Lister l’espace, listes et espace
p. 433-449
Texte intégral
comment décrire ?
comment raconter ?
comment regarder ?
[…]
Au début, on ne peut qu’essayer
de nommer les choses, une
à une, platement,
les énumérer, les dénombrer
de la manière la plus
banale possible,
de la manière la plus précise
possible,
en essayant de ne rien
oublier
Georges Perec (avec la coll. de Robert Bober),
Récits d’Ellis Island, Paris, 1980, rééd. 1994, p. 37-41.
1Si les listes constituent une représentation du monde, un inventaire du monde même, comme le suggère Georges Perec1, il est logique et prévisible, quelle que soit l’ampleur de l’horizon qu’elles embrassent, de l’œkoumène à la simple maison, que la dimension spatiale soit « toujours-déjà » présente dans leur confection, a fortiori dans une société qui, comme la société médiévale, recourt peu à la carte ou au dessin. À ce titre, deux éléments méritent d’être explicités en préalable aux conclusions que l’on pourra ensuite proposer. En premier lieu, il existe à l’évidence une grande variété de degrés dans la prise en compte ou la prise en charge de l’espace par la liste : a) l’espace est parfois, mais finalement assez rarement l’objet même de la liste : c’est le cas notamment dans les descriptions du monde ou de ses parties ; b) l’espace peut parfois constituer le ou l’un des principes ordonnateurs de la liste, que cet ordre renvoie à des logiques d’itinéraires, à des logiques d’enchaînement ou d’emboîtement de circonscriptions, à un mode de classement d’objets divers (les composantes d’un patrimoine, une succession de droits, le recensement de personnes…) ; c) enfin, l’espace n’est parfois présent qu’à l’arrière-plan ou de manière implicite dans la liste et c’est alors le regard de l’historien qui tente de le mettre au jour. C’est l’ensemble de cette gradation de situations qu’il convient d’envisager. En second lieu, dans la plupart des listes, l’espace entretient un rapport étroit avec le temps et la mémoire au point qu’il est la plupart du temps impossible et même vain de chercher à dissocier les deux dimensions : comme on a pu le constater à plusieurs reprises et comme il faut le redire, toute liste est à la fois et simultanément travail sur le temps et travail sur l’espace, histoire et géographie, mémoire et topographie.
2Une fois ces préalables posés, que retenir au-delà du foisonnement des études de cas ? Pour le saisir et inviter à prolonger l’enquête, je n’examinerai pas les dossiers particuliers à la lumière du rigoureux questionnaire programmatique destiné à orienter leur traitement proposé par les organisateurs de cette rencontre, mais je déclinerai, au moyen d’une petite liste – comment faire autrement ? –, les six problèmes transversaux qui ont régulièrement jailli des échanges, pour tenter d’approcher les enjeux de la spatialité des listes aussi bien dans leur fabrique que dans leurs fonctions et leurs usages. Pour plus de clarté, j’envisagerai ces problèmes à travers une série d’alternatives ou de distinctions : restitution ou production de l’espace par la liste ? autonomie ou dépendance des enjeux spatiaux des listes ? clôture ou ouverture de l’espace des listes ? liste-mémoire ou liste-projet (l’orientation temporelle de la spatialité des listes) ? connaissance ou gouvernement (la finalité des espaces des listes) ? œuvre consensuelle ou instrument polémique (la dimension agonistique des listes) ? Pour autant, la tension entre les deux termes de ces alternatives ne doit jamais être exagérée : il ne s’agit pas d’opposer des options de manière binaire (une liste, c’est ceci ou c’est cela, cela fait ceci ou cela), mais plutôt d’envisager le spectre des combinaisons, des associations ou des complémentarités que la plupart des listes mettent en œuvre (une liste, c’est ceci mais c’est aussi cela, cela fait ceci et cela) lorsqu’il s’agit d’espace.
Restitution ou production (de l’espace par la liste)
3On peut commencer par distinguer les listes qui se présentent comme des restitutions, des enregistrements ou des transcriptions d’un espace (à la fois lexique et organisation) antérieur et extérieur (des realia, la « réalité » du monde) et les listes dont on peut percevoir d’emblée qu’elles entendent produire un nouvel espace (fabrique d’un nouveau lexique et d’une nouvelle organisation, projetés sur la réalité du monde). Dit autrement en empruntant les jolies formules de Georges Perec, peut-on distinguer des listes qui seraient du côté de « l’espace inventaire » et d’autres de celui de « l’espace inventé »2 ? Cette distinction pose la question de l’efficacité des listes, voire de la dimension performative de la liste, de leur capacité à rendre compte de la « réalité » ou à remodeler celle-ci au service d’un projet, d’un pouvoir ou d’une institution.
