Liste géographique, représentation de l’espace et pensée graphique (Occident latin, Ve-XVe siècle)
p. 51-74
Texte intégral
1La description géographique est certainement le mode de représentation de l’espace le plus répandu dans la géographie savante médiévale et vise essentiellement à découper le réel pour le rendre intelligible. Hérité de l’Antiquité tardive, le schéma descriptif est toujours le même : l’orbis terrarum est divisé en trois parties (Asie, Europe, Afrique), elles-mêmes découpées en provinces définies par leurs confronts, ce qui permet de les localiser les unes par rapport aux autres et de dégager les grandes structures de l’œcumène, en vue de le rendre pensable et mémorisable. Comme dans de nombreux autres secteurs de la culture médiévale, le recours aux textes anciens est systématique, ce qui conduit les clercs (du moins avant les derniers siècles du Moyen Âge) à décrire un espace immuable, immanent, anhistorique (ce qui ne signifie pas pour autant que les clercs n’ont pas conscience de ce qui est moderne).
2Il existe cependant des textes géographiques qui relèvent d’une autre organisation textuelle, la liste, qui déroule une succession de noms d’êtres géographiques, sans liens grammaticaux ou syntaxiques, ce qui en renforce le caractère abstrait1. La Cosmographia de Julius Honorius et son remaniement par le Pseudo-Aethicus en constituent de parfaits exemples, à la fois dans leur forme et par le succès rencontré tout au long du Moyen Âge. Par rapport à la description, la liste apparaît au premier abord comme une forme simple, voire rudimentaire, à la valeur informative limitée. Pourtant la diffusion de ces textes écrits sous forme de listes géographiques montre qu’elles étaient jugées opératoires pour penser l’espace. De fait, depuis les travaux de Jack Goody, l’idée qu’une liste n’est simple qu’en apparence et constitue au contraire une « technologie de l’intellect » essentielle de la rationalité écrite a largement contribué à l’intérêt pour ce type de texte2. La rédaction d’une liste est le résultat d’un procédé complexe, indissociable de l’usage de l’écrit, et, quel que soit son objet, elle résulte d’un procédé intellectuel et graphique dont le but est de comprendre et d’ordonner le monde. Elle permet de stocker l’information, et par voie de conséquence, de communiquer à travers le temps et l’espace ; par sa forme, elle rend possibles toutes sortes de manipulation, de réagencement, de rectification ; par sa disposition graphique, elle peut se lire dans divers sens : elle n’est donc pas contrainte par l’ordre du discours et ne relève pas de l’argumentation mais, en tant que procédé intellectuel et technique d’écriture, la liste est un instrument de rationalisation du monde. Dans ces conditions, il eût été étonnant que les sociétés médiévales n’aient pas eu recours massivement aux listes, ce que l’on observe dans tous les aspects de la vie sociale et intellectuelle. La géographie médiévale n’y échappe pas3.
3Ces considérations générales serviront de cadre à l’étude des listes géographiques et de leur rôle dans les représentations de l’espace en Occident4. La géographie médiévale étant pour l’essentiel fondée sur la connaissance des textes antiques, le point de départ de cette étude portera sur les cosmographies tardo-antiques de Julius Honorius et du Pseudo-Aethicus en vue de donner un aperçu de la manière dont elles étaient lues et utilisées tout au long du Moyen Âge. Dans un deuxième temps, il conviendra de montrer comment des listes modernes, souvent à caractère administratif comme les listes de provinces ecclésiastiques, ont été, en raison de leur contenu onomastique, des outils de la modernisation des représentations spatiales, notamment à partir du XIIe siècle. Par leur disposition graphique, les listes s’apparentent à des diagrammes géographiques, dont elles sont en quelque sorte des équivalents. Elles sont aussi un outil de lecture graphique des textes, dont j’examinerai quelques exemples.
Liste géographique et héritage tardo-antique
4Le point de départ sera fourni par un texte-liste à la fortune remarquable, la Cosmographia de Julius Honorius, et son remaniement par le Pseudo-Aethicus5. La Cosmographia de Julius Honorius se présente comme le résultat de la rédaction de notes prises par un élève lors d’un cours délivré par le maître de grammaire Julius Honorius6. La date du texte est précoce, sans doute antérieure à 376 ; il est attribué à un certain Julius Orator dans le manuscrit le plus ancien ainsi que par Cassiodore. Cette Cosmographia est le produit de l’activité scolaire tardo-antique et du goût de l’aristocratie pour une culture de l’érudition. Elle est concomitante de toutes sortes de textes écrits sous forme de listes entre le IVe et le VIe siècle, comme le Laterculus de Polemius Silvius7 ou les listes de provinces romaines8, qui, tout en étant des listes administratives, ressortissent à des préoccupations érudites proches.
5Le texte a ensuite été remanié, à une date inconnue (probablement avant le VIIIe siècle), par un auteur anonyme désigné par le nom de Pseudo-Aethicus. Le remaniement consiste pour l’essentiel à associer les listes forgées par Julius Honorius avec le chapitre géographique placé par Orose en ouverture de ses Histoires contre les païens (autrement dit une autre forme géographique, la description, perçue comme complémentaire), l’introduction de sommaires destinés à rendre plus lisibles les listes de toponymes et d’un prologue glorifiant la mesure du monde par les envoyés de César9. Au IXe siècle, l’ensemble est augmenté des listes de provinces de l’Empire romain tardif (Notitia Galliarum, Laterculus de Polemius Silvius, Notitia dignitatum), de l’Itinéraire d’Antonin et des descriptions de Rome et de Constantinople. Cet ultime remaniement manifeste l’intérêt des savants carolingiens pour l’éclat passé de l’Empire romain, que l’empire chrétien entend dépasser. Il associe deux formes de représentation considérées comme complémentaires, sans hiérarchisation, la liste et le découpage ordonné de l’espace. Cette association a certainement joué un rôle dans le succès du remaniement carolingien, à la fortune importante, tandis que la Cosmographia de Julius Honorius n’a été que peu copiée au-delà de l’époque carolingienne10.
6La Cosmographia est constituée d’une liste de noms propres, selon un double classement. Elle est divisée en quatre parties selon les points cardinaux (orient, occident, septentrion et midi) – alors que la division habituelle des textes descriptifs, héritée de l’Antiquité, se fait selon les trois parties de l’orbis terrarum, Asie, Europe, Afrique. Aux quatre points cardinaux sont associés les quatre océans qui entourent le monde11. À l’intérieur de ce premier classement, la liste est organisée selon la nature de l’objet géographique auquel se réfère le nom : mers, îles, montagnes, provinces, oppida, fleuves, provinces, gentes, toujours selon cet ordre. Cela donne par exemple :
Insulae orientalis oceani quae sunt : Hippopodes insula, Iannessi insula, Solis Perusta insula, Taprobane insula, Silenfantine insula, Teron insula12…
7Le texte se présente ainsi pour l’essentiel comme une liste simple, transcrite dans les manuscrits le plus souvent en colonnes, parfois en lignes. Seules les sections consacrées aux fleuves, décrits depuis leur source à leur embouchure, transgressent cette forme. La complexité de la tradition manuscrite, due comme souvent au grand nombre de manuscrits, est renforcée par cette disposition en liste qui facilite les erreurs de copie, les remaniements et les interpolations13.
8Comment expliquer qu’un texte réduit à une liste de noms propres géographiques ait connu un tel succès ? La forme de liste a-t-elle joué un rôle ? Le remaniement dû au Pseudo-Aethicus associe en outre, comme nous l’avons vu, plusieurs formes de représentation de l’espace, ce qui, de fait, rend difficile l’appréciation de l’influence de la forme de liste dans le succès de la Cosmographia. Néanmoins, le fait qu’en dehors de la description d’Orose, la plupart des textes ajoutés sont eux-mêmes des listes incite à penser que la forme même du texte a contribué à sa diffusion, par ailleurs favorisée par la portée symbolique du prologue. L’écriture du texte est en effet placée sous le patronage de César-Auguste, qui aurait envoyé des « arpenteurs » pour recenser le monde habité afin d’imposer un tribut, ce qui, aux yeux de ses utilisateurs, en garantissait la fiabilité et la valeur, tant la connaissance parfaite de l’orbis terrarum était idéologiquement liée à sa conquête par les empereurs romains.
