Le rôle de la liste dans la construction d’une représentation globale de l’espace de la Chrétienté
p. 75-105
Texte intégral
1Les listes occupent une place à part dans l’histoire croisée des pratiques scripturaires et des pratiques de gouvernement de la papauté ne serait-ce qu’à cause de l’importance qu’a pu avoir l’une des plus célèbres d’entre elles, connue sous le nom de Dictatus papae et contenue dans les registres de lettres de Grégoire VII, liste dont on a longtemps voulu faire un manifeste de la « réforme grégorienne » alors qu’il s’agissait probablement d’une liste des titres de chapitre d’une collection canonique élaborée dans la proximité du pape1. Les siècles suivants ont constitué un moment où les papes ont essayé de transformer en une réalité la conception maximaliste du pouvoir pontifical qui s’y exprimait et que l’on trouvait développée dans les collections canoniques réalisées à la fin du XIe siècle2. Ils ont aussi été ceux d’une tentative pour articuler la revendication d’une universalité du pouvoir avec une définition de plus en plus spatialisée, puis territorialisée, de ce pouvoir3. De ce fait, il semblerait légitime de se demander si les listes ont également joué un rôle dans ce processus de construction progressive d’une représentation « officielle » de l’espace de l’Église romaine. Ce pourrait être une autre manière d’envisager ou de contourner les questions anciennement posées de l’existence d’un « espace de la chrétienté », ou d’une Chrétienté conçue comme un espace dont on verra qu’elles ne sont pas sans soulever de nombreuses difficultés. Dès lors que l’on pose la question de l’usage de listes afin de penser dans sa globalité l’espace de l’Église romaine, le premier type de texte auquel on pense est bien entendu les provinciaux de l’Église romaine. Ces listes ont été très largement étudiées, qu’il s’agisse d’identifier les plus anciennes d’entre elles ou d’en analyser les variations d’une version à l’autre4. Mais dans le cadre de ces approches très philologiques, les historiens se sont en général peu penchés sur les implications spatiales des différents types de provinciaux qui se sont succédé au cours du XIIe siècle, ce siècle ayant en effet donné lieu à une élaboration puis à une transformation complète de ce type de listes.
2On se propose donc ici de réfléchir au pouvoir de la liste, en revenant d’abord sur le contexte d’élaboration des plus anciens provinciaux, puis en abordant deux questions permettant de s’interroger sur ce qui fait une liste : d’une part la transformation profonde du provincial à l’époque du camérier Cencio et, d’autre part, l’idée de reprise de cette liste dans d’autres contextes que celui de la cour pontificale. On verra ainsi que, bien souvent, les chercheurs ont été très attentifs au contenu factuel et syntaxique des listes en laissant de côté une autre dimension essentielle : son ordonnancement interne. Une telle opération s’est faite au risque de laisser de côté une partie du sens qu’avaient ces listes pour ceux qui les avaient imaginées et transformées en même temps que se précisait une vision plus claire de ce que pouvait être pour eux l’espace de la Chrétienté romaine.
Quand la Chrétienté devient-elle un espace ?
3L’expression « espace de la Chrétienté » a été employée de manière ancienne par Jacques Le Goff dans un article paru en 1977 intitulé « La perception de l’espace de la Chrétienté par la curie romaine et l’organisation d’un concile œcuménique en 1274 » dans le colloque 1274, année charnière : mutations et continuités5. La relecture de ce texte permet d’abord de mesurer combien les approches des chercheurs se sont transformées depuis cette époque. En effet, dans ce texte, Le Goff visait d’abord à montrer que la papauté avait, en 1274, appris à gérer les distances/temps nécessaires à l’organisation d’un concile œcuménique. Il inscrivait l’acquisition de ces compétences dans le cadre plus général d’un XIIIe siècle vu comme « siècle du calcul » rompant définitivement avec le tabou de l’Ancien Testament réservant la pratique des recensements à Dieu6. Il associait ainsi étroitement le développement d’une volonté de maîtrise de l’espace, le calcul et la pratique consistant à recenser. Il proposait ensuite de démontrer que le choix de Lyon comme lieu de réunion du concile s’expliquait par l’« émergence d’une conception européenne de l’espace de la Chrétienté7 », espace au sein duquel Lyon aurait pu faire office de lieu central. Une telle idée en disait sans doute au moins autant sur la conception médiévale de l’espace chrétien que sur celle que Le Goff pouvait avoir de la Chrétienté médiévale8. À ses yeux, ce choix annonçait celui de l’installation à Avignon, qui devait avoir lieu quelques dizaines d’années plus tard : « moins, me semble-t-il pour des raisons fortuites qu’à cause de cette recherche profonde d’un nouveau centre de gravité de la Chrétienté – centre “rationnel”, c’est-à-dire géographique, qui allait se manifester aussi, avec cette papauté avignonnaise dévoreuse d’impôts, comme le “centre fiscal” de la Chrétienté9 ». Pour lui, le retour à Rome traduisait ainsi la victoire finale du centre symbolique de la Chrétienté sur son centre rationnel. Puisqu’il lui semblait possible de définir ce qu’aurait pu être son centre géographique, il apparaît ainsi clairement que, pour Le Goff, il ne faisait pas de doute que l’on pouvait considérer la Chrétienté comme une réalité spatiale, et même territoriale, un centre ne pouvant s’imaginer indépendamment de l’existence de limites. Et pour Le Goff, ce territoire se confondait assez largement avec celui de l’Europe. La conception de la Chrétienté comme territoire et l’idée que celui-ci aurait pu se confondre avec l’Europe, nous semblent aujourd’hui deux idées qui sont tout sauf évidentes, mais il n’est pas inutile de rappeler que la première d’entre elles a longtemps été peu remise en question et qu’il en reste de nombreuses traces, même dans des productions scientifiques récentes.
4Comme le rappelait Piroska Nagy dans le numéro de Médiévales consacré à la formation des territoires paroissiaux : « L’historiographie actuelle admet généralement que par Chrétienté (avec majuscule la plupart du temps), on désigne l’entité sociale et territoriale médiévale qui trouve son identification dans le système religieux chrétien10. » Cette définition rend d’ailleurs a priori un peu absurde la notion d’« espace de la Chrétienté », puisque la Chrétienté est alors vue automatiquement comme une réalité non seulement spatiale mais aussi territoriale. Pourtant, l’usage aujourd’hui courant d’une telle définition ne doit pas faire oublier que la notion de christianitas désignait d’abord, à la fin de l’Antiquité, la foi chrétienne11. Ce sens du terme a perduré pendant très longtemps, comme l’a montré Paul Rousset à partir des usages qui en étaient faits au Moyen Âge dans les chansons de geste. Il a ensuite été enrichi par d’autres significations au cours de l’époque médiévale, jusqu’à désigner la communauté chrétienne progressivement perçue comme une entité unifiée placée sous l’autorité de la papauté. Cette conception sociale de la notion ne s’est faite que très progressivement, comme l’avait déjà montré Jean Rupp dans son étude de 1939, L’idée de chrétienté dans la pensée pontificale des origines à Innocent III12 et comme l’a confirmé, pour une période plus limitée, puisque son étude s’arrête au IXe siècle, Tim Geelhaar, dans son livre Christianitas : eine Wortgeschichte von der Spätantike bis zum Mittelalter13. Jean Rupp disait qu’il fallait attendre la fin du XIe siècle pour voir apparaître dans une lettre de Grégoire VII à Odon de Trèves une première acception territoriale de la notion de christianitas, le pape faisant alors référence aux fines christianitatis14. Cet usage resta cependant longtemps très minoritaire, en particulier jusqu’au XIIIe siècle. Piroska Nagy estime cependant qu’« on perçoit un lent glissement vers le développement d’un sens social et spatial qui se précise surtout à partir du IXe siècle, où l’on commence à parler de “toute la chrétienté” comme le fait Angilbert, abbé de Saint-Riquier et ancien élève d’Alcuin autour de 800 pour désigner l’oikouméné chrétien15 », idée qui est reprise par Tim Geelhaar qui souligne cependant que cet usage n’a ensuite aucun écho chez les contemporains d’Angilbert. Piroska Nagy associe de même l’usage du terme dilatatio à une spatialisation de la notion de chrétienté, ce qui reste discutable car une foi ou une communauté peuvent elles aussi s’étendre comme l’avait d’ailleurs déjà souligné Paul Rousset16. Tous ces exemples montrent surtout une seule et même chose, à savoir que dans la plupart des contextes, sauf lorsqu’il est question clairement de limites comme dans la lettre de Grégoire VII, la plupart des expressions renvoyant à l’idée de chrétienté peuvent être interprétées dans un sens social ou spatial sans qu’on puisse savoir si l’interprétation du lecteur était aussi celle du scripteur. Même l’expression tota christianitas ne prouve en rien que celui qui l’emploie ne pense pas à toute la communauté des chrétiens plutôt qu’à un territoire des chrétiens. Sans qu’il soit possible de douter qu’à partir du XIe siècle le terme puisse avoir une dimension spatiale, il reste donc impossible de savoir avec quelle fréquence. S’il semble avéré que l’on assiste bien, à une échelle dépassant celle de la paroisse et du diocèse, à la construction progressive, au moins théorique, d’un espace visant à englober l’entièreté des territoires placés sous la domination de l’Église romaine, il semble en revanche difficile, en l’état actuel de nos connaissances, d’appuyer cette idée sur l’interprétation des usages de la notion de christianitas, qui reste en général trop subjective.
5Nous nous proposons donc ici d’expérimenter une autre approche afin de voir si et comment, dans des actes de la pratique élaborés à la cour pontificale, il serait possible d’observer plus concrètement la mise en place progressive de ces phénomènes d’élaboration d’un territoire de l’Église romaine. L’hypothèse que nous défendons est que la liste est un outil syntaxique et graphique particulièrement à même de permettre aux historiens de repérer quand et si des conceptions plus territorialisées et/ou plus globales du pouvoir pontifical commencent à apparaître. En outre, par l’efficacité de sa mise en page, par sa dimension synthétique, elle permet aux constructions théoriques dont elle rend compte d’être facilement copiées, comprises et réutilisées dans la longue durée, ce qui a été le cas pour les différents titres du Dictatus papae, mais qui nous semble l’avoir été également pour des listes concernant les territoires sur lesquels l’Église romaine prétendait exercer un certain pouvoir. Cela ne veut cependant pas dire que les listes et les réalités auxquelles elles prétendent renvoyer ne se transforment pas au fil du temps, bien au contraire, mais c’est tout leur intérêt, car la chronologie des étapes de transformation des provinciaux nous semble dire quelque chose de la transformation des conceptions de l’espace global et des territoires particuliers auxquels ces derniers renvoyaient.
