Julie et l’âme des poissons du Léman dans La Nouvelle Héloïse de Rousseau
p. 93-116
Texte intégral
Chaque portion de la matière peut être conçue
comme un jardin plein de plantes et comme un étang plein de poissons. Mais chaque rameau de la plante, chaque membre de l’animal, chaque goutte de ses humeurs est encore un tel jardin ou un tel étang. (Leibniz1)
La préparation à la mort est une bonne vie.
(« Julie agonisante », La Nouvelle Héloïse, VI, 112)
ROMAN DE L’ÂME, ROMAN DU LÉMAN
1Le Léman représente une grande étendue d’eau douce, dans laquelle la présence d’une faune peut être « pressentie ». Celle-ci demeure cachée : nulle description de poissons effleurant la surface pour s’offrir au regard, nul épisode de natation ou d’immersion dans La Nouvelle Héloïse. Seul l’épisode de la pêche de la « truite », lors de l’excursion à Meillerie, offre une exception notable : à cette unique occasion (suicide commun par noyade évité de peu), les deux protagonistes se trouvent au contact le plus étroit avec l’élément lacustre et la relation alimentaire, aux poissons « animés » du lac, est alors problématisée (IV, 17, 517).
2Il demeure remarquable que le roman ménage au préalable une place distincte à un réservoir séparé de l’espace lacustre, un étang, au sein d’un jardin artificiel et protégé, rempli de perchettes du Léman. Ce lieu inattendu se distingue, dans le verger floral (où, curieusement, nul papillon, nulle abeille ne sont mentionnés), de la volière sans barreaux et de ses « mille oiseaux » chanteurs. Alors que la lettre IV, 11 est une leçon de botanique locale particulièrement détaillée (les espèces de baies, d’herbes, de fleurs ou d’arbustes observées par Saint-Preux sont précisément nommées), les oiseaux animés composant le décor sonore – le fait est tout à fait remarquable – resteront « génériques » et ne seront jamais mieux particularisés. La présence discrète de poissons est quant à elle tout juste observée grâce à une attention de « rattrapage », au dernier moment :
« Comme nous partions pour nous en retourner, M. de Wolmar jeta une poignée d’orge dans le bassin, et en y regardant j’aperçus quelques petits poissons. – Ah ! ah ! dis-je aussitôt, voici pourtant des prisonniers. – Oui, dit-il, ce sont des prisonniers de guerre auxquels on a fait grâce de la vie. – Sans doute, ajouta sa femme. Il y a quelque temps que Fanchon vola dans la cuisine des perchettes qu'elle apporta ici à mon insu. Je les y laisse, de peur de la mortifier si je les renvoyais au lac ; car il vaut encore mieux loger du poisson un peu à l’étroit que de fâcher une honnête personne. – Vous avez raison, répondis-je ; et celui-ci n’est pas trop à plaindre d’être échappé de la poêle à ce prix » (NΗ, IV, 11, Saint-Preux, p. 478).
3Quel parti interprétatif peut-on tirer de cette rapide mention piscicole ? Relève-t-elle seulement d’un « comique de cuisine » gratuit ? Revenons en premier lieu sur le qualificatif de « pythagoricienne » dont Saint-Preux affublait Julie dans la lettre précédente, qu’il avait adressée du « gynécée » (IV, 10). II était apparu en conclusion d’un éloge des douces mœurs régnant à Clarens suivi, à des fins de contraste oppositionnel, d’une digression sur les spécificités morales à distinguer parmi les nations européennes, carnivores à des degrés divers :
« Le laitage et le sucre sont un des goûts naturels du sexe, et comme le symbole de 1’innocence et de la douceur [...]. Les hommes [... ] recherchent [... ] les saveurs fortes et les liqueurs spiritueuses, aliments plus convenables à la vie active et laborieuse [...] j’ai remarqué qu’en France [...] [les femmes] ont tout à fait perdu le goût du laitage, les hommes beaucoup celui du vin ; et qu’en Angleterre où les deux sexes sont moins confondus, leur goût propre s’est mieux conservé. En général, je pense qu’on pourrait souvent trouver quelque indice du caractère des gens dans le choix des aliments qu’ils préfèrent. [...] Julie elle-même pourrait me servir d’exemple ; car quoique sensuelle et gourmande dans ses repas, elle n’aime ni la viande, ni les ragoûts, ni le sel, et n’a jamais goûté de vin pur. D’excellents légumes, les œufs, la crème, les fruits ; voilà sa nourriture ordinaire ; et sans le poisson qu'elle aime aussi beaucoup, elle serait une véritable pythagoricienne » (NH, IV, 10, Saint-Preux, p. 452-453).
4De quelle conséquence peut être le recours à une telle formule pour l’interprétation de la conception de l’âme des animaux présentée dans La Nouvelle Héloïse3 ? La précision importante sur « le poisson qu'elle aime aussi beaucoup» établit un trait d’union avec l’épisode de l’étang aux perchettes du jardin de l’Élysée.
JULIE PYTHAGORICIENNE
5Alors qu’il n’en avait pas été question dans la première moitié du roman (dévolue à la passion amoureuse), le début de la seconde moitié (mettant à l’épreuve s’il est viable de sublimer la passion) introduit l’association curieuse entre Mme de Wolmar et le régime végétarien. L’introduction dans la série d’une école philosophique antique produit assurément, à propos de l’héroïne, une rupture de registre par rapport aux caractérisations morales présentées jusqu’alors pour qualifier, à la Montesquieu, des types nationaux en vertu de l’étroite corrélation postulée entre habitude alimentaire et tournure d’esprit (Italiens, Anglais, Suisses, Français). L’épithète susceptible de qualifier Julie n’est pour sa part avancée qu’au prix d’une précision restrictive qui, en bonne logique, devrait l’annuler : on pourrait à juste titre traiter la jeune maîtresse de maison vaudoise de « véritable pythagoricienne », s’il ne fallait tenir compte d’un élément de son menu ordinaire qui l’invalide stricto sensu. L’épithète semble toutefois engager plus que le seul régime végétarien : elle implique une conception de l’être vivant. Si l’absorption de « poisson » représente une transgression, c’est que tous les animaux sont habités d’une âme migrante : dans le cas où une telle conception serait présupposée, consentir à s’incorporer du poisson représenterait un acte barbare intolérable4. Pourtant Julie paraît tenir les deux positions simultanément. D’un côté elle se comporte de façon cohérente par rapport à la conviction selon laquelle la vie animale doit être respectée ; et de l’autre elle absorbe, de façon à la fois solennelle et discrète (notamment à deux moments cruciaux de l’intrigue, l’excursion à Meillerie et le dernier repas avant de mourir), la chair poissonnière.
6Des petits oiseaux (de façon privilégiée : le rossignol) peuvent souvent, dans l’œuvre de Rousseau, offrir une représentation emblématique de sa « voix » (d’autant plus qu’il assigne une origine commune au chant et à la parole). Dans le verger de Julie, les voix vives des « mille oiseaux » s’opposent au silence épistolaire dans lequel entre Julie, qui cesse d’écrire. Au début de la seconde moitié du roman, alors que s’installe l’effacement très remarquable de sa voix, elle-même théorise les vertus du silence ; celles-ci sont immédiatement apparentés aux préceptes de Pythagore, qui imposait à ses disciples un silence bénéfique de cinq ans5. Là où les voix des « mille oiseaux » heureux de séjourner au jardin donnent une charmante image de l’idéal d’une communauté où tous les cœurs seraient « à lunisson6 »,’le mutisme des poissons offre une image complémentaire : celle d’une paix trouvée dans les vertus du renoncement aux « bruits » nuisibles de la sonorisation intempestive.
7Rousseau, s’il n’est pas pythagoricien, accorde une place non négligeable à un virulent réquisitoire anticarnivore dans son traité de pédagogie fictionnelle, Émile, qui paraît un an à peine après La Nouvelle Héloïse. Alors qu’il recommande de prolonger le régime végétarien des enfants aussi longtemps que possible, le roman d’éducation, à la faveur d’une digression sur l’association conventionnelle entre régime alimentaire carné et caractère national, accueille dans une note une citation de Plutarque de sensibilité toute pythagoricienne :
« Une des preuves que le goût de la viande n’est pas naturel à l’homme est l’indifférence que les enfants ont pour ce mets-là et la préférence qu’ils donnent tous à des nourritures végétales, telles que le laitage, la pâtisserie, les fruits, etc. Il importe surtout de ne pas dénaturer ce goût primitif et de ne point rendre les enfants carnassiers ; si ce n’est pour leur santé, c’est pour leur caractère ; car de quelque manière qu’on explique l’expérience, il est certain que les grands mangeurs de viande sont en général cruels et féroces plus que les autres hommes ; cette observation est de tous les lieux et de tous les temps. [...]
