La reconnaissance à l’épreuve de la méconnaissance
p. 181-193
Texte intégral
PRATIQUES DE LA RECONNAISSANCE
1L’un des traits majeurs de notre modernité a, sans aucun doute, consisté à remettre en question l’autosuffisance du sujet en le comprenant à même les formes relationnelles dans lesquelles il est situé. Il revient à Hegel sinon d’avoir inventé ce nouveau parcours théorique, puisqu’on trouve dès les médiévaux des affirmations touchant le primat de la relation sur le moi, du moins de l’avoir amendé substantiellement en le présentant comme un parcours de la reconnaissance. Dans le chapitre de la Phénoménologie de l’esprit consacré à la maîtrise et à la servitude, Hegel suggère que la conscience de soi doit sortir d’elle-même, se perdre dans un autre qu’elle-même pour se retrouver enrichie par la réflexion de soi dans l’autre. La connaissance de soi ne se fait qu’au prix d’une perte de soi produite par la réflexion de soi dans l’autre. Ainsi est-ce bien la reconnaissance de soi par l’autre qui enrichit suffisamment le soi pour qu’en retour une connaissance de soi soit possible. La perte de « soi » n’est alors que le signe d’une impossible connaissance immédiate de « soi ». Celle-ci précipite le « soi », le soumet à l’épaisseur des relations subjectives que Hegel comprend comme des relations de maîtrise et de servitude d’une part, comme des relations de reconnaissance d’autre part. Cette compréhension situe bien le « soi » dans un processus de dépossession. En même temps, cette dépossession permet l’introduction d’une nouvelle relation à « soi ». Le « soi » n’est projeté hors de lui que pour autant que cette projection signe la possibilité d’un souci de « soi » levé et enrichi par les déterminations engendrées dans la sphère des relations, et en particulier des relations de reconnaissance engagées par deux consciences. Dans cette perspective, le « hors du soi » du « soi » n’est nullement l’annonce d’un « soi » annihilé mais prélude à une recomposition réelle de « soi », celle-là même que la relation à l’autre laisse percer dans les désirs de reconnaissance multiples qui la structurent et la constituent.
2C’est cette nouvelle scène de la philosophie que Hegel a, d’une manière radicale, su camper en situant non seulement le « soi » dans des procédures de reconnaissance multiples et complexes mais encore en liant ces procédures à des formes particulières d’agir susceptibles de renverser les conditions initiales de la maîtrise et de la servitude. La dialectique du maître et du valet précise cet entremêlement de la procédure de reconnaissance et de la relation maîtrise/servitude. Le valet qui n’existe tout simplement pas aux yeux du maître ne conquiert son autonomie qu’au terme d’un processus matériel et symbolique qui est à la fois un travail et la construction d’une relation de reconnaissance. Par le travail, le valet inverse les pôles de la dépendance et de l’indépendance, ne devenant le maître du maître que pour autant qu’il est reconnu tel par le maître lui-même. Certes, il faut lire dans cette séquence fort connue l’achèvement d’un processus de désir au terme duquel le désir est toujours désir du désir de l’autre. Mais il faut aussi signaler que le déni de reconnaissance du valet par le maître s’inverse en reconnaissance du valet du fait de la dépendance du maître à son endroit engagée par le travail du valet.
3Ce qui est alors à comprendre, c’est un lien étroit entre travail de reconnaissance et reconnaissance du travail. Le travail offre les conditions de la reconnaissance. Dans ce dispositif, le « soi » est assuré d’être enrichi par le double « hors de soi » de la reconnaissance et du travail. Certes Judith Butler prend soin de signaler que ce processus est d’une extrême fragilité.
Le passage dans Maîtrise et servitude où les deux consciences de soi se reconnaissent l’une l’autre dans la « lutte pour la vie et la mort » correspond au moment où chacun d’eux perçoit le pouvoir partagé qu’ils ont d’annihiler l’autre et ainsi de détruire la condition de leur autoréflexion. C’est donc dans un moment de vulnérabilité fondamentale que la reconnaissance devient possible et a besoin de devenir consciente de soi1.
4La reconnaissance lève l’hypothèque de la destruction, elle ne met pas fin à la vulnérabilité mais elle lui donne une forme humaine en précipitant les sujets dans une autoréflexion suscitée par le désir de reconnaissance de l’autre.