4Cette question se pose toutefois à deux niveaux, même si ceux-ci sont souvent entremêlés. Un premier niveau décrit et interroge l’usage pratique ou technique de la liste dans l’exercice du pouvoir (par les seigneurs, les magistrats urbains, l’institution ecclésiale en ses multiples facettes, des établissements monastiques à la papauté théocratique) – je reviendrai sur cet aspect dans le point 5. Un second niveau, plus complexe, envisage la production par la liste d’une représentation et d’une organisation nouvelle ou spécifique de l’espace, qui finit par s’imposer aux acteurs sociaux. Cette imposition peut elle-même revêtir des formes très variées. Elle peut entraîner la diffusion d’un lexique, à l’image du passage de la nomenclature des « métropoles » et des « cités » à la nomenclature des « archevêchés » et des « suffragants » dans les listes pontificales du XIIe siècle, qui contribue à renforcer la hiérarchisation spatiale et administrative de l’institution ecclésiale ; ou à l’image de la promotion du terme episcopatus (avant diocesis) dans les listes de confirmation des biens monastiques, qui consacre la cléricalisation de l’espace – episcopatus remplace pagus – et renforce la territorialisation de la juridiction épiscopale3. L’effet d’imposition peut concerner la hiérarchie des lieux, en mettant en avant certains lieux hégémoniques ou polarisants selon des critères propres à chaque liste et son contexte. Après avoir envisagé une classification par diocèses, sur le mode des bulles de confirmation pontificales (ce dont témoigne la préface du cartulaire), le Liber instrumentorum memorialis ou cartulaire des Guilhem de Montpellier, achevé en 1203, adopte un classement résolument profane et aristocratique qui met en valeur la place centrale de la ville de Montpellier puis décrit l’essentiel de la seigneurie rurale à travers la succession d’une série de castra qui agglomèrent l’ensemble des biens et droits seigneuriaux4. De même est-ce le château (Burgsinn ou la résidence de Büchold) qui polarise le territoire seigneurial dans les listes suscitées par le partage patrimonial des Thüngen, en Franconie, vers 1445-1449. De même sont-ce les portes, les tours et les « bistorres » ponctuant l’enceinte de la ville, qui charpentent les deux listes de la « Commune clôture de Montpellier » confectionnées en 1264 et 1269 et font de ces documents, au-delà de leur raison première (l’inventaire du patrimoine de l’institution en charge de l’entretien des murailles), une évocation de la limite monumentale de la vie civique et politique de la communauté urbaine5. De même encore sont-ce les églises (qui en revanche font l’objet d’une figuration parce que sacrées) et les manses/maisons (qui n’ont généralement pas droit au privilège du symbole iconique parce que profanes) qui structurent l’espace monastique dans les inventaires figurés des abbayes alsaciennes de Marmoutier et Sindelsberg au milieu du XIIe siècle6. L’effet d’imposition peut également porter sur des parcours – des itinéraires mentaux qui peuvent renvoyer à des itinéraires réels ou pas, comme la liste-itinéraire de l’inventaire-plan de Marmoutier, qui marque les limites de ce que les documents du XIIe siècle appellent la Moresmarcha, la Marche de Marmoutier7 – ou sur une géographie administrative – des circonscriptions nouvelles que l’on crée, comme dans le diocèse d’Arezzo au milieu du XIe siècle par exemple8. Polarisation et itinéraires peuvent d’ailleurs aller de pair, comme le montre de manière remarquable, de nouveau, le cas des espaces des inventaires-plans de Marmoutier et Sindeslberg, qui dessinent une « mappa possessionum conçue pour une lecture “ambulatoire” » qui « incite le lecteur-spectateur à imiter, de manière corporelle et spirituelle, les circumambulations administratives ou rituelles – processions, visitations, prises de possession – destinées à délimiter, gérer et sacraliser le territoire monastique » (U. Kleine).
5Dans les deux cas de figure (usage pratique ou technique de la liste ou bien imposition par la liste d’une représentation), la liste peut donc être l’instrument d’un mode spécifique d’exercice du pouvoir sur l’espace, qu’il s’agisse d’un mode « féodal » (un espace discontinu polarisé par des lieux) ou d’un mode « souverain » (un espace territorialisé défini comme étendue)9 ou d’une combinaison des deux lorsque, par exemple, le réseau castral finit par structurer le territoire d’une principauté divisée en châtellenies10.
Autonomie ou dépendance (des enjeux spatiaux des listes)
6La liste fonctionne-t-elle de manière autonome, avec ses logiques propres, à la fois sur le plan de son énonciation et sur le plan de ses énoncés, ou bien est-elle dépendante d’autres phénomènes scripturaires ou socioculturels ? À la lumière des contributions rassemblées dans ce volume, il apparaît qu’une liste est presque toujours étroitement liée à une série de phénomènes ou de processus qui lui sont extérieurs et antérieurs.
7Tout d’abord, une liste dépend fréquemment d’autres listes qui la précèdent. Les listes se prêtent particulièrement aux remplois, complets ou partiels, respectueux ou réagencés, d’où la fréquence des listes composites ou des listes palimpsestes. Au milieu du XIIe siècle, l’inventaire-censier de Marmoutier reprend ainsi des éléments d’au moins trois listes antérieures : une liste de possessions de la fin du IXe siècle, une énumération semblable issue d’un censier du Xe siècle, des extraits d’un registre des lieux et revenus donnés à l’abbaye par l’évêque de Metz Étienne vers 112511. En 1371, le Liber divisonis, qui vise à régler les conflits de juridiction entre courtisans et citoyens d’Avignon, classe ses données de manière spatiale entre les sept paroisses de la ville à partir probablement de plusieurs documents préparatoires produits lors des jours successifs de l’enquête préalable12.
