Ce que la liste fait à l’espace – ce que l’espace fait à la liste
Observations à propos d’un corpus d’actes seigneuriaux (Franconie, XVe siècle)
p. 209-247
Texte intégral
1Depuis deux ou trois décennies, on a pris conscience du rapport très différent de la société médiévale à ce qui relève pour nous de l’évidence et a constitué des cadres largement irréfléchis du travail des historiens : l’espace, le temps, l’écriture. La question des listes et de l’espace croise donc les questionnements de deux de ces cadres (inéluctablement liés à celui de la temporalité1), dont certains travaux permettent d’ailleurs de repérer des inflexions chronologiquement proches : la « révolution documentaire » du XIIe siècle n’est finalement pas si éloignée de phénomènes décrits comme « l’ancrage spatial » de l’aristocratie laïque ou « la spatialisation du social », repérés à travers les changements dans les modes d’identification des dominants laïques, ni des processus de « communautarisation » de l’Occident que l’on désigne sous des termes variés (« encellulement », inecclesiamento, communalisme, etc.).
2Si l’on admet que la spatialité est une production sociale et qu’elle connaît peut-être une inflexion vers le XIIe siècle ; que la scripturalité est un mode très puissant de production du social et qu’elle connaît sans doute aussi une inflexion vers le XIIe siècle ; enfin que la mise en liste est, selon l’hypothèse de J. Goody, une modalité essentielle de la scripturalité2 –, alors on ne peut que s’interroger sur l’hypothèse d’un rapport entre tout ceci, hypothèse dont la nature logique est hautement incertaine : causalité directe ou structurale, codérivation, corrélation, coïncidence ? D’où la symétrie de mon titre, qui doit être plutôt compris comme l’acceptation préalable d’une pluralité de possibles (du genre « tout est dans tout et réciproquement3 ») que comme l’énoncé de certitudes…
3Plus précisément, « ce que la liste fait à l’espace » peut donc être considéré comme une manière de s’interroger sur les modalités de production de l’espace par la liste, puisqu’il est désormais admis que l’espace est une production sociale4 et que la production écrite ne peut être réduite à la simple traduction formelle d’un social préexistant – mais jusqu’à quel point ? Quant au segment « ce que l’espace fait à la liste », il peut renvoyer d’un côté à la question de savoir comment rendre compte, sous forme de liste, d’une spatialité effective (pour nous, spontanément, ce serait sous la forme d’une carte ou d’une image satellite) – c’est-à-dire à la question des modalités de qualification/sémiotisation de l’espace (ici seigneurial). Mais le segment pourrait aussi être entendu au niveau même de la liste, puisque toute liste, quelle que soit sa forme, est un objet spatial qui s’inscrit à la surface d’une feuille ou d’un ensemble de feuilles : cette dimension spatiale est-elle une simple dimension « accidentelle » ou fait-elle partie de ce qui fait liste, comme si la mise en liste était intrinsèquement une mise en espace ? C’est une question à l’arrière-plan de nos discussions initiales autour de la définition de la liste et de son rapport avec l’énumération, puisqu’une définition limitée à la parataxe implique très secondairement (voire pas du tout) la question de l’espace, au contraire d’une définition prenant en compte la question de la disposition graphique.
4Le but de ma contribution ne sera cependant pas de prétendre répondre à la question du rapport entre les phénomènes du XIIe siècle évoqués – ni à celle de la définition de la liste. Me plaçant dans une perspective d’histoire du pouvoir seigneurial, je m’interrogerai à l’aval, à partir d’un corpus doté d’une certaine homogénéité (des actes du XVe siècle concernant une même seigneurie franconienne, celle Burgsinn-Büchold5, et destinés à stabiliser les rapports internes au groupe dominant local6), sur ce que la morphologie (y compris codicologique) des usages de co-énumération et leur variation peuvent nous permettre de comprendre de la spatialité du pouvoir seigneurial. Réciproquement, je me demanderai dans quelle mesure, étant donné les enjeux spatiaux du pouvoir seigneurial, le recours à la liste n’est pas devenu une modalité formelle sinon nécessaire, du moins extrêmement efficace de représentation stabilisée dudit pouvoir. Mais surtout, je m’interrogerai, à partir du corpus en question, sur ce qui fait liste – en déplaçant cette fois le regard de l’espace seigneurial à l’espace scriptural.
5Je commencerai par présenter le corpus documentaire sur lequel reposeront mes observations. J’examinerai ensuite la manière dont le principe de co-énumérabilité, syntaxique ou graphique, est mis en œuvre pour définir des objets spatiaux sous domination seigneuriale (ou des objets seigneuriaux spatialisés). Pour finir, je tenterai de monter en généralité à propos des listes, du pouvoir seigneurial et de l’espace (seigneurial et scriptural).
Fig. 1 – Carte de localisation des lieux mentionnés dans les documents

Corpus
6Quatre ensembles documentaires pourraient entrer ici en ligne de compte, mais je n’en retiendrai que trois. Le premier correspond à la charte par laquelle, en 1405, l’évêque de Wurtzbourg vend à Wilhelm von Thüngen la totalité du château de Burgsinn et toutes ses dépendances (dans de multiples villages des alentours). La charte originale remise aux Thüngen est à ma connaissance perdue, mais on en conserve la copie dans le cartulaire établi à la demande de Sigmund Ier, fils aîné de Wilhelm7, ainsi que diverses copies postérieures, et surtout elle est insérée dans la contre-lettre (ou charte réversale) que Wilhelm a remise à l’évêque lors de la transaction de 1405 – acte très certainement établi par la chancellerie épiscopale elle-même et qui fait donc figure d’acte authentique, lui-même conservé en original8. L’intérêt de cette charte dans notre perspective est qu’elle fournit une « liste de pertinences », c’est-à-dire l’énumération générique des types d’objets et de droits qui relèvent du château. Or ces objets et droits relevant du château de Burgsinn sont également consignés par écrit au sein du cartulaire de Sigmund von Thüngen susmentionné, dans une liste établie en deux versions, allemande et latine, dont on ne connaît pas l’existence éventuelle d’originaux mais dont le caractère de copie de liste plus ancienne est envisageable. On peut ainsi imaginer que cette liste ne date pas seulement de 1449 (date du cartulaire) mais qu’au moins la version latine (qui plus est avec ce qui semble être quelques erreurs de copie9) aurait pu être réalisée au moment de la vente de 1405, par la chancellerie épiscopale (d’où la forme latine).
7Outre ces documents concernant Burgsinn, le même cartulaire comprend diverses listes de tenures, terroirs et dîmes des alentours de Thüngen, établies lors de partages opérés au plus tard en 1445-144710. Seules deux listes concernant les terres dépendant de la cour (hof) de Heßlar sont expressément datées (1445 et 1447) et en relation l’une avec l’autre ; en revanche, quatre listes intercalées entre elles (et concernant Büchold, Sachserhof, Zeitrode et diverses dîmes) ne sont pas datées, et il n’est pas exclu qu’elles remontent aux années 1420, au moment où les cousins germains Sigmund et Balthasar von Thüngen précisent leurs droits communs et respectifs ; mais leur compilation, elle, date bien de 1449.
8Un troisième ensemble documentaire provient d’un fragment de cartulaire-censier, compilé selon toute vraisemblance vers 1475 dans le cadre d’un partage successoral consécutivement à la mort de Balthasar von Thüngen (cousin germain de Sigmund)11. Il s’agit en l’occurrence d’une liste (amputée de son début) de censitaires dans une vingtaine de lieux entre Saale et Wern, relevant selon toute vraisemblance du château de Büchold. Un quatrième acte, concernant la seigneurie de Burgsinn, sera laissé ici de côté : il s’agit de l’aveu de droits (Weistum) concernant le village de Mittelsinn, établi vers 145012, intéressant du point de vue de la question de la liste mais dont les objets ne sont pas autrement spatialisés que par la référence globale à Mittelsinn.
9Ce corpus présente donc une certaine homogénéité. Tous les actes proviennent d’un ensemble compact de personnes : Wilhelm, son fils Sigmund et son neveu Balthasar (donc cousin germain de Sigmund), Sigmund et Balthasar ayant par ailleurs conclu en 1421 un accord, validé par le tribunal impérial, de donation mutuelle au dernier vivant des deux en cas d’absence d’héritier. La plupart concernent par ailleurs des lieux affectés par un changement (une vente, plusieurs partages – successoraux ou non) impliquant la redéfinition d’espaces soumis à un nouveau pouvoir seigneurial. Toutefois, au-delà de ces points communs, l’on verra que la spatialité saisie par ces listes est assez nettement différente, tant du point de vue de sa morphologie que de sa granularité – mais aussi de la durabilité de sa pertinence.
Observations et hypothèses
10Schématiquement, on pourrait dire que tous ces documents correspondent à la mise en listes du dominium, c’est-à-dire non pas d’un espace mais d’un rapport des hommes (seigneurs ou dépendants) aux terres. Toutefois, l’échelle spatiale et temporelle de cette mise en listes s’avère assez nettement distincte, et il convient donc d’examiner les choses l’une après l’autre.
La composition de la seigneurie de Burgsinn dans la première moitié du XVe siècle
11Comme il a été dit, la vente en 1405 du château de Burgsinn et de ses dépendances a donné lieu, dans la charte, à une longue énumération de biens et droits13 :
Wir Johanns von gotes genaden Bischoff tzu wirtzburg [reconnaît et fait savoir à tous qu’en raison du grave endettement de l’évêché, il a vendu au chevalier Wilhelm von Thüngen et à tous ses héritiers] unser und unsers Stiftes sloz Purgsynne mit allen sinen herscheften freyheiten rechten und gewonheiten und alle unser purglehen Tzinslehen und manlehen die dortzu und doreyn gehoren und in denselben mark und gerichten gelegen sin mit allem dem rechten als wir und unser Stift die ynnegehabt und bisher bracht haben und auch alles das zu dem obgenanten sloz gehort es sey an luten an guten an gerichten an dorffern an zinsen an gulten an dinsten an tzehenden an tzollen an Eckern an wysen an holzern an welden an wilpan an fischwassern an Seen an Seesteten Stocke Steyne wunne weide es sy unter der erden oder ob der erden clein und groß pfennigen und pfennigswert nichts außgenomen und mit namen alle unsere recht und alles daz wir gehabt haben zu mettelsynne es [sy omis] an gerichten oder an andern dingen wie das allez namen haben mag besucht und unbesucht nichtz außgenomen als wir unser vorfaren und stift daz alles bizher ynnegehabt und bracht haben ongeverde…
12Cette énumération présente deux caractères remarquables : sa longueur, d’une part, qui exprime certainement à la fois l’importance de l’objet et la totalité de la vente ; et la structuration forte de cette énumération, d’autre part. La totalisation (qui correspond à la co-énumérabilité constitutive de la liste) se traduit par la multiplication des éléments particuliers mentionnés, l’insistance sur « tout » et « sans exception » (alles, und auch, nichts ausgenommen), l’usage de binômes canonisés signifiant « tout » (stock/stein, wonne/weide, unter oder ober, klein und groß, pfennig und pfennigswert… besucht und unbesucht), la négation syntaxique des différences lexicales par la répétition lancinante de la préposition an. Cette dernière introduit une rythmicité nette, tant visible qu’audible ; la rythmicité audible est prolongée par l’assonance et l’isorythmie propres à chacun des binômes stock stein et wonne weide, les autres binômes (articulés par oder et surtout und) présentant plutôt une sorte de rythme logique, par assemblage de deux éléments directement perceptibles comme inverses : dessus/dessous, grand/petit, en monnaie/en nature – le dernier mentionné (besucht und unbesucht) représentant d’une certaine manière une situation mixte, puisqu’il est à la fois logique (positif/négatif) et assonant (répétition de besucht).
13Outre la structuration syntaxique/graphique/audible de cette énumération14, celle-ci est clairement organisée en trois ensembles : 1) les types de droits portant sur les hommes au sein du ressort spatial (mark und gericht) qui relève (dazu und darin gehören) du château de Burgsinn ; 2) le substrat concret de ces droits, sous la forme d’une poussière d’objets (an… an… an…, etc.), dont on peut considérer qu’ils sont énumérés en allant de l’intérieur à l’extérieur, de l’humanisé au sauvage15 ; 3) le cas particulier de Mittelsinn, qui reprend de manière condensée, et centrée sur ce village, le deuxième mode d’énumération16. Par conséquent, au-delà de son caractère éventuellement formulaire, cette énumération actualise, de par son organisation, une certaine spatialité, fondée apparemment sur le schéma intérieur/extérieur ( = centre/périphérie, humain/sauvage, etc.) mais aussi, inévitablement en raison de la nature de l’opération consignée, polarisée sur le château de Burgsinn – en ce sens que la spatialité en question n’est vue qu’à partir du château lui-même.