[Note de J.-J. R. ad loc.] Tu me demandes, disait Plutarque, pourquoi Pythagore s’abstenait de manger de la chair des bêtes ; mais moi je te demande, au contraire, quel courage d’homme eut le premier qui approcha de sa bouche une chair meurtrie [...] Comment sa main put-elle enfoncer un fer dans le cœur d’un être sensible ? Comment ses yeux purent-ils supporter un meurtre ? [...] Mais vous, hommes cruels, qui vous force à verser du sang ? [...] Combien de fruits vous produit la terre ! [...] Pourquoi mentez-vous contre votre mère en l’accusant de ne pouvoir vous nourrir ? [...] Ô meurtrier contre nature, si tu t’obstines à soutenir qu’elle t'a fait pour dévorer tes semblables, des êtres de chair et d’os, sensibles et vivants comme toi, étouffe donc l’horreur qu'elle t’inspire pour ces affreux repas [...] bois son âme avec son sang. [...] Homme pitoyable ! Tu commences par tuer l’animal, et puis [...] la chair morte te répugne encore, tes entrailles ne peuvent la supporter ; il la faut transformer par le feu, la bouillir, la rôtir, l’assaisonner de drogues qui la déguisent : il te faut des charcutiers, des cuisiniers, des rôtisseurs, des gens pour t’ôter l’horreur du meurtre et t’habiller des corps morts (Emile, II, OC, IV, p. 411-414). »
8Si l’on condamne comme un crime contre nature le meurtre des animaux, dit Plutarque dans ce passage7 que Rousseau retranscrit intégralement, c’est que ceux-ci, incongrûment envisagés comme des aliments, sont au départ des créatures innocentes, pacifiques, affectueuses, proches de l’homme et de surcroît toujours prêtes à aider celui-ci par des dons généreux (lait) ou de durs travaux. Nos convives sont « sensibles » comme nous le sommes, dit l’extrait qui n’en développe pas pour autant stricto sensu la théorie de l’âme. Ce que sont originairement et essentiellement les animaux, l’homme, devenu leur meurtrier éhonté, tente de le faire oublier par ses sophismes, déguisant son crime. L’opération en soi ignoble est la transformation culinaire ; elle précède cette autre disculpation qu’est l’euphémisation verbale. L’art de transformation du cuisinier qui n’embellit qu’illusoirement les charognes (et le crime honteux que désignent ces cadavres) est l’un de ces pseudo-« progrès » qui dissimulent en réalité, sur le plan moral et sous le vernis civilisateur, la barbarie aggravée de l’homme. Or Rousseau, imprégné de poésie ovidienne8, connaît une première « métamorphose » de chaque animal qui fut antérieure à celle dont l’homme carnivore se rend coupable, en bout de chaîne, lorsqu’il recouvre les marques de son propre crime honteux. Celle-ci, profondément édifiante, est redevable aux mythes poétiques (Métamorphoses). La dignité de telles représentations rend l’homme encore plus criminel. En effet, le monde des fables ovidiennes délivre une sagesse et une « vérité » sur de fortes accointances entre les désirs et souffrances des hommes et la nature des bêtes. Chaque animal serait par son existence porteur du souvenir d’un drame tragique particulier, valant non pas pour lui-même, mais propre à la condition humaine et destiné à lui être rapporté. À travers chacun de ces cas d’espèce, une leçon douloureuse est apportée au sujet de telle ou telle propension de l’homme à payer les conséquences de ses passions. Le « philosophe » Rousseau qui appréhende la nature et se pose le problème de l’âme des bêtes n’est pas à distinguer de celui dont l’esprit est enrichi de ce savoir « poétique » ovidien : il est vivement averti du lien de parenté étroit qui l’unit aux autres créatures9 comme lui sensibles de la nature. Nous proposons à cet égard de considérer la pertinence de la leçon de l’histoire de Salmacis et Hermaphrodite pour éclairer l’épisode de l’étang du verger de Julie.
FACE-À-FACE DE LA VOIX ET DU SILENCE
9On a banni le désir de ce jardin ; dès lors, par quel biais est-il signifié que le jardin parle tout de même du désir ? Le récit insiste sur le soin qu’on prend à écarter les ennemis des oiseaux et précise qu’au verger ceux-ci se sentent protégés de toute agression prédatrice. Le fait qu’ils chantent en sécurité est à rapprocher du rôle que joue le motif du rossignol chanteur dans la mythologie personnelle de Rousseau (aussi discret qu’omniprésent dans les textes autobiographiques) : il est à la fois un élément familier dans la nature réelle, au niveau de l’existence de Rousseau, et un souvenir des Métamorphoses. La beauté du chant (Rousseau transposera le Printemps de Vivaldi, où le chant du rossignol joue un rôle central) est ainsi indissociable (pour qui est sensible) de la sympathie éprouvée pour la souffrance autrefois subie. Lorsque le rossignol chante, les tréfonds de son âme réitèrent la plainte de l’âme meurtrie de Philomèle, horriblement violée par Térée avant sa métamorphose. L’Élysée de Julie est toutefois un jardin apaisé, où des « oiseaux » (génériques) sont écoutés sans que leur chant renvoie aux émois douloureux qui sont la conséquence de la passion amoureuse. Mais qu’en est-il du côté des perchettes muettes ? De la même façon que pour les « oiseaux », peut-on, dans le cas de l’étang aux poissons, évoquer quelque fable qui serait discrètement associée (ne serait-ce que pour une pertinence toute ponctuelle) ? Pour qui aurait les Métamorphoses à l’esprit, la présence de faune pisciforme évoque la confusion mystérieuse des corps, des sexes et des âmes qui s’est opérée en milieu aquatique chez la jeune nymphe (eau de fontaine) Salmacis et le jeune nageur Hermaphrodite10. Une telle fusion est précisément interdite aux deux amants vaudois qui ont choisi la dénégation de leur attirance érotique réciproque – et à qui il n’est jamais offert de pénétrer eux-mêmes dans l’eau.
10Les poissons captifs et désarmés sont, plus encore que les oiseaux, caractérisés par leur vulnérabilité à l’égard d’éventuels prédateurs. Julie est à l’opposé de cette perte d’âme qu’implique, chez les humains qui ont évolué négativement dans le sens de l’endurcissement dans la prédation, le fait d’être devenus machinalement ichtyophages ! Les perchettes de l’étang avaient été une première fois pêchées dans le Léman ; le début célèbre de la IIe partie du second Discours avait exposé comment l’hameçon et l’art de pêcher étaient apparus avant la proclamation calamiteuse de la propriété. Quittant la bonté fragile des microcommunautés élémentaires du deuxième état de nature, l’homme en proie à l’amour-propre est devenu simultanément carnivore et meurtrier (chasseur, pêcheur et guerrier). Mais les perchettes de l’Élysée ont été heureusement repêchées une seconde fois et, par l’effet de réversibilité ainsi produit, sauvées. S’instaure ainsi, par rapport au diptyque « mille oiseaux/voix de Julie » (tendance ovidienne de la plainte élégiaque), le pendant d’un diptyque complémentaire : « poissons silencieux/désir interdit de Julie » : fantasme ovidien d’une réunion supprimant la coupure douloureuse (distinction des âmes et séparation sexuelle)11.
11Rousseau paraît certes à bien des égards vouloir décontaminer son univers romanesque de l’empreinte littéraire de l’Antiquité ; il prend soin de préciser que c’est à dessein qu’il a évité à son roman le cadre des rivages thessaliens ou des lacs d’Italie. Le choix militant de l’ancrage local lémanique correspond à une volonté de rénovation sémantique (de « revirginisation ») de la nature débarrassée du poids des belles lettres qui l’ont saturée de références culturelles. Le bonheur que découvre Saint-Preux (lui-même un précepteur lettré) dans ce séjour de « Clarens » s’exprime toutefois immanquablement dans un lexique qui se rattache aussi à des courants de sagesse immémoriaux :
« La paix est au fond de mon âme comme dans le séjour que j’habite. Je commence à m’y voir sans inquiétude. [...] La simplicité, l’égalité que j’y vois régner ont un attrait qui me touche et me porte au respect. Je passe des jours sereins entre la raison vivante et la vertu sensible » (début de V, 2, p. 527).
12La longue lettre V, 2 de Saint-Preux expose les valeurs de retenue, de frugalité, de simplicité qui président à une économie rustique collective fondée sur l’autarcie. Sur ce plan, il ne s’agit pas d’ascèse pythagoricienne ou quiétiste. Il est remarquable que le boucher ne soir pas oublié12 : parce que Julie d’« Étange » reste un être d’exception (une « belle âme »), son régime alimentaire pythagoricien ne s’impose pas autoritairement aux autres membres de la communauté. Ce qui frappe est l’homogénéité recherchée entre habitant et nourriture. Les aliments que l’on ingurgite sont de provenance locale. Ce qui séduit nos sens sur le plan esthétique (le chant de la triviale « bécassine» lémanique parle à notre âme ; IV, 17, p. 520) ne provient ni d’une quelconque noblesse ni d’un exotisme auréolé de prestige, mais de la nature simple et proche. Alors que des canaris (chanteurs de haut prix) ou des colibris délicats sont importés d’ailleurs lointains pour orner les cages parisiennes (cf. IV, 11, p. 476), ils n’offrent qu’un emblème clinquant et illusoire à l’âme, et demeurent d’autant plus extérieurs à celle-ci que les esprits forts la nient. Le refus d’une telle volière traduit un choix solidaire du refus de proposer à table des poissons de mer.
« Il y règne [à la table de Julie] une sensualité sans raffinement ; tous les mets sont communs, mais excellents dans leurs espèces, l’apprêt en est simple et pourtant exquis. Tout ce qui n’est que d’appareil, tout ce qui tient à l’opinion, tous les plats fins et recherchés, dont la rareté fait tout le prix et qu’il faut nommer pour les trouver bons, en sont bannis à jamais. [...] Que croiriez-vous que sont ces mets si sobrement ménagés ? Du gibier rare ? Du poisson de mer ? Des productions étrangères ? Mieux que tout cela. Quelque excellent légume du pays, quelqu’un des savoureux herbages qui croissent dans nos jardins, certains poissons du lac apprêtés d’une certaine manière, certains laitages de nos montagnes [...] ; voilà tout l’extraordinaire qu’on y remarque ; voilà ce qui couvre et orne la table, ce qui excite et contente notre appétit les jours de réjouissance » (V, 2, p. 543).