9L’énumération de noms qui ne sont souvent plus en usage au moment où le texte a été copié ou utilisé signale aussi une pratique scolaire. Les gloses accompagnant les textes antiques de genres divers à la base de l’enseignement (par exemple le De bello civili de Lucain) visent souvent à identifier la nature géographique des noms lus par l’élève, informations que donne la Cosmographia. Plus généralement, le texte est opératoire parce que sa forme favorise la mémorisation des lieux du monde, connaissance relevant de la culture commune des lettrés. C’est donc vraisemblablement en raison de leur efficience pratique que les listes du pseudo-Aethicus ont continué à être copiées, à être utilisées et à nourrir les descriptions géographiques.
10Ainsi, au début du XIIe siècle, Lambert de Saint-Omer, chanoine de l’église Sainte-Marie de Saint-Omer, utilise les listes du Pseudo-Aethicus dans son Liber floridus. Dans cet ouvrage d’édification à visée eschatologique, Lambert fournit aux chanoines de Saint-Omer une description ordonnée de l’ensemble de l’univers où la géographie de l’orbis terrarum tient une place importante. Celle-ci est principalement décrite sur la base de la Cosmographia du Pseudo-Aethicus, dont un exemplaire se trouvait dans la bibliothèque du chapitre, ainsi que sur le chapitre géographique des Historiae adversus paganos d’Orose, disponible dans le même manuscrit14. Le Liber floridus se caractérise par l’usage préférentiel des représentations graphiques, sous forme de listes, de tableaux, de diagrammes astronomiques et géographiques, de cartes et d’images originales. La liste de noms géographiques s’insérait presque naturellement dans la méthode de travail de Lambert, sur laquelle je reviendrai plus bas.
11Au XIIIe siècle, Albert le Grand s’inspire de la Cosmographia dans le De natura loci, écrit entre 1251 et 1254, consacré à définir et à caractériser les qualités naturelles qui déterminent un lieu15. Le De natura loci a une structure en trois parties16. Dans les deux premières, le docteur universel analyse les propriétés des lieux selon leur situation, discute de leur habitabilité selon leur position par rapport à la surface terrestre (en analysant par exemple l’effet de l’altitude sur la qualité des lieux) et étudie les influences engendrées sur les êtres qui les habitent. La troisième partie est une « cosmographia » qui s’avère être une reprise des listes de la Cosmographia du Pseudo-Aethicus. Cette dernière partie pourrait paraître surprenante à première vue. Quel rapport existe-t-il entre un exposé complexe sur la nature des lieux et une liste de noms géographiques antiques sans guère de correspondance avec le monde où vit Albert le Grand ? La raison d’être trouve son origine dans un traité qu’Albert croit être d’Aristote, le De natura latitudinis et longitudinis locorum et locatorum17, qui n’était pas parvenu dans sa totalité à Albert mais qui, d’après lui, contenait une description du monde. Ne disposant pas de cette géographie « aristoté-licienne », il cherche à lui substituer une autre description du monde et choisit la Cosmographia du Pseudo-Aethicus. Le manuscrit utilisé par Albert le Grand était certainement un de ceux qui attribuent le texte à l’empereur romain César-Auguste (sans mentionner le nom d’Aethicus)18, ce qui garantissait de facto la valeur du texte. Sans se contenter de recopier in extenso le texte, Albert montre une claire conscience que la Cosmographia décrit une réalité disparue19.
12Ce constat de l’inadéquation entre les listes de la Cosmographia et la réalité contemporaine ne rend pas pour autant caduque la valeur du texte aux yeux d’Albert, qui procède à son adaptation. Il ponctue le texte de remarques personnelles20, indique les erreurs ou explique certains manques21, fait des ajouts (notamment les villes d’Allemagne), intervenant de la sorte directement dans le texte. Albert le Grand ne s’est donc pas contenté de copier les listes dont il a fait un usage critique. La forme graphique de la liste peut aussi engendrer des erreurs de lecture, dont il est difficile de déterminer si elles sont le fait d’Albert ou du manuscrit qu’il consultait. Ainsi dans la liste des mers, le Pseudo-Aethicus mentionne à la suite mare gaditanum fretum, mare columnas Hercules – ce qui est une redondance car il s’agit du même espace maritime, le détroit de Gibraltar. Mais chez Albert, les mers sont devenues mare Gaditanum, mare ad columnam Herculis, mare quod dicitur Fretum22.
13Dans l’ensemble, Albert se livre aux manipulations que permet la forme de liste : ajouts, remaniements, rectifications. Les listes sont ainsi livrées au lecteur avec les commentaires qui permettent d’en comprendre l’utilité et les manques, qui viennent pour partie des changements importants subis par l’espace depuis l’époque d’Auguste. Les modifications qu’il apporte à la Cosmographia indiquent l’importance que revêt cette troisième partie à ses yeux dans l’économie d’ensemble du traité. Le De natura loci étudie la nature des lieux dans le cadre de la physique aristotélicienne. Albert le Grand examine en particulier la possibilité d’habitation des lieux en fonction de leur nature, déterminée par les conditions naturelles (notamment l’altitude) et par leur situation dans l’œcumène. La notion selon laquelle la nature d’un lieu exerce une vertu active sur ce qui est placé en lui constitue l’idée centrale du traité23. La liste de lieux géographiques fournie par la Cosmographia apporte l’élément concret de cette scientia locorum24.
14Albert témoigne aussi constamment de la conscience des transformations qui ont affecté l’espace depuis l’écriture de la Cosmographia. Au début du XIVe siècle, le notaire Benzo d’Alessandria consacre un chapitre de son Chronicon à la description du monde, en se fondant essentiellement sur les Étymologies d’Isidore de Séville. Il donne en prologue la classique division du monde en trois parties, puis recopie la Cosmographia du Pseudo-Aethicus, sans cependant la donner in extenso mais en l’abrégeant des noms moins connus ou moins fréquents chez les historiens, manifestant ainsi sa conscience du caractère dépassé de la liste des noms25. Au XVe siècle, les listes de noms antiques n’ont rien perdu de leur valeur : la Cosmographia est encore très fréquemment copiée dans le milieu humaniste, en tant que reflet d’une réalité disparue et admirée. Quant à la Géographie de Ptolémée, traduite au début du XVe siècle, elle est l’exemple même d’un texte sous forme de listes de toponymes antiques.
Liste et modernisation des représentations de l’espace
15Des listes de nature différente servent à la modernisation de l’espace, qui s’enclenche dès le XIIe siècle et s’accélère à partir du XIIIe siècle. Les principaux traits de la géographie descriptive, que j’ai rappelés en introduction, entrent en conflit avec la conscience des changements dans l’ordre spatial intervenus depuis les descriptions d’Orose et d’Isidore de Séville26. De plus en plus souvent, les savants commencent à ressentir la nécessité de mettre une réalité contemporaine sous les noms anciens. Un long processus de modernisation des textes géographiques s’engage, qui affecte en particulier les modalités de découpage de l’espace. La tendance n’est pas à substituer des descriptions totalement modernes aux textes fondateurs d’Orose et d’Isidore, mais le plus souvent à juxtaposer des données modernes aux anciennes. Dans ce processus, les listes « modernes », c’est-à-dire des listes qui entrent le plus souvent dans la catégorie liste administrative, constituent un outil essentiel.
