remains provide information on human hunting strategies and ecology of preys hunted. Then the comparison of ecological data with palynology of referential sites gives us new information to reconstruct environments haunted by prehistoric groups at the end of the Paleolithic period. The analysis of faunal remains in Pincevent is tested here to test this approach.
Entrées d’index
Mots-clés : paléoenvironnement, stratégies de chasse, gibiers, micro-usures dentaires, isotopes, magdaléniens
Keywords : hunting strategie, preys, dental microwear texture analysis, isotopic analysis, paleoenvironment, Magdalenian
Texte intégral
Introduction
1Notre étude porte sur la reconstitution des paléoenvironnements en archéologie préhistorique. Nous nous intéressons plus précisément aux paysages du Bassin parisien fréquentés par les sociétés magdaléniennes du Paléolithique supérieur. Pendant cette période les sociétés de chasseurs-cueilleurs nomades n’ont pratiqué ni agriculture ni élevage et assurent encore leur alimentation en exploitant exclusivement des ressources naturelles. Les activités de subsistances de ces sociétés sont principalement basées sur la chasse, la cueillette et la collecte. Parmi les différents types d’étude développés par les archéologues pour reconstituer le mode de vie de ces sociétés à travers leurs activités, nous focaliserons notre réflexion sur l’archéozoologie. Cette approche cherche à modéliser les choix effectués par les hommes en fonction des ressources animales disponibles dans l’environnement. Les archéozoologues apportent des informations sur les animaux chassés à travers la reconstitution des profils d’abattages, de la répartition des parties anatomiques sur le site mais aussi en reconstituant les saisons de chasse. Mieux connaître ces ressources nous permet donc d’appréhender les choix économiques effectués par les préhistoriques. Par exemple, en reconstituant les paysages fréquentés par le gibier, nous pouvons replacer les activités de prédation humaine qui s’y sont déroulées à une période précise. Ainsi, reconstituer l’environnement du Bassin parisien au Paléolithique supérieur nous permettra de mieux comprendre le contexte environnemental dans lequel ils ont développé leurs stratégies de subsistance.
2De nombreuses études archéozoologiques soulignent des récurrences dans les tableaux de chasse des sociétés magdaléniennes qui ont occupé le Bassin parisien à la fin du Paléolithique (Bignon-Lau, 2008). En effet, des restes de rennes et de chevaux sont retrouvés sur la plupart des sites magdaléniens de la région. Aujourd’hui les chercheurs parlent « d’une économie à double proies préférentielles » pour caractériser l’organisation des stratégies et tactiques de chasse des groupes magdaléniens du Bassin parisien. Nous pouvons alors penser que les chasseurs ont développé leurs stratégies de chasse en partie par rapport à la disponibilité du gibier dans l’environnement. Pour ce faire, ils devaient ainsi connaître l’environnement dans lequel trouver le gibier en fonction des saisons et du climat. Pour comprendre les stratégies de chasse des humains qui ont occupé les gisements de la région à la fin du Paléolithique, il est donc nécessaire pour les archéozoologues d’acquérir des données sur le type d’environnement fréquenté par les chasseurs et leurs proies. Une analyse des restes environnementaux permet d’apporter ce type d’informations directes.
3Nous basons nos observations sur un site du Bassin parisien en particulier, il s’agit du site magdalénien de Pincevent découvert en 1964. Fouillé depuis cinquante ans, ce site nous livre aujourd’hui 28 niveaux d’occupation conservés par les limons de débordement de la Seine à la fin du Paléolithique supérieur (Leroi-Gourhan et Brézillon, 1983 ; Orliac, 2006). L’approche palethnographique appliquée lors de l’étude des vestiges lithiques et osseux sur le site a permis de reconstituer les activités sur lesquelles est basé le mode de vie des chasseurs-cueilleurs qui ont fréquenté le site. L’étude des restes fauniques par les archéozoologues a permis de mettre en évidence la succession de spectres fauniques a été mise en évidence selon les saisons et les niveaux d’occupation (Enloe, 1994 ; Bignon, 2008 ; David et al., 2014). Dans le but de mieux comprendre ces stratégies de chasse opérées sur le site, on cherche à reconstituer l’environnement fréquenté par les groupes magdaléniens et leur gibier au moment des occupations successives.
