La ville au prisme de la liste
Dénombrer, délimiter et connaître à Paris, Avignon et Montpellier aux XIIIe et XIVe siècles
p. 153-186
Texte intégral
1Au Moyen Âge, la ville est un lieu de prolifération de la liste. Sous sa forme monumentale comme documentaire, elle se trouve au cœur de pratiques de dénombrement, de délimitation et de connaissance des hommes et des choses. La ville constitue une réalité hétérogène qui, comme le rappelle Massimo Vallerani, est faite de personnes – habitants et citoyens – et de choses – biens communs, terres, murs, rues, richesses en circulation – qui, à compter du XIIIe siècle, sont l’objet de l’élaboration d’états écrits1. Ces derniers peuvent enregistrer ces éléments selon les catégories qu’ils forment ou, au contraire, viser à croiser des données hétérogènes dont l’usage est au cœur du fonctionnement du gouvernement urbain. L’écriture permet ainsi à la fois de revendiquer le statut public de certains biens, de construire l’espace d’exercice d’un pouvoir de nature juridictionnelle, ainsi que d’enregistrer les personnes qui forment la communauté des habitants et les choses qui manifestent leurs activités et transactions économiques. Le développement d’une fiscalité urbaine, au cours du XIIIe siècle, relie de manière inédite l’ensemble de ces éléments. Tout en déployant une action administrative spécifique qui nécessite des procédures de comptage, d’évaluation et d’enregistrement, la levée de l’impôt devient objet de délibération2. Elle constitue ainsi l’un des pivots principaux de la citoyenneté urbaine, comme l’explicite Pierre Antiboul († avant 1357), vers 1340, dans son traité De muneribus qui fixe les droits et les devoirs fiscaux incombant respectivement aux cives, incolae – simples résidents – et extranei3. C’est donc à la fois la ville-monument, la ville-communauté et la ville-territoire qui sont saisies par le lexique et l’écriture. Cette activité de consignation et de dénombrement, omniprésente dans les formes du gouvernement urbain à partir des XIIIe et XIVe siècles dans le Midi, est inséparable de la double nature politique et architecturée de la ville4. Elle conduit, comme E. Coccia a pu le souligner récemment5, à faire des murailles des éléments matériels définissant les confins des lieux, tout en les constituant en un support de mémoire et de conscience urbaine. En témoigne l’attention que les chroniques urbaines leur portent et l’assimilation de leur destruction violente, dans le contexte de conflits politiques, à un « urbanicide ». Les murailles circonscrivent à la fois l’espace de la vie commune et celui d’un imaginaire civique partagé, qui font de la cité un « ordre symbolique spatialisé » (E. Coccia) structuré par la forme, la fonction et la localisation des édifices. La transformation des régimes politiques communaux, au cours du second Moyen Âge, entraîne ainsi une modification de ce rapport spatial et politique des monuments à l’espace urbain. Dans l’Italie communale, la position des palais épiscopaux et communaux livre la trame d’une première histoire politique complexe liée au processus de communalisation de la puissance publique à partir de la deuxième moitié du XIe siècle. À la fin du XIIIe siècle, le mouvement de seigneurialisation du régime communal favorise une fermeture des espaces publics, les lieux du pouvoir se dissociant spatialement des espaces de la vie civique6.
2La ville comme « ordre symbolique et spatialisé » confère à la politique édilitaire une valeur politique et civique fondée sur la mobilisation des res présentes dans le cadre urbain, de choses qui sont parfois dotées d’une agentivité sociale7. L’établissement de listes, en produisant des opérations de dénombrement et de catégorisation portant sur les objets et les personnes, contribue de manière générale au processus de développement d’une écriture et d’une documentalité8 étroitement intriquées au pouvoir urbain et à ses visées administratives. Mais, comme a pu le souligner M. Vallerani à la suite d’A. Bartoli-Langeli, l’écriture publique communale en général, et les documents en forme de liste en particulier, résultent, d’une « tension intellectuelle » entre des formes d’action politique urbaine et l’invention d’une documentalité notariale qui constitue une médiation à la fois idéologique et pratique dans l’exercice du pouvoir9. La mise en liste, dans le monde urbain, opère ainsi sur quatre niveaux complémentaires qui guideront cette enquête. Le premier est celui de la mobilisation des res dans la délimitation d’un espace et d’un patrimoine communs, propres à la communauté urbaine10. Cette question, déjà présente dans certains passages de textes juridiques savants de l’espace méridional au XIIe siècle, qui font du commun le soubassement réel de l’existence d’une institution urbaine graduellement distinguée du pouvoir seigneurial, guide dans une large mesure l’écriture des cartulaires et des libri iurium qui sont rédigés, puis tenus à jour, à partir du XIIIe siècle. Le deuxième niveau est à proprement parler politique. Dans ce travail d’écriture du dénombrement et de classification, les res et personae11 consignées par l’écriture notariale deviennent l’un des socles de l’expérience du politique dans le cadre communal. Mobilisées dans le cadre de la vie publique, elles sont l’objet de transactions, voire de conflictualités politiques croissantes avec l’avènement des mouvements populaires au cours des premières décennies du XIVe siècle. Le troisième niveau concerne les formes de documentalité liées à la formation des communautés urbaines. Si le lien avec le droit, sous l’espèce particulière des notions d’universitas et de corpus, soubassements de la théorie de la personnalité juridique12, est essentiel, il est possible de repérer, au cœur de la pratique documentaire courante, un usage de la liste qui, tirant profit de la théorie de la nature différenciée des corps que l’on trouve déjà chez Sénèque, conduit à démarquer la communauté des habitants sur laquelle s’exerce le pouvoir urbain par des opérations d’inscription des personnes. Elles débouchent sur une documentalisation de la vie sociale ouvrant à d’inédites capacités de traitement et de croisement des informations conservées sur le support écrit13. Mais, faisant usage du pouvoir d’hypergénéralisation de la liste, identifié par J. Goody14, les écrits énumératifs permettent également de constituer des groupes de personnes dont la totalité excède la somme des parties. Ces pratiques de la liste tiennent une place importante dans le processus de formation scripturale et documentaire des communautés civiques. Par le pouvoir ordonnateur de l’écrit, elles inscrivent en effet les relations bilatérales entre personnes dans un cadre collectif, opérateur du droit, qui constitue un dispositif d’assujettissement à travers lequel les citoyens définissent leur identité et celle des groupes auxquels ils appartiennent15. Enfin, et il s’agit du quatrième niveau à évoquer, les mises en liste permettent une saisie conjointe des choses et des personnes, dans le cadre d’énumérations à plusieurs degrés qui fondent des relations d’attribution, d’évaluation, de distinction, d’appropriation, de sacralisation, mais également de dette, qui sont au cœur des relations économiques et politiques urbaines16. L’ensemble de ces usages de la liste accompagne le passage d’un espace féodal, qui se caractérise par le poids de la coutume, de la personnalisation du droit et de la mémoire individuelle, à un espace politique et fiscal dans lequel s’opère une nouvelle forme de distinction et de mobilisation des personae et des res, indissociable de la formation d’un pouvoir de nature communale.
Liste de lieux, patrimoine et espaces féodaux
3À Montpellier, au moment de l’établissement d’un consulat urbain en 1204-1205, les notaires qui sont alors préposés aux écritures communales héritent d’habitus d’écriture forgés quelques décennies auparavant, dans le cadre de la seigneurie des Guilhem. Le contexte de la fin du règne de Guilhem VIII, mort en 1202, conduit à la rédaction du Liber instrumentorum memorialis ou cartulaire des Guilhem de Montpellier, achevée en 1203. Le volume est l’objet d’une appropriation tardive de la part des lieutenants des rois de Majorque qui font transcrire, entre 1260 et 1302, une quarantaine de documents en une douzaine de phases d’écriture17. Ces documents, qui forment une série de petits dossiers, placent l’exercice du pouvoir seigneurial et juridictionnel des représentants des rois de Majorque dans la filiation de celui exercé, depuis la fondation de la ville, par la dynastie des Guilhem. La conception et la rédaction du cartulaire s’inscrivent dans le temps ouvert par la décision de Guilhem VIII d’instituer un conseil de régence de quinze membres issus des grandes familles de la ville, proches du pouvoir seigneurial au cours des années qui précèdent, afin de guider son fils, Guilhem IX, institué héritier. Mais le mariage de Marie, fille de Guilhem VIII, avec Pierre d’Aragon débouche, en 1204, sur la prise de possession de la seigneurie de Montpellier par le pouvoir royal aragonais, dans une séquence historique qui a fait l’objet d’interprétations divergentes18.
4La savante préface du Liber instrumentorum memorialis est attribuée au juriste Gui Francesc19, auteur de la Summa Vindocinensis20, expert en droit des tutelles21, domaine à partir duquel il contribue au transfert de la notion d’administratio, ici explicitement appliquée aux res privatae du seigneur22, vers le champ de l’action publique23. Sa préface est construite en deux parties successives, visuellement distinctes dans le manuscrit. La première développe un discours qui associe la bonne administration seigneuriale à la nécessaire rigueur dans la production et la conservation des titres écrits, source de sécurité juridique (certis possidendi titulis causam suam defendere) et d’accroissement patrimonial (ad ampliandum patrimonium). Ce souci de la préservation des titres se double d’une opération de rassemblement, de condensation et de classement (de confusionis sue multiplicitate in unum choartaremus volumen) qui doit garantir une meilleure disponibilité (et ordinata dispositione collecta facile lectori invenienda occurrat) et un meilleur contrôle des titres (ut autem predictorum series inperturbata sit). L’opération d’écriture est décrite comme une division et un classement de la matière documentaire en chapitres (capitulatim omnia digessimus) qui devait, si l’on suit le texte de Gui Francesc, comporter deux parties (duas partes), la première regroupant les privilèges pontificaux et toute la documentation concernant le diocèse de Maguelonne, alors que la seconde devait rassembler celle concernant les droits ou les biens détenus par les Guilhem dans les diocèses de Béziers, Agde, Lodève, Elne et Nîmes (in Bitteri, Agathensi, Lodovensi, Elenensi, Nemausensi episcopatibus). Mais à cette structure globale prévue par le juriste dans le texte de sa préface a été ajouté, peut-être par Gui Francesc lui-même, probablement en concertation avec le conseil de régence, un plan général du volume proposant un chapitrage plus fin, exposé sous la forme d’une liste structurée par la succession de vingt ensembles (loci)24, les dix premiers retraçant, sous la forme de dossiers thématiques, la formation progressive, depuis la fin du XIe siècle, du réseau social et politique au sein duquel s’affirme le pouvoir des seigneurs de Montpellier, alors que les dix suivants présentent une organisation topographique de la matière textuelle, dans laquelle le territoire des diocèses a disparu derrière une énumération qui fait correspondre lieu de la liste et locus d’implantation seigneuriale. Si pour les items 10 à 19 chaque locus correspond à un lieu géographique unique, le vingtième regroupe une vingtaine de toponymes divers de villae, castra, castella, ainsi qu’une cité, celle d’Agde, qui apparaît pourtant en deuxième position dans la première liste des diocèses établies par Guy Francesc. La raison de ce regroupement final hétéroclite demeure assez obscure.
