Mesure du temps et liens du sang
Les listes généalogiques dans les paraphrases, adaptations et traductions de la Bible en ancien et en moyen français
p. 25-49
Texte intégral
1Au nombre des listes les plus connues de la chrétienté médiévale figurent en bonne place les généalogies bibliques, représentations particulièrement efficaces des rapports qui se nouent entre liste et temps. Nombreuses dans la Bible, ces listes généalogiques ont été rapprochées du genre de la généalogie, attesté aussi bien dans les littératures orales du monde arabe et de l’Afrique subsaharienne que dans des formes écrites aussi anciennes que les listes des rois sumériens, akkadiens ou babyloniens1. Dans l’Ancien Testament, la plupart des passages généalogiques sont limités à une suite de noms juxtaposés ; outre le nom de l’aîné, qui reçoit parfois un traitement particulier, les noms s’enchaînent souvent sans que la relation entre eux soit clairement établie (Gn 25, 12-15 ; Gn 34, 22-26, Ex 1, 1-4). Le lien de filiation peut également être posé une fois pour toutes en tête de liste, comme en Lc 3, 23-38, ou au contraire répété systématiquement, comme en Ruth 4, 18-22 et dans la généalogie qui ouvre l’Évangile de Matthieu (Mt 1, 1-16), où les noms sont réitérés, avec leur changement de fonction, suivis du verbe « engendrer » (ἐγέννησεν)2.
2Certaines de ces listes généalogiques sont clairement liées à l’organisation de l’espace. C’est le cas notamment de la liste des descendants d’Ésaü (Gn 36, 8-43) qui énumère explicitement le nom des princes « selon leurs clans et leurs localités3 ». La dimension temporelle, implicite à toute généalogie, se trouve alors développée dans un sens géographique et souvent étiologique puisqu’elle permet d’établir l’origine d’une population, tout en indiquant l’ancienneté de son association à un territoire. Dans ces cas, la mesure du temps reste relativement imprécise et même quelque peu secondaire puisqu’il s’agit surtout d’en apprécier la profondeur à partir du nom d’un lointain ancêtre qui permet d’expliquer l’origine d’un peuple ou d’un lieu.
3Dans la perspective d’interroger le lien entre liste et temps, les énumérations de patriarches, d’Adam jusqu’à Noé (Gn 5, 3-32), puis des descendants de Sem, fils de Noé, jusqu’à Abraham (Gn 11, 10-32), présentent un intérêt particulier dans la mesure où les noms y sont associés à la durée de vie de chacun et à l’âge du père à la naissance de son aîné. La dimension temporelle de ces listes repose dans ces deux passages sur une formule répétée pour chacun des patriarches : le nom du père y est suivi du nombre d’années qu’il a vécu avant d’engendrer un fils (« x vécut n ans et engendra y »), puis l’expression d’un laps de temps précis qui correspond à la naissance d’un nombre indéterminé d’enfants anonymes (« après avoir engendré y, x vécut n ans et engendra des fils et des filles », le tout donnant par addition la durée totale de sa vie (« x vécut en tout t ans et mourut »). La deuxième série (de Sem jusqu’à Abraham) fait l’économie de la somme totale des années vécues par chaque patriarche, à l’exception de Téra, père d’Abraham, pour qui il est précisé qu’il vécut deux cent cinq ans et qu’il mourut à Harrân. La formule retenue dans cette série permet néanmoins de faire le calcul de l’âge atteint par chaque membre du lignage puisqu’elle précise systématiquement que « x vécut n ans et engendra y » et que « après avoir engendré y, x vécut n ans, il engendra des fils et des filles ». Ces formules illustrent bien l’imbrication des données onomastiques (x et y) et temporelles (n et t) dans la scansion de ces listes généalogiques.
4Il s’agira d’essayer ici de mieux saisir certaines modalités d’appréhension des liens entre liste et temps dans le monde médiéval en s’appuyant sur la réception de ces deux passages précis de la Genèse dans différentes adaptations vernaculaires de la Bible qui s’échelonnent de la fin du XIIe jusqu’à la fin du XVe siècle, dans un territoire qui va de l’Angleterre à la Lorraine, en passant par la Flandre et le Hainaut, et s’étend même au Royaume latin de Jérusalem. L’étendue chronologique et géographique de ces textes qui réintègrent en français ces deux chapitres de la Genèse n’a d’égale que la variété des formes qu’ils peuvent prendre, depuis la paraphrase jusqu’à la traduction fidèle, parallèlement aux nombreuses histoires universelles qui s’appuient explicitement sur ces passages de l’Ancien Testament pour calculer les âges du monde.
5La façon dont les textes vernaculaires interprètent et transmettent ces listes tirées du livre sacré permet d’entrevoir les usages de la liste et les procédés d’organisation du temps dans un contexte qui dépasse le monde clérical pour s’étendre à ceux qu’on appelle « laïcs », au sens médiéval de ceux qui ne connaissent pas le latin. Loin d’être réservées à un usage non clérical – certains textes, comme la traduction connue comme la Bible du XIIIe siècle, sont à l’évidence très proches de milieux cléricaux, dans ce cas l’Université de Paris –, ces traductions en langue vernaculaire pouvaient servir dans des contextes non cléricaux, voire à une diffusion populaire (sens premier de l’adjectif « vulgaire » associé à la langue commune par opposition au latin).
6La transmission et la réception de ces deux listes généalogiques dans la langue commune éclairent ainsi des procédés de mise en ordre du temps à partir d’une énumération généalogique, en s’appuyant sur des textes qui ont circulé dans un segment plus large de la société médiévale. Dans l’usage qu’en font les adaptateurs et traducteurs vernaculaires, ces deux listes généalogiques permettent non seulement de baliser le calcul des âges du monde, mais elles servent également à alimenter la réflexion sur la valeur ordinale d’une place dans une lignée. Les éléments de variance, voire de mouvance, dans la traduction de ces listes font par ailleurs ressortir une certaine prépondérance de l’onomastique sur les données temporelles. À terme, les variantes les plus importantes dans le traitement de ces listes par les adaptateurs, traducteurs et chroniqueurs médiévaux mettent en évidence un rapport ambivalent à la narrativité puisque la liste y est perçue aussi bien comme un obstacle à la narration que comme un prétexte au développement narratif.
Âges des hommes et âges du monde
7Prépondérant pendant tout le Moyen Âge, le découpage de l’histoire humaine en six âges (le septième correspondant à la parousie) s’appuie notamment sur ces deux listes généalogiques de la Genèse qui permettent de définir respectivement le premier âge, d’Adam jusqu’à Noé, et le deuxième, de Noé jusqu’à Abraham. Augustin avait fait le lien entre les sept jours de la Création et les sept âges de l’humanité, se contentant de noter que chacun des deux premiers âges comptait respectivement dix générations4. En conclusion de la Cité de Dieu (XXII, XXX), il reprenait ce parallèle et le calcul en nombre de générations5, mais insistait concurremment sur l’impossibilité de dénombrer les générations qui constitueront le temps présent, rappelant l’injonction du Christ aux apôtres : « Vous n’avez pas à connaître le temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité » (Ac 1, 7). Pour Augustin, l’appréhension de l’histoire n’est pas affaire de calcul ou, pire, de spéculation eschatologique ; elle repose sur un découpage relativement imprécis dont la force est d’abord analogique et symbolique et se compte au mieux en nombre de générations, sans entrer dans le détail des âges et des ans.
8Les deux chapitres de la Genèse, qui établissent ces générations et sur lesquels s’appuie le découpage des premiers âges, précisent pourtant systématiquement l’âge des patriarches et permettent de calculer le nombre exact d’années qui séparent Adam de Noé, puis Sem d’Abraham. L’intérêt pour ces nombres est d’autant plus légitime qu’il repose sur une source dont un chrétien reconnaît a priori la valeur et la fiabilité. Ainsi Évrat, chanoine de Saint-Étienne de Troyes qui a entrepris en 1192 une paraphrase biblique pour la comtesse Marie de Champagne, le rappelle au moment d’aborder la première liste de la descendance d’Adam depuis Seth :
Tant sai del numbre par entente
C’Adans droit nuef cens ans et trente
Vesqui, si cum la Byble conte,
Ki tot set le numbre et le conte6.
9À l’étonnement que pourrait susciter le grand âge d’Adam chez un auditeur-lecteur peu informé, Évrat oppose l’autorité de la Bible, en insistant sur la valeur indiscutable de cette source en matière de nombres et de comput. Tout exceptionnel qu’il soit, l’âge des patriarches n’en demeure pas moins une vérité révélée et permet de rappeler, au seuil d’une énumération chronologique, pour l’essentiel très respectueusement suivie par Évrat7, que Dieu est le seul maître du temps.