13Le « bruit » à quoi correspond la musique française sophistiquée que l’on prise incongrûment à Paris relève de la même dénaturation, quant au choix des valeurs reflété, que la gastronomie raffinée. Le lien de contiguïté est assuré entre le Léman et la faune comestible ordinaire. Mais que le rapport de proximité physique de l’animal devenu aliment l’emporte sur le procédé de comparaison vaut pour enseignement refondateur. En ce qui concerne le premier procédé, il arrive que, dans le roman, Julie soit, ponctuellement, sous la plume de Saint-Preux, comparée à un animal. Dans les rochers alpins du Valais, l’aimée absente était imaginée sous le biais d’une comparaison avec un jeune faon bondissant (I, 23, p. 83) : élément homogène par rapport au cadre alpestre et forestier. De façon distincte, dans la seconde moitié du roman et donc au moment où la relation amoureuse a cessé, Saint-Preux rapporte comment Julie maîtresse de maison partage les jeux de ses enfants « comme la colombe amollit dans son estomac le grain dont elle veut nourrir ses petits » (V, 2, p. 541). Ces deux figures présentent certes un versant possible d’ancrage dans l’expérience personnelle13, mais elles présentent aussi un versant conventionnel si prononcé, au sein de la tradition de la poésie, que la figure usée tend au cliché. Où finit dès lors l’art « naturel », légitime et moralement édifiant des lettres de Saint-Preux dans La Nouvelle Héloïse, et où commence l’art « artificiel », nocif et corrupteur – stigmatisé dans le roman par les pitoyables machines animales « spectaculaires » de l’Opéra de Paris, dans lesquelles se glissent des Savoyards pour prêter une animation illusoire et grotesque14 ? Les comparaisons animales qui se présentent « naturellement » sous la plume amoureuse du précepteur suisse pour donner à imaginer l’âme de Julie de façon exacte désignent donc le point où le roman de Rousseau se heurte à l’aporie de l’art. Y a-t-il une différence de nature entre les comparants auxquels recourt la voix sincère de Saint-Preux (Julie est « comme un faon », « comme une colombe ») et l’artifice divertissant de décors animés, ou faut-il au contraire admettre qu’il n’y a qu’une différence de degré ? Tout lecteur du Discours sur l’origine de l’inégalité sait que les noms affectueux donnés à la femme convoitée favorisent l’essor de « performances ornementales » qui valent comme prémisses inquiétantes de toutes les compétitions artistiques à suivre, flattant l’amour-propre et contribuant à faire basculer une communauté d’« égaux » vers un état sociétal inégalitaire15. Le « faon »-Julie, la « colombe« -Julie incitent à réfléchir sur ce qui entre en jeu dans le processus de la comparaison – qui peut être réhabilitée à condition de montrer qu'elle relève encore du dessein de participer à la langue naturelle. Le danger de ce qui risque d’être « sans âme » est stigmatisé par Julie sous le sigle de « marinisme », à propos d’une mauvaise tournure d’affectation rhétorique imprégnant les lettres rédigées à Paris. La querelle engagée par Julie vise la tentation du style virtuose de Saint-Preux (le goût dépravé pour les figures recherchées des poèmes du chevalier Marin)16.
INCORPORATION D’UN PAYSAGE ANIME
14Très différents, les poissons que mange Julie (restriction à ses résolutions de s’abstenir d’aliments carnés) au cours du récit ne sont jamais ni des abstractions ni des mentions vagues. Comme pour les oiseaux, il s’agit de ressortissants de la faune poissonnière locale, que Rousseau tient absolument (après avoir désencombré son roman des mammifères), dans la seconde moitié de son roman, à nommer avec précision : successivement la perche, la truite, la féra, trois espèces courantes du Léman17. Il s’agit en premier lieu d’animaux silencieux (à l’opposé des oiseaux chanteurs), qui semblent ne pas pouvoir valoir comme emblèmes de la voix poétique... Est-ce si sûr ? Avant d’être (selon la décision de l’herméneute) d’éventuelles métaphores de la protagoniste ou du silence de son âme18 (le terme est comme hébergé à l’intérieur du Leman, tandis que la nouvelle Héloïse présente une parenté phonétique avec le nouvel Élysée), ils conservent, en second lieu, le lien métonymique le plus étroit avec le paysage dont ils sont les ambassadeurs animés. La féra du tout dernier repas (VI, 11, p. 730-731) semble être investie d’un poids symbolique particulier : l’ultime vie sacrifiée, le dernier aliment absorbé ne représentent-ils pas un trait d’union entre le lac et celle qui meurt des suites d’un premier séjour dans les eaux mêmes de ce lac dont elle est l’ultime ambassadeur sacrifié (pour avoir sauvé la vie de son garçonnet) ? La manifestation d’un épisode d'incorporation sur le plan de l’intrigue traduit la préférence donnée à un mode d’association inédit, par rapport au procédé conventionnel de la comparaison (qui relevait de l’ordre de la figure).
15Un paysage et ses représentants par métonymie confèrent-ils donc une âme au protagoniste qui l’habite ? Pour qui choisit de donner à son roman le diapason de Pétrarque, il est certain que la description du décor naturel est l’expression d’un état d’âme19. Pour commencer la rédaction de ses Lettres de deux amants, Rousseau eut besoin, précise-t-il, non pas d’abord de personnages, mais du lac.
« L’aspect du lac de Genève et de ses admirables côtes eut toujours à mes yeux un attrait particulier, que je ne saurais expliquer, et qui ne tient pas seulement à la beauté du spectacle, mais à je ne sais quoi de plus intéressant qui m'affecte et m’attendrit. [...] Je dirais volontiers à ceux qui ont du goût et qui sont sensibles : allez à Vevai, visitez le pays, examinez les sites, promenez-vous sur le lac, et dites si la nature n’a pas fait ce beau pays pour une Julie, pour une Claire et pour un Saint-Preux ; mais ne les y cherchez pas » (Confessions, IV, OC, I, p. 152-153, souligné par nous).
« Il me fallait cependant un lac, et je finis par choisir celui autour duquel mon cœur n’a jamais cessé d’errer. Je me fixai sur la partie des bords de ce lac, à laquelle depuis longtemps mes vœux ont placé ma résidence dans le bonheur imaginaire auquel le sort m’a borné. [...] Le contraste des positions, la richesse et la variété des sites, la magnificence, la majesté de l’ensemble qui ravit les sens, émeut le cœur, élève l’âme achevèrent de me déterminer, et j’établis à Vevai mes jeunes pupilles. Voilà tout ce que j’imaginai du premier bond ; le reste n’y fut ajouté que dans la suite » (id., IX, OC, I, p. 431, souligné par nous).
16Adepte d’une religion chrétienne naturelle qui soit compatible avec la raison, Rousseau est à la fois fin connaisseur de la tradition et sceptique à l’égard des miracles. Le « paysage-état d’âme » de La Nouvelle Héloïse et ses habitants est-il néanmoins plus qu’une métaphore littéraire ? A l’aide de quels interprétants auxiliaires peut-on élucider la relation qu’entretient Julie avec les poissons ? Est-on légitimé à entendre que ceux-ci puissent valoir pour l’« âme » de certaines vertus lémaniques associées à Julie ? En tout cas Julie veut que le poisson le plus ordinaire (rencontrant 1'idéal de simplicité évangélique) soit reconnu comme le plus précieux des mets, par qui aurait de sains critères de jugement. Le philosophe athée Wolmar l’explique à Saint-Preux :
« Les seules denrées du cru couvrent notre table, [...] rien n’est méprisé parce qu’il est commun, rien n’est estimé parce qu’il est rare. Comme tout ce qui vient de loin est sujet à être déguisé ou falsifié, nous nous bornons, par délicatesse autant que par modération, au choix de ce qu’il y a de meilleur auprès de nous [...]. Nos mets sont simples, mais choisis. Il ne manque à notre table pour être somptueuse que d’être servie loin d’ici ; car tout y est bon, tout y serait rare, et tel gourmand trouverait les truites du lac bien meilleures s’il les mangeait à Paris » (V, 2, p. 550).
UN ICHTYOS SÉCULARISÉ
17Le lien d’affinités est-il exclusivement de nature poétique, ou représente-t-il au contraire une relation allégorique engageant telle théorie précise (par exemple pythagoricienne) de l’âme ? Sous le vernis de la désignation hellénique, le « pythagorisme » annoncé de Julie dissimulerait-il seulement un faisceau de convictions authentiquement chrétiennes ? La qualité de simple « pêcheur » du Christ et de ses disciples (humbles artisans) est importante pour Rousseau20 ; en revanche, le jeu onomastique sur le cryptogramme ichtyos, acronyme d’une qualité de « poisson mystique » chez les premiers chrétiens, et que l’opération de l’eucharistie sacralise, ne compte pas. Rappelons l’épisode du repas de communion partagé au terme de la seconde pêche miraculeuse (après la crucifixion), selon l’Évangile :
« Ils virent un feu de braise avec du poisson posé dessus et du pain. Jésus dit : “Apportez donc ce poisson que vous venez de prendre.” Pierre amena jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. [...] Jésus dit alors : “Venez déjeuner.” [...] Jésus s’approcha, prit le pain et le leur donna, ainsi que le poisson » (Jean, 21, 2-18).