8Certaines listes apparaissent comme particulièrement pourvoyeuses de matières à remplois, à l’image du registre des prisonniers du Châtelet de Paris au XVe siècle, véritable « générateur de listes » dérivées13. Il en va de même, à une autre échelle, pour la table du Liber censuum ordonnant les provinces et diocèses de la chrétienté latine, confectionnée en 1192 par le camérier pontifical Cencius, lequel serait, selon V. Theis, le véritable inventeur du Provincial romain du XIIIe siècle14. Les remplois ont des finalités pratiques – des listes ou des fragments de listes antérieurs peuvent conserver une utilité – ou idéologiques – il s’agit de s’approprier d’anciens usages ou d’anciennes conceptions de l’espace pour se placer dans leur sillage : ainsi en est-il des constellations de noms et de types d’espaces attestés dès 1050 dans des contextes diplomatiques ecclésiastiques au sein desquels ils participaient à l’élaboration d’un espace sacré de la chrétienté, qui sont repris dans les chansons de geste portées à l’écrit à partir du début du XIIe siècle où ils témoignent d’une inflexion « laïque » de la territorialisation du sacré15. Comme le suggère cet exemple, ces remplois s’accompagnent bien souvent de travestissements ou de réorientations significatifs. C’est aussi le cas, par exemple, pour les listes des provinciaux pontificaux des XIIe-XIIIe siècles, qui, tout en s’inscrivant dans la tradition des listes de l’ancien Empire romain (la Notice des Gaules notamment), procèdent en réalité, en particulier la liste de Cencius, à une profonde réorganisation de leur structure spatiale, qui se manifeste aussi bien dans le choix des niveaux territoriaux emboîtés dessinant la géographie ecclésiastique de la chrétienté latine (royaumes ou entités géopolitiques/provinces ecclésiastiques/diocèses) que dans l’ordre de succession de ces ensembles au sein de la liste selon une logique d’itinéraire mental conduisant de Rome (siège de la papauté et centre de la chrétienté latine) à la Terre sainte (origine historique et horizon eschatologique de cette même chrétienté)16. De tels procédés expliquent que l’espace des listes relève généralement à la fois de logiques de fossilisation et de logiques d’actualisation, comme le montrent de manière exemplaire le travail de Gervais de Tilbury sur le Laterculus de Polemius Silvius et le Provincial romain dans les Otia imperalia, au début du XIIIe siècle, ou celui d’Albert le Grand sur la Cosmographia du Pseudo-Aethicus dans le De natura loci, au milieu du même siècle17.
9Une liste dépend aussi souvent de savoirs implicites partagés qui nous échappent et peuvent en rendre difficile la compréhension, comme l’attestent le cas des listes des « îles » de Montpellier (des subdivisions des quartiers ou sixains, qui associent de simples citoyens à des monuments) dans les compoix réalisés à partir de la fin du XIVe siècle ou celui de la liste des cens de la seigneurie de Büchold, en Franconie, vers 1475, dont le mode d’identification des tenures et l’ordre interne d’énumération résistent à l’interprétation – à moins de supposer, comme le fait judicieusement J. Morsel, que les listes ont été établies chez le seigneur, à un moment où les dépendants sont venus porter leurs redevances18.
10Une liste dépend encore de son contexte d’énonciation (sa place dans le manuscrit, ses dispositifs graphiques spécifiques…), des impératifs de genre ou des logiques topiques de production du texte. La poétique de la liste dans le genre épique, qui repose notamment sur la répétition – M. Jeay parle de « poétique de la récurrence19 » –, structure la forme des listes tout en produisant ses propres effets (par exemple dessiner un espace de la guerre à travers l’énumération de villes conquises ou à conquérir), tout comme la topique scolaire des descriptions du monde hérités de l’époque tardo-antique modèle les listes des traités de géographie jusqu’au XIVe siècle tout en perpétuant le souvenir idéalisé de la domination romaine20.
11Une liste dépend enfin de son association et de sa complémentarité avec d’autres dispositifs d’appréhension, de description ou de production de l’espace, en particulier les dessins, les cartes et les représentations figurées, à l’image des représentations du monde de la tradition cosmographique (les diagrammes cartographiques) ou des inventaires-censiers des patrimoines des abbayes de Marmoutier et Sindelsberg21. Ces combinaisons expliquent la genèse et la forme de certaines listes, mais elles répondent aussi à des usages, par exemple en contexte scolaire pour les diagrammes cartographiques ou en contexte de gestion seigneuriale pour les images-listes monastiques, en favorisant les mécanismes cognitifs d’ordonnancement et de mémorisation du réel, en l’occurrence de données spatialisées. Une liste peut également être combinée avec d’autres procédés textuels de production de l’espace : dans les diplômes impériaux des Xe-XIe siècles ou dans les bulles pontificales du XIIe siècle qui décrivent un diocèse, la liste des circonscriptions subalternes ou des lieux de culte ou des biens et droits de l’évêque est souvent complétée par une description des confins au moyen d’un itinéraire mental – qui lui-même peut prendre la forme d’une liste de loci ou d’un cheminement appuyé sur la topographie, l’hydrographie ou le réseau viaire. Cette combinaison, qui reflète différentes manières de cerner ou de définir l’espace du diocèse, permet de rendre compte de multiples niveaux de spatialité : l’espace de la juridiction ecclésiastique, l’espace de l’administration pastorale, l’espace de la seigneurie épiscopale, l’espace des droits publics22…
Clôture ou ouverture (de l’espace des listes)
12Quel est l’horizon spatial de la liste ? Certaines listes circonscrivent un objet spatialisé de la manière la plus exhaustive possible : on peut alors parler d’une liste close parce qu’elle décrit ou suggère un espace lui-même clos ou fini. C’est par exemple le cas des listes de biens et de droits réalisées en 1405 et 1449 à l’occasion d’une vente ou d’un partage concernant le lignage des Thüngen qui se présentent comme des « énumérations totalisantes » exhaustives et définitives23. Les inventaires-plans de Marmoutier et Sindelsberg, en jouant notamment sur un système d’encadrements emboîtés, pensent et figurent l’espace monastique comme un espace clos, aussi bien dans l’espace que dans l’histoire24.