16Les Otia imperialia (Divertissements pour un empereur) de Gervais de Tilbury (1155-1233/1234) fournissent un exemple précoce de ce procédé. L’ouvrage est organisé en trois parties, la première consacrée à un exposé sur la création, la deuxième à une description du monde associée à un résumé d’histoire universelle et la troisième constituée d’un recueil de mirabilia27. Dans sa deuxième partie, Gervais de Tilbury suit le modèle de la description du monde d’Orose, sa source principale. Mais il est aussi un des premiers à chercher à adapter l’image du monde reçue de l’Antiquité et du haut Moyen Âge aux réalités contemporaines. Il utilise pour cela le Provinciale Romanae ecclesiae, regroupant la liste d’évêchés du monde romain rassemblés en provinces ecclésiastiques élaborée dans la seconde moitié du XIIe siècle, constamment tenue à jour. Cette liste à l’histoire textuelle complexe se transmet principalement dans les collections canoniques et les chroniques universelles. Elle est souvent associée aux listes des provinces romaines tardo-antiques évoquées ci-dessus, le Laterculus de Polemius Silivus, la Notitia Galliarum ou encore une liste des provinces d’Italie28. D’après ses éditeurs, Gervais aurait utilisé une version proche du Liber censuum, compilé en 1192 par le cardinal Cencius, futur pape Honorius III29. Gervais de Tilbury a donc sous les yeux deux types de listes, l’une moderne, le Provincial, l’autre, ancienne, proche ou directement issue du Laterculus de Polemius Silvius, transmettant diverses formes de divisions en provinces de l’empire romain tardif. Il les a utilisées toutes les deux et explique dans un exposé méthodologique son but et sa manière de procéder : « Nous avons suivi Orose et les autres historiens ainsi que le registre de l’Église romaine que nous avons cité mot à mot. Dans cette liste de provinces du registre romain [que nous avons donnée plus haut], l’ordre que nous avons suivi n’est pas organisé selon les archevêchés, mais d’après les anciens offices de l’Empire romain, gouverneur ou proconsul, préfet ou juge30. »
17Gervais de Tilbury a le plus souvent associé sur le mode de la juxtaposition deux modalités de description de l’espace, le modèle oroséen qui décrit l’espace sur la base de la division en provinces et celui de la liste, produit de la division administrative contemporaine, élaborée par l’Église universelle qui vise à établir sa domination à l’échelle de l’œcumène. Il introduit régulièrement des extraits du Provincial dans sa description tant dans la partie concernant l’Asie que dans celle relative à l’Europe. Ces listes ont à ses yeux deux fonctions essentielles : compléter et moderniser la description géographique en fournissant des noms nouveaux de cités dans des espaces que les Anciens connaissaient mal ; illustrer la puissance universelle de l’Église sur le monde31. Mais comme il l’indique dans son exposé méthodologique, il insère aussi une liste des provinces anciennes, qui n’est pas, cette fois, organisée selon les archevêchés, mais d’après les anciens offices de l’Empire romain, liste proche du Laterculus32. Gervais se réfère à cette ancienne réalité administrative, qui n’existe plus de son temps. Ce peut être l’effet d’un goût pour l’érudition ou d’une volonté d’exhaustivité, mais son but est avant tout moralisant : donner les noms des anciens provinces administratives de l’Empire romain rappelle combien les souverainetés politiques sont périssables et fluctuantes et cette leçon s’adresse en première intention au dédicataire de l’ouvrage, l’empereur Otton de Brünswick.
18Aux yeux de Gervais, la liste, qu’elle soit ancienne ou moderne, est une forme de représentation de l’espace jugée opératoire. C’est un outil qui aide à concevoir l’état du monde, la place déterminante qu’y tient l’Église, et celle qu’y a tenu autrefois l’Empire romain.
19Le recours au Provincial pour penser la structure spatiale de l’œcumène n’est pas le propre de Gervais de Tilbury. Jean de Saint-Victor est l’auteur d’un vaste traité géographique inséré en ouverture de la deuxième version de son histoire universelle, le Memoriale historiarum, composé entre 1302 et 1326. Il est aussi l’auteur d’un autre traité de géopolitique, le Traité de la division des royaumes, qui décrit les différentes souverainetés qui se sont succédé dans l’orbis terrarum. Jean réserve un traitement particulier à la Gaule, le siège du royaume de France33. Dans la description géographique proprement dite, il consacre un long développement à la manière de diviser la Gaule, en juxtaposant les divisions trouvées dans les textes géographiques anciens, en vue de déterminer la meilleure. Il aboutit à une aporie due aux contradictions des auteurs. Dans le Traité de la division du royaume, il procède différemment en proposant une division moderne fondée sur ses connaissances personnelles et sur une liste des provinces ecclésiastiques, qui lui sert à structurer et à moderniser la description de l’espace du royaume. Sur la question de la division de la Gaule/royaume de France, la méthode compilatoire de Jean et les choix divergents qu’il fait entre une géographie « anhistorique », celle de la description qui ouvre le Memoriale, et celle d’une « géopolitique moderne » insérée dans le Traité de la division du royaume, traduit en fait une crise de la géographie descriptive. Celle-ci, déterminée par des descriptions antiques, sans rapport avec les réalités modernes, aboutit à des apories. Dans le Traité de la division des royaumes, la liste administrative des provinces ecclésiastiques, moderne par nature, vient en partie (seulement) résoudre la crise34.
20Un autre exemple vient confirmer l’utilité de listes donnant des noms modernes pour une description contemporaine de l’espace : les listes des souverainetés féodales, qui fournissent un moyen efficace de représentation de l’espace en relation avec l’exercice du pouvoir. Au XVe siècle, plusieurs manuscrits liés au milieu des officiers royaux présentent une liste féodale associée à une liste des noms de villes du royaume de France35. C’est le cas du manuscrit français 5930 conservé à la Bibliothèque nationale (XVe siècle) où les cités sont énumérées et classées selon les régions constituant le royaume et sont suivies de l’énumération des ducs et des comtes de France36. Ces listes, par nature proches du Provincial, ressortissent aussi à la culture nobiliaire des hérauts d’armes, milieu propice au développement d’une culture géographique laïque, qui aboutit à l’écriture de traités décrivant le monde37. Un des plus célèbres, Gilles le Bouvier, surnommé Berry, a écrit une Description du livre des pays. Dans sa description du royaume de France, Gilles le Bouvier exprime une perception féodale de l’espace du royaume38. Le seul manuscrit qui nous soit parvenu du traité s’achève sur une liste des évêchés du royaume, suivie d’une liste des duchés et comtés, et enfin d’un court texte relatif à une évaluation des revenus du royaume39. La liste féodale a certainement constitué une source appréciable de données géographiques.
21Un autre traité de géographie écrit par un héraut d’arme anonyme confirme ce constat. Le Livro de Arautos ou De ministerio armorum est une description du monde écrite en 1416 par un héraut d’arme d’origine portugaise. Le latin de l’auteur est rudimentaire. La description, centrée sur les royaumes de l’Occident latin, vise essentiellement à déterminer l’espace selon les dominations politiques. La description de la Suisse se caractérise par l’insertion d’une liste féodale que l’auteur a pu trouver lors de son séjour au concile de Constance :
Et in dicta patria sunt comitatus et episcopatus, scilicet Constancia, Ospuga, Argentina et Basilia. Et sunt in dicta terra marquiones de Hobergo, comes de Vertaniberch, marquio de Bada, marquio de Hoberg, dominus in Roentellu, dux de Tech, dux de Chiltach, comes de Sangans, comes de Rossuyus, comes de Pludeins, comes de Tochhuburt, comes de Mont Fort, comes de Felckierch, comes de Rinegg, comes de Bregans, comes de Tectuang, comes de Sancto Monte id est Hailgenberg, comes de Uellenbourg, comes de Furstenberg, comes de Zolr, comes de Vurtenberg nobilis et magnus dominus. Et comites et domini qui sunt sub se et in sua obediencia, videlicet comes de Veringen, comes de La Scher, comes de Herhenberg, comes de Tubengen, comes de Sigmaringen, comes de Aichelberg ; et multi alii domini et barones. En la Bassa Suauia comes de Helfestin, comes de Oetingen, comes de Kirhberg, comes de Hohenberg, comes de Soultz, comes de Fribourc, comes de Tirstein, comes de Habchspourg de quo dux de Haulte Riche tenet dominium et est nobilis comitatus et magnum dominium ; comes de Zimbereij et cetera. Secuntur nobiles barones ; primo baro de Roseneg, baro de Boussuang, baro de Cligen, baron de Hennen, baro de Lonefen, baro de End, baro de Sacx, dominus de Clingenberg40.
22Cette liste vient compléter la description de la Suisse (Souabe) qui vise d’abord à identifier la région par sa forme et ses limites41, puis à caractériser quelques éléments géographiques spécifiques (les fleuves, la langue, etc.). L’auteur montre une capacité d’abstraction et d’analyse de l’espace topographique que vient enrichir, dans un second temps, l’énumération des dominations féodales qui ressortissent à une appréhension de l’espace de nature différente. Cette fois, la liste ne vient pas moderniser une description fondée sur la lecture des anciens, comme nous l’avons vu à l’œuvre chez Gervais de Tilbury ou Jean de Saint-Victor (la géographie du héraut d’arme est par nature « moderne ») mais elle relève d’une représentation d’un espace laïc, politique et familier à ses lecteurs.
La liste comme équivalent du diagramme cartographique
23L’aspect graphique de la liste prend facilement la forme d’un diagramme cartographique dans lequel s’inscrit une succession de noms géographiques. Il en existe deux types, celui qui dessine l’ensemble de la sphère terrestre, le plus souvent associé au Commentaire sur le songe de Scipion de Macrobe, et celui qui représente l’œcumène (orbis terrarum) divisé en trois parties42. Les diagrammes relevant de ce second type insèrent parfois un élément textuel en forme de liste.