14C’est ce qui fait tout l’intérêt du second document de cet ensemble documentaire, dont j’ai suggéré qu’il a pu être composé au moment de la transaction de 1405, bien que la seule version actuellement disponible soit une copie de 1449 dans le cartulaire de Sigmund von Thüngen, en allemand puis en latin, introduite par une rubrique (Zugehorung zu Synne puis In officio Synne)17. On remarquera cependant que, contrairement à ce que nous pourrions imaginer d’un texte fourni en deux langues, les deux versions ne sont pas placées en regard l’une de l’autre (donc sur un verso et le recto suivant) mais au recto et au verso d’un même folio, comme si la comparaison des deux versions ne représentait nullement un enjeu18.
Zugehorung zu Synne
Daz sint die Rent die von alter her zu dem Sloß Synne gehoren Zum ersten daz dorff Burgsynne mit sinen zugehorungen in dorff und in velde Item die zent daselbst Item die zent halbe zu velden item die [halben gratté] zent zu Metilsynne Item die zweytel des zehenden zu velden Item zweyteil des zehenden zu wonrode Item die zweyteil des zehenden Zu wißinbronne Item den hoff Schunterstein Item die eigenschafft zum zeitthorts Item nuwenseß mit allen synen Zugehorungen Item zwo fischweyde in dem bach Synne die sich anheben an der marg zum zeitrost und gen biß an die stat der Sendechtwegk Item die vischweyde In dem walde speckshart Item den bach Im schunterstein Item den bach ammelbach genant Item den bach genant dura und ura Item der walt Spechshart der sich anhebet an einen teyl by dem Cleusener und endet sich und endet sich [sic] an dem acker genant Gunthersacker Item von der selben stat anzuheben an dem wege der da heißet der leitweg d biß an den brunnen genant Rineckerbrunne an der selben stat abzugen das flurstal biß an den weg der da get von velden zu Metilsynne Item an der wes wegescheid der da get gein ura biß zum dorff Zeytrost und an sein margk Item von der selben margk biß zu der eichen die da heißt die zingiger eyche da vier margk aneynander stoßen Item von derselben eychen den tal abezugen der da heißet heselgrube biß an den schelichstein Item von der selben stat abzugen zu dem vorgnanten hoff schuntersteyn An der selben stat abzugeen den pach biß an die stat Gekelßbach die selben stat ufzugeen biß Zu dem Eschenbrun item an der selben stat anzuheben biß an die stat der da heyßet der sendechtweg daselbst uffzugeen daz Rabental und daselbest abzugen daz hannebuttental und alzuhant uf zu gen daz Sultzental biß an den hoff der eynsidelhof vorgnanten.
15Cette liste des droits attachés au château de Burgsinn19 prend là encore la forme d’une énumération constituant un bloc de texte sans retour à la ligne après chaque item – c’est-à-dire sans la forme que nous associons usuellement au terme « liste ». Toutefois, la dimension syntaxique est ici nettement plus restreinte que dans le cas précédent, puisque cette énumération est introduite par une phrase pour ainsi dire nominale (en latin)20 et/ou qui n’entretient (en allemand) aucun rapport syntaxique avec la suite (on mettrait de nos jours deux points)21. Par ailleurs, on remarquera qu’ici, les éléments énumérés sont systématiquement localisés, et non plus seulement mentionnés de manière générique.
16Le caractère totalisant de la liste est ici exprimé de manière très différente de celle de la charte de vente, puisque seuls le titre (qui définit ipso facto les éléments comme un ensemble et fonctionne donc comme une sorte d’hyperonyme) et l’aspect visuel (sous la forme d’un bloc compact, qui plus est répété deux fois, et non désarticulé par un chevauchement de pages22) interviennent ici. Aucun des procédés lexicaux (binômes, assonances, adverbes de totalisation) ne se rencontre en effet ici (sauf une exception pour la cour de Neusert « avec toutes ses dépendances »).
17Cette totalité apparaît cependant elle aussi très structurée, à deux niveaux : l’un, déjà rencontré dans la charte quoique mis en œuvre différemment, est l’organisation typologique des droits relevant du château de Burgsinn. La liste enchaîne en effet le village de Burgsinn, les parts de justice (zent/centena, à Burgsinn, Fellen et Mittelsinn), les parts de dîmes (à Fellen, Wohnrod, Weißenbrunn), trois cours (hof/curia : Schondrastein, Neusert et Zeitrode23), les pêcheries (fischweide/piscatio, dans la Sinn et le bois de Spechshart) et rivières (une partie de la Schondra, l’Ammelsbach, l’Aura) et enfin le bois de Spechshart lui-même, dont l’extension est indiquée par une sorte de perambulatio qui part d’un ermitage et énumère (dans le sens des aiguilles d’une montre) treize segments avant de revenir à l’ermitage24 ; ces segments suivent fréquemment des chemins, rivières et talwegs, sont pour l’essentiel construits sur le mode « de ce même endroit… jusqu’à » (von ou an der selben stat… bis/a ou ab eodem loco… usque) et s’appuient sur des lieux humains (ermitage, champ, chemin, cour) ou naturels (source25, chêne, pierre).
18Comme le montre ne serait-ce que la réapparition à divers endroits des mêmes toponymes (Fellen, Schondrastein), la liste n’est pas organisée de lieu en lieu, ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de logique spatiale (si l’on admet ce qui a été dit de façon liminaire, à savoir que l’espace n’est pas indépendant du social), en l’occurrence topologique26. On observera en effet aisément que l’enchaînement village-justices-dîmes-cours (sans doute enfrichées)-pêcheries-cours d’eau-bois semble là encore renvoyer à un gradient humanisé/non humanisé, ou plein/vide, voire intérieur/extérieur – mais j’insiste encore une fois sur le fait que ce gradient n’est pas proprement topographique (le Spechshart entoure Burgsinn et il est donc plus près de Burgsinn que Fellen, Wohnrod ou Mittelsinn, tandis que s’y trouvent les trois cours éventuellement déjà abandonnées – tous ces lieux étant mentionnés avant le bois lui-même) mais discursif : c’est l’énumération qui est organisée selon ce gradient. Tout se passe par conséquent comme si la liste produisait une spatialité spécifique, une topologie en fonction de critères d’importance (donc du système de représentations) propres à cette société, et dont une cartographie classique (en deux dimensions isotropes) ne rendrait nullement compte.
19Le second niveau de structuration de la totalité que représente la liste, et qui présente cette fois une différence nette avec la liste précédente, est l’usage systématique, dans les deux versions, de la balise Item pour introduire les éléments de l’énumération – le premier élément étant introduit, lui, par l’ordinal « premièrement » (zum ersten/primo). Graphiquement, il s’agit aussi du seul terme systématiquement introduit par une majuscule, si bien que le seul endroit de la perambulatio où manque cette balise, le scribe met une majuscule à An27 – alors que partout ailleurs (à 15 reprises !) le mot an est en minuscules. On remarque cependant que l’usage de cette balise présente deux niveaux logiques dans cette liste : elle marque le passage d’un type d’objet à un autre (château-justice-dîme-etc.) puis distingue soit les lieux concernés par le type en question, soit les segments de délimitation du bois. On pourrait schématiser les choses à l’aide du tableau suivant.
Fig. 2 – Structuration syntaxique des énumérations allemande et latine des droits relevant du château de Burgsinn dans le cartulaire de 1449
Das sind die rent… | |||
Zum ersten das dorf | |||
Item die zent… | Item die zent… | Item die zent… | |
Item die zweiteile des zehnts… | Item die zweiteile des zehnts… | Item die zweiteile des zehnts… | |
Item der hof… | Item die eigenschaft… | Item… | |
Item zwei fischweiden… | Item die fischweide… | ||
Item den bach… | Item den bach… | Item den bach… | |
Item der wald… | der… an… und… an… | ||
Item von… bis… | an… bis… | ||
Item an… bis… | |||
Item von… bis… | |||
Item von… bis… | |||
Item von… zu… | an… bis… bis… | ||
Item an… bis… | zu… zu… bis… | ||
Nota redditus… | |||
Primo villa | |||
Item centa… | Item medietas cente… | Item medietas cente… | |
Item due partes decime… | Item due partes decime… | Item due partes decime… | |
Item curia… | Item proprietas… | Item… | |
Item due piscationes… | Item piscatio… | ||
[Item rivus…] | Item rivus… | Item rivus… | |
Item nemus… | qui… ab… et… in… | ||
Item ab… usque… | in… usque… | ||
Item a… usque… | |||
Item a… usque… | |||
Item ab… usque… | |||
Item ab… ad… | ab… usque… usque… | ||
Item ab… usque… | ibidem… ibidem… et… usque… |
20Dans les deux cas considérés (la charte de 1405 et la liste des droits copiée en 1449), on a donc affaire, d’une part, à une énumération totalisante (donc à une liste théoriquement close), mais qui exprime ce caractère total de façon distincte : de façon lexicalisée en 1405 (avec des mots comme alles ou nichts ausgenommen ou à l’aide de binômes absolus rythmiques ou logiques), de façon graphique en 1449 (avec un texte-bloc et un titre hyperonymique, et possiblement la mise en page isolant/préservant chaque bloc). Ces choix sont bien sûr liés à la nature et donc à la forme des textes considérés (une charte, un inventaire dans un cartulaire), mais étant donné que dans les deux cas, la mise en liste se traduit non pas de manière graphique (avec des colonnes ou des retours à la ligne après les classes d’items) mais de manière essentiellement parataxique (avec cependant l’usage possible de balises textuelles : an dans le premier texte, item dans le second), ils n’en signalent pas moins la gamme des possibilités sur laquelle les scribes pouvaient jouer.
21On a donc, d’autre part, affaire à une énumération visiblement structurée, à l’aide de procédés distincts mais dont le point commun est la mise en œuvre d’une rythmique fondée sur la répétition plus ou moins systématique de mots fonctionnant comme des balises. Cette répétition peut fonctionner à l’échelle de toute l’énumération (c’est le cas avec item, qui structure la typologie puis aussi la distribution des lieux) ou seulement d’une subdivision (comme an, qui structure le contenu des deuxième et troisième ensembles de la charte de 1405).
22Pour ce qui est de la spatialité construite par ces listes, la spatialité même de la liste (en tant que forme graphique en deux dimensions) se caractérise dans les deux cas par l’absence d’organisation en colonne et/ou en succession de paragraphes, ce qui montre qu’une diffraction graphique n’était nullement nécessaire à l’objectif visé (définir le dominium relevant de Burgsinn), ou alors que l’enjeu était avant tout d’en faire apparaître la cohérence (i.e. celle de l’ensemble acquis) plutôt que la composition (néanmoins présente, quoique de façon plus ou moins générique et plus ou moins localisée). Un autre élément possible de spatialité de la liste elle-même est également apparu, au-delà des deux dimensions dont on vient de parler, mais dont la signification reste pour le moment obscure : le jeu sur le recto et le verso plutôt que la mise en regard (donc en deux dimensions) sur un verso et un recto de deux éléments textuels apparentés.
23Quant à la spatialité seigneuriale (et non plus scripturale) que produisent les listes présentées pour Burgsinn, le traitement en bloc des dépendances, génériques ou particularisées par un toponyme (voire également une proportion) mais selon un ordre typologique et une organisation dont le schème de base est intérieur/extérieur ou centre/périphérie, suggère qu’on a ici affaire à un modèle spatial qui est celui de la « polarisation », non pas sur le bâtiment ecclésial et le cimetière28 mais sur le château. De fait, les bords du bois de Spechshart définis par perambulatio sont sans doute moins à penser comme une délimitation vers l’extérieur (comme si le bois était interdit d’accès aux gens venant, par exemple, de Fellen) que comme la définition du ressort boisé du château (dont j’ai dit qu’il se trouvait au centre de l’aire ainsi définie), c’est-à-dire là où s’achève la polarisation, ou la force d’attraction du centre.
24Il ne saurait être question de déduire de cela la nature générale de l’espace seigneurial (même si la congruence avec les observations générales d’A. Guerreau doit être soulignée) mais – c’est là l’objet de notre rencontre – que la mise en forme textuelle est parfaitement congruente, elle, avec cette présentation de la spatialité seigneuriale. La forme à la fois textuelle et graphique de la liste est ainsi partie prenante de la spatialité à construire et non pas seulement le résultat de tentatives plus ou moins adroites de traduction en mots d’un espace dont rendraient mieux compte des cartes ou du moins des vues figurées29. De ce fait, il faudrait considérer que des formes diffractées de mise en liste renverraient elles aussi à des logiques spatiales particulières, et non pas seulement à des modalités d’inventaire. C’est ce que l’on va tenter de voir avec les documents suivants.