4Comment reconstituer l’environnement du passé lorsque les restes anthracologiques, carpologiques ou encore palynologiques sont absents ou sous-représentés sur les sites archéologiques ? En reconstituant ce que le régime alimentaire de l’animal, car l’alimentation des herbivores témoigne du couvert végétal qu’ils ont consommé et donc qu’ils ont fréquenté. Reconstituer le type de paysage que fréquentaient les chasseurs en fonction de leurs proies, c’est, comme on vient de l’évoquer, contribuer à la reconstitution du mode de vie des chasseurs-cueilleurs nomades préhistoriques. Le paysage végétal fréquenté par les Magdaléniens du Bassin parisien est de mieux en mieux connu aux alentours des sites préhistoriques grâce à des données environnementales que nous livre l’étude de carottages dans les tourbières en périphérie ce ceux-ci notamment. Nous allons présenter ces référentiels palynologiques non archéologiques lors de notre étude de cas sur Pincevent après avoir présenté notre approche pluridisciplinaire qui nous permettra d’apporter de nouvelles informations sur les paléoenvironnements.
Absence in situ de sources environnementales directes
5Comment reconstituer les paléoenvironnements sur ces sites du Bassin parisien en absence de restes végétaux ? Les restes environnementaux qui peuvent témoigner de la végétation du Bassin parisien pendant l’époque magdalénienne font défaut sur les sites archéologiques de la région. Habituellement les études palynologiques ou carpologiques se fondent sur l’identification d’espèces végétales présentes dans un échantillon ou plusieurs, et permettent d’associer des espèces les uns avec les autres pour à terme, reconstituer un type de paysage en fonction de l’occurrence des espèces.
6Ces types d’approches paléoenvironnementales qui reconstituent les paysages sont indispensables sur le Bassin parisien pour comprendre dans quel contexte environnemental les sociétés magdaléniennes de la région ont évolué et développé des stratégies de subsistance (notamment l’acquisition des ressources animales). Or, sur la plupart des sites de la fin du Paléolithique, de telles études ne donnent pas d’informations. Par exemple, sur le gisement magdalénien de Pincevent qui présente une stratigraphie très bien conservée, les analyses anthracologiques menées par S. Thiebault, qui auraient pu permettre de caractériser les types de combustibles végétaux, n’apportent pas beaucoup d’informations en raison d’une mauvaise conservation des échantillons dans le sédiment (Thiébault, 1994). Sur le même site, les analyses carpologiques ont déterminé la présence de saule (Salix L.) et de peuplier (Populus L.), témoins d’une végétation de bordure d’eau (Bazile-Robert, 1994). On ne peut cependant tirer aucune conclusion d’ordre écologique faute d’un nombre d’échantillons insuffisants. Enfin, les analyses polliniques effectuées sur les gisements archéologiques du Bassin parisien, tels que Pincevent ou Etiolles, se sont révélées négatives avec une mauvaise conservation des pollens ou une pollution des pollens tertiaires. Comment remédier à l’absence ou à la mauvaise qualité de conservation de ces trois types de restes ?
Apports de l’étude de la faune et des référentiels palynologiques régionaux à la reconstitution des paléoenvironnements
7Pour résoudre ce problème majeur, il est nécessaire de se tourner vers des sources indirectes. Les chercheurs se sont notamment tournés vers les référentiels palynologiques aux alentours du site et sur les restes fauniques abandonnés par les magdaléniens sur les lieux d’occupation.
Apport des référentiels palynologiques hors site
8Dans certains secteurs du Bassin parisien, hors contexte humain, des carottages fréquents sur des sites naturels régionaux, tels que des tourbières notamment, fournissent aujourd’hui des informations générales sur la composition et l’évolution des flores au Tardiglaciaire de la région (Leroyer, 1994). Lors d’une étude palynologique, les carottes de sédiment sont prélevées puis observées pour reconstituer l’assemblage d’espèces végétales représentées dans les échantillons. Ces analyses polliniques ou palynologiques témoignent de changements de végétation au cours du temps sur le site de référence étudié en établissant un diagramme. Pour proposer des hypothèses sur l’environnement fréquenté par les hommes préhistoriques qui se sont installés dans les alentours des sites magdaléniens de la région étudiée, les archéologues peuvent se reporter à ces diagrammes palynologiques ou polliniques régionaux. Il faut cependant noter qu’une reconstitution précise de l’environnement avoisinant des sites est limitée par l’éloignement relatif entre les tourbières ou sites de référence et les gisements magdaléniens.
L’étude des restes fauniques
9Notre but, ici, est d’apporter une solution pour obtenir de nouvelles informations sur l’environnement. Plus précisément, nous tentons de reconstituer les paysages et ensembles écologiques fréquentés par les hommes préhistoriques en reconstituant l’éthologie des proies préférentiellement visées.