Fig. 1 – Les vingt loci du plan du cartulaire des Guilhem

5Des tables suivent immédiatement la préface. Elles reprennent en la modifiant sur certains points la structure de cette première liste25. La comparaison de l’ordre de ces tables avec celui du codex montre qu’elles ont été écrites ex ante et ont servi de guide pour la compilation, les notaires ayant toutefois procédé à certains ajustements. Le plus remarquable, si l’on compare la liste de la fin de la préface avec les tables qui la suivent, demeure la dissociation des lieux regroupés dans le vingtième item qui conduit à la séparation de la matière en trente-neuf ensembles qui, quoique le terme ne soit pas systématiquement présent, sont également qualifiés de loci. Chaque locus s’ouvre par une rubrique écrite à l’encre rouge, à la suite de laquelle figure la liste des actes qui y sont rangés, scandée visuellement par la succession d’initiales alignées verticalement et tracées alternativement à l’encre bleue et rouge. L’ensemble se présente donc comme une liste à deux degrés : ensembles documentaires ou loci et regeste des actes.
6La seigneurie apparaît par conséquent comme un patrimoine formé par l’inscription des loci qui forment la liste. Le terme, par sa polysémie, désigne à la fois le passage de la liste, le chapitre du codex et le lieu réel d’exercice des droits seigneuriaux et d’implantation du patrimoine. À la place centrale occupée par la ville de Montpellier tant du point de vue spatial que de l’histoire de la seigneurie succède la litanie des castra à partir de laquelle les droits et possessions des Guilhem sont saisis par l’écriture. L’espace du cartulaire, appréhendant un espace discontinu à partir des pôles de la domination seigneuriale, est polarisé par les lieux contrôlés par les Guilhem. La structure de la liste, comme suite de lieux dotés d’une valeur ordinale, permet de saisir la réalité spatiale du pouvoir féodal26.
Lieux, patrimoine et espace civique : deux listes de la Commune clôture de Montpellier (1264-1269)
7On retrouve à Montpellier, quelques décennies plus tard, en contexte communal, des listes construites à partir de l’énumération d’une série de lieux, évoquant les constructions urbaines formant la muraille ceignant la ville. Sur un modèle que l’on peut rapprocher des formes de descriptions traditionnelles d’espaces polarisés, c’est-à-partir de ces éléments saillants du paysage urbain, essentiels à la sécurité de la ville, que les notaires inventorient le patrimoine de l’institution chargée de son entretien : la commune clôture de Montpellier27. Mais cette trame des lieux, qui structure l’inventaire, vise moins à la saisie d’une implantation patrimoniale discontinue – même si cette dernière est bien réelle – qu’à définir par l’évocation des limites monumentales l’espace de la vie civique et politique de la communauté des habitants de la ville que l’enceinte urbaine manifeste matériellement aux yeux de tous28. La forme de la liste permet d’associer la double signification attachée dans ce contexte à la notion d’espace urbain. S’il recouvre un sens concret, géographique, correspondant à ce que la tradition appelle à Montpellier l’écusson29, il est aussi doté d’un sens social, dans la mesure où l’organisation de la garde de la muraille – murs, tours et bistorres30 – a donné lieu, à cette même période, à la mise au point du système des échelles qui répartissent certains métiers urbains selon les jours de la semaine pour assurer la garde de la ville31. Les sept échelles deviennent, à partir de 1204, la structure politique portante du consulat. Dès la date de la création de la Commune clôture en 119632 par Guilhem VIII, cette dernière bénéficie d’une autonomie administrative33.
8Les deux listes évoquées sont respectivement insérées aux folios 33-36, puis 37-39 du Livre des privilèges des ouvriers de la commune clôture dont la rédaction, débutée en 126434, est contemporaine de celle des petits thalami consulaires de la ville. Le livre est constitué à la fois de textes formant une matière statutaire et de diverses listes liées à l’administration du patrimoine foncier, des rentes, mais également des archives de l’institution35. Les deux listes en question dressent en deux temps l’inventaire des biens immobiliers de l’institution. La première s’ouvre par un court préambule qui rappelle le nécessaire recours à l’écrit pour maintenir la mémoire et la sécurité juridique du patrimoine, qui ne doit pas être soumis aux aléas de l’habileté des personnes (« per tal que per oblivion de memoria ni per neguna calliditat d’ome perdre ni deperir no·s pusquesson »), ce qui nécessite d’enregistrer avec soin l’accroissement des possessions et des droits (« et establiron que segon que la obra cressera de luecs et rendas que en aquest libre sia escrih »). La seconde liste s’ouvre quant à elle par un protocole dans lequel figure la date – 1269 –, et la liste des sept ouvriers de l’année ; elle inventorie ensuite des services dus sur les édifices des murs de la ville par des personnes tenant des biens de l’œuvre. Dans les deux listes, les biens possédés, les droits donnant lieu à redevance et les services à accomplir sont localisés à partir des portails, tours et bistorres formant les murailles. Prenons les trois premiers items de la première liste :
Premeiramens la obra ha .i. maizon sus el portal viel del Peiron laqual se logua .V. s.
Item ha la obra de loguier dels femorasses d’ambas las partz de las gautas del pon d’aquel mezeis portal .XXX. s.
Item ha la obra .ii. maizons en la primieira bestorre apres aquest portal que se logon .xxviii
Item an a la seguen bestorre .i. maizon que se logua .XVI. s.36.
9Les possessions et redevances sont situées par rapport aux éléments monumentaux des murs. L’énumération suivant un ordre qui est celui de la géographie du bâti urbain, la mise en liste se fonde sur une saisie du patrimoine ordonnée par la succession énumérative des lieux. Mais la liste crée de ce fait un ensemble réticulaire qui relie trois éléments composant chaque item, dessinant les missions de l’œuvre et son implantation urbaine : les biens et droits possédés par la Commune clôture, le bâti de la muraille sur lequel s’exercent ses compétences administratives et juridictionnelles et, enfin, les revenus que ces biens et droits génèrent. Par conséquent, dans une même opération d’écriture, qui prend la forme d’une mise en liste, les ouvriers dressent un inventaire, délimitent un espace qui est à la fois celui de leur juridiction et de la vie civique, et fondent le caractère public de l’œuvre destinataire de nombreux legs de la part des citoyens de la ville, donnant lieu à une intense action de fondation de chapellenies. Un article des statuts de la commune d’Avignon, rédigés vers 1247, confère la même valeur de protection du territoire communal aux limites monumentales de la cité :
Item statuimus quod auvallata, licie et majora fossata usque ad ambarrium, et de ambarrio usque ad majus ambarrium mensuretur totum tenementum communis undique circa ambitum civitatis, et in extremitatibus auvallatorum ponantur termini apparentes undique circa civitatem, infra quos terminos includatur totum tenementum quod est de jure communis, de quo tenemento si quis acceperit restituat communi37.
10Le texte distingue précisément les différents éléments de la fortification de la ville – auvallatum, ambarrium, fossatum et licia – et les constitue en limites visibles du territoire communal, qui est ainsi défini dans sa consistance spatiale et dans sa conformité juridique (est de iure comuni).
11En 1377-1378, les archives des chapellenies montpelliéraines gérées par la Commune clôture sont l’objet de la rédaction d’un inventaire séparé qui liste, pour chacune d’elles, l’ensemble des actes de transfert de propriété et de perception des revenus sis sur ces biens38. Ainsi, dans les deux listes rédigées, les biens dénombrés évoquent, dans le cadre spatial de l’espace urbain ceint de murs, un patrimoine commun garantissant la sécurité et le salut de la ville et de ses habitants. La dimension politique de l’espace monumental et social délimité par l’énumération des lieux est confortée par les pouvoirs de nature fiscale concédés, au plus tard en 1204, aux ouvriers de la Commune clôture qui, en plus des revenus provenant de leur patrimoine, lèvent des contributions proportionnelles à la richesse des habitants. La version occitane du chapitre 94 des coutumes de 1204, qui règle ce pouvoir d’estimation et de prélèvement, figure dans le même manuscrit, transcrite quelques feuillets avant la première liste39. Elle distingue la coutume s’appliquant aux citoyens de celle réglant les prélèvements sur les forains (« homes estrans »), qui pèse uniquement sur une part de revenus immobiliers.
La figure et la liste : formes et délimitations juridictionnelles à Montpellier, Albi et Sauve
12L’histoire des villes au XIIIe siècle se caractérise par le passage d’un régime patrimonial, centré sur la possession de biens et de droits localisés que s’efforcent de dénombrer cartulaires, libri iurium et autres inventaires40, à la construction de pouvoirs juridictionnels exercés dans un cadre territorial41. La mise en liste des lieux, mais également des personnes, apparaît dans la documentation urbaine comme l’un des outils mobilisés pour circonscrire des territoires qui sont définis soit par leurs limites géographiques, soit par le dénombrement des réalités qui les constituent et sur lesquelles s’exerce le pouvoir.
13Les actes de délimitation des juridictions qui se multiplient dans le Midi au XIIIe siècle sont souvent d’une facture assez complexe. Ils reprennent la pratique de la démarcation par bornage – celle des horoi et hermiai grecs42 – en l’augmentant de la tradition antique et médiévale, présente chez Orose et Isidore de Séville, dans laquelle l’orbis terrarum est saisi par le dénombrement de sous-ensembles qui, additionnés, composent ou évoquent la totalité de l’espace43. Dans les actes de délimitation qui découlent de situations locales de conflits de juridiction44, la linéarité de la limite demeure prise dans la forme scripturale de la liste des lieux, qui est activée par la déambulation et par la voix lors de la pratique des criées urbaines, instituant, par la répétition, ces démarcations juridictionnelles. Ainsi, dans les procès-verbaux montpelliérains des criées, les lieux de passage du crieur sont l’objet d’un soigneux enregistrement qui fait écho aux limitationes territorii et iurisdictionis. La liste des lieux instaure par conséquent une limite qui est perçue et réactivée par le mouvement, par le déplacement d’un lieu vers un autre. À la suite du travail pionnier mené par Juliette Dumasy sur la figura de Séverac-le-Château45, la mise au jour récente du riche corpus de vues figurées produites à partir des premières décennies du XIVe siècle témoigne, dans certains cas, de la production de documents sur lesquels figure une représentation graphique de frontières linéaires dont les historiens rapportaient traditionnellement l’apparition au XVIe siècle. Si ces vues demeurent le plus souvent liées à la résolution de conflits locaux, si leur réalisation se fonde sur une saisie de l’espace par déplacement dans l’espace géographique, elles n’en constituent pas moins l’une des matrices d’une représentation fondée sur l’expérience objectivante d’un regard extérieur et distant46. La « carte » réalisée à Albi après 131247 dans le contexte du conflit entre l’évêque d’Albi et le seigneur de Puygouzon – représenté à gauche de la vue – présente ainsi un tracé linéaire de couleur noire, traversant le Séoux, de la probable limite des deux juridictions. Elle peut être interprétée comme une transcription graphique de la délimitation des lieux par la liste que l’on trouve fréquemment dans les documents de cette période48.
Fig. 2 – Carte du tracé de la limite des juridictions montpelliéraines (1273)

14Le 5 janvier 1273 (n. st.) est ainsi procédé à Montpellier à la délimitation entre la juridiction de l’évêque de Maguelone – ou pars antiqua – et celle placée sous l’autorité du roi de Majorque – ou pars nova. Cette situation singulière est un héritage ancien, dérivé des rapports féodaux unissant le pouvoir épiscopal à celui des seigneurs de la ville. L’acte, copié dans le Grand thalamus de Montpellier, a été placé sous la rubrique « Compozission entrel rei Jacme d’Araguon e·l avesque e·l prebost de Magualona », à laquelle a été adjointe, au XVe siècle, une deuxième rubrique placée en marge : limitatio territorii et iurisdictionis49. La liste des lieux par laquelle passe la limitatio est construite par la succession d’items qui, formant les segments de la terminatio, débutent tous par la répétition anaphorique de la conjonction de coordination « et ». Chacun est construit autour d’un verbe de mouvement, en particulier sous la forme des gérondifs eundo/redeundo qui conduit par l’écriture à tracer une ligne entre les lieux ou en suivant des voies du paysage humanisé – chemins et cours d’eau.