Le partage des champs cultivés de Heßlar entre Sigmund et Eberhard von Thüngen (1445-1447)
25Le cartulaire de Sigmund déjà mentionné comprend une triple liste de champs cultivés (ecker) situés à Heßlar (à proximité de Thüngen). Une première (et double) liste énumère les champs cultivés qui reviennent respectivement aux cousins (au 2e/3e degré) Sigmund (fo 69) et Eberhard Ier (fo 69v) à l’issue d’un partage opéré en novembre 1445, la rubrique introductive stipulant expressément que ces biens appartenaient auparavant à « feu Friedrich von Thüngen30 ». En l’occurrence, il s’agissait de Friedrich VI (cousin au 4e/5e degré des deux hommes susdits), mort une vingtaine d’années plus tôt en laissant deux filles, dont l’une (Anna) était mariée à Friedrich von Weyler, qui vend en février 1445 à Sigmund et Eberhard von Thüngen la moitié de la cour (hof) de Heßlar31 que, selon toute vraisemblance, son épouse avait reçue en héritage ; les ecker concernés semblent tous localisés sur un terroir de Heßlar nommé le Zuckmantel. En 1447 a eu lieu un partage complémentaire entre les deux mêmes hommes sur des ecker au-dessus de Heßlar, dont traite la seconde liste. On ne sait pas ce qui a motivé ce partage plus tardif (l’achat d’une partie de la part de l’autre fille de Friedrich VI32 ?), portant sur des champs qui se trouvaient peut-être sur un autre terroir de Heßlar, appelé Lenzen – si ce terme ne désignait pas le moment auquel ce partage complémentaire a eu lieu33.
26Entre ces listes de 1445 et 1447 sont intercalées plusieurs listes non datées : l’une énumère les terroirs (flure) relevant [du château] de Büchold34, la suivante les dépendances du Sachserhof (la cour zum Sachsen)35, contigu à Büchold ; celle qui suit énumère les parts des cours de Museberg et de Zeitrode (lieux disparus à proximité de Burgsinn)36 et est suivie d’un paragraphe isolé signalant « Item les étangs et les arbres auprès/relevant de la cour sont encore indivis37 », ainsi que d’une phrase inachevée et biffée (Item die hirnachgeschriben) qui est en fait le début de la rubrique de la dernière liste non datée, énumérant sept dîmes et un moulin eux aussi « commun[s] et indivis », et qui figure sur la page en regard (donc avec la rubrique non biffée)38. Étant donnée la dispersion topographique des lieux concernés, ces divers partages (ou non-partages) ne semblent pas relever d’une acquisition (comme en 1445/47) et correspondent sans doute plutôt au partage opéré par les cousins Sigmund et Balthasar en 142139, voire à la récupération par eux, en 1424, de certains de ces biens40.
27Indépendamment de leur objet et de leur date originelle et outre leur succession dans le cartulaire, toutes ces listes ont en commun d’être structurées de la même manière : d’une part, le scribe ne répartit jamais une liste sur deux pages41, ce qui explique sans doute pourquoi le segment du fo 70v a été barré et reporté à la page suivante (fo 71) : étant donné la place restante sur la page de début, il aurait nécessairement fallu achever la liste sur la page suivante. Par ailleurs, dans chaque liste, un titre (hyperonymique) coiffe un ensemble de paragraphes tous introduits par Item et le plus souvent construits de manière répétitive au sein de la liste considérée. Dans le cas de la double liste de 1445, où les paragraphes se réduisent très souvent à une seule ligne, la répétition de Item en début de ligne (qui plus est suivi d’un article défini, commençant par d et parfois réduit à cette lettre par le jeu des abréviations) a comme effet graphique de produire l’illusion d’une colonne textuelle sur la gauche, qui renforce encore l’impression visuelle d’avoir affaire à une totalité (titre + colonne d’Item) diffractée (succession de paragraphes de longueur très irrégulière, si bien que beaucoup de lignes présentent un segment vide plus ou moins long à droite ; par ailleurs, la colonne d’Item apparaît indubitablement comme un feuilletage).
28La double liste de 1445 présente en outre plusieurs caractères remarquables. Les deux listes, en effet, sont construites de manière très fortement symétrique : les rubriques, on l’a vu, sont disposées en miroir (avec permutation des noms Sigmund et Eberhard) ; ces titres commencent tous deux par Item, comme s’ils étaient eux-mêmes deux éléments d’une même énumération42 ; il y a de chaque côté exactement le même nombre d’ecker (33) ; les champs communs aux deux listes (dans ce cas, on distingue entre partie supérieure et partie inférieure, puisque ces champs sont à flanc de colline – am Zuckmantel –, mais avec une variation dans l’attribution des portions supérieures ou inférieures à l’un ou l’autre des cousins) apparaissent dans un ordre identique ; l’ordre d’apparition des champs non communs est très semblable43. La plupart des parts de champs mentionnées sont donc des moitiés de champs achetés en entier, ce qui signifie qu’au lieu de se répartir des champs entiers on préfère subdiviser chaque champ, ce qui accentue la diffraction de la présence seigneuriale44 ; mais on ne négligera pas le fait que cette manière de diviser est aussi très facile à mettre en œuvre, contrairement à une répartition des champs entiers, qui impliquerait de prendre en compte des variations de qualité pédologique, hydrologique, d’exposition, de plantation en vignes, etc.
29La chose est également très claire avec la liste de 1447, dont la symétrie est manifestée ici non pas graphiquement (avec deux listes en miroir) mais syntaxiquement, au sein de chaque paragraphe : l’ordre des deux cousins est toujours le même (d’abord Sigmund, ensuite Eberhard), et les items sont systématiquement des phrases (au lieu d’items purement nominaux comme dans la liste de 1445) relevant de deux paradigmes systématiques. Dans deux cas sur trois, on a affaire à une forme verbale au datif (« [telle partie] m’est revenue, à moi Sigmund, et [telle partie] m’est revenue, à moi Eberhard45 »), sinon on a affaire à une forme au génitif (« [telle partie] est mienne, de Sigmund, et [telle partie] est mienne, d’Eberhard46 »). Et là encore, Sigmund et Eberhard se répartissent des moitiés de champs (soit supérieures/inférieures, soit vers Heßlar/vers Thüngen, soit contiguës à l’un des deux confronts/à l’autre confront47) au lieu de se répartir des champs entiers. De ce fait, il y a non seulement ici une manifestation diffractée de présence mais en outre, clairement, de coprésence seigneuriale.
30Si cette coprésence est indéniable au niveau textuel dans la liste de 1445 (puisque les deux cousins sont présents sur les mêmes champs dans trois cas sur quatre), elle n’y apparaît en revanche pas du tout visuellement : non parce qu’il s’agit de deux listes, mais parce que ces listes sont disposées non pas en regard mais au recto et au verso d’un même folio – une disposition qui avait déjà attiré mon attention à propos de la liste des droits et pouvoirs relevant de Burgsinn. Une telle disposition ne peut être expliquée par des raisons pratiques, comme l’économie de support : comme le montrent plusieurs pages laissées vierges avant (29v, 36v, 59) et après (71v, 74, 75v, 82v), il aurait été parfaitement possible de laisser vierge le fo 69 et d’écrire les deux listes en regard l’une de l’autre. On pourrait alors en déduire que si, au moment de la mise en liste, par exemple sur des feuilles volantes posées côte à côte, les deux listes pouvaient permettre une comparaison et donc une vérification aisées des droits de chacun, la compilation dans le cartulaire ne visait probablement plus à une telle vérification.
31Outre ce jeu sur la troisième dimension (recto/verso), celle-ci est également mise en œuvre dans les listes de Heßlar par le jeu du renvoi d’une liste à l’autre : comme on l’a signalé, la double liste de 1445 s’achève par un renvoi à la liste de 1447 trois folios plus loin (ce qui est exact), tandis que la liste de 1447 termine son titre en renvoyant au partage des autres champs de Heßlar plus haut dans le cartulaire. Sont ainsi mis en rapport deux modèles distincts de mise en liste d’un partage (répartition sur deux pages distinctes ou au sein de chaque paragraphe) : la raison la plus apparente en est que ces listes ont pour point commun un même toponyme (heseler) – mais on pourrait tout aussi bien considérer qu’elles ont au moins autant comme point commun de doter les cousins d’une présence seigneuriale diffractée, visible graphiquement (la succession des paragraphes) comme du point de vue de la logique textuelle (l’attribution à chacun de moitiés de champs plutôt que de la moitié des champs).
32Une question se pose cependant, à laquelle il est, peut-être en raison de l’état (actuel) de la documentation, impossible de répondre : s’il y a 33 champs dans chaque liste de 1445 et si seuls 19 sont communs aux deux listes (indépendamment du fait qu’ils sont divisés en portions supérieures ou inférieures), doit-on en déduire que chaque titulaire d’une des deux listes détiendrait pour sa part 14 portions de champs communs avec un troisième seigneur, qui aurait donc, lui, 28 ecker à Heßlar (partagés soit avec Sigmund, soit avec Eberhard), soit un ordre de grandeur voisin de celui des deux autres (33) ? Étant donné l’accord de 1421 entre Sigmund et Balthasar, l’éventuel troisième seigneur pourrait être ce dernier, mais cela impliquerait que, en l’absence de toute mention de Balthasar dans l’acte de vente établi par Friedrich von Weyler, Sigmund ait soit contribué deux fois plus qu’Eberhard à l’achat, soit que Balthasar ait racheté entre février et novembre une partie des droits d’Eberhard. Mais alors, pourquoi le cartulaire de Sigmund ne présente-t-il, dans ce cas, pas de liste Sigmund/Balthasar ?
33Une réponse à cette dernière question pourrait être tout simplement que la liste sert moins à inventorier les droits de tel ou tel qu’à les garantir contre toute prétention concurrente : dans notre cas, les rapports institués entre Sigmund et Balthasar (et effectifs, si l’on en croit le nombre remarquable d’actes et actions communs qu’on rencontre dans les archives48) rendraient une telle liste inutile, tandis que les listes de 1445 et 1447 témoigneraient d’une moindre certitude des deux cousins Sigmund et Eberhard quant à la constance de leurs rapports49. La liste servirait-elle ainsi moins à partager qu’à départager ? Une telle logique serait en tout cas tout à fait compatible avec la disposition recto-verso de la double liste50. Quant à la forte symétrie des deux listes de 1445, devrait-elle alors être considérée comme un discours graphique de parité entre les deux hommes, visible sans même qu’on lise le contenu des listes ? Bref, dans ces hypothèses, la forme matérielle (graphique et codicologique) des listes construirait en elle-même un discours de l’appropriation seigneuriale de l’espace.
34Pour ce qui est de la logique spatiale propre aux divers documents rencontrés jusqu’à présent, elle semble au premier abord distincte : dans le cas des pouvoirs relevant du château de Burgsinn (charte de 1405 et liste des droits possiblement contemporaine), la finalité est celle du ressort ou du territoire, c’est-à-dire de l’évocation abstraite d’un espace seigneurial polarisé sur un château, multilocal et précisément délimité (en fonction d’éléments naturels ou de voies), et d’une certaine manière durable puisque ces données spatiales (pôle, lieux, limites) sont a priori indépendantes des détenteurs du pouvoir seigneurial ou de leurs dépendants. Dans ce cas, la liste correspondrait bien à la logique scripturale signalée par J. Goody, à savoir la capacité de l’écriture à décontextualiser (dans l’espace comme dans le temps) : ici, un faible investissement intellectuel est nécessaire pour se représenter l’espace concerné, et l’on peut même imaginer que la fonction même de la charte, en tant qu’opérateur de décontextualisation51, contraignait à une énumération générique.
35Dans le cas de la liste des tenures autour de Heßlar, les indications microtoponymiques ou microtopographiques positionnent les biens en question de manière relative, par rapport à des formes végétales (arbre, buissons) ou humanisées (chemin, haie, acker, hof, château), voire à des voisins (confronts), ou éventuellement simplement par la position relative supérieur/inférieur. Le sens de ces précisions est incertain, même indépendamment de notre méconnaissance actuelle de la microtoponymie d’alors : étaient-elles hyper-contextuelles, c’est-à-dire contradictoires avec la fonction décontextualisante de l’écriture susdite ? Ou la question de la localisation effective (et durablement reconnaissable) n’avait-elle pas vraiment d’importance – parce que la finalité de ces listes était de départager les seigneurs plus que d’en fournir une sorte de cartographie textuelle (et non pas dessinée) ?
36En ce cas, dans toutes ces listes des années 1440 (à Burgsinn comme à Museberg et Zeitrode, Heßlar, Büchold, au Sachserhof, etc.), où le primat est donné aux biens sous domination seigneuriale et non pas aux tenanciers (pour ainsi dire jamais nommés en tant que tels), tout se passerait comme si les référents spatiaux fournis servaient à distinguer les biens plutôt qu’à en fournir une localisation pertinente – une distinction des biens servant elle-même moins à spécifier les biens eux-mêmes que le dominium de chaque seigneur. La logique de la liste, qui assemble et en même temps singularise (selon le principe omnes et singulatim), soumet ainsi les (micro-)lieux à des enjeux seigneuriaux en vertu desquels les lieux perdent d’une certaine manière leur valeur spatiale. De ce fait, l’importance de la classification typologique (comme dans la liste des rentes et droits de Burgsinn vers 1449), qui soit définit les listes elles-mêmes (comme celles des ecker de Heßlar), soit structure les listes (comme celle des dépendances des cours de Museberg et de Zeitrode, distinguant scrupuleusement ecker, wiesen et garten) pourrait être considérée comme l’expression claire de la fonction sociale de ces listes, destinées non pas à localiser les pouvoirs seigneuriaux mais à les articuler localement. Cela suggère alors que la liste que l’on va examiner maintenant pourrait renvoyer à une tout autre logique.