10La durée de la vie des hommes est ainsi prédéterminée et s’inscrit naturellement dans l’histoire plus générale de l’humanité dont Dieu connaît le plan et le terme. Une histoire universelle connue par la critique moderne sous le titre Histoire ancienne jusqu’à César, écrite en français pour un autre seigneur laïc, cette fois Roger IV de Lille, une vingtaine d’années après Évrat (entre 1208 et 1212), laisse transparaître cette idée dans une formule qui vient clore le passage consacré à Qénân :
Chaïnan puis qu’il fu nés vesqui.lxx. ans, si engendra Malalehel. Et puis que Malalehel fu nés vesqui Chaïnan.viiic. ans et quarante et ot asses fiz et filles de dedens cest termine. Sor toz vesqui Chainan.ixc. ans et.x. et adonc morut, si ot asomet son aage8.
11Après avoir traduit et facti sunt omni dies par « sor toz vesqui », qui introduit systématiquement dans cette liste l’âge total obtenu par l’addition de l’âge de la première paternité et du temps écoulé après la naissance de l’aîné, l’auteur de l’Histoire ancienne jusqu’à César (vraisemblablement Wauchier de Denain) traduit fidèlement et mortuus est (« et adonc morut ») mais ajoute à cet endroit un commentaire en précisant que « si ot asomet son aage ». Le verbe « asomer » contient à la fois l’idée d’une somme, entendue précisément comme le résultat d’une addition, et celle d’achèvement, d’un terme atteint au bout d’un parcours. À travers cet ajout subtil et le choix du verbe « asomer », le texte de l’Histoire ancienne jusqu’à César laisse percevoir que ces listes généalogiques étaient reçues à la fois comme une suite d’additions et comme une série d’intervalles de temps dont, à l’exception d’Hénoch, le terme est bien marqué.
12Or cet intervalle de temps correspond à la succession des vies, scandées par la succession des naissances et des morts. Le calcul du temps, celui des lignées qui rattachent les croyants au premier homme et celui qui permet de mesurer les différents âges du monde, repose sur la durée d’une vie d’homme, fût-elle exceptionnelle. La vie d’un homme est l’étalon à partir duquel se prend toujours la mesure du temps. Le temps de la vie est ainsi le microcosme du temps de l’histoire. Dans cet esprit, on ne s’étonnera pas que la durée des vies humaines soit abrégée au fur et à mesure que se dégrade l’alliance entre Dieu et les hommes. Flavius Josèphe9, relayé par Pierre le Mangeur10, l’exprime clairement en rappelant le terme fixé à 120 ans à partir de la génération de Moïse (Gn 6, 3). La Bible historiale, traduction française de la Vulgate et des gloses de Pierre le Mangeur réalisée par Guyart des Moulins entre 1291 et 1294 et dont le rayonnement est considérable dans toute l’Europe, reprend l’argument, en s’appuyant d’ailleurs sur l’autorité du Mangeur, mais en ajoutant une référence plus claire à l’injonction divine exprimée dans la Bible au moment du déluge :
Le maistre dit en histoires que dés le temps Abram commençoit ja a acourcer la vie des hommes jusques a Moÿse petit et petit et venir au termine que Deu y avoit mis a Noé apres le deluge, si comme cent et.xx. ans. Et cest termine conferma Dieu a Moÿse qui vesqui cent et.xx. ans, sans plus11.
13La précision ajoutée par Guyart des Moulins présente l’avantage de mettre en évidence le lien entre l’abrègement de la vie humaine et la colère divine que matérialise le déluge. Guyart se permet d’ailleurs pour cela un léger décalage par rapport à la lettre de la Genèse puisque la déclaration divine arrive avant et non après le déluge (en fait précisément après que « les fils de Dieu virent que les filles d’homme étaient belles et [qu’]ils prirent pour femmes celles de leur choix », Gn 6, 2). La référence au déluge et à Noé a l’avantage sur cet épisode de mieux représenter le point de bascule entre les deux premiers âges du monde et une étape cruciale dans l’histoire du déclin de l’espèce humaine.
14L’auteur de la Bible historiale le fait d’ailleurs au risque d’être contredit par ses propres calculs puisque l’âge des descendants de Noé y dépasse toujours (et la plupart du temps très largement) 120 ans. Qui plus est, non seulement les âges que Guyart donne aux descendants de Noé (tout à fait conformes à ceux de la Vulgate) sont bien supérieurs à 120 ans, mais plus encore ils ne sont pas strictement décroissants. Ainsi Arphaxad aurait vécu 338 ans, alors que son fils Salé serait mort à 433 ans. De même, Nahor, père de Téra, aurait vécu 148 ans tandis que Téra, lui, serait mort à 205 ans12. Il semble bien que l’« accourcissement petit à petit » dont parle Guyart ne suppose pas une décroissance systématique (qui ne se vérifiait d’ailleurs pas davantage dans la première liste des patriarches où, par exemple, Jared vivait 962 ans, plus longtemps que son père Mahalaléel mort à 895 ans). Ce sont donc moins les âges précis de chacun des patriarches qui comptent dans l’explication de Guyart des Moulins que la tendance lourde à réduire sensiblement la durée de vie des hommes depuis Adam.
15Ces durées de vie, qui restent extraordinaires au moins jusqu’à Abraham (et au-delà jusqu’à Moïse), ont aussi attiré l’attention des traducteurs et adaptateurs vernaculaires. Ainsi le seigneur normand de Bourg-Achard, Jean de Courcy, auteur de La Bouquechardière, une histoire universelle depuis la Création du monde jusqu’à la mort du roi Arthur, rédigée entre 1416 et 1420 et connue par au moins trente-cinq copies, insiste, en renvoyant à l’autorité de Flavius Josèphe, sur la qualité de la vie et de la nourriture des premiers hommes13. Dans sa Fleur des histoires, compilation d’histoire universelle dont la première rédaction remonte aux années 1446-1451 et qui jouit d’une grande popularité, attestée par le nombre des manuscrits qui dépasse soixante-dix-sept pour les deux rédactions, Jean Mansel n’aborde que très rapidement la descendance de Noé, en faisant l’économie de la plupart des noms et des détails chronologiques. Il note néanmoins l’incroyable longévité des patriarches qu’il explique en multipliant les causes, allant de la bonne complexion des premiers pères jusqu’à la volonté divine de favoriser le développement des sciences, en passant par la fertilité de la terre :
[E]n celui eage, les gens vivoient longuement comme de huit a.ix. cens ans et plus et ce pour deux raisons : l’une fu pour ce que les gens de lors estoient mieulx complexionnez qu’ilz ne sont maintenant, car par pechié nature humaine empire chascun jour ; l’autre raison fu pour ce que la terre estoit trop plus fertille devant le deluge qu’elle ne fu après et portoit meilleurs fruis. Aultre raison y peut aussi que Dieu, par sa bonté, les laissa vivre ainsi longuement affin qu’ilz eüssent experience des choses naturelles et les meïssent en escript pour ceulx qui vendroient aprez eulx, comme ilz firent car, a la verité, les sciences furent trouvees et sceües par ceulx du premier eage14.
16Les explications de Jean de Courcy puis de Jean Mansel, qui associent la longévité des patriarches à des circonstances liées à la nourriture ou à la nature des premiers hommes, participent de cette vision organique du temps de l’histoire à l’image des âges de la vie. L’expérience historique correspond ainsi à l’expérience personnelle, sensible, que chacun fait du passage du temps. La déchéance des corps n’est alors que le reflet du mouvement général de l’histoire.
17À l’instar des âges de la vie qui viennent distinguer les grandes étapes d’une vie d’homme, le monde connaît une succession d’âges qui permet de marquer le passage du temps. Isidore de Séville distinguait déjà six âges de la vie humaine (infantia, pueritia, adulescentia, juventus, gravitas et senectus), découpage relayé au XIIIe siècle par Barthélemy l’Anglais, offrant une correspondance parfaite avec les six âges du monde15. Dès lors, les deux généalogies particulières du livre de la Genèse, marquées par la référence aux âges des patriarches, deviennent des passages obligés du récit historique. Elles ne sont ignorées ni des paraphrases ni des histoires universelles et servent souvent précisément à introduire la périodisation des âges du monde. On les trouve, par exemple, chez Macé de La Charité, prêtre de La-Charité-sur-Loire, qui compose entre 1283 et 1312 une paraphrase biblique largement basée sur l’Aurora de Pierre Riga :
Li premiers aages a roé
Des Adam enjuqu’a Noé.
Cils premiers aages fu si grans
Qu’il dura pres de.ii. mil ans.
18Le passage généalogique, cette fois celui de la descendance des fils de Noé, est également l’occasion d’une référence aux âges du monde dans la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes, compilation d’histoire universelle dont la première rédaction est localisée dans le Hainaut vers 1278, et qui, après avoir donné une généalogie de Sem allégée de certaines références temporelles, conclut en rappelant que ce lignage marque l’entrée dans le deuxième âge du monde :
Or vous laisserons des filz Noel ester et vous dirons des Ebrieux et de ceulz qui en leur temps regnerent et comment leur ligniees commencerent au second aage du siecle16.