[1250] Et exinde sicut itur per [A] carrieram que transit ante [α] viridarium quondam Petri Salvatoris, usque ad [B] viam que est juxta [β] dogam vallati Montispessulani, ubi est unus terminus positus. Per quam [B] viam protenditur usque ad [γ] portale Obilionis ¶, que [B] via et [γ] portale erunt communia predictis domino regi, domino Montispessulano et episcopo.
[13] Et sicut itur de [α] isto portali per [A] carrieram Fustarie que transit per [β] Petram et ante [γ] ecclesiam Sancte Fidis, et per [δ] Flocariam, et per [ε] Agulhariam veterem, et juxta [ζ] Aulam ipsius episcopi, et exit directe per [η] Portale Sancti Egidii usque ad [θ] Portale Sancti Spiritus, quod est juxta Merdancionem.
[14] Et exinde sicut descendit, etc.
15La partie urbaine de la délimitation qui commence lors du franchissement du portail d’Obilion ou de Lattes situé au sud-est de la muraille [F sur la carte ci-contre] est repérée dans le Grand thalamus par l’ajout d’un pied-de-mouche qui permet de visualiser le passage. Elle débute au douzième segment de la terminatio des juridictions.
16La délimitation de la baylie de Sauve en 1294, autre exemple contemporain, découle directement des aléas de l’histoire des juridictions seigneuriales urbaines montpelliéraines. Elle constitue en effet la contrepartie de la cession par l’évêque de Maguelone de la pars antiqua de Montpellier au roi de France, l’année précédente, en 1293. La négociation de cet accord, confiée à Guillaume de Nogaret51 et Guichard de Marchiaco, a été longtemps retardée par les évaluations contradictoires du rendement des terres proposées par le pouvoir royal français. Un accord intervient finalement le 8 janvier 1294 (n. st.)52 : l’évêque de Carcassonne, juge et représentant du roi, demande la cession de la baylie de Sauve – évaluée à 370 livres de rente annuelle – de Durfort, de Fontanès et de Poussan en faveur de l’évêque. Le 17 du même mois53 se déroule la prise de possession, puis le 21 sa délimitation54. Construite en deux listes distinctes annoncées dès le début de l’acte (limitaret et designaret predictam villam Salvii et totam ejus bayliviam, et omnes locos et parrochias dicte baylivie et ejus ressorti), elle suit dans sa partie initiale une rédaction proche de celle de l’acte montpelliérain de 1273. Il énumère en vingt-huit items les segments de la terminatio qui sont établis à partir de l’inventaire des lieux qu’ils traversent d’une part, et des territoires qu’il inclut d’autre part, renvoyant implicitement à d’autres terminationes connues, mais qui ne sont pas rappelées par le texte. Cette première liste se fonde sur la déposition d’Yves Girardi, ancien bayle de Sauve. Nous donnons ici quatre des vingt-huit items qui illustrent le système de construction de la liste des termes du territoire :
[155] Scilicet a terminio qui est, ut dicitur, in [A] vallato qui transit subtus [α] hospitale de Salvagautier in loco vocato [β] Subtus Boys, assendendo per medium [B] iter usque ad [γ] predictum hospitale, ubi est quidam terminus juxta [δ] corum ecclesie dicti hospitalis, dicta ecclesia de hospitale remanente in vicaria Sumidrii56, [ε] domo alia cum sisterna, que est coram dicta ecclesia dicti hospitalis [C] camino in medio, existente in baylivia Salvii.
[2] Item a dicto [α] termino qui est juxta [β] corum ecclesie dicti hospitali, veniendo per nemora versus orientem, usque ad locum qui dicitur [γ] lo Meniscle Masclar, in quo, ut dicitur, incipiunt limitaciones dicte baylivie Salvii et terre nobilis viri Poncii Bremundii.
[…]
[20] Item a dicto loco57 [α] sicut protenditur usque ad [a] parrochiam Sancto Felicis de Palleria58, et prout parrochia de Monogleto59 teminatur cum dicta parrochia de Paleria, et cum parrochiis de Vabres60, et cum parrochia de Sancti Briccii de Colonhaco61, [α] mansi de Felgayrolis et [β] de Castaneto remanentibus in vicaria Andusie.
[…]
[28] Item, prout dixit dominus vicarius seu baylivius, mansi de [α] Palliaco et [β] de Capolarerio et [γ] de Figueriis cum toto tenemento et districtu, [δ] de Frayssineto et [ε] de Masclar et de [ζ] Conca et de [η] Uglacio et de [θ] Montebloza, sunt infra bayliviam Salvi.
17La liste permet de tracer une délimitation en associant par l’itemisation des segments qui sont eux-mêmes formés de trois types de données localisées : des lieux, des lignes du paysage – chemins, mais aussi fossés – mais également des territoires, qu’il s’agisse de paroisses ou de tènements de mas. Par conséquent la première liste associe une délimitation à proprement parler linéaire avec l’incorporation de territoires dont les limites ne sont pas décrites mais considérées comme établies.
18Une deuxième liste a été adjointe à cette première qui systématise la saisie par l’inventaire des sous-ensembles territorialisés constituant la baylie, comme jadis les régions énumérées servaient à composer l’Orbis terrarum. Elle permet de préciser l’espace sur lequel le roi possède le merum et mixtum imperium. Suit une liste de vingt-huit paroisses, une villa et quatorze castra, des précisions étant le cas échéant apportées sur l’exercice partagé de ces droits de juridiction, comme par exemple pour le 24e item :
[24] Item in tota parrochia de Lheuco62 habebat dominus rex merum imperium, et ibidem in manso de Calvessanicis communem jurisdictionem civilem inter dominum regem et dominum de Leuco.
19Dans les opérations de délimitations locales des juridictions, l’usage de listes permet la saisie scripturale de territoires soumis aux pouvoirs seigneuriaux. Elle opère à un double niveau. Celui de la construction d’un ensemble par la succession d’éléments co-énumérables qui sont de trois natures : des lieux, des tracés naturels ou humanisés et des territoires, renvoyant dans ce dernier cas à des entités elles-mêmes dotées de limites qui ne sont toutefois pas nécessairement linéaires. La liste permet de saisir un ensemble dans le mouvement, au cours d’une déambulation qui fait se succéder des images mentales, dont les points et les lignes du paysage constituent les réalités géographiques et les memoranda. En cela, elles offrent dans le champ de l’écrit un traitement singulier des formes géographiques linéaires que les hommes ont l’habitude de percevoir et de suivre, illustrant une continuité sur laquelle Tim Ingold a attiré l’attention, et que l’on retrouve, réalisée dans un autre système de signes lors de la réalisation des premières vues figurées :
Beaucoup de spécialistes ont dit que l’écriture imposait à la conscience humaine une sorte de linéarité, étrangère aux populations des sociétés sans écriture. On peut cependant affirmer avec quasi-certitude que, depuis que les hommes parlent et font des signes, ils fabriquent et suivent des lignes. Tant que l’écriture garde son sens premier de pratique d’inscription, il ne peut exister de distinction tranchée entre le dessin et l’écriture, ou entre l’art du dessinateur et celui du scribe63.
20Il s’agit moins, comme l’extrait pourrait le laisser penser, d’une linéarité immuable, présente dans les différents systèmes de signes utilisés par les sociétés humaines, que d’une production à partir d’une sélection et d’une combinaison d’éléments qui sont à la fois réalité spatiale et forme lexicale. Cette dernière combine l’usage de mots qui énoncent la forme et le statut des loci, et les complètent par l’usage de toponymes, dont l’énumération forme un semis de noms qui confère une identité univoque à chaque lieu indiqué, tout en fixant dans l’espace saisi par l’écriture les points de passage des segments de la terminatio. À partir de la dénomination des lieux64, qui particularise chaque élément « sans le caractériser, sans le signifier au plan prédicatif65 », le scripteur de la liste sélectionne des entités localisées au sein de co-énumérables – les lieux, les lignes du paysage, les territoires institués –, fixant, par l’itemisation du texte qui distingue les segments successifs de la terminatio, une démarcation spatiale parmi l’infinie combinaison des possibles. La liste produit ainsi une singularisation de l’espace à partir de celle des formes et des lieux le constituant. Sa forme paratactique marquée par la répétition de connecteurs visuels et lexicaux – ici principalement le terme item – fait de la liste un ensemble de signes qui n’entretient pas un simple rapport symbolique avec l’espace géographique, mais également iconique66 dans la mesure où la segmentation reproduit, par le langage, la graphie et la disposition, la forme même des limites segmentées perçues dans les mouvements de l’observateur. Ce qui différencie fondamentalement les listes des vues figurées, c’est le code dans lequel cette restitution par association successive de subdivisions est réalisée. Mais l’on retrouve le même « cheminement discontinu du regard », qui s’efforce, dans la saisie du réel comme dans sa restitution scripturale, de « conjoindre des points isolés de manière à tracer par le regard des lignes qui, en se rejoignant, finissent par former des réseaux » ou un espace délimité. La liste est de ce point de vue une forme faible de la figura, caractéristique de « la construction et de l’utilisation des diagrammes médiévaux, mais plus largement de la conception de l’espace dans la culture médiévale »67.
Justiciables, citoyens et contributeurs : Avignon et Montpellier
21La délimitation d’espaces géographiques et sociaux dans les villes méridionales des XIIIe et XIVe siècles ne se limite pas à la production de listes produites à partir du traitement des lieux. Elles font également usage de formes d’enregistrement des personnes et du traitement des données recueillies.
22Les archives pontificales à Rome conservent un document de la fin du XIVe siècle68 qui dresse une longue liste des personnes présentes à Avignon et précise leur statut juridictionnel69. La date du document comme son contenu précis ont été l’objet, depuis les années 1960, d’interprétations divergentes. Il est désormais acquis qu’il a été produit en 137170, première année du pontificat de Grégoire XI, après le retour en Avignon, en 1370, de son prédécesseur le pape Urbain V. Grégoire XI apparaît comme le commanditaire du document dans la rubrique qui le coiffe71.
Fig. 3 – C’est entre les mois d’août et de novembre que sont collectées les données puis qu’est rédigé le Liber divisionis cortesianorum et civium romane curie et civitatis Avinionensis

23Dans la ville, l’exercice de la justice est partagé entre la cour temporelle et celle du maréchal de justice de la cour pontificale. La première est compétente pour les citoyens72 et les juifs, le viguier et les deux juges de la cour étant appointés par le seigneur de la ville, le pape après 1348. L’extension de la compétence du maréchal de justice et de sa cour est rendue incertaine par la présence dans la ville de personnes attachées aux maisonnées des cardinaux, qui représentent une partie importante de la population échappant à la juridiction urbaine locale. Comme l’avait noté G. Mollat dans une étude ancienne, la coexistence des citoyens et des courtisans (cortesani) dans la ville entraîne des conflits de juridiction sous le pontificat de Benoît XII, qu’un compromis établi en 1337 cherche à apaiser, en limitant la possibilité pour les habitants de changer de statut et en sommant ceux qui cumulent d’opérer un choix. Conformément à la coutume antérieure, le statut des familiers demeure toutefois déterminé par celui de leur hôte le temps du séjour73, à condition de demeurer de manière continue (continue/assidue morari), ce qui maintient une certaine porosité juridictionnelle. Le Liber divisionis de 1371 vise à clarifier la situation, par l’enquête.