La liste des cens de la seigneurie de Büchold (v. 1475)
37Lorsque meurt Balthasar, le 26 novembre 1473, il ne laisse derrière lui aucun enfant de son mariage avec Susanne Hofwart von Kirchheim, ce qui pose la question du destin de ses biens, puisqu’ils doivent revenir aux descendants de Sigmund en vertu de l’accord conclu en 1421, mais que Susanne doit avoir la jouissance de certains d’entre eux au titre de son douaire52. Étant donné les prétentions diverses (de Susanne ; du fils de Sigmund, Hildebrand ; des époux des sœurs de Balthasar) sur l’héritage, les parties en présence s’en sont remises à l’arbitrage de l’évêque de Wurtzbourg, qui reconnaît le 12 septembre 1474 à Susanne en guise de douaire, outre 2600 florins et tout ce qui vient de ses parents, la jouissance de la moitié des rentes et biens meubles « non stratégiques » de son époux (i.e. à l’exclusion des armes, chevaux, créances, argent liquide, usuellement exclus du douaire dans les contrats de mariage de l’époque)53. Dans la mesure où le document à étudier54 voit Susanne parler à la première personne, où il évoque le partage et ce qui revient à Hildebrand, où il fait apparaître la date de 1474 et où le filigrane du papier correspond à la fourchette 1473-147555, il est extrêmement probable que ce document ait été établi consécutivement à la décision épiscopale, par compilation de documents antérieurs (puisque sont copiés dix documents datés des années 1367-1456 fondant les droits de Balthasar, ainsi qu’un inventaire établi dès 1472, tandis que plusieurs paragraphes du censier [sans doute de Büchold] présentent des dates antérieures à 1470), voire peut-être par enquête directe pour certains lieux. À la mort de Susanne, vers 1485, ce document serait alors revenu, en même temps que les rentes, à Hildebrand, d’où sa présence encore aujourd’hui dans les archives des Thüngen – quoique nous n’en ayons plus que deux cahiers mutilés.
38Le premier cahier (semble-t-il privé de son premier folio, qui aurait pu être le folio de titre) compile les dix documents des années 1367-1456 susmentionnés. Le second cahier, auquel manque actuellement au moins un bifeuillet (voire deux si le cahier était un quaternion comme le premier), se compose d’un censier (dont il manque le début) concernant dix-sept lieux situés entre les rivières Fränkische Saale et Wern56 et dépendant sans doute du château de Büchold, d’un censier pour Hirschfeld daté de 147257 et d’une liste de dettes pesant sur des tenanciers du même village, non datée58. La page suivante (fo 11v) est vierge, si bien qu’on peut imaginer qu’il n’y avait pas d’autres listes. L’ensemble actuellement conservé présente une grande homogénéité codicologique : toutes les listes sont dues à la même main et sont organisées en deux colonnes avec réglure de l’entrecolonne, en partie occupée par des pieds-de-mouche.
39Dans la première liste (fo 8-10), on remarque aisément que le toponyme coiffant les paragraphes (correspondant chacun à des redevances ou des tenures) figure parfois en bas de colonne (c’est le cas de Gambach, nommé tout en bas de la colonne gauche du fo 9v, tandis que les items correspondants ouvrent la colonne de droite) voire en bas de folio (c’est le cas d’Obereschenbach, nommé tout en bas de la colonne droite du fo 8v, tandis que les items correspondants ouvrent la colonne gauche du fo 9). On devrait en déduire que cette liste était destinée à une lecture en continu (indépendamment des changements de colonne ou de folio), voire synoptique (lorsque le censier est ouvert, il y a moins deux colonnes par page que quatre colonnes par double page59). Les blocs de texte (toponyme + items correspondants), colonnes et pages n’ont donc pas d’autonomie60. En revanche, le mode de présentation des redevances varie nettement d’un lieu à l’autre (on y reviendra), comme si le censier reposait sur une compilation de microlistes établies localement selon des modalités variables.
40Le censier pour Hirschfeld (fo 10-11), inversement, est structuré de façon très formalisée. À chaque tenancier correspondent en effet deux ou trois paragraphes : le premier, introduit par Item, nomme le tenancier et la tenure concernée (hube ou lehen, plus rarement hof, haus et à une reprise le bac qui permet de traverser le Main ou encore un clos de vigne). Le deuxième paragraphe sert soit à localiser la tenure (lorsque cela n’a pas été fait à la fin du premier paragraphe), et il est alors introduit par Item, soit à indiquer, lorsque la localisation de la tenure a été faite à la fin du premier paragraphe, un second élément tenu à cens (en général un clos de vigne, à une reprise une pâture ou une maison) et, dans ce cas, il est introduit par Idem (sauf dans le premier cas, où est noté Item) ; à propos du bac, cependant, le second paragraphe stipule la redevance en argent qui va à Hildebrand en vertu du partage, tandis que le premier paragraphe ne concerne que des redevances en nature (allant, elles, à Susanne). Quant au troisième paragraphe, il correspond au deuxième qui vient d’être mentionné (avec second élément de tenure) lorsque la localisation de la première tenure fait l’objet d’un paragraphe particulier, et il est aussi introduit par Idem (ou Item dans un cas, qu’on peut sans doute considérer comme une erreur). Dans la mesure où chaque tenancier peut ainsi être concerné par deux ou trois paragraphes successifs61, des pieds-de-mouche ont été, apparemment dans un second temps, notés dans la marge gauche ou l’entrecolonne, pour repérer le début du passage concernant chaque tenancier ; à la fin de la liste, où chaque paragraphe ne concerne qu’une tenure, ces pieds-de-mouche sont employés de manière plus aléatoire, peut-être pour signaler ceux où le versement est attendu de plusieurs personnes pour une même tenure62.
41Dans la perspective qui nous occupe, ces censiers peuvent être examinés dans deux perspectives spatiales : leur organisation lieu par lieu (en l’occurrence village par village, manifestée par l’introduction de toponymes hyperonymiques dans le censier de [Büchold]), et la localisation de chaque tenure dans le village concerné (dans les censiers de [Büchold] et de Hirschfeld). C’est par ce second aspect que je vais commencer.
42Le mode d’identification des tenures est très irrégulier d’un lieu à l’autre dans le censier de [Büchold]. Le seul aspect systématique pour toutes les tenures n’est que la conséquence du fait qu’on a affaire à un censier : « Untel remet telle redevance » (X gibt n). Sur environ 80 tenures inventoriées, ca. 65 présentent la formule « Untel remet telle redevance pour telle tenure » (X gibt n von α), dont ca. 55 fournissent une identification (vague) de la tenure : dans 35 cas, la tenure est positionnée par rapport à (am, vor, bei, zu) un élément topographique (une colline ou une rivière) ; dans 10 cas, elle est identifiée par référence à un détenteur antérieur (« autrefois à Untel ») ; dans 5 cas on signale un confront (« touchant à Untel »), et dans 5 autres cas on se contente d’un « où il est installé » (do er sitzt) – ce qui signifie que dans les 20 derniers cas, la tenure est davantage identifiée par référence à des personnes que par rapport à un endroit.
43Mais le mode d’identification des tenures est aussi très irrégulier d’une tenure à l’autre au sein de chaque lieu dans le censier de [Büchold]. Même à Gambach63, où la précision est la plus grande (il s’agit d’une liste des parcelles soumises à redevances versées par un duo, Hans et Martin Hock, chacune se voyant consacrer un paragraphe, qui ne répète pas « X1+X2 remettent »), il n’y a guère d’homogénéité :
Item n de α à L [lieu] et touche à Y
Item α à L et touche à Y
Item α à L et touche à Y
Item dans le finage près de L, α et touche à Y
Item α sis à L
Item α à L
44Dans le censier de Hirschfeld, les tenures sont pour la plupart positionnées, d’où la récurrence du verbe liegen (« se trouver »). Le positionnement se fait relativement à des éléments du village (le plus souvent le cimetière, mais aussi la fontaine, le fossé, le moulin, la porte), à la topographie (une colline, le Main), à des microtoponymes ou à des confronts. Cette variété dans les modes de positionnement se traduit aussi par une grande variété des formulations.
45Néanmoins, ce positionnement des tenures montre qu’elles ne sont pas contiguës. Il en va de même dans le cas du censier de [Büchold] : ainsi dans le fragment initial (sans toponyme mais qui concerne sans doute Heugrumbach), on passe d’une colline à l’autre, en zigzags, avant de revenir à une colline déjà mentionnée, etc. Ceci semble donc bien montrer que l’ordre interne de l’énumération n’est pas topographique, ce qui interroge nécessairement sur la manière dont ont été établies ces listes. Ni le mode d’identification ni la localisation des tenures dans la liste ne renvoient en effet à une logique de repérage « coordonné » (i.e. en fonction de la proximité des lieux) et donc à une logique de déambulation d’un lieu à un autre. S’il y avait eu enquête sur place, avec l’envoi de quelqu’un chargé d’aller de tenancier en tenancier, l’ordre de la liste actuelle pourrait difficilement avoir rendu compte de son déplacement effectif ; par ailleurs, se poserait la question de savoir comment l’enquêteur savait chez qui il devait aller – ce qui supposerait l’existence d’une liste préalable.
46Une hypothèse qui permet de résoudre cette double question de la dispersion topographique et du repérage des dépendants consiste à supposer que les listes ont été établies chez le seigneur, à un moment où les dépendants sont venus porter leurs redevances – ce qui est d’ailleurs cohérent avec le fait que toutes les redevances mentionnées sont portables (il n’est ainsi jamais question de la dîme – alors que les Thüngen en levaient). L’ordre de la liste ne serait ainsi, d’une certaine manière, que l’ordre des dépendants dans la file…
47Une telle hypothèse devrait cependant être complétée pour permettre de rendre compte également de l’ordre de succession des toponymes dans le censier de [Büchold], dont il est douteux là aussi qu’il puisse correspondre à une circulation concrète : passer d’un lieu à l’autre dans l’ordre défini par la liste se traduirait par des zigzags apparemment aléatoires, un véritable mouvement brownien semblable à celui effectué par un cerf pourchassé. À moins de considérer qu’il y ait eu là une logique d’appropriation de l’espace seigneurial comparable à celle de l’espace forestier64, on y verra le résultat d’un collage de petites listes, chacune confectionnée sur la base de la comparution des tenanciers.
48On remarquera cependant aisément que le censier de [Büchold] est largement organisé, pour ce qui est de la succession des lieux, sur la base d’un nombre décroissant de versements (c’est-à-dire d’Item) par lieu – avec ce qui pourrait cependant apparaître comme des « ratés ». L’ordre numérique est en effet le suivant : >19 – 11 – 9 – 4 – 8 – 2 – 7 – 1 – 1 – 1 – 3 – 1 – 2 – 2 – 1 – 1 – 1. Dans la mesure où, on l’a dit, l’ordre des lieux ne semble pas être topographique mais passe d’une microrégion à une autre avant de revenir en arrière, etc., on peut penser que les listes ont été reclassées sur la base de leur importance numérique, éventuellement en deux ensembles : le premier, de [Heugrumbach] à Aschfeld, avec des lieux à au moins cinq tenanciers (sauf à Bonnland : 2), et le second, de Münster à la fin, avec des lieux de un à trois tenanciers. Le censier serait donc organisé selon une sorte de gradient allant de ce qui est une sorte de noyau lourd du pouvoir seigneurial vers une poussière de lieux de présence. Cela dit, c’est cette « poussière » qui me semble la plus intéressante, car elle montre qu’au moment du partage, on a opté pour un maintien résiduel (un tenancier dans un tiers des lieux !65) et donc là encore pour une diffraction plutôt que pour la concentration sur un nombre plus restreint de lieux (ce qui serait notre logique).
49Récapitulons : la confection de la liste des tenanciers de Balthasar puis de Susanne von Thüngen aurait pu être réalisée lors de la comparution des tenanciers venus amener leurs redevances, d’une manière semblable à l’aveu auquel procédaient les vassaux66. Faute de documentation, il est impossible de savoir si tous les tenanciers se présentaient le même jour, quel que soit leur lieu d’exploitation, ou s’ils comparaissaient village par village. Dans le premier cas, cela aurait impliqué d’établir en même temps plusieurs listes (une par village), remplies à mesure que le tenancier dans la file avouait ses devoirs. Dans le second cas, toutefois, il est peu probable que l’ordre des villages dans le censier actuel ait correspondu à la chronologie de comparution des villageois, en raison de ce qui semble être une organisation numérique du censier (d’abord les lieux avec beaucoup de tenanciers puis ceux où les tenanciers sont rares) ; il faudrait donc là encore supposer l’existence d’une étape intermédiaire entre la comparution des tenanciers et le censier, à savoir un ensemble de listes (éventuellement sur un même support).