18Le « poisson sur le gril » que Jésus demande et qu’on lui apporte, afin qu’il puisse s’en sustenter, est interprété aux premiers siècles comme un doublet de lui-même, au sens de l’Eucharistie. Saint Augustin, l’un des auteurs de chevet de Rousseau, s’associera à cette exégèse :
« Ce poisson passé par le feu, c’est le Christ qui a passé par les tourments de sa Passion (Il est de même le pain qui est descendu du Ciel)21. »
« Qu’est-ce que le Sauveur dit à ces pêcheurs ? “Suivez-moi, je ferai de vous des pêcheurs d’hommes.” Si ces pêcheurs n’avaient pas marché les premiers, qui donc nous aurait retirés des flots ? Certes, c’est être aujourd’hui orateur, que de pouvoir bien commenter ce qu’a écrit un “pêcheur”. Quand Jésus choisit ces pêcheurs de poissons pour en faire des pêcheurs d’hommes, il voulut toutefois, en les faisant “pêcher”, nous apprendre quelques mystères relatifs à la vocation des peuples22. »
19Saint Augustin à la fois considère les catéchumènes en « poissons » et reconnaît une valeur eucharistique au poisson (Traité sur l’Evangile de Jean) ; le Christ est tué pour devenir nourriture (Ictus piscus, Cristus passus), dit-il, comparant le « poisson grillé », dont la chair est servie à table et sustente notre propre chair, au « Christ supplicié », dont la mort sacrificielle (re)donne la vie à nos âmes. La conception du poisson eucharistique s’associe étroitement au rite baptismal qui se pratique par immersion. La « vraie » naissance est la « nouvelle » naissance de l’homme émergeant hors du bain qui l’a baptisé. C’est ainsi que le formule Tertullien, auteur admiré de Rousseau23 : « Nous, petits poissons, à l’image de notre “poisson”, le Christ, nous “naissons dans l’eau”. » (Du baptême, ch. 1). Rousseau et Julie24 sont deux protestants nourris de la lecture directe et approfondie du texte biblique, sans que la Révélation, les dogmes et les sacrements soient pour autant le fondement de leur foi25. On notera que le débat des théologiens peut soit se borner à déchiffrer les figures, soit s’infléchir de façon superstitieuse vers des matières plus absconses, telle la discussion des reliques. Le « poisson grillé », bien matériel, de l’épisode cité de la réapparition incorporelle miraculeuse du Christ est conservé à la fois dans le reliquaire d’une église de Rome et dans celle de San Salvador espagnole – ce dont le réformateur Calvin, hostile aux superstitions comme Rousseau, ne manque pas de se moquer :
« Les dernières reliques qui appartiennent à Jésus sont celles qu’on a eues depuis sa Résurrection : comme un morceau du poisson rôti que lui présenta saint Pierre, quand il s’apparut à lui [sic] sur les bords de la mer [cf. Luc, 24, 42 ; Jean, 21, 13]. Il faut dire qu’il ait été bien épicé, ou qu’on y ait fait un merveilleux saupiquet, qu’il s’est pu garder si longtemps. Mais, sans risée, est-il à présumer que les apôtres aient fait une relique du poisson qu’ils avaient apprêté pour leur dîner ? Quiconque ne verra que cela est une moquerie aperte de Dieu, je le laisse comme une bête [..,]26. »
20La question paraît réglée dans la Genève lacustre et calviniste : la relique (Chambéry toute proche n’entretient-elle pas des liens tout à fait privilégiés avec le Saint Suaire ?) est, pour Rousseau, une aberration qui rejoint celle de la fixation particulière de l’amant passionné. Son amour excessif pour Mme de Warens (convertie au catholicisme) l’en a instruit d’expérience. L’exacerbation de la dimension fétichiste passe par l’adoration exaltée d’un lieu ou d’un objet, par déplacement métonymique, aussi bien que par la recherche de la jouissance liée à l’absorption et à l’incorporation fantasmatiques de l’âme de l’autre (transposition de l’appropriation de Salmacis dans le registre alimentaire).
« Combien de fois j’ai baisé mon lit en songeant qu'elle y avait couché ; mes rideaux, tous les meubles de ma chambre, en songeant qu’ils étaient à elle, que sa belle main les avait touchés ; le plancher même, sur lequel je me prosternais en songeant qu’elle y avait marché. Quelquefois même en sa présence il m’échappait des extravagances que le plus violent amour seul semblait pouvoir inspirer. Un jour à table, au moment qu’elle avait mis un morceau dans sa bouche, je m’écrie que j’y vois un cheveu : elle rejette le morceau sur son assiette ; je m’en saisis avidement et l’avale » (Conf., III, p. 108).
21La jouissance de l’ingestion est un moment tout à fait privilégié. Avant de subir un heureux démenti et une correction purifiante, Saint-Preux témoigne d’ailleurs d’une disposition d’esprit semblable, quant à la qualité du rapport « animé » dont il s’attend à jouir à la faveur du séjour fétichiste dans le verger érotisé de Julie27. À la différence du cheveu inerte de la femme aimée, absorbé, ou de son environnement végétal, humé, le poisson susceptible d’être ingurgité appartient lui-même à la fraternité des créatures. Dès lors, il mérite d’être pris en considération à titre de créature élémentaire dont l’aspect humble est en proportion strictement inverse de son importance aux yeux du Sauveur. En conclusion au Livre du Psalmiste, le psaume 148 appelle à louanger Dieu : « Louez le Seigneur depuis la terre, monstres marins, tous les abîmes [...] » (v. 7). Saint Augustin commente ce verset dans son sermon des Paraphrases des Psaumes :
« Considère toutes choses, et loue le monde entier. Et celui qui a mis en ordre les membres d’un vermisseau, ne gouverne-t-il point les nuées ? [...] Comme s'il n’y avait pas dans la mer des créatures que nourrit la pluie, comme si Dieu n’y avait point mis des poissons [...]. Voyez comme les poissons accourent à l’eau douce. Et pourquoi diras-tu encore : “Pourquoi pleut-il pour le poisson, quand il ne pleut jamais pour moi ?” Afin que [...] l’amertume de la vie présente te fasse désirer la vie à venir. [...] Ainsi Dieu a distribué dans chaque pays, dans chaque région, et dans chaque saison, ses dons particuliers. [...] Celui dont Dieu a éclairé les yeux y découvre des beautés dont l’aspect les ravit, et ce ravissement les porte non point à chanter ces beautés, mais Celui qui en est l’Auteur ; et ainsi “toutes les créatures chantent les louanges de Dieu”28. »
22Le fait est attesté : durant son enfance, Rousseau intériorisa intensément les psaumes chantés à l’église (il témoigne de cette expérience centrale de la communauté protestante29). À Genève, Calvin glose d’ailleurs au même diapason qu’Augustin tel verset du dernier Livre biblique : toutes les créatures en admiration chantent la Création – même les poissons qui sont dans l’eau (lettre aux prisonniers lyonnais) :
« J’ai entendu toute créature qui évolue dans le ciel, ou qui vit sur la terre, ou qui est réfugiée sous terre, et celles qui sont dans la mer, je les ai toutes entendues proclamant : honneur, gloire et bénédictions a Celui qui est sur le trône et à l’Agneau » [Apoc., V, 13]. [...] Saint Jean entend par une figure qui se nomme prosopopoeia, que “les poissons mêmes bénissaient Dieu30. »
23C’est une chose que d’inclure les poissons dans l’élan de reconnaissance adressé à l’Auteur du spectacle de la nature31. La théologie va plus loin. Au sein du catholicisme auquel Rousseau adhérait tandis qu’il séjournait à Turin ou à Venise, l’hagiographie fait de quelques Italiens (en premier lieu François d’Assise) des représentants de l’attention accordée à l’âme mineure des bêtes – parce que celle-ci le mérite. Antoine de Padoue prêche aux substituts de catéchumènes, conquis et dociles – ainsi que le résume encore cette version « populaire » du xixe siècle :
« Un jour qu’il était à Rimini, comme des gens ne voulaient pas l’écouter, il [...] s’écria : “Poissons [...], écoutez : puisque les hommes ne veulent pas entendre la parole de Dieu, c’est à vous que je vais l’annoncer.” [...] les petits mêlés aux gros, une multitude de poissons s’approchent du rivage. Ils arrivaient de tous côtés par troupes innombrables, serrés les uns contre les autres, la tête hors de l’eau, les yeux tournés vers Antoine qui leur parla ainsi : “Quelles actions de grâces, ô poissons, ne devez-vous pas rendre à Celui qui vous a donné pour demeure cette immense étendue d’eau ? C’est à lui que vous devez ces profondes retraites où vous vous réfugiez [...]. Vous avez sauvé le prophète Jonas, vous avez fourni à Pierre et à Jésus de quoi payer le cens, enfin, vous avez servi de nourriture à ce dernier. [...]” À ces mots, les poissons s’agitent, battent la queue, ouvrent la bouche et témoignent par mille signes qu’ils veulent rendre hommage au Très-Haut, et lui payer le tribut de leurs muettes louanges. Les assistants ne pouvaient contenir leur admiration et leur étonnement32. »
IL PARLAIT AVEC LES MAMMIFÈRES, LES OISEAUX ET LES POISSONS
24Au siècle philosophique, et tout particulièrement depuis la parution du Dictionnaire de Bayle, la tendance dominante consiste certes à passer ce type de fable au crible de la critique ou de la satire33. Or le portrait de lui-même que dresse Rousseau dans ses écrits autobiographiques (un adepte du christianisme naturel moqué, calomnié et persécuté) est en porte-à-faux par rapport à l’intellectualisme positiviste et rigoureusement incrédule des mécréants, et retrouve même certains traits, certes laïcisés, d’un tel portrait de prédicateur de la vérité, méconnu par ses contemporains sourds et ingrats, et, en compensation, en sympathie naturelle avec les poissons :
« Sa passion la plus vive et la plus vaine était d’être aimé ; il croyait se sentir fait pour l’être. Il satisfait du moins cette fantaisie avec les animaux. Toujours il prodigua son temps et ses soins à les attirer, et à les caresser ; [...] il était l’ami, presque l’esclave de son chien, de sa chatte, de ses sereins : il avait des pigeons qui le suivaient partout, qui lui volaient sur les bras, sur la tête jusqu’à l’importunité : il apprivoisait les oiseaux, les poissons avec une patience incroyable [...]34.»