24Dans les manuscrits conservant des œuvres de Salluste, une mappemonde tripartite est parfois dessinée au début de la Guerre de Jugurtha, qui s’ouvre par une rapide description de la topographie de l’Afrique. Si certaines des cartes qui accompagnent l’ouvrage se limitent à placer les noms lus dans la Guerre de Jugurtha, la plupart ajoutent des informations géographiques en Europe et en Asie. C’est le cas par exemple d’une mappemonde conservée dans un manuscrit de Salluste datant de la fin du Xe-début du XIe siècle, originaire probablement d’Allemagne (fig. 1)43. La carte, située dans la partie supérieure d’un folio blanc en face du début du Jugurtha, dessine l’œcumène tripartite. En Afrique, les toponymes, distribués en vue de respecter plus ou moins la topographie, correspondent au texte de Salluste (Carthage, Catabathmon, les autels des Philènes, les Numides, les Gépides, etc.). Sur cette mappemonde, le copiste a aussi inséré des listes de noms en Asie et en Europe. Il les a disposés sur trois colonnes en Asie, ce qui correspond aux trois grandes régions asiatiques (Asie Mineure à gauche, Asie centrale, Égypte à droite44). En Europe, une répartition en deux colonnes a été choisie, l’une pour les pays de l’Europe du Nord et centrale (réduite ici à la Hongrie et à la Germanie), l’autre pour les pays méditerranéens (la Grèce avec des villes, l’Italie, l’Espagne). La disposition en colonnes reflète des ensembles régionaux à l’intérieur desquels la liste respecte une succession topographique. Sur des mappemondes similaires, il arrive que la liste des noms géographiques ne reproduise aucune disposition topographique. C’est le cas par exemple d’une mappemonde accompagnant les œuvres de Bède consacrées à la chronologie et au comput, dans un manuscrit datant du XIe siècle où les noms se présentent simplement sous la forme d’une liste inscrite sous une forme linéaire, s’apparentant à un texte ordinaire45.
25Ces diagrammes, qu’ils suivent une organisation topographique ou non, relèvent des méthodes de l’enseignement. Ils permettent de situer graphiquement les noms lus dans le texte, la carte fonctionnant en quelque sorte comme l’équivalent graphique du texte, en relation avec un procédé d’apprentissage46. Lorsque le diagramme apporte en sus des noms qui n’apparaissent pas dans l’œuvre qu’il accompagne, il sert aussi à contextualiser les faits ou les notions rapportés par l’ouvrage. Des exemples de ce type sont nombreux. À chaque fois, la forme de la liste, ordonnée en colonne ou linéairement, s’avère particulièrement efficace pour remplir la carte. Le choix de distribuer les toponymes en colonnes montre que le concepteur de la carte a conscience qu’il peut faciliter la lecture et la mémorisation des noms en utilisant cette forme graphique.
26Des diagrammes cartographiques prennent parfois place dans des manuscrits à visée encyclopédique, où la carte revêt alors des fonctions plus complexes, ce qui influe sur son aspect général. C’est le cas par exemple d’une mappemonde dessinée dans un manuscrit confectionné entre 1145 et 1152, qui provient du monastère de Saint-Emmeran de Ratisbonne47. La carte, tripartite, contient cinquante-sept noms géographiques entourés d’un trait rouge. Elle est du même type que celles qui accompagnent les manuscrits de Salluste, et surmonte un carré divisé en trois parties, représentant le peuplement du monde par les fils de Noé, que l’on rencontre dans certains exemplaires d’Isidore de Séville. Le manuscrit contient l’Imago mundi d’Honorius Augustodunensis, les Epistulae ad Paulum du Pseudo-Sénèque et des commentaires de la Genèse et du livre d’Isaïe et de Joël, suivis d’extraits divers (entre autres les douze merveilles du monde). Des illustrations sont rassemblées à la fin du manuscrit, où se trouve aussi la mappemonde (fig. 2)48. La carte est une carte-liste mais la distribution spatiale est complexe. La mappemonde est entourée de deux cercles, dans lesquels sont inscrits les quatre points cardinaux (hec pars orientalis, hec pars occidentalis, etc.), sur le modèle de la Cosmographia du Pseudo-Aethicus. Des traits toujours à l’encre rouge délimitent les régions au sein des trois partes de l’orbis terrarum. Une attention particulière est portée aux limites du monde figurées par des colonnes ou des autels. Dans ce manuscrit de nature encyclopédique, la carte dessinée à la fin du codex fonctionne comme un résumé des connaissances géographiques, permettant de visualiser les principaux lieux du monde et ses limites. Plus complexe que les dessins analysés jusqu’ici, elle s’approche des mappemondes détaillées, dessinées dans les manuscrits ou sur les murs d’édifices religieux ou publics.
27Celles-ci, par l’abondance des détails et la complexité des formes graphiques qu’elles adoptent, sont différentes par nature des cartes-listes. Il arrive pourtant qu’elles soient associées à un diagramme de ce type. C’est le cas dans un manuscrit du Psautier, au programme iconographique remarquable, où une mappemonde détaillée et un diagramme tripartite reprenant la forme de la liste sont dessinés sur un même folio, la première sur le recto, la seconde sur le verso49. La mappemonde détaillée est probablement la copie d’une carte murale. Elle appartient à la famille des cartes anglo-normandes dont l’origine est vraisemblablement la mappemonde murale du monastère de Saint-Victor à Paris50. Elle est surmontée d’un Christ en majesté entouré de deux anges, et surplombe deux dragons. Dessinée au milieu du XIIIe siècle, elle révèle un approfondissement de la christianisation de l’espace à mettre en relation avec le développement de la culture scolastique. Cet aspect est particulièrement sensible dans l’importance accordée par la carte à l’histoire du Christ et à l’évangélisation51. Au verso de la carte a été dessiné le diagramme tripartite rempli par des listes de provinces et de cités (environ cent quarante noms). Un effet de mimétisme voulu par le scribe avec la carte au recto est exprimé par le dessin du corps du Christ qui embrasse l’orbis terrarum. Ses pieds piétinent deux dragons tandis que sa tête est entourée de quatre anges. Le même folio associe deux cartes de natures et de buts différents. La première, détaillée, fournit des informations de nature géographique, historique, encyclopédique et s’attache particulièrement à la vie du Christ sur terre. La seconde introduit la forme graphique de la liste dans le diagramme tripartite. Les deux cartes représentent sur un mode complémentaire le réel géographique transcendé par la présence du Christ, qui dirige la lecture des cartes vers la contemplation.
28Les quelques mappemondes analysées tendent à montrer l’équivalence implicite entre la liste constituée d’une succession de noms géographiques, les diagrammes cartographiques où s’inscrivent ces listes et les mappemondes détaillées. D’une manière générale, la carte, détaillée ou simplifiée, entretient des rapports étroits avec le texte, à la fois équivalent et complémentaire52. Le rapport d’analogie s’accentue entre la liste, qui prend souvent un aspect graphique (amoindri lorsqu’elle s’écrit linéairement) et le diagramme cartographique qui, dans les cas étudiés ci-dessus, n’est souvent rien d’autre qu’une liste organisée graphiquement selon les trois parties du monde, au sein desquelles elle est parfois répartie en colonnes signifiant les grandes régions du monde. Dans son De natura loci, Albert le Grand exprime explicitement cette idée lorsqu’il écrit : « La description que nous entreprenons, nous ne la faisons pas sous la forme d’une figure mais sous la forme d’une narration en vue de montrer le site du monde, c’est-à-dire ce qui se trouve sous quelle partie et sous quel ordre et ainsi chacun pourra imaginer pour lui une figure de l’habitable53. »
Pratique de la liste et techniques intellectuelles
29Les exemples développés précédemment ont surtout visé à décrire la variété et la permanence du recours à la liste dans la culture géographique médiévale, dont on peut dire qu’elle est une forme de représentation de l’espace qui combine des aspects textuels et graphiques. Il reste cependant à considérer la pratique des listes, à la fois dans leur constitution et dans les processus cognitifs qu’elles impliquent. Ces derniers sont plus complexes que ne le laisse penser la forme a priori élémentaire de la liste – une succession de noms – , ce qui explique que, bien qu’elle ait été une des premières formes prises par l’écriture, elle survive dans les sociétés modernes de l’écrit.