50Dans tous les cas, on voit que la mise en liste, en dépit de l’apparence visuelle d’uniformité qu’elle donne, n’aboutit nullement à des énoncés homogénéisés, ni au sein de chaque lieu ni d’un lieu à l’autre. La mise en liste fait seulement disparaître visuellement/graphiquement l’hétérogénéité fondamentale des données d’un lieu à l’autre et d’une tenure à l’autre – hétérogénéité liée à la fois à celle des conditions seigneuriales locales mais aussi peut-être à la manière dont les devoirs des tenanciers ont été avoués ou notés. Quoi qu’il en soit, on voit bien que la liste, dans son organisation et alors même qu’une réorganisation a posteriori du matériau semble avoir été possible, ne cherche pas à produire l’image d’un espace homogène : l’enchaînement des lieux et, au sein de chacun, l’enchaînement des positions de tenures semblent aléatoires ou en tout cas (en admettant que soit réelle l’organisation par lieux en fonction du nombre de tenanciers) non déterminés par des logiques d’ordre topographique. L’image ainsi fournie est celle d’un pouvoir seigneurial présent en même temps en de multiples endroits, c’est-à-dire ubiquitaire.
Remarques de synthèse
51Les observations qui précèdent permettent de faire quelques remarques d’ordre général, concernant d’une part la question de ce que la liste fait à l’espace, et d’autre part ce que l’espace fait à la liste.
52La mise en colonne (liste verticalisée) n’est pas nécessaire à la représentation d’une totalité spatiale structurée : cette totalité peut en effet être exprimée graphiquement par un bloc textuel autonome (comme pour les droits du château de Burgsinn), ou synthétiquement par une énumération dont le caractère inclusif est exprimé lexicalement (binômes, mots de totalisation, etc.). Le caractère structuré de l’énumération, lui, est manifesté par l’usage de balises (Item) et de formules récurrentes (und alles ; es sei an… an… an…). Enfin, le caractère de totalité spatiale est manifesté (et sans doute pensé) à l’aide d’un gradient discursif intérieur/extérieur, qui place le château au centre et se développe vers une périphérie définie par le sylvestre/marécageux/sauvage.
53Le recours à la disposition verticale n’étant nullement automatique, il doit donc être considéré comme répondant à un enjeu – par exemple pour manifester un rapport équilibré entre seigneurs du point de vue de l’appropriation du sol : soit pour manifester un rapport de parité distributivement juste (entre Sigmund et Eberhard), soit un rapport de cohésion (entre Sigmund et Balthasar). Cela détermine semble-t-il la manière dont la liste est construite, voire disposée dans le codex lui-même, l’usage du recto-verso (au lieu du vis-à-vis) manifestant une situation de dos-à-dos symétrique plutôt que de proximité. Ce n’est évidemment pas la liste en soi qui implique cela : c’est l’enjeu que représente le fait de manifester parité ou cohésion qui fait de la liste (verticalisée) une forme graphique remarquablement efficace pour l’appropriation seigneuriale stabilisée du sol. Par conséquent, la page/le folio a une efficacité fonctionnelle que rend invisible son usuelle réduction à un simple support d’écriture. Par ailleurs, la forme en liste de beaucoup de censiers devrait être systématiquement interrogée sous l’angle de ce qu’elle signifie quant à la dynamique interne du groupe seigneurial – ce qui était déjà une intuition de T. Hildbrand67.
54Si l’on se tourne vers la spatialité mise en place ou actualisée par les listes examinées, on remarque d’une part que le schème intérieur/extérieur (ou centre/périphérie) joue un rôle clé dans l’organisation de plusieurs listes, avec le château (et non pas l’église) au centre ( = au début de la liste) puis la mise en œuvre d’un gradient aboutissant aux espaces incultes et forestiers. Un tel gradient allant de ce qui est important à ce qui l’est moins, du massif à la poussière, du pôle au satellite, se rencontre tant dans la liste des droits dépendant de Burgsinn que dans le censier de [Büchold]. Par conséquent, tout indique que l’organisation de ces listes repose sur une conception anisotrope de l’espace, dans laquelle les lieux sont moins présentés en vertu de leur contiguïté, proximité, distance, etc. (donc en vertu de facteurs, disons topographiques voire géométriques) qu’en fonction de leur importance (sociale) relative – bref un espace polarisé, mais sur les résidences seigneuriales (Burgsinn, Büchold).
55On fournit ainsi de l’espace seigneurial une double image : une image hétérogène, celle d’une poussière de lieux ou de tenures, sans connexion entre eux (on ne passe pas de l’un à l’autre comme si l’on se déplaçait sur le terrain)68, au mieux subsumés par le nom d’un village, et qui paraît renvoyer à une logique de diffraction du dominium (être un peu présent dans un nombre maximal de lieux au lieu d’être très présent dans quelques lieux seulement) ; et une image homogène, produite graphiquement par la liste à l’aide d’une main unique, des jeux de police (taille et empâtement des caractères), titres, Item, pieds-de-mouche, etc., signalant l’ubiquité seigneuriale.
56Quant à l’espace même de la liste, il se déploie tant en deux dimensions (précisément à l’aide de la mise en page, des sauts de ligne, alinéas et signes graphiques récurrents, qui instaurent une rythmicité qui structure la page) qu’en trois dimensions (avec le jeu sur le recto et le verso – que rend à peu près invisible l’édition – et les renvois internes au codex : la liste, parce qu’elle est intrinsèquement intertextuelle69, peut s’épanouir sans difficulté au sein du codex). Ce n’est pas le moindre apport du questionnement sur le rapport entre liste et spatialité que de nous rappeler encore une fois que la liste n’est pas seulement un texte mais aussi une forme matérielle, donc dotée d’une spatialité qui ne peut pas ne pas faire sens.
Annexe
Censiers de Büchold et de Hirschfeld (Franconie) en 1472/1474, attestant des droits de Susanne von Thüngen
A. Original sur papier, conservé au Bayerisches Staatsarchiv Würzburg, Thüngen-Archiv zu Weißenbach, A 2907, fo 8-11. Il s’agit du second cahier d’un ensemble (complet ou non) établi vers 1474 dans le cadre du partage des biens de feu Balthasar von Thüngen entre sa veuve Susanne et son petit-cousin Hildebrand von Thüngen. Le papier présente un filigrane correspondant à des papiers utilisés en Tyrol, Souabe et Franconie entre 1473 et 1475 (type Ochsenkopf 219 de Gerhard Piccard)70. Le cahier en question est amputé de son début (il manque un feuillet, voire deux si le cahier concerné était un quaternion comme celui qui correspond aux fo 1-7) et il est taché et troué en divers endroits. Toutes mes interventions (résolution des abréviations, corrections, propositions de restitution) sont en italique71.
fo 8 : Item hans Berynner gibt vi ß dn von Item peter berynner und ditz holerich Item linhart peter gibt iiii ß dn von vii Item hans ditz gibt ii ß dn von ½ aker weingarten am mittelberge Item fritz grumbach gibt ½ lb heller ii bekant dn von eim acker weingarten Item Cuntz M[ ]72 gibt ein lb unslits von dreien virteill ackers fornen an Item linhart funck gibt v ß dn i fasnachthwne von einem acker Item hans Ortt gibt ii summerhwner Item betz stoll gibt xii ß dn ii Item hans beheim gibt iiii ß dn von Item hans Rubelb hans beheim gibt yder halben gibt iiii ß dn von vii |
Item Armer heintz gibt iiii ß dn von Item freys lemerth gibt ½ lb heller ii merteinshwner von einem hoffridt zw grumbach gelegen und stosset uff die gassen auch ½ wigerßmull Item Cuntz Bulman gibt v ß dn ii faßnachthwner von einem hoffridt Item Ich Sussanna han bekant Item heintz Stackener und fritz eckart Item Peter scheruber gibt iiii ß dn von Item Sey[tz]73 scheyring gibt i bekant Item fritz mercklein gibt ii bekant dn Item Niclas dencker gibt vi ß dn von Stepach Item heintz offener gib i malter korns Item hans gerber gibt ii½ malter |
fo 8v : Item veitt plasß gibt ii malter korns v Item Cuntz hirner Erck steffell gibt ii Item Claus gerber gibt iii74 malter Item Mathes steffell gibt ii malter Item Meyßner gibt ½ lb heller ein Item Thomas sundt gibt ix dn von Item Jacob sunds frawe gibt ix dn Item Als hans Rineck zw Steppach Item Veitt plasß gibt vii½ dn fur i½ |
Schrawttenbach76 Item Jacob sundt gibt ½ malter korns Item hanns weltz der Alt und henlein Item Claus telde gibt i bekant dn von Item Peter Zacerey gibt iiii malter Item hans Wintter gibt ein bekant dn Item hanns Stoll gibt vi dn und i fasnachthwn von einem weingarten Item hanns hecker gibt iii dn und i fasnachthwn von eynem weingartten Item hanns becker gibt vi dn i Item yffo Mey gibt vi dn i Oberneschenbach |
Item hans fawst gibt ii ß dn ii Item fritz grumbach gibt iiii ß dn ii summerhwner i weisung i Item petter weitta gibt xii ß dn ii summerhwner i fasnachthwn und i lamsbauch Item in dem dorff gibt man vi dn fur Item Endreß werner gibt ii malter M[orsa]w77 Item hans [mer]bergk78 gibt iii ß dn Item Girrner gibt x ß heller i Item Cuntz flee gibt iii ß dn und Item heintz halpritter gibt iiii lb Item Girrner gibt iii lb unslits von Item peter koch gibt ½ malter habern hamelberger moß von einer wisen zw ossental die hatt ettwan In den hoff |
Item hans muller Cuntz teyn gibt vi Item Cuntz schatz gibt i lb unslits von Item in dem dorff nympt man auch vi [ruche] Item heinz snabell gibt iiii ß dn von Item claus muller hatt bestanden die weingartten im ockersloch die heintz snabell hatt gehabt umb vii ß ye vi dn Aschvelt Item hans Schirbein gib xxx ß dn i Item hanns Merbott gibt iii malter Item Steffan Selle gibt iii ß dn von Item heintz von bernheim gibt i |
|
fo 9v : Item heintz schinling gibt i lb unslits Item hans muller der Junge gibt viii Item Cuntz gotwalt gibt ii lb unslits Monster Item hanns Eberhart gibt ii lb unslits Ewsenheym Item hans zwattorlffs gibt ½ lb heller Hüntzbach Item Claus schreber gibt x ß dn iiii summerhwner ii g[ans]82 und i Ewrdorff Item Clauß hagell gibt viii ß dn iii dn Item Eckart sigwein und hanns Item hans beybergk Cuntz wilde gibt Gambach |
Item hans hock und mertein hock Item ii malter harbern von viii eckern Item ii½ acker hinden an den büel Item ii½ acker an die andern seitten Itenn In dem fluer gen goßelsheim Item iii acker gelegen am Item iii virteill weingartten am sande geheissen am gockenloch Sweb[ar]tt83 Item Claüs brew[ ]84 gibt i malter Item hans schreck gibt ein bekant fasnachthwn von einem weingarten Obersvelt Cuntz gibt ein malter habern Item hans burghawsen gibt ii metzen Wlverßhawsen Item Endreß scheisser gibt ii |
fo 10 : Bestein Item hans Girner erben die geben sechs ß dn Grestall Item linhart stupfell gibt i faßnachthwn |
Nota die zinß und gult Baltasars von Tungen Im dorff zw hirsfelt ¶ Item hans dittrich der alt gibt von einer hube ii½ lb geltz lx eyer auff ostern und zwei fasnachthwner v michaelshwner i weisung und iii frontag mit pferden i beste heupt die hube leith obern brunn bey dem obern thore Item ein michaelshwne von eynem acker weingarten am meyne ¶ Item hans dittrich gibt von eyner hube iiii lb on ii dn ii fasnachthwner lx eyer auff ostern xx michaelshwner i weisung iii frontag mit pferden ½ lb wachs i beste heüpt die hube leith unter dem prunn Idem i lb von einem weingartten genant der [Pr]üell86 ¶ Item Cuntz herlemer geitt von einer hube xiiii ß dn und ii dn auff la[urenti]87 und xxviii dn auff unser fra[wen]88 tag lx eyer auff ostern ii fasnachthwner i weisung iii frontag mit pferden Item die hube leith bey dem obern thore gen ditterichen uber ¶ Item Cuntz Herlemer89 geit von dem fare ii fasnachthwner viii summerhwner i weisung lx eyer Idem gibt auch von dem fare x dn und v lb herrn hilprantt Also ist es Im In der teilung zwgefallen und hatt sust nichtz daran dan die dn zinß ¶ Item Cuntz herlemer geitt von einem lehen xxv dn ii fasnachthwner l eyer i weisung und iii½ ß dn fur das beste heüpt |
fo 10v : Item das lehen leitt aufß schultessen hauß und ist Inntzund ein stal Idem geit iii dn und ein bekantt dn von einem weingarten Im bach ¶ Item Claus Rudiger geit von einer hube ii lb und ii dn ii fasnachthwner lx eyer auff osstern viii michaelshwner i weisung drei frontag mit pferden und i beste heüpt Item die hub leit hinden am kirchoff ¶ Item hans decham geit von eynem lehen lx dn auff laurenti und xiiii dn auff frawentagk i weisung i fasnachthwn l eyer zw ostern ein michaelshwne iii frontag mit pferden das beste heupt nach seinem tode Item das lehen leitt umtten im dorff unter dem kirchoff Idem i lb und i fasnachthwne von einem weingartten ¶ Item Cuntz smaltz geit [von]86 einem lehen xxv dn ii fasnachthwner l eier auff ostern i weisung iii ß dn fur das beste heupt Item das lehen ist das nechst hauß oben am brunnen Item Contz smaltz geit i michaelshwne und xl dn von dem hoff der do leitt bei dittrichs lehen bey dem brunen ¶ Item hans weigant der alt geit von einem hoffe ii lb und ii dn ii fasnachthüner ii michaelshwner lx eyer zw ostern i wei-sung iii frontag mit pferden und i beste heupt nach seym tode Item der hoff leitt ausßwendig des graben am anspan |