25Les poissons... ? Comment Rousseau peut-il inscrire ce terme inattendu dans la série énumérative des animaux « sensibles » aux effets bénéfiques de sa présence et se trouvant apprivoisés de façon extraordinaire par lui ? Il ne s’en explique pas plus avant. C’est dans des textes d’autrui, contribuant à la construction collective d’une légende d’un « saint » J.-J. Rousseau apprivoisant les poissons et méritant spontanément leur élan d’affection en retour (d’autant plus qu’il est incompris des hommes auxquels il a vocation de délivrer des vérités difficiles à entendre), que nous découvrons la confirmation de sa brève allusion. Le premier témoignage consiste en une longue lettre de reproches que lui envoie probablement son parent genevois Théodore et qui évoque son dernier séjour à Genève en 1754 (abjuration du catholicisme et réintégration dans la confession protestante) :
« Souviens-toi, Rousseau, quand en 1754 au bord du Léman tu assemblais ces troupes nombreuses de poissons au bord du rivage : que tu aurais été heureux si ton esprit n’avait pas été occupé par quelques nouvelles productions35 ! »
26Le deuxième témoignage est distinct. Il consiste en une anecdote dans un ouvrage quasi touristique publié après la mort du philosophe genevois. L’information se rapporte au séjour de J.-J. Rousseau au Petit Château de Montmorency (à partir de mai 1759), qui correspond précisément à la période de l’achèvement de La Nouvelle Héloïse, où l’étang artificiel aux poissons est mis en valeur :
« Ce bâtiment fut autrefois habité par J.-J. Rousseau. Devant, est une longue pièce d’eau, où ce philosophe prenait plaisir à voir jouer les carpes, et les accoutumait à venir manger à la main36. »
27Le troisième témoignage, de douze ans plus tardif, consiste en une lettre du Genevois Rousseau publiée dans un important journal républicain, à l’occasion des volumes (posthumes) de l’Histoire naturelle de Buffon consacrés aux poissons, dont s’est chargé Lacépède. Ce lecteur du Journal de Paris, intervenant en surenchère par rapport au compte rendu déjà polémique de Roederer en 1798, est probablement le même Théodore qui avait déjà écrit à son parent Jean-Jacques en 1763 à propos des mêmes faits :
« J’ai lu, citoyens, dans votre feuille du 11 de ce mois, l’extrait de l’Histoire naturelle des poissons. L’un des paragraphes s’exprime ainsi : “L’auteur a aussi considéré les mœurs des poissons, [...] Ils sont cependant susceptibles d’une sorte de rapprochement avec l’homme. Il y a des espèces qui viennent à la voix ou à la vue de l’homme qui les appelle et qui les nourrit, etc.” Ceci m’a rappelé ce que j’ai vu moi-même et très souvent en 1755 [54], J.-J. Rousseau habitait une demeure au bord du lac de Genève, dans un jardin où mon père avait aussi un appartement pendant l’été. J’y allais très souvent, et surtout les dimanches, d’assez grand matin. Presque toujours je trouvais J.-J. au bord de l’eau, occupé à donner des miettes de pain à une nombreuse quantité de petits poissons rassemblés au bord de l’eau, qui venaient manger au bout de ses doigts. Il les avait accoutumés à venir régulièrement tous les matins à la même heure. S’il arrivait qu’il les devançât d’une demi-heure, il ne les voyait pas encore, il fallait attendre ; mais, lorsque l’heure de l’habitude était venue, ou s’il retardait lui-même de quelques minutes, il les trouvait toujours à l’attendre. Cette industrie de ces petits animaux et le personnage qui les nourrissait en ami, attirait [sic] souvent bien des gens du voisinage, et n’ajoutait pas peu à sa réputation d’ami de l’humanité37. »
28Le choix imprécis des formulations de Théodore Rousseau est, à son insu, instructif. Se montrer l’ami des poissons est, pour Jean-Jacques, de nature à confirmer le statut d’ami... de l’humanité ! La représentation dont il devient étonnamment le héros rejoint ainsi la conception « humaniste » de Montaigne, lui aussi en relation de sympathie avec les ressortissants du genre animal, qui avait raconté deux siècles plus tôt, dans ses Essais (prisés par Rousseau), une anecdote équivalente puisée dans l’Antiquité38. Relevons que le récit du provincial genevois exposant la relation établie entre son parent et les poissons du Léman reste (en dépit des quarante-trois ans de distance) moins déraisonnable que le témoignage autobiographique du Parisien Roederer (une expérience personnelle proposée aux naturalistes39) qu’il voudrait corroborer.
HÉLOÏSE DANS L’ÉLYSÉE VIRGILIEN
29L’explication de l’étang aux poissons40 est rédigée sur un mode léger qui paraît interdire toute interprétation digne ou solennelle. Sur un plan esthétique, au contraire des motifs nobles et du ton élevé réservés au morceau d’éloquence du séjour élyséen (chez Virgile, les âmes en attente bruissent auprès du fleuve Léthé comme des abeilles bourdonnantes ; Énéide, chant VI, 705-70941), il est remarquable qu’un humour de cantine ne soit ni banni ni exclu a priori du verger de La Nouvelle Héloïse. L’explication paraît en effet se présenter sous le jour dégradé de ce qui a subi l’opération du rabaissement comique : il paraît comme transposé dans un registre de « burlesque de cuisine ». Les « perchettes » (bien ordinaires ; de surcroît un diminutif) du Léman, après avoir été clandestinement dérobées aux viviers, en cuisine, par un personnage humble, ont été transportées dans un milieu soustrait aux prédateurs où elles bénéficient d’un supplément d’existence. Du risque de la poêle aux félicités de l’étang de l’Élysée : la mention d’une telle migration est-elle digne de figurer au « cœur » intime du roman de l’édification de l’âme42 ? L’inscription impertinente d’une telle anecdote doit dès lors se comprendre aussi comme une pierre jetée dans le jardin de la querelle esthétique sur Homère – et des reproches qu’adressent à celui-ci les puristes pédants au sujet de ses mentions « basses » des cuisines ou même des lessives... Rousseau quia non intelligor illis semble s’amuser à tendre des verges pour être battu par ce Voltaire qui ne saurait réagir à l’Héloïse autrement que par des sarcasmes (il rédigera la mordante Aloïsia).
30La nouvelle « prison » d’accueil des perchettes est l’Élysée : la désignation péjorative43 ne rend pas justice au sort réel, paisible, qui est atteint ici-bas encore au terme de tribulations et n’est pas sans ressembler au parcours de Julie. Rappelons d’ailleurs que pour celle-ci aussi le mode de vie marital présente des traits carcéraux. Le terme de « couvent » (pertinent dans le cas de l’Héloïse médiévale pour caractériser la période de pieuse et chaste retraite après la renonciation à l’amour) correspondrait à un abus de langage équivalent. Il reste que, à partir du réseau sémantique « oppressant » ainsi signalé (prison qui n’en est pas vraiment une – pour les poissons/jardin de couvent qui n’en est plus un – pour l’Héloïse moderne), se dégage par contraste une atmosphère élyséenne paisible de « verger de l’âme ».