19Le terme de ce deuxième âge est encore noté par Jean de Sy qui entreprend, vers 1356-1357, une traduction de la Bible à l’initiative du roi Jean le Bon et qui précise, à la naissance d’Abraham, que « a cest fenist le secont aage du monde17 ».
20La valeur symbolique des âges du monde n’échappe pas aux auteurs vernaculaires et peut même donner lieu à un développement assez systématique. C’est le cas dans la Bible française du XIIIe siècle, traduction par ailleurs très fidèle de la Vulgate réalisée autour de l’université de Paris entre 1226 et 1270, qui renchérit sur l’interprétation que proposait la Glose ordinaire pour mettre en relation les sept jours de la Création, le septième âge du monde et la position particulière du septième de la lignée, occupée par Hénoch dans la descendance d’Adam :
Enoc fu li septiemes aprés Adam et plot a Deu e fut raviz el ciel et senefie le septieme jor de repos. Ce est la joie de paradis ou tuit cil seront levé qui au siste jor, ce est au siste aage dou monde, sont regeneré par l’avenement JhesuCrist quart tote ceste vie n’est fors aussi comme li.v. jor en quoi nos devons laborer si que nos puissons reposer au septieme, ce est aprés le Jugement quant li ciel et la terre seront renouvelé et li saint seront levé en joi pardurable18.
21La mesure du temps n’apparaît plus simplement comme une question d’addition des âges (aspect le plus évident à la lecture des successions généalogiques) mais invite aussi à considérer la question de l’ordre.
22La valeur accordée à la septième place dans l’ordre du temps avait déjà été suggérée par Augustin qui mettait en valeur ce dernier âge dont la date nous échappe et qui sera celui du repos éternel : « Si l’on compte en outre les âges comme les jours, en suivant les périodes que semblent définir les Écritures, le sens de ce sabbat apparaît avec plus d’évidence du fait de sa septième place19. » De même, le parallèle entre Hénoch et Lamech, respectivement septième dans la lignée de Seth et septième dans la lignée de Caïn, était établi par Vincent de Beauvais dans son Speculum Historiale et résumé de manière particulièrement efficace dans la Chronique de Baudouin d’Avesnes :
Et tout ainsi come en la generacion des mauvaiz dont Chaÿm fu le commencement, le.viie., si come Lameth, fut tres mauvaiz, aussi fu en sa generacion des bons qui de Seth descendirent le.viie., si come Enoch, tres bon et juste20.
23L’interprétation symbolique attribuée à la septième place a non seulement pour effet d’attirer l’attention sur le rôle de l’ordre dans la liste généalogique, mais contribue également à relativiser la position de l’aîné dont la primauté se trouve ainsi minorée.
24Cette question de la valeur accordée à chacun dans l’ordre des naissances plaçait ces listes généalogiques, où l’héritier le plus prestigieux n’est pas nécessairement l’aîné, en contradiction avec le principe de la primogéniture qui assurait la priorité à l’aîné en matière de succession et d’héritage, pratique répandue au moins depuis le XIe siècle et qui continuait à gagner de nouveaux territoires depuis la Conquête normande. Pierre le Mangeur semble bien conscient de cette dissonance et qualifie cet ordre de præposterus, adjectif qui signale déjà l’inversion de l’ordre attendu, ce que le Maître des histoires développe encore en précisant que Aram enim primogenitus, et Abram ultimus fuit21. La Bible française du XIIIe siècle reprendra à son compte les remarques de l’auteur de l’Histoire scholastique en ajoutant une observation sur la dignité « à venir » d’Abraham pour justifier qu’aient été ignorés les privilèges qui viennent avec l’ordre de la naissance :
Tharé n’engendra pas ces.iii. filz ensemble, mes l’un aprés l’autre et l’en en doit pas en els prendre garde a l’ordre de la dignité mes a la senefiance de la dignité qui estoit a venir en quoi Abram sormontoit les autres22.
25Dans un monde où le droit d’aînesse tend à s’imposer (avec d’importantes variations dans les coutumes qui vont de la primogéniture agnatique absolue au seul préciput de la maison et des droit seigneuriaux), la question de l’ordre dans les généalogies bibliques se pose à nouveaux frais et suscite chez un traducteur informé, comme celui de la Bible du XIIIe siècle, une explication qui permet de mettre en contexte cette question d’actualité, tout en distinguant bien ce qui relève de la coutume et ce qui participe du sens de l’histoire, prérogative de Dieu.
26À l’inverse, le privilège de masculinité, qui était pourtant associé à ces réflexions sur les principes de successions, n’appelle pas le même genre de contextualisation. En fait, l’absence des femmes de ces généalogies bibliques pouvait se passer de commentaire. La Glose ordinaire souligne néanmoins cette absence pour la justifier immédiatement en contrastant la force des hommes et la faiblesse des femmes, ce que reprend, en l’amplifiant légèrement, la traduction de la Bible du XIIIe siècle :
En la generacion Seth nule femme n’est nomee par non, aussi comme en la generacion Chaym, pour ce que li prodome font tout que que il font forment et vertuousement et ne font nule chose fraile ne mole car toutes lor huevres sont fondees sor la pierre de jostice, ce est sor Jhesucrist23.
27Cette exclusion des femmes peut même entraîner une formulation étonnante, qui relève peut-être du lapsus, comme dans la Bible anglo-normande (traduite en Angleterre avant 1350) où les deux noms des premiers parents sont subsumés par le seul nom d’Adam : « Il lour crea masle et femelle et lour benesqui et apella lour noun, Adam, el jour qu’il sont creez. » Malgré le pluriel omniprésent et la référence explicite à la création des deux genres, l’incise ne comprend que le nom d’Adam dans le manuscrit de Paris24.
28Si le nom de Sara, épouse d’Abraham, est généralement préservé, avec la mention immédiate de sa stérilité25, celui de sa sœur, Melcha, femme de Nachor, est souvent ignoré de versions abrégées, comme la compilation lorraine de la fin du XIIIe siècle qui se contente d’évoquer Sara, en indiquant dès la première occurrence son futur changement de nom : « [C]i prist une feme qui ot non Sarraÿ et aprés ot non Sarra26 », montrant paradoxalement par ce commentaire la conscience de l’importance du nom et de ses mutations. À l’inverse, quelques textes intègrent des noms de femmes inconnus des généalogies bibliques, comme la Bible historiale et le Miroir des histoires du monde qui donnent une sœur à Seth, prénommée Delbora27, ou encore l’Histoire ancienne jusqu’à César qui donne un nom à la femme de Noé : « Feme ot de sa lignee. Phuarsara fu par non apelee28. » La tendance majoritaire est cependant de reconduire la généalogie strictement masculine de la Torah et, ce faisant, de perpétuer le privilège que l’histoire donne aux mâles, qui laissent leurs noms aux générations, pour refouler les génitrices dans l’anonymat, avec l’exception notable d’une femme définie par sa stérilité.
29Les listes généalogiques de la Genèse sont d’emblée des moments où se dit un rapport à l’histoire incarné dans des vies d’hommes dont l’expérience organique du passage du temps fournit l’étalon des âges du monde qui établissent la structure de l’histoire. La question de la place occupée dans l’énumération permet également de poser la question de l’ordre du temps et de confronter des problèmes de hiérarchies directement liés aux transformations des pratiques de succession. La place d’un sujet dans l’histoire se trouve associée à sa place dans la lignée, cette dernière étant, dans ce contexte vétérotestamentaire, presque exclusivement masculine. Si, à travers les généalogies bibliques, le temps de l’histoire se mesure clairement à l’aune d’une vie d’homme, c’est une définition étroite de ce terme qui prévaut ; les listes généalogiques posent en creux les problèmes liés au droit d’aînesse et au privilège de masculinité. La liste généalogique se révèle ainsi moins une mise en ordre du temps qu’une mise en texte d’une expérience du temps vécu par ceux qui ont le pouvoir de laisser un nom dans l’histoire.
Des âges et des noms
30Les listes généalogiques de la Genèse seraient à cet égard d’abord une affaire de nom avant d’être une question de temps. La prépondérance de l’onomastique se devine entre autres par la variance des éléments chronologiques qui contraste avec la relative stabilité des noms. Les disparités dans le calcul des âges du monde sont parfaitement assumées par les chroniqueurs qui, comme l’auteur du Manuel d’histoire de Philippe VI de Valois, exposent les différentes « opinions » (son terme) sur la durée du premier âge : 2 756 ans selon Flavius Josèphe, 2 243 ans pour les Septante, 2 000 ans selon Méthode, mais un peu moins de 2 000 ans d’après Jérôme29. Jean de Sy s’appuie sur Bède pour justifier ces divergences en arguant que les erreurs de calcul sont courantes dès lors que les durées sont aussi importantes : « Et pour ce dit Bede que l’Escripture entrelesse souvent.ii. ans ou.iii. et prent les grans nombres quant elle conte les longues vies30. » Dans ces listes imposantes où les noms et les années se succèdent, un lettré concède facilement que la précision n’est pas à un ou deux ans près et laisse même entendre qu’il n’est pas impensable d’arrondir, pour peu que les nombres continuent de relayer ces durées hors norme.