gelegen [hi/u]nter87 dem kirchoff bei h[anse]n88 dechan Idem ein lb von einem weingartten gelegen an dem Rotte ¶ Item Clauß loffler i ß dn von einem weingarten gelegen im bach Idem ein fasnachthwn von seinem hauß gelegen hinter dem kirchoff ¶ Item Cuntz dittrich i ß dn ii fasnachthwner von seynem hauß gelegen oben am Meyn gen heidenffelt zw ¶ Item hans Back geit von einer hube ii½ lb und vi dn lx eyer auff ostern ii fasnachthwner xi michaelshwner i weisung iii frontag mit pferden i beste heupt nach seinem tode Gelegen bei dem brunn das neste |
fo 11 : ¶ Item Gerhauß kemmerin geit ½ lb wachß dem gotzhauß i fasnachthwn den heren von einem lehen gelegen außwendig des graben alß man gen heidenfelt gett Idem geit von eynem lehen ½ lb gelts ii michaelshwner gelegen gen heidenfelt außwendig des graben ¶ Item Apel eyrinck geit von eynem lehen xxv dn ii fasnachthwner l eyer auff ostern i michaelshwn und iii½ ß dn und ii dn fur das beste heupt gelegen bey der mule Item heintz kemmerer geit xv dn von einem weingartten im bach ¶ Item hans dittrich [und]89 heintz dittrich geben von dem [ ]echtz90 lehen vi ß fur i lam[sbauc]h91 ii fasnachthwner i [wei]sung92 ii michaelshwner fur den [ ]n93 zehen und leitt unten im dorff gein wippf[elt]94 zw ¶ Item hans weigant der Junge95 und heintz dittrich geben xviii dn von i weingarten gnant der Rem Item Gerhauß heintzen steffans tochter geit ein dn von eyner wisen Item Cuntz back geit iii dn von einem weingarten gelegen im bach etc. |
das Synd die schuld Im dorff zw hirsfelt etc. Item Cuntz hey dedit ii gulden und tenetur noch i malter korn Item heintz fleischman tenetur ii½ gulden Item Reinhart i malter korn Item heintz steffan tenetur iiii gulden fur korn Item loffler tenetur iii gulden fur korn Item hans back tenetur i½ gulden fur korn Item Endreß smit i gulden fur k[orn]96 Item Cuntz biderman tenetur viii gulden fur korn Item ii gulden tenetur Contz Smaltz fur korn Item peter back tenetur i½ gulden Item Cuntz back tenetur ii½ lb fur korn Item Apel eyring ½ gulden fur korn Item xii lb hat geben der schultheß von hirsfelt an zinß unnd fischgelt auff den karfreittagk Item iii gulden an geld hat geben der schulthesß Item [ ]en98 am korngelt von hirsfelt hat hans pracht Item loffler hat pracht vii½ gulden Item v gulden auff petri loffler von hirsfelt Item ii gulden krebseyn zw zeiwlugßheim Item i gulden am korngelt hat geben loffler auff freittag nest nach Invocavit Item i gulden hat pracht loffler Item i gulden dedit loffler am korngelt Item v½ gulden hat pracht loffler und henslein Item i gulden an geld hat pracht loffler Item i gulden iii lb hat pracht biderman Item ii gulden auff pfingsten hat geben Cuntz biderman v lb und xii dn fur i gulden Item Cuntz smaltz dedit ii½ gulden eadem die v lb und xii dn fur i gulden Item pleiben mir schuldig lxxii gulden minus xv dn an dem korngelt Item fleischman dedit xiii lb |
Notes de bas de page
1J’ai proposé de qualifier la spatio-temporalité médiévale d’« itérative » dans J. Morsel, « “Communautés d’installés”. Pour une histoire de l’appartenance médiévale au village ou à la ville », EspacesTemps.net, 2014, http://www.espacestemps.net/articles/communautes-dinstalles/
2J. Goody, La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Paris, Éditions de Minuit, 1979, notamment chap. 5.
3Principe qui est au cœur de l’ontologie analogiste selon P. Descola, Par-delà nature et culture, 2e éd. Paris, Gallimard (Folio), 2015, p. 514, laquelle caractérise le système de pensée médiéval (au sens large), selon P. Descola (ibid., p. 354-360) tout comme selon A. Guerreau-Jalabert, « Occident médiéval et pensée analogique : le sens de spiritus et caro », dans J.-P. Genet (dir.), La légitimité implicite, Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome, 2015, t. 1, p. 457-476.
4Les premières tentatives paraissent remonter à C. Lévi-Strauss et à sa célèbre analyse structurale du village (sic) bororo : Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955, p. 248-277, puis Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1974, p. 133-180. Du point de vue de l’articulation des représentations et des pratiques, E. T. Hall, The Hidden Dimension (1966), trad. fr. La dimension cachée, Paris, Seuil, 1971, souligne le caractère socioculturel du sens de la distance ou de la proximité spatiales, et l’on trouvera également un exemple d’analyse structurale de l’espace domestique (la maison kabyle) chez P. Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, précédé de trois études d’ethnologie kabyle, Paris/Genève, Droz, 1972, p. 45-59, 64-69. Plus abstrait et général : H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974, qui contraint à relativiser toutes nos évidences spatiales, qui ne sont que celles du sens commun. À la suite de G. Ritchot et D. Feltz (dir.), Forme urbaine et pratique sociale, Louvain/Montréal, CIACO/Préambule, 1985, G. Desmarais, « Projection ou émergence : la structuration géographique de l’établissement bororo », Recherches sémiotiques/Semiotic Inquiry, 12, 1992, p. 189-215, a proposé (à partir des observations de Lévi-Strauss) une alternative à l’idée largement dominante de l’espace-étendue simplement mis en forme par le social. Du côté des géographes, voir J. Lévy, Le tournant géographique. Penser l’espace pour lire le monde, Paris, Belin, 1999, ainsi que les travaux rassemblés dans J. Lévy, M. Lussault (dir.), Logiques de l’espace, esprit des lieux. Géographies à Cerisy, Paris, Belin, 2000. Quant aux médiévistes, voir J. A. García de Cortázar, Organización social del espacio en la España medieval. La Corona de Castilla en los siglos VIII a XV, Barcelone, Ariel, 1985 ; Del Cantabrico al Duero. Trece estudios sobre organización social del espacio en los siglos VIII a XV, Santander, Universidad de Cantabria, 1999 ; A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », dans N. Bulst, R. Descimon, A. Guerreau (dir.), L’État ou le roi. Les fondations de la modernité monarchique en France (XIVe-XVIIe siècles), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1996, p. 85-101.
5Il s’agit d’un ensemble de lieux et de personnes soumis durablement à la domination d’une lignée particulière de la parentèle aristocratique sur laquelle j’ai fait ma thèse il y a une trentaine d’années, les Thüngen (voir La noblesse contre le prince. L’espace social des Thüngen à la fin du Moyen Âge [Franconie, v. 1250-1525], Stuttgart, Thorbecke, 2000). Cette lignée est centrée sur le contrôle de deux châteaux, Burgsinn et Büchold (distants l’un de l’autre de 25 kilomètres à vol d’oiseau, sans doute du double en suivant les routes), un moment tenus en alleux puis repris en fiefs de seigneurs éloignés (le margrave de Brandebourg-Ansbach pour Burgsinn) ou opposés l’un à l’autre (l’évêque de Wurtzbourg et le chapitre cathédral pour Büchold) pour faire pièce à la pression du prince local, l’évêque de Wurtzbourg. À ces deux châteaux s’ajoute celui de Thüngen, tenu en indivision par des membres de plusieurs branches Thüngen (dont les cousins germains Sigmund et Balthasar, dont il sera ici question), et en l’occurrence en fief des rois de Bohême (donc un autre seigneur éloigné) depuis 1430. Le choix de cette lignée, issue des frères Wilhelm Ier (v.1365-1407) et Hildebrand Ier (v.1365-1412) mais dont seuls les descendants du premier se sont perpétués en ligne masculine après 1473 (et jusqu’à nos jours), repose sur la documentation qu’elle a laissée, aujourd’hui conservée au Staatsarchiv Würzburg (abrégé ci-après StAW) en dépôt privé (fonds Thüngen-Archiv zu Weißenbach, abrégé ci-après ThAW). La localisation des divers lieux cités dans la suite du texte est présentée sur la carte ci-après.
6Je considère en effet que l’enjeu fondamental pour le groupe seigneurial est d’assurer la reproduction de sa domination, qui passe en premier lieu par la reproduction de sa cohésion sociale (voir J. Morsel, Noblesse, parenté et reproduction sociale à la fin du Moyen Âge, Paris, Picard, 2017, notamment p. 11-23) ; c’est dans ce cadre que fait sens la production écrite seigneuriale : on n’écrit pas pour dominer (directement) les dépendants, mais pour stabiliser les rapports entre seigneurs à propos des dépendants (voir J. Morsel, « Le prélèvement seigneurial est-il soluble dans les Weistümer ? Appréhensions franconiennes [1200-1400] », dans M. Bourin, P. Martinez Sopena (dir.), Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes médiévales (XIe-XIVe siècles). Réalités et représentations paysannes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 155-210) ; voir aussi infra, n. 67.
7StAW, ThAW, B 1, fo 10v-11v ; j’ai eu l’occasion de présenter spécifiquement ce cartulaire dans ma contribution « Le cartulaire de Sigmund I von Thüngen (Franconie, 1448/49) », dans O. Guyotjeannin, L. Morelle et M. Parisse (dir.), Les cartulaires. Actes de la table ronde de Paris (5-7 décembre 1991), Paris/Genève, Droz/Champion, 1993, p. 411-422.
8StaW, WU 224/104 (1).
9En l’occurrence : ab imo noté pour a bivio ; in Schinterstein rivus au lieu de item Schinterstein rivus.
10StAW, ThAW, B 1, fo 69r-72.
11StAW, ThAW, A 2907, fo 8-11, édité ci-après en annexe.
12StAW, ThAW, B 1, fo 37v, et StAW, WU 42/121a, documents édités en annexe à ma contribution « Quand faire dire, c’est dire. Le seigneur, le village et la Weisung en Franconie du XIIIe au XVe siècle », dans C. Boudreau (dir.), Information et société en Occident à la fin du Moyen Âge. Actes du colloque international tenu à l’université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa (9-11 mai 2002), Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 309-326, ici p. 323-326.
13StAW, WU 224/104 (1) ; copie (introduite par le titre Burg Synne) dans StAW, ThAW, B 1, fo 10 v-11 v ; le seul écart entre les deux versions est l’introduction dans le cartulaire d’un an supplémentaire entre seesteten et stock, tandis que le mot omis sur la contre-lettre (sy) figure bien sur la copie (établie non pas à partir de la contre-charte qui nous reste, mais de la charte elle-même). La transcription ici fournie (comme toutes celles qui suivent) n’introduit aucune ponctuation et respecte l’usage des majuscules et minuscules, puisqu’il n’est pas exclu que le jeu sur les majuscules ait pu servir à rythmer les énumérations.
14Pour récapituler les éléments de scansion (et en introduisant le signe | pour signaler le passage d’un ensemble à un autre) : mit allen… und… und allen… und… darzu und darin… und… mit allen… | und auch alles… an… an… an… an… an… an… an… an… an… an… an… an… an… an… st. st. w. w. unter… oder ober…, klein und groß, pfennig und pfennigswert nichts ausgenommen | und mit namen alle… und alles… an… oder an… besucht und unbesucht nichts ausgenommen.
15L’énumération suit en effet la série champs cultivés – prés – bois/sylve – garennes – pêcheries – étangs, et se termine par deux binômes qui synthétisent et réduisent la série à sa logique constitutive : défriché/en friche (stock und stein) et cultivé/pâturé (wonne und weide), et finalement humanisé/sauvage (besucht und unbesucht). On retrouve aisément ici la bipolarité repérée par A. Guerreau-Jalabert entre le château et l’essart comme forme de codage du système productif cultures/incultes et du système idéel intérieur/extérieur : « L’essart comme figure de la subversion de l’ordre spatial dans les romans arthuriens », dans É. Mornet (dir.), Campagnes médiévales. L’homme et son espace. Études offertes à Robert Fossier, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995, p. 59-71.
16On remarquera aisément en effet que le deuxième et le troisième ensemble présentent exactement la même logique : alles… an…an…, x und -x, nichts ausgenommen. Le traitement particulier de Mittelsinn n’est pas clair : est-ce parce que Mittelsinn était peut-être le plus gros village (bien que Mittelsinn n’ait pas eu de paroisse propre jusqu’en 1413 mais dépendait de l’église paroissiale de Burgsinn) ?