31De retour de son périple de quatre ans, Saint-Preux ne faisait mention d’aucun poisson exotique observé, pêché ou dégusté autour du monde, alors même que la description de ceux-ci avait été l’un des devoirs scientifiques dûment remplis par l’aumônier Richard Walter, rédacteur du Tour du monde de l’amiral Georges Anson, 1740-1744. Lors du reportage de Saint-Preux sur sa circumnavigation (IV, 4), plus que nulle part ailleurs dans La Nouvelle Héloïse, se révélait pertinente la dimension de déception par rapport à un horizon d’attente postulé chez le lecteur. Saint-Preux s’était, il est vrai, embarqué pour le voyage comme on court après un suicide, après que Julie l’eut fermement enjoint d’oublier leur amour. À son retour, il réalise qu'elle s’est de son côté, durant le même laps de temps du « Léthé », consacrée à l’activité de jardinage ; elle a patiemment composé le verger « élyséen » et le réseau de canaux et l’étang de Clarens – comme une âme tranquille se serait occupée dans le royaume des morts. On aurait pu attendre de la part de Saint-Preux, à la faveur d’une expédition qui l’a séparé de Julie d’Étange, qu’il eût recouru au remedium amoris de l’intérêt pour la faune exotique (la libido sciendi oblitérant la libido amandï). Les fameux « crocodiles » et « tortues » sans âme, tristement décrits dans leur variante de carton-pâte à Paris (I, 23, p. 284), il aurait pu les observer à présent, vivants et animés, évoluant dans leur milieu naturel. Or le précepteur suisse, quoique associé à l’une des expéditions les plus célèbres de son siècle, n’a pas la disposition d’esprit requise pour prendre en considération la faune. Le tour du monde est seulement l’occasion de constater les maltraitances que l’homme inflige à l’homme (la planète est homogène pour le pire : partout, ce qui prédomine n’est pas le spectacle grandiose de la nature, mais celui de l’oppression de l’homme par l’homme ; les sortilèges de la magicienne Circé se sont sinistrement naturalisés44) et, plus encore, de faire l’épreuve de ce qu’est le monde entier sans le contact rayonnant de Julie d’Étange, d’un monde stérilement et lugubrement arpenté sans la compagnie de son « âme ». Il s’est confirmé à l’autre extrémité du monde ce qui s’était déjà révélé auprès des esprits forts de Paris, que, sur cette planète homogène pour le pire, c’est aujourd’hui (et non pas dans les temps reculés de l’origine) qu’est pertinent le modèle de l’état de prédation généralisée décrit par Hobbes. Ce dernier a parfaitement identifié les créatures dépourvues d’âme au sein de l’état de jungle féroce, mais il a seulement eu le tort de situer cet état à l’aube des temps. La Nouvelle Héloïse est l’occasion de préciser la juste vision des choses et de montrer où il convient en vérité de situer ce temps de la prédation déshumanisante : latent à Paris, l’état de jungle est démasqué dans les colonies où les civilisateurs européens se comportent avec férocité45. Or, lors de ce récit de tour du monde, des espèces animales nouvelles, par exemple océaniques, auraient pu être décrites (Rousseau sait que son roman crée un effet d’écart par rapport à l’horizon d’attente du lecteur) et documenter les disputes sur la nature des animaux. Nous en voulons pour preuve le récit de l’expédition d’Anson, qui sert d’assise référentielle, et notamment la Description de l’île de Juan Fernandez (II, 1), qui ménage une large place à la description des poissons46 ; ou l’Arrivée à Tinian, description de cette île (II, 2 ; inventaire des différents oiseaux aquatiques)47. L’attention récurrente des explorateurs à la présence de ces espèces animales est dictée d’une part par des motifs scientifiques, d’autre part par un souci nutritionnel. Puisqu’il fut compagnon de l’expédition d’Anson, Saint-Preux vit lui aussi une nature insulaire peuplée d’oiseaux et de poissons (le lecteur le sait) et il se démarque en se montrant « insensible » à la beauté des bêtes. Rousseau veut que cette « insensibilité » soit remarquée. La priorité est de témoigner du dégoût ressenti devant le spectacle de l’oppression de l’homme par l’homme. Saint-Preux n’est « sensible » qu’aux malheurs des hommes. Seulement le retour au bord du Léman (fin de l’éclipse anesthésique de quatre ans) et la visite du verger de Julie permettent une renaissance de la sensibilité subtile. C’est en effet par un contraste frappant d’attitude qu’il est réceptif au sort (politique) des petits animaux du jardin de Clarens : la leçon thérapeutique dispensée par ses guides Julie et Wolmar contribue à l’y aider. Le transfert d’intérêt des poissons de mer décrits dans la relation de voyage d’Anson (lors de l’escale insulaire) aux modestes poissons de l’étang d’eau douce, ordinaires et locaux, du verger, est dès lors remarquable. Constater ce que Saint-Preux ne fait pas est éloquent et la lecture comparée du texte d’Anson permet de l’établir.
32Plus profondément, Saint-Preux paraît réprouver les attentes concernant l’attitude du savant partageant l’idéal de l’accroissement des connaissances des Lumières, par accumulation positive d’informations. Tout le roman tend à disqualifier les prérogatives des grandes enquêtes scientifiques et à réintégrer les personnages dans des lieux réels – dans le proche, le familier, l’humble, le commun, le local, l’ordinaire... Ce qui se manifeste dans l’épisode élyséen, c’est a contrario une dénonciation de la disposition d’esprit de naturalistes cherchant à satisfaire leur appétit de connaissances selon des prémisses en réalité viciées. Daubenton, le collaborateur de Buffon, est un vif partisan de l’autopsie des charognes et même de la dissection pratiquée sur des animaux vivants. Mais la description positivement exacte que permet l’anatomie est-elle vraiment capable de nous renseigner sur la nature de l’animal48 ? Que découvre Saint-Preux à l’occasion de la visite guidée édifiante du verger animé de Julie, en lieu et place d’une économie piscicole exacte qui serait redevable à l’observation scientifique ? Il découvre que le séjour dans l’Élysée, à mille lieux des protocoles de l’expérimentation et de la dissection scientifiques, confère une qualité de « connaissance » qui se rattache à l’enjeu supérieur de la paix morale permettant à l’âme vertueuse de survivre après avoir renoncé au désir. Or celle-ci inclut pleinement une relation « sensible » même aux poissons – ce qui se manifeste par le fait que leur présence est appréciée dans la pleine mesure où elle est indissociable d’un épisode de vie sauvée (là où la connaissance de Daubenton postule au préalable la mise à mort de l’animal). Si l’anecdote vaudoise se rattache encore au registre alimentaire, c’est précisément au titre de victoire remportée sur la prédation carnivore et donc tout à l’inverse d’un répertoire cruel49.
POISSONS VOLÉS
33Si l’on prend en compte l’épisode le plus traumatisant de l’existence de Rousseau, il s’agit en dernier lieu d’une réhabilitation. Dans le IIe Livre des Confessions, J.-J. Rousseau révèle comment en 1728 il accuse à tort une servante de cuisine d’avoir volé un ruban50. Au contraire du poisson, créature vivante dont l’existence est justifiée en soi à l’intérieur du cercle liant les uns aux autres Créateur, création et créatures, le ruban inanimé n’a même pas d’utilité. Proposé par l’artifice humain en supplément à l’ordre naturel de la beauté, l’ornement vise à rendre plus attirante celle qu’il pare. Dans le système des deux Discours de Rousseau, il serait à ranger parmi les colifichets représentatifs des boudoirs à la Boucher et de l’époque de sophistication dénaturante et de décadence morale qui est la nôtre. À l’initiative honteuse et calamiteuse du jeune Jean-Jacques (le vol commis au bénéfice d’une servante de cuisine, et qui s’est révélé un épisode mortifère dans ses effets), paraît répondre le vol heureux et non criminel de la servante Fanchon. Le ruban décoratif poussait non seulement J.-J. à commettre un vol, mais encore à faire un odieux mensonge ; et Marion, au départ une jeune fille « jolie, fraîche, modeste, douce, bonne, sage et fidèle » (OC, I, p. 84), paya le prix fort, en dépit de sa complète innocence, de l’opération criminelle et désastreuse : il s’ensuivit probablement pour elle, estime Rousseau, une vie entière de misère. Au vol unique (sur le plan de la vie de l’auteur) du modeste ruban maudit ayant entraîné la déchéance de Marion à qui le cadeau était pourtant destiné, s’oppose ainsi l’intervention récurrente de la servante voleuse (sur le plan de la vérité fictionnelle) – assurant la prolongation de la vie de ces perchettes condamnées à la perdre51. De la part de l’auteur du roman rongé par la culpabilité (Marion, quoique innocente, a été injustement chassée de la maisonnée pour une faute qu'elle n’avait pas commise), l’épisode du vol qu’il insère dans son roman représente l’occasion d’une restauration. Fanchon vole vraiment, Wolmar et Mme de Wolmar le savent et ne la punissent pas pour autant : ils l’en estiment d’autant plus. L’épisode pathétique et tragique des Confessions est certes à l’opposé de son pendant relevant du « burlesque de cuisine ».
34Il me fallait un lac. Il me semble que l’on n’avait jamais pris en compte la condition introduite par une telle exigence : que la présence de bassins d’eau est la condition nécessaire, requise pour permettre la vie de faune lacustre dans le voisinage et la proximité de protagonistes entretenant précisément un lien privilégié avec celle-ci. J’ai proposé ici de relire le roman de l’âme de Julie sous l’éclairage de ce sens nouveau : le statut romanesque des poissons apparaissant au cours de l’intrigue est étroitement lié, en sus du registre alimentaire, à la question du rapport qu’entretient la description du paysage lémanique avec les dispositions intérieures de la protagoniste. Le plaidoyer en faveur de la représentation d’une âme est un enjeu profond du roman qui est prioritairement une machine de guerre contre les vues matérialistes des philosophes athées52.
Notes de bas de page
1 Leibniz, Monadologie, Paris, Gallimard, « Folio », p. 237. Je remercie Louis Van Delft pour cette référence. La Nouvelle Héloïse sera mentionnée NH.
2 Nos références renvoient à l’éd. H. Coulet et B. Guyon, OC, II (Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1964) ; ici, p. 715.
3 Je renvoie aux études de Jean-Luc Guichet, « l’Élysee de La Nouvelle Héloïse : entre nature et politique », Études J.-J. Rousseau, 14-15, Montmorency, musée J.-J.-Rousseau, 2003-2004, p. 195-210 ; Rousseau, l’animal et l’homme, Paris, Cerf, 2006.
4 Sur l’âme chez Rousseau, Paul Audi, Rousseau, une philosophie de l’âme, Verdier, 2007.
5 Saint-Preux compare tel principe pédagogique de Julie (profit du silence) à celui de Pythagore : « En vérité, Julie, dis-je [...] Pythagore n’était pas plus sévère à ses disciples que vous l’êtes aux vôtres » (NH, V, 3, p. 574). l’Émile témoigne de l’admiration pour Pythagore ; OC, IV, p. 772, p. 831.
6 Jean-Philippe Grosperrin, « Un certain unisson d’âmes : rhétorique de la sympathie et imaginaire dans La Nouvelle Héloïse », dans Les Discours de la sympathie. Enquête sur une notion, éd. T. Belleguic et al., Sainte-Foy, Presses univ. Laval, 2008.