13D’autres listes ouvrent, au contraire, une énumération potentiellement infinie. Cet accroissement potentiel de la liste peut se réaliser de manière variée. Il peut d’abord se produire par allongement ou prolongation de la liste. Le fait est fréquent pour les listes relevant des documents de gestion, à l’image des registres d’écrou du Châtelet de Paris au XVe siècle25. Mais il n’est pas réservé à ce type de contexte et d’usage et l’on peut, par exemple, évoquer l’effet « ouvroir de liste potentielle » des noms héroïques « têtes de liste » dans la littérature épique26. L’accroissement d’une liste peut également s’opérer par subdivisions et enrichissement interne de la liste. C’est le cas par excellence avec les nécrologes et obituaires, enrichis, farcis pourrait-on dire, par le cours du temps, l’accumulation des noms des défunts et la piété funéraire des parentés bien sûr, mais également par la diversification des formes d’annotations mises en œuvre par les institutions bénéficiaires, par exemple l’identification du type de commémoration (prières, messes anniversaires, chapellenies…) ou la description de la fondation (notamment, dans les obituaires, la nature de la rente et l’identité de ceux qui doivent l’assurer). L’inclusion d’éléments comptables peut, par ailleurs, transformer la finalité même de la liste et plus globalement du document qui, tout en demeurant un livre liturgique, devient également un registre administratif ou gestionnaire, manipulé par divers membres de l’institution ecclésiastique en fonction d’usages différents s’inscrivant dans des temporalités multiples (le temps quotidien de la gestion, le temps éternel de la célébration)27. Dans d’autres genres documentaires, certains dispositifs graphiques spécifiques anticipent l’enrichissement de la liste en permettant son accroissement interne sans surcharge excessive (du moins durant un temps), notamment en laissant des folios vierges entre les rubriques, comme c’est le cas pour le Liber censuum ou certains censiers seigneuriaux28.
14Cette alternative entre liste close et liste ouverte renvoie à des finalités différentes de la liste. La logique de clôture de la liste correspond à une logique de circonscription de l’espace, à une volonté de saisie complète du monde que l’on considère, et in fine à la maîtrise de la liste par son producteur – on est plutôt du côté d’un discours d’imposition. La logique d’ouverture de la liste correspond, à l’inverse, à une logique de non-limitation de l’espace. Elle reflète l’intention d’engager une interaction avec le récepteur-destinataire de la liste et facilite son appropriation (dans le présent ou dans le futur) par ceux qui sont appelés à compléter la liste.
Liste-mémoire ou liste-projet (l’orientation temporelle de la spatialité des listes)
15La liste peut refléter un état donné, figé, hérité de l’espace, dont elle entend conserver la trace ou le souvenir, voire le commémorer, que cet état soit réel, inventé – certaines listes peuvent vouloir produire un effet d’historicité, comme la fameuse Division de Wamba29 – ou un peu des deux. La liste s’entend alors comme un texte mémoriel, comme le conservatoire de lieux de mémoire ou d’un ordonnancement spatial posthume. C’est par exemple le cas des nombreux catalogues épiscopaux du haut Moyen Âge qui se présentent comme la perpétuation de la Notice des Gaules et inscrivent ainsi l’Église médiévale dans la continuité immédiate de l’Empire romain disparu. À une tout autre échelle, le plan de Sindelsberg, réalisé au milieu du XIIe siècle, entend présenter une synthèse de l’état des possessions de l’abbaye une génération après sa fondation sous l’égide de Marmoutier (qui remonte à 1115)30. De même les listes de biens et de droits de 1445 et 1447 ont pour objectif de garder mémoire des partages successoraux des Thüngen, de départager les seigneurs de manière à garantir les possessions de chacun, de distinguer les biens et les lieux et non d’inventorier un patrimoine, encore moins d’en fournir une cartographie mentale31.
16Mais la liste peut également projeter un état souhaité, regretté ou désiré de l’espace, qu’elle entend restaurer, promouvoir ou imposer, ne serait-ce que symboliquement. L’inventaire-plan de Marmoutier, réalisé au milieu du XIIe siècle, constitue un bel exemple de représentation idéelle de l’espace, en l’occurrence l’espace seigneurial de l’abbaye, avec en son cœur la « Marche de Marmoutier », qui est à la fois soigneusement délimitée par une liste de lieux en forme d’itinéraire mental englobant les possessions monastiques représentées sous la forme de seize bâtiments, et valorisée par l’emploi pour ces derniers de signes iconiques surdimensionnés ordonnés autour d’une miniature centrale. Le décalage considérable entre cet inventaire (qui recense pour la Marche cent quatre-vingt-dix-sept manses) et la réalité de l’emprise seigneuriale de Marmoutier à l’époque (une dizaine de manses) dit assez le sens de l’entreprise : restaurer le dominium de l’abbaye sur la Marche tout en conférant à cet espace seigneurial une dimension sacrée32. Dans le même ordre d’idées un bon nombre des catalogues épiscopaux qui, entre IXe et XIIe siècle se revendiquent de la liste traditionnelle de la Notice des Gaules, procèdent en réalité à de sérieuses retouches à des fins de légitimation (par l’autorité de l’antique) de réaménagements de la géographie ecclésiastique intervenus bien après, voire de revendications contemporaines.