5Je ne souhaite pas revenir sur le dispositif hégélien mais seulement constater qu’il met au jour deux traits essentiels qui se trouvent au cœur de toutes les philosophies contemporaines de la reconnaissance, celles du moins qui se sont déployées sur le versant pragmatique. Le premier trait concerne, par-delà la réciprocité reconnaissance/travail, la solidarité entre l’argument de la reconnaissance et celui de l’action. S’il est admis que les dénis de reconnaissance s’exercent toujours dans des actions particulières, réciproquement il tend également à s’imposer que la lutte pour la reconnaissance passe par un agir spécifique. Si le déni de reconnaissance s’exerce dans le travail, c’est toujours par un travail d’un autre biais qu’une lutte pour la reconnaissance peut se déployer. De telle sorte que la lutte pour la reconnaissance est toujours ce qui est mis en jeu dans un travail, soit que celui-ci s’efforce de contrer le déni de reconnaissance produit à l’occasion d’un certain travail, soit qu’il se reconstruise dans la dynamique ouverte des actions. Une telle relation entre reconnaissance et action fait de la reconnaissance le sentiment moral qui est en jeu dans les actions réciproques. Il a alors pu être noté à juste titre, notamment par Charles Taylor2, que la reconnaissance tend à s’imposer comme sentiment démocratique par excellence dans la mesure où elle est bien une forme souple suscitée par le jeu inévitable et inépuisable des actions cosituées sur un même plan de déroulement (on comprend de ce point de vue que le travail soit le paradigme de ce genre d’actions). Autant l’honneur maintenait séparés les champs d’action en valant comme forme hétérogène, autant la reconnaissance contribue à relier les champs d’action les uns aux autres malgré le risque de la destruction qui marque bien alors l’annulation de la possibilité même de la reconnaissance. Reconnaissance et action sont, dans l’expérience démocratique moderne, impliquées l’une dans l’autre. La reconnaissance règle le cours des actions en établissant une unité de mesure purement immanente aux actions elles-mêmes. De telle sorte que c’est bien en tant que sujet d’action que je désire être reconnu. La forme passive de la demande de reconnaissance, être reconnu, soigneusement mise en avant par Ricœur comme l’ultime phase du parcours de la reconnaissance3, ne vaut que si elle est adossée à la forme active d’un agir particulier.
6On comprend alors, si tel est le cas, que le désir de reconnaissance puisse se scinder en deux formes, selon qu’il est articulé à un régime d’action ou non. Car si je désire être reconnu pour autant que j’agis, on est en droit de se demander si une reconnaissance qui ne s’adosse à aucune action particulière mérite encore le nom de reconnaissance. Désirer être reconnu comme exerçant tel travail, c’est désirer être reconnu comme sujet d’actions spécifiques. En revanche, désirer être reconnu comme « malade » ou membre d’une communauté ethnique ou culturelle apparaît comme beaucoup plus ambigu. Non que ce désir soit illégitime, mais s’agit-il réellement d’un désir de reconnaissance ? Sur quelles actions peut s’établir la demande de reconnaissance ? Quoi qu’il arrive, il faut admettre qu’il existe un processus complexe qui consiste à attribuer de la reconnaissance à un sujet pour autant que ce sujet se trouve lui-même immergé dans une série d’actions qu’il veut voir non seulement exister mais attestées par l’autre et par là rendues visibles par le fait même qu’une exigence normative les traverse et les oriente en justice.
7Certes, toute procédure de reconnaissance au sens étymologique du terme ne relève pas d’une telle visée pragmatique. Ricœur a souligné que ce sens de la reconnaissance (Annerkennung) était finalement le plus tardif et que lui avait précédé le sens kantien de la reconnaissance, celui de la recognition (Rekognition4) : la reconnaissance comme saisie de l’identité produite par un acte intellectuel (je te reconnais comme étant le même). Seulement, il n’est pas certain qu’il faille subsumer ces deux opérateurs de la reconnaissance sous un même concept de reconnaissance, tant la synthèse pratique est hétérogène à la synthèse théorique. Certes ces deux synthèses peuvent se superposer dans le registre des actions identificatoires. Le problème se redouble en particulier par le fait que la reconnaissance de soi comme sujet d’action s’oriente du côté de la manifestation d’une identité de soi. Nous touchons là le second trait essentiel des philosophies pratiques de la reconnaissance. L’identité de soi n’est jamais présupposée à l’origine du parcours de la reconnaissance mais elle est toujours conquise au terme de ce parcours. De telle sorte que le « hors de soi » mène durablement au soi. Ce qui se trouve ici introduit, dans le parcours pratique de la reconnaissance, c’est la possibilité même d’une vie psychique du « soi » ainsi mise en jeu dans le parcours de la reconnaissance.
8Si nous sommes bien passés dans les philosophies pratiques de la reconnaissance d’une primauté ontologique du « soi » à une primauté ontologique de la relationnalité, nous nous trouvons toujours assurés sinon de l’évidence factuelle du « soi » (laquelle peut être trahie dans les dénis de reconnaissance), du moins de la possibilité de sa venue. Cette venue du « soi » se fait dans une vie psychique enfin appropriée, telle que le processus de reconnaissance en lequel se trouve situé le « soi » agissant puisse être un processus de libération du « soi », désormais assuré sinon d’être en soi, du moins de pouvoir être à « soi ».