30Comment dresser une liste de noms géographiques ? Il existe deux possibilités de nature différente que je traiterai à partir de deux exemples. Revenons tout d’abord à notre point de départ, la Cosmographia de Julius Honorius. Elle est le résultat écrit sous forme de liste d’un cours professé par le maître de grammaire devant une grande mappemonde murale dont il aurait extrait des noms qui risquaient d’être mal lus et qu’un élève a transcrits sous la forme d’un compendium54. La lecture d’une carte, probablement très détaillée, est donc à l’origine de la liste de noms géographiques qui eut une influence durable sur les représentations de l’espace. Or la lecture d’une carte n’est pas un procédé intellectuel aussi simple qu’on le croit communément. Il faut repérer et identifier les êtres géographiques. En dresser la liste implique en outre de classer des noms qui sont distribués spatialement, ce que le maître a fait en fonction de deux critères : l’un est topographique (en divisant l’espace de la carte en quatre parties selon les repères cardinaux fournis par les océans), tandis que l’autre est défini par la nature de l’être géographique désigné par le nom (fleuve, île, ville, gens, etc.).
31Inversement, une liste peut servir à dresser une carte. C’est exactement la manière de procéder de Lambert de Saint-Omer, au début du XIIe siècle. Disposant d’un manuscrit de la Cosmographia du Pseudo-Aethicus, habitué à combiner des modes de représentation à la fois graphiques et textuels, Lambert dessine une mappemonde schématique, du type TO, en y insérant des extraits du texte du Pseudo-Aethicus (fig. 3). Il lui a fallu pour cela sélectionner des noms et surtout passer d’un système de classement selon les quatre points cardinaux à une distribution des noms selon les trois parties de l’orbis terrarum. Ce seul fait implique une réorganisation de la liste, qu’il réalise simplement en attribuant à l’Asie les peuples de la partie septentrionale et orientale, à l’Europe les peuples de la partie occidentale, et à l’Afrique ceux de la partie méridionale55. La carte vise à exposer la répartition des gentes et le peuplement de la Terre et, par là, à donner le cadre spatial où se déroule l’histoire des hommes. Elle précède d’ailleurs deux schémas résumant les âges du monde, ce qui renforce le lien entre espace et temps. Sur la mappemonde, Lambert a conservé l’aspect graphique de la liste, en ordonnant les peuples par colonnes, en soulignant la première lettre du nom à l’encre rouge et en dessinant la division entre l’Asie du Nord et l’Asie orientale d’un trait vertical rouge continu. Pour cette mappemonde, Lambert a donc procédé à une mise en carte de certains éléments de la liste de la Cosmographia, sélectionnés en fonction de son but. Il est aussi familier du procédé inverse, qui consiste à dresser une liste à partir d’une carte. La partie du Liber floridus consacrée à la géographie présente un passage intitulé De provinciis mundi, suivi d’un chapitre consacré aux îles (De insulis). Dans l’ensemble, les données sont proches de celles fournies par les Étymologies d’Isidore de Séville mais l’organisation, les omissions et les ajouts par rapport au texte montrent que Lambert a utilisé une carte, sans doute une grande mappemonde murale. C’est particulièrement net pour la section consacrée aux îles, dont la localisation est manifestement donnée par la lecture d’une carte56. Alors que le Liber floridus a pendant longtemps été considéré comme un ouvrage simpliste et désordonné, la dextérité du chanoine de Saint-Omer à maîtriser des procédés graphiques complexes et à les adapter à ses vues, passant de la liste à la carte et de la carte à la liste, est remarquable.
32Elle n’est certainement pas unique. L’usage de ces deux instruments de connaissance du monde par Lambert vérifie l’équivalence entre la liste et la carte, mais suggère aussi encore combien le système graphique de la liste permet de faciliter la lecture de la carte. D’autres exemples le montrent, à commencer par celui bien connu de Cassiodore. Au début du VIe siècle, il conseille aux moines de Vivarium d’apprendre la géographie d’abord à partir de l’ouvrage de Julius Honorius (la Cosmographia donc) puis à partir d’une carte (pinax) accompagnant l’ouvrage de Denys le Périègète et, en dernier lieu, par la Géographie de Ptolémée57. Au début du XIIIe siècle, Boncompagno da Signa, juriste et rhéteur exerçant à Bologne, décrit dans sa Rhetorica novissima les usages scolaires de la carte dans un passage consacré aux arts de la mémoire :
Comment confier à sa mémoire le nom des provinces, villes, divers lieux et fleuves. Que celui qui désire se rappeler les noms des provinces, des villes, des fleuves et des lieux examine avec attention une mappemonde sur laquelle sont dessinés avec leur légende toutes les provinces du monde, les îles, les lieux déserts, les villes célèbres, les mers et les fleuves. Qu’il lise également Solin, qui a nommé et distingué les parties du monde et spécifié les douze merveilles. Qu’il lise les philosophes et les poètes qui ont traité de ces matières, sans omettre l’Ancien Testament et les histoires des Romains dans lesquels il pourra trouver beaucoup d’informations58.
33L’utilisation conjointe de la carte et des textes géographiques pour mémoriser les principaux éléments de l’œcumène n’est pas en soit une nouveauté. C’est un procédé scolaire classique, qui trouve son origine dans les pratiques tardo-antiques, remarquablement illustrées par la Cosmographia de Julius Honorius. Au XIIe siècle, un changement fondamental transforme l’usage de la carte qui est désormais le support initial de l’apprentissage, à la suite duquel viennent les textes. Cette inversion a pour cadre la promotion de l’image au XIIe siècle mais aussi l’approfondissement du recours aux technologies de l’intellect, en particulier celles qui usent de la raison graphique. Ce qui importe ici, c’est combien la liste, au sens strict de succession de noms géographiques, joue prioritairement dans les processus d’apprentissage : quel que soit l’objet utilisé, d’abord la carte puis le texte, ou d’abord le texte puis la carte, le but est toujours le même : mémoriser une liste de noms. À la fin du XVe siècle, le jeune prince Guidobaldo d’Este est célébré par Vespasiano da Bisticci pour sa mémoire prestigieuse qu’il travaille à l’aide de la Géographie de Ptolémée et de la Bible, qui lui permettent de citer et de localiser les noms géographiques59.
34Pourquoi dans ce cas Boncompagno da Signa renvoie-t-il l’étudiant qui veut apprendre la géographie sous la forme d’une liste aux Collectanea rerum memorabilium de Solin, aux ouvrages des philosophes, des poètes et aux textes sacrés qui n’ont rien d’une liste ? C’est que tous peuvent être une source de noms et que tous peuvent servir aussi à dresser une liste d’êtres géographiques.
35Le développement des instruments de travail au XIIIe siècle tient pour partie aux méthodes graphiques de lecture des textes. Celles-ci sont inséparables de la forme même du codex, où la marge comme les espaces interlinéaires sont les lieux des gloses et des commentaires scolaires, mais aussi de la composition de sortes de pré-index. Dans de très nombreux manuscrits géographiques, les marges sont remplies de manchettes de noms de lieux, qui servent à repérer les passages du texte et constituent par là même des ancêtres des index. Un manuscrit du XIVe siècle conservant de nombreux textes historiques et les Collectanea rerum memorabilium de Solin a été l’objet d’un travail soigné de mise en page et de repères marginaux, tant pour les textes historiques que pour celui de Solin, qui se caractérise par l’abondance des noms de lieux inscrits dans la marge60. Tous les textes géographiques peuvent ainsi faire l’objet d’une lecture graphique qui aboutit à la constitution de listes de noms géographiques dans les marges, pratique susceptible d’être appliquée à d’autres textes, en particulier les textes historiques qui, d’une manière ou d’une autre, s’inscrivent dans l’espace et mentionnent des noms de lieux.