Le pontificat de Calixte II : un tournant pour l’usage des listes ?
6Trois types de listes à prétention globalisante concernant l’espace de la Chrétienté ont été approximativement datées, depuis les premières études sur les provinciaux, de l’époque du pontificat de Calixte II (1119-1124)17. La plus célèbre est évidemment le premier état connu du Provincial de l’Église romaine sous la forme qu’il prenait dans la liste de Florence découverte par Léopold Delisle à la Bibliothèque Laurentienne de Florence18. Sans qu’on puisse affirmer avec certitude que cette liste datait bien du pontificat de Calixte II, plusieurs indices vont dans ce sens, et il est par ailleurs certain qu’elle était antérieure à la réorganisation des évêchés scandinaves datant des années 1152-115319. Elle a fait l’objet d’une étude récente en parallèle avec celle du Provincial du Pseudo-Godel par Fabrice Delivré20. C’est aussi du pontificat de Calixte II, et même de son début, qu’a été datée par Louis Duchesne la première version d’une liste des évêchés exempts, c’est-à-dire directement rattachés à l’Église romaine sans être intégrés au sein d’une province ecclésiastique, ainsi que la première version d’une liste des établissements ecclésiastiques (monastères ou chapitres) dits « de saint Pierre » qui forment respectivement les numéros XVIII et XIX de la première version du Liber censuum du camérier Cencio, lui-même achevé en 119221. La liste des établissements de Saint-Pierre connut des transformations et ajouts entre le premier moment de son élaboration et son intégration dans le Liber censuum, Volkert Pfaff ayant isolé au sein de la version de 1192 un premier noyau élaboré autour de 1138, puis une vague d’ajouts antérieure à 1153, suivie de l’insertion de mentions de montants de cens en face de certains établissements entre 1153 et 116822. Ces deux listes ont été étudiées par Louis Duchesne, alternativement comme des préfigurations des provinciaux ou de la table de cens de Cencio. En introduction de l’édition du Liber censuum qu’il avait menée à bien avec Paul Fabre, il écrivait : « [L]a forme la plus ancienne sous laquelle le provincial romain nous est parvenue est une liste d’évêchés qui figure dans le recueil de Cencius à la suite de sa Table des cens (no XVIII, XIX)23. » Pourtant, ces deux types de listes étaient loin d’être identiques, et on verra qu’il est aussi intéressant d’essayer de mesurer tout ce qui les sépare l’une de l’autre que d’insister sur leurs liens généalogiques.
7Mais avant cela, si l’on veut prendre au sérieux la question des pouvoirs de la liste, il peut être intéressant de s’arrêter un instant sur le fait que toutes les hypothèses de datation qui ont été émises pour l’établissement des listes qu’on vient de mentionner renvoient à un pontificat particulier : celui de Calixte II. Sans qu’il soit possible de confirmer de telles hypothèses avec la documentation dont nous disposons, on peut en revanche relier celles-ci avec d’autres éléments connus concernant ce pape, qui pourraient venir compléter le tableau faisant de ce moment précis un tournant dans l’usage de listes renvoyant à une conception plus nettement spatialisée du pouvoir pontifical. Avant d’être pape, Calixte II était en effet l’archevêque Gui de Vienne, qui a été rendu célèbre par la longue controverse qui l’opposa à l’évêque Hugues de Grenoble pour la domination du pagus de Sermorens, querelle qui suscita l’élaboration par Hugues du document qu’on appelle aujourd’hui le « cartulaire A de saint Hugues », dans lequel celui-ci racontait, de manière certes partiale, toutes les manigances de Gui pour le priver de ses droits et les recherches qu’il fit lui-même dans les archives afin de tenter d’en triompher24. Il n’est pas ici question de revenir sur le détail de cette querelle, qui a été très bien étudiée par Laurent Ripart, mais d’en souligner un élément qui nous intéresse du point de vue des pouvoirs de la liste. Dans le répertoire d’actions mis en œuvre par Gui, au sein desquelles on trouvait le recours à des troupes d’hommes d’armes ou la forgerie d’actes pontificaux, la première idée du prélat pour soutenir ses prétentions sur le pagus de Sermorens consista à faire approuver par le pape Urbain II une liste de toutes les possessions de l’Église de Vienne au sein de laquelle il avait rajouté ce dernier, liste qu’il avait accompagnée d’une importante somme d’argent pour s’assurer qu’elle atteindrait bien, à la cour pontificale, la cible qu’il s’était fixée25. Comme prévu, le pape approuva la liste sans l’examiner, ce qui suscita des protestations d’Hugues de Grenoble qu’Urbain II apaisa en rappelant qu’une confirmation pontificale ne valait que si les biens qui y étaient mentionnés étaient auparavant en possession du requérant26. Ce premier échec décida Gui à user plus massivement de la forgerie de vieux privilèges, mais cet épisode montre que ce personnage avait précocement conscience de ce que pouvaient être les potentialités d’une liste. Une autre dimension de ce pontificat peut aussi être mise en avant si l’on cherche à cerner les rapports spécifiques que ce pape pouvait entretenir avec le genre de la liste. Calixte II fut en effet le pape qui parvint à mettre fin à la longue querelle des investitures grâce au concordat de Worms, c’est-à-dire à l’échange entre le pape et l’empereur Henri V de deux chartes : la Henricianum reçue par le pape et la Calixtinum reçue par l’empereur en 112227. Il fit suivre de près cet accord par l’organisation du premier concile du Latran du 18 mars au 11 avril 112328. Mary Stroll, en s’appuyant sur le témoignage contemporain de Siméon de Durham dans son Historia Regum Anglorum et Dacorum, indique que les deux chartes, ainsi que les canons du concile, furent envoyés à tous les évêques et les archevêques29. Dans cette perspective, la mise en forme d’un premier type de provincial pourrait avoir eu tout son sens. On retrouverait dans ce cas dès l’origine une des fonctions principales assignées plus tardivement aux provinciaux de l’Église romaine, celle d’un outil de chancellerie permettant de s’assurer qu’aucun prélat n’était oublié lors de la diffusion d’une décision pontificale30. Martin Brett s’était d’abord montré très sceptique sur la diffusion des canons du concile de Latran en Occident en remarquant que peu de manuscrits anglais en avaient gardé la trace et en notant que ceux-ci différaient beaucoup d’un endroit à l’autre, même si, depuis, de nouveaux témoins manuscrits ont été retrouvés31. Mais le fait qu’à cette époque les canons des conciles aient parfois été très mal conservés ou recopiés de manière très partielle32 – l’influence de la papauté n’étant pas encore ce qu’elle deviendrait plus tard33 – ne semble pas devoir être confondu avec le fait que cette dernière pourrait avoir eu à cœur de diffuser des textes aussi fondamentaux que les chartes du concordat, que Siméon de Durham recopia d’ailleurs dans son ouvrage. Les biographes contemporains de ce pape ont en outre souligné que la fin de cette querelle avait permis au pape de commencer à développer plus sereinement une politique de domination du patrimoine de l’Église romaine, ce qui serait là aussi cohérent avec le début d’une mise en liste des évêchés et des établissements dépendant directement de l’Église romaine qui fut ensuite poursuivie par tous ses successeurs. Sans être définitifs, ces quelques éléments peuvent cependant contribuer à comprendre pourquoi, à l’époque de Calixte II, la réalisation de listes à vocation exhaustive de tous les territoires de la chrétienté aurait pu revêtir une importance nouvelle. Mais quand bien même l’impulsion trouverait alors son origine, il n’en faut pas moins prêter attention à ce que l’étude du contenu et de l’ordre des listes peut nous apporter afin de voir comment une telle ambition a progressivement pris forme, au-delà du moment qui aurait pu en être le point de départ.
La construction d’une représentation de la Chrétienté par les listes
8Au XIIe siècle, le provincial de l’Église romaine était constitué, dans toutes les versions qui nous en sont parvenues avant l’élaboration du Liber censuum, d’un assemblage de provinces ecclésiastiques chapeautant pour chacune d’entre elles la liste des évêchés suffragants faisant partie de cette province. Si l’on emploie ici le terme « assemblage », c’est parce que ces listes, quelles que soient leurs variantes de détail, étaient systématiquement conçues par le collage de listes régionales préexistantes. La liste de Florence comme celle du Pseudo-Godel débutaient par la Notice des Gaules élaborée vers 400, se poursuivaient avec un démarquage du pseudo-provincial wisigothique et se terminaient pour leur partie commune par les provinces de Gniezno en Pologne et de Lund au Danemark, la liste du Pseudo-Godel ajoutant celle de Canterbury34. Un point commun important entre la liste de Florence et le provincial du Pseudo-Godel est que si les diocèses n’y étaient répertoriés que par le renvoi à des lieux, les cités épiscopales, ces dernières étaient en revanche englobées dans des catégories territoriales, les provinces ecclésiastiques, qui pouvaient éventuellement se superposer à un royaume comme dans le cas de la Pologne (Provincia Polonie) ou avec le territoire d’un peuple, les Danois (Provincia Danorum), ladite province chapeautant d’ailleurs en réalité l’ensemble du monde scandinave et non les seules régions danoises35. On peut donc considérer que ces listes témoignaient déjà d’une volonté globalisante, d’un usage de catégories territoriales, mais pas d’une véritable conception unifiée de l’espace sous domination de l’Église romaine. Le collage mettait en effet côte à côte des listes qui avaient été élaborées à des époques et dans des contextes très différents, ce qui se traduisait par exemple par le fait qu’en Gaule les provinces étaient encore désignées sous leur nom romain, la province de Reims étant ainsi la Belgica secunda36. En outre, ces types de listes échouaient à produire une véritable cohérence géographique, les fragments de listes antérieures étant juxtaposés sans qu’il soit tenu compte de la proximité réelle de tel ou tel territoire dans l’espace : la province de Galice était ainsi immédiatement suivie de la province de Pologne, elle-même suivie par celle des Danois. Cette conception des provinciaux se poursuivit jusqu’aux années 1180, soit juste avant que le camérier Cencio réalise le Liber censuum en 1192.
