Lieux de pouvoir, lieux de mémoire
Modes et fonctions de la mise en image des listes de propriété monastique (XIIe au XIVe siècle)
p. 249-291
Texte intégral
1Les documents sur lesquels je voudrais attirer l’attention dans les pages qui suivent sont des figurations élaborées, de taille et d’apparences exceptionnelles, qui représentent un monastère et ses possessions. Il s’agit d’inventaires de biens monastiques sous forme d’images témoignant des conditions matérielles et spirituelles dans lesquelles les communautés monastiques se forgeaient une idée de leur territoire, singulièrement des rapports entre le site monastique et sa périphérie rurale1.
2Ces figurations sont apparentées aux censiers et aux cartulaires avec lesquels ils sont pour le reste souvent transmis2. Ils se présentent comme des relevés précis des recettes et des dépenses : ils contiennent en effet des estimations sur le nombre des serfs ou tenanciers, sur leurs services, sur l’ensemble des domaines et sur la quantité des produits agricoles à la disposition des moines et des moniales, constituant ainsi un moyen puissant de maîtriser l’espace et de contrôler les hommes et les biens. Il s’agit donc d’un type de documentation qui rassemble des données répétitives, ce qui permet de le qualifier de « liste ». Par « liste » on entendra ici une série d’éléments uniformes (noms, signes, nombres, syntagmes), écrits de manière linéaire ou arrangés, de façon systématique, en colonnes ou tables. Ces listes servent à classer des personnes, des objets, des lieux ou des phénomènes selon un ordre défini.
3Les documents analysés dans cette étude sont de provenance, d’apparence et de date diverses. Il s’agit d’une série de listes figurées du milieu du XIIe siècle, dont trois proviennent du monastère bénédictin de Marmoutier, en Alsace, et de sa dépendance Sindelsberg ; une quatrième liste, insérée dans un retable, émane de l’abbaye de Stavelot. Le dernier exemple, nettement postérieur, est une figuration provenant du monastère cistercien de Zwettl en Basse-Autriche ; elle se trouve insérée dans un manuscrit de nature composite (cartulaire-chronique-censier) datant du début du XIVe siècle. Ce document tardif permet de mieux saisir les particularités des documents du XIIe siècle, tout en témoignant des évolutions postérieures3.
4Les inventaires figurés explorés ici furent longtemps négligés par les historiens, sans doute parce qu’on leur accordait moins de valeur qu’aux documents écrits ou parce qu’on se limitait à en tirer des données strictement économiques sans s’intéresser à leurs éléments figuratifs et à leur valeur symbolique. Mais, depuis une dizaine d’années, des chercheurs – en nombre toujours assez restreint – ont commencé à focaliser leur attention sur la mise en image des documents « pragmatiques » et à s’intéresser davantage aux éléments iconiques qui accompagnent, de façon plus ou moins ostensible, les censiers, chroniques, cartulaires et chartes, mais aussi les portes, retables ou autres pièces de mobilier liturgique. Ces éléments fournissent un complément important à la tradition écrite en tant qu’ils mettent en rapport les représentations mentales et les pratiques de la gestion du patrimoine foncier4.
5Avant d’aborder nos exemples, quelques remarques préliminaires s’imposent. Bien que les listes soient un phénomène fréquent, il n’existe pas, au moins aux époques envisagées ici, un équivalent à notre terme moderne. Les mots employés – descriptio, breve, notitia, registrum – renvoient, de façon très générale, au processus de mise par écrit d’un document de nature administrative, souvent issu d’une enquête sur place ou d’une inspection de documents existants. On se sert de la chose, mais on n’y réfléchit pas.
6Grâce aux travaux de L. Kuchenbuch sur les inventaires de biens aux IXe-XIe siècles, on est en mesure de mieux comprendre les formes, les logiques, les intentions et la genèse de cette forme de notation. À l’encontre des hypothèses avancées par le romaniste P. Koch, L. Kuchenbuch a démontré, à partir des censiers du haut Moyen Âge, que ces listes ne sont pas des notations « premières » et pour ainsi dire « primitives » qui marqueraient la transition de l’oralité à l’écriture5, mais des formes élaborées qui combinent écriture (latine) et chiffre (romain)6. L. Kuchenbuch présente les inventaires comme le résultat d’une mise par écrit à plusieurs étapes, commençant par une première notation dressée au cours d’une enquête sur place, où domine le principe de la narration et du simple dénombrement (1 – 2 – 3) et aboutissant à une présentation écrite ordonnée. La mise par écrit (qui est simultanément une mise en latin) et la mise en page sont accompagnées de multiples glissements de forme et de sens. Le principe chronologique du récit oral qui se déploie dans le temps est remplacé par un ordre spatial dans la mesure où le savoir rassemblé est étalé sur une feuille de parchemin.
7Pour la mise en liste, les répétitions, étoffements et redondances du récit original sont éliminés, et les éléments du savoir ainsi révisés sont ordonnés selon des catégories déduites de la qualité des informations acquises afin de produire des items généralisés et hiérarchisés, transformés en syntagmes standardisés (latins) et recopiés sur un nouveau support (une feuille de parchemin, en général), disposés de manière linéaire ou verticalement, c’est-à-dire en colonnes7. La descriptio est donc en réalité une rescriptio, une réécriture basée sur les principes de la réduction, de l’abstraction, du rangement et de la spatialisation du savoir.
8Dénombrer, classer, totaliser, telles sont selon L. Kuchenbuch les démarches nécessaires à la production de ce type de listes. L’existence de cet outillage mental est observable dès le IXe siècle, époque d’une première réception de la dialectique aristotélicienne (logica vetus) et du savoir quadrivial transmis par les écrits de Boèce8. Les listes de biens, instruments indispensables d’une « comptabilité pragmatique » (pragmatische Rechenhaftigkeit)9, témoignent d’une rationalité économique inspirée par le savoir philosophique et mathématique des meilleures écoles monastiques de ce temps10.
9Les recherches de L. Kuchenbuch ont démontré que les formes et la rationalité de ce type de listes n’ont pas fondamentalement changé entre le IXe et le XIIe siècle11. Les évolutions observables pendant cette période portent plutôt sur la nature des phénomènes enregistrés : elles concernent les mutations au niveau de l’organisation du prélèvement seigneurial plutôt que les changements au niveau de leur mise par écrit. On observe ainsi une précision accrue quant à la description des loci, une cohérence remarquable quant à l’usage de termes classificateurs et une conscience croissante quant à la distinction des temporalités (rapport passé/présent). Les inventaires des XIe et XIIe siècles sont des documents « à plusieurs couches », caractérisés par un graphisme plus clair et distinct. Sur la base d’une série d’inventaires figurés, longtemps négligés par les historiens, je voudrais poursuivre cette recherche afin de mieux comprendre la nature de ces changements. Ces documents constituent, en effet, des œuvres composites ; ils comprennent des éléments scripturaires, géométriques et figuraux, rassemblés de façon à former des « systèmes iconiques » (Bildsysteme) complexes de caractère narratif, systématique ou diagrammatique12. En tant que tels, les inventaires figurés se situent dans le contexte général d’essor des images et d’épanouissement du monde visuel observable à partir du dernier quart du XIe siècle13. En même temps, ils sont liés aux développements propres à la « culture de l’écrit » (Schriftkultur) observables dès la même époque. Ces changements concernent le domaine des usages pratiques14 ainsi que les techniques de mise en page conçues pour rendre plus claires et efficaces les pratiques de notation15.
10Au niveau formel, chaque liste, écrite ou figurée, relève du phénomène de l’iconicité dans la mesure où elle se sert de moyens idéographiques – disposition des éléments écrits, jeu des espaces vides, usage de signes spéciaux. Pour saisir de manière adéquate cette double nature, il convient d’adopter une distinction proposée par la linguiste et philosophe S. Krämer, entre « iconicité notationnelle » qui comprend toutes les formes de l’idéographie, et « iconicité figurative », notion réservée à la représentation proprement mimétique16. Il s’agit, selon S. Krämer, de « phénomènes de surface » (Oberflächenphänomene) conçus pour cartographier des textes ou des pensées en établissant un rapport immédiat entre la surface de la page et les espaces imaginaires de la perception et la mémoire humaine. Le diagramme est la forme courante de ce type d’images composites « à dessein totalisant » (B. Buettner) qui adoptent une organisation visuelle à la fois systématique, hiérarchique et épistémique, permettant ainsi des abstractions complexes au niveau spatial, temporel et numérique17. C’est dans cette perspective que je voudrais analyser les exemples présentés ici.
L’inventaire-censier de Marmoutier
11Mon point de départ est un document provenant de l’abbaye bénédictine de Marmoutier en Alsace et que son éditeur, C.-É. Perrin, qualifiait de « censier »18. Confectionné sous l’abbatiat de Meinhard (1132-1146), il représente un inventaire des biens et des revenus sous forme d’une large feuille de parchemin (750 sur 670 mm) divisée en trois colonnes par des bandes rubriquées à décoration florale et liées par des demi-cercles (fig. 1). Le document amalgame, comme l’indiquent les titres rubriqués en tête de chacune des trois colonnes, les données de plusieurs registres plus anciens. Il s’agit, selon les titres :
- d’une liste de possessions transmise par une carta, sans doute une feuille de parchemin, datant selon C.-É. Perrin de la fin du IXe siècle : Haec carta antiquitus est in Aquileia Maurimonasterio facta (colonne de gauche) ;
- d’une énumération similaire, provenant d’un censier du Xe siècle : Iura atque servicia antiquitus instituta beato Martino ad Aquileiam monasterium servientia (colonne du centre) ;
- d’un registre des lieux et des revenus « concédés » à l’abbaye par l’évêque Étienne de Metz, seigneur temporel, vers 1125 : Haec loca et particulae elemosinarum vestra clementia concessa sunt monachis (colonne de droite).
12Pour éclairer la logique formelle qui régit ces listes, je présenterai d’abord des extraits significatifs. L’énumération suivante se trouve au début du document (en haut de la colonne gauche) :
Ista sunt villae quae vocantur Moresmarcha·
Ad Leobradivillam [Lochwiller] sunt mansa ·xxxii et dimidium· et istud faciunt servicium· Solvunt ·xv· denarios · quod ipsi dicunt hershilling · Pullos ·ii· ova ·xv· axiles ·c· axes ·xxx· Inter duo mansa angariam unam inter Maresallo [Marsal] et Argentinam · que dicitur Strazburg et ceterum servitium circa monasterium quidquid imperatur illis ·Sunt in ipsa villa mansa ·vii et dimidium· que cum caballis serviunt · Inter villam Ritanburc [Reutenbourg] et Signum Christi [Singrist] sunt mansa ·xxxv· et faciunt plenum servicium sicut superiores et sunt ibi sex mansa que cum caballis serviunt ·Inter Dumphelstal [Dimbsthal] et Salahendal [Salenthal] et Hemmingesburen [Hengwiller] sunt mansa ·xx· que faciunt plenum servicium. Sunt ibi ·vii· unde exit in censu uncię duę et dimidia · quinque quę cum caballis serviunt […].
13Les items sont des noms de lieux introduits par les prépositions ad, in ou inter, suivis par l’indication des manses en possession de l’abbaye et les services et cens qui leur sont liés. Les entrées sont disposées de manière linéaire, mais séparées par des initiales rubriquées, donc bien discernables. L’unité de prélèvement est le manse ; les manses sont classés selon leur valeur économique en mansa servilia et mansa ingenuilia. Leur nombre et leurs redevances (cens et services) sont notés ou en numéraux cardinaux (unam, duo/due, sex, dimidium, plenum) ou bien en chiffres romains. On a donc affaire au schéma ubi – quid – quantum qu’on rencontre couramment dans ce type de documents19. Dans l’exemple cité, on observe en outre l’usage systématique d’un quomodo qui porte sur la nature et la répartition des services de transport (angaria avec ou sans cheval). À la fin du premier paragraphe dénombrant les villae dans la Marche de Marmoutier, le rédacteur dresse un bilan en totalisant le nombre des manses, des cens monétaires (en livres) et même des services, ce qui suppose que et le mansus et le servitium sont pensés comme des quantités standardisées, assimilables et dénombrables : Inter ministeriales homines mansa sunt ·xiii· Sunt in summa mansa ingenuilia ·cxx· servilia ·xx· unde exeunt in censu libre ·viii et dimidia· quę aliud servitium faciunt ·xlv·.
14Mais, malgré la volonté de précision qui porte sur la localisation, ainsi que la qualification et la quantification des obligations, les principes de la totalisation des quantités de nature assez différente restent opaques. Cela vaut par exemple pour les cens dont la somme donnée à la fin ne correspond pas aux quantités spécifiées auparavant, pour les cens monétaires, ou qui sont dénombrés sans être totalisés, pour les cens en nature. Cela vaut également pour la taille ou l’équipement du manse comme unité productrice, ou pour la nature exacte de ce qui est nommé le « plein service » – mansa et servitia sont apparemment à la fois totalisables et divisibles, sans qu’on sache pourtant sur quelles bases exactes s’opèrent ces quantifications. Sans doute ces principes font-ils partie du savoir implicite, connu par tous mais rarement énoncé.
15Une deuxième observation porte sur l’aspect spatial : les manses sont identifiés par leur site et non pas par leur tenancier. L’unité spatiale est la villa, c’est-à-dire l’ensemble des habitations et des habitants d’un lieu dont le monastère ne possède qu’une partie. Dans le cas de notre censier, les villae sont regroupées selon leur position géographique, sans doute pour des raisons pratiques car, pour bien gérer le patrimoine foncier, les responsables devaient tenir compte de la distance entre le centre – l’abbaye – et sa périphérie, aussi bien que de la fertilité des terres, variable selon les régions, et qui déterminait les modes divers de leur mise en valeur.
16Pour systématiser la répartition géographique, le rédacteur choisit une subdivision en trois parties qui correspondent à trois zones distinctes :
- Au début sont énumérées les villae situées dans la Marche de Marmoutier [in Moresmarcha], une zone d’influence dont il sera encore question ;
- S’ensuivent les villae situées à l’extérieur de la Marche [pertinentia extra marcham ad ipsum monasterium in pago] ;
- À la fin se trouvent celles qui appartiennent au prieuré de Saint-Quirin dans les Vosges [De pago Saroense ad cellam Godelsadis ubi sanctus Quirinus requiescit].
17Cette tripartition de la propriété foncière s’avèrera significative car elle est observable dans tous les documents des deux abbayes voisines, Marmoutier et Sindelsberg.