24La rédaction finale témoigne de la transformation par l’écriture d’une information collectée chronologiquement, au cours du mois d’août, sauf pour la paroisse Saint-Étienne pour laquelle l’enquête se poursuit jusqu’en octobre. Tout indique que le classement spatial des données, au sein des sept paroisses de la ville au XIVe siècle, résulte d’une mise en ordre finale à partir probablement de plusieurs documents préparatoires produits lors des jours successifs de l’enquête. Sans que l’on en comprenne la raison, qui est peut-être imputable à une simple économie de moyens, la structure de la liste porte la trace des listes réalisées au jour le jour lors de l’enquête, au second niveau de sa structure :
[Niveau 1] Paroisse Saint-Pierre
[Niveau 2] Date 1 : 13 août 1371
[Niveau 2] Date 2 : 13 août 1371
[Niveau 2] Date 3 : 28 août 1371
[Niveau 2] Date 4 : 30 août 1371
[Niveau 1] Paroisse Saint-Geniès
[Niveau 2] Date 1 : 16 août 1371
[Niveau 2] Date 2 : 20 août 1371
[Niveau 1] Paroisse Saint-Symphorien
[Niveau 2] Date 1 : 20 août 1371
[Niveau 2] Date 1 : 22 août 1371
[Niveau 2] Date 1 : 28 août 1371
etc.
25N’opérant aucun reclassement, ni par catégorie (civis vs cortesianus/a), ni par ordre alphabétique des noms de personne, elle conserve l’ordre d’enregistrement, ce qui rend difficile de retrouver un individu en particulier, mais n’affaiblit en rien le pouvoir attaché à l’inscription. Citons un extrait, pris au tout début du document :
[Niveau 2] De tercia decima mensis augusti de eadem parrochia Santi Petri
[1] Robertus de Roso Monte [A] civis
[2] Margherita uxor Simonis [α] dioc. Metensis [A] cortisiana
[3] Magister Stephanus [α] Mimatensis dioc. [A] civis
[4] Ricciardus Mirllande [α] Midensis dioc. [A] civis
[5] Hinricus Gamberie [a] fusterius [A] civis
[6] Apardus Salvestri de Alamaniis de Florencia [A] cortisianus
[7] Moschettus et [8] Andreas Riccii ambo [α] Astensis dioc. [a] sartores
A] cortisianii
etc.
26Trois types de données sont enregistrés à partir d’une structure de liste construite sur l’énumération du nom des personnes : le diocèse d’origine, le métier, et le statut juridictionnel, cette dernière information formant une colonne particulière à la droite de la page. Ce que cartographie la liste, c’est la composition socio-professionnelle de la population et son statut juridictionnel. L’enregistrement du diocèse d’origine permet de distinguer les citoyens ayant acquis leur citoyenneté par héritage de ceux l’ayant obtenue plus récemment. Les sept paroisses, qui correspondent au lieu de l’enregistrement, ont constitué le cadre d’enquêtes parallèles lors de la levée de cens. Par conséquent l’organisation spatiale de la liste en paroisses urbaines vise moins à organiser l’information juridictionnelle – elle n’est de ce point de vue d’aucune efficience – qu’à permettre de réutiliser les données enregistrées à d’autres fins, probablement politiques et fiscales. Les circonscriptions spatiales urbaines deviennent des cadres de croisement des données et facilitent leur usage démultiplié dans le contrôle et le gouvernement des populations74.
27La construction scripturale et spatiale de la documentation fiscale au XIVe siècle est au cœur de la mobilisation et du contrôle des res par les autorités urbaines. Cette documentation construit par la liste un lien singulier entre la richesse urbaine, la communauté politique et l’organisation spatiale de la ville. À Montpellier, des compoix sont conservés à partir des dernières décennies du XIVe siècle75.
Fig. 4 – Sixains pour lesquels des compoix sont conservés

28Ils se présentent sous la forme de registres dans lesquels figurent des séries de manifestes ou déclarations individuelles rédigés à l’intérieur d’un système de classement topographique. Le sixain urbain donne son unité au livre76, tandis que l’île constitue l’unité de subdivision du registre. Les archives de la ville conservent, pour le sixain de Sainte-Croix, deux compoix respectivement rédigés en 1387 et 140477. Ils s’ouvrent par deux tables qui récapitulent sous forme de liste la structure en îles du volume. Chacune d’elles est particularisée par la référence soit à une personne, soit à un bâtiment public, soit encore à un équipement communal qui possède une valeur matérielle, topographique et politique. On peut, à partir des vingt-neuf premiers items des deux documents, dresser la liste suivante :
[178] La irla den P. Duran [*]
[2] La irla den R. del Colet [*]
[3] La irla den R. Avelas [*]
[4] La irla den Joan del Priest [*]
[5] La irla den Joan Porazan [* ; ordre inversé avec le suivant]
[6] La irla den Jacme Arquier [* ; ordre inversé avec le précédent]
[7] La irla de la gliera de Sant † [*]
[8] La irla dels granyes del Perbosc [*]
[9] La irla den Baujac [*]
[10] La irla den Joan de Ferierias [*]
[11] La irla den Frances del Forn [*]
[12] La irla del pos de la cort vielha [*]
[13] La irla den P. Fornier lo Vielh [corrigé en Johan Terri]
[14] La irla de dona Marca [corrigée en Marta]
[15] La irla den Joan Ros [*]
[16] La irla del forn del castel [*]
[17] La irla de sen Guilhem Cairies [*]
[18] La irla de sen Guilhem de Labauma [corrigé en La Balma]
[19] La irla de Nostra Dona del Castel [*]
[20] [La irla] de […] Martel Mas [corrigé en Martelenas]
[21] [La irla …] del Rey [del Palays]
[22] [La irla] del pos del plan del Palars [corrigé en del plan del Palays]
[23] [La irla] de maestre Myquel Guera [*]
[24] irla den R. Clapereda [* ; ordre inversé avec le suivant]
[25] La irla den Jacme Maura [corrigé en Johan ; ordre inversé avec le précédent]
[26] La irla del Gran Ostal Antic [ø]
[27] La irla de sen Rigaut Agulhon [den Seguy]
[28] La irla den Gr. Tremolet [*]
[29] La irla den Ar. Deras [*]
[à partir de là et pour les quatorze items suivants, apparaissent de nombreuses variantes]
29Les listes qui structurent les compoix saisissent ainsi les contribuables et leurs richesses au travers d’un double maillage spatial imbriqué : celui des sixains et celui des îles. Si le premier renvoie, par la dénomination, à l’espace monumentalisé, polarisé par l’emprise des églises urbaines, le second niveau associe simples citoyens et monuments, faisant de la ville une réalité à la fois sociale et architecturée. La mise à jour des dénominations renvoyant à des contribuables ayant donné leur nom à une île montre que la communauté fiscale urbaine n’est ni rapportée à un présent perpétuel, ni figée dans une temporalité qui renverrait aux premières rédactions des compoix. Elle témoigne d’une géographie communautaire vivante qui saisit la communauté dans un espace dont la dénomination associe les vivants et les morts79.
Conter/compter la ville. Des listes pragmatiques aux descriptions littéraires : l’exemple de Paris
30En 1867, paraissait un volume intitulé Paris et ses historiens aux XIVe et XVe siècles80 qui contenait, sous la direction d’A. Le Roux de Lincy et L. M. Tisserand, l’édition de différents textes de la fin du Moyen Âge présentant des descriptions de la ville. Parmi ces textes figure La description de la ville de Paris de Guillebert de Mets qui date du début du XVe siècle81. Le texte s’inscrit dans la longue tradition de la description des villes médiévales qui avait retenu l’attention de savants comme L. A. Muratori et F. Novati, qui la pensaient italienne82. Le texte de Guillebert de Mets appartient à la tradition des textes antérieurs à la Renaissance qui sont marqués par un caractère factuel, dissocié de l’idéal rhétorique des œuvres postérieures s’inspirant du modèle du Panathénaïque83 et du En l’honneur de Rome84 du rhéteur grec Ælius Aristide (IIe siècle ap. J.-C.). Les textes du Moyen Âge héritent de la tradition épidictique antique tout en portant les traces du remploi de textes pragmatiques produits à la même période, concernant les personnes, biens, lieux et monuments qui entrent dans la composition de l’éloge. L’énumération des richesses, vecteur de l’affirmation d’une conscience urbaine85, mobilise également les catalogues de sanctuaires, ainsi que les textes de la littérature de pèlerinage ; elle inscrit l’espace urbain saisi par les listes dans une temporalité propre à l’histoire de la ville86. Comme l’écrit K. Hyde, cette intertextualité
illustre la disposition de la littérature descriptive à assimiler toutes sortes d’écrits divers et anticipe la période finale de la descriptio médiévale, lorsqu’une grande partie des données proviendra des documents administratifs87.
31Le texte de Guillebert de Mets suit ce modèle88. Il se compose d’une première partie, fruit d’une compilation, qui retrace l’histoire de Paris et de la France. Puis succède une deuxième partie, topographique, qui propose une description de la ville à partir du bâti, offrant au lecteur un portrait monumental de Paris qui, comme le faisait Eustache Deschamps dans une ballade quelques années plus tôt, loue les mérites incomparables de la ville89. Les sources de la première partie du texte ont été identifiées par E. Mullally dans sa récente édition. Elle dépend étroitement de la traduction de 1371 de La Cité de Dieu d’Augustin par Raoul de Presles90 que Guillebert suit dans les chapitres 1-4, 6-11 et 17-18 de son texte. Les chapitres 12-16 sont quant à eux étroitement dépendants d’À toute la chevalerie de Jean de Montreuil91.
32La partie topographique expose dès les premières lignes le système de classement adopté par l’auteur qui distingue quatre parties au sein de l’espace parisien et en ajoute une cinquième qui « devise en général de l’excellence de la ville » :
La première partie contient la moyenne partie appelée la cité, entre les deux bras de Saine. La seconde partie est de la haulte partie de la ville ou les escoles de l’université sont. La tierce partie parle de la basse partie de la ville devers Saint Denis en France. La quarte partie est des portes de toute la ville.