L’approche archéozoologique classique
10La faune présente sur les sites archéologiques apporte des informations sur les populations animales visées par les stratégies de chasse des hommes préhistoriques. L’examen de l’état de conservation et la reconstitution préalable des altérations auxquelles la faune a été soumise, apportent des renseignements sur les conditions d’enfouissement du gisement et sur sa préservation (taphonomie). Ensuite, les archéozoologues déterminent les espèces chassées et consommées sur le site (spectre faunique, déterminations anatomiques). Ils reconstituent les profils démographiques pour comprendre quels types de populations ont été visés par les hommes. La répartition spatiale de la faune sur le site peut aussi apporter des informations sur les stratégies de subsistance (David et al., 2014 ; Bignon-Lau, 2014). Les témoins fauniques qui nous intéressent dans cette étude sont les dents ; porteur de signaux climatiques et environnementaux, l’émail dentaire des animaux tués par les hommes préhistoriques se trouve être un indicateur précieux des paléoenvironnements. Différents outils scientifiques (proxies en anglais) nous permettent de reconstituer l’éthologie de ces espèces chassées. Les dents des animaux retrouvées sur les sites peuvent apporter des informations de toutes sortes : datation, âge, alimentation… Si elles sont conservées, les dents peuvent notamment témoigner du régime alimentaire des espèces tuées sur les sites du Bassin parisien. En se basant sur une étude archéozoologique classique, nous tentons d’apporter des informations sur l’alimentation et sur les déplacements des animaux en développant deux types d’analyses sur les dents : des analyses isotopiques et des analyses de texture des micro-usures dentaires.
Apport des analyses isotopiques
11Les analyses isotopiques du carbone et de l’oxygène renseignent sur l’alimentation des animaux chassés (13C et 18/16O : Julien et al., 2012). Les analyses isotopiques du strontium (87Sr/86Sr) peuvent renseigner sur la rythmicité et l’amplitude des migrations animales (Britton et al., 2009 et 2011). Les dents peuvent donc témoigner à la fois de l’alimentation et de la mobilité de l’animal. Sur certains sites magdaléniens du Bassin parisien, des études isotopiques ont été effectuées par D. Drucker qui replacent les animaux chassés dans un paysage ouvert sans couvert arboré dense (Drucker, 2001 et 2007). Le principe des analyses isotopiques est le suivant : les dents se minéralisent lors des premières années de la vie de l’animal. Lors de cette étape, les échanges qui se font entre l’animal et l’environnement sont enregistrés dans l’émail dentaire à l’état solide qui se minéralise et piège ainsi un signal isotopique que l’on peut restituer grâce à un spectromètre de masse. « Les dents constituent donc des archives d’une histoire isotopique individuelle » (Balasse, 2015). Dans le cas d’une analyse isotopique séquentielle, il est même possible de restituer ces signaux isotopiques par « des prélèvements sériés d’émail dentaire pour accéder à une échelle de résolution infra-annuelle » (Balasse, 2015, p. 401). Pour ce type d’analyse séquentielle, on échantillonne la poudre d’émail sur toute la hauteur de la dent en suivant le sens de minéralisation de celle-ci : on récupère alors des informations sur l’environnement fréquenté à l’instant t prélevé sur la couronne dentaire (fig. 1). L’analyse isotopique séquentielle peut donc témoigner de variations du signal isotopique en fonction des saisons ou du déplacement de l’animal sur les premières années de sa vie. À travers l’analyse séquentielle nous pourrons, à l’avenir, affiner les résultats obtenus à l’échelle d’une population pour les isotopes sur le collagène par D. Drucker (Drucker, 2007).
Apport des analyses de texture des micro-usures dentaires
12L’animal dont on retrouve les restes sur le site s’est nourri d’herbes et de plantes au cours de sa vie. Si l’on peut reconstituer son alimentation, on peut donc émettre des hypothèses pour qualifier l’environnement dans lequel il s’est nourri. Les plantes mastiquées par les animaux marquent l’émail dentaire et laissent des micro-usures visibles au microscope. Ces dernières peuvent être caractérisées pour reconstituer le régime alimentaire de l’individu durant les dernières semaines de sa vie (fig. 2). On peut donc restituer très précisément la variabilité des comportements alimentaires à l’échelle des saisons au sein d’une même population animale en prenant en compte l’intra-individualité et l’inter-individualité. L’interprétation des observations archéologiques à ce sujet se fait grâce à des référentiels (Bignon-Lau et al., 2017). Il s’agit d’appliquer la méthode utilisée sur une collection non archéologique (souvent une population actuelle) dont on connaît la date de mort, le genre et les habitudes alimentaires en fonction de l’environnement fréquenté pour chaque individu. Ces données sont ensuite comparées aux données archéologiques pour apporter des informations sur les habitudes alimentaires de l’animal et reconstituer l’environnement fréquenté avant sa mort. Donc, avant d’appliquer cette méthode sur du matériel archéologique, il est important de tester la méthode sur des espèces actuelles et de constituer un référentiel auquel confronter les données archéologiques.