18Un autre principe de dénombrement légèrement divergent est utilisé au dernier paragraphe du document, en bas de la colonne de droite. Il s’agit d’une liste des possessions, de nature et d’utilité variables, « concédées » aux moines par l’évêque de Metz. La première moitié des entrées concerne les revenus des manses en question qui sont partagés entre ministériaux (40 manses) et moines (157 manses), et dont les revenus sont totalisés en quantités monétaires (livres) et en quantités de vin (charretées), produisant une standardisation. Le deuxième paragraphe dénombre les cens quem ministeriales non suscipiunt, qui sont destinés à subvenir entièrement aux besoins des moines. Cette liste prend la forme d’un censier-calendrier où sont nommés, selon une formule stéréotypée, plus de vingt lieux avec les cens monétaires dont ils sont redevables et les dates des fêtes des saints auxquelles les prélèvements sont opérés (ad NN solvunt/dabunt XY denarii/uncie/solidi in festo sancti NN) :
Ad Dumphitere [Thal] ·xvi· den ex dominicatura. In cymiterio Tilleresmunester [Dillersmunster] ·vi· den · Ad Shepelingesheim [Schaeffolsheim] ·ii· uncie dabuntur in festo Sti Martini. Ad Phetenesheim [Pfettisheim] ·vi· sol in eodem festo. Item in festo Sti Johannis ·vi· Ad Ingenheim in festo Sti Martini sol ·i· Ad Lophenstein [Lupstein] ·ii· sol in eodem festo. Item ·vi· in festo Sti Auctoris […].
19Le schéma adopté ici suit la logique ubi – quantum – quando, qui met un accent particulier sur les quantités uniformisées et sur l’aspect temporel. Les cens, d’origine indéterminée et de quantité non négligeable, sont comptés en quantités monétaires (deniers, onces, livres d’argent frappé) et redevables à une date précise, ce qui permet de calculer un montant exact et de déterminer le moment auquel il sera à la disposition du monastère. La liste – probablement la partie la plus récente du document – témoigne donc de la volonté des moines d’estimer les rendements avec un maximum de précision. Quant à l’origine des cens, on est fort tenté de penser aux paiements annuels des cerocensuales, à moins qu’on n’ait affaire à des revenus de nature diverse et variable qui sont comptabilisés et réclamés sous forme de postes fixes. Les indications concernant leur provenance sont faibles : la dominicatura à Thal, le cimetière à Dillersmunster, l’hôtel de l’abbaye à Strasbourg, ainsi qu’une particula vinee à Reutenbourg. Il pourrait donc s’agir de taxes levées pour l’administration des sacrements ou d’autres services religieux comme l’enterrement, de produits de la vente au marché, recueillis par les responsables de l’hôtel à Strasbourg, ainsi que des productions agricoles ou viticoles de petite quantité.
20Mon premier exemple est donc une liste à la frontière entre liste écrite et liste figurée. Les éléments graphiques sont très réduits, mais la taille du document, ainsi que sa forme de présentation, prouvent la volonté des moines de visualiser les phénomènes et les actions pour ainsi dire profanes qui relèvent de ce qu’on a l’habitude d’appeler l’écriture et/ou la comptabilité pragmatique. Malgré sa taille et sa logique visuelle, l’inventaire de Meinhard rend compte des opérations intellectuelles qui sont au fondement de ce type de document. En inspectant des documents anciens et contemporains, en quantifiant et totalisant recettes et dépenses, droits revendiqués et réalités concrètes, l’abbé dresse un bilan. Mais le résultat de ses activités prend la forme d’un objet exposé ayant valeur de représentation davantage que d’un inventaire fiable des possessions. En tant que tel, il fait partie d’une série de documents exceptionnels, produits au même endroit – à Marmoutier et au couvent féminin dépendant de Sindelsberg – et dans le même temps, et qui méritent, de ce fait, d’être regardés ensemble.
21Avant de présenter les autres pièces, il convient de les replacer dans leur contexte historique. Le nom de l’abbé Meinhard, tout comme celui de ses prédécesseurs Richwin († 1123) et Adélon (1123-1131), est lié à un mouvement de renouveau spirituel et économique. Après un demi-siècle de dégradation économique liée à l’aliénation d’une bonne partie des possessions du monastère par l’évêque de Metz, son seigneur temporel, les abbés du XIIe siècle entreprirent de récupérer les terres monastiques et d’améliorer le système d’exploitation foncière20. En 1115, un couvent féminin fut établi à Sindelsberg, à deux kilomètres au nord-ouest de Marmoutier21. L’ampleur des initiatives de restauration est attestée par une vague de (re)constructions, parmi lesquelles il faut mentionner le nouveau massif occidental de l’abbatiale22, l’église du nouveau monastère féminin de Sindelsberg, consacrée en 1137, celle du prieuré de Saint-Quentin dans les Vosges ainsi qu’une chapelle dédiée à saint Laurent érigée dans l’enceinte monastique23. Pour les équiper spirituellement, Meinhard dota ses églises d’une série prestigieuse de reliques de la Passion qu’il avait acquises en Terre sainte24.
L’inventaire-plan de Marmoutier
22Le deuxième exemple, un inventaire contemporain de celui qu’on vient d’analyser, prend la forme d’une figuration aux traits exceptionnels dont nous ne possédons aujourd’hui qu’une copie faite au XVIIIe siècle mesurant 460 sur 350 millimètres (fig. 2). Il est fort probable que les proportions de l’original étaient semblables à celles de l’inventaire-censier de Meinhard, ainsi qu’aux autres documents contemporains dont les originaux nous sont parvenus, à savoir les inventaires-plans de Sindelsberg dont il sera question après.
23Le plan de Marmoutier se présente sous la forme d’un grand rectangle, encadré et découpé par des bandes portant des inscriptions. Ces bandes constituent un triple encadrement emboîté : un rectangle de faible dimension est placé au centre, englobé par un losange. L’espace intermédiaire entre le losange et le rectangle extérieur est divisé par des bandes à décoration florale, de façon à former dix compartiments triangulaires dans lesquels est consigné, sous forme de liste, l’inventaire des terres possédées par l’abbaye. Les autres espaces sont remplis par des dessins représentant des bâtiments et portant eux aussi des inscriptions. Nous avons donc affaire à un document composite qui amalgame écriture, éléments géométriques et figuratifs, ce qui rend immédiatement visible la logique spatiale qui régit la composition.
24La miniature rectangulaire du centre représente l’immunité entourée par un mur dont l’inscription peut être lue comme le titre du document : Hic pollet et hic est index Sancti Martini de rebus. Outre l’église abbatiale, caractérisée par un massif occidental à deux tours et une porte surdimensionnée qui découpe l’enceinte, sont représentés trois autres bâtiments sacrés avec leurs autels, tous vus de face, c’est-à-dire du côté ouest : l’église paroissiale, avec ses deux autels dédiés aux saints Étienne et Céleste, deux chapelles sous le vocable des saints Denis et Céleste, un arbre et une touffe d’herbe, ainsi qu’un puits ou une citerne.
25Les possessions sont regroupées dans trois zones de caractère différent. Outre l’aire rectangulaire réservée au site monastique et ses abords immédiats, on distingue la Marche, figurée par un losange à l’intérieur duquel les biens sont représentés par des bâtiments, et les biens situés à la périphérie, assemblés dans les dix triangles aux quatre coins de la feuille. L’inscription du rectangle extérieur qui continue dans le losange rappelle la causa scribendi du document25. En 828, à la suite d’un incendie qui avait détruit le monastère et ses archives, l’abbé Celse aurait fait décrire de nouveau les limites (terminus) d’un territoire que le roi austrasien Childebert II (575-596) avait donné à saint Léobard. Les termini de ce territoire, un pont à Schweinheim, la route de Saverne, une citerne, le cours des rivières Zorn et Mosselbach, un bosquet de frênes, une colline et une croix en pierre, sont désignés dans l’encadrement du losange :
[U]sque ad stratam puplicam Tabernensem [Saverne] ac deinde ad stratam Marlegensem [Marlenheim], terminum de fonte cisternata usque ad Gunsinum rivum, indeque ad montem Cobergum [Kühberg], per fraxinetum usque ad locum qui vocatur Ascova et sic per fluvium Sorne usque ad crucem petrinam, tunc verum ad Mauririvum26.
26Il s’agit d’une liste-itinéraire qui marque les limites de ce que les documents du XIIe siècle appellent la Moresmarcha, la Marche de Marmoutier. Il s’agit d’une zone d’une centaine de kilomètres carrés, comprenant deux régions bien distinctes : une zone boisée à l’ouest, du côté des Vosges, et des terrains alluviaux fertiles à l’est, vers le Rhin27.
27La présentation des biens fonciers suit un ordre strictement géographique28. Les quatre coins, indiqués par les bandes en diagonale, représentent donc en même temps les quatre points cardinaux. Apparemment, l’orientation du document entier suit le modèle des églises qui forment le centre29 : le document prend donc la forme d’un plan orienté qui, à l’exemple des inscriptions, doit être lu dans le sens des aiguilles d’une montre, en partant du nord – angle gauche du losange, indiqué par une croix – pour continuer par l’est, le sud et l’ouest.
28Pour donner une idée du schéma de l’énumération, je citerai l’inscription de la deuxième colonne du premier triangle :
Ad Dunzenheim pertinent mansa Sti Martini et ecclesia.
in ipsa Marca sunt mansa ·X· et ecclesia
in Sahsinesheim marca mansa ·VII·
in Ingenheim marca mansa ·III·
in Isanhusan mansa ·II·
in Oteresheim marca mansa ·III·
in Luotenheim marca mansa ·VI·
in Sceflingsheim marca mansum et dimidium
in Roraha marca mansum et dimidium
in Luppenheim mansum et dimidium
29Dans cette liste de localités figure le nombre de manses en possession de Marmoutier, les entrées étant introduites par ad pour le premier lieu et in pour la série de lieux suivants. Comme l’a démontré Charles-Edmond Perrin, il s’agit d’un ordre qui classe les manses (1) par rapport à la villa à laquelle ils appartiennent et (2) par rapport à un deuxième lieu qui représente le centre administratif dont ils dépendent. La formule représente donc une structure spatiale de nature administrative : elle désigne un groupe de domaines qui sont définis par le nom de la villa et qui sont assignés à un chef-lieu économique30.
30La liste constitue donc un moyen de structurer le paysage en agglomérant les lieux selon les besoins de la communauté monastique – probablement s’agit-il d’une invention de l’époque de Meinhard qui est en rapport avec son entreprise de restructuration du patrimoine foncier.
31La représentation et le dénombrement des biens dans la Marche suivent un autre modèle. Les possessions sont présentées sous la forme de seize bâtiments qui entourent la miniature centrale. La formule de description apparaît sous une forme particulière : les items du dénombrement commencent soit par un nom de saint au nominatif – le patron de l’église locale –, soit, le cas échéant, par le seul nom de la villa suivi par le nom de saint Martin, patron principal de Marmoutier, au génitif. Enfin, un nom de lieu suivi par un chiffre romain indique le nombre de manses, classés selon qu’ils sont libres ou serviles :
Sanctus Remigius sancti Martini Signum Christi [Singrist] mansi ·v·
Sancti Martini Dumphilesdal [Dimbsthal] mansa ·viii· ingenuilia, servilia ·v·
Sancti Martini Duranbach mansa ·vi· ingenuilia
Sanctus Quirinus sancti Martini Hemmingesbura mansa ·xvii· ingenuilia
32Sur le plan iconographique, l’importance des lieux possédés dans la Marche est marquée par leur taille surdimensionnée. Elle est encore accentuée par l’emploi de symboles iconiques : chaque domaine est représenté par un bâtiment, parfois couronné d’une boule ou d’un lys. Il s’agit d’une figuration courante dans les miniatures et la peinture murale, généralement réservée à la représentation d’un édifice sacré31. Dans notre cas, l’édifice symbolise la totalité des possessions dans la localité en question ; la figure est employée même là où un saint patron local n’est pas nommé, où aucun édifice de culte, église paroissiale ou prieuré, n’est par conséquent présent. Par cette formule iconographique, le rédacteur du plan met en relief la tutelle, voire la domination de l’église-mère de Marmoutier sur l’ensemble de ses possessions, sacrées ou profanes. Dans ce contexte, on remarquera que la domination est exprimée en termes sociaux, comme une relation d’alliance entre les deux patrons célestes. C’est une façon de spiritualiser un rapport de domination seigneuriale et de lier les possessions profanes à un centre sacré. La lecture symbolique est d’autant plus pertinente qu’une interprétation purement concrète risque de simplifier la situation. Le nombre des manses indiqué sur le plan est en effet particulièrement surdimensionné par rapport à la situation réelle du XIIe siècle. Selon l’analyse de Werner Rösener, au temps de Meinhard, l’abbaye ne possédait plus que trois curtes dominicae dans la Marche (soit environ 10 manses au total par rapport aux 197 manses dénombrés par le document)32. Nous avons donc affaire à un tableau idéalisé et optatif qui amalgame des données puisées dans un grand nombre de documents, anciens et récents.
33Pour mieux comprendre les sens multiples et imbriqués du plan, il convient de le resituer dans l’histoire du monastère. Il se présente comme un document du IXe siècle, alors que Marmoutier, sous l’abbatiat de Benoît d’Aniane et de son successeur Celse, était à la tête du mouvement de réforme monastique et bénéficiait de la protection impériale. Mais après l’incendie susmentionné, le monastère passa sous la possession des évêques de Metz. Le plan se présente donc comme un document de l’époque carolingienne, évoquant ainsi un temps de splendeur et de prospérité matérielle et spirituelle. Mais le style du document, ainsi que l’étendue et la nature des biens rassemblés, indique qu’il ne représente nullement la situation du IXe siècle – ni celle du temps de Meinhard, époque où, selon Charles-Edmond Perrin, l’original de l’inventaire aurait été confectionné. Il résulte plutôt de plusieurs couches chronologiques superposées, à peine discernables. Le scribe-peintre du XIIe siècle a amalgamé les données puisées dans des documents antérieurs et les a réorganisés de façon nouvelle, créant ainsi un paysage idéel et intemporel. Le titre donné par l’inscription – Hic pollet (probablement une écriture fautive de pollex, le pouce) et hic est index de rebus Sancti. Martini – fait penser aux gestes de dénombrement digital (computus digitalis), donc aux gestes concrets et aux opérations intellectuelles qui sont au fondement de ce document33.
34La préoccupation principale de Meinhard fut de définir la Marche, une zone d’influence densifiée et de droits concentrés, et d’y assurer le dominium du monastère. Ses efforts sont attestés par d’autres documents : un coutumier qui fixait les droits et les devoirs de l’abbaye et des habitants de la Marche34 et une série de chartes qui réglait les relations entre le monastère et les églises dans la Marche pour laquelle l’église paroissiale de Marmoutier obtint le statut d’ecclesia superior35. Selon la tradition historique, ce territoire était identique à l’ancien fisc mérovingien nommé Aquileia, donné par Childebert II à saint Léobard afin qu’il y établît une première cellule monastique. En 724, Thierry IV aurait confirmé cette donation et ses limites par un diplôme. Comme plusieurs incendies ravagèrent le monastère et ses archives, les abbés furent obligés de reconstruire à plusieurs reprises l’histoire de leur établissement et l’état de ses possessions. C’est ce que fit l’abbé Celse en 828 ; selon le plan, il aurait demandé à Louis le Pieux qu’il lui confirmât les limites de la Marche.