LA GRAMMAIRE MORALE DE LA RECONNAISSANCE ET LA DEPOSSESSION DE SOI
9Ce que je voudrais suggérer dans l’analyse qui suit, c’est que ce processus de libération du « soi » n’est jamais assuré dans le parcours de la reconnaissance, qu’il est même toujours retardé, différé, pire, brouillé par le parcours de reconnaissance lui-même en tant que ce dernier ne saurait avoir la visibilité ni la simplicité qui lui sont parfois prêtées dans les philosophies de la reconnaissance qui garantissent un accès durable à soi dans la relation elle-même. Ainsi, chez Honneth, le « primat de la reconnaissance », titre du chapitre III de son livre La réification (Verdinglichung), considère-t-il comme acquis l’énoncé de la psychologie du développement selon laquelle le « soi » se définit en étant reconnu par une deuxième personne dès le plus jeune âge (9 mois5.) S’il ne peut être reconnu que si, en retour, il reconnaît l’autre en s’identifiant à lui, il en résulte non seulement que la connaissance objective de la réalité se fait en fonction de ces formes archaïques de la reconnaissance6, mais peut-être plus fondamentalement encore (thème exploité largement dans La lutte pour la reconnaissance) que la figure de la reconnaissance est le milieu dans lequel se construit l’individuation du « soi ». S’appuyant sur les travaux de Mead dans La lutte pour la reconnaissance, Honneth peut souligner d’une part que le « je » ne peut s’instaurer qu’en fonction d’un partenaire d’interaction, lequel peut d’ailleurs être un partenaire intérieur7, et soutenir d’autre part que les interactions qui font le « soi » sont les relations de reconnaissance, fortement mobilisées sous une forme à la fois cognitive et affective dans la genèse du « je » lui-même, prépondérantes tout au long de la vie du « je », de telle sorte que les dénis de reconnaissance doivent toujours être pensés comme le risque d’un effondrement du « je » et qu’en retour les luttes pour la reconnaissance ont comme enjeu pratique la restauration de l’intégrité du « soi8 ».
10Ne faut-il pas complexifier le parcours de la reconnaissance quant à la relation à « soi » qui est envisagée dans la reconnaissance elle-même ? S’agit-il seulement de dévoiler le primat de la reconnaissance sur la connaissance et ainsi de restituer à la reconnaissance, en deçà du risque de la réification9, la vertu fabricatrice du « soi » dans un premier temps et la vertu de préservation de ce « soi » dans un second temps ? C’est que le parcours de la reconnaissance est toujours en même temps un parcours de la méconnaissance de « soi ». Quand je dis « en même temps », j’affirme par là que la méconnaissance ne vient pas par surcroît, par accident, par plongée soudaine dans la réification ou par méprise à l’égard de la reconnaissance elle-même, au terme d’un parcours qui aurait soudainement dévissé, mais elle surgit à l’occasion de la reconnaissance elle-même. Comment pourrait-on comprendre en effet que le « hors de soi » de la relation dialogique à un « tu » aboutisse à un « soi » qui a la possibilité de se retrouver au terme d’un agir libérateur qui a suscité en retour un désir de reconnaissance particulier ? N’est-ce pas là mythifier par avance l’agir lui-même, celui qui porte et rend visible le désir de reconnaissance, en lui conférant la possibilité exorbitante de remettre le « soi » à l’endroit, lui qui avait été d’emblée tourneboulé par les différentes formes de relationnalité dans lesquelles il était pris ?
11Nous soupçonnons que le désir de remettre le « soi » à l’endroit n’a peut-être pas l’évidence qu’il semble avoir dans les philosophies pratiques de la reconnaissance. D’abord, parce que la reconnaissance ne se contente pas de déplacer le « soi » dans la sphère des relations en le refermant du même coup sur une intégrité finalement coconstruite. Elle le modifie irrévocablement de ce fait même et lui fait perdre toute évidence. Comme l’affirme Jean-Luc Nancy dans L’inquiétude du négatif, « je ne me reconnais reconnu par l’autre que pour autant que cette reconnaissance de l’autre m’altère10 ». Ensuite, parce que la reconnaissance ne se contente pas de déplacer le « soi » dans la sphère des relations dyadiques, elle convoque des vies qui sont elles-mêmes prises, à différents titres, dans les désirs des autres. De telle sorte que c’est une infinité non seulement de relations mais aussi de déplacements dans les relations qui sont révélées à l’occasion des procédures de reconnaissance mobilisées par des actions particulières. Non seulement la limite « je », « tu » devient malaisée à dessiner dans ces deux nouvelles perspectives, mais la possibilité même d’un récit de « soi » semble sujette à caution. Si la possibilité d’un récit de « soi » est bien articulée à la reconnaissance d’une de ces capacités fondamentales, la capacité à raconter et à se raconter, comme nous l’a appris Ricœur11, cette capacité ne prend sens que dans une série de brouillages fondamentaux entre « soi » et les « autres », qui d’une part achèvent le processus de déplacement de « soi » hors de soi et d’autre part laissent mal augurer du lien entre les deux figures de la reconnaissance, la reconnaissance pratique selon laquelle « je » suis reconnu par les actions que je porte avec moi par un autrui singulier, la reconnaissance narrative par laquelle je me reconnais moi-même comme étant non seulement ce sujet capable de ces actions reconnues par l’autre mais encore comme ce sujet « mien » capable d’un récit de soi.