9On peut s’en assurer puisqu’à la même époque, et parallèlement à lui, un autre personnage, arrivé à la cour pontificale en tant que cardinal diacre de Santa Maria Nova en 1182, Albinus, réalisa un recueil dont l’ambition consistait à compiler les outils scripturaires accumulés par lui au fil des diverses expériences professionnelles qui avaient jalonné sa vie : les Digesta pauperis scholaris Albini37. Albinus avait consacré les deux derniers livres de son recueil, les livres X et XI, à assembler des textes rendant compte de son expérience de curialiste38. Albinus, quoiqu’écrivant de manière contemporaine à Cencio, se caractérise par le fait qu’il n’avait pas pour ambition de créer de nouveaux outils de travail pour la curie, mais seulement de conserver la mémoire de textes qui avaient été importants pour lui et dont il estimait qu’ils pourraient l’être pour ses lecteurs. Il représente donc systématiquement un état de la documentation très légèrement antérieur à celui qui nous est présenté par Cencio. De nombreux textes sont ainsi communs entre le Liber censuum et le livre d’Albinus, mais le travail de ce dernier est connu de manière indépendante grâce à un manuscrit, l’Ottobonianus latin 3057 de la Bibliothèque vaticane39. Dans la dernière partie de son travail, après la copie de la liste des provinces de Polemius Silvius40, se trouve un provincial de l’Église romaine qui reprend les principes de fonctionnement des provinciaux antérieurs (collage de listes déjà existantes, usage des catégories provinciales, énumération des sièges épiscopaux à l’intérieur des provinces), tout en étant beaucoup plus complet en ce qui concerne le nombre de provinces41. En revanche, en dehors de son contenu, ce provincial présente une différence majeure avec les précédents : après la liste des provinces de Gaule et un ensemble formé par les deux listes relatives aux cités épiscopales de Hongrie d’un côté, et de Dalmatie et Croatie de l’autre, la structure des autres listes ne suit plus la structure ancienne : « nom de province et nombre de cités incluses (Provincia Alpium Maritimarum habet civitates numero VIII) – nom de la métropole (Metropolis civitas Ebrodonnensium) – nom des cités épiscopales (Civitas Diniensium, etc.) », mais passe à un nouvelle structure : « Nom d’une région ou d’un royaume (In Hyspania) – nom d’une première métropole (Metropolis civitas Toletum) – nom des cités épiscopales (civitas Oretum, etc.) ». Un tel changement revient à supprimer le nom des provinces et la dimension territoriale de celles-ci, puisque chaque province est désormais introduite par le nom de son siège archiépiscopal, donc par un lieu, et à faire reposer la dimension territoriale de ces listes sur ces nouvelles grandes catégories qui chapeautent un ensemble de cités archiépiscopales puis de cités épiscopales. On peut ainsi résumer la structure principale de ce provincial de la manière suivante :
Fig. 1 – Ordre des titres dans le provincial universel utilisé par Albinus (no 69)42
Notice des Gaules |
Civitates Ungarie numero XII |
Civitates Dalmatie et Croatie sunt numero XX |
In Hyspania |
In Polonia |
In Alammannia |
In regno Anglie |
In Scotia |
In regno Norweie |
In regno Danie |
In regno Suetie |
In Ybernia sunt provincie IIII |
In Dalmatia supra Mare |
In Ystria supra Mare |
In Sclavonia |
In Provincia Flaminea |
In Liguria |
In Alpibus Gotie |
In Tuscia |
In Sardinia |
In Campania |
In Sannio |
In Apulia |
In Sicilia |
10L’inscription des métropoles et des cités épiscopales à l’intérieur de grandes régions correspondant dans un certain nombre de cas à des royaumes n’était pas utilisée dans les provinciaux avant l’époque d’Albinus, mais elle l’était en revanche déjà pour des listes parentes, que nous avons mentionnées ci-dessus, celles des évêchés exempts et des établissements religieux relevant du Saint-Siège et dits « de saint Pierre » qui auraient été élaborées à partir de l’époque de Calixte II. Comme il était par définition impossible d’inscrire la liste des évêchés rattachés directement au Saint-Siège, et donc échappant au contrôle d’un métropolitain, dans le cadre général des provinces ecclésiastiques, les rédacteurs de ces listes avaient d’emblée fait le choix d’une logique d’organisation des données qui avait été décrite de la manière suivante par Duchesne : « Les noms des sièges sont rangés, sans égard à cette classification [celle qu’il venait de reconstituer lui-même pour leur donner un ordre] ou à leur situation hiérarchique, dans l’ordre purement géographique, en commençant par les environs de Rome et en continuant par l’Italie méridionale, puis en revenant du centre vers le nord43. » Sur la seconde partie de la liste, celle des établissements de saint Pierre, il indiquait : « Comme dans la liste d’évêchés, celle des abbayes et des chapitres part des environs de Rome, continue par l’Italie méridionale et la Sicile, puis, remontant par le centre et le nord de l’Italie, atteint les pays transalpins, France, Espagne, Allemagne44. » Cette volonté de donner une cohérence géographique à la liste s’avère, dans le détail, encore très imparfaitement mise en œuvre. Cependant, elle est au moins déjà présente de manière embryonnaire, ce qui n’était toujours pas le cas dans le provincial repris par Albinus.
11Si l’on recherche le jalon suivant dans cette construction d’un espace de l’Église romaine par les listes, on le trouve à nouveau chez Albinus dans le livre X des Digesta où se trouve également copiée une table des cens qui reprend les dimensions majeures des listes que l’on vient de citer : le choix d’un mode d’organisation qui commence à tenter de donner une plus grande cohérence géographique aux catégories mises en liste et le recours à des tituli permettant de rassembler dans de grandes catégories territoriales les données de la liste. Là encore, le résultat est très imparfait, mais du point de vue de la manière de structurer la liste, il constitue un jalon majeur entre la manière dont le provincial était conçu avant l’époque d’Albinus et celle dont il le fut après l’intervention de Cencio.
Fig. 2 – Ordre simplifié des rubriques dans la table des cens d’Albinus (no 74)45
Redditus in urbe Roma | In Suevia |
In Marchia et Ducatu Spoletano | In Russia |
In Tuscia | In Norogueia |
In Apulia | In Scotia |
In Calabria | Provincia Colonie |
In Sicilia | Provincia Treverensis |
In Sardinia | Provincia Bisuntina |
In Arborea | Provincia Bremensis |
De Corsica | Provincia Madeburgensis |
In Lombardia | In Patriarchatu Ierosolimitano |
Exarcatus Ravenne | |
In Patriarchatu Aquileiensi | |
In Patriarchatu Venetie, Gradensi | |
Census Hyspanie | |
Provincia Narbonensis | |
Provincia Arelatensis | |
Census Provincie | |
In Provincia Ebredunensi | |
Provincia Guasconia | |
Provincia Burdegalensi | |
Provincia Bituricensi | |
Provincia Turonensis | |
Provincia Senonensi | |
Provincia Remensis | |
Provincia Maguntina | |
Provincia Lundensi | |
In Anglia | |
In Suetia | |
In Ungaria |
12Jusqu’à aujourd’hui, l’historiographie relative à la table des cens est restée dépendante du jugement qui avait été celui de Fabre et Duchesne concernant l’apport personnel de Cencio. Les deux chercheurs affirmaient que Cencio s’était servi pour ordonner sa table des cens de la dernière version du provincial de l’Église romaine alors en usage à la curie46. Ils estimaient également que ce provincial et ce censier avaient été l’œuvre du camérier Boson. Les premières remises en cause concernant ce qu’aurait été le travail du camérier Boson, connu uniquement à travers le Liber censuum et non par des sources indépendantes, ont été formulées par Fabrice Delivré, qui a montré que rien ne nous permettait d’accréditer l’existence d’un provincial de Boson47. Plutôt que d’imaginer, comme l’avaient fait Fabre et Duchesne, qu’Albinus ne s’était inspiré que partiellement et maladroitement du provincial de Boson alors que Cencio l’aurait repris fidèlement à son compte, la conclusion de son travail consistait à dire qu’il était plus probable qu’Albinus eût recopié le provincial romain de la fin du XIIe siècle « aussi “sommaire” qu’il puisse nous paraître48 ». À partir de là, il envisageait deux hypothèses sans trancher entre les deux : soit Cencio avait pu prendre appui sur un provincial un peu plus récent que celui utilisé par Albinus, soit la table des cens avait « donné le jour à une autre recension du provincial romain49 ».
13Si on confronte les provinciaux et les tables des cens qui auraient été censées s’en inspirer dans les années 1180-1190, il semblerait plus raisonnable de trancher en faveur de la seconde hypothèse, ce qui n’est pourtant pas l’option qui domine l’historiographie actuelle50. En effet, en comparant la structure générale de la table des cens intégrée dans le recueil d’Albinus avec celle de Cencio, on peut en premier lieu avoir l’assurance que ces deux tables ne s’appuient pas sur une source commune qui aurait pu être le provincial de la fin du XIIe siècle. Si l’on intègre un troisième terme dans la comparaison, à savoir, l’ordre du provincial utilisé par Albinus, on constate que lui aussi se distingue très nettement des deux autres listes et qu’il n’a donc pas pu être la source ayant permis à Cencio d’organiser sa table des cens.