17StAW, ThAW, B 1, fo 25 et 25v.
18Voir infra, n. 22.
19La version latine (après la rubrique susdite) est la suivante : Nota redditus ad Castrum Synne ab antiquo spectantes Primo villa Burgsynne cum suis pertinenciis in villa et campo Item Centa ibidem Item medietas cente in velden Item medietas cente in metilsynne Item due partes decime in velden Item due partes decime in wonrode Item due partes decime in wißinbrum [sic] Item Curia dicta Schintersteyn Item proprietas villule zum zyterst Item nuenseß cum suis pertinenciis universis Item due piscaciones in rivo Synno incipientes a marchia zim [sic] zytrost usque ad locum qui dicitur der Sendechtweg Item Piscaciones nemoris dicti Spechsart in Schinterstein Rivus Item Rivus dictus anmelbach Item Rivus dictus dura vel ura Item nemus Spechshart qui incipit ab una parte apud heremitam et terminat in agro dicto Gunthersacker Item ab eodem loco incipiendo in via dicta leytweg usque ad fontem dictam Rineckerbrünn in eodem loco descendendo daz flurstal usque ad viam quae ducit de velden in metilsynn Item a bivio quod ducit de ura usque ad villam zum zeytrost et eius marchiam Item a iam dicta marchia usque ad quercum dictum die drie zinckige eyche ubi concurrunt quatuor marchie Item ab ipso descendentem vallem dictam die heselgrube usque ad lapidem dictum der Schelichsteyn Item ab eodem loco descendendo ad curiam supra dictam Schuntersteyn ab ipso loco Rivum ibidem descendendo usque ad locum Gekelspach eundem locum ascendendo usque ad fontem Eschenbrunne Item ab eodem loco incipiendo usque ad locum dictum der Sendechtweg ascendendo ibidem daz Rabental et descendendo ibidem daz hanebuttental et denuo daz sultzental usque ad curiam heremite.
20Nota redditus ad castrum Synne ab antiquo spectantes – spectans est bien sûr une forme verbale, mais ici adjectivée.
21Version allemande : Daz sint die rent die von alter her zu dem sloß Synne gehoren…
22Je veux dire par là que la version allemande aurait très bien pu commencer au fo 24v, dont les deux derniers tiers sont vierges et comme on l’observe à d’autres endroits du cartulaire ; la fin de la liste allemande n’aurait alors occupé que le premier tiers du fo 25 et la version latine (plus courte), les deux derniers tiers. Quant à la version latine dans son état actuel, elle n’occupe que la première moitié du fo 25v, dont la seconde a été laissée vide. Tout se passe donc comme si non seulement on n’avait pas voulu mettre les deux versions en rapport direct mais en outre comme si on avait tenu à assurer codicologiquement leur particularité. On verra ailleurs encore (voir infra, n. 41) que le scribe répugne visiblement à désarticuler codicologiquement ses listes, qu’il s’efforce de faire tenir sur une seule page.
23Quoique la liste ne qualifie expressément que Schondrastein comme hof ou curia, c’est aussi le cas des deux autres, dont le point commun supplémentaire est qu’il s’agit de cours sans doute déjà abandonnées et en friche, et aujourd’hui disparues (voir J. Morsel, La noblesse contre le prince…, op. cit., p. 641-642).
24Plusieurs des indications fournies pour cette délimitation sont aujourd’hui disparues ou non identifiables, mais celles qui le sont permettent de comprendre que le Spechshart formait très certainement un espace boisé autour de Burgsinn (qui correspondait à une sorte de clairière en son milieu), à cheval sur la Sinn, mesurant approximativement 10 kilomètres d’ouest en est sur 5 kilomètres du nord au sud.
25Il est cependant impossible de savoir dans quelle mesure les brunnen ou fontes mentionnées sont des sources ou des fontaines aménagées – incertitude évidemment liée au caractère anachronique de la distinction humain/naturel (voir Ph. Descola, Par-delà nature et culture…, op. cit.).
26Je veux dire par là que les objets localisés sont mentionnés non pas en fonction de leur proximité les uns des autres, ou d’une logique centre/périphérie, bref en fonction de critères étroitement spatiaux (qui correspondent à notre conception d’un espace neutre, préalable à l’homme, isotrope), mais en fonction de valeurs sociales attribuées à tel ou tel lieu sous tel ou tel angle, ce qui fait que ce que nous considérerions comme un même lieu (car défini par un nom propre et des coordonnées géographiques uniques) peut apparaître plusieurs fois : non qu’il s’agisse d’une répétition, mais du signe qu’il ne s’agit pas, socialement, du même lieu.
27Voir le segment … zu dem vorgnanten hoff schuntersteyn An der selben stat abzugeen den pach biß an die stat Gekelßbach…
28A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques… », art. cité, n. 4 ; M. Lauwers, « Circuit, cimetière, paroisse. Réflexions sur l’ancrage ecclésial des sites d’habitat (VIIe-XIIIe siècle) », dans J.-M. Yante et A.-M. Bultot-Verleysen (dir.), Autour du « village ». Établissements humains, finages et communautés rurales entre Seine et Rhin (IVe-XIIIe siècle), Louvain-la-Neuve, Institut d’études médiévales, 2010, p. 301-324.
29Sur les vues figurées, je renvoie aux travaux en cours de J. Dumasy, notamment « La vue, la preuve et le droit. Les vues figurées de la fin du Moyen Âge », Revue historique, 668, 2013, p. 805-831, et J. Dumasy-Rabineau, N. Gastaldi et C. Serchuk (dir.), Quand les artistes dessinaient les cartes. Vues et figures de l’espace français, Moyen Âge et Renaissance, Paris/New York, Le Passage/Archives nationales, 2019.
30StAW, ThAW, B 1, fo 69-v (1445). Mis à part les noms des personnes concernées (qui permutent de l’une à l’autre) ainsi que le titre Heseler ecker (« champs heßlarois ») écrit dans le coin supérieur gauche du fo 69, et sans parler des variations orthographiques, les deux listes commencent de la même manière : Item dise hirnachgeschribin acker sten mir Sygemunde von thungen zu zu mynem teyl die do gelegin sin uber heseler gein dem zuckmantel dy myn vetter Ebirhard von thungen und ich miteinander geteylt haben die dann in unßern hoff gehoren zu heseler der etwan fritz von thungen seligin gewest ist Gescheen uf sant katerin tag Anno domini etc. xlv (fo 69).
31Le texte de la charte de vente de 1445 est lui-même copié ailleurs dans le cartulaire (ibid., fo 56-57) : Fritz von Weyler vend, en son nom et au nom de son épouse Anna, sa « moitié de la cour sise à Heßlar près de Thüngen avec toutes ses dépendances, usages et droits dans le village et les champs, qu’il s’agisse de rentes en seigle ou en avoine, de deniers, d’avouerie ou de bergerie et de poules et ce qu[’il a] à Heßlar sans exception, ainsi que [s]a part des vignobles sis à Binsfeld près de Thüngen, qu’ils soient en exploitation ou non, avec tous usages et droits » (mynen halben teyl an dem hoffe zu heseler bie thungen gelegin mit aller siner zugehorunge nutzen und rechten in dorff in velde Ez sie korngulte adder haberngulte phenniggeylt vogtey adder schefferie und huner und waz ich hann zu heseler nichtis ußgenomen unde mynen teyl an weingarten zu binßfeylt bie thungen gelegen Sie sint in buwe adder nicht in buwe mit allen nutzen und rechten).
32La liste de 1447 concerne deux fois moins d’ecker que la double liste de 1445, ce qui pourrait suggérer que Sigmund et Eberhard aient acheté la moitié de la part d’Agnes (l’autre fille de Friedrich, mariée à un Schaumberg) ; toutefois, le cartulaire de Sigmund ne contient aucune copie d’un tel acte de vente, contrairement à l’achat de 1445 (voir n. 31). Si les biens de cette seconde liste faisaient eux aussi partie des dépendances de la hof achetée en 1445, la raison de l’écart de temps est obscure : faut-il imaginer que le partage opéré sur ces biens ait été finalement contesté et modifié, une liste antérieure (datée de 1445) étant remplacée par celle de 1447 ?
33StAW, ThAW, B 1, fo 72 : la liste est dotée du titre Teylung der ecker uber heseler im lenzen Anno etc. xlvii dy andern vindestu hyvor. Le segment im lenzen Anno etc. xlvii signifie normalement « au printemps de l’an 1447 », mais le renvoi qui est fait en bas du fo 69v à cette liste est étrangement libellé, comme si lenzen pouvait être un lieu (Item die ecker, als die geteylt unnd gesundert sin uber lentzen Im xlvii Jar vindestu des dritten blates hirnachvolgen : « Item les champs qui ont été divisés et séparés au-dessus de Lenzen [ou au cours du printemps ?] en 1447, tu les trouves au troisième folio ci-après ») – à moins que uber lentzen au fo 69v résulte d’un écrasement erroné du segment uber heseler im lenzen du fo 72 ?
34StAW, ThAW, B 1, fo 70 : liste introduite par la rubrique Ditz sind dy flure zu Buchelt dy mir Sigmund zusteen (« Voici les terroirs de Büchold qui reviennent à moi, Sigmund ») et qui énumère, en trois paragraphes introduits par Item, trois flure (uber sant Clas crutz […] uber dem brun zum Sachsen […] gein dem hoff uber den Sachsen), comprenant respectivement 223, 205 et 205 acker.
35Ibid. : liste introduite par la rubrique Zim [sic, pour Zum] Sachsen et composée de sept paragraphes tous introduits par Item et s’achevant par gehort zu dem hoff ou, dans les deux derniers, par gehort zim Sachsen. Seul le deuxième paragraphe présente une structure distincte, puisqu’il définit la partie concernée par une sorte de perambulatio, tandis que dans les autres cas on se contente de dire « partie supérieure » ou « partie inférieure ».
36StAW, ThAW, B 1, fo 70v : liste introduite par la rubrique Teylung der hofe museberg und Zitharts, composée de neuf paragraphes tous introduits par Item. Le premier paragraphe introduit la liste et annonce les types de biens qui composeront successivement la liste (mit eckern, wiesen und garten in dem maß als hirnach geschribin stet : « avec [ses] champs, prés et jardin à la mesure de ce qui est écrit ci-après »), qui est donc typologique. C’est la raison pour laquelle la ligne constituant le troisième paragraphe et traitant de prés (wiesen) est incomplète, biffée et réécrite au début du 5e paragraphe, où la phrase est complétée : en effet, le 4e paragraphe traite encore des ecker comme les 2e et 3e paragraphes, ce qui suggère que le scribe s’est trompé (probablement parce que les 2e et 4e paragraphes se terminent de la même manière : uf dem museberg) et surtout, donc, que l’organisation typologique de la liste devait être respectée.
37Ibid. : Item die Sehe und die baum by dem hoff sein noch ungeteylt.
38StAW, ThAW, B 1, fo 71 : liste introduite par la rubrique Item ditz hirnachgeschriben ist gemein und ungeteylt et composée de huit paragraphes tous introduits par Item et organisés de manière semblable (« Item la dîme à X » ou, pour finir, « Item le moulin à Hirschfeld »), sauf deux cas de précision supplémentaire (« Item la dîme de Schwemmelsbach sur le Dechantberg et les [ou : au-dessous des ? Une abréviation n’est en effet pas à exclure, qui transformerait und en under] ecker que tiennent les Pulmann » ; « Item la dîme de la vigne de Schraudenbach qui versent [sic] le cens à messire »).
39StAW, ThAW, B 1, fo 41v-42.
40L’accord susdit (voir n. 39) prévoyait en effet que « s’il advenait que nous revienne quelque chose de Konrad von Hutten, notre “beau-frère”, en raison de feue Anna notre sœur et cousine, ou encore en raison de feu Hildebrand notre frère et cousin, ceci et aussi nos autres créances, lorsque nous les auront exigées, quelles qu’elles soient, nous devrions également les partager bonnement entre nous… ». Or, en février 1424, à l’issue d’un arbitrage entre plusieurs Thüngen (dont les deux cousins) et ledit Konrad von Hutten, il est stipulé que ce dernier restituera aux deux cousins le moulin de Hirschfeld et la reconnaissance de dette qui lui avaient été remis en guise de paiement pour la dot de son épouse Anna (sœur de Sigmund) : StAW, ThAW, B 13, fo 31-32 = Staatsarchiv Marburg [désormais StAMbg], K 372, fo 6v-8. Or le moulin de Hirschfeld est expressément mentionné dans l’une des listes, parmi les biens non partagés entre Sigmund et [Balthasar] : voir supra, n. 38.
41Ceci avait déjà été observé à propos des droits et rentes de Burgsinn : voir supra, n. 22.
42Cette possible signification pourrait être confirmée par l’usage d’Item également au début de la liste du fo 71, qui constitue expressément un ensemble avec la liste du fo 70v : voir supra, n. 38.
43Des champs non communs apparaissent des deux côtés aux 7e, 8e et 9e paragraphes, puis de nouveau des deux côtés aux 22e, 23e, 24e, 25e et 26e paragraphes.