36Extraire des termes onomastiques d’un texte constitue assurément un outil de lecture et d’assimilation du contenu géographique efficace. Au milieu du XVe siècle, Simon de Plumetot, officier du parlement de Paris, a rassemblé une bibliothèque impressionnante qu’il laisse à l’abbaye de Saint-Victor en 1436, lorsqu’il est contraint de rejoindre sa Normandie natale en raison de ses choix pro-bourguignons dans les années 1420. Dans les papiers qu’il a laissés en même temps que ses livres se trouvent des notes géographiques issues de sa lecture de la Guerre des Gaules de César. Simon de Plumetot était féru de géographie. Il possédait un exemplaire du De Chorographia de Pomponius Mela et il connaissait la Géographie de Ptolémée. La lecture qu’il a faite de l’ouvrage de César est principalement géographique61. Il a extrait les noms de lieux mentionnés dans le texte sous la forme d’une liste de noms géographiques, qu’il a dans un second temps cherché à identifier avec les noms modernes. Si au début des notes, Simon de Plumetot recopie et résume certains passages du texte, son travail de lecture tend de plus en plus à prendre la forme d’une simple liste, qui permet d’extraire du texte des informations spécifiques mais aussi de les retravailler ultérieurement. L’examen attentif des feuillets montre en effet que Simon de Plumetot a procédé à des ajouts en marges inférieures et dans l’espace interlinéaire, où il a effectué une identification avec des noms modernes et des renvois vers d’autres traités géographiques.
37Les notes géographiques de Simon de Plumetot relèvent d’un travail intellectuel sur des textes de géographies savantes. Mais il est aussi officier au service de l’état royal. Les habitudes intellectuelles mises en œuvre dans l’ordre des savoirs ont aussi bien pu être appliquées dans ses fonctions professionnelles, ce que vient confirmer en partie le manuel de chancellerie d’Odart Morchesne, notaire et secrétaire de Charles VII (1427)62. Ce formulaire a pour fonction de transmettre les pratiques rédactionnelles qu’un officier royal doit nécessairement maîtriser. À la fin du manuel, l’auteur présente une liste des provinces ecclésiastiques et des diocèses du royaume et des pays voisins, suivie d’une liste bilingue des « pais » (c’est-à-dire des grandes régions de la France)63. Les notaires royaux, pour travailler efficacement, doivent non seulement avoir une connaissance précise de la géographie du royaume mais aussi des particularismes locaux. Certains modèles de lettres sont réservés à des régions particulières ; les règles de rédaction sont fonction de la géographie du royaume (en vulgaire pour les pays de droit coutumier, en latin pour les pays de droit écrit)64. L’examen du formulaire révèle une connaissance très précise des réalités du domaine royal, des grands fiefs tenus par le roi et des terres qui sont du ressort de la souveraineté. Les listes associées au recueil ont un but immédiatement pratique (contrôler les traductions des noms de lieux). Elles sont aussi ordonnées : d’abord Paris, puis le Nord, l’Ouest, le Sud et le Centre et enfin l’Est. Parmi les instruments utiles aux officiers royaux, le répertoire dressé en 1420 pour retrouver les documents enregistrés dans le Trésor des Chartes se caractérise par l’abondance des noms de lieux, en relation avec une géographie féodale65.
38Dans le domaine de la géographie, comme dans bien d’autres domaines, la liste d’objets géographiques est fréquente et constitue bien une des formes textuelles par laquelle l’espace est pensé et représenté. Il faut souligner à cet égard l’importance de l’héritage tardo-antique, non seulement dans la transmission de textes en forme de liste, en premier lieu la Cosmographia, mais aussi de méthodes scolaires d’apprentissage où la liste de noms géographiques joue un rôle essentiel comme outil d’explication des textes et dans la mémorisation des connaissances sur le monde. À l’orée des Temps modernes, Vespasiano da Bisticci loue la mémoire prestigieuse du jeune prince Guidobaldo qui ne fait rien d’autre que mémoriser des listes de noms géographiques.
39La forme graphique de la liste explique le rôle qu’elle joue dans les mécanismes cognitifs qui permettent de trier le réel géographique, de l’ordonner et de le mémoriser. La lecture d’un texte, de nature géographique ou non, pour en extraire une liste de toponymes relève des « technologies de l’intellect » telles que les a définies Jack Goody66. Tirer des mots d’un texte, les rapprocher ou au contraire les distinguer comme on le voit faire par Simon de Plumetot qui cherche, après avoir dressé la liste de termes géographiques lus dans la Guerre des Gaules de César, à les faire coïncider avec les noms de son époque, c’est encore un mécanisme graphique de mise en ordre du réel, tout comme l’extraction de noms d’une carte ou l’élaboration d’un diagramme cartographique à partir d’une liste de noms.
40Mais une liste est-elle seulement un outil cognitif efficace ? C’est certainement cette caractéristique première qui explique le succès de la liste à travers les temps, non seulement dans les sociétés qui ont inventé l’écriture, mais aussi dans celles où l’écrit est une composante sociale essentielle. Mais chaque liste peut être munie d’une valeur propre, susceptible de se transformer. C’est ce qui explique que la Cosmographia puisse être utilisée par Albert le Grand en plein XIIIe siècle, malgré son caractère dépassé et qu’elle soit encore copiée au XVe siècle dans les cercles humanistes à cause de son caractère dépassé. De ce point de vue, une liste géographique a donc une double utilité, pratique, en tant qu’instrument cognitif, et idéelle, en tant que reflet des conceptions de l’espace de son ou de ses concepteurs et de ses utilisateurs.
Fig. 1 – Mappemonde tracée dans un manuscrit de Salluste, originaire probablement d’Allemagne (fin Xe-début XIe siècle)

Fig. 2 – Mappemonde tracée dans un manuscrit provenant du monastère de Saint-Emmeran de Ratisbonne (entre 1145 et 1152)

Fig. 3 – Mappemonde tracée dans le Liber Floridus de Lambert de Saint-Omer (début XIIe siècle)

Notes de bas de page
1Elle relève donc d’une liste simple, telle que l’a définie B. Sève, De haut en bas. Philosophie des listes, Paris, Seuil, 2010, p. 25 sq.
2J. Goody, La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Paris, Éditions de Minuit, 1977.
3Pour autant, les ouvrages qui se sont intéressés récemment à la liste ne se sont souciés qu’exceptionnellement d’inclure la géographie (R.-D. Chelaru, « Towards a Missionary Geography : the Lists of Moldavian Catholic Parishes Form the A 7th and 18th Centuries in the Correspondence of the Propaganda Fides Missionaries », dans L. Dolezalova [dir.], The Charm of a List from the Summarians to Computerised Data Processing, Newcastle, Cambridge Scholars, 2009, p. 139-159). Rien de ce genre dans l’ouvrage dirigé par G. Salinero, M. Á. Melón Jiménez : Le temps des listes. Représenter, savoir, croire à l’époque moderne, Bruxelles, Peter Lang, 2018.
4Je laisserai cependant de côté un type particulier de liste, les itinéraires, nombreux dans l’Occident latin. Ils s’apparentent au deuxième type de liste défini par Jack Goody, la liste prospective, qui sert de guide et de plan pour une action future. Les guides de pèlerinage relèvent de ce type. C’est un genre à part entière, qui mériterait une étude à part, en raison notamment de son caractère rétrospectif. L’itinéraire, en particulier lorsqu’il concerne les pèlerinages en Terre sainte, ne sert pas seulement à prévoir un voyage et à transmettre des informations, il peut aussi permettre de revivre ou de faire vivre au lecteur, par un processus de représentations mentales, un pèlerinage accompli en esprit. Voir K. M. Rudy, Virtual Pilgrimages in the Convent. Imagining Jerusalem in the late Middle Ages, Turnhout, Brepols, 2011.
5P. Gautier Dalché, « Les “quatre sages” de Jules César et la “mesure du monde” selon Julius Honorius, II : la tradition médiévale », Journal des savants, 1987, p. 184-209.
6Cosmographia, dans Geographi latini minores, A. Riese (éd.), Heilbronn, Apud Henningeros fratres, 1878, p. 21-55. Pour une critique de l’édition de Riese et de son interprétation de la tradition manuscrite, voir P. Gautier Dalché, « Les “quatre sages”… », art. cité, p. 183-184.
7Polemius Silvius, Laterculus, dans Chronica minora saec. IV, V, VI, VII, T. Mommsen (éd.), Berlin, Weidmann (MGH, Auctores Antiquissimi, 9), 1892, p. 511-542. L’ouvrage est composite et contient entre autres une liste des empereurs, une liste des provinces romaines et une liste zoologique.
8La Notitia Galliarum, issue d’un document civil de l’administration impériale, dresse une liste de dix-sept provinces et cités de la Gaule constituée à la fin du IVe-début Ve siècle et conservée dans plus d’une centaine de manuscrits (Chronica minora…, éd. citée, p. 584-612). La Notitia dignitatum est un document administratif composé entre 390 et 425, avec une liste des fonctions civiles et militaires (O. Seeck [éd.], Berlin, Weidmann, 1876) ; la Notitia regionum urbis Romae (Libellus de regionibus urbis romae, A. Nordh [éd.], Lund, C. W. K. Gleerup, 1949), dressée sous Constantin avec des interpolations plus tardives, comprend les quatorze régions de Rome.