Fig. 3 – Comparaison de l’ordre des territoires dans les tables des cens et dans le provincial d’Albinus à la fin du XIIe siècle
Ordre simplifié des rubriques dans la table des cens d’Albinus (no 74)51 | Ordre des régions dans la table des cens de Cencio | Ordre des régions dans le provincial universel utilisé par Albinus (no 69)52 |
Redditus in urbe Roma | Roma | Notice des Gaules |
In Marchia et Ducatu Spoletano | Campania | Ungaria |
In Tuscia | Sicilia | Dalmatia et Croatia |
In Apulia | Calabria | In Hyspania |
In Calabria | Apulia | In Polonia |
In Sicilia | Marsia (Abruzzes) | In Alammannia |
In Sardinia | Tuscia | In regno Anglie |
In Arborea | Ducatu Spoletano | In Scotia |
De Corsica | Marchia | In regno Norweie |
In Lombardia | Flaminea (exarchat de Ravenne) | In regno Danie |
Exarcatus Ravenne | Liguria | In regno Suetie |
In Patriarchatu Aquileiensi | Dalmatia supra Mare | In Ybernia |
In Patriarchatu Venetie, Gradensi | Istria supra Mare | In Dalmatia supra Mare |
Census Hyspanie | Sclavonia (Raguse…) | In Ystria supra Mare |
Provincia Narbonensis | Ungaria | In Sclavonia |
Provincia Arelatensis | Polonia | In Provincia Flaminea |
Census Provincie | Alemannia | In Liguria |
In Provincia Ebredunensi | Burgundia (Provence incluse) | In Alpibus Gotie |
Provincia Guasconia | Francia | In Tuscia |
Provincia Burdegalensi | Guasconia | In Sardinia |
Provincia Bituricensi | Ispania | In Campania |
Provincia Turonensis | Anglia | In Sannio |
Provincia Senonensi | Wallia | In Apulia |
Provincia Remensis | Dacia (Danemark) | In Sicilia |
Provincia Maguntina | Norwagia | |
Provincia Lundensi | Suethia | |
In Anglia | Scotia | |
In Suetia | Hybernia | |
In Ungaria | Sardinia | |
In Suevia | Ultra Mare | |
In Russia | Antiochia | |
In Norogueia | ||
In Scotia | ||
Provincia Colonie | ||
Provincia Treverensis | ||
Provincia Bisuntina | ||
Provincia Bremensis | ||
Provincia Madeburgensis | ||
In Patriarchatu Ierosolimitano |
14Dans la mesure où, comme l’a souligné Fabrice Delivré, il est fort probable que, conformément à son projet consistant à réaliser une compilation d’instruments de travail, Albinus ait recopié dans son recueil le provincial de l’Église romaine qui était alors en vigueur, il paraît logique de renoncer à l’idée selon laquelle Cencio n’aurait fait qu’intégrer dans sa table des cens des données qu’il partageait dans leur grande majorité avec Albinus53, au sein d’un provincial préexistant. Albinus et lui travaillant en effet de manière exactement contemporaine, on ne voit pas, d’une part, pourquoi Albinus aurait recopié un ancien provincial au lieu d’en donner la dernière version et, d’autre part, quand on aurait trouvé le temps de refondre complètement le provincial avant que Cencio ne réalise sa table des cens. L’hypothèse la plus économique consiste donc plutôt à imaginer que c’est Cencio lui-même qui élabora une nouvelle structure d’organisation pour sa table des cens.
15Cencio s’est probablement appuyé sur l’existant pour le perfectionner. Il en a en effet conservé la pratique consistant à intégrer les informations relatives aux cens dus à l’Église romaine sous des tituli correspondant à de vastes territoires. Cependant, alors que les listes des établissements directement soumis au Saint-Siège ne comprenaient pas le deuxième niveau de classement ayant recours à la province et que les tables des cens n’y avaient recours que de manière irrégulière, il a généralisé ce deuxième niveau des métropoles caractéristique des provinciaux antérieurs, et l’a fait suivre d’un troisième niveau, celui des diocèses, les mentions de cens s’intégrant à la fois sous les titres des provinces et sous celles des diocèses :
Anglia [niveau 1]
In archiepiscopatu Cantuariensi [niveau 2] Monasterium sancti Salvatoris de Fervescham I marcam argenti [mention de cens]
In episcopatu Lundoniensi [niveau 3] Ecclesia que dicitur Floretia unam monetam auri [mention de cens]
In episcopatu Rofensi sive Rovecestrensi [niveau 3]
[pas de mention de cens dans l’exemplaire original du Liber censuum]54
16On s’aperçoit en outre que la table de cens de Cencio est la seule liste à ordonner les différentes catégories territoriales qu’elle utilise selon une logique entièrement géographique, qui permet même de passer mentalement d’un lieu à l’autre en suivant une logique d’itinéraire55. Une telle recherche était entièrement absente des provinciaux antérieurs, l’ordonnancement général des catégories se faisant en suivant la logique du collage de listes préexistantes. En revanche, elle commençait déjà à émerger dans la table des cens copiée par Albinus ou dans les listes d’établissements de saint Pierre, mais de manière nettement moins aboutie que dans la table des cens de Cencio. Celui-ci s’inspira donc probablement de la logique géographique qui commençait à émerger au sein du genre des tables des cens pour la rendre plus systématique afin de créer cette nouvelle structure d’ensemble permettant d’ordonner des mentions de cens en partie récupérées dans les tables préexistantes et en parties collectées grâce à ses propres recherches. La construction d’un itinéraire de cette nature indique que celui qui le conçut possédait un certain nombre de connaissances géographiques élémentaires sans lesquelles il eût été impossible de produire un enchaînement des catégories aussi fluide que celui qui était alors proposé. Cependant, quoique créant une véritable continuité territoriale, l’espace ainsi imaginé n’était pas conçu selon des principes homogènes, mais c’est aussi ce qui fait une part de son intérêt lorsqu’on cherche à identifier des étapes dans la formalisation d’un espace de la Chrétienté romaine. Plus on se trouvait dans un espace relativement bien maîtrisé par l’Église romaine et plus le découpage territorial était fin.
17Cette taille variable des territoires amène aussi à s’arrêter sur le type de catégorie territoriale utilisée pour le premier niveau de la liste, celui des grands ensembles régionaux. On s’aperçoit alors que dans le cas des territoires les plus finement découpés, le titulus de premier niveau se confondait avec le territoire d’une province ecclésiastique ou d’un des territoires placés sous la souveraineté du pape, alors que dans le cas des régions éloignées, on avait fréquemment recours à des catégories correspondant au territoire d’un royaume (Anglia, Francia), ou de plusieurs (Ispania). En se souvenant de l’invitation de Mary Carruthers à prêter attention aux points de départ et d’arrivée à l’intérieur des parcours de méditation médiévaux, on peut également noter que les points de départ et d’arrivée de cette table étaient alors tout sauf anodins56. Le point de départ de la table des cens était en effet Rome, siège de la papauté et principal centre de pouvoir de l’Église romaine alors que la fin de la liste ouvrait vers la Terre sainte qui, à l’époque, restait un horizon primordial pour la papauté. Le travail de Cencio s’acheva en même temps que la troisième croisade, au moment où Richard Cœur de Lion se décidait à rentrer après avoir échoué à reprendre Jérusalem. Devenu pape sous le nom d’Honorius III, Cencio continua d’ailleurs à avoir cet objectif en tête puisqu’il mit en œuvre la cinquième croisade et tenta également de lancer la sixième avec le peu de succès qu’on sait57. La perspective dans laquelle se construisit cet espace de l’Église romaine était donc encore celle d’une Église conquérante, qui ne limitait pas ses ambitions à la seule Europe mais visait à restaurer le lien avec les territoires où le christianisme avait pris naissance.
Les liens entre table des cens et provincial
18L’ampleur des changements apportés par Cencio à la table des cens rend difficile le fait de considérer qu’il ne fit pas une œuvre originale, une œuvre qui eut en outre une influence dépassant largement la réalisation d’une nouvelle table des cens puisque la structure générale de sa table fournit aussi celle du provincial de l’Église romaine à partir du XIIIe siècle. Cette question mérite qu’on s’y arrête car la phrase qui précède inverse la logique qui est en général présentée dans la bibliographie concernant les liens entre table des cens et provincial, les chercheurs estimant en effet depuis l’époque de Fabre et Duchesne que c’est Cencio qui a repris le provincial pour sa table de cens. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette confusion. Le premier est que, dès le XVIIe siècle, Emmanuel Schelstrate a publié le texte de ce qui est devenu le provincial de l’Église romaine à partir du XIIIe siècle sous le titre suivant : Notitia ecclesiarum tempore Caelestini III. anno 1225 conscripta a viro religioso et Milone eius abbate ex codice 14558. En 1225, c’était justement l’ancien camérier Cencio qui était alors devenu pape sous le nom d’Honorius III, mais ce titre mentionnant Célestin III, pape entre 1191 et 1198, a suffi à accréditer l’idée que le provincial était celui de l’époque de Célestin III, ce qui est d’ailleurs exact si on suit l’hypothèse selon laquelle Cencio en serait l’auteur, mais qui ne prouve en rien que ce provincial préexistait à la création de sa table des cens. Comme on le voit dans le tableau ci-dessous, la confrontation entre la structure générale de ce texte et celle de la table des cens de Cencio montre que les deux listes sont étroitement apparentées, le provincial se distinguant cependant dans le fait qu’il se limite à faire la liste des archevêques et de leurs évêques suffragants, ce qui donne, si on reprend le même passage que celui cité plus haut concernant l’Angleterre :
In Anglia
Archiepiscopatus Cantuariensis hos habet suffraganeos, Londoniensem, Roffensem sive Rofecestrensem, etc.
19Il ne s’agit donc évidemment pas des mêmes listes, mais elles partagent un même « ordre du monde » à l’intérieur duquel elles organisent les données, même si la liste de Schelstrate englobe des territoires plus étendus, en prenant en compte les prélats orientaux dépendant de l’Église de Rome.