13En comparant les sources présentées ci-dessus entre elles, et à travers la reconstitution de l’alimentation des animaux et de leurs déplacements, il est possible d’apporter des informations sur les paléoenvironnements de la fin du Paléolithique dans le Bassin parisien. En effet, une approche multiproxy peut permettre de savoir comment le gibier se déplace (grâce aux isotopes), dans quel type de paysage (grâce aux micro-usures) et à quels moments de l’année (grâce aux méthodes classiques de l’archéoozologie), et ainsi de préciser certains aspects importants du mode d’acquisition des gibiers par les chasseurs.
Étude de cas : le site de Pincevent
14Récemment, nous avons commencé à appliquer cette approche sur la séquence archéologique de Pincevent dont les sols d’occupation sont exceptionnellement bien conservés. Chaque niveau stratigraphique correspond à un type de spectre de gibier chassé (soit le renne tout seul, soit le renne et le cheval associés) et les hommes ont occupé le site à différents moments de l’année. Les deux niveaux présentés ici sont le niveau IV20 et le niveau IV0 (fig. 3).
Apport des études de carottage régionales
15Pour notre étude de cas sur les deux niveaux archéologiques, nous nous sommes référée à des travaux effectués récemment sur les séquences palynologiques de Bazoches-les-Brès. Il s’agit de nouvelles données sur le paysage tardiglaciaire (Leroyer et al., 2014) dont l’ensemble est, par sa faible distance au site de Pincevent et en absence d’autres données, utilisé comme référentiel régional par les chercheurs. Les carottages ont été effectués à une vingtaine de kilomètres en amont du gisement de Pincevent. L’étude de six séquences tardiglaciaires mises au jour sur la commune de Bazoches-lès-Bray leur a permis de proposer une reconstitution détaillée de l’évolution du couvert végétal avec sept zones polliniques distinctes. Parmi ces zones, seulement trois peuvent concerner l’environnement des Magdaléniens du Bassin parisien car elles couvrent la période chronologique déterminée par les datations 14C qui caractérisent les passages des magdaléniens sur le site (Leroyer et al., 2014 ; fig. 4).
La zone « Baz a », à Pinus L., Salix, Juniperus L. et Betula L., est la plus ancienne, en l’absence de datation 14C l’attribution chronologique de cette zone reste délicate (Dryas ancien ; Leroyer et al., 2014) ; elle est relativement courte avec une large prédominance des herbacées. On retrouve une composition très semblable à celle du Dryas I.
La deuxième zone ou zone « Baz b », à Juniperus, est composée d’arbustes et les armoises1 au sein des herbacées prennent l’ascendant sur les rubiacées et les chénopodiacées. La strate herbacée se densifie avec le développement d’une steppe à poacées et à armoises.
La dernière zone, « Baz c », à Betula et Juniperus (passage vers 12 500 BP) se caractérise par la progression du bouleau (devant le genévrier et le saule) aux côtés d’une strate herbacée dominée par les armoises, poacées et chénopodiacées. Cette zone témoigne d’un paysage complexe en mosaïque avec des boisements à bouleaux et genévriers s’opposant à des espaces ouverts où dominent des formations steppiques, représentées majoritairement par les armoises (Leroyer, 1994).
16Si l’on compare toutes ces données palynologiques entre elles, on peut émettre une première hypothèse concernant les Magdaléniens du Bassin parisien : ils ont dû évoluer dans un paysage ouvert en mosaïque où dominent les graminées, avec probablement quelques zones arborées. Mais ces informations sont-elles compatibles avec d’autres sources ?
Apport des analyses isotopiques et des analyses de texture des micro-usures dentaires
17Les données issues des analyses isotopiques et de texture des micro-usures dentaires effectuées sur le niveau IV20 de Pincevent laissent à penser que les rennes ont été chassés à l’automne, après avoir traversé ou en traversant des milieux ouverts de type toundra ou prairies graminoïdes (Drucker, 2001 ; Catz, 2015 ; fig. 5). D’après nos résultats d’analyse de texture des micro-usures dentaires, il existe une correspondance entre spectre de chasse, saison d’abattage et régime alimentaire, autrement dit les types d’habitat où se trouvait le gibier juste avant d’être tué (Catz, 2016). Les rennes du niveau IV20 par exemple ont été chassés à l’automne (un ou plusieurs épisodes de chasse en masse). Ils ont mangé des graminées, ce sont des paisseurs, ce qui permet de les replacer dans un paysage steppique (type plaine graminoïdes ouvertes). Les rennes du niveau IV0 ont été chassés tout au long de l’année. Les analyses isotopiques sur les rennes abattus sur le niveau IV0 les replacent dans un paysage dont la couverture végétale reste ouverte (Drucker, 2007), ce dont témoignent les analyses polliniques de Bazoches (pollens d’herbacées et d’essences arbustives) et l’analyse de texture des micro-usures dentaires des rennes du même niveau (consommation de graminées et d’autres types d’aliments).
