L’archiviste d’entreprise, l’exemple de la RATP
p. 171-175
Texte intégral
1Je suis ici au titre de la mémoire de l’activité dont nous allons parler aujourd’hui, puisque j’ai eu le privilège de mettre en place ce qui a existé jusqu’à la fin de 1994 comme mission Archives, puis est devenu à l’occasion d’un remaniement institutionnel l’unité « Mémoire de l’Entreprise -Information documentaire ». Il y avait à l’époque une situation de vide institutionnel auquel je me suis trouvé confronté lorsque je suis arrivé à la RATP. Ceci représente quelque peu un paradoxe puisque la RATP avait comme volonté, depuis la grande enquête sur le monde du travail de 1983 de « faire quelque chose » pour ses archives, de les organiser et ceci dans le cadre d’une réforme de la direction de l’organisation des systèmes d’information. À ce titre, un expert avait été chargé de faire le point sur les archives, enquête qui avait été faite de façon détaillée, honnête en termes de bilan de ce qui pouvait exister. S’y ajoutaient quelques suggestions d’amélioration sur le plan de l’organisation. La RATP s’était alors préoccupée du détachement d’un conservateur d’archives, procédure qui n’aboutit qu’après un certain temps. Lorsque celle-ci prit fin et que la RATP retint un candidat, l’entreprise était en pleine réorganisation institutionnelle. Les anciennes directions n’existaient plus et se mettaient en place progressivement les actuels départements dont le département du Patrimoine que M. Sammut, un des proches de Christian Blanc, organisait à partir d’anciens éléments du service juridique et de la direction de l’organisation des systèmes d’information. Je me trouvais, en quelque sorte, à partir d’une mission qui avait été définie par une structure qui n’existait plus, devant la nécessité de reposer les bases de cette mission. Face, certes, à des personnes qui en comprenaient les enjeux, qui avaient une oreille particulièrement attentive à ce que pouvait représenter l’organisation des archives mais néanmoins, il y avait à justifier de nouveau la mission et ce n’était pas une situation particulièrement facile par rapport à ce qui m’avait été donné de comprendre avant mon arrivée à la RATP. Mais en même temps c’était une école, un défi extraordinaire que d’avoir à prouver l’utilité des archives. Et c’est une chose qui nous est rarement donnée dans nos parcours professionnels respectifs d’avoir à justifier de sa mission.
2La RATP voyait donc l’organisation des archives, du moins dans un premier temps, comme une démarche d’organisation et les objectifs ne se situaient pas en termes de mémoire de l’entreprise, de vision stratégique ou même de communication. Il s’agissait d’assurer un accès à l’information dans les meilleurs délais et aux meilleurs coûts, d’une façon qui corresponde aux objectifs de l’entreprise : il fallait parvenir à une maîtrise des espaces et des effectifs... Les choses étaient très clairement posées ! À partir d’environ trente personnes traitant d’archives lorsque les activités étaient dispersées, on devait arriver à un objectif « cible » d’une quinzaine de personnes. C’est donc cette obligation qui explique le rattachement de l’activité « Archives » au département des Affaires immobilières ou du Patrimoine..., mais il est très clair que ce terme de Patrimoine représentait à l’époque les opérations de valorisation patrimoniale et de regroupement physique des différentes activités.
3Au départ, j’étais extrêmement perplexe sur la nature de ce rattachement. Je ne voyais pas très bien quelles étaient les possibilités de travailler au sein du département des Affaires immobilières ! Cependant, ce rattachement même a représenté une chance puisque le département du Patrimoine a joué, pendant toute la mise place de la réforme Blanc, un rôle de définition stratégique des activités de l’entreprise qui dépassait largement ses termes de référence de départ et le transfert d’activités d’un site à l’autre. On a ainsi pu se trouver en présence d’un réseau très proche de la prise de décisions, quant au regroupement de telle ou telle activité, et donc anticiper les versements d’archives correspondants.