12C’est précisément la difficulté de passer d’une reconnaissance pratique à une reconnaissance narrative qui rend problématique l’idée même d’une philosophie de la reconnaissance, entendons par là une philosophie intégrale de la reconnaissance, parvenant à produire ce que Ricœur nomme, dans Le parcours de la reconnaissance, le Begriffssystem de l’idée de reconnaissance12. Car la reconnaissance « narrative » comme opération d’identification d’une identité ipse13 semble toujours retardée dans l’acte même de la reconnaissance pratique. Pour les deux raisons mentionnées précédemment. À savoir, être reconnu par l’autre dans ses actions mêmes, c’est être altéré par la reconnaissance de l’autre d’une part, et d’autre part être reconnu par l’autre, c’est entrer dans un foisonnement de relations que la relation dyadique à l’autre ne peut nullement garantir ou stabiliser. De telle sorte que le « hors de soi » de la reconnaissance n’est pas replacé dans la perspective finale d’une restitution du « soi » au terme du parcours de la reconnaissance. Bien plus, ce « hors de soi » est au fond démultiplié dans le parcours de la reconnaissance. Et cette démultiplication achève le processus de dépossession de « soi » bien plutôt qu’elle ne l’annule. Une vie à « soi » dans la restitution des différentes modalités de la reconnaissance perd alors toute signification monovalente. Une telle revendication (avoir une « vie à soi » au sens où Woolf peut parler d’une « chambre à soi ») peut bien valoir comme un opérateur pratique des luttes sociales mais elle ne saurait valoir comme l’opérateur « narratif » d’un nouveau rapport à « soi » qui viendrait enfin garantir le « soi » quant à la question de savoir qui il est. De ce fait, le récit de « soi » ne peut consister dans la simple venue à « soi » d’un sujet. La dépossession de « soi » dans la reconnaissance parachève la dépossession de « soi » dans la vie sociale. Si le « je », écrit Judith Butler dans Le récit de soi, est toujours dépossédé dans une certaine mesure par les conditions sociales de son existence14 », cette dépossession ne peut être annulée dans les formes pratiques de reconnaissance conférées à « soi » par autrui ni même dans la reconnaissance « narrative » de « soi » par « soi » que nous produisons quand nous cherchons à rendre compte de nous-mêmes. C’est qu’un tel désir de reconnaissance ne prend sens que pour autant que le « soi » est un être relationnel, comme tel exposé aux formes de méconnaissance qui résultent structurellement des relations entretenues avec les autres. Plus précisément, les relations de dépendance qui nous constituent primitivement comme sujets et nous sont de ce fait indisponibles, puisqu’elles sont ce par quoi nous émergeons, engendrent selon les termes de Judith Butler une « opacité primaire à soi15 » qu’aucune visée pratique de reconnaissance ou qu’aucun récit ne sauraient totalement annuler.
13C’est que toute la formation de « soi » se trouve alors reconduite à l’opacité. « Si nous nous formons dans un contexte de relations qui nous deviennent partiellement irrécupérables, écrit Judith Butler, alors il semblerait que cette opacité se tienne au cœur de notre formation et dérive de notre statut d’être formé dans des relations de dépendance16. » Dans ce contexte, il ne s’agit nullement de se passer de toute forme de reconnaissance de soi mais seulement de constater que la justification de « soi » liée à la reconnaissance narrative de « soi » qui, le cas échéant, doit être mise en avant dans les procédures pratiques de reconnaissance de soi reste partielle et ne saurait en aucun cas revenir sur les conditions sociales d’émergence du « soi ».