35La prééminence de la Marche est rendue visible par sa taille surdimensionnée ainsi que par l’emploi de signes iconiques qui représentent les possessions dans cette zone. Le territoire tel qu’il figure sur le plan est donc un espace idéel, un espace de mémoire conforme aux besoins contemporains, fondé sur des arguments fournis par l’histoire.
36Enfin, pour assurer l’autorité du récit fondateur, les moines fabriquèrent, entre 1163 et 1179, un faux diplôme placé sous le nom de Thierry confirmant, en 724, la donation de Childebert36. Ce faux contient, comme l’on a vu, la délimitation de la Marche, dans les mêmes termes que sur le plan de Meinhard. Il servit de base à un privilège d’Alexandre III de 1179 qui peut être considéré comme le point d’aboutissement des initiatives visant à l’organisation territoriale de la Marche. L’abbé Wernher obtint ainsi la confirmation de toutes les revendications faites depuis l’époque de Meinhard. Elle contient une liste des possessions contemporaines et une série de droits importants détenus dans la Marche, à l’intérieur des limites définies par le diplôme de 724.
37Pour commémorer cet accomplissement, Wernher fit réaliser une peinture murale, accompagnée d’une inscription gravée en spirale, à côté de l’autel principal. La peinture a ensuite été détruite, mais on en possède une description faite au début du XVIe siècle par Nicolas Volcyr de Serrouville, secrétaire du duc de Lorraine. Selon Nicolas Volcyr, il s’agit d’un
grant cercle qui est fait et formé contre le mur, à costière du grant autel, ouquel est la marcque d’Acquilé moult bien paincte et figurée, touchant toutes les appartenances et dommaines, avecques les pourtraictures et images dudit collateur [Thierry], de la royne sa femme, et de leur lignée etc.37.
38L’inscription reformulait de façon définitive les allégations concernant la fondation et la délimitation de la Marche dans le faux diplôme de 72438. De chaque côté de l’inscription se trouvaient les portraits mentionnés. Selon la description qu’en donne le catalogue des abbés de Marmoutier se trouvaient en outre les portraits du pape Alexandre tenant un rouleau sur lequel était inscrit la clause pénale du privilège et des saints Martin, Benoît et Léobard39.
39Par cette peinture, l’image ou plutôt l’imagination du territoire construite à partir de listes successives fut définitivement placée dans un contexte cultuel, dont il résulte de nombreuses implications : par son rapprochement de l’autel, la propriété monastique prit un caractère sacro-saint. En même temps, le caractère mémorial – c’est-à-dire l’association entre le récit de fondation, les fondateurs et le fundus – c’est ainsi que le territoire sera appelé à Zwettl – est renforcé. Fondateurs et fundus seront désormais contemplés et commémorés ensemble, à perpétuité, à l’instar des noms inscrits dans les libri memoriales eux aussi placés à côté ou sur l’autel.
Le plan de Sindelsberg
40Un document similaire et contemporain au plan de Marmoutier provient du monastère féminin de Sindelsberg, fille de Marmoutier fondée en 1115, et situé à trois kilomètres au nord-ouest de Marmoutier. Une génération plus tard, sous l’abbatiat d’Anselme (1146-1154), le plan de Sindelsberg fut dressé (fig. 3).
41Il en existe deux exemplaires, légèrement différents, mesurant 750 sur 660 millimètres40. Les originaux de Sindelsberg peuvent nous donner une idée de la taille et de la coloration du modèle perdu de Marmoutier : double encadrement rectangulaire, position centrale de l’enclos monastique, subdivision géométrique de la zone intermédiaire en huit plages constituant l’inventaire, enfin, ordre géographique de la représentation.
42L’inscription extérieure rappelle l’histoire de la fondation du monastère par l’abbé Richwin à l’emplacement de la cellule de l’ermite Sindenus, disciple de saint Léobard qui, de son côté, fut le fondateur légendaire de Marmoutier, puis de sa transformation en monastère féminin par Adélon (1117-1132) et de sa consécration sous Meinhard en 113741.
43L’inscription qui couvre les bandes croisées indique la causa scribendi et le sens du document qui se veut une supputation, une synthèse de l’état des possessions une génération après la fondation : Mons Sindenus cum suis appendiciis infra marcham seu provinciam constitutis, sub domno Anshelmo abbate in unum supputatus.
44Par rapport au schéma en trois zones de Marmoutier, le plan de Sindelsberg ne distingue au premier abord que deux zones. Elles sont représentées par la miniature centrale qui figure le site du monastère (in monte) et la couronne des compartiments quadrilatéraux réservés au dénombrement des possessions (in provincia).
45La miniature centrale est similaire à celle du plan de Marmoutier. Elle est occupée par la figure d’une église dont les murs sont rabattus vers l’extérieur, une technique qui permet de représenter les bâtiments en élévation sans empêcher la vue sur l’intérieur. On voit les clochers couronnés par une croix, des arcatures, deux autels et une porte surdimensionnée comme dans le document de Marmoutier (fig. 4). Le bâtiment est entouré d’éléments végétaux et d’un mur portant une inscription défensive, une invocation métrique des saints patrons du lieu, Marie et Blaise : Istum virgo pia montem defende Maria ; auxilioque pari martir adesto Blasi.
46Comme l’explique l’inscription du premier compartiment, l’image représente une zone bien délimitée sur le sommet et sur les pentes de la colline – le Sindelsberg ou mons Sindenus. L’église est représentée selon un ordre géographique : vue du sud au nord, avec son portail à l’ouest et l’abside avec l’autel principal à l’est. Son orientation sert de modèle pour celle du site entier. Autour de l’église et de l’ensemble des édifices claustraux, s’étendent – vers l’ouest et le sud – des vignes (ad duas carradas), un verger et un petit bois vers l’est et, au sommet, d’autres vignobles (ad [n] carradas) et au nord, une carrière (media pars cum censu) et un petit habitat rural (cum decima). Les indications données par l’inscription montrent par ailleurs que la miniature rend ces possessions dans un ordre géographique : vignobles (à l’est), vergers (au sud), vignobles et bois (à l’ouest) et carrière (au nord)42.
47La description constitue donc une forme mixte qui amalgame circumambulation et liste. Les lieux nommés, désignés par une initiale rubriquée, désignent des points terminaux aussi bien que des ressources matérielles dont les revenus sont dénombrés. Le centre est nommé mons ipse par opposition aux pertinences (attinentia vel appendicia) énumérées dans sept compartiments formés par des bandes perpendiculaires et diagonales en forme d’étoile. Les groupements ainsi constitués sont répartis selon un schéma circulaire – dans le sens des aiguilles d’une montre –, suivant une double logique historique et topographique, en partant des biens les plus proches – également les plus anciens : C1 et 2 –, pour arriver aux possessions les plus éloignées – qui sont plus récentes : C5.
48Par rapport à son modèle maurimonastérien, le plan de Sindelsberg fait preuve d’une logique mixte, spatiale et historique, et moins rigoureuse. Cette observation vaut aussi pour les biens énumérés qui sont de nature plus variable. L’unité de référence demeure le nom de lieu, mais outre le manse, on compte une multitude de surfaces cultivables (champs, pâtures, vignes, bois, vergers), comptés en iurnales, iugera, agri ou en foudres de vin, ainsi que des moulins, des immeubles de stockage (celliers, greniers), mais également des cens, dîmes et corvées. Malgré la diversité des données rassemblées, le rédacteur ou la rédactrice du plan a eu le souci d’élaborer un schéma d’itemisation approprié (fig. 4) :
Apud Phetenesheim dimidium mansum · absque uno iugero ·
Apud Bersteten · IIII iurnales · et dimidium mansum ·
Apud Spachbah dimidium mansum ·
Apud Ekkendorf dimidium mansum ·
Apud Roraha · xvi · iurnales et curia ·
Apud Ǒtelenheim semiquartum iurnalem ·
Apud Franchenheim · ii · mansos · cum duabus curiis · et areale cellarii ·
Apud Wicheresheim ·ii · mansos · cum cellario et duabus curiis ·
Apud Altheim · x · iugera ·
Apud Torolvesheim · vii · iugera ·
Apud Westoven · cellarium in cimiterio ·
49La liste choisie désigne un ensemble de terres de taille modérée dans le canton actuel de Truchtersheim, comptées en manses, surfaces labourées (iugera et iurnales), et énumérées selon une logique circulaire43. Cet ensemble de terres encercle un autre complexe de biens plus arrondi – situé dans le même canton et provenant de la dot d’une moniale – qui est représenté dans le compartiment précédent. On observe que les entrées, alignées et rendues visibles par des initiales, sont itemisées selon le schéma ubi – quantum – quid. Les principes de composition employés ici sont similaires à ceux du plan de Marmoutier. En assemblant les possessions éparses en ensembles encadrés d’une structure géométrique, le rédacteur du document construit des unités spatio-temporelles. Leur logique demeure implicite, car aucun titre n’est donné qui pourrait éclairer le sens du regroupement.
50Malgré une volonté remarquable de classer et de regrouper les biens selon leur qualité, leur origine ou leur localisation communes, le plan de Sindelsberg ne propose pas une synthèse artificielle et anachronique comme celui de Marmoutier, mais une supputation contemporaine, tenue à jour pendant un certain temps et apparemment utilisée et présentée de façon régulière, à en croire les bords abîmés de l’exemplaire A44. Confectionné une génération après la fondation de Sindelsberg, le plan n’est pas, comme à Marmoutier, une réminiscence des temps glorieux du passé, mais un témoin de la croissance continue de l’établissement et de son émancipation par rapport à l’abbaye-mère qui se manifeste, entre autres, par le partage des manses effectué à la même époque.
La logique spatiale des exemples alsaciens : trois principes de représentation
51Comme l’a déjà remarqué C.-É. Perrin, les plans alsaciens adoptent une logique de position : la situation d’un objet ou d’un lieu dans l’espace correspond grosso modo à sa position sur la page45. On aurait pourtant tort de les considérer comme une forme précoce de cartes locales. Les documents alsaciens s’inscrivent plutôt dans le courant intellectuel et iconographique de la diagrammatique, technique de mise en image développée aux XIIe et XIIIe siècles. Pour conclure cet aperçu des exemples alsaciens, je proposerai un bilan intermédiaire en rappelant les principes fondamentaux de la mise en page et de la logique spatiale qui régissent la composition et la présentation de ces documents.
Un espace construit à partir de lieux
52Les inventaires figurent un espace monastique qui est organisé autour d’une série de points épars qui sont pourtant conçus comme des pôles structurants, des cellules nodales. Pour clarifier la notion d’espace et pour mieux classer nos observations, il convient de rappeler les remarques éclairantes de J.-C. Schmitt, selon lequel, au Moyen Âge, le lieu (locus) serait une notion plutôt abstraite, équivalente au terme moderne « espace », ou, plus précisément, un terme généralisant qui permet de penser et de représenter les phénomènes dits spatiaux sous un angle différent de celui qui régit la conception moderne de l’espace46. Cette observation est en accord avec celles formulées par D. Méhu sur la sémantique du terme locus. Le lieu médiéval est un indicateur de distinction spatiale et sociale, un endroit où s’enracine une autorité séculière et/ou spirituelle et qui est caractérisé en outre par sa qualité d’espace bâti47. En ce sens, la notion de lieu est étroitement liée à celle de domus, un autre terme socio-spatial, généralisant et fortement significatif48.
53En regardant nos documents, on remarquera que, sur le plan formel, l’espace seigneurial des plans est organisé autour de deux types de domus : l’église et le manse, lieu sacré et lieu profane. L’église est identifiée par le nom de son saint patron, le manse, par le nom de la villa où il est situé.
54Le premier élément standardisé de référence spatiale est donc le mansus, unité composite de taille variée qui comprend l’emplacement fermier (area), le foyer (focus) et/ou les bâtiments (curia, curtis, cellarium, granica), des zones d’horticulture, d’agriculture et de pâturage – sans parler des services qui y sont attachés. On pensera surtout aux corvées qui jouent un rôle majeur en tant qu’elles relient les lieux épars de la seigneurie monastique49.
55Le deuxième pôle de référence spatial, le site monastique, est également un ensemble composite, comprenant l’emplacement (une zone clôturée et munie du droit d’immunité), les bâtiments, en premier lieu l’église ou les églises (abbatiale, paroissiale, chapelles) avec leur mobilier (autel, reliques, portes), ensuite les communs (ateliers, curiae), le cimetière, les zones d’horticulture (vergers, vignobles), les réseaux d’alimentation en eau (puits, citerne, source) ou des dépôts de matière première (bois, carrière). Tous ces éléments constituent l’espace clôturé du centre monastique.
56L’espace des plans se présente donc comme un espace en points, apparemment hétérogène et discontinu50. Il s’agit d’une physionomie particulièrement caractéristique de la propriété monastique dispersée et progressivement morcelée51. Il paraît donc préférable de parler d’espaces au pluriel plutôt que d’espace au singulier. À la logique « ponctuelle » est associée la logique « ponctionnelle » qui dépend de la quantité des rendements ou, plus généralement, de leur utilité pratique et économique. Par un système de signes nuancés de mise en image – figurations, structures géométriques et inscriptions –, ces éléments constitutifs sont particulièrement accentués, créant ainsi une hiérarchisation interne qui met en relief leur valeur à la fois matérielle et symbolique52. On a donc affaire à une mappa possessionum conçue pour une lecture « ambulatoire ». Elle incite le lecteur-spectateur à imiter, de manière corporelle et spirituelle, les circumambulations administratives ou rituelles – processions, visitations, prises de possession – destinées à délimiter, gérer et sacraliser le territoire monastique.
Un espace polarisé, valorisé et hiérarchisé
57Le paysage est dominé par le centre ecclésial et ses abords immédiats. La qualité particulière de cette cellule nodale s’articule autour de deux éléments, la sacralité et la clôture, représentés par l’autel et le mur. La sacralité du lieu découle de sa consécration et de la protection des saints et de leurs reliques, qui s’étend bien au-delà de la zone consacrée53. L’exemple de l’invocation murale de Sindelsberg renvoie à cette force protectrice et à la capacité des saints à créer une zone privilégiée, un locus sanctus distingué du paysage environnant et hautement valorisé comme espace sacralisé.
58En revanche, les manses comme espaces profanes ne sont pas rendus pareillement visibles, bien que, par leur seul nombre, ils dominent de loin le territoire monastique. Tandis que les églises sont représentées par une figuration, souvent en couleurs, et par des titres ou des inscriptions en majuscules, les manses, en général, ne sont pratiquement jamais honorés d’un symbole iconique, mise à part la figuration des manses de la Marche de Marmoutier, dont le sens est pourtant ambigu. S’ils sont dénommés et comptés, on se sert pour les représenter d’un système de signes réduits – écriture en minuscule et chiffre. Même du point de vue de la syntaxe, nos listes distinguent les lieux saints des lieux profanes, ces derniers étant qualifiés de façon uniforme et nominative – on notera l’absence d’emploi d’un terme global – ou même sommaire (attinentia, appendicia, res). Dans leur majorité, les lieux profanes et périphériques sont ordonnés uniquement par rapport au lieu sacré, sans rapport apparent entre eux, ce qui notifie l’existence de liens hiérarchiques et économiques.