17En réalité, la plupart des listes se trouvent à l’articulation des deux, la mémoire et le projet, car la tradition doit être à la fois revendiquée et transformée ou inventée. C’est ce que reflètent les listes épiques des XIIe-XIIIe siècles qui combinent des effets de tradition (le référent carolingien) et leur transformation profonde (la promotion d’un espace méditerranéen qui prend sens au regard des croisades en Espagne et au Proche-Orient)33. C’est ce que démontre aussi, de façon plus exemplaire encore, la liste des possessions de l’abbaye de Stavelot inscrite sur le retable de saint Remacle offert par Wibald à son abbaye vers 1150. Celle-ci remplit un triple but : célébrer la bonne gestion de l’abbé en associant l’économie matérielle à l’économie spirituelle – la liste est intégrée au meuble liturgique sur lequel est célébrée la transsubstantiation eucharistique et déposée la châsse qui recèle les reliques du saint fondateur ; étendre la protection du saint à l’ensemble du patrimoine abbatial ; imposer une nouvelle lecture (une legenda pourrait-on dire) du diplôme fondateur attribué au roi Sigebert vers 643-647/8 en favorisant l’assimilation de l’espace de la donation primitive (un cercle de 12 milles de diamètre au sein de la forêt d’Ardenne) aux soixante-trois toponymes de la liste34. La liste précipite ici, comme le ferait un révélateur chimique, différents registres temporels (le temps légendaire de la fondation, le temps présent de l’œuvre de Wibald) et spatiaux (l’autel et le reliquaire du sanctuaire abbatial, le cercle forestier du VIIe siècle, le patrimoine du XIIe siècle), pour servir le projet d’un dominium monastique à la fois mémoriel et territorial.
Connaissance ou gouvernement (finalité des espaces des listes)
18La finalité des enjeux spatiaux de la liste ressort-elle d’abord ou surtout d’une connaissance du monde (ordre du savoir) ou de son gouvernement (ordre du pouvoir) ? Dans le domaine de la géographie savante, la tradition scolaire et lettrée perpétue, par la liste ou par l’image, les « textes-listes » (N. Bouloux) des cosmographies tardo-antiques qui relèvent avant tout d’une connaissance du monde35.
19En revanche, d’autres listes produites par les institutions à des fins seigneuriales, juridictionnelles, fiscales ou communicationnelles constituent, comme bon nombre des écrits pragmatiques qui se multiplient à partir des XIIe-XIIIe siècles, des instruments de l’exercice pratique du pouvoir. Dès les IXe-XIIe siècles, les censiers constituent sans doute le cas exemplaire de ces listes qui non seulement reflètent mais actualisent la domination seigneuriale à des fins de gestion rationnelle des tenures et des dépendants autour d’un triple objectif bien mis en lumière par L. Kuchenbuch : dénombrer, classer, totaliser36. L’inventaire-plan de Sindelsberg, au milieu du XIIe siècle, se situe dans cette postérité : « il ne propose pas une synthèse artificielle et anachronique comme celui de Marmoutier, mais une supputation contemporaine, tenue à jour pendant un certain temps et apparemment utilisée et présentée de façon régulière » (U. Kleine). Derrière cette volonté des institutions de dresser l’inventaire des hommes et des choses, se décèle donc souvent un usage de l’espace, voire une aspiration à le modeler pour mieux gouverner. C’est la raison pour laquelle ces listes sont souvent les plus vivantes, faisant l’objet de reconfigurations, de mises à jour et de corrections variées, en fonction des aléas de l’exercice administratif du pouvoir, à l’image des listes du Provincial romain au cours des XIIIe et XIVe siècles, ou, à plus petite échelle, des listes d’écrou du Châtelet de Paris au XVe siècle37. Elles apparaissent également comme des instruments de nivellement, d’uniformisation, d’homogénéisation de l’espace dominé par la liste, ce dont témoigne, par exemple, la liste des établissements placés sous le ius sancti Petri dans le Liber censuum, qui se retrouvent de facto assimilés en 1192 au sein d’une même catégorie de dépendance juridique et seigneuriale à l’égard du Siège romain alors qu’ils relevaient jusque-là d’histoires et de statuts fort divers38. Au même titre que l’absence de solution de continuité spatiale dans la succession des grands ensembles territoriaux au sein de la liste, qui donne à voir une autorité s’exerçant sur toute l’étendue de l’espace embrassé par la liste, sans laisser aucun espace interstitiel, cette assimilation participe à l’affirmation du projet théocratique d’une domination pontificale centralisée et territorialisée.
Expression d’un consensus ou instrument polémique (les enjeux agonistiques des listes)
20Les systèmes de listes (leur économie interne, leur finalité) ne sont pas toujours liés à des moments ou à des contextes socio-institutionnels aspirant à stabiliser ou à pacifier un état du monde. Ils peuvent aussi être le fruit de contextes conflictuels et revêtir une véritable dimension agonistique. C’est le cas, par exemple, de nombreuses listes patrimoniales qui se présentent comme des inventaires neutres, refroidis, d’un domaine ou d’une seigneurie, mais qui intègrent souvent des biens contestés ou même des biens qui ont fait partie, à un moment, du patrimoine d’une institution, mais ne le font plus : la liste constitue alors une forme de revendication, comme on le voit dans le cas de l’abbaye de Marmoutier. C’est aussi le cas des listes des schismes confectionnées à partir de l’extrême fin du XIVe siècle, qui non seulement contribuent à définir rétrospectivement, à travers un important travail de mémoire orientée, « l’espace-temps de la chrétienté romaine » face aux Grecs, mais aussi reflètent, par les écarts ou les retouches qui les caractérisent, les espaces affrontés des différentes obédiences dans le contexte du Grand Schisme (1378-1417)39.