14La méconnaissance surgit alors à deux reprises. Elle surgit premièrement quand nous cherchons à être reconnus dans nos actions par autrui, du fait même que cette reconnaissance se situe dans un ensemble de relations qui outrepassent la stricte relation de reconnaissance dyadique en ce qu’elles convoquent inévitablement (et fort heureusement) des tiers sous des modalités qui ne sont pas thématisées comme telles mais qui hantent à des degrés divers la relation de reconnaissance elle-même. La forme de la dyade en laquelle se joue la reconnaissance ne vaut donc que provisoirement et partiellement, abstraction faite des décentrements engendrés par les variétés de relations auxquelles est jointe la relation de reconnaissance. La reconnaissance de « soi » par autrui n’échappe pas à ces effets de décentrement qui relativisent la dyade par le fait même que, dans le désir de reconnaissance de soi par autrui, nous nous trouvons déplacés chez l’autre et ainsi situés dans un espace psychique qui est peuplé d’autres histoires auxquelles nous n’avons aucun accès direct. « Reconnaître l’autre, soutient Judith Butler, nécessite de prendre en compte que la dyade est rarement, voire jamais ce qu’elle semble être. Si les relations sont avant tout dyadiques, je reste donc au centre du désir de l’Autre et le narcissisme est, par définition, satisfait. Toutefois, le désir opère par des relais qu’on ne peut pas toujours aisément repérer, la personne que je suis pour l’Autre risquera donc d’être déplacée. Peut-on trouver l’Autre que l’on aime à part de tous les Autres qui se sont logés dans l’espace de cet Autre ? [...] Ou reconnaître l’Autre ne signifie-t-il pas aussi reconnaître qu’il vient nécessairement avec une histoire dont on n’est pas le centre17 ?» Ce que récuse Butler, c’est l’idée d’une transparence de la reconnaissance. La reconnaissance de « soi » par autrui bouleverse le cadre dyadique apparent de la reconnaissance en ce qu’elle inscrit le « soi » reconnu dans la vie psychique de l’autre, laquelle est inévitablement dépendante d’autres vies. En entrant dans le parcours de la reconnaissance et en l’adressant à un « autrui » singulier, adresse qui elle-même est en rapport à un désir de l’adresser à cet « autrui », « je » bascule dans une vie psychique qui elle-même est nécessairement déphasée par rapport à « soi ». Sauf à envisager le cas limite de l’amour exclusif réciproque dans lequel les deux désirs de reconnaissance se rejoignent et s’absorbent l’un dans l’autre, avec le risque là encore d’hypothéquer les histoires des deux « ego » qui font signe vers d’autres « ego », le désir de reconnaissance adressé à autrui bute constamment sur l’histoire de l’autrui auquel « je » m’adresse et dont « je » ne suis pas le centre. La reconnaissance, loin de me ramener vers moi par la visée d’autrui, me déplace alors dans l’histoire de l’autre en même temps qu’elle me déplace également dans l’histoire des normes sur lesquelles « je » m’appuie pour être reconnu par autrui et qui ne se réduisent pas aux échanges internes aux formes de la reconnaissance18.
15La méconnaissance surgit deuxièmement dans la reconnaissance « narrative » de soi par soi. Rendre compte de soi (giving an account of oneself) ne saurait consister à revenir à « soi » dans l’acte même d’une reconnaissance narrative de « soi » produite par un récit de « soi ». C’est que rendre compte de « soi » suppose également d’inscrire la justification de « soi » aux yeux d’un autre qui surgit alors, même sur le mode imaginaire, comme une source d’interpellation de « soi ». Comme le souligne Butler, « on rend toujours compte de soi à un autre, que celui-ci soit conjuré ou présent, et cet Autre met en place la scène d’interpellation comme une relation morale plus primaire que le geste réflexif visant à rendre compte de soi19. » Le récit de « soi » par lequel est produite la reconnaissance narrative de « soi » est nécessairement situé et par là voué à être incomplet. Au sens fort du terme, rendre compte de « soi » ne va pas de « soi ». Car non seulement une telle justification s’opère en étant tournée vers un « autrui » qui convoque alors nécessairement sa propre scène d’interpellation et défait ainsi la transparence de la réflexion de « soi » sur « soi », mais une telle justification est elle-même nécessairement narrée dans un vocabulaire social qui n’est pas de notre fait et reproduit des partages normatifs qui se logent inévitablement dans l’histoire que nous nous racontons à nous-mêmes à propos de nous-mêmes. « Je » ne deviens un sujet reconnaissable à mes propres yeux que pour autant que « je » fais fond sur les normes qui président à l’émergence de « soi » et qui, de ce fait, glissent sous le récit sans jamais pouvoir être capturées par lui. De telle sorte que la reconnaissance de « soi » n’est possible qu’à la condition qu’elle cesse de désigner la restitution d’une singularité qui nous placerait en position d’auteur de notre récit. « Nous pouvons certainement, affirme Judith Butler, encore raconter nos histoires, et nombreuses sont les raisons de le faire, mais nous ne pourrons plus prétendre au statut d’auteurs de ces histoires lorsque nous essaierons de rendre compte de nous au moyen d’une structure narrative20. »