59Ainsi que l’indique la géométrie élaborée des bandes et des encadrements aux proportions variées, la propriété foncière des abbayes n’était pas considérée comme un ensemble homogène, mais comme un système de qualités spatiales graduées. La qualité particulière des biens dépendait surtout de leur proximité ou leur distance vis-à-vis du centre sacré. Les possessions situées dans la Marche sont dès lors marquées et valorisées par une taille surdimensionnée, tandis que les vastes possessions périphériques se trouvent serrées à l’intérieur des petits triangles aux quatre coins du plan – contrairement à leur étendue réelle.
60Mais les principes de polarisation et de hiérarchisation des lieux n’impliquent pas d’opposition tranchée entre espaces sacrés et profanes. La cellule abbatiale est certes nettement distinguée, mais la sacralité du centre se répand en étoile dans le paysage voisin, jusqu’aux régions les plus lointaines : les bandes diagonales partant du rectangle central vers les quatre parties du monde et formant les compartiments que l’on pourrait dire régionaux paraissent relier les ensembles dispersés du patrimoine foncier, pour former un espace apparemment cohérent pénétré par la force protectrice des saints54.
La cohésion des lieux dispersés
61Les plans suggèrent l’idée d’une cohésion spatiale entre les parties hétérogènes des propriétés foncières. Cette idée est imposée par le système d’encadrements emboîtés. Outre le rectangle central qui définit l’espace clos et protégé autour de l’abbaye, les plans présentent d’autres types d’encadrements. La bande d’encadrement extérieur porte une inscription qui rappelle l’histoire de la fondation de l’abbaye de Sindelsberg ou la situation qui a mené – ou plutôt, qui aurait mené – à la confection du document. L’espace seigneurial monastique est donc pensé et figuré comme un ensemble clos – et dans l’espace, et dans l’histoire. Il s’agit certes d’une structure purement symbolique, mais elle s’avère fortement significative, car l’inscription forme un véritable « récit d’encadrement » rassemblant et reliant, par l’évocation de leur origine et de leur histoire commune, les lieux épars et hétérogènes.
62Outre cet encadrement spatio-temporel, on a affaire à un autre type de compartimentation, à savoir les encadrements triangulaires ou trapézoïdaux qui enferment les agglomérations domaniales dans les régions plus éloignées (in provincia). Il s’agit pour eux aussi d’un élément idéel conçu pour classer et regrouper, par ordre historique ou géographique, des ensembles hétérogènes et dispersés. En revanche, le losange du plan de Marmoutier, en indiquant les limites de la Marche par une série de termini précis, représente une structure spatiale existante : une zone clairement délimitée dont les marqueurs étaient nettement visibles dans le paysage55.
63Il va sans dire que cette idée de cohésion spatiale est d’abord une illusion : les biens monastiques étaient dispersés et les droits de propriété n’étaient nulle part exclusifs ou complets. Tout d’abord, parce que les différents lieux des possessions du monastère se trouvaient entremêlés avec des terres appartenant à d’autres seigneurs56. Ces trouées restent invisibles dans nos plans. Ensuite, parce que les possessions ne se limitaient pas à la terre seule. Elles comprenaient une multitude de formes d’exploitation, de contrôle et de disposition, des droits de nature diverse, superposés sur une même terre et sur les personnes qui l’occupaient : paiements et services provenant des terres arables, autres produits ou revenus provenant des eaux ou des forêts, des paroisses – dîmes –, de la juridiction, de l’infrastructure – brasseries, salines, moulins –, des marchés – tonlieux –, pour n’en citer que quelques-uns57. Mais, en même temps, ce sont exactement ces rapports sociaux, établis et consolidés par les déplacements des paysans et liés au service, au commerce ou au culte – corvées, processions, pèlerinages – qui constituaient, comme on l’a vu, la cohérence des espaces dispersés.
La liste des possessions du retable de Saint-Remacle à Stavelot
64Un troisième exemple qui associe liste et image est fourni par le retable de Saint-Remacle à Stavelot, une pièce monumentale d’orfèvrerie (275 sur 278 cm) qui nous est connue par un dessin précis daté de 1666 (fig. 6). L’abbé Wibald (1130-1158), administrateur actif comme Meinhard, l’avait donné à l’église de Stavelot vers 1150. Il est richement décoré et les figurations comprennent scènes typologiques, allégories morales et scènes de la vie du saint dont la châsse est placée dans une niche occupant le centre du monument.
65Il s’agit donc d’un ensemble d’images narratives et systématiques, selon la définition de Wolfgang Kemp, qui présente un programme théologique complexe et hautement significatif. Sur les deux archivoltes qui cintrent la lunette de l’autel, Wibald fit engraver deux inscriptions de nature étrangement profane qui, à première vue, ne s’accordent nullement avec la sacralité de ce mobilier liturgique. Sur l’archivolte inférieure, Wibald fit placer une inscription énumérant les noms de soixante-trois lieux :
Stabulaus · Rona · Osnes · Fasses · Ledernau · Baldov · Rahieres · Rewruns · Oldanges · Lovingeis · Horion · Turnines · Mudrescheit · Scrices · Causeis · Fielon · Ferieres · Castillum Longia · Spirmont · Oson · Fiesina · Genet · Lerpha · Omeres · Scanlentin · Lengion · Ferarga · Fineval · Wellin · Silvestrient · Doroit · Palisul · Olfait · Calgul · Bovingeis · Cerminaeis · Serbos · Donna · Wrenedorf · Lurisenes · Malmundarium · Waimes · Francorcamp · Novavilla · Amblavia · Hoscenlar · Basenheim · Dienern · Bacenga · Lorcseis · Scelnicaces · Fairon · Comblet · Pressoer · Walania · Sclacin · Linscheis ·Landermeges ·Bocholt · Wellines · Travant · Grimesbura ·Ludenestorf58.
66De toute évidence, on a affaire à une liste à l’état brut, une série de toponymes sans aucune indication supplémentaire, mais on peut supposer qu’il s’agit des localités dans lesquelles les deux abbayes, Stavelot et Malmedy, tenaient des possessions. La liste mentionne d’abord l’abbaye de Stavelot et les trente-neuf localités en sa possession, ensuite Malmédy et les vingt-deux localités relevant de la mense malmedienne. L’ordre des villae suit les vallées, ce qui fait penser que la liste fut prise dans un document administratif – cartulaire ou censier – car, comme les exemples précédents l’ont déjà montré, cette logique de regroupement géographique est couramment observée dans ce type de documents59. En outre, dans l’inscription de l’archivolte supérieure, Wibald dresse le bilan économique de sa donation en totalisant ses dépenses : 60 marcs en argent, 4 marcs en or, soit 100 marcs au total :
Hoc opus fecit abbas Wibaldus · In quo sunt argentimeri ·lx· marce, in deauratura sunt aurimeri ·iii· Tota expensa operis ·c· marce. De qua publice excommunicatum est nequis pro tam parva utilitate tantum laborem et expensam adnihilare presumat.
67La motivation qui aurait poussé Wibald à entamer ce projet ambitieux et coûteux, ainsi que l’origine de la somme dépensée, sont discutées parmi les historiens, mais on s’accorde à concéder qu’elles sont en rapport avec son entreprise de réorganisation du patrimoine foncier de Stavelot-Malmedy. Ce projet comprenait la révision d’anciens documents, l’actualisation des registres fonciers, la récupération de possessions perdues ou aliénées et la perception systématique de la dîme60.
68Pour mieux saisir le sens de l’inscription et la raison pour laquelle elle fut incorporée dans un monument liturgique, on doit d’abord s’interroger sur son rapport avec la situation de propriété au temps de Wibald. Les documents de gestion – parmi eux une série de listes relevant de la propriété monastique – prouvent que la liste des localités représentée sur le retable témoigne d’un état des lieux, à peu de choses près, contemporain, qu’on peut rapporter au contexte desdites activités de l’abbé. Ainsi, une liste dressée au XIe ou XIIe siècle énumère une série de quarante localités avec leurs manses qui faisaient partie de la mense conventuelle61. Trente-huit d’entre eux se retrouvent dans le dénombrement sur le retable qui comprend, en outre, sept manses appartenant à la mense abbatiale et dont Wibald bénéficiait personnellement62. Selon les observations de Nicholas Schroeder, ces documents contemporains témoignent d’un accroissement ou, du moins, d’une profonde restructuration des domaines. Dans certaines localités nommées sur le retable – comme Wanne, Louveigné, Wellin, Leignon, Rouanne, Lierneux et Rahier –, l’abbaye possédait des domaines considérables. En revanche, d’autres furent disputées ou étaient à l’abandon63. S’il est donc permis de relier la construction de l’autel aux initiatives de restauration, on peut en conclure que, par la confection du retable, Wibald visait à rendre visibles et intangibles les fruits de ses efforts de gestion en les fixant dans une œuvre monumentale qui est en même temps un mobilier liturgique relevant du culte, lieu où s’opère la transsubstantiation des espèces eucharistiques, et lieu de la commémoration des saints, corporellement présents dans leur reliques déposées dans ou sur l’autel.
69En dessous de la liste des biens, sur le socle qui porte aussi la châsse de saint Remacle, se trouve une série de huit bas-reliefs qui figurent la vie du fondateur. Par son emplacement, l’inscription est mise en rapport avec un épisode relaté dans la vie du saint, celui de la fondation de l’abbaye par Remacle et son souverain, le roi Sigebert III, au milieu du VIIe siècle. La scène est représentée sur le relief gauche du registre supérieur : le roi, assis sur un trône, remet un bâton fleuri à saint Remacle en présence d’un groupe de témoins désignés par une inscription donnant leurs noms64.
70Par son geste, Sigebert confirma la donation d’une vaste région forestière située dans les Ardennes, faite par le maire du palais Grimoald. Selon le diplôme royal, émis par Sigebert entre 643 et 647-648 et dont l’authenticité n’est pas assurée, il s’agit d’un territoire in foreste nostra nuncupante Arduina […] in quibus caterva bestiarum germinat. Il fut concédé aux moines « pour qu’ils y construisent des monastères nommés Malmedy [Malmunderium] et Stavelot [Stabelaco] selon la règle monastique et la tradition des pères [iuxta regula [sic] coenobiorum vel traditionem patrum65] ». La charte ne nomme aucun lieu précis, car le territoire donné était situé dans une région inhabitée et sauvage, raison pour laquelle il fut délimité par un cercle (girum) de douze milles de diamètre66.
71La narration diplomatique assez sèche fut amplifiée au cours des siècles suivants. En témoigne un manuscrit précieux confectionné à Stavelot au dernier quart du Xe siècle. Il comprend la première vie de saint Remacle (datée du IXe siècle)67, ainsi que la transcription d’une série de diplômes, parmi eux celui qui confirme la fondation68. Il est précédé d’une miniature figurant la donation de Sigebert III : le roi remet un rouleau dans les mains de saint Remacle. Selon le récit que donne la vie du saint, la donation fut confirmée à un endroit anonyme, en présence de témoins illustres (parmi lesquels plusieurs évêques et ledit Grimoald). C’est seulement après cet événement que Remacle se rendit sur les lieux et, parcourant la forêt, découvrit des emplacements convenables à l’établissement de deux monastères. Il purifia les lieux et leur trouva des noms appropriés. À l’évidence, il s’agit d’un étoffement hagiographique aux traits légendaires destiné à attribuer la colonisation et la christianisation du territoire à saint Remacle. Toutefois, le récit prouve qu’un rapport étroit entre la vie du saint, la fondation de Stavelot-Malmedy et l’établissement d’un territoire monastique fut établi bien avant le temps de Wibald.
72Par le programme iconographique du retable, Wibald ouvre une nouvelle étape dans le processus de la construction de la légende. Il amalgame et densifie les récits et les données trouvés dans les documents antérieurs (vita, chartes, miniatures), les enrichit de deux listes de son propre temps – la liste des possessions et le bilan des dépenses – et les insère dans un système complexe d’images et de signes aux implications théologiques et morales. Les sens multiples de l’iconographie du retable ont été analysés en profondeur par Susanne Wittekind69. Elle démontre comment, en élaborant le sujet de l’économe fidèle que Dieu établit sur ses serviteurs (Lc 12, 41-48), Wibald dresse l’image d’un abbé idéal modelé sur l’exemple de saint Remacle, image qui vise évidemment Wibald lui-même.
73La composition du retable établit donc un triple rapport : entre la propriété et le saint, entre la donation royale au VIIe et les possessions du XIIe siècle et, finalement, entre ces possessions et les efforts administratifs de Wibald. En intégrant la liste des localités dans le programme du retable, Wibald comble les prétendues lacunes du diplôme fondateur qui manque de précisions sur la nature et l’étendue du territoire donné par le roi. En rapprochant la donation royale du VIIe siècle et les terres du patrimoine foncier du XIIe siècle, il suggère l’identité des deux territoires. Ainsi, les acquisitions de son propre temps sont justifiées et valorisées par une ancienneté prétendue remontant au temps de saint Remacle.
74Cette idée se traduit par le relief mentionné ainsi que par son titre : Loca pontifici dedit et iubet hec benedici. Sur le relief, Sigebert ne remet pas de charte, mais un bâton symbolisant la propriété. La figuration ne donne aucune précision sur les loca concédés par le roi. Pour clarifier le sens et le contenu précis de ce geste, Wibald fit donc ajouter sa liste de localités sous la forme d’une bande d’inscription. Avec l’inscription supérieure, elle cintre la pièce entière et semble ainsi prouver que l’état des possessions tel qu’il est consigné sur le retable remonte à l’époque de la fondation. La liste représente donc une « pièce à conviction » (N. Schroeder) destinée à remplacer le diplôme de fondation qui, dans la forme voulue, n’a jamais existé. Les localités nommées marquent des domaines importants qui prennent un caractère emblématique en tant qu’elles représentent la totalité du patrimoine monastique.
75De surcroît, l’inscription indiquant la somme dépensée par Wibald se termine par une clause d’excommunication qui porte sur l’intangibilité du retable, aussi bien que celle des terres et des revenus qui ont contribué à sa fabrication. Il s’agit donc d’une mesure visant à authentifier, par le recours à l’autorité suprême, la situation contemporaine et à sanctionner les aliénations futures sans produire un véritable faux.
76En encastrant la châsse de Saint-Remacle dans l’architecture du retable, Wibald met les territoires de son abbaye directement sous la tutelle du saint patron – dans un état qui ne remonte certainement pas au saint fondateur, mais à lui-même. En inscrivant les preuves de son administration efficace sur un mobilier liturgique et en les plaçant au sein d’un ensemble d’images hautement significatives, Wibald les rend communément visibles et produit ainsi une multitude de rapports sémiotiques qui dépassent de loin ceux des documents originaux.