Le système descriptif en cinq parties suit un ordre exposé par dix rubriques inscrites à l’encre rouge dans le manuscrit :
[1] La premiere est la cité
Du palais
Des pons
[2] En la haulte partie de la ville ou les escoles sont
[3] En la basse partie de la ville, deca les ponts
L’ostel de maistre Jaques Duchié en la rue de Prouvelles
Les rues de la basse partie de la ville
[4] Des portes premierement de la haulte partie de la ville
Des portes de la basse partie de la ville
[5] La quinte partie en laquelle est devisé en général de l’excellence de la ville
33Les quatre premières parties font alterner descriptions narratives et simples listes citant les éléments monumentaux de la ville. Elles ne sont jamais présentées verticalement, les items étant séparés par la présence d’une virgula suspensiva qui est un signe de ponctuation faible. Les listes demeurent ainsi visuellement très difficiles à identifier dans le manuscrit de Bruxelles. Souvent ces dernières sont placées à la fin des chapitres comme c’est le cas par exemple pour la description de la Cité qui se termine ainsi :
//92 En la cité sont xv. eglises paroschiales cest assavoir de Saint Pierre aux Beufs / de Saint Pierre des Assis / de Saint Christofle / de Sainte-Marie Magdeleine / de Sainte Marine / de Saint Denis de la Chartre ou Nostre Seigneur acommenia sait Denis / de Saint Bertelemy / de Sainte Genevieve des Ardans / de Saint Simphorien / de Saint Landry / de Saint Germain le vieil / de Sainte Croix / de Saint Jehan le rond / de Saint Massias / et de Saint Michel //93
34On retrouve une forme énumérative identique à la fin de la partie consacrée à l’inventaire des collèges de la rive gauche qui demeure toutefois ouvert par l’ajout final d’un « et autres » :
// […] Les colleges de cardinal Lemoine / des bons enfants / de Beauvais / de Rains / de Saint Jehan ou les docteurs de decrés sassemblent / de Cerbonne / de Navarre ou il a trois sciences de ars de gramaire et de theologie / cellui de Cholles / de Therouane / de l’Ave Maria / de Boncourt / de Laon / de Cligny / de Harecourt / de tresoriers / de Nerbonne / de Dampvile / de Premonstré / de Bourgoingne / d’Authun / de Saint Gervais / de Tours / de Saint Estienne / de Saint Benoit / de Dennemarche / de Prelles / de Cambray / de Dainville / de Justice / d’Arras / de Baieux / de Mignon / de Lisieux / de maistre Gervais / de Bencourt / de Meremonstier / de Sainte Geneviève / de Saint Denys et autres //94
35C’est à partir de ces monuments, méticuleusement recensés, que Guillebert saisit l’espace urbain parisien. Il les accompagne de longues listes des éléments du réseau viaire urbain, organisées à partir de lieux et de monuments auxquels le texte les associe. À l’image des procédures d’énumération des lieux délimitant les juridictions, l’espace est l’objet d’une expérience dans le mouvement. Dès le XIIIe siècle, les textes lexicographiques produits sous forme de petits compendia95 par les clercs parisiens Jean de Garlande († 1252), Alexandre Neckam († 1217) et Adam du Petit-Pont († 1157/1169), font usage de ce même principe narratif. Les magasins de mots (promptuaria96) que propose Jean de Garlande dans son Dictionarius suivent les étapes d’une longue promenade à travers les rues de Paris – sans doute des Champeaux, au Grand-Pont, puis à la porte Saint-Lazare –, reprenant l’ancienne tradition de la περιήγησις, le narrateur accompagnant un voisin qui promène ses chaussures au bout d’une gaule pour les vendre (unus vicinorus nostrum tulit una pertica ad vendendum sotulares). Chez Guillebert, la dépendance des listes de rues aux lieux qu’elles desservent permet d’associer les voies aux éléments du bâti urbain, dans une organisation du texte où chaque partie de la ville est formée de points et de lignes qui construisent l’espace par saturation. L’on retrouve d’ailleurs ce même système descriptif dans le chapitre évoquant « l’ostel de maistre Jaques Duchié ». Chaque salle y est décrite par une longue liste des objets qu’elle contient97. Appliqué aux monuments et aux rues, ce système d’écriture revêt une valeur pratique, dans la mesure où il livre au lecteur, comme dans les guides de pèlerinage, un schéma d’organisation de l’espace dans lequel l’évocation des lieux remarquables par quartier est complétée par l’énumération des rues suivies par la déambulation au sein de l’espace urbain parisien. Le réalisme de la saisie de l’espace décrit est souligné par l’auteur au début de la description du réseau viaire desservant le Petit-pont, invitant le lecteur à éprouver l’itinéraire que dessine la liste :
Les rues qui sont en la cité s’ensuivent en tele maniere que on les pourroit aler qui vouldroit c’est asavoir / de Petit pont a rue Neusve Nostre Dame / de la es rue des Coulons / de Saint Christofle / la ruelle du Parvis / le port Levesque etc.
36Mais l’énumération des rues, tout en dessinant le réseau de communication propre à un quartier en associant les rues selon l’ordre dans lequel elles se succèdent dans la progression de la déambulation, poursuit également une visée exhaustive que le nombre vient à évoquer, en une jonction entre les deux opérations de compter/conter, que Jacqueline Cerquiglini a évoquée à propos de la littérature du dit98.
37On trouve ainsi à la fin de l’énumération des rues de la ville basse, une somme du nombre des rues du quartier, puis de Paris :
A commencier de sur Grant Pont a la Pierre au poisson / de la a la rue de la Saunerie o l’en vendoit les saussiches / la Mesguierie / l’escole Saint Germain ou en vent le bois / rue des Lavendières / de Jehan Lontier / de Berthin Porée / de Guibert / de Male Porole / Gosselin / la rue de la Haubergerie / la tableterie ou l’en faisoit pignes, œilles, table et autre ouvrages d’ivoire / a petis Soulers / le cloistre Sainte Oportune / la Charonnerie / la Ferronerie / de Baudoin Prenage / de Raoul Lasnier / des Deschargeurs / la place aux Pourceaux / la rue des Bourdonnois / la rue de Thibaut aux dez / de Bethissi / de Jehan d’Orleans / de Tirechappe / la cave de Ponthis / Gloriette / l’Arbre sec / Cul de bacon / la Fosse Saint Germain / le Trou Bernard / la porte du Louvre […] La somme des rues de la basse partie de la ville : cent quatre vint et quatorze. / La somme de toutes les rues de Paris : trois cent et dix.
38Elle évoque la richesse quantifiable de cet espace urbain que livre l’énumération. La somme souligne la valeur cardinale de la liste qui évoque la pratique contemporaine des savoirs comptables à laquelle Guillebert se réfère explicitement à la fin de son texte lorsqu’il précise que le chiffre de trente mille morts qu’il avance au sujet de la mortalité de 1418 trouve sa source dans la documentation de la Chambre des comptes. Déjà, à la fin du XIIIe siècle, Bonvesin de la Riva faisait, dans son éloge de Milan, grand usage de la quantitas à l’appui de son écriture énumérative de la ville. Les distinctiones du deuxième chapitre qui concernent les maisons de Milan comportent un décompte chiffré qui fonde l’éloge sur une abondance de richesses que le texte dénombre et totalise :
Distinctiones secundi capituli.
In secundo capitulo continentur :
I. Numerus ostiorum cum ianuis
II. Numerus tectorum comunium sive copertorum
III. Qualitas et quantitas curie comunis
IIII. Forma civitatis
V. Qualitas et quantitas fossati et de suburbiis
VI. De portis principalibus civitatis et secundariis
VII. Qualitas et numerus ecclesiarum et altarium in civitate
VIII. Numerus ecclesiarum sancte Marie tam intus quam extra
VIIII. Numerus campanilium et campanarum in civitate
X. Qualitas et quantitas burgorum et villarum et aliorum locorum
XI. Numerus burgorum et villarum exemptarum et etiam virorum
XII. Numerus ecclesiarum in comitatu Mediolani et quedem alia99.
39S’il s’agit pour l’auteur de permettre aux habitants de prendre conscience des richesses de Milan, la rédaction de l’éloge associe démarche statistique et insertion de catalogues de lieux, d’objets ou d’éléments naturels co-énumérables100, formant ainsi, par l’assemblage de catégories complémentaires, un portrait de la ville et de son contado. L’écriture de l’éloge se nourrit d’un art du calcul permis par la mobilisation de la documentation diplomatique et administrative, la preuve chiffrée venant à l’appui de la description. Cette dépendance est par ailleurs attestée dans les premiers textes narratifs constitutifs d’une « politique de la mémoire » urbaine, dans lesquels la forma mentis des notaires, mais également la disposition textuelle de leurs actes101 trament les récits qui font de la ville une communauté de mémoire, mobilisant le passé dans sa durée et sa singularité102. Selon la terminologie de J. Assmann, ces textes possèdent une double valeur descriptive et formative dans la mesure où, en dépeignant l’espace urbain dans sa stratification temporelle103, ils contribuent à l’affirmation de la communauté urbaine comme groupe social particulier104.
40Le lien que la poétisation écrite de l’espace social et monumental des villes entretient avec la production de documents pragmatiques105 est perceptible dans les sources de la seconde partie du texte de Guillebert. Ce dernier semble reprendre ou contrefaire les usages suivis par les scribes parisiens dans la rédaction des rôles de la taille. On retrouve en particulier, dans la rédaction du rôle de 1292, une énumération des rues à l’intérieur du cadre des paroisses urbaines, puis d’une distinction des « questes », qui présente la particularité d’enregistrer le mouvement de la levée au sein du réseau viaire. Comme chez Guillebert, l’ordre de succession des rues propose une déambulation dont l’inscription dans l’espace est fixée par la trame de la liste des noms de rues, à laquelle s’ajoutent des indices d’orientation – côté de la voie, sens du parcours – qui permettent de faire coïncider ordre d’énumération des contribuables et ordre géographique de leurs lieux d’habitation. Le texte de Guillebert de Mets est également étroitement dépendant du Dit des rues de Paris de Guillot106 auquel il semble avoir eu accès au travers d’une imitation versifiée107. L’ordre de l’énumération des rues du quartier d’Outre-Grant-Pont est très proche de celle du passage de Guillebert de Mets cité plus haut. Nous n’en donnons ici que la structure :
Grant-Pont / rue o poisson / rue de la Saunerie / la Mesgueiscerie / l’escole et rue Saint-Germain / rue à Lavendières / rue à Moingnes de Jenvau / rue Jehan Lointier / rue Bertin Porée / rue Jehan-l’Éveillier / rue Guillaume Porée / la Tableterie / la rue à petis Soulers / rue Sainte Oportune / la Charonnerie / la Feronnerie / la Mancherie / la Cordoüanerie / rue Baudouin Prengaie / la rue Raoul l’Avenier / a Defcarcheeurs / place a Pourciaus / la rue à Bourdonnas / la rue Thibaut a Dez/ la rue de Bethisi / la rue o Quains de Pontis / la rue o Serf et Gloriete/ la rue de l’Arbre Sel / Col de Bacon / fossé Saint Germain / Trou Bernart108.
41À la fin du Moyen Âge, la liste ainsi constitue l’une des matrices de la représentation du paysage urbain. Elle offre un modèle associant réalité naturelle et représentation. En plaçant l’écriture dans la continuité du regard de l’observateur, elle constitue l’infinie dissemblance des éléments offerts à la vue en un ensemble qui vise à discerner mais également à appréhender les éléments qui le constituent. Dans l’ouvrage qu’il a consacré à l’essor d’une conscience paysagère en Occident qu’il rapporte au XVIe siècle, Simon Schama souligne que ce nouveau regard opère sur des espaces humanisés, circonscrits en territoires juridictionnels :
At the very least, it seems right to acknowledge that it is our shaping perception that makes the difference between raw matter and landscape. The word itself tell us much. It entered the English language, along with herring and bleached linen, as a Dutch import at the end of the 16th century. And Landschap, like its Germanic root, Landschaft, signified a unit of human occupation, indeed a jurisdiction, as much as anything that might be a pleasing object of depiction109.
42Un domaine demeuré largement à l’écart du travail des historiens est ainsi esquissé, celui d’une archéologie textuelle et visuelle de la perception du paysage, à laquelle les écrits pratiques sous forme de listes pourraient contribuer. Ils forment les linéaments d’une sortie de la matière brute évoquée par Simon Schama et relient l’histoire du regard à celle des formes d’organisation textuelle du monde politique et social.