DÉSACCORDS MORAUX ET TROUBLE DANS LE SOI
16L’exposition de la reconnaissance à la méconnaissance n’annule pas la portée du concept de reconnaissance mais annule en revanche la possibilité d’une philosophie intégrale de la reconnaissance qui verrait dans ce concept l’alpha et l’oméga de la vie humaine réussie en ce qu’elle permettrait de déployer une intégrité de soi maximale au sein de la vie sociale. Il peut exister dans l’écriture actuelle de la philosophie sociale une idéographie apologétique de la reconnaissance qui voudrait établir que la reconnaissance est le terme d’un processus à la fois social et moral au bout duquel le « soi » ou par extension le groupe social désigné comme une seule personne conquiert une forme identitaire nouvelle en se mettant en jeu dans le processus dyadique de l’interrelation. Dans ce scénario, si le « soi » est placé en régime intersubjectif, la vie psychique du « soi » n’est pas tourneboulée par un tel placement chez les autres mais garde au contraire la possibilité d’une relance du « soi » conquise à même les relations aux autres. C’est précisément à ce stade de relance que s’élabore une philosophie de la reconnaissance qui profite de l’efficacité pratique des « agir » motivés par les différentes luttes pour la reconnaissance pour s’octroyer l’efficacité narrative de la reconnaissance de soi produite dans un récit qui a alors valeur de construction d’identité. Contre une telle lecture, je me suis efforcé, en m’appuyant sur Judith Butler, de séparer ces deux moments de la reconnaissance en m’interdisant de les placer dans l’évidence d’un parcours de la reconnaissance qui aurait valeur de strict jeu d’emboîtement. Non que ce parcours soit indisponible, comme le souligne Ricœur, mais il ne peut consister de toute évidence dans l’alignement de la figure narrative de la reconnaissance sur la figure pratique. S’il y a bien une narration de soi dans la lutte pratique pour la reconnaissance de soi comme sujet d’un ensemble particulier d’actions, il faut reconnaître que cette reconnaissance narrative de soi garde une valeur seulement pratique dans la demande de reconnaissance adressée par un sujet et n’accède en aucun cas à une valeur narrative indépendante. Car la reconnaissance de soi opérée dans un récit de soi ne peut se manifester que de l’intérieur d’une forme de méconnaissance qui provient non seulement du caractère indisponible de nos vies au moment de leur émergence mais aussi de leur entortillement (et les deux sont liés) aux vies des autres tel que tout récit séparateur serait un récit confondant. Contre un tel récit, la reconnaissance s’avère indisponible, et cette indisponibilité fait fond sur une conscience de soi toujours chez les autres, incapable de séparer ce qui relève de soi et des autres.
17L’enquête hégélienne qui avait inauguré l’émergence moderne de la reconnaissance se réouvre d’une manière inédite. Pour autant, une telle réouverture ne signifie pas qu’il faille en rester à la dialectique de la maîtrise et de la servitude. À en rester à cette dialectique, comme c’est le cas avec Axel Honneth ou chez les théoriciens de la critique sociale inspirés de Honneth, une politique de la libération fondée sur la coconstruction de l’identité de « soi » et de celle d’autrui tend à être accréditée, elle-même rapportée à une vie psychique entièrement compréhensible dans la relation soi-autrui. La réouverture de l’enquête hégélienne, lorsque la reconnaissance est saisie dans les limites de la méconnaissance, implique de reconduire ladite dialectique à la section qui, dans la Phénoménologie de l’esprit de Hegel, lui est afférente, à savoir « liberté de la conscience de soi ; stoïcisme, scepticisme et conscience malheureuse ». C’est ce déplacement qu’entend opérer Judith Butler dans le chapitre I de La vie psychique du pouvoir. « Dans la Phénoménologie de l’esprit, note-t-elle, la transition entre [ces] deux sections [...] compte parmi les développements de Hegel les moins étudiés. La raison en est peut-être que le chapitre sur la maîtrise et la servitude a constitué l’assise de multiples théories de la libération et visions politiques progressistes et que, de ce fait, la plupart des lecteurs ont négligé la résolution de la liberté en autoasservissement à la fin de ce même chapitre21. » Un tel déplacement n’annule pas la portée politique de la libération en jeu dans la lutte pratique pour la reconnaissance mais entend souligner combien cette lutte pratique ne peut se constituer qu’à l’occasion d’un enroulement mortifère de la conscience de « soi » aux formes du pouvoir dont elle s’efforce de se déprendre et qu’elle ne peut qu’incorporer à son corps défendant au point de perdre sa forme intérieure et de s’accomplir ainsi au sens fort du terme en une vie psychique de la servitude de soi, celle-là même signalée par l’avènement de la conscience malheureuse chez Hegel. Partout où la lutte pratique pour la reconnaissance se développe, ce ne peut être qu’au prix d’une méconnaissance de la conscience de soi dans la visée narrative qui accompagne cette reconnaissance.