La figure de Zwettl
77Mon dernier exemple provient du Liber fundatorum du monastère cistercien de Zwettl en Basse-Autriche, un manuscrit de 194 feuilles confectionné entre 1310-1311 et 1314 connu aussi sous le nom de Bärenhaut, ou « peau de verrat » (fig. 7)70. Il fut composé pour rappeler l’histoire croisée du monastère et de la famille de ses fondateurs, les Kuenring, ministériaux autrichiens.
78Le dessin que je présenterai fut ajouté au manuscrit vers 1324. Il se trouve dans le premier livre du manuscrit (fol. 12) traitant des débuts du monastère et représente, sous la forme d’un cercle d’environ 26 centimètres, les biens donnés à la fondation de Zwettl. Le cercle, un orbis orienté vers le nord, est accompagné d’une image du fondateur Hadmar de Kuenring, ainsi que de Hermann, premier abbé, qui marque en chevauchant les limites des terres données dont l’abbé prend possession. Autour du périmètre sont inscrits ou peints les quatre points cardinaux, les termini du territoire représenté, une série de localités adjacentes et les portraits, dans des médaillons, représentant les trois personnages qui avaient confirmé et autorisé la fondation : le roi Conrad III, le pape Innocent II et Léopold IV, duc de Bavière et margrave d’Autriche.
79À l’intérieur du cercle sont représentées, par des médaillons et des inscriptions, les possessions les plus importantes dans un ordre géographique. La figure donne à voir un espace cohérent, composé de lieux bâtis, représentés par huit dessins circulaires entourés d’une inscription. La figure du monastère se trouve au centre ; elle est entourée par cinq granges et la civitas Zwetel avec son église paroissiale, Saint-Jean. En dehors des lieux bâtis, le cercle inclut encore d’autres espaces, tous représentés selon leur position géographique : des habitations, désignées par un toponyme écrit, des rivières, la Zwettl et le Kamp dont les cours sont tracés par une inscription idéographique, des ponts et moulins, ainsi que des forêts et des terres cultivables, champs et pâturages.
80La fondation de Zwettl remonte à 1137, environ cent quatre-vingt ans avant la rédaction du Liber fundatorum71. Celui-ci fut composé au XIVe siècle, avec un triple objectif : rappeler l’histoire du monastère, commémorer la fortune de ses fondateurs, faire état de ses possessions. Il se présente comme un montage de différentes parties, rédigées en latin et en moyen-haut-allemand, accompagnées de nombreuses illustrations : récit historique en vers et en prose, chronique-cartulaire commentée, registre alphabétique des possessions, censier72. L’histoire de la fondation occupe le premier livre du manuscrit : une chronique rimée intitulée Versus de primis fundatoribus, suivie d’une version en prose et ornée d’un arbre généalogique, raconte l’histoire de la famille ministériale des Kuenring et de leurs relations avec leurs seigneurs féodaux, les margraves, par la suite ducs autrichiens de Babenberg. Sur la page opposée (fol. 11v) se trouve une explication du dessin en langue allemande en vers rimés, une expositio teutonicalis circuli.
81Le cercle doit être mis en rapport avec deux chartes, pontificale et royale, émises par Innocent II et Conrad III, dont le texte commenté précède le dessin (fol. 8v). Les chartes dénombrent les noms des sept villages faisant partie de la donation originale : Rudmanns, Ratschen, Gaisruck, Pötzles, Gerotten, Grandnitz et Stralbach73. En outre, le diplôme royal contient une description précise de la délimitation du domaine de fondation suivant un ordre géographique qui sert de modèle au plan sur lequel, comme l’on a vu, la circonscription donnée par la charte est représentée sous la forme d’une circumambulation à cheval74. En partant de la borne de Moidrams – un tas de pierres –, Hadmar et Hermann se dirigent vers l’ouest, passent un champ – la Heumad – pour ensuite faire un détour significatif par la ville et l’église paroissiale de Zwettl, détail qui n’est pas confirmé par la délimitation du diplôme, mais qui fait écho aux revendications des moines au XIVe siècle, époque où le monastère avait définitivement perdu la domination sur la ville. Ensuite, ils passent par les étapes suivantes, toutes marquées sur le plan : les villes ou granges de Siernau, Ratschenhof et Rudmanns, le Polansteig – une ancienne route importante –, le pont de Reinprecht (Remprechtsprukk) sur la Zwettl, le Behaimsteig (Böhmensteig/ route de Bohême), les forêts de Gerotten, Rabentann et Stralbach, la source de Gutenbrunn où ils traversent de nouveau la Zwettl, enfin le moulin de Jerings, ce qui les conduit au point de départ. Par rapport au diplôme, les limites (metae) indiquées sur le plan sont doublement marquées : par les termini mentionnés ainsi que par un nombre de lieux posés à l’extérieur du cercle « pour rendre plus évidentes les limites des anciennes possessions » (ut mete antiquarum possessionum eo verius agnoscantur)75.
82On voit que le dénombrement des villae et des termini donné par le diplôme est identique à celui figuré sur le circulus magnus qui peut donc être considéré comme un commentaire figuratif des pièces diplomatiques. Il s’agit d’un procédé comparable à celui observable sur la peinture murale de Marmoutier. Mais le dessin de Zwettl est toutefois beaucoup plus qu’une simple esquisse historique exemplifiant les données fournies par les chartes. Il représente un état des lieux bien conçu qui relie au savoir historique la réflexion des commentaires-traductions détaillés du XIVe siècle accompagnant chaque pièce et tenant compte des changements qui ont pu affecter certains lieux après la fondation. Les textes insérés concernent ainsi la destruction d’une grange (Gaizrukk quondam grangia nunc destructa), ou sa transformation en village (Petzlems quondam grangia), ou encore la fondation d’un village (Stralbach superior quondam silva nunc villa). Ils peuvent aussi donner une explication des noms de lieux obscurs (Erleich grangia quae in privilegio scelebars id est stralbach et erleich dicitur). La volonté de critique historique, la capacité de discriminer avec précision état ancien et état actuel dont témoigne le Liber fundatorum le distingue de l’inventaire de Marmoutier76. Mais, tout comme dans les plans alsaciens, la confirmation des limites de la donation, appelée fundus, et sa présentation sous forme d’une figure adressée au lecteur-spectateur semble être l’un des buts principaux de la confection du plan de Zwettl. Pour preuve la note explicative en bas du dessin : Notandum est quod quicquit intra circulum istum magnum includitur de fundo est prime fundationis zwetlensis monasterii.
83La confirmation prend donc la forme rituelle d’un circuitus à cheval qui est simultanément attesté par le diplôme, illustré par le dessin et raconté par l’expositio teutonicalis circuli précédant le dessin (fol. 11 v) : Nv seht vnd schawet den edelen helt| den got hat dar zve erwelt| daz er schol avz zeigen| vnser frowen von himel reich ier rechtes aygen [...] (Voyez et observez le noble héros que Dieu a choisi pour qu’il fasse à notre Dame du royaume des cieux l’aveu des biens qui sont droitement à elle [...].)
84Par opposition aux plans alsaciens, celui de Zwettl ne représente donc pas la totalité des possessions, mais il distingue un espace, le fundus, valorisé à cause de son âge et de son rapport direct à la famille des Kuenring. Les parties extérieures du patrimoine foncier de l’abbaye qui, au XIVe siècle, surpassent de loin les possessions initiales n’y apparaissent pas. Mais dans sa qualité de territoire limité, privilégié et légitimé par l’histoire, le fundus de Zwettl est comparable à la Marche de Marmoutier et au territoire délimité lors de la fondation de Stavelot-Malmedy. Dans l’ensemble des cas, il s’agit d’une zone élargie autour du centre monastique sur laquelle les abbayes réclamaient des droits particuliers qu’elles justifiaient par un récit des origines. Mais, tandis qu’à Marmoutier ce territoire s’étend autour d’un seul pôle sacré, le fundus de Zwettl est un territoire multipolaire organisé autour d’un nombre de centres de nature assez différente : le monastère, lieu central et sacré, les cinq granges, lieux économiques mais sacralisés par leur assimilation iconique au monastère, ainsi que le couple bipolaire formé par la ville de Zwettl et son église paroissiale.
85Pour les huit lieux représentés par une figuration, le peintre a conçu une formule iconique standardisée : un bâtiment, qui montre certaines variations selon le type de site en question : église, grange, château, ville. Les figurations sont séparées du paysage par un encadrement entouré d’une inscription circulaire de caractère descriptif ou explicatif77. Tous les édifices ecclésiaux sont présentés sous une forme comparable à celle de Sindelsberg : vues du sud au nord, suivant ainsi la direction des points cardinaux indiqués par le cercle. Elles sont munies d’un clocher ou d’un clocheton couronné d’une croix ou d’une boule. Ce type de figuration n’est pas réservé aux seules églises ; il est également employé pour deux granges, Gaisruck et Retschen, tandis que Erleich et Pötzles sont représentées par un bâtiment à toit pointu, couronné par une boule, figuration semblable à celle du plan de Marmoutier. La représentation de l’abbatiale domine par la taille du dessin, par les deux croix qui ornent les pignons est et ouest, ainsi que par son clocheton qui dépasse le tracé du cercle extérieur. Parmi les lieux honorés par un dessin se trouvent aussi la ville de Zwettl, représentée par deux cercles qui figurent l’enceinte fortifiée et l’église paroissiale Saint-Jean, ainsi que le château des Kuenring qui n’est pas séparé du paysage par un encadrement circulaire. La valorisation de ces pôles ne s’opère donc pas selon l’opposition entre un centre sacré et sa périphérie profane, mais selon une juxtaposition entre des lieux – sacrés ou profanes, bâtis, habités, clôturés – caractérisés par une relation particulière avec le monastère et son fondateur, et le reste du paysage – zones naturelles et agricoles, villages. Des signes iconiques similaires sont réservés aux personnages représentés aux bords du cercle. Le pape, le roi et le duc, autorités pour ainsi dire publiques appelées à confirmer la fondation, sont représentés dans un médaillon, tandis que Hadmar de Kuenring et Hermann l’abbé sont représentés par un dessin simple, sans encadrement circulaire.
86Par rapport aux exemples alsaciens, le plan de Zwettl présente donc un espace beaucoup plus cohérent : au lieu d’un semis de lieux, il montre un tissu de surfaces reliées par des moyens idéographiques. Les inscriptions marquant les villages, ponts, moulins, champs et bois sont placées selon la position géographique des lieux nommés. Ainsi, les inscriptions indiquant les cours des rivières Zwettl et Kamp, partiellement dérivées pour contourner le monastère, se croisent-elles littéralement à leur confluent au sud-ouest de l’abbaye ; elles sont bordées par des moulins et coupées par le pont de Reinprecht78.
87Une autre distinction est opérée entre l’espace cohérent et soigneusement ordonné à l’intérieur du cercle et celui à l’extérieur qui n’est qu’une énumération de villages encerclant et limitant le territoire central, caractérisés par leur fonction exclusive. On pourra se demander si le territoire ainsi représenté doit être considéré comme un exemple de l’idéal cistercien : un monastère enchâssé dans son territoire, peu habité, riche en surfaces naturelles et en terres cultivables, offertes aux activités des moines. Pour les cisterciens, le site monastique s’étendait bien au-delà de l’espace claustral proprement dit. Il comprenait également les zones fréquentées par les convers, comme les granges ou les possessions situées dans les villes. On notera la différence avec l’espace idéal des bénédictins, parsemé de lieux habités dominés par le lieu saint du monastère, ostensiblement séparé du monde, mais en même temps lié à lui par une multitude de relations socio-religieuses. L’opposition entre espaces sacrés et profanes y est certainement plus perceptible que sur la figure de Zwettl.
88Le circulus magnus est bien plus que la mise en page d’une ou de plusieurs listes. Il s’agit d’une « somme », qui met en image des données tirées d’une multitude de sources écrites : d’une série de diplômes, chartes et censiers présentant plusieurs couches chronologiques, l’ensemble étant soumis à un examen critique, et accompagné d’une suite de descriptions poétiques. En tant que tel, il est comparable aux mappae mundi qui elles aussi assemblent un savoir complexe : listes topographiques, récits historiques, savoir encyclopédique, structurés par un ensemble de moyens graphiques qu’il s’agisse d’écriture, des figures géométriques, des dessins figuratifs, d’ornements, ou de couleurs79. Par rapport aux documents du XIIe siècle, la mise en image fait preuve d’innovations, tant au niveau de l’écriture que de la mise en page, héritées au cours du XIIe siècle80.
89Comment expliquer l’intérêt vif que les moines du XIVe siècle portaient à un territoire qui, de leur temps, n’était plus de première importance ? La réponse doit évidemment tenir compte de raisons historiques et symboliques. Les terres du fundus devaient leur valeur particulière tant à leur grand âge qu’au fait qu’elles étaient associées à la famille des fondateurs. Elles représentaient pour ainsi dire le gage liant les Kuenring durablement au monastère. On touche là à un problème structurel des ministériaux autrichiens qui, contrairement à leurs homologues anglais, hongrois et autres, et malgré leur pouvoir politique réel, ne purent jamais sortir de leur rang inférieur de non-libres81. Par conséquent, leurs donations dépendaient toujours du consentement de leurs seigneurs féodaux et pouvaient donc être refusées ou révoquées – ce qui fut d’ailleurs souvent le cas. Les fondateurs eux-mêmes eurent par ailleurs souvent recours au patrimoine du monastère en cas de difficultés politiques et financières. Les plaintes concernant les aliénations des membres de la famille, parmi eux deux frères Kuenring, Hadmar III et Henri, surnommés « les chiens », parcourent l’histoire de Zwettl82.
90L’intégrité du territoire de la fondation tel qu’il est représenté par le circulus magnus est donc aussi un symbole de la bienveillance et des relations intactes entre le monastère et ses bienfaiteurs. Par conséquent, l’un des objectifs du Liber fundatorum fut d’inciter les contemporains à persister dans leur soutien du monastère, à l’exemple du pieux Leutold de Kuenring qui se fit montrer les anciens privilèges du monastère traitant, entre autres, « des limites et des anciennes possessions du monastère de Zwettl, à savoir de l’aliénation de la paroisse et de la ville de Zwettl et d’autres villages situés à l’intérieur des frontières et limites [intra metas et terminos] de notre monastère ». En lisant ces mots, Leutold se désola et promit de restituer quelques biens aliénés par ses parents et de laisser aux moines des revenus de 30 talents83. On voit donc que la composition du Liber fundatorum avec ses éléments diplomatiques, narratifs, voire poétiques, et iconiques constitue un instrument puissant et persuasif, susceptible d’agir sur les personnages d’influence.
91Pour conclure, je propose, en faisant écho à la contribution de Joseph Morsel dans ce volume, de revenir sur deux points : ce que la liste fait à l’image, et ce que les deux font à la mémoire.