31On note ainsi des variations dans la durée de la vie de patriarches aussi importants qu’Adam ou Mathusalem. Le premier qui vécut 930 ans, selon la Vulgate, voit sa vie prolongée jusqu’à 999 ans dans la Bible française du XIIIe siècle, mais réduite à 900 ans chez Guyart des Moulins. De même Mathusalem, dont le nom seul suffit encore à évoquer la longévité, subit des ajustements dans l’âge auquel il conçut Lamech, qui est de 187 ans dans la Vulgate (conformément au texte massorétique) mais de 167 ans dans la Vetus latina, flottement qui se trouvait déjà dans la traduction des Septante où la variante 167 ans (vraisemblablement issue de la tradition samaritaine) côtoie la leçon 187 ans. Pierre le Mangeur note à ce sujet que « les opinions sont diverses », notamment en ce qui a trait à la chronologie relative de la mort de Mathusalem par rapport au déluge (Scholastica Historia, Liber Genesis, § 31, l. 27-33). Cette observation est reprise presque mot pour mot aussi bien dans la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes31 que dans la Bible historiale32. Si une certaine variation dans les différents éléments qui viennent ponctuer la vie de Mathusalem est admissible sans trop de peine, tous conviennent néanmoins qu’il importe que la somme des années corresponde bien à la totalité de sa vie qui, dans son cas, est invariablement de 969 ans.
32Si des erreurs se sont introduites à date ancienne dans la transmission de ces listes généalogiques et que les clercs médiévaux en prennent acte, ils ne sont pas eux-mêmes exempts de commettre de nouvelles erreurs de calcul dans le maniement des formules : « x vécut n ans et engendra y » et « après avoir engendré y, x vécut m ans », l’addition permettant de déterminer l’âge qu’avait le patriarche à sa mort. Ainsi, dans la Bible française du XIIIe siècle, l’âge de Malaléel est de 890 alors qu’il est de 895 ans dans la Vulgate. Qui plus est, dans au moins quatre manuscrits33, comme d’ailleurs dans la Bible de Thou34, le nombre d’années qu’il vécut après avoir engendré Jared est de 810 ans contre 830 dans la Vulgate. Dans ce cas, il y a non seulement désaccord avec le nombre total des années vécues par Malaléel dans l’ensemble de la tradition, mais plus encore la Bible du XIIIe siècle introduit une erreur de calcul dans la mesure où elle retient l’âge de 65 ans pour la conception de Jared auquel s’ajouteraient les 810 ans vécus par la suite, ce qui donne un total de 875 ans, ne correspondant en aucune manière à la somme de 890 ans retenue par le même texte.
33Ce même Malaléel est aussi l’objet d’un glissement chronologique dans l’Histoire ancienne jusqu’à César selon laquelle il aurait eu 55 ans à la conception de Jared, le texte conservant cependant les 830 ans de la Vulgate pour la période qu’il vécut après la naissance de son fils. Si certains témoins ajustent l’âge de sa mort en conséquence à 885 ans35, un manuscrit parmi les plus anciens introduit également une erreur de calcul en fixant le terme de sa vie à 875 ans36. On trouve aussi dans trois autres manuscrits du XIIIe siècle un bourdon à cet endroit précis où, après la reconduction de l’erreur sur l’âge de Malaléel à la naissance de Jared, le scribe, sans doute induit en erreur par la récurrence de la formule « que il eust filz ne filles », saute directement à la naissance d’Hénoch et attribue alors à Malaléel l’âge de Jared à sa mort37.
34Ce genre de fluctuations dans les âges et dans les calculs qui en résultent affecte également d’autres figures, comme Lamech qui, d’après la Vulgate aurait vécu 595 ans après la naissance de Noé, mais voit cette durée réduite à 575 ans dans la Bible française du XIIIe siècle qui introduit, là encore, une erreur de calcul en précisant qu’il serait mort à 775 ans, alors qu’il avait 182 ans à la naissance de Noé (cette somme ne correspondant ni aux 757 ans attendus de l’addition de 182 et de 575, ni à l’âge de sa mort dans la Vulgate fixé à 777 ans). Que l’âge de Lamech soit un lieu d’hésitation peut s’expliquer par le fait que la traduction des Septante et la Vulgate ne s’accordaient ni sur l’âge de Lamech à la naissance de Noé (188 ans pour les Septante, 182 pour Jérôme) ni sur la durée de sa vie après la naissance de Noé, qui aurait été de 565 ans pour les Septante et de 595 ans dans la traduction de Jérôme (conformément au texte massorétique). Il n’en demeure pas moins que la mesure du temps est relativement imprécise à au moins deux endroits dans cette traduction de la Bible, que l’on attribue pourtant à des milieux proches de l’université de Paris, et que les variations en nombre n’induisent même pas nécessairement les ajustements arithmétiques attendus.
35Ces listes généalogiques, même dans une traduction qui se signale généralement par sa grande fidélité au texte-source, sont davantage une question de nom qu’une question de temps. Alors que les noms sont généralement transmis avec une remarquable stabilité, malgré la rareté de plusieurs d’entre eux qui n’apparaissent pas ailleurs dans le texte sacré38, les durées sont des lieux de variance depuis le texte massorétique, qui diverge souvent sur ce point de la version samaritaine, jusqu’aux traduction vernaculaires, en passant par les grandes traductions grecques et latines.
36La liste nominale traverse mieux l’épreuve des traductions multiples et successives que la liste temporelle. La part du temps dans la liste généalogique semble dès lors surtout indicative, au point qu’un auteur comme Baudouin d’Avesnes présente une chronologie tout à fait singulière, retenant pour l’essentiel les noms et l’ordre de la Vulgate (à l’exception de Salé devenu Saba), mais modifiant pratiquement toujours la durée de leur vie :
Arphaxat, le maisné filz Sem, vesqui.iiiic. xxxiv. ans [338 d’après la Vulgate]. Heber, le fil Saba, vesqui.iiiic. xxxiiii. ans [464 d’après la Vulgate]. Saba, le fil Arphaxat, vesqui.iiiic. xxxiii. ans. Phaleth, le fil Heber, vesqui.iic. xxix ans [239 ans d’après la Vulgate]. Reü, le fil Phalet, vesqui.iiic..xxxix. ans [239 ans d’après la Vulgate]. Seruth, le fil Reü, vesqui.iic..xxx. ans. Nachor, le fils Seruth, vesqui.iic..lviii. ans [148 ans d’après la Vulgate]. Tharé, le fil Nachor, vesqui.iic. et.v. ans. Cestui fu pere Abraham qui la loy Dieu ama et tint, si come vous pouvrez ça avant ouïr et entendre. Or vous laisserons des filz Noel ester et vous dirons des Ebrieux et de ceulz qui en leur temps regnerent et comment leur ligniees commencerent au second aage du siecle39.
37Tharé et Sarug échappent seuls à cette mise à distance des âges de la Vulgate. Toutes les autres mesures du temps sont susceptibles de variations qui ne semblent pas porter à conséquence ni susciter de glose particulière.
38En revanche, les noms propres de la liste sont l’objet de gloses assez systématiques, comme dans la Glose ordinaire qui interprète systématiquement tous les noms de la génération d’Adam :
Interpretatio quoque nominum hujus generationis idem signat : Adam interpretatur « homo » vel « rubra terra » ; Seth, « positio » vel « resurrectio » ; Enos, « homo » ; Cainan, « lamentatio » ; Malalehel, « laudans Deum » ; Jared, « roboratus » ; Enoch, « dedicatio » ; Mathusalam, « mortis emissio » ; Lamech, « humiliatus » ; Noe, « requies ».
39Les paraphrases, adaptations et traductions françaises ne reprennent pas aussi méthodiquement cette sémantique des noms de patriarches. La Bible française du XIIIe siècle, par exemple, ne retient que l’explication du nom de Noé :
Noé vaut autant comme repos selonc saint Jerome car a son tens furent en repos toutes les huevres de la terre par le deluge et en ce senefie il Jhesuscrist qui est li verais repos ou les saintes ames se reposeront en gloire apres ceste mortel vie40.
40Ce commentaire n’est pas repris ailleurs et les gloses onomastiques restent assez rares dans les paraphrases, traductions et adaptations françaises de la Bible latine, malgré leur caractère systématique dans la Glose ordinaire, l’une des sources avérées des traducteurs et des adaptateurs vernaculaires.