43Ainsi, ce parcours au sein des listes produites dans le cadre des villes médiévales des XIIIe-XIVe siècles montre la fécondité de la mobilisation de cette forme particulière d’écriture dans des opérations de dénombrement, délimitation et connaissance des réalités urbaines. Les listes permettent en particulier de saisir la ville comme une triple réalité spatiale, architecturée et politique. S’il est aisé d’identifier des corpus documentaires dont la production répond à des exigences particulières dans chacun de ces trois domaines, la liste a également ceci de particulier qu’elle permet d’associer, en un texte unique, des éléments de valeur et de statut hétérogènes. Sur un double plan symbolique et pragmatique, la ville et les institutions de gouvernement apparaissent ainsi comme une réalité historique complexe dans laquelle l’expérience politique communale passe par la mobilisation et la connexion concrète et souvent triviale des res et des personae qui forment un espace social et géographique, un paysage et une réalité communautaire. Si les apports d’une anthropologie symétrique paraissent de ce point de vue fondamentaux, les listes produites dans le monde urbain sont aussi constitutives – sur le plan des pratiques et des discours – d’un processus de distinction entre objets et personnes. Il apparaît d’autre part que la liste constitue l’un des outils privilégiés de transformation de la perception et de la structuration de l’espace en Occident, du passage en particulier d’un espace féodal structuré par le lieu, la coutume et les relations interpersonnelles, à l’espace territorialisé des communautés politiques, ainsi que des institutions laïques et ecclésiastiques du Moyen Âge central. À la suite des propositions formulées par Lamia Latiri pour l’Orient médiéval110, il semble que l’on gagnerait à réintégrer dans l’histoire de la formation d’une « civilisation paysagère » (A. Berque)111 les usages médiévaux de la liste, dont certains traits cognitifs transparaissent dans le système sémiotique des premières vues figurées, fréquemment réalisées, à partir du début du XIVe siècle, dans des procédures de résolution de conflits de juridiction112. S’y origine une tradition géoscopique, dans laquelle le regard et l’écriture consignent une saisie de l’espace dans la linéarité de déambulations. Par l’énumération, l’écriture associe les éléments saisis dans l’expérience limitée du visible pour créer un espace. La valeur monumentale de certains des éléments répertoriés confère une profondeur temporelle au déplacement113. En rénovant la tradition antique des éloges, certains de ces textes donnent à la description une valeur particulière où richesse et beauté se conjuguent pour faire de la ville un espace social singulier. Ces textes sont ainsi souvent pris d’un « vertige descriptif et taxinomique » (Jean-Louis Tissier) qui semble, dans certains cas, se résorber dans une pratique de la quantification des signes marquant l’espace urbain, chaque élément matériel étant rapporté, sous des rapports divers, à l’existence de la communauté politique vivant sur le territoire. Ce rapport dual, à la fois totalisant et singularisant, qui constitue l’un des pouvoirs essentiels de la liste, est aussi au cœur du travail des védutistes, qui oscille entre représentation réaliste et figuration maniant l’abstraction, toutes deux contribuant à la compréhension de la qualité de l’espace et des lieux qui en expriment la cohérence et la valeur114.
Notes de bas de page
1Massimo Vallerani, « Logica della documentazione e logica dell’istituzione. Per una rilettura dei documenti in forma di lista nei comuni italiani della prima metà del XIII secolo », dans I. Lazzarini, G. Gardoni (dir.), Notariato e medievistica, Rome, Istituto Palazzo Borromini, 2013, p. 109-146.
2P. Boucheron, « Les enjeux de la fiscalité directe dans les villes italiennes (XIIIe-XVe siècle) », dans D. Menjot, Manuel Sánchez Martínez (dir.), La fiscalité des villes au Moyen Âge, t. 2, Les systèmes fiscaux, Toulouse, Privat, 1999, p. 153-167, ici p. 164-165.
3Pierre Antiboul, De muneribus, Tractatus universi iuris, vol. 12, Venise, 1584, fol. 19-51v.
4Voir D. Iogna-Prat, Cité de Dieu, cité des hommes : l’Église et l’architecture de la société, 1200-1500, Paris, PUF, 2016.
5E. Coccia, Le bien dans les choses, Paris, Payot & Rivages, 2013.
6Voir P. Boucheron, « De l’urbanisme communal à l’urbanisme seigneurial. Cités, territoires et édilité publique en Italie du Nord (XIIIe-XVe siècles) », dans É. Crouzet-Pavan (dir.), Pouvoir et édilité. Les grands chantiers dans l’Italie communale et seigneuriale, Rome, 2003, p. 41-77.
7Voir A. Appadurai (dir.), The Social Life of Things. Commodities in Cultural Perspective, Cambridge, 1986, trad. fr. Condition de l’homme global, Paris, 2013 ; voir également N. Heinich, « Les objets-personnes. Fétiches, reliques et œuvres d’art », dans B. Edelman, N. Heinich (dir.), L’art en conflits. L’œuvre de l’esprit entre droit et sociologie, Paris, La Découverte, 2002, p. 102-134.
8Sur la notion dans une perspective juridique, voir M. Schmoeckel « Dokumentalität : der Urkundenbeweis als heimliche regina probationum im Gemeinen Recht », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte : Kanonistische Abteilung, 96, 2010, p. 186-225.
9Voir les remarques suggestives d’E. Magnani dans « Les moines et la mise en registre des transferts. Formules textuelles, formules visuelles », dans D. Iogna-Prat, M. Lauwers, F. Mazel et al. (dir.), Cluny. Les moines et la société au premier âge féodal, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 299-314.
10Voir P. Cammarosano, « I libri iurium e la memoria storica delle città comunali », dans G. Albini (dir.), Le scritture del comune. Amministrazione e memoria nelle città dei secoli XII e XIII, Turin, Scriptorium, 1998, p. 95-108.
11Voir É. Anheim, L. Feller, M. Jeay et al. (dir.), Le pouvoir des listes au Moyen Âge, t. 2, Listes d’objets/listes de personnes, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2020.
12Voir l’analyse de P. Michaud-Quantin sur cette question (Universitas. Expressions du mouvement communautaire dans le Moyen Âge latin, Paris, 1970, p. 59-64) qui se réfère aux Lectura in decretales d’Henri de Suse († 1271). La distinction des trois types de corps figure toutefois, dès la première moitié du XIIe siècle, dans la Summa institutionum « Iustiniani est in hoc opere », éditée par P. Legendre d’après le ms Pierpont Morgan 903, Francfort-sur-le-Main, 1973, ici p. 49 : Tria enim genera sunt corporum, unum qui continetur uno spiritu ut homo, animal, alterum quod ex coerentibus hoc est pluribus inter se coherentibus constat ut edifitium, nauis, armarium, tercium quod ex distantibus constat ut corpora non soluta set uni nomini subiecta ut populus, grex, legio, et similia ut in Dig. t. de usucapionibus [D. 41.3.30]. Le passage concerne en effet les conditions particulières de la prescription acquisitive.
13Voir G. Milani, « Il governo delle liste nel comune di Bologna. Premesse e genesi di un libro di procrizione duecentesco », Rivista storica italiana, 108/1, 1996, p. 149-229.
14L. Kuchenbuch, « Censum dare : exprimer l’appropriation seigneuriale dans les censiers du Saint-Empire romain germanique (XIIe-XVe siècles). Étude préliminaire », dans M. Bourin, P. Martínez Sopena (dir.), Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes médiévales (XIe-XIVe siècles). Les mots, les temps, les lieux, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 23-57.
15Voir C. Klapisch-Zuber, La maison et le nom. Stratégies et rituels dans l’Italie de la Renaissance, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990, p. 40.
16Sur la dette et son lien avec la pratique de l’inventaire des biens dans le monde médiéval, voir en dernier lieu D. L. Smail, Legal Plunder. Households and Debt Collection in Late Medieval Europe, Cambridge, Harvard University Press, 2016.
17Voir P. Chastang, La ville, le gouvernement et l’écrit à Montpellier (XIIe-XIVe siècle). Essai d’histoire sociale, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013, p. 185-190.
18Sur l’ensemble de la séquence, voir en dernier lieu P. Chastang, « La période consulaire », dans C. Amalvi, R. Pech (dir.), Histoire de Montpellier, Toulouse, Privat, 2016, p. 63-84, ici p. 63-68.
19A. Gouron, « Qui était l’énigmatique maître G. ? », Journal des savants, 1990, p. 269-289.
20Édition partielle : [Gui Francesc,] Die Summa Vindocinensis, E. Seckel, E. Genzmer (éd.), Berlin, Verlag der Akademie der Wissenschaften, 1939 ; voir également A. Gouron, « Sur la paternité de la Summa Vindocinensis », dans J.-F. Gerkens, H. Peter, P. Trenk-Hinterberger et al. (dir.), Mélanges Fritz Sturm, Liège, Éditions juridiques de l’Université, 1999, t. 1, p. 403-420.
21Voir M. Lesné-Ferret, « La mémoire des seigneurs de Montpellier au début du XIIe siècle : le cartulaire et sa préface », dans O. Condorelli (dir.), Panta rei. Studi dedicati a Manlio Bellomo, Rome, 2004, t. 3, p. 159-276.
22La première ligne de la préface contient l’expression res privatas administrandas.
23Voir en particulier Liber instrumentorum memorialium. Le cartulaire des Guilhem de Montpellier (désormais LIM), A. Germain, C. Chabaneau (éd.), Montpellier, 1884-1886, no 205 (1197). Il s’agit de l’acte par lequel Marie de Montpellier renonce à ses droits sur Montpellier ; le préambule juridique attribué à Gui Francesc construit un argumentaire sur l’exclusion des femmes en utilisant Dig. 5, 1, 12, 1-2 et Dig. 50, 17, 2 : in qua constitutione [il évoque le droit impérial] nimis evidenter interdictum est, ne aliqua feminarum habere possit, vel debeat, imperium, regnum, ducatum, principatum, comitatum, marchionatum, jurisdictionem, vel aliquam aliam QUAMVIS PUBLICAM POTESTATEM, SEU ALIAM PUBLICAM ADMINISTRATIONEM [je souligne].
24La liste est structurée verticalement par des retours à la ligne et graphiquement par la succession d’initiales alignées et alternant le rouge et le bleu ; chaque item est doté d’une valeur ordinale exprimée comme suit : Primo […], secundo […], tertio LOCO […], quarto LOCO […], quinto […], Sextus LOCUS […], Septimo […], Octavo LOCO […], Nono LOCO […], Decimo […], Undecimo […], Duo decimo […], Tertio decimo […], Quarto decimo […], Quinto decimo […], Sexto decimo […], Septimo decimo […], Octavo decimo […], Nono decimo […], Vicesimo […].
25Une comparaison précise figure dans P. Chastang, « La préface du Liber instrumentorum memorialis des Guilhem de Montpellier ou les enjeux de la rédaction d’un cartulaire laïque méridional », dans D. Le Blévec (dir.), Les cartulaires méridionaux, Paris, École nationale des chartes, p. 91-123.
26P. Boucheron, « Représenter l’espace féodal : un défi à relever », Espaces temps, 68-70, 1998, p. 59-66.
27Voir J. Nougaret, M.-S. Grandjouan, Montpellier monumental, t. 1, Paris, Éditions du patrimoine, 2005, p. 73-81.