44Il ne s’agit en effet que d’un phénomène d’appropriation seigneuriale, puisque rien ne permet d’envisager que cette répartition de moitiés conduise à une division des parcelles et donc à une pulvérisation du parcellaire.
45Par exemple au 1er paragraphe : Item daz teyl am stelbenstuck am steter wege gein heseler ist mir Sigmund wurden und daz teyl gein thungen ist mir Ebirhard worden.
46Par exemple au 12e paragraphe : Item der acker zwischen Sibin und Samßtag daz teyl an Samßtag ist myn Sigmund und daz teyl an Siben ist myn ebirharts.
47Les exemples présentés aux deux notes précédentes illustrent les deux derniers modes cités ; pour le premier cité, voir par exemple le 5e paragraphe : Item daz Stuck an der geyßleyten daz underteyl ist myn Sigmunds und daz oberteyl myn ebirharts und zehent.
48J. Morsel, La noblesse contre le prince…, op. cit., passim, et R. Frhr. von Thüngen, Das reichsritterliche Geschlecht der Freiherren von Thüngen – Andreasische Linie, Neustadt an der Aisch, Degener, 1999, t. 1, p. 95 sq. et 118 sq.
49À l’arrière-plan de cette observation se trouve moins la théorie formulée par M. Clanchy, From Memory to Written Record. England 1066-1307, 2e éd. Oxford/Cambridge, Blackwell, 1993, p. 6, d’un usage de l’écriture comme « a product of distrust rather than social progress » que celle selon laquelle l’écrit sert non pas à dominer (directement, c’est-à-dire pour contrôler les dominés) mais à (ré)articuler le groupe dominant et donc à le stabiliser (voir supra, n. 6).
50Lors de la discussion, B. Bedos-Rezak a d’ailleurs suggéré que la disposition recto/verso, aboutissant à un double texte sur un seul support physique, serait ainsi comparable à un chirographe (si ce n’est que justement on ne dissocie pas les textes), c’est-à-dire effectivement un moyen de garantie (plus que de vérification : on part du principe que les deux choses étaient bel et bien identiques initialement, donc que la seule chose qui compte est de remettre en relation les deux dérivés).
51La charte est en effet d’emblée destinée à changer de mains (elle est expressément donnée, d’où le mot datum) et à être conservée, en original comme en copie (voir J. Morsel, « Brief und schrift. Überlegungen über die sozialen Grundlagen schriftlichen Austauschs im Spätmittelalter am Beispiel Frankens », dans L. Kuchenbuch et U. Kleine [dir.], ‘Textus’ im Mittelalter. Komponenten und Situationen des Wortgebrauchs im schriftsemantischen Feld, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2006, p. 285-321, ici p. 304-307) ; par ailleurs, on peut considérer qu’elle fonctionne comme un « opérateur temporel » (ou une « Zeitmaschine ») en ce sens qu’elle provoque la réitération de l’action « juridique » qui en constitue l’objet, en l’occurrence par l’intermédiaire du sceau (hypothèses présentées et discutées lors de conférences prononcées à Québec en 2012, à Francfort-sur-le-Main en 2014 et à Paris en 2015 et qui sous-tendent mon article en préparation intitulé « La charte féodale comme opérateur temporel. Observations à partir de chartes de l’Empire des XIIe-XVe siècles »).
52Le contrat de mariage de Balthasar et de Susanne n’est pas conservé (voir J. Morsel, La noblesse contre le prince…, op. cit., p. 671, n. 18), mais on connaît certaines clauses de constitution du douaire (StAW, Ritterschaft 586, et StAMbg, K 372, fo 58v-59), en l’occurrence une partie de son montant (2500 florins d’or, qui ne correspondaient probablement qu’à la fraction versée par l’époux en guise de contre-dot et peut-être de don du matin, ce qui suggérerait un douaire d’un montant de 4500 florins) ; voir J. Morsel, La noblesse contre le prince, op. cit., p. 432, 537.
53StAMbg, K 372, fo 58v-59.
54StAW, ThAW, A 2907, fo 8-11. Ce document est édité in extenso ci-après en Annexe, en fonction des règles de transcription présentées supra, n. 13.
55Sur tous ces indices, voir J. Morsel, La noblesse contre le prince…, op. cit., p. 431-432, n. 19 (avec une coquille à corriger à propos du millésime, l’inventaire des cens et rentes de Balthasar à Hirschfeld datant de 1472 – voir infra, n. 57 – et non pas de 1462).
56StAW, ThAW, A 2907, fo 8-10 (col. gauche) : lieu non identifié (faute du début de la liste, mais les microtoponymes qu’on y rencontre renvoient aux environs de Heugrumbach), Stettbach, Schraudenbach, Obereschenbach, Morlesau, Bonnland, Aschfeld, Münster, Eußenheim, Hundsbach, Euerdorf, Gambach, Schwebenried, Obersfeld, Wülfershausen, Altbessingen, Greßtal. Tous ces lieux figurent sur la carte fournie plus haut.
57Ibid., fo 10 (col. droite)-11 (col. gauche) ; inventaire introduit par la rubrique Nota die zinß und gult Baltasars von Thungen Im dorff zw hirsfelt Anno domini Mo cccco lxxii.
58Ibid., fo11 (col. droite) ; inventaire introduit par la rubrique das Synd die schuld Im dorff zw hirsfelt etc.
59La réalité d’une mise en page pensée dans la perspective du cahier ouvert (donc d’une présentation comme un vaste rectangle horizontal au lieu d’un rectangle vertical qui en représenterait le demi-format – pour schématiser : un format A3 horizontal au lieu de deux formats A4 verticaux) est attestée dans de nombreux codices dont chacune des pages en vis-à-vis porte une partie du titre courant (par exemple les livres ou les épîtres dans le cas de bibles), lisible en entier lorsqu’on prend en compte les deux pages (tandis que le recto-verso n’est pas ici pertinent, puisque le recto porte la fin du titre courant et le verso le début). Notre focalisation sur le texte et la page (qu’entretiennent désormais certains sites en ligne) nous conduit ainsi à négliger que même le codex relève apparemment d’une culture visuelle qui valorise voire privilégie la disposition horizontale du support (comme pour les papyri, la plupart des chartes, les chirographes, les lettres, etc.). Les conséquences de ceci restent cependant à clarifier.
60La différence est nette avec le cas déjà souligné d’un titre barré et reporté sur la page suivante faute de pouvoir achever la liste sur la même page (voir supra, n. 41), mais aussi avec le fait que les listes concernant Hirschfeld commencent à chaque fois en haut d’une colonne (respectivement fo 10 et 11, à chaque fois col. droite) alors qu’il restait en bas de la colonne de gauche de la place pour commencer la liste.
61Sauf à la fin de la liste, pour l’essentiel fo 11, col. gauche, où sont regroupés les tenanciers n’ayant qu’une tenure, localisée en fin de paragraphe, si bien qu’à chacun n’est consacré qu’un paragraphe.
62Voir la note précédente. Le premier tenancier à n’être concerné que par un paragraphe présente un tel pied-de-mouche, qu’on pourrait considérer comme une erreur, celui qui les notait au fur et à mesure qu’on changeait de tenancier n’ayant pas remarqué initialement qu’il n’y aurait ici qu’un paragraphe ; viennent ensuite cinq paragraphes « autonomes » (un par versement/tenure localisée), dont seuls le deuxième et le troisième sont signalés par un pied-de-mouche, la seule différence par rapport aux autres étant qu’à chaque fois il y a deux tenanciers.
63Fo 9v, col. droite.
64A. Guerreau, « Chasse », dans J. Le Goff, J.-C. Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, Fayard, 1999, p. 166-178 ; Id., « La chasse comme rite biparti symétrique », dans A. Paravicini-Bagliani, B. Van den Abeele (dir.), La chasse au Moyen Âge. Société, traités, symboles, Florence, Sismel, 2000, p. 25-32 ; J. Morsel, « Construire l’espace sans la notion d’espace. Le cas du Salzforst (Franconie) au XIVe siècle », dans Construction de l’espace au Moyen Âge : pratiques et représentations. XXXVIIe congrès de la SHMESP (Mulhouse, 2-4 juin 2006), Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 295-316 ; Id., « La faucille et le goupillon. Observations sur les rapports entre communauté d’habitants et paroisse d’après les registres de visite pastorale de l’Empire au XVe siècle », dans J. Morsel (dir.), Communautés d’habitants au Moyen Âge (XIe-XVe siècles), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2018, p. 463-538 (note 23).
65Bien évidemment, cette proportion est très largement artificielle puisque nous ne savons pas combien il y avait de lieux au départ ; mais si l’on admet la logique du gradient numérique, alors on pourrait imaginer qu’avant [Heugrumbach] il y avait un ou deux lieux encore plus massifs, comme Büchold, Heßlar, etc.
66Le caractère non topographique mais strictement personnel/chronologique de l’organisation de ce genre de liste apparaît très bien dans les registres féodaux des évêques de Wurtzbourg : J. Morsel, « Quand enregistrer, c’est créer. La transformation des registres féodaux des évêques de Wurtzbourg aux XIVe et XVe siècles », dans O. Guyotjeannin (dir.), L’art médiéval du registre. Chancelleries royales et princières, Paris, École nationale des chartes, 2018, p. 377-415, ici p. 396 et note 50.
67T. Hildbrand, Herrschaft, Schrift und Gedächtnis. Das Kloster Allerheiligen und sein Umgang mit Wissen in Wirtschaft, Recht und Archiv (11.-16. Jahrhundert), Zurich, Chronos, 1996, qui distinguait plusieurs phases scripturales successives (diplôme, cartulaire, censier sur rouleau, manuel d’inventaire) corrélées à des types de rapport sociaux spécifiques (affirmation face aux aristocrates laïques, face aux autres clercs, face aux bourgeois de la ville, face aux officiers monastiques, et pour finir face aux dépendants : on passe ainsi d’une logique d’arbitrage au sein de la classe dominante à une logique du procès et de la saisie opposant seigneurs et dépendants).
68Ce n’est pas seulement que les listes du censier aient possiblement été confectionnées en fonction de l’ordre de comparution des tenanciers mais aussi et surtout qu’on n’a pas cherché ensuite à les regrouper, disons par « quartier ». Quant à considérer que l’absence de contiguïté des tenures mentionnées pourrait ressembler à la manière dont les agriculteurs actuels parlent de leurs parcelles, non pas en fonction de leur position relative mais de critères pédologiques, d’exposition, d’éloignement, etc., ce serait oublier que ce ne sont pas des agriculteurs qui parlent dans un censier mais des seigneurs, donc que les tenures auxquelles nous avons eu affaire ne sont pas à proprement parler des parcelles.
69Dans le cas présent, on se rappellera que toutes les listes auxquelles nous avons eu affaire sont des copies (la charte de 1405 est conservée en original comme en copie ; la liste des droits de Burgsinn est peut-être une copie et une traduction de la version latine de 1405 ; les listes de 1445 et 1447 sont des copies de 1449 ; les censiers de [Büchold] et Hirschfeld sont eux aussi des copies de listes plus anciennes, antérieures à 1470 et de 1472). Par conséquent, avec un minimum d’indication de contexte (dans les listes de 1445/1447/1449 et sans doute au début des censiers), les listes – même nominatives – peuvent faire l’objet de remplois, parce que l’enjeu n’est sans doute jamais seulement l’exactitude du nom du tenancier, mais la chaîne de détention de la tenure concernée (d’où des cas d’identification de la tenure « autrefois à Untel ») : ce qui compte, c’est bien le contrôle de la terre par l’intermédiaire des dépendants (le dominium), quelle que soit l’identité changeante de ceux-ci.
70G. Piccard, Die Wasserzeichenkartei Piccard im Hauptstaatsarchiv Stuttgart, t. 2, Ochsenkopf-Wasserzeichen, Stuttgart, Kohlhammer, 1966, vol. 1, p. 229, et vol. 3, p. 729. Ce filigrane est en revanche absent chez Briquet.
71J’ai ici aussi adopté les règles de transcription présentées supra, n. 13.
72Nom masqué par une tache.
73Mot mutilé (trou).
74Il a d’abord été écrit iiii, ensuite surchargé d’un iii.
75Mot mutilé (trou).
76Ce toponyme a été écrit dans la marge supérieure, comme s’il avait été rajouté après coup.
77Mot en partie masqué par une tache.
78Mot en partie masqué par une tache.
79Mot en partie masqué par une tache.
80Leçon incertaine à cause d’un trou.
81Mot mutilé (trou).
82Leçon incertaine à cause d’un trou.
83Mot en partie masqué par une tache.
84Mot en partie masqué par une tache.
85Mot en partie masqué par une tache.
86Mot disparu (trou).
87Leçon indécidable en raison d’une tache.
88Mot en partie masqué par une tache.
89Mot masqué par une tache.
90Mot en partie masqué par une tache.
91Mot en partie masqué par une tache.
92Mot en partie masqué par une tache.
93Mot en partie masqué par une tache.
94Mot mutilé (trou).
95Il est écrit Muge (erreur de copie ?).
96Mot effacé.
97Mot illisible (déchirure).
98Mot mutilé (trou).
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