Conclusion
p. 215-218
Texte intégral
1Pour conclure parlons d’histoire et de prospective à la RATP.
2Édith Heurgon, qui dirige actuellement la mission Prospective et devait parler, est en déplacement et vous demande de bien vouloir l’excuser de ne pouvoir être ici avec vous.
3Tout d’abord, un peu d’histoire, pour retracer brièvement les liens entre la prospective à la RATP et la démarche historique, prise dans son sens le plus large, puisque qu’il n’y a pas conflit, dans cette assemblée, entre histoire, ethnologie et archives. Cela a commencé par un travail, intitulé Analyse socio-historique de la RATP, qui s’est déroulé de 1984 à 1986 environ, dans le cadre du projet de recherche Réseau 2000, lancé fin 1982 et précurseur de la mission Prospective. Déjà à l’époque, Noëlle Gérôme et Michel Margairaz avaient travaillé sur le sujet. La Régie avait manifesté beaucoup de scepticisme sur l’utilité d’une telle démarche, qualifiée par certains, au plus haut niveau de l’entreprise, de « danseuse de la RATP ».
4Ont suivi l’exposition Floréal et le travail sur les délégués de ligne pour Noëlle Gérôme, le livre sur l’histoire de la RATP sorti en 1989, fondé sur les travaux effectués précédemment dans le cadre de l’analyse socio-historique de la RATP, pour Michel Margairaz.
5La mission Prospective, les chercheurs, Édith Heurgon ont milité pour la création d’une entité en charge des archives de l’entreprise et tenue par un homme de l’art. Ce fut réalisé en 1991, à l’occasion de la réorganisation, liée à l’arrivée de Christian Blanc, avec la création de l’unité « Mémoire de l’entreprise - Information documentaire », dirigée tout d’abord par Henri Zuber puis, à ce jour, par Catherine Mérot.
6Les liens se sont, à ce moment, quelque peu distendus, puisqu’un interlocuteur naturel était apparu dans l’entreprise. Les multiples travaux exposés pendant ces deux jours, suscités par l’unité de Henri Zuber puis de Catherine Mérot, illustrent et concrétisent la montée en puissance de cette unité. Puis, il y a eu la réalisation de la Maison de la RATP, avec la perspective de la création d’un musée, en liaison forte avec les archives au sens le plus large, malheureusement avortée faute de moyens.
7Aujourd’hui, se déroule le travail sur L’Histoire des décisions publiques en matière d’aménagement urbain et de transports en Île-de-France depuis la fin du xixe siècle jusqu’à nos jours, piloté par l’AHICF1, lancé par la mission Prospective et réalisé par Dominique Larroque, Michel Margairaz, Nicolas Neiertz et Pierre Zembri. Il faut mentionner la collaboration constante de l’entreprise et de la mission Prospective avec l’AHICF depuis sa création. Sans oublier, durant toutes ces années, l’utilisation de l’histoire, stimulée au départ par la prospective et ayant vite acquis son autonomie, pour de nombreuses actions de formation interne, et en particulier la participation fréquente de Michel Margairaz à de telles actions.
8Cela montre qu’entre l’histoire et la prospective à la RATP, il s’est déroulé quinze ans de vie commune, différente d’un lien ponctuel et de circonstance. On peut dire que la prospective a joué un rôle de pionnier dans la prise en compte systématique et argumentée de cette discipline. La justification de l’intérêt porté à l’histoire par la prospective mentionnait en 1984 l’aide à la décision par une bonne articulation du passé, du présent et du futur, par une prise en compte de la durée et une conscience claire de l’importance de savoir, si des évolutions envisagées sont en rupture ou dans le sens des tendances lourdes de l’entreprise. Mais également, la valorisation de l’entreprise, sans esprit de censure ou même de maîtrise excessive des travaux effectués, mais en montrant que la RATP possède une histoire propre qui donne spécificité et valeur. Sans oublier la référence à la culture d’entreprise, l’identité commune, comme une base, un socle sur lequel s’appuyer et aller de l’avant et enfin, les liens entre le monde de l’entreprise et celui de la recherche et des universités. De plus, compte tenu des lacunes constatées, était explicitement réclamée la constitution d’un fonds d’archives historiques...