18Cette méconnaissance est interprétée dans le parcours même de Hegel tel qu’il est repris par Butler. Si le dispositif initial est bien celui de la substitution du valet au maître dans le travail de production des objets, il reste que l’autonomie du valet à l’égard du maître est voilée tant la signature que le valet appose sur les objets qu’il produit est dissimulée par la signature du maître22. Si la signature du valet marque la possibilité d’une contestation de la propriété du maître, l’effacement de la signature qui est produit lorsque l’objet est transmis au maître induit en revanche un parcours psychique nouveau dans lequel la reconnaissance de « soi » du valet s’obtient au prix de l’effacement de sa signature par celle du maître. La reconnaissance « narrative » de soi se trouve alors liée à la « perte de sa signature propre23 ». Ceci revient à dire que celle-ci ne se trouve pas portée par la lutte pratique pour la reconnaissance mais se manifeste à rebours de celle-ci, dans la peur de la perte de tout contrôle sur soi-même. Plus la reconnaissance pratique opère en direction de l’appropriation des objets et plus la reconnaissance narrative de soi est obérée dans la méconnaissance qui résulte d’une part des empiètements entre les vies psychiques en jeu dans la lutte pour la reconnaissance, d’autre part des incorporations des formes de la domination que la vie psychique du dominé intégrera nécessairement, produisant alors un double circuit de la conscience malheureuse, dont saura attester le parcours hégélien du stoïcisme au scepticisme et à la conscience malheureuse, et qu’amplifieront par ailleurs sous des formes différentes, selon Butler, Nietzsche, Freud et Foucault. Le valet ne peut se reconnaître en effet que pour autant que son être s’est déposé dans ce qu’il a fabriqué et qu’il a apposé sa signature sur ce dépôt sans toutefois que sa signature garantisse sa propriété et par extension vienne sceller la possibilité d’une propriété de « soi » claire et univoque. Tout au contraire, la reconnaissance de soi est scellée par l’expropriation de « soi » qui résulte de l’effacement de sa signature. De telle sorte que c’est bien dans la peur de la disparition de « soi » « accomplie par un autre24 » que se reconnaît le « soi » du valet, lequel, comme le signale Judith Butler, est alors « au bord de la reconnaissance bouleversante de sa propre mort » et ne peut plus, de ce fait, que reculer « devant la reconnaissance de sa mort, préférant s’attacher à divers attributs, adoptant une posture de suffisance ou d’obstination, s’accrochant à ce qui semble solide chez lui, s’accrochant fermement à lui-même25 ». Le valet ne peut prendre la place du maître qu’à la condition de devenir maître de lui-même, mais cette maîtrise de soi, loin d’annuler la servitude du valet, la redéploie dans la sphère psychique. Car la réflexivité qui est gagnée par la maîtrise de soi-même ne s’accomplit que grâce à l’attachement obstiné à « soi » qui provient de la peur de la mort, dont le résultat est l’assujettissement de soi à des normes éthiques qui n’annulent pas la peur mais la reconstituent en peur de la loi. Le parcours qui va du stoïcisme à la conscience malheureuse, en passant par le scepticisme, ne fait qu’internaliser l’autoasservissement à une loi intérieure sous la forme d’une punition de soi par soi de plus en plus exacerbée.
19Il ne faut cependant pas s’y tromper et refermer cette dernière séquence sur elle-même. Car l’enroulement du « soi » à une loi purement intérieure d’où découlera l’effectivité de la maîtrise stoïcienne de « soi » ne prend sens qu’à la condition de rouvrir la production des normes éthiques internes à leur origine qui est la peur de la mort, c’est-à-dire précisément la peur de la disparition de « soi » engendrée par le recouvrement de la signature du valet par celle du propriétaire. D’où il résulte que c’est bien l’emprise du propriétaire sur le valet qui est l’origine de l’enroulement de « soi » à l’axe de la loi intérieure. En ce sens, la loi intérieure (le maître intérieur) du valet n’est telle que par déficit radical de toute posture d’intériorité valant pour elle-même, déployant à partir de son seul fonds sa propre normativité. Le valet ne devient maître de soi que pour autant qu’il a alors toujours déjà perdu son « soi ». Ce qui est alors révélé en plein régime d’autonomie apparent, c’est l’hétéronomie radicale produite par la lutte à mort du maître et du valet. Dans une telle lutte, la vie psychique est tellement marquée par la vie psychique de l’autre que la reconnaissance narrative de « soi » ne peut être vouée, à même la lutte pratique pour la reconnaissance, qu’à la conscience malheureuse car elle tend à se déployer en pleine méconnaissance des conditions d’émergence de la reconnaissance narrative de « soi ».