Fig. 4 – L’ordre des territoires dans la table des cens de Cencio et dans le provincial de l’Église romaine du XIIIe siècle
Cencio (1192) Table des cens (Duchesne) | Provincial édité par E. Schelstrate et attribué à l’époque de Célestin III |
---|---|
Roma | Roma |
Campania | Campania |
Sicilia | Tuscia |
Calabria | Ducatu Spoletano |
Apulia | Marchia |
Marsia (Abruzzes) | Romania |
Tuscia | Roma (détail) |
Ducatu Spoletano | Sicilia |
Marchia | Calabria |
Flaminea (exarchat de Ravenne) | Apulia |
Liguria | Flaminia |
Dalmatia supra Mare | Lombardia |
Istria supra Mare | Dalmatia supra Mare |
Sclavonia | Istria supra Mare |
Ungaria | Sclavonia |
Polonia | Hungaria |
Alemannia | Polonia |
Burgundia (Provence incluse) | Alemannia |
Francia | Burgundia |
Guasconia | Francia |
Ispania | Gasconia |
Anglia | Hispania |
Wallia | Anglia |
Dacia (Danemark) | Dacia |
Norwagia | Norvasia |
Suethia | Scuetia |
Scotia | Hybernia |
Hybernia | Sardinia |
Sardinia | Ultra Mare |
Ultra Mare | Antiochia |
Antiochia | Palestina |
Galilea | |
Arabia | |
Syria | |
Armenia | |
Arabia | |
Armenia | |
Syria |
20C’est cette même structure générale que l’on retrouve dans le plus ancien des provinciaux édités par Michael Tangl à partir du manuscrit 275 du Collège d’Espagne de Bologne, manuscrit qu’il datait d’environ 123059. Aujourd’hui, ce même manuscrit est daté des années 1280-129060. Ainsi, l’édition de Tangl qui sert en général de référence pour dire que ce provincial était en usage à la chancellerie romaine dès le début du XIIIe siècle ne peut plus être utilisée en ce sens. En revanche, on dispose bien d’un autre témoin manuscrit contenant la liste éditée par Schelstrate qui renvoie au début du XIIIe siècle.
21Il s’agit du plus ancien manuscrit contenant la chronique de Robert d’Auxerre ou de Saint-Marien (mort en 1212), conservé à la bibliothèque d’Auxerre (ms. 145 [ancien 132]). Ce manuscrit est celui qui a été supervisé par l’auteur de la chronique, mais il a en réalité été prolongé après sa mort comme nous l’apprend la notice très détaillée que lui a consacrée Léopold Delisle dans l’Histoire littéraire de la France61. Delisle explique que la chronique avait d’abord été copiée d’un seul trait jusqu’en 1181, ce qui correspond au début du quatorzième cahier du manuscrit. La fin de ce cahier et le suivant devaient accueillir la suite de la chronique que l’auteur avait prévu d’achever en l’an 1240. À ce noyau originel du manuscrit avait été ajouté un cahier séparé, qui couvre les pages 81 à 96 et dans lequel se trouve le provincial62. Après une brève description de l’univers, on y trouvait divers catalogues, dont Delisle pense que la première partie avait été réalisée jusqu’à la page 91, avant qu’on y ajoute a posteriori la liste des évêques de Troyes, Nevers et Paris, puis le provincial. Ces listes d’évêques ont fait l’objet d’une première rédaction d’un seul coup, puis ont été complétées par d’autres mains jusqu’aux années 1230. De la même manière, la chronique originelle, qui a été poursuivie presque jusqu’à la mort de Robert, en 1211, a ensuite été complétée par des notes, dont la plus récente date de 132063. Le fait que ce manuscrit ait été progressivement corrigé et complété du temps même de Robert de Saint-Marien, puis après sa mort, rend impossible la datation de l’intégration du texte du provincial. La première composition du manuscrit semble cependant pouvoir être datée approximativement de l’époque de la mort de Robert de Saint-Marien, c’est-à-dire du début des années 1210. Un autre élément pointé par Delisle permet aussi de comprendre la présence du provincial et des catalogues d’évêques au sein de ce manuscrit. Delisle souligne que Robert s’était très largement appuyé sur la chronique du Pseudo-Godel pour faire son travail64. C’est donc probablement de lui qu’il avait tiré l’idée d’ajouter des listes de prélats et un provincial, tout en s’efforçant de les mettre au goût du jour. À l’heure actuelle, cette chronique est donc la plus ancienne attestation d’une mise en circulation d’un nouveau provincial s’inspirant des principes de composition de la table des cens de Cencio.
22L’intérêt de ce manuscrit ne s’arrête d’ailleurs pas là, car c’est lui qui permet de comprendre d’où Schelstrate a tiré le provincial qu’il a intégré dans son recueil et qu’il datait à la fois de Célestin III et de 1225. Emmanuel Schelstrate a été préfet de la Bibliothèque vaticane (1683-1692)65 et il s’est largement appuyé sur les manuscrits de cette dernière pour composer son travail. En général, il indique avec une assez grande précision les cotes des manuscrits d’où il tire ses informations. En ce qui concerne le provincial, il renvoie plus lapidairement à un codex 145 (Ex Codice 145), dont il précise qu’il l’a corrigé à partir du codex 1253 de la bibliothèque de la reine de Suède. Il dit aussi que les informations sur les églises viennent d’un religieux et de son abbé qui porte le nom de « Milone ». Or, dans l’introduction que Robert d’Auxerre avait ajoutée à sa chronique avant les catalogues, il disait avoir travaillé avec le soutien de son abbé, qui était Milon de Trainel. L’ancien codex 145 de la reine de Suède est aujourd’hui le Reg. Lat. 88 de la Bibliothèque vaticane, qui contient justement une copie de la chronique de Robert d’Auxerre66. La source du provincial de Schelstrate est donc sans aucun doute le manuscrit de la chronique de Robert d’Auxerre de la Bibliothèque vaticane. Dans ce manuscrit, la liste des évêques de Troyes, Nevers et Paris a été copiée de la même main et en même temps que le provincial. Ces listes atteignent pour Troyes, l’évêque Hervé (1207-1223), les deux évêques suivants, Robert et Nicolas, ayant été rajoutés après coup par une autre main67, et, pour Paris, Guillaume de Seignelay, qui fut évêque de 1220 à 122368. La liste de Nevers a en revanche fait l’objet d’une erreur de copie et n’indique de ce fait que les seize premiers évêques. Grâce à ces listes, Schelstrate pouvait établir que le manuscrit était postérieur à 1223, ce qui est cohérent avec la date de 1225 qu’il indique pour son provincial, mais qui n’explique en revanche pas son attribution à Célestin III.
23Ces premières attestations du nouveau provincial de l’Église romaine renvoient en tout cas toutes au premier quart du XIIIe siècle et sont donc postérieures au travail mené par Cencio pour sa table des cens. Il n’y avait donc aucune difficulté pour qu’à cette époque, on ait pu s’appuyer sur le travail mené par Cencio pour élaborer ce nouveau provincial, et ce d’autant moins qu’une des particularités du parcours de Cencio est qu’à partir de 1194, il ajouta à sa charge de camérier la direction de la Chancellerie apostolique69. Il n’y aurait donc rien d’étonnant à imaginer un passage de l’instrument de travail qu’il avait élaboré pour la Chambre apostolique du côté de la Chancellerie, surtout à une époque où celles-ci gardaient une taille raisonnable et où leur distinction restait encore embryonnaire70. Mais, au-delà même de la position institutionnelle de Cencio, à partir du moment où il n’existe aucune trace contemporaine d’un provincial conçu selon les principes d’organisation de sa table des cens, il reste difficile de comprendre pourquoi l’historiographie reste si attachée à l’idée selon laquelle Cencio aurait pu hériter dudit provincial pour y inscrire ses mentions de cens.
24Envisagées du point de vue de la question des pouvoirs de la liste, les conséquences du travail de Cencio sont donc considérables : pour la première fois à la curie pontificale, une liste prétendait donner une forme globale à l’ensemble de l’espace dans lequel se trouvaient, selon les termes de Cencio, des églises ou des monastères, des hôpitaux ou des fondations charitables, des villes, des châteaux, des domaines ou des maisons, des rois ou des princes in jus et proprietatem beati Petri et sancte Romane ecclesie71. Cette formule introduisant la liste est en elle-même très importante car, par son positionnement liminaire, elle s’appliquait à toutes les mentions de la table des cens, ce qui revenait à donner un seul et unique statut juridique aux formes de liens antérieurement très variables qui existaient entre l’Église romaine et les établissements ou royaumes cités dans la table72. La table des cens constituait ainsi en elle-même une forme de coup de force puisque désormais ce qui avait été autrefois des tutelles, des protections, des rattachements variés se retrouvait aligné sous l’appellation « droit de saint Pierre », donnant ainsi une grande homogénéité à un assemblage pourtant profondément hétérogène. Le choix d’une présentation sous forme de liste qui, au fur et à mesure des mentions, ne venait jamais rappeler les spécificités du lien de l’établissement, du lieu ou du territoire concerné avec l’Église romaine donnait enfin une grande force visuelle à cet aggiornamento de grande envergure. Au sein de ce programme de travail, la mise en ordre par le biais de la liste d’un territoire à la fois global, ordonné et découpé d’intervention de la Chambre apostolique fournissait un cadre au sein duquel allait pouvoir se développer dans le temps long l’action de la papauté aussi bien du côté de la Chambre apostolique que de la chancellerie. À partir de cette époque, et jusqu’à la fin du Moyen Âge, la trame inventée pour la table des cens resta celle du provincial en usage à la chancellerie même si, évidemment, celui-ci connut au fil du temps des modifications partielles. La force de la liste inventée par Cencio ne fait donc pas de doute, mais si l’on veut achever notre interrogation sur ce qui fait la nature d’une liste, il reste encore une dernière dimension de la bibliographie concernant le provincial de l’Église romaine à prendre en considération.