9Actuellement, sans renier ce qui était affiché à cette époque et qui était peut-être un peu directif, naïf ou illusoire, la façon d’appréhender les choses a évolué. On se place dans le cadre de la prospective telle que définie dans le rapport de 1998 du Conseil économique et social, Prospective, débat, décision publique, dont le rapporteur était J.-P. Bailly, président directeur général de la RATP. A une prospective, fondée principalement sur l’extrapolation de tendances, située en amont de la décision, élaborée entre spécialistes et chargée d’éclairer les seuls décideurs, doit se substituer une démarche qui vise à déterminer des avenirs souhaitables auxquels adhèrent largement les acteurs concernés. La prospective doit alors être exercée de manière continue et interactive, intervenir comme apport de connaissances, gestionnaire d’incertitudes et stimuler un processus d’intelligence collective permanent à tous les niveaux : conception, débat, appropriation, choix, mise en œuvre, ajustement, évaluation..., et faciliter ainsi le passage de la réflexion à l’action et de l’action à la réflexion.
10On perçoit aisément que l’histoire, parmi d’autres disciplines productrices de connaissance, trouve pleinement sa place au sein d’une démarche prospective, entendue comme un processus permanent qui permet selon le rapport du Conseil économique et social « un débat public constant et ouvert, transparent, indépendant et diversifié, qui fasse apparaître clairement des hypothèses et des choix évaluables, contrôlables, réfutables, qui organise une confrontation des idées par des échanges ouverts et progresse vers une compréhension aussi partagée que possible des problèmes d’avenir et de leurs solutions souhaitables ».
11Il semble que l’originalité, la spécificité de la démarche historique, se trouvent dans la prise en compte de la durée, du temps long, et dans l’atténuation de la domination du court terme pour analyser les phénomènes, les évolutions, lesquels sont, dans notre cas, ceux de l’entreprise RATP et de son environnement urbain, de la région Île-de-France ainsi que les liens entre les deux. Cette prise en compte tempère les jugements tranchés, les affirmations simplificatrices. Elle rend plus difficiles la manipulation, les propos démagogiques. Elle s’intéresse à tous les domaines, économique, politique, technologique et social. Elle alimente pleinement le débat public. Elle permet de relativiser : tramway, métro ou bus ? Organisation centralisée ou décentralisée de l’entreprise ? Entreprises privées, régimes de concession ou entreprises publiques ? Croissance extensive ou intensive ? Transport en commun ou voiture particulière ? Communauté de travail ou organisation plus rationnelle ?... Au-delà des phénomènes de mode, l’histoire recentre les évolutions et les alternances que, bien souvent, on a oubliées ou que l’on veut oublier.
12La démarche historique n’est pas exempte de dangers : risque de la complaisance, excès de compréhension, stimulation de la nostalgie, du repli sur soi, réécriture a posteriori des événements. L’histoire comme frein à l’évolution tout autant que comme aide et stimulus au changement. Elle peut aussi conduire à perdre en capacité d’action. La conscience de la complexité, bien réelle, peut être paralysante.
13Il faut garder présent à l’esprit tant les qualités que les aléas de la démarche historique et faire en sorte de les corriger au mieux, sans angélisme. « Ils », ce sont les chercheurs, mais aussi l’entreprise qui ouvre ses archives. Il y a une déontologie à respecter de part et d’autre et une présentation claire des objectifs à atteindre. Cela représente, en tout état de cause, un matériau, un apport de connaissance, offert à qui veut bien l’utiliser.
14Ce colloque a été l’occasion de faire le point sur les travaux de nature historique en cours dans l’entreprise. Ils sont nombreux et variés et, semble-t-il, dans une dynamique bien lancée, une vitesse de croisière qui augure favorablement de l’avenir. Je voudrais en profiter pour remercier les divers intervenants pour leurs présentations compétentes, diversifiées et toujours intéressantes.
15Pour conclure, un constat : les recherches historiques sont manifestement engagées dans un processus de long terme. Ce qui est naturel, puisque existent simultanément des chercheurs et une entreprise organisée pour les accueillir - non pour faire plaisir même si cet aspect pourrait être légitime - mais parce qu’elle en ressent le besoin, l’utilité. Les pistes de travail sont issues aussi bien des préoccupations et des compétences des chercheurs que des possibilités des archives ou des interrogations de l’entreprise, et ce colloque a montré combien elles étaient nombreuses.
16Pour l’avenir, on ne peut que souhaiter plus d’ampleur, plus de coopération, plus de valorisation, colloques, publications, expositions. Le centenaire de l’entreprise peut être l’occasion de stimuler les travaux. Et si l’on regarde quinze ans en arrière, compte tenu des progrès réalisés, on peut être raisonnablement optimiste pour la suite.
Notes de bas de page
1 Association pour l’histoire des chemins de fer en France, 19, rue d’Amsterdam, 75008 Paris.
Auteur
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