41Un nom fait cependant régulièrement l’objet d’une explication étymologique qui conserve toute son efficacité en français, celui d’Héber qui serait à l’origine du nom des Hébreux. D’abord exposé par Flavius Josèphe41, le lien entre le nom du fils de Salé et celui des habitants de la Judée est relayé par Pierre le Mangeur (Genesis, § 41, 15) et par Vincent de Beauvais (II, chap. 62). Ce dernier ajoute une réflexion linguistique qui permet d’intégrer également l’étymologie supposée de Phalec (« division ») sous le règne duquel aurait été entreprise la construction de la tour de Babel. Le traducteur français de Vincent de Beauvais, Jean de Vignay42, rend fidèlement ces explications qui donnent un relief particulier à ces deux noms, étiologiques à la fois du point de vue ethnographique et du point de vue linguistique.
42Dans sa compilation, composée entre 1446 et 1451 dans l’entourage bourguignon, Jean Mansel conserve encore ce lien étymologique entre Héber et le peuple hébreu. Il le met cependant légèrement à distance en ne l’associant pas à une source précise (Josèphe, par exemple, comme le faisaient Vincent de Beauvais et son traducteur), se contentant d’un vague « comme les aulcuns dient43 ». L’auteur de la Fleur des histoires inscrit par ailleurs ce commentaire à la suite de commentaires ethnographiques liés aux noms des descendants de Noé. Ainsi précise-t-il que « de Cam issirent les Cananéens, lesquels demourerent longtemps en la terre de promission par force car ilz en bouterent les enfans de Sem » et que « de Japhet issirent les payens et les Sarrasins qui demourerent en la partie de Europe »44. La proximité entre Cam et les Cananéens suggère un lien étymologique déjà établi par le texte biblique qui présente d’emblée Cham comme le père de Canaan sur qui retombe la malédiction divine après la faute de son père, coupable d’avoir découvert la nudité de Noé.
43Le désintérêt relatif des versions vernaculaires des généalogies bibliques pour la glose onomastique trouve son expression la plus nette dans la paraphrase d’Évrat. Le Champenois y présente la généalogie d’Adam jusqu’à Mathusalem, mais laisse entrevoir une masse anonyme de descendants au moment de présenter Jared, père d’Hénoch :
De filz et de files rot grant masse
Mais ne sai comment les nomasse.
Se ne vuel que nus m’en escrit
Ke je ne sai pas en escrit45.
44Le nom n’est pas ici prétexte à une amplification à partir d’un rapprochement étymologique ou d’une analyse sémantique ; son absence permet au contraire d’ouvrir une brèche sur toute une série de descendants anonymes que l’absence de désignation prive d’histoire. L’anonymat relègue ainsi hors de la mémoire de l’écrit ceux qui ne sont pas dignes de figurer dans la généalogie des patriarches.
45Les quelques liens directs mis en évidence par la liste généalogique, qui repose clairement sur le principe de la succession d’un père à un fils, passent sous silence tous les autres liens de fraternité et de sororité : la liste généalogique privilégie ainsi clairement la verticalité du lignage sur l’horizontalité de la fratrie. Quand elle est évoquée par les paraphrases et traductions bibliques en français médiéval, l’horizontalité du lien entre frères et sœurs est plutôt l’occasion de rappeler la situation particulière des premiers humains, propice aux relations incestueuses. Herman de Valenciennes le résume en un vers qui réussit à évoquer clairement cette situation singulière et le fait que ces relations incestueuses se pratiquaient alors avec le consentement de Dieu : « Li freres prist la suer, de Deu ont les commanz46. »
46La présentation de ces relations endogamiques peut aussi susciter des commentaires qui mettent clairement ces pratiques à distance, comme le font Roger d’Argenteuil et la Chronique anonyme universelle dans des formulations voisines :
Lui et Eve et leur enfanz crurent et s’entrepouserent. Puis recorrumpirent par vilain pechié de luxure et gesoient a lor filles e a leur suers contre nature et i engendroient bastarz e avoutres47.
Et aprés ce corrumpirent par villains pechiés de luxure et gisoient avecques leur filles et leurs suers contre nature et engendroient advoultres bastars et en fut grant ligniee48.
47Ces deux positions contradictoires, l’une sur l’autorisation des relations incestueuses aux premiers âges de l’humanité, comme chez Évrat, et l’autre soulignant au contraire la bâtardise des fruits de ces relations, comme chez Roger d’Argenteuil, se trouvent aussi dans deux textes où le contraste peut s’expliquer par la nature de ces textes. Une compilation d’histoire universelle, comme le Miroir des histoires du monde, insiste sur les taches associées à de tels lignages49, tandis qu’une traduction commentée du texte biblique, comme la Bible française du XIIIe siècle, cherche plutôt à justifier ces pratiques par les différences de contexte50. Même reléguée au second plan par la forme de la liste généalogique, l’horizontalité des liens anonymes entre frères et sœurs entraîne, dans plusieurs textes, un retour de ce tabou suprême refoulé par la Genèse, celui d’un inceste nécessaire qu’ils choisissent soit de condamner, soit de justifier en invoquant un temps où auraient sévi d’autres lois.
48La liste généalogique se présente ainsi d’abord dans sa verticalité, ce que certains modes de transmission vont d’ailleurs matérialiser très clairement, par exemple à travers les rouleaux qui assurent la diffusion de la Chronique anonyme universelle, texte du début du XVe siècle qui se présente lui-même comme « la genealogie de la Bible qui monstre et dit combien chascun aage a duré depuis le commencement du monde jusques a l’advenement Jhesu Crist51 ». Sans doute sous l’influence de l’arbre de Jessé, apparu dans l’iconographie chrétienne du XIIe siècle pour illustrer la généalogie du Christ, des tableaux de consanguinité prennent au même moment la forme d’un arbre et développent clairement dans la verticalité la figuration de la parenté52.
49Cet essor de « l’arbre généalogique » affecte également la représentation des généalogies bibliques, comme en témoigne la Bible de Jean de Sy où l’auteur promet de faciliter la mise en mémoire de ces listes généalogiques en les inscrivant dans un arbre : « Pour avoir memoire des lignages qui descendirent de ceus qui sont mis en l’arbre qui est par devant, especiaument de la partie ou Noé est mis le darnier, je ferai mettre aussi.i. arbre des enfans Noé jusques a Abram et Jacob devant le commencement du.xiie. chapitre. » Le seul manuscrit connu de cette Bible est enluminé mais ne comprend pas les arbres promis par l’auteur. Cet exemple de discordance entre le texte, qui annonce une image végétale, et l’absence de cette image dans un manuscrit pourtant illustré est révélateur de la difficile adéquation entre la disposition de l’écrit dans le codex et la présence de l’image. La liste peut faire une place au temps mais l’inscription du temps dans l’image et sa concordance avec la mise en récit posent des problèmes d’un autre ordre. Ce que le lien entre liste et temps révèle ultimement, c’est le potentiel narratif que la dimension temporelle introduit dans la succession onomastique. À travers une suite de noms, la présence du temps fait naître la promesse du récit.
Liste, temps et narrativité
50Les listes généalogiques créent d’abord un effet de rupture dans le récit de la Genèse au sein duquel elles s’insèrent. L’alliance de noms et d’années blanches ouvre un potentiel narratif qui ne demande qu’à être exploité, mais il s’agit d’une narrativité latente, contrastant avec le récit développé qui lui sert de cadre. À cet égard, l’attitude des adaptateurs et traducteurs médiévaux est disparate, certains faisant le choix de la simplification en réduisant considérablement ces listes généalogiques, d’autres y trouvant au contraire un embryon narratif qu’ils se chargeront de développer, même brièvement.
51Plusieurs traductions, même généralement fidèles comme la Bible de Saint-Jean-d’Acre, ont fait le choix de généalogies simplifiées, réduites à quelques noms et à une seule mention temporelle. Cette Bible, préparée à l’occasion du séjour de saint Louis en Terre sainte, réduit la première généalogie des patriarches aux noms d’Adam, Seth, Hénoch, Mathusalem avant de mentionner ceux de Noé et de ses fils. De même, Jean de Courcy réduit la première liste généalogique aux quatre noms d’Hénoch, Mathusalem, Lamech et Noé, se contentant de mentionner l’âge de Mathusalem à la naissance de Lamech.
52La deuxième liste généalogique est souvent encore plus réduite, se limitant à trois noms (Noé, Tharé et Abraham) aussi bien dans la Bible de Saint-Jean-d’Acre53 que dans la Bible lorraine, ou encore dans Li romanz de Dieu et de sa mere d’Herman de Valenciennes qui passe directement de Noé à Abraham, se contentant d’une allusion au temps qui sépare les deux patriarches et à l’importance de la descendance du premier :
Dou linage Noé, des fiz a ses anfanz,
Mouteplia li siecles de gent plus de mil anz54.
53D’autres, comme le Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament, conservent la liste des noms (autre indice de la prépondérance de l’onomastique) mais simplifient considérablement les données temporelles au point de ne conserver que l’âge de Mathusalem dans la première liste, avant de reconnaître, dans la deuxième, le caractère potentiellement lassant de l’énumération :
Ces furent del lignaje Japhet, lur père,
Et plusurs altres que lung est a numer.