25Quoique refusant d’accorder un rôle à Cencio dans l’élaboration du nouveau provincial de l’Église romaine, de nombreux chercheurs ont souligné la force d’imposition de cette liste en remarquant que le nouveau provincial de l’Église romaine se retrouvait également dans plusieurs textes de natures différentes. Revenir sur cette notion de reprise paraît indispensable si l’on veut pour finir considérer ce qui fait, ou ce qui ne fait pas, l’identité d’une liste. Les deux « reprises » les plus précoces du nouveau provincial qui sont systématiquement mises en avant sont celles de la chronique de Robert d’Auxerre et celle des Otia Imperialia73. On vient de voir que les manuscrits de la chronique de Robert d’Auxerre étaient les plus anciens manuscrits nous permettant de connaître la forme nouvelle que prit le provincial à partir du début du XIIIe siècle, une forme très largement inspirée de la table des cens de Cencio. En ce qui concerne les Otia imperialia, l’idée de « reprise » du provincial paraît très problématique. En effet, on ne trouve nulle part dans ce texte une version intégrale de la liste du provincial. Le chapitre 9 du livre II se contente, sous le titre Tituli particulares, d’annoncer une présentation des noms des cités épiscopales et archiépiscopales soumises à Rome en Europe. Cette liste se présente sous la structure suivante, que l’on peut confronter à celle de Cencio :
Fig. 5 – Comparaison de la structure des rubriques relatives à l’Europe dans les Otia imperialia et le Liber censuum
Structure de la liste des archevêchés et évêchés d’Europe dans les Otia imperialia74 | Cencio (1192) Table des cens (Duchesne) |
---|---|
De Pollonia | Roma |
De Bulgaria | Campania |
De Sclavonia | Sicilia |
De Ungaria | Calabria |
De Ystria supra Mare | Apulia |
De Dalmacia | Marsia (Abruzzes) |
De Alemannia | Tuscia |
De Lombardia | Ducatu Spoletano |
De ducatibus regni Ungarie | Marchia |
De provincia Flaminea | Flaminea (exarchat de Ravenne) |
De Marchia | Liguria |
De Tuscia | Dalmatia supra Mare |
De Marsia | Istria supra Mare |
De Campania | Sclavonia |
De Apulia | Ungaria |
De principatu Capue | Polonia |
De Calabria | Alemannia |
De Sicilia | Burgundia (Provence incluse) |
De Dacia | Francia |
De Norvehia | Guasconia |
De Suecia | Ispania |
Anglia | |
Wallia | |
Dacia (Danemark) | |
Norwagia | |
Suethia | |
Scotia | |
Hybernia | |
Sardinia | |
Ultra Mare | |
Antiochia |
26Hormis le fait de classer les métropoles et les cités épiscopales à l’intérieur de grandes catégories régionales, on serait bien en peine de trouver un rapport entre cette liste et le provincial de l’Église romaine du XIIIe siècle. Non seulement l’ensemble des catégories du provincial ne sont pas reprises – on remarquera en particulier l’absence de l’Angleterre, de l’Irlande ou de l’Écosse75 –, mais en outre, celles qui le sont apparaissent dans un ordre très différent. On remarque aussi que cette liste présente des catégories qui lui sont propres, comme De ducatibus regni Ungarie76 qui renvoie aux archevêchés de Zadar et de Split, ou encore la rubrique De principatu Capue77 pour les archevêchés de Salerne, Amalfi, Sorrente, Naples et Capoue. Enfin, le mode même de rédaction des parties de la liste ne présente pas d’homogénéité. Ainsi, si certaines rubriques de la liste reprennent des tournures identiques à celles du provincial pour introduire les noms qu’elles enregistrent, d’autres s’en éloignent sensiblement78. Dans ces conditions, il semblerait raisonnable de renoncer à l’idée selon laquelle le provincial de l’Église romaine est repris dans les Otia imperialia, sauf à considérer que la notion de reprise n’implique ni que le texte soit complet ni, qu’il soit identique dans les fragments mis en comparaison. Comme le rappelle Nathalie Bouloux, nous savons par Gervais de Tilbury lui-même qu’il s’est appuyé sur des provinciaux de l’Église romaine trouvés dans les archives pontificales mais, comme elle le montre dans ce même volume, il combine cette source avec d’autres, comme Orose, pour en faire tout autre chose79. Et si l’on doit croire Gervais de Tilbury lorsqu’il dit, au sujet cependant des métropoles orientales, qu’il a repris exactement ce qu’il a trouvé dans les archives pontificales, alors il convient de penser que ce n’est pas sur le travail de Cencio qu’il s’est appuyé80. Cette question pourrait sembler être un point de détail, ce qui serait sans doute vrai si l’idée de reprise du provincial n’appartenait pas au genre de propos que nous répétons souvent sans y réfléchir, ce qui leur assure une grande pérennité dans le temps. Mais au-delà de la question de l’identité textuelle, il semble en outre que le problème posé par l’idée d’une reprise du provincial révèle également la faible prise en compte non seulement de ce qui fait la nature d’une liste, mais encore de la portée particulière des listes apparentées à la table des cens et au provincial de l’Église romaine. En effet, une grande partie de l’originalité du provincial conçu dans les dernières années du XIIe siècle est qu’il propose un certain ordre spatial qui ne saurait rester le même lorsqu’on change l’ordre des catégories de la liste, qu’on le découpe en plusieurs parties ou qu’on l’ampute d’une ou de plusieurs de ses parties. Il est peu probable que cet ordre spatial n’ait pas fait l’objet d’une importante réflexion qui rendait compte de ce fait d’un certain état de la représentation du monde dans le milieu de la curie pontifical au moment même où l’institution commençait à se donner les moyens de mettre en œuvre une politique plus centralisée et à ambition universalisante. On peut alors pour finir tenter de synthétiser les différentes caractéristiques de cette représentation de l’espace de l’Église romaine.
27L’espace qui était alors en voie de construction était tout sauf homogène. Les auteurs de ces listes ne voyaient en effet aucun inconvénient à recourir simultanément à un même niveau dans la liste à des types de territoires très différents : un territoire sous la souveraineté du pape, une province ecclésiastique, un royaume ou encore une grande catégorie régionale indépendante des découpages politiques ou ecclésiastiques. Au-delà même de l’hétérogénéité de nature de ces catégories, on remarque aussi que coexistaient sans difficulté des catégories que l’on aurait tôt fait de séparer en en considérant certaines comme « laïques » (le royaume) et d’autres comme « ecclésiastiques » (la province ecclésiastique). Ces deux ordres de territoires étaient alors possiblement considérés comme juxtaposables à l’intérieur d’une même liste, ce qui vient nous rappeler combien il est problématique que les chercheurs que l’on considère comme des spécialistes de la géographie ecclésiastique travaillent en général de manière complètement indépendante de ceux qui s’intéressent aux territoires laïcs, au lieu que les uns et les autres s’inspirent de la manière de fonctionner des listes médiévales. Tout en s’appuyant sur des territoires de tailles et de natures différentes, on constate enfin que le provincial de l’Église romaine avait le souci de limiter au maximum les solutions de continuité entre les territoires pris en compte. L’espace ainsi imaginé aspirait donc à être continu, ce qui là encore n’a rien de très étonnant dans le cadre d’un programme à vocation universelle. On pourrait être tenté de voir dans ce nouveau provincial, et dans la table des cens dont il est inspiré, une opposition entre des zones centrales, celles où le pouvoir et l’influence de la papauté s’exerçaient à leur maximum, qui sont placées en début de liste, et des zones plus marginales, placées en fin de liste. Cependant, sans être complètement fausse, dans la mesure où toutes ces listes commençaient avec des régions italiennes, une telle idée serait en partie réductrice, puisque les fins de ces listes ouvraient vers des espaces qui, pour être alors marginaux en termes de présence de l’institution et d’emprise de son contrôle, n’en étaient pas moins centraux dans son histoire comme dans son idéologie. La recherche de l’inscription d’un organigramme institutionnel dans un cadre géographiquement fluide et cohérent comme celui d’un itinéraire semble avoir été un principe de construction plus important que toute autre considération. À l’évidence, l’espace alors en train de se formaliser ne reposait ni sur une opposition entre un centre et des périphéries, ni sur une conception hiérarchisée des sièges archiépiscopaux. En revanche, en offrant la démonstration d’une bonne maîtrise des savoirs géographiques et en faisant passer au premier plan un ordre spatial, ces listes n’auraient pu mieux exprimer la revendication à l’universalité qui était alors celle de l’Église romaine. Comment en effet mieux mettre en avant l’ampleur des ambitions de la papauté qu’en gommant au maximum, sans l’effacer complètement, l’état conjoncturel des relations avec telle ou telle région sous obédience romaine pour mettre au premier plan la connaissance du monde qui prévalait à la curie et la capacité à en rendre compte dans l’ordre même des mots ?
28Ce qui caractérise enfin tous ces ordres du monde produits sous forme de listes au tournant des XIIe et XIIIe siècles est qu’ils ne se décrivent jamais eux-mêmes au moyen d’un terme totalisant comme « Chrétienté ». Ces listes rendent compte d’une vision de l’espace nettement territorialisée, mais dont la totalité n’existe que sur le mode de l’énumération. Que ces listes apparaissent dans le contexte d’une table des cens, d’un provincial, d’un classement de données ou d’archives, elles ne sont jamais introduites par une phrase qui en donnerait la nature, qui qualifierait ce qu’elles construisent : la liste se présente de manière brute. Pourtant, même si l’ensemble construit par la liste est dépourvu de nom, la forme même de la liste lui donne une grande force d’imposition car elle permet de combiner une ambition globalisatrice avec la prise en compte d’un niveau de détail permettant d’améliorer l’efficacité du contrôle. On retrouve ainsi ce qu’Agostino Paravicini Bagliani avait mis en valeur en commentant la manière dont Benoît XII avait présenté, dans la bulle Vas electionis datée du 18 décembre 1336, les territoires sur lesquels s’exerçait la fiscalité pontificale, le pape ayant alors à nouveau eu recours à une longue liste de territoires et non à un concept global81 : la liste intégrée dans la bulle n’était pas la marque de l’inachèvement du contrôle de l’Église romaine sur ces territoires, mais le gage de son efficacité administrative. Le choix d’organiser les listes par rapprochement de territoires contigus marquait en effet la continuité du pouvoir de l’Église romaine, tout en s’assurant qu’aucune zone de flou ne pourrait demeurer, comme cela aurait inévitablement été le cas si le pape avait eu recours à un concept plus globalisant comme celui de Chrétienté. L’existence de listes de ce type qui, tout en reprenant certaines des catégories régionales du provincial, avaient leur propre logique d’organisation, vient pour finir nous rappeler que ce dernier ne fut jamais qu’une des modalités possibles pour penser l’espace de l’Église romaine. Cependant, par la précocité de son existence, par le soin qui prévalut à sa refonte complète et par la longue durée de son usage, il nous semble occuper une place à part dans l’histoire de l’institution pontificale. La création d’une telle liste coïncidait en effet avec l’entrée de la papauté dans une ère politique particulière caractérisée par la tentative de contrôle, de manière plus centralisée, d’une Église désormais nettement territorialisée et par l’ambition d’étendre son emprise spatiale, tout en améliorant la connaissance et la maîtrise des territoires anciennement rattachés au Siège romain, dans le prolongement du programme grégorien. Celui-ci avait fait entrevoir les potentiels pouvoirs de la liste et ces leçons furent plus que jamais mises en œuvre au moment de l’émergence de la théocratie pontificale.