21La charge polémique d’une liste peut être plus implicite. Si l’on compare les listes des premières chansons de geste et celles des chroniques latines contemporaines (la chronique du Pseudo-Turpin ou les Gesta Karoli Magni ad Carcassonam et Narbonam), la tension est sous-jacente entre, d’une part, les listes de lieux saints fondés (ou restaurés) par Charlemagne dans les chroniques latines, où l’empereur et les laïcs ne sont que les instruments ou les auxiliaires d’une sacralisation de l’espace contrôlée par les clercs (eux-mêmes très présents dans des listes d’ecclésiastiques), et d’autre part les listes de gentilés (noms de peuples ou de communautés), d’anthroponymes (les fidèles du roi ou du prince) et de lieux saints (définis comme tels parce que des reliques y sont conservées) des chansons de geste, d’où les clercs sont absents. Ces dernières « mettent en contact les noms des centres du pouvoir laïc [des cités et des palais], des fidélités laïques, des identités aristocratiques ancrées dans l’espace [bon nombre d’anthroponymes sont pourvus de surnoms toponymiques], et des reliques » (É. Andrieu) et dessinent un espace qui demeure profondément chrétien mais qui est largement décléricalisé. Une semblable tension existe entre les listes des chansons de geste, qui dessinent un espace sacré élargi, propre à l’aristocratie laïque, et l’espace sacré produit par les clercs dans les documents diplomatiques brassant la matière de ces mêmes chansons, à l’image du faux diplôme attribué à Charlemagne forgé à l’abbaye de Saint-Yrieix vers 1090, qui privilégie un espace resserré sur une institution et son patrimoine40.
22C’est une tension du même ordre que révèlent les différences entre les listes des royaumes, provinces et diocèses de la chrétienté latine réalisées par Cencius pour le pape (dans le Liber censuum) ou par Gervais de Tilbury pour l’empereur (dans les Otia imperalia) au tournant des XIIe et XIIIe siècles41. Si Cencius et Gervais produisent deux listes qui prétendent chacune dessiner la forme d’un nouvel imperium, celui de l’Église romaine, tout en le situant dans la postérité lointaine du défunt Empire romain, le premier entend fournir à l’institution pontificale un outil administratif au service de la théocratie, quand le second délivre à son dédicataire (l’empereur Otton de Brünswick) un discours moralisant sur la fragilité des assises territoriales des pouvoirs souverains – ce qui suffit à expliquer les différences entre les deux listes42.
Un ultime exemple à valeur de test : les listes d’églises des quatre premières gesta des Actus pontificum Cenomanis
23Les six alternatives évoquées jusqu’à présent structurent en réalité simultanément la plupart des listes. Un ultime exemple, différent mais complémentaire de tous ceux envisagés dans l’ouvrage, devrait permettre d’en prendre la mesure et de reparcourir d’un autre pied ce petit itinéraire analytique.
24Lorsque l’on reprend dans les années 860-870, dans l’entourage de l’évêque du Mans Robert (859-878), la rédaction des gestes épiscopales de la cité (les Actus pontificum Cenomanis) commencées sous l’épiscopat d’Aldric (832-857), les rédacteurs ajoutent au début de la « généalogie épiscopale » quatre nouvelles figures : Julien, Turibe, Pavace et Liboire, dont l’existence (très largement légendaire) fait désormais remonter aux temps apostoliques et au pontificat de Clément (92-99) les origines du siège du Mans43. Or chacune de ces notices biographiques contient en son sein, à titre de pièce justificative, une liste d’églises : les églises censées avoir été fondées par les quatre premiers évêques, dont le titulus est à chaque fois suivi de la redevance recognitive (un cens épiscopal) que chacune d’elles doit verser à la cathédrale une fois l’an. À la dimension historique du récit biographique de chaque épiscopat, la liste vient ajouter la dimension géographique de la juridiction épiscopale à l’horizon du diocèse. Examinons donc ces quatre listes à la lumière de nos six alternatives.
25Ces listes ne font-elles que rendre compte de cet espace épiscopal ou le produisent-elles ? À l’évidence, elles prétendent ne faire que restituer la géographie ecclésiastique du diocèse du Mans tel que les quatre premiers évêques l’auraient constitué par leur apostolat aux temps héroïques d’une christianisation remontant aux Ier-IIe siècles. Maintenant, que l’on considère que ces listes remontent en réalité à l’époque mérovingienne – c’est la thèse d’A. Longnon et M. Weidemann44 – ou que l’on pense qu’elles soient plus tardives – du début du VIIIe siècle (c’est la thèse vers laquelle incline l’équipe de traduction des Actus que je coordonne) ou du IXe siècle seulement (c’est la thèse de W. Goffart)45 –, leur confection et plus encore leur insertion dans les notices rédigées dans les années 860-870 procèdent de facto à la production d’un espace juridictionnel – celui des évêques de la fin du IXe siècle – qu’aucune autre source conservée ne permet de saisir avec autant d’envergure et de souci d’exhaustivité.
26Ces listes ont-elles été élaborées sui generis ou bien reprennent-elles des listes ou des fragments de listes antérieurs ? Même si des débats existent sur la datation de ces listes et sur la nature de leur forme d’origine – M. Weidemann est convaincue qu’il s’agit dès le départ de quatre listes rédigées successivement et reconstitue sur cette base le processus de christianisation des campagnes de l’évêché du Mans aux VIe et VIIe siècles, quand je suis plus enclin à y voir une liste unique, remontant au plus tôt au tournant des VIIe et VIIIe siècles et qui aurait été découpée et réagencée tardivement en quatre séries pour coïncider avec les quatre nouvelles notices épiscopales rédigées dans les années 860-870 –, il semble assuré qu’il s’agit du remploi d’une ou de plusieurs listes antérieures, puisées dans les archives de la cathédrale, dont on sait qu’elles firent l’objet d’investigations croissantes (et peut-être même d’une entreprise de réorganisation) à partir de l’extrême fin du VIIIe siècle, amplifiées sous l’épiscopat d’Aldric.