28Une première enceinte, dont il ne subsiste rien, a été édifiée durant les décennies 1130-1140, du temps de Guilhem VI. À la fin du XIIe siècle, du temps de Guilhem VIII, la construction d’une deuxième enceinte englobant le chemin de pèlerinage et une partie du bourg épiscopal est en projet. C’est la raison de la création en 1196 de la Commune clôture. La mise en œuvre du chantier date des premières années du XIIIe siècle, alors que la ville était devenue un consulat.
29Espace de 2650 mètres de diamètre délimité par les boulevards qui entourent, depuis le XVIIIe siècle, le centre historique de Montpellier.
30Reliées par la courtine, elles étaient au nombre de vingt-quatre, construites tous les 90 m. environ.
31Cette liste des échelles figure dans le Livre des privilèges des ouvriers, Archives municipales de Montpellier, EE 1, aux fol. 17-18, sous la dénomination « l’establimen dels obriers ». Elle fait figurer pour chaque jour la liste des métiers en charge de la garde.
32Archives municipales de Montpellier, EE 11 (original en latin de 1196) ; traduction en occitan dans Archives municipales Montpellier, EE 1, fol. 18 v-19 v. Édition du texte latin : Jules Renouvier et Adolphe Ricard, « Des maîtres de pierre et des autres artistes gothiques de Montpellier », Mémoires de la société archéologique de Montpellier, 2, 1850, p. 135-350, ici p. 235 et édition du texte occitan : A. Montel, « Archives de Montpellier. Le livre des privilèges de la commune clôture », Revue des langues romanes, 2, 1871, p. 94-95.
33[…] nec computum vel rationem aliquam de negotio clausure mihi teneamini reddere vel alicui heredi meo per me.
34AM Monpellier, EE 1, fol. 15 v : mention de la décision par les ouvriers de l’année « liqual feron aquest libre ». Il vise à fixer par l’écrit « en aquest libre las maizons e·ls luecs e las rendas que son e pertenon a la obra sobredicha […] e las cartas e·ls estrumens atressi pertinens a la obra ».
35Le premier inventaire des archives de la commune clôture (1264) figure dans le Livre des privilèges des ouvriers de la Commune clôture ; édition par Montel, « Archives de Montpellier… », art. cité, p. 97-99.
36AM Montpellier, EE 1, fol. 33-v.
37M. A. Maulde, Coutumes et règlements de la république d’Avignon au treizième siècle, Paris, L. Larose, 1879, § 100, p. 180.
38AM Montpellier, EE 286, fol. 10-47 v (en plusieurs séries).
39AM Montpellier, EE 1, fol. 16-v. Le texte autorise les ouvriers à désigner quatorze personnes – deux pour chaque échelle – pour lever des contributions, ces dernières devant être proportionnelles à la richesse des citoyens de la ville : « Li qual devon albirar et ab sagramens los bens a las facultatz de cascun et aquelas dir e manifestar quanta quantitat cadauns deia donar e despendre en aquelas cauzas que seran obs als batismens dels murs, et aquist podon mermar e creisser en cadauns homes, segon que ad els a bona fe sera vist, segon la pauqueza e la teuneza e la grasseza del patrimoni de cascun. »
40Voir par exemple pour Avignon, l’inventaire public (inventarium publicum) d’avril 1233 dressé par le notaire de la cour Bertrand du Pont ut bona communis Avinionensis absque diminutione valeant conservari, et non possint in posterum propter oblivionem vel fraudem vel incuriam deperire ; Maulde, Coutumes…, op. cit., no 154, p. 253-260, ici p. 254.
41Voir F. Mazel, L’évêque et le territoire. L’invention médiévale de l’espace (Ve-XIIIe siècle), Paris, Seuil, 2016. Sur la qualification ecclésiastique de la notion, voir Joseph Avril, « Sur l’emploi de jurisdictio au Moyen Âge (XIIe-XIIIe siècles) », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtgeschichte. Kanonistische Abteilung, 83, 1997, p. 272-282.
42On retrouve ici l’une des « caractéristiques spécifique de la ligne qui [est] son pouvoir de créer des surfaces », V. Kandinsky, Point et ligne sur plan, Paris, Gallimard, 1991, p. 71.
43P. Gautier-Dalché, « La frontière dans la géographie et la cartographie de l’Occident médiéval », dans Jean-Michel Poisson (dir.), Frontière et peuplement dans le monde méditerranéen au Moyen Âge, Rome/Madrid, École française de Rome/Casa de Velázquez, 1992, p. 19-31, ici p. 20-21.
44Voir N. Baron, S. Boisselier et al. (dir.), Reconnaître et délimiter l’espace localement au Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016.
45Voir J. Dumasy, Le feu et le lieu. La baronnie de Sévérac-le-Château à la fin du Moyen Âge, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2011, p. 43-63.
46Sur cette question qui est directement liée aux significations multiples de la notion de figura, voir, à la suite des travaux d’E. Auerbach, C. Ginzburg, « Distance et perspective. Deux métaphores », dans Id., À distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 147-164.
47Voir J. Dumasy-Rabineau, N. Gastaldi, C. Serchuk (dir.), Quand les artistes dessinaient les cartes. Vues et figures de l’espace français. Moyen Âge et Renaissance, Paris, Le Passage/Archives nationales, 2019, no 24, p. 68-69.
48Voir É. Lecuppre, La ville des cérémonies. Essai sur la communication politique dans les anciens Pays-Bas bourguignons, Turnhout, Brepols, 2004, p. 20 : « Le recensement, le dénombrement, l’inventaire apparaissent comme les moyens les plus sûrs pour concentrer l’attention sur des entités impalpables. […] Un territoire se détaille non pas grâce à une corrélation tridimensionnelle de tous les éléments qui le composent, mais par la rédaction d’un catalogue rigoureux de ces mêmes éléments conduisant à une conception linéaire de l’espace. »
49AM Montpellier, AA 4, fol. 29 v-31, édité dans Cartulaire de Maguelone, J. Rouquette (éd.), t. 3, 1263-1305, Vic-la-Gardiole, 1920-1921, p. 147-165, à partir de la version transcrite dans le Registre D du cartulaire (Archives départementales de l’Hérault, G 1126, fol. 118v sq.).
50Les numéros correspondent aux items de la liste ; les lettres majuscules romaines, aux segments de la terminatio correspondant, et les lettres grecques, aux lieux par lesquels passent ces segments.
51Voir S. Nadiras, Guillaume de Nogaret en ses dossiers : méthodes de travail et de gouvernement d’un conseiller royal au début du XIVe siècle, thèse de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2012.
52Cartulaire de Maguelone, t. 3, op. cit., no 977, p. 610-614.
53Ibid., no 981, p. 620-623.
54Ibid., no 981, p. 624-631, édité d’après le Registre D du cartulaire, AD Hérault, G 1126, fol. 221 sq.
55Voir note supra ; les minuscules romaines correspondent à des territoires utilisés dans la délimitation.
56Sommières, com. du cant. de Calvisson, Gard.
57Il s’agit du moulin de Fressac, com. du cant. de Quissac, Gard.
58Saint-Felix-de-Pallières, com. du cant. de Quissac, Gard.
59Monoblet, com. du cant. de Quissac, Gard.
60Vabres, com. du cant. de La Grande-Combe, Gard.
61Colognac, com. du cant. de Quissac, Gard.
62Liouc, com. du cant. de Quissac, Gard.
63T. Ingold, Brève histoire des lignes, Bruxelles, Zones sensibles, 2011, p. 10.
64N. Heinich, « Les objets-personnes... », art. cité, p. 102-134.
65Je reprends ici une analyse que P. Ricœur développe au sujet des opérations de nomination des personnes ; voir Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1996, p. 41.
66La liste comme la figura sont au Moyen Âge deux formes qui montrent la porosité de la distinction entre indice, icon et symbol produite par la seconde trichotomie de C. Peirce ; sur ses liens avec le raisonnement diagrammatique, voir Frederik Stjernfelt, Diagrammatology. An investigation on the borderlines of phenomenology, ontology, and semiotics, Dordrecht, 2007. Sur les formes contemporaines de cette porosité, voir les remarques suggestives de M. Melot, Une brève histoire de l’image, Paris, J.-C. Béhar, 2007, p. 11-12.
67J.-C. Schmitt, Penser par figure. Du compas divin aux diagrammes magiques, Paris, Arkhê, 2019, p. 132.
68Città del Vaticano, Archivio Segreto Vaticano, Registra Avenionensia, no 204 fol. 428 r-507 v (1378) : Liber divisionis cortesianorum et civium romane curie et civitatis Avinionensis facte [sic] de novo de mandato Gregorii XI ad certitudinem curiarum et ne amodo de earum subditis valeat hesitare. Une notice sur ce texte figure dans H. Denifle, « Liber divisionis cortesianorum et civium romane curie et civitatis Avenionensis », Archiv für Literatur- und Kirchengeschichte des Mittelalters, 1, 1885, p. 627-630. Datation en 1378 par B. Guillemain dans La cour pontificale d’Avignon (1309-1376). Étude d’une société, Paris, 1962, p. 653 vs Richard Trexler qui le date de 1371 dans « A Medieval Census : The Liber Divisionis », Medievalia et humanistica, 17, 1966, p. 82-85, ici p. 82. Voir également S. Weiß, Die Versorgung des päpstlichen Hofes in Avignon mit Lebensmitteln (1316-1378). Studien zur Sozial- und Wirtschaftsgeschichte eines mittelalterlichen Hofes, Berlin, Akademie Verlag, 2002, p. 107-108. Le texte a été édité par J. Rollo-Koster sous le titre The People of Curial Avignon : a Critical Edition of the Liber Divisionis and the Matriculae of Notre Dame de la Majour, Lewiston (NY), Edwin Mellen Press, 2009.
69Sur l’histoire pontificale d’Avignon, voir V. Theis, Le gouvernement pontifical du Comtat Venaissin vers 1270-vers 1350, Rome, École française de Rome, 2012. Sur la justice à Avignon, voir J. Chiffoleau, Les justices du pape. Délinquance et criminalité dans la région d’Avignon au XIVe siècle, Paris, 1984.
70Les dates et jours de la semaine mentionnés dans le document concordent pour l’année 1371.
71Sur le contexte, voir J. Rollo-Koster, « Mercator florentinensis and others : Immigration in Papal Avignon », dans K. Reyerson, J. Drendel (dir.), Urban and Rural Communities in Medieval France. Provence and Languedoc, 1000-1500, Leyde, Brill, 1998, p. 73-100.
72Les modes d’acquisition de la citoyenneté avignonnaise ont été fixés dans les conventions des années 1246-1251. La définition de la citoyenneté repose sur un critère d’origine (mère avignonnaise), ou de naissance sur le territoire de la ville de parents étrangers, mais qui résident et possèdent un bien.
73Sur le conflit de 1337 et sa résolution, voir G. Mollat, « Les conflits de juridiction entre le maréchal de la cour pontificale et le viguier d’Avignon », Provence historique, 15, 1954, p. 11-18. Le texte du Tractatus concordiae inter marescallum Romanae curiae et cives Avenionenses figure dans Paris, BNF ms latin 5155, fol. 88-89 : Item convenerunt, disposuerunt et ordinaverunt et statuerunt quod a nunc in antea nullus cortesanus residentiam faciens in Romana curia possit se facere civem nec aliquis civis possit se facere cortesanum (fol. 88) ; Item quod, cum sit consuetudo inter ipsas curias diutius observata quod si aliquis cortesanus moretur ut familiaris cum aliquo cive, quod, quamdiu moretur cum aliquo cortesano sequatur forum ipsius cortesani, ordinaverunt in modum qui sequitur, illius cum quo moratur : qui continue moratur videlicet comedit et bibit cum domino suo et in hospitio ejusdem in quo idem moratur assidue cum sua familia ; alias non intelligatur familiaris, sed quod remaneat sub foro cujus [sic] primo erat (fol. 88 v).