Sachez, seignurs, ne vus ai pas pramis
Numer trestuz lur files et lur fiz55.
54À ce risque avéré de lasser par la succession des noms et des âges, Roger d’Argenteuil oppose une solution radicale. Il se contente de mentionner le nom d’Adam et l’âge de sa mort, en donnant en prime la cause du décès : « Et Adan vesqui.iiiic. anz et plus, puis morut de goute56. »
55La simplification peut aussi prendre la forme d’une liste essentiellement ordinale, délaissant les âges pour ne garder que le rang dans la fratrie, comme le fait Macé de La Charité, qui se limite à mentionner la septième place occupée par Hénoch, ou Jean Mansel, qui ne conserve que le nom et le rang d’Hénoch après la mention d’Adam et de ses fils.
56Les plus radicaux iront jusqu’à refuser de donner ces listes généalogiques, invoquant précisément l’ennui que de telles énumérations susciteraient chez les auditeurs-lecteurs. C’est ce que fait Évrat en affirmant que « trop seroit grant anguisse / de nommer cesti ne cestuy57 ». L’auteur de la Bible anonyme du XIIIe siècle s’en remet même à un argument matériel, en laissant entendre que ces listes ne feraient qu’encombrer inutilement le parchemin : « Assez pourroie parchemin encombrer / Se je voloie les parolles nombrer58. » La liste généalogique semble ainsi perçue moins comme un potentiel embrayeur de narrativité que comme une stase inopportune dans le déroulement historique proposé par le livre de la Genèse.
57Dans l’ensemble des adaptations et traductions françaises de la Genèse, ces listes servent finalement assez rarement de prétexte à une amplification narrative. La seule exception vient avec Hénoch, pour qui la source biblique rompait déjà la succession des formules (« après avoir engendré y, x vécut n ans et engendra des fils et des filles » et « x vécut en tout t ans et mourut »), modifiant la deuxième partie de l’énoncé en remplaçant le verbe « vivre » par la locution « suivre les voies de Dieu » (Gn 5,22), expression réitérée après la fin de la formule attendue : « Ayant suivi les voies de Dieu, il disparut car Dieu l’avait enlevé » (Gn 5, 24). Ce traitement particulier a pour conséquence de faire d’Hénoch le seul rescapé de listes fortement abrégées, comme celle de la compilation du manuscrit de Paris, BNF fr. 6447, qui ignore toute la descendance d’Adam jusqu’à Lamech et Hénoch, mais gratifie cependant ce dernier d’un commentaire59. L’Histoire ancienne jusqu’à César consacre également quelques lignes à expliquer « porquoi Enoch fu ravis et ostés de terre60 », de même que la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes61, la Bible abrégée lorraine62, la Chronique anonyme universelle63 et la Fleur des histoires de Jean Mansel64 qui prennent prétexte de la mention d’Hénoch pour évoquer également le prophète Élie et la venue de l’Antéchrist.
58La rupture de la logique énumérative est ainsi l’occasion d’inscrire la fin des temps dans le premier âge du monde, fin des temps entendue, dans le contexte chrétien, au double sens de « terme » et de « finalité ». L’écoulement du temps associé aux noms des patriarches a un sens que l’enlèvement d’Hénoch permet de rappeler. Dans cet esprit, le rapprochement avec Élie était courant dans la littérature eschatologique puisque, à l’instar d’Hénoch, il serait monté au ciel sans connaître la mort, enlevé dans un char de feu (2 Rois 2, 11). Leurs deux noms sont liés, dans la littérature pseudépigraphique, au dernier combat contre le Fils de l’Iniquité avant le retour du Christ65. L’exégèse chrétienne les reconnaît également derrière les deux témoins (anonymes) de l’Apocalypse johannique qui préfigurent le son de la septième (et dernière) trompette (Ap 11). Outre ces quelques développements qu’appelle le nom d’Hénoch et qui l’inscrivent précisément hors du temps, la liste généalogique est, en somme, très peu exploitée comme prétexte à des développements narratifs.
59Les médiévistes savent pourtant bien que le temps laissé en jachère dans un texte peut être cultivé par un autre auteur et faire éclore une production littéraire considérable, comme le prouve amplement l’exemple bien connu des douze années de paix du règne d’Arthur présentées par Wace comme source d’une prolifération narrative sujette à caution :
En cele grant pais ke jo di,
Ne sai si vus l’avez oï,
Furent les merveilles pruvees
E les aventures truvees
Ki d’Artur sunt tant recuntees
Ke a fable sunt aturnees66.
60On sait que, peu après Wace, Chrétien de Troyes et, à sa suite, un nombre important de romanciers (en vers et en prose) ont joué le jeu de la fable et l’ont inscrite dans cette brèche de temps ouverte par leur prédécesseur dans l’Histoire des rois de Bretagne67. La logique de cette insertion se matérialise même dans un manuscrit (Paris, BNF, fr. 1450) qui insère à cet endroit précis les romans de Chrétien de Troyes.
61Le potentiel de développements narratifs à partir des généalogies bibliques est cependant peu exploité par les traducteurs et adaptateurs médiévaux et l’ouverture temporelle induite par la succession des (longues) années de vie sans histoire est même plus volontiers abordée sur le mode de l’abréviation, comme dans la Bible anonyme du manuscrit de Paris, BNF, fr. 6447 où le rédacteur constate simplement que, depuis Adam et Noé, « molt declina li siecles dusqu’al tans ke Abram fu nez68 ». Dans l’ensemble des adaptations et traductions en français de la Bible, seul Jean de Vignay, traducteur fidèle du Speculum historiale de Vincent de Beauvais, interrompt les listes généalogiques pour introduire des digressions géographiques, à partir d’Heber (Vincent suivant alors lui-même Isidore de Séville), puis le récit de la tour de Babel après Phaleg, ou encore des événements contemporains aux vies de Reü (les Scythes et les Amazones), de Saruch (occasion de donner la liste des pharaons d’Égypte) et de Nachor (prétexte à l’insertion de la liste des rois assyriens d’après la Chronique d’Eusèbe). Le Manuel d’histoire de Philippe VI de Valois reprend, sous forme abrégée, l’insertion de ces événements concomitants aux vies des patriarches69. D’autres vont plutôt développer, à la suite de Pierre le Mangeur, le récit d’Abraham jeté au feu par les Chaldéens ou gloser des noms, comme on l’a vu pour Hénoch et pour Sara.
62Au terme de ce parcours à travers les adaptations et traductions vernaculaires des listes de patriarches, il appert que les généalogies bibliques servent d’abord et avant tout à la mise en ordre du temps : à la fois d’un point de vue ordinal (le premier né et les problèmes posés par la primogéniture dans le texte biblique et dans le contexte féodal sont ainsi abordés) et d’un point de vue macroscopique, puisqu’elles permettent de diviser les principaux âges du monde. Ces listes illustrent également la prééminence des questions onomastiques sur les calculs temporels. Les noms se révèlent à la fois plus stables que les âges et font davantage l’objet de gloses explicatives, alors même que les ouvertures temporelles, créées par les laps de temps laissés vacants entre deux âges, sont relativement peu exploitées par les sources vernaculaires.
63Enfin la liste généalogique est à la fois reçue comme un obstacle à la narration (notamment dans les paraphrases versifiées) et comme un noyau narratif virtuel, comme c’est le cas des éléments qui se distinguent par un embryon narratif suggéré par le texte biblique, comme avec l’enlèvement d’Hénoch ou la stérilité de Sara, dont le récit est parfois actualisé et développé, rompant alors momentanément la syntaxe de la liste.
64La liste généalogique porte en elle-même un principe d’organisation du temps. Celui-ci est développé explicitement dans deux passages de la Genèse dont l’importance est reconnue par la place qui leur est faite dans l’ensemble des adaptations vernaculaires de la Bible, où elles ne sont pratiquement jamais complètement ignorées. Mentionnées au moins sur le mode du résumé, elles apparaissent, à ces témoins privilégiés de la réception des textes médiévaux que sont les clercs translateurs, comme des passages cruciaux du texte sacré. Pour eux, il semble bien que la scansion des noms des patriarches et de leur âge vénérable se révèle être finalement moins un prétexte au développement narratif qu’une liste performative, où les noms et le temps forment les grains d’un chapelet qui inscrivent le chrétien dans le temps de l’histoire, entre le premier homme et la parousie.
Notes de bas de page
1R. R. Wilson, Genealogy and History in the Biblical World, New Haven, Yale University Press, 1977.