27Ces listes se présentent-elles comme définitives, closes, ou comme des séries ouvertes, potentiellement augmentables ? À cela nous pouvons répondre de manière plus affirmative : quand bien même la liste est déployée en quatre volets, mis bout à bout ces quatre volets prétendent donner à voir le tissu complet des églises paroissiales et des ermitages ou monastères existants et placés sous l’autorité de l’évêque du Mans dès les Ier-IIe siècles. Ces listes constituent ainsi le socle sur lequel peuvent s’appuyer tous les évêques postérieurs, lesquels ne font plus dès lors que resserrer la trame du tissu en fondant ici ou là quelques nouveaux sanctuaires. De fait, aucune autre notice épiscopale des Actus pontificum ne contient de document équivalent. Leurs pièces justificatives, lorsqu’elles en contiennent, sont toutes liées à des opérations ou à des dossiers particuliers, à l’exception des diplômes carolingiens de confirmation dus à Charlemagne ou Louis le Pieux, mais ceux-ci concernent les biens du siège épiscopal et non le tissu ecclésial du diocèse.
28Ces listes ont-elles pour objet de faire mémoire d’une réalité passée ou dessinent-elles en filigrane un projet épiscopal et/ou canonial ? À vrai dire, cela n’aurait guère de sens de distinguer l’un de l’autre. Il s’agit bien sûr d’un mémorial, ou dit autrement d’une mémoire inventée, celle des premiers temps de la christianisation du Maine et de l’unification des deux anciennes civitates romaines des Cénomans et des Diablintes (dont le chef-lieu était Jublains) au sein du diocèse du Mans. Mais il s’agit aussi de s’appuyer sur cette mémoire pour faire reconnaître l’autorité juridictionnelle des évêques du Mans sur tout l’espace couvert par la distribution de ces églises et notamment sur des établissements monastiques, parfois issus d’anciens ermitages, parfois issus de fondations aristocratiques, qui pouvaient chercher à s’y soustraire, à l’image de l’abbaye de Saint-Calais engagée dans un conflit très dur avec l’évêque à partir, au plus tard, de 855.
29L’objet de ces listes est-il de mettre à la disposition de l’évêque et des chanoines du Mans une connaissance de la fabrique du diocèse et de son étendue, à travers l’emprise sur les lieux de culte, ou bien de leur fournir un état des lieux, voire un instrument d’administration ou de gestion du diocèse – rappelons qu’il s’agit aussi de listes de cens épiscopaux ? Répondre à cette question est plus délicat que pour les précédentes. À première vue, il s’agit plutôt d’une source de connaissance et de mémoire car ces listes ne semblent pas avoir eu d’usage pratique. L’unité de compte utilisée pour la stipulation des cens n’a d’ailleurs pas été systématiquement mise à jour. Pour autant, ces listes nivellent et homogénéisent le statut des loca sancta du diocèse sous l’autorité de l’évêque, ce qui figure bien au cœur de l’action et du gouvernement des évêques du IXe siècle. De plus, elles semblent implicitement articulées avec les diplômes de confirmation (eux-mêmes largement interpolés) de Charlemagne et Louis le Pieux, qui contiennent des listes complémentaires de biens et droits épiscopaux et sont produits parallèlement à la rédaction des Actus pontificum et conservés dans les archives de la cathédrale.
30Ces listes font-elles œuvre de paix, participent-elles à la fabrique d’un consensus ou bien laissent-elles deviner des tensions ou des conflits ? Leur dimension polémique sous-jacente est évidente. C’est le conflit de juridiction avec l’abbaye Saint-Calais et plus largement les enjeux d’autorité liés à l’exemption des communautés monastiques qui constituent l’une des causae scribendi des Actus pontificum et plus particulièrement de cette exposition de l’emprise épiscopale sur les loca sancta du diocèse que mettent en scène les listes. Sur le plan de la mémoire et de l’histoire, elles constituent un monumentum textuel qui, même dépourvu de valeur juridique, vient conférer un horizon d’autorité et une plus vaste envergure spatiale au dossier monté par l’évêque Robert et son entourage en vue du procès contre les moines de Saint-Calais au plaid de Verberie en 863. Une nouvelle fois il semble difficile et assez vain de dissocier l’espace et le temps dans la mécanique des listes.
31Là réside sans doute le principal enseignement de cette enquête sur listes et espace. On a depuis longtemps souligné combien, de manière significative, l’usage médiéval de spatium renvoyait d’abord à un laps de temps, une durée, et combien le lexique de ce que nous appelons l’espace se déployait plus volontiers dans le domaine de la mesure (qui peut aussi être affaire de temps), de la limite, du voyage ou de l’itinéraire. La grammaire des listes ici explorée à travers une multitude de configurations et de contextes différents conduit dans la même direction, qui entrelace intimement l’espace et le temps, que ce temps auquel nous renvoie l’espace appartienne au passé, au présent ou à l’avenir, ou qu’il entremêle plusieurs temporalités, qu’il relève à nos yeux d’une expérience, d’une pratique sociale ou d’une projection imaginaire – puisque la liste, même lorsqu’elle s’invite dans l’image, est toujours à lire, puisque la liste est aussi légende. À ce titre encore, la liste est bien une représentation du monde.
Notes de bas de page
1G. Perec, Espèces d’espace, Paris, Galilée, 1974.
2Ibid., p. 21.
3F. Mazel, L’évêque et le territoire. L’invention médiévale de l’espace (Ve-XIIIe siècle), Paris, Seuil, 2016, p. 290-295, 361-362.
4Voir la contribution de P. Chastang dans ce volume.
5Voir les contributions de J. Morsel et de P. Chastang dans ce volume.
6Voir la contribution de U. Kleine dans ce volume.
7Ibid.
8F. Mazel, L’évêque et le territoire, op. cit., p. 310.
9Sur cette tension dans l’Église, voir ibid., p. 368-370 ; et dans l’histoire communale, voir la contribution de P. Chastang dans ce volume.