Notes de bas de page
1Voir par exemple la présentation classique donnée par Jean Chélini, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Paris, Armand Colin, 1968, p. 230 : « Résolu à frapper à la racine du mal, Grégoire VII promulgua au début de l’année 1075 son programme de politique ecclésiastique et prit des mesures pratiques interdisant l’investiture laïque. Peu avant le synode romain du carême 1075, il publia un recueil de 27 brèves propositions, appelées les Dictatus papae. […] La promulgation des Dictatus papae et l’interdiction formelle de l’investiture laïque entraînaient des conséquences doctrinales immenses dans tout l’Occident. » C’est à Giovanni Battista Borino que l’on doit l’hypothèse selon laquelle la liste serait la table des titres d’une collection canonique perdue ou projetée et jamais achevée (G. B. Borino, « Un’ipotesi sul “Dictatus papae” di Gregorio VII », Archivio della R. deputazione romana di storia patria, 67 [1944], p. 237-252). Dans cet article, il fait remonter l’habitude de faire de cette liste un manifeste à Onofrio Panvinio (1529-1568), bibliothécaire du cardinal Farnèse, et dit que c’est lui qui avait publié ces capitula « come una specie di manifesto di governo e li abbia chiamate “dictatus” » (ibid., p. 250).
2John Thomas Gilchrist a mis en valeur la proximité entre la collection en soixante-quatorze titres, et les rubriques du Dictatus papae, qui trouvaient presque toutes leur pendant dans ladite collection, même si les réponses apportées à un même problème différaient : J. T. Gilchrist, « Canon Law Aspects of the Eleventh Century Gregorian Reform Programme », The Journal of Ecclesiastical History, 13, 1962, p. 21-38. Voir aussi Id., The Collection in Seventy-Four Titles : A Canon Law Manual of the Gregorian Reform, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies (Mediaeval Sources in Translation, 22), 1980 ou Id., Diversorum patrum sententie sive Collectio in LXXIV titulos digesta, Cité du Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, 1973.
3M. Lauwers, L. Ripart, « Représentation et gestion de l’espace dans l’Occident médiéval (Ve-XIIIe siècle) », dans J.-P. Genet (dir.), Rome et l’État moderne européen, Rome, École française de Rome, 2007, p. 115‑171.
4La plus ancienne étude est celle qui a été menée en introduction de leur édition du Liber censuum par Paul Fabre et Louis Duchesne : Le Liber censuum de l’Église romaine publié avec une introduction et un commentaire. Introduction, P. Fabre, L. Duchesne (éd.), Paris, 1889, p. 36-56. Parmi les travaux les plus récents, ceux qui permettent le mieux de cerner l’état de la question sont ceux de Fabrice Delivré : F. Delivré, « Du nouveau sur la “Liste de Florence” : la chronique du Pseudo-Godel (v. 1175) et la préhistoire du “Provinciale Romanum” du XIIIe siècle », Bibliothèque de l’École des Chartes, 167, 2009, p. 353-374 ; Id., « Les diocèses méridionaux d’après le Provinciale romanum (XIIe-XVe siècle) », dans Lieux sacrés et espace ecclésial, Toulouse, Privat, 2011 (Cahiers de Fanjeaux, 46), p. 395-419.
5J. Le Goff, « La perception de l’espace de la Chrétienté par la curie romaine et l’organisation d’un concile œcuménique en 1274 », dans M. Mollat du Jourdin (éd.), 1274, année charnière : mutations et continuités, Paris, Éditions du CNRS (Colloques internationaux du Centre national de la recherche scientifique, 558), 1977, p. 481-489, repris dans Id., L’imaginaire médiéval : essais, Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1985, p. 76-83.
6Ibid., p. 76.
7Ibid., p. 78
8Il écrit en effet p. 79 : « [L]e choix semble surtout lié à la mesure de l’espace/temps : Lyon, c’est en somme le centre géographique de la Chrétienté européenne », et p. 82 : « Lyon II me semble avoir manifesté la perception par la curie romaine de l’intérêt d’une capitale de la Chrétienté moins excentrique que Rome, en cette époque où se rationalise le calcul de l’espace/temps. »
9Ibid., p. 82.
10P. Nagy, « La notion de christianitas et la spatialisation du sacré au Xe siècle : un sermon d’Abbon de Saint-Germain », Médiévales, 49, 2005, p. 121‑140.
11P. Rousset, « La notion de Chrétienté aux XIe et XIIe siècles », Le Moyen Âge, 69, 1963, p. 191-203, ici p. 195.
12J. Rupp, L’idée de chrétienté dans la pensée pontificale des origines à Innocent III, Paris, Les Presses modernes, 1939.
13T. Geelhaar, Christianitas : eine Wortgeschichte von der Spätantike bis zum Mittelalter, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2015.
14J. Rupp, L’idée de chrétienté…, op. cit., p. 58.
15P. Nagy, « La notion de christianitas… », art. cité, p. 124.
16P. Rousset, « La notion de Chrétienté aux XIe et XIIe siècles », art. cité, p. 203.
17Le Liber censuum de l’Église romaine..., op. cit., p. 39-42.
18L. Delisle, Notice sur des manuscrits du fonds Libri conservés à la Laurentienne, à Florence, Paris, Imprimerie nationale, 1886 ; F. Delivré, « Du nouveau sur la “Liste de Florence”… », art. cité.
19Ibid., p. 72. Delisle indiquait que le manuscrit renfermant ce provincial (Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Ashburnham 1554) avait été copié par une main du XIIe siècle. Il comprenait un catalogue des papes dans lequel la durée du pontificat de Calixte II avait été rajoutée après coup, ce qui tendait à indiquer que le texte avait été copié du vivant de ce pape ou peu après sa mort. Par ailleurs, le manuscrit portait la reproduction de la rota de Calixte II au bas du premier feuillet, ce que Delisle avait interprété comme une volonté du compilateur de placer la collection canonique constituant l’essentiel du manuscrit sous le patronage de ce pape. Duchesne et Fabre ont ensuite noté que la liste des évêchés suédois et norvégiens se présentait dans son aspect antérieur à 1152 (Le Liber censuum de l’Église romaine..., op. cit., p. 42).
20F. Delivré, « Du nouveau sur la “Liste de Florence”… », art. cité.
21Le Liber censuum de l’Église romaine..., op. cit., t. 1, p. 41 pour la datation, p. 243-253 pour l’édition critique. Original : Cité du Vatican, Biblioteca apostolica vaticana (BAV), Vat. Lat. 8486, fol. 68-70.
22V. Pfaff, « Das Verzeichnis der romunmittelbaren Bistümer und Klöster im Zinsbuch der römischen Kirche (LC nr. XIX) », Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, 47, 1960, p. 71-80.
23Le Liber censuum de l’Église romaine..., op. cit., t. 1, p. 39.
24L. Ripart, « Du comitatus à l’episcopatus : le partage du pagus de Sermorens entre les diocèses de Vienne et de Grenoble (1107) », dans F. Mazel (dir.), L’espace du diocèse. Genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 253-286.
25M. Stroll, Calixtus II (1119-1124) : a Pope born to rule, Leyde/Boston, Brill (Studies in the History of Christian Traditions, 116), 2004, p. 17 et p. 272-274 : Hugues de Grenoble rapporte que Guy aurait distribué pas moins de 500 sous aux membres de la curie et qu’il obtint ainsi une confirmation du pape Urbain II en février 1094. L’histoire est corroborée des années plus tard par Geoffroy de Vendôme qui avait personnellement reçu l’émissaire envoyé par Guy, Harmannus, et ne manqua pas de le lui rappeler lorsqu’il eut besoin de son aide.
26L. Ripart, « Du comitatus à l’episcopatus… », art. cité, p. 263.
27M. Stroll, Calixtus II (1119-1124)…, op. cit., p. 390-398.
28Ibid., p. 401-422.
29Ibid., p. 415. Elle cite Simon Dunelmensis, Simeon von Durham Opera Omnia, T. Arnold (éd.), Londres/Oxford/Cambrige, Longman/Parker/Macmillan (Rerum Britannicarum medii aevi scriptores, 75, 1-2), 1882, p. 266 : Hac concordia per gentes et populos ubique divulgata, mittuntur etiam litterae ab Apostolico omnibus archiepiscopis et episcopis per regiones et provincias, ut, omni excusatione postposita, festinent occurrere ad concilium quod domnus Apostolicus Romae celebraturus erat XV kal. Aprilis.
30M. Tangl, Die päpstlichen Kanzleiordnungen von 1200-1500, Innsbruck, Wagner, 1894.
31M. Brett, « The Canons of the First Lateran Council in English Manuscripts », dans S. Kuttner, K. Pennington (dir.), Proceedings of the Sixth International Congress of Medieval Canon Law (Berkeley, California, 28 July-2 August 1980), Cité du Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, 1985, p. 13-28 ; L. Iorio Hamilton, M. Brett, « New Evidence for the Canons of the First Lateran Council », Bulletin of Medieval Canon Law, 30, 2014, p. 1-20.
32U.-R. Blumenthal, « Conciliar Canons and Manuscripts : The Implications of their Transmission in the Eleventh Century », dans P. Landau, J. Mueller (dir.), Proceedings of the Ninth International Congress of Medieval Canon Law Munich, Cité du Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, 1997, p. 357-379.
33D. Summerlin, « Papal Councils in the High Middle Ages », dans A. A. Larson (éd.), A Companion to the Medieval Papacy. Growth of an Ideology and Institution, K. Sisson, Leyde, Brill, 2016, p. 174-198.
34F. Delivré, « Du nouveau sur la “Liste de Florence”… », art. cité ; Patrick Henriet, « Territoires, espaces symboliques et “frontières naturelles”. Remarques sur la carte diocésaine hispanique », dans P. Henriet, « Territoires, espaces symboliques et “frontières naturelles”. Remarques sur la carte diocésaine hispanique », dans F. Mazel (dir.), L’espace du diocèse…, op. cit., p. 287‑308.