92L’épisode rapporté par le Liber fundatorum de Zwettl témoigne des usages pratiques et du pouvoir médiatique de ce genre d’inventaire aux registres multiples. Les listes figurées constituent des pièces à conviction qui, par leur visualité, possédaient une évidence particulière : supports de mémoire incitant à l’action aussi bien qu’à la contemplation. Elles rappelaient l’histoire des origines du monastère par l’évocation du fondateur et des terres confiées par lui lors de la fondation : le fundus, les biens-fonds, comme les documents de Zwettl les appellent avec justesse.
93La mémoire des fondateurs, qui étaient souvent identiques aux saints patrons du monastère, était liée au site monastique au sens restreint aussi bien qu’à l’ensemble des possessions. L’acte de fondation ainsi que le fundus, partie la plus importante de la donation initiale, étaient de première importance pour l’image que les moines et les moniales se faisaient d’eux-mêmes. Le site monastique et les possessions tenaient ainsi une place considérable tant dans l’autoperception de la communauté que dans la représentation du monastère vis-à-vis de l’extérieur. La prééminence du fundus tenait d’abord à sa valeur matérielle : il constituait le signe des richesses du monastère, ce qui explique le soin que les moines et les moniales mettaient à la conservation des documents relatifs aux premières donations. Leur réécriture régulière assurait une continuité mémorielle. Ces actes de réminiscence étaient souvent liés à une mise en scène prestigieuse : cartulaires illustrés, inscriptions murales et transcriptions d’apparat (Prunkhandschriften) destinés à être présentés ou récités en public témoignent de cette volonté d’exhiber leurs biens matériels.
94Ces formes de réécriture, souvent enrichies par des éléments iconiques plus ou moins fastueux, étaient susceptibles d’amplifier l’impact des documents en question. En particulier, ils accentuaient la valeur symbolique de la propriété monastique en tant qu’espace sacralisé et protégé par les saints fondateurs ou par leurs descendants, en l’incorporant dans la commémoration liturgique de la communauté. En témoignent la peinture murale de Marmoutier et le retable de Stavelot. Il s’agit de représentations de la propriété monastique, situées à proximité de l’autel qui était l’endroit sacro-saint où étaient également confirmées les transactions de biens par la déposition des chartes de donation84.
95Il paraît donc logique que les formes iconiques utilisées dans ce contexte, telles les figurations diagrammatiques de Marmoutier, Sindelsberg et Zwettl, représentent en même temps un outil mnémotechnique efficace. Leur composition s’accorde avec les traditions de l’ars memorativa pratiquées depuis l’Antiquité. Elles se servaient du principe topologique qui régit également le fonctionnement de la mémoire humaine. La topologie mémorative reposait sur un choix de lieux imaginaires (loci communes) où étaient placés, sous la forme d’images ou de mots-clés, les idées ou les arguments d’un discours. Au XIIe siècle, on observe une évolution des techniques mémoratives en rapport avec les nouveaux outils de mise en page déjà mentionnés. Les graphismes, la tabulation, la mise en relief des items par l’usage des couleurs, des signes ou des initiales, ainsi que les éléments figuratifs, étaient les moyens de mieux structurer et d’enrichir l’énumération écrite en rendant perceptibles les rapports – généralement cachés – entre les items d’une liste écrite ainsi qu’entre la surface de la page et l’espace naturel, historique ou seigneurial ainsi représenté. Tout comme la liste écrite, la liste diagrammatique est le produit d’un triage et d’un réarrangement de différents opérateurs dans un esprit dialectique et en fonction d’un but spécifique, que ce dernier soit de nature spatiale, typologique, temporelle ou autre.
96L’essai de chronologie universelle attribué, à tort ou à raison, à Hugues de Saint-Victor, fournit un exemple significatif de cette évolution. L’auteur compare les opérations de la mémoire humaine avec la méthode de triage pratiquée par les changeurs de monnaie :
La disposition de l’ordre est l’illustration de la pensée. Distingue bien les phénomènes singuliers en leur assignant un lieu approprié. Mets les uns ici, les autres là, de manière à bien retenir les lieux où tu les as placés. La confusion est la mère de l’ignorance et de l’oubli ; par contre, la distinction illumine l’intelligence et la mémoire. Regarde le changeur ; il possède diverses monnaies qu’il enferme dans une seule bourse munie d’une multitude de compartiments séparés, de manière à ce qu’il puisse atteindre, dans un même mouvement de la main, plusieurs d’entre eux85.
97Mais, pour exemplifier sa méthode mnémotechnique qui se réfère aux principes de divisio et de compositio connus depuis Cicéron, Hugues n’a pas recours à la topologie tridimensionnelle de l’ars memorativa antique. Il se sert en revanche d’outils purement visuels : en annexe à son traité, il présente une série de soixante-dix tables contenant des noms et des dates qui déploient sous l’œil du lecteur les événements mémorables de l’histoire du salut86. Il s’agit, à mon avis, d’un fait remarquable qui marque une étape décisive dans l’évolution de la perception de l’espace : au cours du XIIe siècle, l’espace tridimensionnel cultivé par la mnémotechnique antique se trouve remplacé par l’espace plan des listes, diagrammes et figurations qui véhiculent une autre conception de la mémoire humaine : celle d’une page, une table ou une mappa où s’inscrit le savoir de façon planimétrique87. Hugues lui-même en est le témoin le plus célèbre. Il développa une mnémotechnique visuelle en associant la tradition antique de l’ars memorativa à une « visiologie » d’origine augustinienne qui, partant de la perception charnelle et procédant par la vue spirituelle, aboutit à la compréhension intellectuelle88. Sa méthode repose sur l’idée d’un regard de l’esprit (ictu mentis) qui embrasse la totalité des phénomènes terrestres89. Dans cette perspective, la compréhension et la connaissance sont comprises d’abord comme la capacité de voir90. Les diagrammes représentent la mise en image de ces révélations intellectuelles qui assemblent, de façon synoptique, les phénomènes éloignés les uns des autres91. Ils sont donc une manifestation exemplaire de ce que j’aimerais appeler la « rationalité visuelle » – notion apparemment contradictoire – qui me paraît être l’une des tendances novatrices du XIIe siècle.
Fig.1 – Inventaire-censier de Marmoutier

Fig. 2 – Inventaire-plan de Marmoutier

Fig. 3 – Inventaire-plan de Sindelsberg

Fig.4 – Inventaire-plan de Sindelsberg, détail

Fig. 5 – Inventaire-plan de Sindelsberg, miniature centrale

Fig. 6 – Retable de Saint-Remacle (dessin du XVIe siècle)

Fig. 7 – Circulus magnus dans le Liber fundatorum Zwettlensis (1324)

Notes de bas de page
1Je tiens à remercier Ludolf Kuchenbuch pour ses conseils précieux, ainsi que les collègues, parmi eux Nicolas Schroeder, qui m’ont aidée à me procurer la littérature nécessaire en ces temps difficiles, en m’envoyant généreusement des fichiers numérisés de leurs travaux. Enfin, je remercie vivement Pierre Chastang pour sa relecture attentive et sa patience. Je me limite ici à renvoyer aux réflexions fondamentales de M. Lauwers, « Circuitus et figura. Exégèse, images et structuration de l’espace des complexes monastiques dans l’Occident médiéval (IXe-XIIe siècle) », dans M. Lauwers (dir.), Monastères et espace social : genèse et transformation d’un système de lieux dans l’Occident médiéval, Turnhout, Brepols, 2014, p. 1-92.
2R. Fossier, Polyptyques et censiers, Turnhout, Brepols (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 28), 1978 ; L. Kuchenbuch, Bäuerliche Gesellschaft und Klosterherrschaft im 9. Jahrhundert. Studien zur Sozialstruktur der Familia der Abtei Prüm, Wiesbaden, Steiner, 1978 ; Id., Grundherrschaft im früheren Mittelalter, Idstein, Schulz-Kirchner, 1991 ; D. Lohrmann, « Formen der Enumeratio bonorum in Bischofs-, Papst- und Herrscherurkunden (9.-12. Jahrhundert) », Archiv für Diplomatik, 26, 1980, p. 281-311 ; J.-P. Devroey, « Élaboration et usage des polyptyques. Quelques éléments de réflexion à partir de l’exemple des descriptions de l’Église de Marseille (VIIIe-IXe siècle) », dans D. Hägermann, W. Haubrichs, J. Jarnut (dir.), Akkulturation. Probleme einer germanisch-romanischen Kultursynthese in Spätantike und frühem Mittelalter, Berlin/New York, W. de Gruyter, 2004, p. 436-472 ; Id., « Gérer et exploiter la distance. Pratiques de gestion et perception du monde dans les livres fonciers carolingiens », dans P. Depreux, F. Bougard, R. Le Jan (dir.), Les élites et leurs espaces : mobilité, rayonnement, domination (VIe-XIe siècles), Turnhout, Brepols, 2007, p. 49-65.
3U. Kleine, « La terre vue par les moines. Construction et perception de l’espace dans les représentations figurées de la propriété monastique, Marmoutier (Alsace) et Zwettl (XIIe-XIVe siècle) », dans M. Lauwers (dir.), Monastères et espace social…, op. cit., p. 147-184, ici p. 161-167.
4H. Haug, « Calamo et atramento posteritate memorie reservare. Kunstbeschreibung als Instrument der Rechtssicherung in Saint-Denis, Stablo und San Clemente in Casauria », dans A. Rathmann-Lutz (dir.), Visibilität des Unsichtbaren. Sehen und Verstehen in Mittelalter und Früher Neuzeit, Zurich, Chronos, 2011, p. 83-102 ; Id., Annales Ianuenses. Orte und Medien des historischen Gedächtnisses im mittelalterlichen Genua, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht 2016 ; G. Blennemann, « Eine Bildurkunde aus dem Benediktinerinnenkloster Sainte-Glossinde in Metz. Zugleich ein Beitrag zur mediävistischen Bild- und Objektwissenschaft », dans G. Blennemann, C. Kleinjung, T. Kohl (dir.), Konstanz und Wandel. Religiöse Lebensformen im europäischen Mittelalter, Affalterbach, Didymos, 2016, p. 169-198 ; M. Späth, Verflechtung von Erinnerung. Bildproduktion und Geschichtsschreibung im Kloster San Clemente a Casauria während des 12. Jahrhunderts, Berlin, Akademie Verlag, 2007 ; E. Magnani, « Enregistrer une donation. Acte diplomatique, vers et image dans la chronique versifiée de Saint-Martin-des-Champs », dans L. Faggion, L. Verdon (dir.), Le don et le contre-don. Usages et ambiguïtés d’un paradigme anthropologique aux époques médiévale et moderne, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2010, p. 23-37.
5P. Koch, « Von Frater Semeno zum Bojaren Neascu. Listen als Domäne früh verschriftlichter Volkssprache in der Romania », dans W. Raible (dir.), Erscheinungsformen kultureller Prozesse. Jahrbuch 1988 des Sonderforschungsbereichs « Übergänge und Spannungsfelder zwischen Mündlichkeit und Schriftlichkeit », Tübingen, G. Narr, 1990, p. 121-165 ; Id., « Graphé. Ihre Entwicklung zur Schrift, zum Kalkül und zur Liste », dans W. Raible (dir.), Schrift, Medien, Kognition, Tübingen, G. Narr 1997, p. 43-82.
6L. Kuchenbuch, « Teilen, Aufzählen, Summieren. Zum Verfahren in ausgewählten Güterverzeichnissen des 9. Jahrhunderts », dans U. Schaefer (dir.), Schriftlichkeit im frühen Mittelalter, Tübingen, G. Narr 1993, p. 181-206 ; Id., « Ordnungsverhalten im grundherrschaftlichen Schriftgut vom 9. bis zum 12. Jahrhundert », dans J. Fried (dir.), Dialektik und Rhetorik im früheren und hohen Mittelalter. Rezeption, Überlieferung und gesellschaftliche Wirkung antiker Gelehrsamkeit vornehmlich im 9. und 12. Jahrhundert, Munich, Oldenbourg, 1997, p. 175-268 ; Id., « Numerus vel ratio. Zahlendenken und Zahlengebrauch in Registern der seigneurialen Güter- und Einkünftekontrolle im 9. Jahrhundert », dans M. Wedell (dir.), Was zählt. Ordnungsangebote, Gebrauchsformen und Erfahrungsmodalitäten des numerus im Mittelalter, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2012, p. 235-272.
7L. Kuchenbuch, « Teilen, Summieren, Aufzählen… », art. cité, op. cit., p. 113-115.
8P. L. Butzer, D. Lohrmann (dir.), Science in Western and Eastern Civilization in Carolingian Times, Bâle/Boston/Berlin, Birkhäuser, 1993, p. 53-57 ; J. Fried (dir.), Dialektik und Rhetorik im früheren und hohen Mittelalter. Rezeption, Überlieferung und gesellschaftliche Wirkung antiker Gelehrsamkeit vornehmlich im 9. und 12. Jahrhundert, Munich, Oldenbourg, 1997 ; P. L. Butzer, M. Kerner, W. Oberschelp (dir.), Karl der Große und sein Nachwirken: 1200 Jahre Kultur und Wissenschaft in Europa. Charlemagne and his Heritage: 1200 Years of Civilization and Science in Europe, 2 vol., Turnhout, Brepols, 1997.
9L. Kuchenbuch, « Pragmatische Rechenhaftigkeit? Kerbhölzer in Bild, Gestalt und Schrift », Frühmittelalterliche Studien, 36, 2002, p. 469-490.
10M. Lauwers, « Circuitus et figura… », art. cité.
11L. Kuchenbuch, Grundherrschaft…, op. cit., p. 48 sq. ; Id., « Ordnungsverhalten… », art. cité, p. 264.
12W. Kemp, « Mittelalterliche Bildsysteme », Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft, 22, 1989, p. 121-134.
13Pour un aperçu général, voir : J. Baschet, La civilisation féodale. De l’an mil à la colonisation, Paris, Aubier, 2004, p. 456-503.
14C. Meier-Staubach (dir.), Pragmatische Dimensionen mittelalterlicher Schriftkultur. Akten des internationalen Kolloquiums (26.-29. Mai 1999), Munich, Fink (Münstersche Mittelalter-Schriften, 79) 2002 ; C. Meier-Staubach (dir.), Der Codex im Gebrauch. Akten des Internationalen Kolloquiums (11.-13. Juni 1992), Munich, Fink (Münstersche Mittelalter-Schriften, 70), 1996 ; C. Meier, U. Ruberg (dir.), Text und Bild. Aspekte des Zusammenwirkens zweier Künste in Mittelalter und früher Neuzeit, Wiesbaden, Reichert, 1990 ; H. Keller, « Vom heiligen Buch zur Buchführung. Lebensfunktionen der Schrift im Mittelalter », Frühmittelalterliche Studien, 26, 1992, p. 1-31 ; M. Clanchy, From Memory to Written Record. England 1066-1307, 2e éd., Oxford/Malden/ Carlton, Blackwell, 1993.