Conclusion
18Dans le cas du site de Pincevent, nous avons vu comment, malgré l’absence de témoins paléoenvironnementaux directs, certaines informations peuvent être atteintes indirectement par d’autres sources intra et extra-site. En reconstituant le régime alimentaire de l’animal par l’analyse de texture des micro-usures dentaires et l’analyse isotopique des dents, nous pouvons, en effet, apporter des informations sur les plantes ingérées par les animaux. Reconstituer ce que l’animal a mangé, c’est reconstituer une partie du couvert végétal qui a fourni l’alimentation aux herbivores étudiés. Reconstituer le paysage que fréquentaient les chasseurs car leurs proies s’y trouvaient nous aide à comprendre dans quelle frange du payage se déroulaient les activités de prédation, ce qui contribue en un sens. Comprendre que les Magdaléniens chassaient dans un paysage plutôt arboré ou plutôt en plaine, c’est donc reconstituer un choix cynégétique effectué par les chasseurs et, donc, c’est contribuer à une meilleure compréhension de leur mode de vie. Le paysage végétal fréquenté par les Magdaléniens du Bassin parisien est connu aux alentours des sites archéologiques grâce à des référentiels palynologiques issus de l'analyse de carottages de tourbières. En croisant les résultats des études sur les dents (analyses de texture des micro-usures dentaires, analyses isotopiques) trouvées in situ aux sources palynologiques issues de sites non anthropique et situés en périphérie des sites archéologiques, nous pouvons interpréter les franges du paysage fréquentées par le gibier. Étant donné que les analyses de texture des micro-usures dentaires livrent un signal précis de quinze jours environ, on peut donc penser que les animaux ont été chassés dans ces mêmes environnements dont ils témoignent par leur régime alimentaire. De ce fait, ces informations sur les paléoenvironnements sont plus précises et témoignent aussi d’un choix d’environnement chez les chasseurs pour s’emparer du gibier.
19D’autres analyses sur les dents : les analyses isotopiques séquentielles pourraient apporter encore plus de précisions sur l’environnement fréquenté par l’animal au cours des premières années de sa vie (pendant la période de minéralisation de ces dents). Ces analyses séquentielles peuvent en effet apporter des informations sur les variations du régime alimentaire (signal étudié : carbone, 13C) et sur les déplacements des animaux (signal étudié : strontium, 87Sr/86Sr) au cours du cycle annuel et donc en fonction des saisons. L’analyse séquentielle permet d’étudier ces paramètres à l’échelle intra-individuelle autant qu’à l’échelle de la population, et c’est dans ce but que nous intégrons ce type d’analyse dans nos recherches doctorales.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Genre Artemisia (les armoises) qui regroupe les herbacées, arbrisseaux et arbustes, généralement aromatiques.
Auteur
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
UMR 7041, Équipe d’ethnologie préhistorique
Thèse sous la direction de Marianne Christensen : « Territoires et mobilité des chasseurs-cueilleurs et de leurs gibiers à la fin du Paléolithique en Europe (19 400-12 000 cal BC). Apports de la biochimie et des micro-usures dentaires à l’archéozoologie »
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Antoine Bourrouilh, Paris Pierre-Emmanuel et Nairusz Haidar Vela (dir.)
2016
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2015
Matières premières et gestion des ressources
Sarra Ferjani, Amélie Le Bihan, Marylise Onfray et al. (dir.)
2014
Les images : regards sur les sociétés
Théophane Nicolas, Aurélie Salavert et Charlotte Leduc (dir.)
2011
Objets et symboles
De la culture matérielle à l’espace culturel
Laurent Dhennequin, Guillaume Gernez et Jessica Giraud (dir.)
2009
Révolutions
L’archéologie face aux renouvellements des sociétés
Clara Filet, Svenja Höltkemeier, Capucine Perriot et al. (dir.)
2017
Biais, hiatus et absences en archéologie
Elisa Caron-Laviolette, Nanouchka Matomou-Adzo, Clara Millot-Richard et al. (dir.)
2019