74G. Milani, « Il governo delle liste… », art. cité.
75Sur le système fiscal à Montpellier, voir A. Gouron, « De l’impôt communal à l’impôt royal. Le cas de Montpellier », dans D. Menjot, A. Rigaudière, M. Sánchez Martínez (dir.), L’impôt dans les villes de l’Occident méditerranéen (XIIIe-XVe siècle), Paris, 2005, p. 239-245 et sur les compoix comme type documentaire, voir B. Jaudon, Les compoix de Languedoc. Impôt, territoire et société du XIVe au XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.
76Voir L. Guiraud, « Recherches topographiques sur Montpellier au Moyen Âge », Mémoires de la société archéologique de Montpellier, 1, 1899, p. 89-336, en particulier p. 318-326.
77AM Montpellier, Joffre 241 (1387) et Joffre 243 (1404).
78En bas-de-casse, les îles identifiées par des noms de personne ; en petites capitales, celles identifiées par des bâtiments publics ; en caractères gras, celles identifiées par des équipements communaux. Les variantes de 1404 apparaissent entre crochets ; je n’indique pas les simples variantes orthographiques ; * signifie texte identique ; ø signifie texte absent.
79Voir Y. Thomas, « L’institution civile de la cité », dans Id., Les opérations du droit, Paris, EHESS/Gallimard/Seuil, 2011, p. 103-130.
80Aux p. 117-236.
81Le texte a bénéficié d’une édition récente : Guillebert de Mets, Description de la ville de Paris 1434, E. Mullally (éd.), Turnhout, Brepols, 2015 d’après le manuscrit autographe Bruxelles, Bibl. royale ms 9559-9564, fol. 118r-142v. Le manuscrit contient : 1) Christine de Pizan, L’Epistre d’Othea ; 2) Martin de Braga, De quattuor virtutibus cardinalibus dans la traduction de Jean Courtecuisse ; 3) Le débat sur le Roman de la Rose ; 4) Albertano da Brescia, De arte loquendi et tacendi dans la traduction d’un clerc parisien ; 5) Anon., Des cinq lettres du nom de Paris compilé par un notable clerc normant l’an de grace mil quatre cens et sept ; 6) Guillebert de Mets, Description. La 2e partie de la Description s’ouvre par une mention de l’année 1407 : « SENSUIT LA DESCRIPTION DE LA VILLE DE PARIS DE LAN MIL QUATRE CENS ET SEPT », mais elle se termine par la narration de la mortalité de 1418.
82K. Hyde, « Medieval Descriptions of Cities », Bulletin of the John Rylands Library, 48, 1965/1966, p. 308-340, repris dans Id., Literacy and its Uses. Studies on Late Medieval Italy, Manchester, Manchester University Press, 1993, p. 1-32. Voir également, sur les textes parisiens, B. Bove, « Aux origines du complexe des parisiens : les louanges de Paris au Moyen Âge », dans C. Gauvard, J. -L. Robert (dir.), Être parisien, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 423-444.
83Le texte a été édité et traduit en anglais par J. H. Oliver : Ælius Aristide, The Civilizing Power. A Study of the Panathenaic Discourse, Philadelphie, American Philosophical Society, 1968. Sur ce texte, voir E. Oudot, « L’Athènes primitive sous l’empire romain : l’exemple du Panathénaïque d’Aelius Aristide », Anabases, 3, 2006, p. 195-212.
84Texte traduit dans Éloges grecs de Rome, Laurent Pernot (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 1997.
85Voir H. Brand, P. Monnet, M. Staub (dir.), Memoria, communitas, civitas. Mémoire et conscience urbaines en Occident à la fin du Moyen Âge, Ostfildern/Paris, J. Thorbecke, 2003.
86Cette appréciation du passé saisie à travers la description topographique de la ville est au cœur des Mirabilia urbis Romae, texte intégré au Liber censuum Romanae ecclesiae du camérier Cencius (1192) et attribué par L. Duchesne au chanoine Benoît de Saint-Pierre, avec une rédaction antérieure à 1150. Le texte est composé de trois parties : une succession de listes des éléments naturels, bâtis et lieux remarquables de la ville (§ 1-10) ; des développements divers sur l’histoire des bâtiments et des personnages de l’Antiquité romaine (§ 11-18) ; une promenade dans la ville. Ce texte succède à une tradition de catalogage des éléments de l’espace romain qui s’apparentent à une littérature purement descriptive. Le texte est édité dans Codice topografico della città di Roma, R. Valentini, G. Zucchetti (éd.), vol. 2, Rome, 1942, p. 17-65. Sur ce texte, voir D. Kinney, « Fact and Fiction in the Mirabilia urbis Romae », dans É. Ó Carragáin, C. L. Neuman de Vegvar (dir.), Felix Roma. Formation and Reflections of Medieval Rome, Aldershot, Ashgate, 2008, p. 235-252.
87K. Hyde, « Medieval Descriptions… », art. cité, p. 15 : « [it] illustrates the propensity of descriptive literature to absorb all kinds of miscellaneous writings, and in particular it looked forward to the final period of the medieval descriptio, when a great part of the data would be provided from administrative records. »
88Sur l’auteur, voir S. Somers, « The Varied Occupations of a Burgundian Scribe : Corrections and Additions relating to Guillebert de Mets (c. 1390/1-after 1436) », dans V. Cardon, J. Van der Stock, D. Vanwijnsberghein (dir.), “Als ich can” : Liber amicorum in memory of Professor Dr. Maurits Smeyers, Paris/Louvain/Dudley, Uitgeverij Peeters, 2002, p. 1227-1246. Il a séjourné à Paris en 1411-1414 et y a fait différents séjours jusqu’en 1422. C’est probablement là qu’il s’est formé comme copiste avant de rentrer au service du duc de Bourgogne Jean sans Peur. Quatre manuscrits survivants lui sont attribués.
89Eustache Deschamps, [Sur Paris, 1394], dans Œuvres complètes, A. de Queux de Saint Hilaire (éd.), Paris, no 169, p. 301-302 : « Riens ne se puet comparer a Paris (refrain) ».
90La cité de Dieu de saint Augustin traduite par Raoul de Presles (1371-1375). Édition du manuscrit BNF fr. 22912, 2 vol. , O. Bertrand (dir.), Paris, Honoré Champion, 2013-2015.
91Voir N. Grévy-Pons, « Jean de Montreuil et Guillebert De Mets », Revue belge de philologie et d’histoire, 58/3, 1980, p. 565-587.
92Je restitue la ponctuation du manuscrit qui fait usage de la virgula suspensiva et de la virgula plana.
93Bruxelles, Bibl. royale ms 9559-9564, fol. 132v-133. Une autre liste d’églises paroissiales figure au début du chapitre consacré à la « ville basse ».
94Ibid., fol. 134 v.
95Il s’agit respectivement du Dictionarius, du De nominibus utensilium et du De utensilibus ; ils ont été édités par Tony Hunt dans Teaching and Learning Latin in Thirteenth-Century England, 3 vol. , Cambridge, D. S. Brewer, 1991. Sur ces textes, voir M. Jeay, « Poésie de la marchandise. La mise en liste littéraire des objets », dans Le pouvoir des listes au Moyen Âge, t. 2, É. Anheim, L. Feller, M. Jeay et al. (dir.), Listes d’objets…, op. cit., p. 271-291.
96Voir F. Lachaud, « La première description des métiers de Paris : le Dictionarius de Jean de Garlande, vers 1220-1230 », Histoire urbaine, 16/2, 2006, p. 91-114.
97Par exemple Bruxelles, Bibl. royale ms 9559-9564, fol. 137 : « // Item en une autre chambre haulte estoient grant nombre d’arbalestes / dont les aucuns estoient pains a belles figures / la estoient estendars banieres pennons arcs a main picques faussars planchons haches guisarmes mailles de fer et de plont / pavais / targes escus canons et autres engins / avec plenté d’armeures / et briesment il y avoit aussi comme toutes manières d’appareils de guerre. »
98J. Cerquiglini, « Le Dit », dans Grundriß der romanischen Literaturen des Mittelalters, t. 8/1, D. Poirion (dir.), La littérature française aux XIVe et XVe siècles, Heidelberg, C. Winter, 1988, p. 86-94.
99Bonvesin de la Riva, Le meraviglie di Milano/De magnalibus Mediolani, P. Chiesa (éd.), Milan, A. Mondadori, 2009, p. 22 (trad. ital. p. 23).
100Par exemple chapitre 4, § 13 qui dresse la liste des lacs et fleuves du contado de Milan : suivent deux longues énumérations de toponymes qui comptent une cinquantaine de noms pour les fleuves.
101Voir l’étude classique de G. Arnaldi, « Uno sguardo agli Annali genovesi », dans Id., Studi sui cronisti della Marca trevigiana nell’età di Ezzelino da Romano, Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo, 1963, p. 225-245, repris dans Id., Cronache e cronisti dell’Italia comunale, Spolète, Fondazione Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 2016, p. 111-130.
102Voir F. Schweppenstette, Die Politik der Erinnerung. Studien zur Stadtgeschichtsschreibung Genuas im 12. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2003, p. 4, citant J. Assmann.
103Voir C. E. Beneš, Urban Legends. Civic Identity and the Classical past in Northern Italy, 1250-1350, University Park, Pennsylvania State University Press, 2011.
104Voir J. Assmann, La mémoire culturelle. Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques, Paris, Aubier, 2010.
105Voir K. Becker, Le lyrisme d’Eustache Deschamps. Entre poésie et pragmatisme, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 21-41.
106Paris, BNF ms. fr. 24432, fol. 257vA-261vB ; Le dit des rues de Paris (1300), É. Mareuse (éd.), Paris, Librairie générale, 1875. Sur ce texte, voir M. Jeay, Le commerce des mots. L’usage des listes dans la littérature médiévale, Genève, Droz, 2006, p. 25 et 267.
107Les lieux qui n’apparaissent pas dans le texte de Guillebert ont été notés en gras. L’ordre des deux énumérations est identique ; London, British Library, Cotton collection, MS Cotton Vitellius E X, texte édité dans Paris sous Philippe le Bel d’après les documents originaux, H. Géraud (éd.), Paris, Impr. de Crapelet, 1837, p. 567-579.
108Paris, BNF ms. fr. 24432, fol. 259-v.
109S. Schama, Landscape and Memory, New York, A. A. Knopf, 1995, p. 9.
110L. Latiri, « Qu’est-ce que le paysage dans la culture arabo-musulmane classique ? », Cybergeo : European Journal of Geography, document 196, http:// journals.openedition.org/cybergeo/4036
111Voir A. Berque, Être humains sur la Terre. Principe d’éthique de l’écoumène, Paris, Gallimard, 1996.
112Voir J. Dumasy, « La vue, la preuve et le droit : les vues figurées de la fin du Moyen Âge », Revue historique, 668, 2013, p. 805-831.
113Voir A. Riegl, Le culte moderne des monuments, Paris, Allia, 2016.
114J. Dumasy, « La vue, la preuve et le droit… », art. cité.
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