15M. C. Parkes, « The Influence of the Concepts of “Ordinatio” et “Compilatio” on the Medieval Book », dans Id. Scribes, Scripts, and Readers. Studies in the Communication, Dissemination and Presentation of Medieval Books, Londres, Hambledon Press, 1991, p. 35-70 ; M. Rouse, R. Rouse, « Statim invenire. Schools, Preachers, and New Attitudes to the Page », dans R. Benson, G. Constable (dir.), Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1982, p. 201-225 ; I. Illich, Im Weinberg des Textes. Als das Schriftbild der Moderne entstand. Ein Kommentar zu Hugos Didascalicon, Francfort-sur-le Main, Luchterhand, 1991. Une réévaluation récente : A. J. Kosto, « Statim invenire ante. Finding Aids and Research Tools in Pre-Scholastic Legal and Administrative Manuscripts », Scriptorium, 70, 2016, p. 285-309.
16S. Krämer, « Operationsraum Schrift: Über einen Perspektivenwechsel in der Betrachtung der Schrift », dans G. Grube, W. Kogge, S. Krämer (dir.), Schrift. Kulturtechnitk zwischen Auge, Hand und Maschine, Munich, Fink (Reihe Kulturtechnik), 2005, p. 23-60, ici p. 29 ; 36-42 ; Id., « Zur Grammatik der Diagrammatik. Eine Annäherung an die Grundlagen des Diagrammgebrauchs », Zeitschrift für Literatur und Linguistik, 176, 1998, p. 11-30, ici p. 11 ; Id., « “Schrift-Bildlichkeit” oder: Über eine (fast) vergessene Dimension der Schrift », dans H. Bredekamp, S. Krämer (dir.), Bild, Schrift, Zahl, Munich, Fink (Reihe Kulturtechnik), 2003, p. 157-176.
17B. Buettner, « Images, diagrammes et savoir encyclopédique », dans J. Baschet, P.-O. Dittmar (dir.), Les images dans l’Occident médiéval, Turnhout, Brepols (L’atelier du médiéviste, 14), 2015, p. 389-396, ici p. 389 ; I. Marchesin, « Proportions et géométrie significative », dans ibid., p. 213-226 ; C. Meier [-Staubach], « Malerei des Unsichtbaren. Über den Zusammenhang von Erkenntnistheorie und Bildstruktur im Mittelalter », dans W. Harms (dir.), Text und Bild, Bild und Text. DFG-Symposion 1988, Stuttgart, J. B. Metzler, 1990, p. 35-64 ; Id. « Die Quadratur des Kreises. Die Diagrammatik des 12. Jahrhunderts als symbolische Denk- und Darstellungsform », dans A. Patschovsky (dir.), Die Bildwelt der Diagramme Joachims von Fiore. Zur Medialität religiös-politischer Programme im Mittelalter, Ostfildern, Ostfildern, Jan Thorbecke Verlag, 2003, p. 23-53, 221-237. Voir aussi J.-C. Schmitt, « Les images classificatrices », Bibliothèque de l’École des chartes, 149, 1989, p. 311-341 ; Id., « Qu’est-ce qu’un diagramme ? À propos du Liber floridus de Lambert de Saint Omer (ca. 1120) », dans E. C. Lutz, V. Jerjen, C. Putzo (dir.), Diagramm und Text. Diagrammatische Strukturen und die Dynamisierung von Wissen und Erfahrung, Wiesbaden, Reichert, 2014, p. 79-95.
18C.-É. Perrin, Essai sur la fortune immobilière de l’abbaye alsacienne de Marmoutier aux Xe et XIe siècles, Strasbourg, Heitz, 1935, p. 153-166 (édition critique).
19L. Kuchenbuch, « Teilen, Summieren, Aufzählen… », art. cité, p. 107 sq.
20W. Rösener, Grundherrschaft im Wandel. Untersuchungen zur Entwicklung geistlicher Grundherrschaften im südwestdeutschen Raum vom 9. bis zum 14. Jahrhundert, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1991, p. 162-174, 387-398.
21E. Herr, Das ehemalige Frauenkloster Sindelsberg. Urkundenbuch mit einleitenden historischen Untersuchungen, Strasbourg, J. H. E. Heitz, 1912, p. 89-103.
22F. Petry, E. Kern, « Découvertes archéologiques dans l’ancienne abbatiale de Marmoutier (Bas-Rhin). Rapport provisoire », Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire, 20, 1977, p. 39-88.
23C.-É. Perrin, Marmoutier…, op. cit., p. 18, n. 40.
24W. Rösener, « Die Gründung von Kreuzfeld durch Abt Meinhard von Marmoutier. Zum Wandel einer Benediktinerabtei im Hochmittelalter », dans S. Gouguenheim (dir.), Retour aux sources. Textes, études et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, Paris, Picard, 2004, p. 729-737.
25C.-É. Perrin, Essai sur la fortune…, op. cit., p. 132.
26Ibid., p. 133 sq.
27E. Herr, « Die Schenkung der Mark Maursmünster », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, 60, 1906, p. 527-600 ; C.-É. Perrin, op. cit., p. 123-127.
28Ibid., p. 25-27 et la carte en annexe.
29Sur ce principe voir D. Méhu, « Les rapports dans l’image », dans J. Baschet, P.-O. Dittmar (dir.), Les images dans l’Occident médiéval, Turnhout, Brepols (L’atelier du médiéviste, 14), 2015, p. 276.
30Ibid.
31G. Bandmann, « Kirche, Kirchenbau », dans E. Kirschbaum et al. (dir.), Lexikon der christlichen Ikonographie, Rome/Fribourg/Bâle/Vienne, Herder, 1970, vol. 2, col. 514-529 ; W. Greisenegger, « Ecclesia », dans ibid., vol. 1, col. 562-569 ; D. Méhu, « Les figures de l’édifice ecclésial d’après le Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle », Toulouse, Privat (Cahiers de Fanjeaux 46), 2010, p. 79-113.
32W. Rösener, Grundherrschaft im Wandel. Untersuchungen zur Entwicklung geistlicher Grundherrschaften im südwestdeutschen Raum vom 9. bis zum 14. Jahrhundert, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1991, p. 388-390.
33M. Wedell, « Actio – loquela digitorum – computatio. Zur Frage nach dem numerus zwischen Ordnungsangeboten, Gebrauchsformen und Erfahrungsmodalitäten », dans Id. (dir.), Was zählt…, op. cit., p. 15-63.
34Le coutumier est édité par J. D. Schoepflin, Alsatia aevi Merovingici Carolingici, Saxonici, Salici diplomatica operis pars I, Mannheim, Ex Typogr. academica, 1772, p. 225-230. Un commentaire chez C.-É. Perrin, Essai sur la fortune…, op. cit., p. 103-123, et W. Rösener, Grundherrschaft…, op. cit., p. 387-399.
35C.-É. Perrin, Essai sur la fortune…, op. cit., p. 126, n. 97. Le degré d’influence de l’abbaye sur l’église paroissiale n’est pas clair. Le coutumier indique seulement que le curé devait à l’abbé un cens de reconnaissance.
36Édition critique : Die Urkunden der Merowinger, T. Kölzer (éd.), avec la collaboration de M. Hartmann, A. Stieldorf, 1re partie, Hanovre, Hahn (MGH, Diplomata regum francorum e stirpe merovingica), 2001, no 186, p. 462-465 ; commentaire : T. Kölzer, « Maursmünster », dans Id., Merowingerstudien, vol. 2, Hanovre, Hahn (MGH, Studien und Texte, 26), 1999, p. 34-49.
37E. Herr, « Die Schenkung… », art. cité, p. 559.
38Le texte : ibid., p. 559. Il existe une reproduction faite par Volcyr, éditée par F. Sigrist, L’abbaye de Marmoutier, t. 1, Strasbourg, Le Roux, 1899, p. 35 ; mais elle ne correspond pas à sa description ; manquent la représentation des possessions et les portraits des bienfaiteurs. Manifestement, son intérêt principal portait sur le texte de l’inscription.
39Ibid.
40AD du Haut-Rhin, G 1373/1 (exemplaire A), H 589/2 (exemplaire B). Le texte de B (légèrement divergent et muni de nombreux addenda) est le manuscrit de référence de l’édition d’E. Herr, Das ehemalige Frauenkloster, op. cit., p. 89-103.
41Anno ab incarnatione domini · oM·oC·oXV· Calixto oII [corrigé d’une main postérieure: Paschalis] · papante · Henrico · oIIII · imperante ·| Mons Sindenus a Sindeno beati Leobardi Aquileię Mauri monasterii primi| fundatoris discipulo · Sindeni curia quondam appelatus · temporibus Richwino abbatis ·|a Richwino preposito postea Novillarensi abbate · ex revelatione fundatus in diebus pii Adelonis regularis vitę sanctimonialibus|| deputatus · rogatu inclitę memorię domni Meinhardi · XXX · abbatis .| a venerabili Theodewino Dei gratia sanctę Rufinę episcopo · apostolice sedis legato primitus| autem huius loci professo · in honore sanctę Dei genitricis · ac beati Blasii est consecratus · anno verbi incarnati · M·C·XXX·VII · Innocentio papante Lothario · II · regnante (transcription de l’auteure).
42A parte montis orientali · vinea ad duas carradas vini ·| A plaga septentrionali · media pars lapidicinae · cum censu| Atque servitio omnium assidentium cum decima .| Ab hora meridiali versus austrum · pomerium ·| Ab occidentali · vinea ad VIII· carradas cum pomerio ·| Silvula curię contigua et assita · a molendino quod a moder|nis (|) dicitur Wofelguti · usque duram viam in longitudine ·| per latitudinem autem ex toto · a campo ad campum ·| Vinea quoque ad [espace laissé vide] carradas in clivo sita ·| Haec quidem omnia · non attinentia vel appendi|cia · sed (|)ipse mons nominantur.
43Ce principe d’énumération est connu aussi pour les polyptyques médiévaux : il correspond, selon J.-P. Devroey, à des mouvements réels, mais aussi à une habitude mnémotechnique qui consistait mentalement à « tourner autour des choses » : J.-P. Devroey, « Gérer et exploiter… », art. cité, p. 64.
44En témoignent aussi les nombreuses additions dans l’exemplaire B, voir U. Kleine, « Die Ordnung der Landschaft und die Organisation der Seite. Konstruktion und Repräsentation ländlicher Herrschaftsräume im vorkartographischen Zeitalter (Elsaß, 12. Jahrhundert) », dans G. Engel, T. Michalsky, F. Schmieder (dir.), Aufsicht–Ansicht–Einsicht. Neue Perspektiven auf die Kartographie an der Schwelle zur Neuzeit, Berlin, Trafo-Verlag, 2009, p. 229-261, ici p. 244, n. 47 ; 257 sq.
45C.-É. Perrin, Essai sur la fortune…, op. cit., p. 9-12.
46J.-C. Schmitt, « Les images classificatrices », Bibliothèque de l’École des chartes, 149, 1989, p. 323.
47D. Méhu, « Locus, transitus, peregrinatio. Remarques sur la spatialité des rapports sociaux dans l’Occident médiéval, XIe-XIIe siècle », dans Construction de l’espace au Moyen Âge : pratiques et représentations. XXXVIIe congrès de la SHMESP (Mulhouse, 2-4 juin 2006), Paris, Publication de la Sorbonne, 2007, p. 275-294.
48J. Robert, Raum und Geschichte. Studienbrief, 6 vol., Hagen, Fernuniversität, 1998. Pour mieux saisir l’importance de cette notion spatiale élémentaire, Robert a forgé le terme Domestizität (« domesticité »).
49À partir d’une charte de 1166 sur l’acquisition de biens effectuée par l’abbé Wernher, M. Hanauer a pu calculer la valeur du manse de Marmoutier, qui est de 35 acres, donc environ un hectare (en estimant l’acre de 25 à 35 ares), voir F. Sigrist, Marmoutier…, op. cit., p. 247 et suiv.
50A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », dans N. Bulst, R. Descimon, A. Guerreau (dir.), L’État ou le roi : les fondations de la modernité monarchique en France (XIVe-XVIIe siècle), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1996, p. 85-101 ; Id., « Structure et évolution des représentations de l’espace dans le haut Moyen Âge occidental », dans Uomo e spazio nell’alto medioevo, Spolète, Centro di studio sull’alto Medioevo (Settimane di studio des centro italiano di studi sull’alto medioevo, 50), 2003, t. 1, p. 91-116 ; J. Schneider, « Punkte im Raum. Zur Bedeutung von Orten für die Ausbildung von Herrschaft » dans Territorium, Raum und Politik, Actes des rencontres du projet franco-allemand ANR-DFG, Tobias-lib, Tübingen, 2013, http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/79/03/17/PDF/Territorium_Schneider.pdf
51Sur ce développement, sensible au XIIe siècle, voir W. Rösener, Grundherrschaft…, op. cit., p. 398 (une indication de la fragmentation progressive sont les faibles dimensions des possessions de Sindelsberg).
52Pour le champ sémantique des lexèmes vinea et curtile, on se référera à l’analyse sémantique d’A. Guerreau, « Vinea », dans M. Goullet, M. Parisse (dir.), Les historiens et le latin médiéval, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, p. 67-73 ; Id., L’avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Âge au XXIe siècle ?, Paris, Seuil, 2001, p. 191-205.
53M. Lauwers, « Des lieux sacrés aux territoires ecclésiaux dans la France du Midi : quelques remarques préliminaires sur une dynamique sociale », dans Lieux sacrés et espace ecclésial (IXe-XVe siecle), Toulouse, Privat (Cahiers de Fanjeaux, 46), 2011, p. 13-36.
54Sans vouloir forcer le trait, on est tenté d’assimiler les bandes croisées des plans aux lignes croisées du double alphabet tracées sur le sol de l’église au moment de la consécration, voir M. Lauwers, « Des lieux sacrés… », art. cité, p. 18 sq.
55Au début du XXe siècle, E. Herr reconstruisit avec succès le tracé de la limite car la plupart des signes terminaux étaient encore visibles sur le terrain, voir E. Herr, « Die Schenkung… », art. cité, p. 571-587.
56A. Guerreau, « Quelques caractères de l’espace féodal… », art. cité, p. 85-101.
57L. Kuchenbuch, « “Abschied von der Grundherrschaft”. Ein Prüfgang durch das ostfränkisch-deutsche Reich, 950-1050 », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, Germ. Abt. 121, 2004, p. 1-99.