35F. Delivré, « Du nouveau sur la “Liste de Florence”… », art. cité p. 367-374, édition des deux listes.
36Ibid., p. 368.
37T. Montecchi Palazzi, « Formation et carrière d’un grand personnage de la Curie au XIIe siècle : le cardinal Albinus », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, Temps modernes, 98, 1986, p. 623-671.
38Ibid., p. 626-628.
39Ce manuscrit n’est pas folioté. On en trouve une version en ligne sur Digivatlib : https://digi.vatlib.it/view/MSS_Ott.lat.3057. Afin de faciliter le repérage, on renverra en note aux numéros des vues de la version électronique.
40Le Liber censuum de l’Église romaine..., op. cit., t. 2, p. 96, no 68 pour l’édition et BAV, Ott. Lat. 3057, vue 152 gauche.
41Le Liber censuum de l’Église romaine..., op. cit., t. 2, p. 97-104, no 69 pour l’édition et BAV, Ott. Lat. 3057, vues 152 droite-153 droite.
42Le Liber censuum de l’Église romaine..., op. cit., t. 2, p. 97-104.
43Ibid., t. 1, p. 247, n. 1.
44Ibid., p. 249, n. 18.
45Ibid., p. 109-122.
46Dès la première page de leur introduction, les deux éditeurs indiquaient après avoir présenté la structure du Liber censuum ; ibid., p. 1 : « Pour aucune de ces parties Cencius n’a fait œuvre originale. » Ils indiquent ensuite plus loin ce qu’a été la démarche de Cencius, ibid., p. 7 : « À la distribution assez irrégulière qu’il trouva dans le censier de Boson, il en substitua une autre, en combinant le provincial et la table des cens », puis p. 44 : « Celui-ci [Albinus] avait donné à part le provincial et la table des cens. Cencius estima qu’on pouvait les combiner, le provincial servant de cadre à la table censière. À cet effet, négligeant les anciennes notices et réduisant la table des immédiats au groupe de l’Italie centrale, il s’est borné au provincial universel, qu’il reproduit ainsi beaucoup plus largement qu’Albinus. »
47F. Delivré, « Du nouveau sur la “Liste de Florence”… », art. cité, p. 364.
48Ibid.
49Ibid.
50F. Mazel, L’évêque et le territoire. L’invention médiévale de l’espace, Paris, Seuil (L’Univers historique), 2016, p. 360-361 : « Le tournant majeur se produit à l’extrême fin du XIIe siècle lorsqu’un nouveau provincial, que la tradition désigne sous le nom de Provincial romain, est élaboré, probablement entre 1183 et 1192, dans un contexte où la curie pontificale connaît toute une série d’innovations en matière de pratiques administratives et scripturaires. Le texte original de ce provincial n’est pas parvenu jusqu’à nous, mais il nous est indirectement connu grâce au Livre des cens réalisé en 1192 par le camérier Cencius, futur pape Honorius III (1216-1227), et par plusieurs sources postérieures. »
51Ibid., p. 109-122.
52Le Liber censuum de l’Église romaine..., op. cit., t. 2, p. 97-104.
53Sur les 493 cens présents dans le recueil d’Albinus, Cencio en reprend 437 de première main. 36 qui étaient présents chez Albinus et avaient été oubliés ont été rajoutés a posteriori, et 103 sont issus des recherches faites par Cencio dans les documents anciens de la papauté (Le Liber censuum de l’Église romaine..., op. cit., t. 1, p. 58).
54Ibid., p. 224, BAV, Vat. Lat 8486, fol. 54.
55Pour voir ce que cet itinéraire aurait représenté si on avait utilisé une carte, nous nous permettons de renvoyer aux cartes publiées dans V. Theis, « Se représenter l’espace sans carte. Pratiques d’écriture de la Chambre apostolique au XIVe siècle », dans P. Boucheron, M. Folin, J.-P. Genet (dir.), Entre idéel et matériel. Espace, territoire et légitimation du pouvoir (v. 1200-v. 1640), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2018, p. 329-364.
56M. J. Carruthers, Machina memorialis. Méditation, rhétorique et fabrication des images au Moyen Âge, Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 2002, p. 157-158 et 214-215.
57P. -V. Claverie, Honorius III et l’Orient (1216-1227). Étude et publication de sources inédites des Archives vaticanes (ASV), Leyde, Brill, 2013. Il indique que les registres d’Honorius III renferment presque deux cents lettres concernant la cinquième croisade. Si l’on ajoute les lettres visant à préparer la sixième, cette production représente 6 % des six mille bulles conservées pour ses onze ans de pontificat (ibid., p. 23). Il rappelle aussi l’anecdote rapportée par Burchard von Ursberg selon laquelle Honorius prêchait à Rome en assurant que la ville de Jérusalem serait reprise sous son pontificat en vertu d’une prophétie qu’il avait reçue avant d’être pape de la part d’un homme qui avait été identifié par ses contemporains comme saint Pierre. Celui-ci lui avait dit la chose suivante : « Sache que cela est vrai, comme il est vrai que la ville de Jérusalem est enlevée aujourd’hui même par les Sarrasins et qu’elle ne pourra être libérée de leur emprise jusqu’au moment de ton pontificat » (ibid., p. 24 d’après le Chronicon Urspergensis Burchardi praepositi, dans MGH, Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum, G. Pertz [éd.], Hanovre, Impensis bibliopolii Hahniani [MGH Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum, XVI], 1916, p. 112-113).
58E. Schelstrate, Antiquitas ecclesiae dissertationibus, monimentis ac notis illustrata, Rome, Typis Sacrae Congregationis de propaganda fide, 1697, t. 2, p. 747-758, no XXIII. Voir aussi M Tangl, Die päpstliche Kanzleiordnungen…, op. cit., p. 1-32.
59M. Tangl, Die päpstlichen Kanzleiordnungen…, op. cit., p. LXII-LXV pour la description du manuscrit et p. 2 pour sa datation approximative.
60Ce manuscrit a fait l’objet d’une campagne de numérisation dans le cadre du programme Irnerio. À cette occasion, sa notice a également été mise en ligne : http://irnerio.cirsfid.unibo.it/codex/275/
61L. Delisle, « Chroniques et annales diverses. Chronique de Robert de Saint-Marien d’Auxerre », dans Histoire littéraire de la France, t. 32, Paris, Imprimerie nationale, 1898, p. 503-535.
62Auxerre, BM, ms. 145, p. 93.
63Ibid., p. 326.
64L. Delisle, « Chroniques et annales diverses… », art. cité, p. 514.
65La correspondance d’Emmanuel Schelstrate, préfet de la Bibliothèque vaticane, 1683-1692, L. Ceyssens (dir.), Bruxelles, Academia belgica, 1949.
66Bernard de Montfaucon, Les manuscrits de la reine de Suède au Vatican, réédition du catalogue de Montfaucon et cotes actuelles..., Cité du Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, 1964, p. 12. Le manuscrit 1253 est quant à lui aujourd’hui le Reg. Lat. 773.
67Cité du Vatican, BAV, Reg. Lat. 88, fol. 42v.
68Ibid., fol. 43.
69A. Paravicini Bagliani, « Honorius III », dans P. Levillain (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, 1994, p. 822‑824 ; M. Tangl, Die päpstlichen Kanzleiordnungen…, op. cit., p. XIII.
70J. E. Sayers, Papal Government and England during the Pontificate of Honorius III 1216-1227, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 16 : « But to think of Chancery and Chamber as very clear-cut and distinct departments, at any stage in the early thirteenth century, is to put a misleadingly modern construction on curial organization. »
71Le Liber censuum de l’Église romaine..., op. cit., t. 1, p. 2.
72Sur cette question voir V. Theis, Le monde de la Chambre apostolique (XIe-XIVe siècle). Ordonner les archives, penser l’espace, construire l’institution, mémoire inédit d’HDR soutenu sous la garantie de Pierre Chastang, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2016, p. 51-57 et p. 100-103.
73F. Delivré, « Du nouveau sur la “Liste de Florence”… », art. cité, p. 365-366 ; F. Mazel, L’évêque et le territoire, op. cit. p. 363.
74Gervais de Tilbury, Otia imperialia : Recreation for an Emperor, S. E. Banks, J. W. Binns (éd. et trad.), Oxford, Clarendon Press (Oxford Medieval Texts), 2002, p. 272-285.
75Les Otia imperialia consacrent à ces régions une autre partie, et c’est alors que sont présentés les archevêchés et les évêchés concernés, ibid., p. 312-313.
76Ibid., p. 276-277.
77Ibid., p 280-283.
78Les variations dans le mode de rédaction de la présentation des régions, des sièges archiépiscopaux et de leurs suffragants sont en elles-mêmes révélatrices du travail de compilation de Gervais de Tilbury. On trouve alternativement la forme : De Pollonia. Polonia archiepiscopum habet Kenesensem, et hic habet suffraganeos Wredicilitensem, etc. (ibid., p. 272) ou la forme : In Sicilia sunt tres metropoles. Panormitanus hos habet suffraganeos : Agrigentinensem, Mazarenensem, etc. (ibid., p. 282). Dans le provincial de la chronique de Robert d’Auxerre, la même rubrique prend la forme suivante : In Sicilia. Panormitana metropolis hos habet suffraganeos Agrigentinum, Mazarensem, etc., Schelstrate, Antiquitas ecclesiae dissertationibus…, op. cit., p. 749. À titre de comparaison, en ce qui concerne les formules, la table des cens de Cencio est beaucoup plus sèche. Par exemple pour la Pologne : Polonia. In archiepiscopatu Kenesensi vel Gnesnensi. In episcopatu Vredicilatensi, etc. (Le Liber censuum de l’Église romaine..., op. cit., t. 2, p. 150 ou BAV, Vat. Lat. 8486, fol. 38-38v).
79Voir la contribution de N. Bouloux dans ce volume, p. 59.
80Ibid., p. 59-60.
81A. Paravicini Bagliani, Il potere del papa : corporeità, autorappresentazione, simboli, Florence, Sismel ed. del Galluzzo (Millennio medievale, 21), 2009, p. 311-312.
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