2Dans les généalogies bibliques, y compris celle de Matthieu, la généalogie s’établit à partir de la relation de paternité et suit l’ordre des pères vers les fils, sauf dans l’Évangile de Luc où l’ordre adopté va du fils vers le père et s’organise autour du terme « fils » (υἱός). Toutes les autres généalogies se construisent au contraire autour de l’idée de paternité, implicite ou manifeste, comme dans le texte massorétique du livre de Ruth où la liste est scandée par le verbe הוֹלִ֥יד, construit sur la base יָלַד, « père ».
3Gn 36, 40. Sauf indication contraire, toutes les traductions de la Bible en français moderne renvoient à la Traduction œcuménique de la Bible (TOB).
4Augustin, De Genesi contra Manichæos, I, xxiii-xxv, PL 34, col. 190-191. Ce calcul correspond au découpage des deux généalogies de la Genèse et rattache Noé au premier âge (et à la généalogie des fils d’Adam issus de Seth) et commence le compte des générations du deuxième âge avec Sem, conformément à la liste qui se présente en Gn 11, 10 comme generationes Sem. Il établit aussi le parallèle avec les sept jours de la Création dans l’Ennaratio in Psalmum (PL 37, col. 1182) et, pour le sixième âge et le sixième jour, celui de la Création de l’homme dans le De Catechizandis rudibus, XXII, 39, mais sans associer, dans ces deux textes, un nombre précis de générations aux différents âges du monde.
5Les périodes du troisième au cinquième âge comptent chacune quatorze générations, nombre établi d’après la généalogie du Christ qui ouvre l’Évangile de Matthieu.
6Paris, BNF, ms. fr. 12456, fol. 15v c.
7La seule disparité concerne l’âge d’Hénoch au moment de son ascension, fixé par Évrat à 560 ans, là où les Septante (de même que la Vulgate et déjà la Vetus Latina – et Flavius Josèphe) donnent 365 ans. Ibid.
8Histoire ancienne jusqu’à César, Paris, BNF, ms. fr. 20125, fol. 7v d.
9Flavius Josèphe, Les antiquités juives, É. Nodet (éd. et trad.), Paris, Éditions du Cerf, 1990, livre I, chap. 6, § 5 [152], t. 1, p. 26 pour le texte grec et t. 2, p. 37-38 pour la traduction française. Pour la traduction latine, dite de Cassiodore, qui circule dans l’Occident chrétien, voir Bamberg, Staatsbibliothek, Msc. Class. 78, fol. 6 b.
10Petri Comestoris Scolastica Historica. Liber Genesis, A. Sylwan (éd.), Turnhout, Brepols, 2005 (Corpus christianorum, Continuatio mediaevalis, 191), p. 83, chap. 43, l. 25-28.
11Paris, Arsenal, ms. 5057, fol. 17 a.
12À la décharge de Guyart des Moulins, il faut souligner que des disparités se trouvaient déjà dans les plus anciennes traductions concernant l’âge de ces protagonistes en particulier, par exemple entre le texte massorétique, qui faisait vivre Arphaxad 438 ans alors que la Septante lui en accordait 565 et la Vulgate 338. De même, Nahor meurt à 148 ans dans le texte massorétique (comme dans la Vulgate) mais vit jusqu’à 208 ans d’après les calculs de la Septante.
13« De ce dit Josephus nul ne doit comparer la vie dont orendroit vivons ne la briefté des ans de noz aages aux aages anciens pour la cause que les ancienes peres furent amez et creez de Dieu meismes, si vesquirent en devocion de vie aitempree et par ce qu’il eurent viandes des fruictz qu’il croissoient sur la terre pour prendre leur substance qui plus longuement les faisoient vivre et en plus grand nombre d’ans » (Jean de Courcy, La Bouquechardière, Genève, Bibliothèque de Genève, ms. fr. 70, fol. 5v c).
14Jean Mansel, La Fleur des histoires, Paris, BNF, ms. fr. 296, fol. 5 a (foliotation ancienne en chiffres romains). Une table sur six feuillets (foliotés en chiffres arabes) a été ajoutée au début du codex.
15Dans ce découpage, le septième âge correspond à la vie éternelle associée au repos du septième jour. En revanche, le médecin Aldebrandin de Sienne propose, dans son Régime du corps, écrit en français en 1256, un découpage en sept âges terrestres en ajoutant entre l’infantia et la pueritia, l’âge du dentium plentatura. Aldebrandin de Sienne, Le régime du corps, Louis Landouzy, Roger Pépin (éd.), Paris, Champion, 1911, p. 79.
16Paris, BNF, ms. fr. 15455, fol. 12 b.
17Paris, BNF, ms. fr. 15398, fol. 11.
18Berne, Burgerbibliothek, ms. 27, fol. 8 b. Voir La Bible française du XIIIe siècle, M. Quereuil (éd.), Genève, Droz, 1988, p. 129.
19Augustin, La cité de Dieu, XXII, xxx, J.-Y. Boriaud (trad.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2000, p. 1090.
20Paris, BNF, ms. fr. 15455, fol. 5 a.
21Petri Comestoris Scolastica Historica…, éd. citée, p. 79, chap. 41, l. 25-26.
22Berne, Burgerbibliothek, ms. 27, fol. 13v c. Voir aussi La Bible française du XIIIe siècle…, éd. citée, p. 160.
23Le texte de la Glose ordinaire se lisait comme suit : Et notandum quia in generatione Seth nulla femina ponitur nominatim, sicut in generatione Cain : justorum enim est omnia viriliter agere, nihil femineum, nihil fragile usurpare. « Et notons que dans la génération de Seth aucune femme ne reçoit un nom, contrairement à la génération de Caïn : c’est le propre des justes de tout faire avec virilité et de ne rien pratiquer de féminin ni de frêle. »
24Paris, BNF, ms. fr. 1, fol. 4 a.
25« Barraine fu », dans le Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament, « laquelle estoit baroigne » ou « laquelle esté sterille », dans les Histoires de la Bible, « et esteit brehaigne et poeit enfanter » dans la Bible de Saint-Jean-d’Acre, « estoit brahaigne si n’avoit nus enfanz » dans la Bible de Thou et dans la Bible française du XIIIe siècle, « pour ce que Saraÿ estoit brehaigne » dans la Bible historiale, « lors ert Sarraï baroigne et ne out enfauntz » dans la Bible anglo-normande, « estoit brehaigne et ne portoit nulz enfans », dans la Bible de Raoul de Presles.
26Paris, BNF, ms. fr. 24728, fol. 6 b.
27Respectivement Paris, Arsenal, ms. 5057, fol. 13 et Paris, BNF, ms. fr. 328, fol. 4 b.
28Paris, BNF, ms. fr. 20125, fol. 8 b.
29Paris, BNF, ms. fr. 19477, fol. 23 a.
30Paris, BNF, ms. fr. 15397, fol. 9v-10.
31« Des ans Matussalé le filz Enoch le Juste sont diverses oppinions, car si come les LXX interpreteurs les comptent, il vesqui.xiiii. ans apres le deluge, maiz on ne list mie qu’il feüst en l’arche miz avecques Noél ne emporté ainsi come fu Enoch, son pere. Les autres dient qu’il mourut.vii. ans devant le deluge et Jerosme afferme qu’il mourut ou mesme an que le deluge fu. Et qui bien compte les ans segon Genesis, il trove ainsi come Jerosme dit, maiz touteffoys couvient que les oppinions de sa mort soient accordans au nombre de ses ans. Et qu’il vesqui.ixic..lxix. ans ains qu’il trespassa de ceste mortelle vie » (Paris, BNF, ms. fr. 15455, fol. 5 ab).
32« Des ans Mathussalé sont divers opinions, car aussi comme li LXX interpreteur le comptent, il vesqui.xiiii. ans apres le deluge, mais on ne list mie que il fust en l’arche Noé ne emporté aussi comme fu Enoch. Les autres dient qu’il fu mort devant le deluge.vii. ans et Jheromes aferme qu’il moru ou mesme an ou le deluge fu. Et qui bien compte ses ans selon Genesy, il treuve aussi comme Jheromes dist, mais toutesvoies couvient que les opinions de la mort soient acordans tous aux nombres de ses ans qu’il vesqui.ix. cens et.lxix. ans sans plus » (Paris, Arsenal, ms. 5057, fol. 13v cd).
33Berne, Burgerbibliothek, ms. 27, fol. 8 b ; Cambridge, University Library, Ee III. 52 ; Londres, BL, Harley 616 ; Paris, BNF ms. fr. 6, fol. 10v d.
34Paris, BNF ms. fr. 899, fol. 2v b.
35Londres, BL, Add. 15268, fol. 6 a.
36Paris, BNF ms. fr. 20125.
37Paris, BNF, ms. fr. 20126, fol. 3 a ; Paris, BNF, ms. fr. 9685, fol. 5v c. Vatican, Vat. lat. 5895, fol. 10 v c. Le manuscrit de Paris, BNF, fr. 20126 conserve le nom de Jared après le saut du même au même, alors que le manuscrit de Paris, BNF, fr. 9685 et le manuscrit du Vatican corrigent le nom pour celui de Malaléel.