58Il s’agit, selon N. Schroeder, des localités suivantes : Stavelot, Roanne, Wanne, Fosses, Lierneux, Bodeux, Rahier, Chevron, Odeigne, Louveigné, Tourinnes, Möderscheid, Xhoris, Chanxhe, Filot, Ferrières, Château-de-Logne, Sprimont, Ozo, Fisenne, Genneret, Herpha (?), Ocquier, Schaltin, Leignon, Férage, Finnevaux, Wellin, Fescourt, Doreux, Palliseul, Haut-Fays, Chooz, Bogny, Germigny, Charbeaux, Doma, Wachendorf, Luxem, Malmedy, Weismes, Francorchamps, Neundorf, Amblève, Hosenbach, Baasem, Daelhem, Bassenge, Lorcé, Xhignesse, Fairon, Comblain, Presseux, Waleffe-Saint-Pierre, Sclessin, Linchet, Lantremenge, Beho, Willine, Traben-Trarbach, Greimersburg, Leutesdorf : N. Schroeder, « Remarques d’historien sur le retable de Saint Remacle », dans A. Lemeunier, N. Schroeder (dir.), Wibald en questions. Un grand abbé lotharingien du XIIe siècle. Actes du colloque de Stavelot (19-20 novembre 2009), Stavelot, 2010, p. 71-76, ici p. 74 (https://ulb.academia.edu/NicolasSchroeder). Pour une analyse de la liste dans une perspective iconographique voir H. Haug, « Calamo et atramento… », art. cité, p. 91, n. 20.
59N. Schroeder, « Remarques… », art. cité, p. 72.
60Ibid., p. 72-73 et n. 11 ; S. Wittekind, Altar – Reliquiar – Retabel. Kunst und Liturgie bei Wibald von Stablo, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2004, p. 4-6, 289-291.
61N. Schroeder, art. cité, p. 72-73 ; Id., Les hommes et la terre de saint Remacle. Histoire sociale et économique de l’abbaye de Stavelot-Malmedy, VIIe-XIVe siècle, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2015, p. 250-256.
62Id., « Remarques… », art. cité, p. 72.
63Id., Les hommes et la terre…, op. cit., p. 250, 255.
64S. Wittekind, Altar – Reliquiar – Retabel…, op. cit., p. 289-292, avec fig. 110.
65L’édition la plus récente se trouve chez Kölzer et al., Die Urkunden der Merowinger…, op. cit., no 81 ; le commentaire : T. Kölzer, « Die Merowingerurkunden für Stablo-Malmedy », dans Id., Merowingerstudien…, op. cit., vol. 1, 1998, p. 1-95. Selon Kölzer, le diplôme présente des omissions considérables (protocole, eschatocole) ainsi que de nombreuses formules inusitées qui laissent supposer que l’original suivit le style des chartes émises par les maires du palais plutôt que celui de la chancellerie royale et que cet original fut en outre remanié par un ou plusieurs copistes.
66Ibid. : ut girum girando in utrorumque partibus monasteriorum mensurarentur spatia dextrorum saltibus non plus duodecim miliaribus, ut absque inpressione populi vel tumultuatione seculari Deo soli vacarent. La formule reste opaque. Parle-t-elle d’un diamètre ou d’un rayon de douze milles (romains) ? S’agit-il de deux circonscriptions distinctes ou plutôt d’une seule zone commune aux deux abbayes ?
67Vita prima Sancti Remacli, B. Krusch (éd.), Hanovre, Hahn (MGH Scriptores rerum Merovingicarum, 5 : Passiones vitaeque sanctorum aevi Merovingici, III), 1910, p. 104-108.
68Bamberg, Staatsbibliothek, Cod. Hist. 161 (Stavelot, première moitié du Xe siècle). Outre la Vita vel actus s. Remacli (IXe siècle, fol. 9-27), le manuscrit contient une hymne (fol. 1-5) et une homélie (fol. 86 v-103) pour la fête du saint ainsi qu’une série de miracles (fol. 28 v-84 v). La transcription des diplômes (fol. 108 v-140 v) est accompagnée d’une miniature de pleine page (fol. 109 v) qui figure la scène de la fondation et la donation du roi Sigebert III. Elle précède la charte de donation royale (fol. 110-112). Une description du manuscrit avec la reproduction de la miniature se trouve chez A. von Euw (éd.), Vor dem Jahr 1000. Abendländische Buchkunst zur Zeit der Kaiserin Theophanu, Cologne, Locher, 1991, no 43, p. 152 sq.
69S. Wittekind, Altar–Reliquiar–Retabel…, op. cit., p. 259-301 ; voir aussi W. Kemp, « Substanz wird Form–Form ist Beziehung. Zum Remaklus-Altar der Abtei Stavelot », dans M. Papenbrock (dir.), Kunst- und Sozialgeschichte. Festschrift für Jutta Held, Pfaffenweiler, Centaurus-Verlagsgesellschaft, 1995, p. 219-234.
70Liber fundatorum Zwetlensis monasterii. Vollständige Faksimile-Ausgabe im Originalformat der Handschrift 2/1 des Stiftsarchivs Zwettl, J. Rössl (éd.), t. 1 (facsimile), t. 2 (commentaire), Graz, Akademische Druck- und Verlagsanstalt, 1981. Le manuscrit est accessible en ligne : https://manuscripta.at/diglit/AT9800-A2_1/1/thumbs. Édition : Das Stiftungen-Buch des Cistercienser-Klosters Zwetl, J. von Frast (éd.), Vienne, K. K. Hof- und Staats-Druckerei, 1851. Le nom populaire Bärenhaut provient de la reliure en peau de porc.
71Das Stiftungen-Buch, op. cit., p. 31. Sur l’histoire de la fondation, voir R. Zehetmayr, Kloster und Gericht. Die Entwicklung der klösterlichen Gerichtsrechte und Gerichtsbarkeit im 13. Jahrhundert unter besonderer Berücksichtigung der Zisterze Zwettl, Vienne/Munich, R. Oldenbourg, 2001, p. 11-20 ; H. Wolfram, « Die Ministerialenstiftung Zwettl und ihre rechtliche Begründung », dans Die Kuenringer. Das Werden des Landes Niederösterreich. Niederösterreichische Landesausstellung, Stift Zwettl (16. Mai-26. Oktober 1981), 2e éd., Vienne, Amt der Niederösterreichischen Landesregierung, 1984, p. 161-166 ; J. Rössl, « Die Frühgeschichte des Zisterzienserklosters Zwettl. Eine Darstellung mit Regesten », Blätter für deutsche Landesgeschichte, 113, 1977, p. 44-88 ; F. Reichert, « Polansteig und Böhmensteig. Zur ältesten Besitzgeschichte der Zisterze Zwettl », Jahrbuch für Landeskunde von Niederösterreich, 43, 1977, p. 64-80 ; A. Wagner, Der Grundbesitz des Stiftes Zwettl–Herkunft und Entwicklung. Eine historisch-topographische Übersicht, Vienne, Verein für Landeskunde und Heimatschutz von Niederösterreich und Wien, 1938.
72J. Rössl, A. Haidinger, « Der Liber fundatorum des Klosters Zwettl, die sogenannte Bärenhaut », dans Die Kuenringer…, op. cit., p. 173-182 ; J. Rössl, « Die Zwettler “Bärenhaut”- nochmals als exemplarischer Beleg », dans H. Patze (dir.), Geschichtsschreibung und Geschichtsbewußtsein im späten Mittelalter, Sigmaringen, Thorbecke, 1987, p. 663-680 ; K. Brunner, « Die Zwettler “Bärenhaut” – Versuch einer Einordnung, dans ibid., p. 647-662 ; H. Patze, « Adel und Stifterchronik. Frühformen territorialer Geschichtsschreibung im hochmittelalterlichen Reich », première partie, Blätter für deutsche Landesgeschichte, 100, 1964, p. 8-81.
73Dans le diplôme royal, on les appelle villae, tandis que le privilège pontifical parle de grangiae, sans doute pour signaler que la donation de Hadmar fut en accord avec les normes cisterciennes qui interdisaient à leurs abbayes d’accepter des villes et de les exploiter sur la base du système seigneurial.
74Liber fundatorum…, op.cit., no 74, p. 32 sq. : tradidimus predium Zwetel dictum in Nortica Silva situm cum hiis villis Geizrvk, Racensruta, Zembezeleins, Gerates, Gradenze, Rvdmares, Scelebaes. Cum hiis autem tractibus et finibus notatis scilicet a lapide qui est ultra terminum Moyderates hevmad, a latere uno tenditur in directum usque ad uiam qui antiquitus dicitur Beheimsteich, hec uero uia ex altero latere est certissimus terminus diuidens se a predicta uia in loco cuius uocabulum est Guotentanne et ueniens usque ad fluuium qui Zwetel dicitur inde procedit usque ad fluuium qui maior Champ nuncupatur.
75Et pour qu’elles puissent être vérifiées dans un index alphabétique de toutes les possessions du monastère qui se trouve vers la fin du codex, aux fol. 136-137, et qui précède un censier de 1280 qui constitue la dernière partie du manuscrit : sicut in registris sequenti operis plenius apparebit.
76Un exemple similaire, datant du XIIIe siècle, est fourni par la transcription commentée du polyptyque de Prüm (Prümer Urbar), confectionnée par Caesarius de Milendonk, voir L. Kuchenbuch, « Die Achtung vor dem alten Buch und die Furcht vor dem neuen. Caesarius von Milendonk erstellt 1222 eine Abschrift des Prümer Urbars von 893 », Historische Anthropologie, 3, 1995, p. 175-202.
77Texte des inscriptions : (1) Monasterium gloriose virginis Marie in zwetel quod a predio zwetel nomine dinoscitur accepisse. (2) Civitas zwetel cum foro ubi resedit hadmarus primus fundator zwetlensis coenobii. (3) Ecclesia parrochialis sancti Johannis evangeliste sita in monte. (4) Grangia quae dicitur Macra curia [Dürnhof]. (5) Gaizrukk [Gaisruck] quondam grangia nunc destructa. (6) Petzlems [Pötzles] quondam grangia. (7) Erleich [Edelhof] grangia quae in privilegio scelebars id est stralbach et erleich dicitur. (8) Retschen grangia.
78Pour la Zwettl : fluvius qui zwetel dicitur transiens inter predium castri et civitatem qui ab aqua nomen trahit ; pour le Kamp : fluvius qui maior champ dicitur fluens cum zwetlensi fluvio iuxta claustrum et contra orientum largiter derivatus praefatum monasterium ambiendo.
79B. Buettner, « Images… », art. cité.
80Voir n. 15.
81Ibid., p. 656.
82R. Zehetmayr, Kloster und Gericht…, op. cit., p. 30 sq. ; A. Wagner, Der Grundbesitz des Stiftes Zwettl…, op. cit., p. 14 ; J. Rössl, « Die Frühgeschichte… », art. cité, p. 46.
83Das Stiftungen-Buch…, op. cit., p. 238 sq. : Cum autem ad eos articulos privilegiorum prouentum fuisset ubi de metis et antiquis possessionibus zwetlensis monasterii tractabatur […] ingemuit et doluit et talia uerba uel similia est exersus. Vtinam patrui mei de Potendorf in hoc mecum in domino concordarent et possessiones a zwetlensi monasterio per progenitores nostros male alienatas beate Marie uirgini resignarent.
84A. Angenendt, « Cartam offerre super altare. Zur Liturgisierung von Rechtsvorgängen », Frühmittelalterliche Studien, 36, 2002, 133-158.
85Hugues de Saint-Victor, De tribus maximis circumstantiis gestorum, W. M. Green (éd.), Speculum, 18, 1943, p. 488-492 : Dispositio ordinis illustratio est cogitationis. Dispone et distingue singula locis suis, seorsum ista et seorsum illa, ut scias quid ibi et quid ibi collocatum sit. Confusio ignorantiae et oblivionis mater est, discretio autem intelligentiam illuminat et memoriam. Vide nummularium diversas monetas habentem, quemadmodum marsupium unum multiplice divisione intersepiat, ita ut unus ambitus plures intrinsecus cellas complectatur.
86Ibid., p. 492 ; à ce sujet voir M. J. Carruthers, The Book of Memory. A Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge, Cambridge University Press, 1993 [réimpression de l’édition de 1987] ; Id., The Craft of Thought. Meditation, Rhetorics, and the Making of Images, 400-1200, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
87M.J. Carruthers, Book of Memory…, op. cit., p. 122.
88D. Méhu, « Augustin, le sens et les sens. Réflexions sur le processus de la spiritualisation du charnel dans l’église médiévale », Revue historique, 370, 2015, p. 271-302. Pour les rapports apparents entre imago et imaginatio, l’imaginaire et les expériences visionnaires, voir J.-C. Schmitt, Le corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 2002, p. 297-362 ; Steffen Bogen, « Träumt Jesse? Eine ikonographische Erfindung im Kontext diagrammatischer Bildformen des 12. Jahrhunderts », dans T. Lentes, D. Ganz (dir.), Ästhetik des Unsichtbaren. Bildtheorie und Bildgebrauch in der Vormoderne, Berlin, Reimer, 2004, p. 219-240 ; U. Kleine, « Ce sont les mots que profère une langue nouvelle. Élisabeth de Schönau et le renouveau de la prophétie du XIIe siècle », dans P. Henriet, K. Herbers, H.-C. Lehner (dir.), Hagiographie et prophétie, VIe-XIIIe siècle, Florence, Edizioni del Galluzzo, 2017, p. 145-192.
89B. Obrist, « Image et prophétie au XIIe siècle : Hugues de Saint-Victor et Joachim de Flore », Mélanges de l’École Française de Rome, Moyen-Âge, Temps modernes, 98, 1986, p. 35-63, ici p. 49 ; P. Henriet, « Espace et temps dans les visions cosmiques des saints », dans Id., K. Herbers, H.-C. Lehner (dir.), Hagiographie et prophétie…, op. cit., p. 111-126.
90B. Obrist, « Image et prophétie… », art. cité, p. 40, à partir d’Hugues de Saint-Victor, De vanitate mundi, J.-P. Migne (éd.), PL 176, col. 704. Outre son traité sur la chronologie, il faut tenir compte de ses œuvres sur l’arche de Noé ainsi que sur la description de la mappa mundi ; voir J. Ehlers, « Arca significat ecclesiam. Ein theologisches Weltmodell aus der ersten Hälfte des 12. Jahrhunderts », Frühmittelalterliche Studien, 6, 1972, p. 171-187 ; P. Gautier Dalché, La Descriptio mappae mundi de Hugues de Saint-Victor, Paris, Études augustiniennes, 1988, p. 62-77.
91C. Meier, « Malerei des Unsichtbaren…. », art. cité, p. 36. Voir aussi H. Haug, C. Lechtermann, A. Rathmann-Lutz, « Diagramme im Gebrauch », Das Mittelalter, 22, 2017, p. 259-266 ; D. Méhu, « Les rapports dans l’image », art. cité, p. 275-290.
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La cité et l’Empereur
Les Éduens dans l’Empire romain d’après les Panégyriques latins
Antony Hostein
2012
La délinquance matrimoniale
Couples en conflit et justice en Aragon (XVe-XVIe siècle)
Martine Charageat
2011
Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge
XLe Congrès de la SHMESP (Nice, 4-7 juin 2009)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (dir.)
2010
Une histoire provinciale
La Gaule narbonnaise de la fin du IIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.
Michel Christol
2010