20Sur cette relation inédite quoique fondamentale entre reconnaissance et méconnaissance s’ouvre incontestablement une nouvelle lecture de la modernité dont le point de départ peut remonter également à Hegel. Si, sur le premier versant de la modernité, Axel Honneth s’est employé à faire jouer à Hegel la partition d’une politique de la libération normée par l’exigence de justice au prix d’une simplification des parcours identitaires mis en jeu dans les différentes luttes pour la reconnaissance, sur le second versant de la modernité, Judith Butler a voulu rappeler, au prix d’une torsion du texte hégélien, combien cette politique de la libération, nécessaire par ailleurs, ne peut se faire qu’au prix d’un trouble dans le « soi », désormais privé de toute identité et de toute intériorité, assujetti psychiquement (et donc aussi dans la narration de soi) aux formes de l’hégémonie contestée. Que la reconnaissance pratique de « soi » donne lieu à une méconnaissance narrative de « soi » signale non que la catégorie de reconnaissance doive être abandonnée mais qu’elle ne saurait se prévaloir d’une évidence qu’elle n’a au fond jamais vraiment eue. Mais après tout, c’est peut-être cela, rendre justice à Hegel.
Notes de bas de page
1 J. Butler, « Le désir de reconnaissance », dans Défaire le genre, trad. M. Cervulle, Paris, Éditions Amsterdam, 2006, p. 174.
2 C. Taylor, Le malaise de la modernité, trad. C. Melançon, Paris, Cerf, 1992, p. 51-63 ; Id., Multiculturalisme, trad. D.-A. Canal, Paris, Flammarion, 1994.
3 P. Ricœur, Le parcours de la reconnaissance, Paris, Gallimard, 2004, p. 13.
4 Ibid., première étude, chapitre II.
5 A. Honneth, La réification, trad. S. Haber, Paris, Gallimard, 2007, p. 59.
6 Ibid., p. 61.
7 A. Honneth, La lutte pour la reconnaissance, trad. P. Rusch, Paris, Cerf, 2000, p. 91.
8 Voir sur ce point le chapitre VI de La lutte pour la reconnaissance, « Identité personnelle et mépris. Les atteintes à l’intégrité physique, juridique et morale de la personne humaine », op. cit., p. 161-170.
9 Voir à ce sujet le chapitre IV de La réification, « La réification comme oubli de la reconnaissance», op. cit., p. 71-88.
10 J.-L. Nancy, Hegel : l’inquiétude du négatif, Paris, Hachette, 1997, p. 96.
11 P. Ricœur, Le parcours de la reconnaissance, op. cit., p. 163-170.
12 Ibid., p. 35.
13 Sur la distinction identité idem et identité ipse, voir P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
14 J. Butler, Le récit de soi, trad. B. Ambroise et V. Aucouturier, Paris, PUF, 2007, p. 8.
15 Ibid., p. 20.
16 Ibid.
17 Ibid., p. 170-171.
18 Cf. J. Butler, Le récit de soi, op. cit., p. 24 : « Les normes qui me permettent de reconnaître l’autre, mais également moi-même, n’appartiennent pas qu’à moi ; elles fonctionnent dans la mesure où elles sont sociales, excédant tous les échanges dyadiques quelles conditionnent. »
19 Ibid., p. 20-21.
20 Ibid., p. 37.
21 J. Butler, La vie psychique du pouvoir, Paris, Léo Scheer, 2002, p. 63-64.
22 « Le valet signe en quelque sorte pour le maître, en tant que signataire délégué, substitut du maître » (ibid., p. 72).
23 Ibid., p. 73.
24 Ibid., p. 75.
25 Ibid., p. 77.
Auteur
Professeur de philosophie à l’université Michel-de-Montaigne Bordeaux 3 et membre du comité de rédaction des revues Esprit et Le Passant ordinaire. Spécialiste de philosophie française contemporaine, il s’intéresse en particulier aux rapports de la normalité et de la précarité dans les domaines médical, social et politique. Auteur de nombreux articles, il a publié les ouvrages suivants : Canguilhem et les normes (Paris, PUF, 1998) ; La vie humaine (Paris, PUF, 2002) ; Les maladies de l’homme normal (Paris, Éditions du Passant, 2004) ; L’esprit des sciences humaines (Paris, Vrin, 2005) ; La pensée Foucault (Paris, Ellipses, 2006) ; Vies ordinaires, vies précaires (Paris, Seuil, 2007).
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