7 Plutarque, Manger la chair, trad. Amyot, Paris, Rivages, 2002.
8 Le décalage entre l’être et le paraître est dramatisé par la sentence ovidienne qui accompagne Rousseau sa vie durant : Hic ego barbarus sum, quia non intelligor illis (« Ici c’est moi qui suis le barbare, parce que je ne suis pas compris par eux » ; nous traduisons). Notons que cette devise de Rousseau est prélevée d’une satire consacrée au turbot.
9 Voir dans Emile la description de l’apparition de la pitié : « Il commence à se sentir dans ses semblables, à s’émouvoir de leurs plaintes et à souffrir de leurs douleurs [...]. Les plaintes et les cris commenceront d’agiter ses entrailles [à 16 ans], l’aspect du sang qui coule lui fera détourner les yeux ; les convulsions d’un animal expirant lui donneront je ne sais quelle angoisse [...]. Pour devenir sensible et pitoyable, il faut que l’enfant sache qu’il y a des êtres semblables à lui, qui souffrent ce qu’il a souffert, qui sentent les douleurs qu’il a senties, et d’autres dont il doit avoir l’idée comme pouvant les sentir aussi. En effet, comment nous laissons-nous émouvoir à la pitié, si ce n’est en nous transportant hors de nous et nous identifiant avec l’animal souffrant ? En quittant, pour ainsi dire, notre être pour prendre le sien ? » (Émile, IV, OC, IV, p. 504-505).
10 Métam., IV, v. 337-379 : « Quand elle le voit si beau, Salmacis ne peut plus se maîtriser, le rejoint dans l’eau et se colle à lui, malgré les efforts qu’il fait pour lui échapper. Elle demande aux dieux la faveur qu’ils ne soient plus jamais séparés l’un de l’autre, et elle est exaucée » (présentation d’A.-M. Boxus et J. Poucet, site Bibliotheca classica selecta, Université catholique de Louvain, 2006).
11 On relèvera ce passage sur la connaissance des deux sexes alternativement de l’Enfer (juste aux portes de l’Élysée) du Virgile récrit en style burlesque par Scarron : « Cénée Jadis fille, puis guerdonnée Par l’humide dieu du poisson D'être jusqu'à sa mort garçon. Mais après sa mort la pauvrette De garçon redevient fillette » (Virgile travesti, Vf, v. 1687-1692).
12 « Le boucher se paie en bétail », V, 2, p. 551.
13 Rousseau racontera comment, en 1736, il entretint une relation privilégiée avec les pigeons de Mme de Warens : « Je pris [soin] du colombier, et je m’y affectionnai si fort que j’y passais souvent plusieurs heures de suite [...]. Je ne pouvais paraître au jardin ni dans la cour sans en avoir à l’instant deux ou trois sur les bras, sur la tête [...] » (Conf. VI, OC, I, p. 233, souligné par nous). À Montmorency où il rédige son roman épistolaire, Rousseau vit dans la familiarité des biches : « Quels temps croiriez-vous [...] que je me rappelle le plus souvent et le plus volontiers dans mes rêves ? [...] Ce sont ces jours rapides mais délicieux que j’ai passés tout entiers [...] avec mon chien bien-aimé, ma vieille chatte, avec les oiseaux de la campagne et les biches de la forêt, avec la nature entière et son inconcevable auteur » (à de Malesherbes, 26 janv. 1762, OC, I, p. 1139).
14 « Ajoutez [...] des dragons, des lézards, des tortues, des crocodiles, de gros crapauds qui se promènent d’un air menaçant sur le théâtre, et font voir à l’Opéra les tentations de saint Antoine. Chacune de ces figures est animée par un lourdaud de Savoyard qui n’a pas l’esprit de faire la bête » (I, 23, p. 284).
15 OC, III, p. 169-70. Cf. Pierre Hartmann, « Une archéologie de la distinction : du rôle conféré par Rousseau à l’esthétique dans l’émergence et le développement du processus inégalitaire », Dix-Huitième Siècle, 38, Paris, La Découverte, 2006, p. 481-493.
16 NH, II, 15, p. 237. Sur les tours virtuoses impliquant les poissons, cf. Erik Michaëlsson, « L’eau, centre de métaphores et de métamorphoses dans la littérature française de la première moitié du xviie siècle », Orbis Litterarum, 14, Odense (Danemark), Blackwell Publishing, 1959, p. 121-173.
17 Une Description de 19 sortes de poissons dans le Rhône et lac de Genève était jointe à la célèbre Carte du Léman du Genevois Jean du Villard, 1581.
18 Voir J.-L. Guichet, article cité.
19 Pétrarque, inspirateur du procédé du paysage-état d’âme, décrit la pêche dans la Sorgue familière (Ep. Metr., III, 4, p. 59) ; voir Jürgen von Stackelberg, « Du paysage de l’amour au paysage de Pâme : Pétrarque et Rousseau », dans Vérité et littérature au xviiie siècle, éd. P. Aron et al., Paris, Champion, 2001, p. 265-270 ; Christophe Imbert, « Le jardin de Pétrarque pour les muses en exil : que transposer une poétique, c'est reinventer son lieu », Revue de littérature comparée, 308, Paris, Klincksieck, p. 2003-2004.
20 « C’est ainsi qu’il convient de suivre et de prêcher l’Évangile [...], non aristotelico more, disaient les Pères de l’Église, sed piscatorio », Réponse à Stanislas (OC, III, p. 49).
21 Saint Augustin, Traité sur l’Évangile de Jean, 123, 2. Voir de même : « Ce poisson grillé signifie le Christ. Il a voulu descendre et se cacher dans l’océan du genre humain ; il s’est laissé prendre dans le filet de notre mort ; il a passé dans sa Passion par la flamme de toutes nos souffrances ; et maintenant il se donne à nous » (saint Grégoire, homélie 24).
22 Saint Augustin, sermon 150, « Sur la semaine de Pâques ».
23 Rousseau vient de lire Tertullien en préparant sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles, 1758.
24 Cf. Robert Mauzi, « La conversion de Julie dans La NH », Ann. J.-J. Rousseau, 35, 1959-1962, p. 29-48 ; « Le problème religieux dans La NH », dans J.-J. Rousseau et son œuvre. Problèmes et recherches, Paris, Klincksieck, 1964, p. 159-170 ; Kurt Klooke, « Un état plus sublime : le sentiment religieux dans La NH », dans Roman et religion en France, éd. J. Wagner, Paris, Champion, 2002, p. 137-149 ; Christine Ott, « Julie als empfindsamer Christus. Speisesymbolik und Imitatio Christi in Rousseau’s NH ? », dans Fragen nach dem einen Gott. Die Monotheismusdebatte im Kontext, éd. G. Palmer, Tübingen, 2007, p. 73-99.
25 Julie agonisante remercie son pasteur : « J’ai vécu et je meurs dans la communion protestante, qui tire son unique règle de l’Écriture sainte et de la raison ; mon cœur a toujours confirmé ce que prononçait ma bouche. [...] Si Dieu n’a pas éclairé ma raison au-delà, il est clément et juste ; pourrait-il me demander compte d’un don qu’il ne m’a pas fait ? [...] Être éternel, suprême intelligence, source de vie et de félicité, créateur, conservateur, père de l’homme et roi de la nature, Dieu très puissant, très bon, dont je ne doutai jamais un moment, et sous les yeux duquel j’aimai toujours à vivre [...] dans peu de jours mon âme, libre de sa dépouille, commencera de t’offrir plus dignement cet immortel hommage qui doit faire mon bonheur durant l’éternité » (VI, 11, p. 714-716).
26 Jean Calvin, Traité des reliques, 1543, éd. I. Backus, Genève, Labor & Fides, 2000, p. 45.
27 « Je la contemplerai tout autour de moi. Je ne verrai rien que sa main n’ait touché ; je baiserai des fleurs que ses pieds auront foulées ; je respirerai avec la rosée un air qu'elle a respiré » (IV, 11, p. 486).
28 Enarrationes in Psalmos, éd. E. Dekkers et J. Fraipont, Turnhout, Brepols, 1956.
29 « Lorsque j’entends chanter nos psaumes à quatre parties, je commence toujours par être saisi, ravi de cette harmonie pleine et nerveuse ; et les premiers accords, quand ils sont entonnés bien juste, m’émeuvent jusqu'a frissonner » (Dictionnaire de musique, « Unite de mélodie », OC, V, p. 1143).
30 10 juin 1552, Lettres de Jean Calvin, éd. J. Bonnet, Paris, Meyrueis & C°, 1854 ; 1, p. 344.
31 Cf. Rousseau : « Vous ne voyez dans mon exposé que la religion naturelle. Il est bien étrange qu’il en faille une autre ! [...] Les plus grandes idées de la divinité nous viennent par la raison seule. Voyez le spectade de la nature, écoutez la voix intérieure » (Emile, OC, IV, p. 607).
32 Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, Paris, 1865, t. 6 (nous soulignons).
33 Jean-Frédéric Bernard [pseudo « de Charte-Livry »] publie un caustique « Dialogue entre Neptune et saint Antoine de Padoue prêchant aux poissons », dans Dialogues critiques et philosophiques..., Amsterdam, 1730.
34 Rousseau juge de Jean-Jacques ; 2e Dialogue (« Rousseau ») ; OC, I, p. 873-874.
35 Anonyme à J.-J. Rousseau, août 1763 ; ms R303 de la bibl. de Neuchâtel ; cf. CC, XVII, p. 221.
36 J.-A. Dulaure, Nouvelle Description des environs de Paris, Paris, 1786, t. 2, p. 110.
37 Journal de Paris, 294, 24 messidor an VI [12 juill. 1798]. « On s’abonne rue J.-J. Rousseau. »
38 « Si faisoit bien encore la murene de Crassus, et venoit à luy quand il l’appelloit ; et le font aussi les anguilles, qui se trouvent en la fontaine d’Arethuse : et j’ay veu des gardoirs assez, où les poissons accourent, pour manger, à certain cry de ceux qui les traictent » (Montaigne, II, 12 ; éd. J. Balsamo et al., Paris, Pléiade, 2007, p. 491).