10Voir les diverses contributions du volume G. Castelnuovo, O. Mattéoni (dir.), De part et d’autre des Alpes. Les châtelains des princes à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006.
11Voir la contribution d’U. Kleine dans ce volume.
12Voir la contribution de P. Chastang dans ce volume.
13Voir la contribution de J. Claustre dans ce volume.
14Voir la contribution de V. Theis, dont la démonstration inverse la lecture d’une longue tradition historiographique (de P. Fabre et L. Duchesne, éditeurs du Liber censuum, jusqu’aux travaux récents de F. Delivré et moi-même) qui ne voit dans l’œuvre de Cencius que la reprise d’une liste légèrement antérieure perdue.
15Voir la contribution d’E. Andrieu dans ce volume.
16Voir la contribution de V. Theis dans ce volume, et F. Mazel, L’évêque et le territoire, op. cit., p. 360-363.
17Voir la contribution de N. Bouloux dans ce volume.
18Voir les contributions de P. Chastang et J. Morsel dans ce volume.
19M. Jeay, Le commerce des mots. L’usage des listes dans la littérature médiévale (XIIe-XVe siècle), Genève, Droz, 2006.
20Voir les contributions d’É. Andrieu et N. Bouloux dans ce volume.
21Voir les contributions de N. Bouloux et U. Kleine dans ce volume.
22F. Mazel, L’évêque et le territoire, op. cit., p. 274-285.
23Voir la contribution de J. Morsel dans ce volume.
24Voir la contribution de U. Kleine dans ce volume.
25Voir la contribution de J. Claustre dans ce volume.
26Voir la contribution d’É. Andrieu dans ce volume.
27Voir la contribution dans ce volume d’A. Chiama.
28F. Mazel, L’évêque et le territoire, op. cit., p. 362.
29P. Henriet, « L’espace et le temps hispaniques vus et construits par les clercs (IXe-XIIIe siècle) », Annexes des Cahiers de linguistique et de civilisation hispaniques médiévales, 15, 2003, p. 81-127 ; Id., « Territoires, espaces symboliques et “frontières naturelles”. Remarques sur la carte diocésaine hispanique du XIIe siècle », dans F. Mazel (dir.), L’espace du diocèse. Genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval (Ve-XIIIe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 287-307.
30Voir la contribution d’U. Kleine dans ce volume.
31Voir la contribution de J. Morsel dans ce volume.
32Voir la contribution d’U. Kleine dans ce volume.
33Voir la contribution d’É. Andrieu dans ce volume.
34Voir la contribution d’U. Kleine dans ce volume.
35Voir la contribution de N. Bouloux dans ce volume.
36L. Kuchenbuch, « Teilen, Aufzählen, Summieren. Zum Verfahren in ausgewählten Güterverzeichnissen des 9. Jahrhunderts », dans U. Schaefer (dir.), Schriftlichkeit im frühen Mittelalter, Tübingen, G. Narr, 1993, p. 181-206 ; Id., « Ordnungsverhalten im grundherrschaftlichen Schriftgut vom 9. bis zum 12. Jahrhundert », dans J. Fried (dir.), Dialektik und Rhetorik im früheren und hohen Mittelalter. Rezeption, Überlieferung und gesellschaftliche Wirkung antiker Gelehrsamkeit vornehmlich im 9. und 12. Jahrhundert, Munich, Oldenbourg, 1997, p. 175-268 ; Id., « Pragmatische Rechenhaftigkeit ? Kerbhölzer in Bild, Gestalt und Schrift », Frühmittelalterliche Studien, 36, 2002, p. 469-490.
37Voir la contribution de J. Claustre dans ce volume.
38Voir la contribution de V. Theis dans ce volume.
39Voir la contribution de F. Delivré dans ce volume.
40Voir la contribution d’É. Andrieu dans ce volume.
41Voir les analyses pour partie divergentes de V. Theis et N. Bouloux dans ce volume.
42À ce titre, je ne partage pas les conclusions de l’analyse de V. Theis au sujet de la liste des Otia imperalia (et de sa totale indépendance supposée d’avec la liste de Cencius) : sans même se référer aux affirmations de Gervais lui-même (celui-ci déclare s’être inspiré d’un « registre de l’Église romaine » trouvé « dans les archives du seigneur pape », qu’il est en réalité impossible d’identifier de manière sûre), les nombreux écarts entre sa liste et celle de Cencius (jusqu’au traitement singulier des îles britanniques) sont moins à considérer comme les indices d’une absence d’influence ou de relation formelle entre les deux textes qu’à envisager à la lumière du projet propre de Gervais et de l’usage fondamentalement différent attribué à son texte.
43F. Mazel, L’évêque et le territoire, op. cit., p. 139-143, avec renvoi à l’ensemble des références, sources et bibliographie. Sur la liste intégrée dans les gesta de Julien, voir également Id., « Les Gestes du seigneur Julien, premier évêque de la ville, ou le récit fondateur des origines du siège épiscopal du Mans (Actus pontificum, BHL 4543) », dans F. Mazel (dir.), La fabrique d’une légende. Vie et culte de saint Julien du Mans (Ve-XIIIe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021, p. 21-40.
44A. Longnon, Pouillés de la province de Tours, Paris, Imprimerie nationale, 1903, p. XV-XVII ; M. Weidemann, « Bischoffherrschaft und Königtum in Neustrien vom 7. bis zum 9. Jahrhundert », dans H. Atsma (dir.), La Neustrie. Les pays au nord de la Loire de 650 à 850, Sigmaringen, Thorbecke, 1989, p. 161-193.
45W. Goffart, The Le Mans Forgeries : A Chapter from the History of Church Property in the 9th Century, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1966.
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