9P. Gautier Dalché, « Les “quatre sages”… », art. cité, p. 193.
10Voir sur ce point ibid., p. 197.
11Cela provient de la lecture de la carte d’où est tirée la liste. Ce devait être une mappemonde ronde, sur laquelle les noms des océans sont indiqués dans le cercle entourant la carte. Sur le rapport à la carte, voir infra, p. 67-68.
12Cosmographia…, éd. citée, p. 24-25.
13Ainsi, une interpolation sur le Tibre, plus longuement décrit que les autres, apparaît dans certains manuscrits.
14Sur Lambert de Saint-Omer, voir les travaux d’Albert Derolez, en dernier lieu, Albert Derolez, The Making and Meaning of the Liber Floridus. A Study of the Original Manuscript, Ghent, University Library MS 92, Turnhout, Brepols, 2015.
15Sancti doctoris ecclesiae Alberti Magni Ordinis Fratrum Praedicatorum episcopi Opera omnia, t. V, 2 : De natura loci, de causis proprietatum elementorum. De generatione et corruptione, P. Hossfeld (éd.), Aschendorff, Monasterii Westfalorum, 1980, p. 1-44.
16Pour une mise en contexte du De natura loci dans la pensée philosophique d’Albert, voir H. Anzulewicz, « Zwischen Spekulation und Erfahrung. Alberts des Grossen Begriff vom Raum », dans Représentations et conceptions de l’espace dans la culture médiévale, T. Suarez-Nani, M. Rohde (éd.), Berlin/Boston, De Gruyter, 2011, p. 67-87, qui ne traite pas, comme le reconnaît lui-même l’auteur, de la partie qui nous intéresse ici.
17Il s’agit en fait d’un traité pseudo-aristotélicien, le De causis proprietatum elementorum, écrit en Irak au IXe siècle et traduit par Gérard de Crémone au XIIe siècle. Albert le Grand en a fait un commentaire (Albertus Magnus, Opera omnia, t. V, vol. 2, Münster, 1980, p. 49-104, avec l’édition du traité).
18Il se réfère toujours à César-Auguste ou à Auguste. Par exemple : Volumus autem in hac descriptione praecipue imitari descriptionem, quae facta est sub Augusto Caesare (III, 1, éd. citée, p. 29, l. 25-27), Dicit etiam Augustus (III, 2, éd. citée, p. 34, l. 65-66). Au Moyen Âge, César et Auguste sont souvent considérés comme un seul empereur.
19À propos des villes d’Occident, il écrit : Sunt autem ex his civitatibus nostro tempore multae deletae aliaeque nobiliores in locum earum constructae sicut Brundisium […] Traiectum et multae aliae in Alemannia et Germania et aliae innumerae civitates terrarum, quae nunc magna habent aedificia et in descriptione Augusti Caesaris ideo non ponuntur, quia tunc non fuerunt, et multae, quas ponit modo, vel non exstant omnino vel ad instar parvarum villarum sunt redactae (III, 2, éd. cit., p. 34, l. 4-21).
20Par exemple : Agrippinam, quae nunc Colonia vocatur, in qua et istud volumen compilatum est (III, 2, éd. cit., p. 33, l. 34).
21Il corrige le texte à propos du cours du Rhin et de ses affluents (III, 2, éd. cit., p. 34, l. 59-65).
22III, 2, éd. cit, p. 32, l. 48-52.
23Idée développée dans les premières pages du De natura loci : et ideo locum habere virtutem activam in locatum non est ambiguum (I, 1, éd. cit., p. 1-2, l. 27-28).
24et in tertia determinabimus particularia loca (I,1, éd. cit., p. 3, l. 13).
25Ego vero obmissis nonnullis minus nobis notatis seu a scriptoribus nostris historicis minus frequentatis brevitatis gratia cetere prosequar serie tali (Milan, Bibliothèque ambrosienne, B. 24 inf., fol. 92 b).
26Il s’agit de la description géographique placée par Orose en ouverture de ses Histoires contre les Païens et des livres XIII et XIV des Étymologies d’Isidore de Séville, deux textes de première importance pour la géographie médiévale.
27J. Binns, S. Banks, « The Intellectual Development of Gervase of Tilbury », N. Kruppa, J. Wilke (dir.), dans Kloster und Bildung im Mittelalter, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2006, p. 347-354 ; M. Rothmann, « Totius orbis descriptio. Die Otia imperialia des Gervase von Tilbury : eine höfische Enzyklopädie und die Scientia naturalis », dans C. Meir (dir.), Die Enzyklopädie im Wandel vom Hochmittelalter bis zur Frühen Neuzeit, Munich, W. Fink, 2002, p. 189-224.
28F. Delivré, « Du nouveau sur la “liste de Florence”. La chronique du Pseudo-Godel (v. 1175) et la préhistoire du Provinciale romanum du XIIIe siècle », Bibliothèque de l’École des chartes, 167, 2009, p. 353-374 ; sur ces listes et sur leur organisation spatiale, voir V. Theis, « Se représenter l’espace sans carte. Pratiques d’écriture de la Chambre apostolique au XIVe siècle », dans P. Boucheron, M. Folin, J.-P. Genet (dir.), Entre idéel et matériel. Espace, territoire et légitimation du pouvoir (v. 1200-v. 1640), Paris/ Rome, Éditions de la Sorbonne/École française de Rome, 2018, p. 329-354.
29Gervais dit citer la liste des évêchés telle qu’il l’a trouvée dans les archives pontificales Est ergo ordo talis, ut ex archiuis domini pape collegi (Gervais de Tilbury, Otia imperialia. Recreation for an Emperor, S. E. Banks, J. W. Binns [éd. et trad.], Oxford, Clarendon Press, 2002, II, 4, p. 218).
30Ibid., p. 524.
31Nunc Europe flamines et archiflamines et ciuitatum suarum nomina subiungamus, quarum potestatem Romana noscitur ecclesia tenere, quia ipsarum familiarior est noticia (ibid., II, 9, p. 272).
32Sed secundum antiquitus distincta officia presidatuum uel proconsulatuum, prefecturarum et moderationum Romani imperii (ibid., II, 25, p. 524-526).
33Sur le Memoriale historiarum, voir l’étude d’I. Guyot-Bachy, Le Memoriale historiarum de Jean de Saint-Victor. Un historien et sa communauté au début du XIVe siècle, Turnhout, Brepols, 2002 ; Jean de Saint-Victor, Traité de la division des royaumes. Introduction à une histoire universelle, I. Guyot-Bachy, D. Poirel (éd. et trad.), Turnhout, Brepols, 2002.
34Pour une analyse plus approfondie de la description géographique de la Gaule/royaume de France, comme illustration de la crise du modèle de la géographie descriptive au début du XIVe siècle, voir N. Bouloux, « La fonction des limites dans la géographie descriptive médiévale », dans N. Baron-Yelles, S. Boissellier, F. Clément, F. Sabaté (dir.), Reconnaître et délimiter l’espace localement au Moyen Âge. Limites et frontières, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2016, p. 234-239.
35Voir sur ce point L. Dauphant, Le royaume des Quatre-Rivières. L’espace politique français, 1380-1515, Seyssel, Champ Vallon, 2012, p. 151-157.
36Paris, BNF ms. fr. 5930, fol. 21-v (XVe siècle) : « les cités du royaume de France » ; fol. 21v-24 : « les ducs et les contez de France ». Un autre manuscrit, le BNF fr. 1968 (XVe siècle) produit dans l’entourage du duc de Bourgogne, Philippe le Bon (1396-1467), contient aussi une liste de villes (ibid., fol. 154v : « le nombre des cytés du royaulme de France ») classées cette fois selon les « marches ». Elle est suivie de la liste des villes fortifiées relevant de Philippe de Bourgogne (ibid., fol. 155v : « s’ensuilt la declaration des noms des villes closes que monseigneur le duc Philippe de Bourgogne a en ses pays et signoruies »).
37P. Gautier Dalché, « I-Représentations cartographiques et souveraineté en Grande-Bretagne. II-La géographie des hérauts d’armes », Annuaire de l’École pratique des hautes études, Section des sciences historiques et philologiques, 2011-2012, p. 85-94.