39 Rœderer, directeur du journal, avait ouvert la polémique sur un mode de dilettantisme et d’inclination anthropomorphique ; « [Suivant Lacépède, compte rendu d’Histoire naturelle des poissons, I, 1798] l’homme n’apprivoise les poissons que par l’appât des aliments ; mais serait-il impossible qu’ils se liassent avec nous par quelques affections moins intéressées, et qu’ils témoignassent du plaisir quand ils nous voient ou nous entendent ? Voici une petite observation [...]. Pendant la Terreur [...] se trouva dans une carafe d’eau un petit poisson [...]. Je le mis dans un verre [...]. Les premiers jours, le poisson se sauvait au fond du verre lorsque j’approchais. Mais ensuite j’y jetai des miettes de sucre, et il s’éleva à fleur d’eau pour les happer ; [...] il se présentait à moi de face, venait frapper avec sa tête le verre comme pour le traverser, remuant la queue de droite à gauche, avec une expression aussi vive que celle du chien le plus caressant [...]. Je crois bien que la plupart du temps, tout cet empressement n’était qu’une manière de demander quelques grains de sucre ; mais je me suis souvent flatté qu’il y avait aussi un peu d’amitié pour moi, un peu de besoin de ma société, comme il y avait en moi besoin de la sienne ; et ce qui m’a paru justifier cette idée, c’est que [...], si je lui parlais à travers le verre, ou si je lui présentais le haut de ma plume, il accourait sur le devant du vase, et me répondait [...]. Il me semble qu’alors la faim ou la gourmandise n’étaient plus pour rien dans ses motifs. [...]. Je le dis au studieux naturaliste qui cherche à reconnaître la place assignée par la nature à tous les êtres animés », Journal de Paris, 281, 11 messidor, an VI.
40 Le graveur Marillier met en valeur la scène de la visite à l’étang, titre du tome III de l’éd. Poinçot de La NH, 1788.
41 Rappelons que l’âme de Didon a manqué une telle évolution vers la guérison de la passion. L’ancienne amante d’Énée se présente aux yeux de celui-ci comme un exemple négatif pitoyable : elle est exclue de la proximité des âmes « bourdonnant comme des abeilles » en attente de réincarnation (Én., VI, 450-475). Julie est de son côté immergée dans une expérience ici-bas encore : voulant se convaincre qu’elle est guérie de la passion, elle a cherché la paix qu’apporte le séjour dans l’Élysée. L’anti-Didon cohabite dans ce séjour avec des oiseaux et des poissons.
42 On n’est pas étonné du commentaire (qui reste inadmissible) adloc. du commentateur de la Pléiade : « Il nous faut passer à Julie et à Rousseau quelques niaiseries [...] » (OC, II, p. 1611).
43 On comparera dans l’Énéide la célèbre description de la captivité enténébrée des âmes qui suit de près la mention des abeilles bourdonnantes, carcere caeco (VI, 734).
44 « J’ai vu ces vastes et malheureuses contrées qui ne semblent destinées qu’à couvrir la terre de troupeaux d’esclaves. À leur vil aspect j’ai détourné les yeux de dédain, d’horreur et de pitié ; et, voyant la quatrième partie de mes semblables changée en bêtes pour le service des autres, j’ai gémi d’être homme » (IV, 3, p. 414).
45 Récapitulons les trois occurrences : Saint-Preux : 1. commençait par recevoir une mise en garde de Julie devant la disposition d’esprit du homo homini lupus à propos des duels (I, 57, p. 154) ; 2. observait de visu à Paris que nos contemporains civilisés s’entredévoraient « comme loups » urbains (II, 21, p. 277) ; 3. confirme la validité de l’observation qui veut que les colonisateurs éclairés (en réalité des âmes perdues), dans un siècle où les sciences et les arts sont avancés, réduisent cruellement leurs semblables à l’état de bêtes (IV, 3, p. 414).
46 Sur l’île de Juan Fernandez, Walter accorde une attention remarquable aux oiseaux exotiques et surtout à la faune aquatique que les explorateurs apprennent à déguster : « [Les poissons] nous ont fourni les meilleurs mets que nous ayons goûtés dans cette île. La baie en est abondamment fournie en plusieurs espèces. Les morues y sont d’une grosseur prodigieuse et en aussi grande quantité que sur les côtes de Terre-Neuve au jugement de nos gens qui avaient été à cette pêche. Nous y prîmes aussi de grandes brêmes, des anges de mer, des cavaliers, des tâtonneurs, des poissons argentés et des congres d’une espèce particulière et un poisson noir qui ressemblait à une carpe, dons nous faisions plus de cas que tout autre et à qui nous avions donné le nom de ramoneurs de cheminée. [...] Le seul inconvénient auquel cette pêche était sujette venait des requins [...] qui nous enlevaient le poisson. Les écrevisses de mer sont un autre mets exquis. » Richard Walter, Voyage autour du monde 1740-1744, II, 1, Paris, Utz, 1992, p. 125-126.
47 Chez Rousseau, l’île de Tinian témoigne des désastres humanitaires. Cf. la description de Walter : « Les heureux animaux qui, durant la plus grande partie de l’année, sont les seuls maîtres de ce beau pays, contribuaient aussi à y donner un air enchanté. [...] Outre la volaille, nous trouvâmes [...] deux grands lacs d’eau douce remplis de canards, de sarcelles et de corlieux, sans compter les pluviers sifflants qui y étaient en quantité » (id., II, 2, p. 260-261).
48 « L’Écriture nous exhorte en mille endroits d’adorer la grandeur et la bonté de Dieu dans les merveilles de ses œuvres ; je ne pense pas qu’elle nous ait prescrit nulle part d’étudier la physique ni que l’auteur de la nature soit moins bien adoré par moi qui ne sais rien, que par celui qui connaît [...] la trompe de la mouche et celle de l’éléphant » (Réponse au roi Stanislas, OC, III, p. 40).
49 Avec la grâce accordée aux poissons, on est à l’exact opposé d’illustrations de cruauté (exemple de gastronomes élevant des poissons androphages) : « C’est que rien n’est délicieux comme de se gorger de mets succulents, dit Gernande [...] ; et les vapeurs de ces mets savoureux, qui viennent caresser le cerveau, le préparent si bien à recevoir les impressions de la luxure [...]. J’ai désiré souvent [...] d’imiter les débauches d’Apicius [...] qui faisait jeter des esclaves vivants dans ses viviers, pour rendre la chair de ses poissons plus délicate. [...] Je sacrifierais mille individus, si cela était nécessaire, pour manger un plat plus appétissant ou plus recherché » (Sade, La Nouvelle Justine).
50 « La seule Mlle Pontal perdit un petit ruban [...]. Ce ruban seul me tenta, je le volai. [...] On voulut savoir où je l’avais pris. Je me trouble, je balbutie, et enfin je dis, en rougissant, que c’est Marion qui me l’a donné. Marion était une jeune Mauriennoise dont Mme de Vercellis avait fait sa cuisinière [...] » (Conf., II, OC, I, p. 84).
51 Un épisode qui suit la visite du jardin de l’Élysée et qui conclut la partie IV est l’excursion en barque sur le Léman. Lorsque les hommes se trouvent heureux à la pêche, Julie recommande qu’on rende la vie aux poissons pêchés et qu’on les rejette à l’eau. La protagoniste redoublera donc bientôt en un épisode phare, sur le mode majeur, le geste salvateur discrètement récurrent de Fanchon. Lors de l’excursion à Meillerie, Julie redouble en toute légitimité et en souveraine majesté le geste secourable ridicule (illicite et clandestin) de Fanchon qui expliquait la présence des poissons en Élysée. Julie fait tout de même honneur à une truite cuisinée.
52 Voir Franck Salaün, « L’être de deux amants. Voix de l’âme et voix des “philosophes” dans La NH », dans L’amour dans “La NH”, éd. J. Berchtold et F. Rosset, Genève, Droz, 2002, p. 377-404.
Auteur
Professeur de littérature française du xviiie siècle à l’université Paris 4 Sorbonne, a notamment publié : Des rats et des ratières. Anamorphoses d’un champ métaphorique de saint Augustin à Jean Racine, Genève, Droz, 1992, L’Étreinte abhorrée. Angoisses de l’homme face au rat dans la littérature et le cinéma fantastiques (xixe-xxe s.), La Rochelle, La Rumeur des âges, 1995 ; et, parmi les collectifs : Chiens et chats littéraires, éd. S. Birrer, A. Ganzoni, M.-Th. Lathion, U. Weber, Berne, Archives littéraires suisses, Genève, Zoé, 2001 ; L’amour dans « La Nouvelle Héloïse » (avec F. Rosset), Genève, Droz, 2002 ; Chiens et chats littéraires chez Cingria, Rousseau et Cendrars (avec J. Réda et J.-C. Flückiger), Genève, La Dogana, 2002 ; Lire la « Correspondance » de Rousseau (avec Y. Séité), Genève, Droz, 2007 ; L’Événement climatique et ses représentations ( xviie- xixe s.) (avec E. Le Roy Ladurie et J.-P. Sermain), Paris, Desjonquères, 2007.
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