38Une exception amusante se trouve dans le dérimage du Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament (p. Nobel [éd.], Paris, Champion, 1996). Le dérimeur confond d’abord le pronom démonstratif « cist » avec un nom propre, ce qui a pour effet de donner un troisième fils à Malech : « Malech ot trois filz Reü, Cist et Sagute » (Paris, BNF, ms. fr. 6260, fol. 28v c et Paris, BNF, ms. fr. 9562, fol. 24v c où Sagute devient Sagitte). Puis, vraisemblablement par l’élimination de la répétition du nom Abraham, qui se trouvait à la fois en fin de vers et au début du vers suivant dans le texte-source (v. 335-336), le dérimeur en vient à attribuer à Loth le mariage avec Sara.
39Paris, BNF, ms. fr. 15455, fol. 12 b.
40Berne, Burgerbibliothek, ms. 27, fol. 8. La formulation des manuscrits retenus par Michel Quereuil pour son édition de la Genèse diffère légèrement : « Si come sainz Giraumes dist, Noé vaut autant come repoux : car en son temps, toutes les oevres qui avoient esté faites devant se repouserent par le deluge » (éd. citée, p. 129-130). Son manuscrit de base est le manuscrit Paris, Arsenal, ms. 5056, contrôlé par les manuscrits Cambridge, University Library, Ee 3.52 et Londres, BL, Harley 616.
41Flavius Josèphe, Les antiquités juives, éd. citée, livre I, 6.4, § 146.
42« Et, selonc Josephum, de Heber sont dis les Hebriex, car en sa mesniee tant seulement remaint la langue hebrieue, laquele n’estoit pas apelee hebrieue avant la division des langues, mes estoit dite simplement humaine quar tout humain en usoit communement. Et Phalec vaut autant a dire en hebrieu comme “division”, car en son temps fu devisee la terre », Jean de Vignay, Le miroir historial, M. Cavagna (éd.), Paris, Société des anciens textes français, 2017, livre II, chap. 62, p. 286.
43« Salé engendra Heber duquel, comme les aucuns dient, les Hebrieus prindrent leur nom », Paris, BNF, ms. fr. 296, fol. 7v b.
44Paris, BNF, ms. fr. 296, fol. 7v a.
45Paris, BNF, ms. fr. 12456, fol. 15v b.
46Paris, BNF, ms. fr. 20039, fol. 3 ; Li romanz de Dieu et de sa mere d’Herman de Valenciennes, I. Spiele (éd.), Leyde, Presses universitaires de Leyde, 1975, v. 155.
47Paris, BNF, ms. nouv. acq. fr. 13521, fol. 251 b-251v a.
48Chronique anonyme universelle, L. Fagin Davis (éd.), Londres/Turnhout, Brepols/Harvey Miller Publishers, 2014, p. 160 c, l. 23-26.
49« Seth engendra Enoch en Delbora qui fut sa femme et sa seur. […] Et gisoient avecques leurs filles et leurs seurs et engendrerent bastars et advoustres et en fut grant lignee malleureuse », Paris, BNF, ms. fr. 328, fol. 4 b.
50« Nachor prist Melcha a femme et Abram Saraÿ quar mariages n’estoit pas encore deffenduz entre les oncles et les nieces quar, au comencement, soloit mariages estre fez entre les freres et les suers », Berne, Burgerbibliothek, 27, fol. 13voa. Voir aussi La Bible française du XIIIe siècle, éd. cit., p. 160.
51Ce texte est connu aujourd’hui à travers vingt-cinq rouleaux (dont deux rouleaux dont les fragments sont désormais disjoints et conservés dans des lieux différents ; un autre a été depuis divisé en feuillets et monté en format « atlas ») pour un seul codex. Un manuscrit du même texte a été vendu par Semenzato à Venise en mai 2003 (lot. 148), sans que j’aie pu trouver s’il s’agissait d’un rouleau ou d’un codex.
52Par exemple, dans la Bible de Foigny (Paris, BNF, ms. lat. 15177, fol. 2). À ce sujet, voir C. Klapisch-Zuber, L’arbre des familles, Paris, La Martinière, 2003.
53Paris, Arsenal, ms. 5211, fol. 6v b-7 c.
54Paris, BNF, ms. fr. 20039, fol. 6v ; Li romanz de Dieu…, éd. citée, v. 324-325. Le compilateur du manuscrit de Paris, BnF, fr. 6447, qui procède par endroits (mais rarement dans la Genèse) au dérimage du poème d’Herman de Valenciennes, adopte également cette séquence réduite : Adam-Noé-Abraham, fol. 12 b.
55Poème anglo-normand sur l’Ancien Testament, éd. citée, v. 308-311 (version du manuscrit de Paris, BNF, ms. fr. 902, fol. 2v a ; le même passage se trouve, à quelques variantes graphiques près, dans le manuscrit de Londres, BL, Egerton 2710, fol. 3v b).
56Paris, BNF, ms. nouv. acq. fr. 13521, fol. 251r b.
57Paris, BNF, ms. fr. 12456, fol. 27 a : Évrat avait déjà posé un peu plus tôt le problème de la longueur de ces listes généalogiques qui risqueraient d’allonger indûment son poème : « Mult i ot de ces et de cealz / Poi des bon et assez des malz / Ne sai comment les nons vos die, / Mult i a genealogie / Trop i avroit gent a nommer. / Briement welt la chose asommer / Que trop seroient grant li vers / Tant sunt li nom fort et divers / Issi cum jel truis en la Byble ; / Ne sunt aesible a nomer », ibid., fol. 24 b.
58Paris, BNF, ms. fr. 763, fol. 221v c.
59« Tuit sunt hastié al mal faire, tuit suint enclin a malvaistié, fors que Enoc ki fu translatés », Paris, BNF, ms. fr. 6447, fol. 11v a.
60Rubrique du chapitre 15, notamment dans le manuscrit de Paris, BNF, ms. fr. 20125, fol. 8 a.
61Paris, BNF, ms. fr. 15455, fol. 5 a.
62Paris, BNF, ms. fr. 24728, fol. 3 b.
63Chronique anonyme universelle…, éd. citée, p. 160 d, l. 32-42.
64Paris, BNF, ms. fr. 296, fol. 4v b.
65« Après cela, Élie et Hénoch descendent et déposent la chair du monde et prennent une chair d’esprit. Ils poursuivent le Fils de l’Iniquité et le tuent, sans qu’il puisse parler. En ce jour-là, il sera anéanti devant eux comme de la glace anéantie par le feu ; il périra à la manière d’un dragon qui n’a pas de souffle. Ils lui diront : “Ton temps est passé, voici, tu vas périr avec ceux qui croient en toi” » (Apocalypse d’Élie, J.-M. Rosenstiehl (trad.), dans La Bible. Écrits intertestamentaires, A. Dupont-Sommer, M. Philonenko [dir.], Paris, Gallimard, 1987 [Bibliothèque de la Pléiade], III, 91-95, p. 1823).
66Wace’s Roman de Brut. A History of the British, J. Weiss (éd.), Exeter, University of Exeter Press, 1999, v. 9787-9792.
67Wace propose en effet une traduction en langue vernaculaire de l’Historia Regum Britanniæ de Geoffroy de Monmouth. À cet endroit, le texte latin se contentait de mentionner les douze années de paix, sans gloser sur les récits qu’en ont tirés les « fableors » (reuersus est in Britanniam statumque regni in firmam pacem renouans moram duodecim annis ibidem fecit, Geoffroy de Monmouth, Historia Regum Britanniæ, M. D. Reeve [dir.], Woodbridge, Boydell, 2007, livre IX, § 153, l. 223-224).
68Paris, BnF, ms. fr. 6447, fol. 12 b.
69« Ragaü avoit.xxxii. anz et engendra Saruth ; au temps Ragaü, le royaume des Scites commença et les fame commencierent le royaume des Amazones qu’on appele le royaume de femenie. Les fames se couirroucierent contre leurs barons de ce qu’il avoient tant demouré a venir par devers elles. Au temps Saruth, le royaume d’Egipte commença qui dura jusques a l’empereour Octaviain duquel nous parlerons en son lieu. Saruch ot.xxx. ans et engendra Nachor. Au temps Nachor, le royaume des Assirians commença uquel Belus regna le premier roys et les autres croniques dient que Ninus fu li premier roys. Ici n’a pas grant descort que Ninus fu filz de Belus. Ninus edefia Ninivie, la granté cité, et fu le chief du royaume des Assirians, lequel fu destruit au temps Zacarie, le roi de Judee et fut translaté en la monarchie des Assirians aus Mediens et a ceuls de Perse, ainsi comme nous dirons en son lieu. Le royaume des Assirians dura de Nine, qui fu le premier roys, jusques a Sardeime Paule qui fu deirenier.m. iic. xl ans », Paris, BNF, ms. fr. 19477, fol. 24 a-b.
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