38« Puis y est la conté de Flandres… », « Puis y est le païs de Normandie, qui est bonne duché », « et y a plusieurs contes, hommes du duc… ». Il dresse parfois une liste des ensembles féodaux inscrits dans les « païs », comme c’est le cas pour l’Artois : « Icelle conté a cinq contes soubz lui. C’es[t] assavoir le conte de Saint-Pol, le conte de [Guynes], le conte de Pontieu, le conte de Boulloigne et le conte de Foucquemberghe » (Gilles le Bouvier, Le livre de la description des pays, E. T. Hamy [éd.], Paris, E. Leroux, 1908, p. 46).
39Gilles le Bouvier, éd. cit., appendices II et III, p. 133-138, 139-146.
40Livro de arautos (De ministerio armorum), A. A. Nascimento (éd.), Lisbonne, 1977, description de la Suisse (Souabe), p. 189-191.
41Par exemple : Et si dicta terra figuraretur in modum unius ale, ego credo quod Suauia deberet esse cubitum dicte Alemanie quia ipsa facit unum angulum inter Italiam et Galliam ; Et de parte meridionali confinit cum Lombardia per dictos altos montes qui procedunt de montibus Brigue usque Vngariam (ibid., p. 187).
42Les diagrammes cartographiques ont été l’objet de nombreuses classifications complexes, en fonction de leur aspect et de leur association avec l’un ou l’autre des textes qu’ils illustrent (Lucain, Salluste, Isidore de Séville, Bède notamment). Critique définitive des apories qui découlent de ces classements dans P. Gautier Dalché, « De la glose à la contemplation. Place et fonction de la carte dans les manuscrits du haut Moyen Âge », dans Testo e immagine nel alto medioevo, t. II, Spolète (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo, XLI), 1994, p. 693-764.
43Cité du Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, Vat. lat. 3328, fol. 13v. Reproduction et édition partielle des toponymes dans L. S. Chekin, Northern Eurasia in Medieval Cartography. Inventory, Text, Translation and Commentary, Turnhout, Brepols (Terrarum orbis, 4), 2006, p. 40 et planche p. 347. Reproduction digitale :
44L’Égypte est considérée comme relevant de l’Asie dans la géographie antique et médiévale.
45Oxford, Bodleian Library, Canon. Misc. 560, fol. 3. L. S. Chekin, Northern Eurasia…, op. cit., p. 62-63, planche p. 364.
46Gautier Dalché, « De la glose… », art. cité, p. 736.
47Munich, Bayerische Staatsbibl., clm 14731, fol. 83v. Reproduction digitale :
48Ibid., fol. 80, un dessin de l’arche, fol. 82v un labyrinthe avec le combat de Thésée contre le minotaure, fol. 83 Jéricho sous la forme d’un labyrinthe, et fol. 83v la mappemonde.
49Londres, British Library, Add. 28681, fol. 9 v. Description du manuscrit et reproduction digitale :
50Sur cette famille de cartes, voir D. Terkla, N. Millea (dir.), A critical Companion to English mappae mundi of the Twelfth and Thirteenth Centuries, Woodbridge, Boydell Press, 2019 (en particulier Chet Van Dutzer, « The Psalter Map [c. 1262] », p. 179-196) ; Bettina Schöller a démontré que la carte du Psautier entretient des liens étroits avec la Descriptio mappe mundi de Hugues de Saint-Victor (B. Schöller, Wissen speichern, Wissen ordnen, Wissen übertragen. Schriftliche und bildliche Aufzeichnungen der Welt im Umfeld der Londoner Psalterkarte, Zürich, Chronos (Medienwandel – Medienwechsel – Medienwissen, 32), 2015.
51Sur ce point, voir ibid.
52Fait démontré à diverses reprises par P. Gautier Dalché, voir notamment « Maps in Words. The Descriptive Logic of the Medieval Geography, from the Eighth to the Twelfth Century », dans P. D. A. Harvey (dir.), The Hereford World Map. Medieval World Maps and their Context, Londres, The British Library, 2006, p. 223-242.
53Descriptionem autem, quam inducemus, in figura non ponemus, sed continue narrabimus situm orbis ostendentes quid, in qua parte et quo ordine situm est, et tunc quilibet etiam per se figuram habitationis potest impaginari (De natura loci, éd. cit., III, 1, p. 29-30).
54Souscription d’un des manuscrits les plus anciens (Paris, BNF, ms. lat. 4808, fol. 53-65), que Riese interprétait comme le témoin d’une recensio A : Et ut haec ratio ad conpendia ista deducta in nullum errorem cadat, sicut a magistro dictum est, hic liber exceptorum ab sphaera ne separetur. Elle est suivie dans un des manuscrits les plus anciens par une autre suscription : haec omnia in descriptione recta orthographiae transtulit publicae rei consulens Iulius Honorius magister peritus atque sine aliqua dubitatione doctissimus (Cosmographia…, éd. cit., p. 55). Pour un commentaire de ce passage, voir C. Nicolet, « Les “quatre sages” de Jules César et la “mesure du monde” selon Julius Honorius, I : la tradition antique », Journal des savants, 1987, p. 161.
55Sur ce point, Lambert suit la Cosmographia qui ne les mentionne pas en raison du caractère innombrable de « gentes » séparés par d’immenses déserts.
56Sur l’utilisation de la carte pour composer la liste géographique, voir P. Gautier Dalché, « Maps in Words… », art. cité.
57Traduction et commentaire de ce texte dans P. Gautier Dalché, La Géographie de Ptolémée, Turnhout, Brepols, 2009, p. 64-71.
58Quomodo possit aliquis provinciarum, urbium, diversorum locorum et fluminum nomina memorie commendare. Qui desiderat provinciarum, urbium, fluminum et locorum nomina memoria (sic) commendare, inspiciat mappam mundi in qua sunt omnes provincie orbis, insule, deserta, famose civitates, maria et flumina cum subscriptionibus suis depicta. Legat etiam Solinum qui partes orbis terrarum nominat et distinguit, et specificat duodecim mirabilia mundi. Legat philosophos atque poetas, qui de huiusmodi tractaverunt, nec omittat vetus testamentum et historias Romanorum in quibus poterit magnam copiam invenire, Boncompagno da Signa, Rhetorica novissima, dans Scripta anecdota glossatorum, A. Gaudenzi (éd.), t. 2 : Scripta anecdota antiquissimorum glossatorum, Bologne (Bibliotheca iuridica medii aevi), 1892, p. 279.
59Vespasiano da Bisticci, Le vite, A. Greco (éd.), Florence, Istituto nazionale di studi sul Rinascimento, 1970, II, p. 402.
60Cité du Vatican, Biliotheca apostolica vaticana, Vat. lat. 1860, fol. 134-151v. Sur le rôle des repères marginaux et la composition des index, voir N. Bouloux, Culture et savoirs géographiques en Italie au XIVe siècle, Turnhout, Brepols, 2002, p. 220-223.
61Voir N. Bouloux, « Géographie de la Gaule, géographie du royaume. Notes de lecture d’un érudit normand de la première moitié du XVe siècle, Simon de Plumetot », dans N. Bouloux, A. Dan, G. Tolias (dir.), Orbis disciplinae. Hommages en l’honneur de Patrick Gautier Dalché, Turnhout, Brepols, 2017, p. 660-687.
62Sur les formulaires dans le milieu des officiers royaux, voir S. Lusignan, La langue des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre, Paris, PUF, 2004, p. 87-89 et Le formulaire d’Odart Morchesne dans la version du ms. BnF fr. 5024, O. Guyotjeannin, S. Lusignan (éd.), avec la coll. d’E. Frunzeanu, Paris, École des chartes, 2005. Une version en ligne rend le texte facilement accessible : http://elec.enc.sorbonne.fr/morchesne/
63Voir l’article éclairant de M. Desjardins, « Les savoirs des notaires et des secrétaires du roi et la géographie de la France d’après le manuel d’Odart Morchesne et un index de chancellerie », dans K. Fianu, D. J. Guth (dir.), Ecrit et pouvoir dans les chancelleries médiévales. Espace français, espace anglais, Louvain-la-Neuve, Fédération internationale des instituts d’études médiévales, 1997, p. 87-97.
64Ibid., p. 90-94.
65Ibid., p. 95-96.
66J. Goody, Pouvoirs et savoirs de l’écrit, Paris, La Dispute, 2007, chapitre : « Les technologies de l’intellect : l’écriture et le mot écrit », p. 193-233.
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