4Une fois ce cadre posé, que s’agissait-il de créer ? Je reviens à l’étude de Michel Margairaz, réalisée dans le cadre de ce qui s’appelait Réseau 2000, pour laquelle il avait eu accès à une partie des archives de l’entreprise, notamment de la direction générale, et d’un certain nombre d’autres départements tertiaires. A l’époque, ce qu’il déplorait, dans son introduction, était l’absence d’un service centralisé d’archives nécessaire non seulement au travail des chercheurs, mais également indispensable à l’organisation de l’information à l’intérieur de l’entreprise.
5A l’issue de la vérification des conclusions de l’étude d’organisation, de l’inflexion d’un certain nombre des conclusions, deux pôles furent organisés : un pôle archives intermédiaires et un pôle dit archives historiques ou archives définitives. Ces deux pôles s’avèrent absolument complémentaires : c’est parce qu’il y a le pilier des archives intermédiaires, l’accès à la connaissance opérationnelle de l’entreprise que la partie archives historiques a pu se mettre en place. Les sites se sont progressivement dessinés : Saint-Germain-en-Laye et Vincennes.
6Saint-Germain-en-Laye, qui était déjà un site de stockage de documents d’archives des différentes anciennes directions, a été ouvert début 1992 en tant que centre d’archives intermédiaires. On est arrivé progressivement à obtenir de l’ensemble des départements de l’entreprise - non seulement du secteur tertiaire, qui a toujours versé assez facilement mais aussi du département au cœur du métier qu’est l’Exploitation et du secteur de la Maintenance - des versements, en dépit de la tendance de ces différents secteurs à garder, par-devers eux, une grande partie de leurs archives.
7Vincennes, qui se trouve maintenant à la Maison de la RATP, dans ce qui est devenu la médiathèque, a été l’occasion de faire le tour des services, de rassembler les archives que nous étions en mesure de mettre à la disposition des chercheurs.
8Il importe de souligner la situation des archives de la RATP au sein de différents réseaux. D’abord, il faut citer, ne serait-ce que parce qu’elle y contribue par le détachement d’un conservateur, le réseau que constitue la direction des Archives de France. Ce réseau, constitué par les Archives nationales et les archives territoriales, a par définition vocation à s’intéresser aux archives d’entreprises publiques. De ce fait, ces archives relèvent du contrôle, dit scientifique et technique, de l’État. Il est capital d’avoir ces termes de référence pour une structure comme les archives de la RATP. En revanche, cette direction ne constitue pas le réseau premier et essentiel. Les principaux réseaux sont d’abord celui de l’Association des archivistes français, en particulier la section des archives d’entreprise. Je suis frappé par la force et la vigueur de ce lieu de confrontation et d’expérience entre secteurs d’activités multiples, que constitue la section des archives d’entreprise. C’est d’ailleurs dans le cadre de ce groupe qu’ont pu être récemment réalisés d’une part, un guide de recherches, qui se penche sur les méthodes de travail, guide des délais de conservation d’autre part, guide des services d’archives, sans compter un certain nombre de réflexions sur l’avenir et l’insertion de la profession à l’intérieur des institutions. Je crois que la réflexion actuelle sur la norme Iso... correspond très bien à l’insertion que les archivistes d’entreprise peuvent avoir au sein de la structure dans laquelle ils travaillent.
9Il faut compter également sur les réseaux d’animation culturelle et de valorisation du Patrimoine. Jamais, si ce n’est lorsque j’ai été à la RATP, je n’ai senti à quel point les archives de la RATP étaient insérées dans un tissu de culture d’entreprise et de connaissance de son patrimoine. A côté du développement du service des archives, il s’est installé toute une réflexion sur l’avenir du Musée des transports parisiens, la possibilité de restaurer du matériel roulant, la possibilité d’organiser des expositions avec des partenaires extérieurs, la possibilité de réaliser un guide comme le Guide des sources de l’histoire des transports publics urbains à Paris et en Ile-de-France, xixe-xxe siècles, qui fait le point sur le patrimoine historique de l’entreprise. Enfin, l’insertion au sein d’un réseau de chercheurs, en particulier d’historiens, mais sans se limiter à cette seule discipline, a été dès le début l’un de nos soucis majeurs. C’est comme cela que nous avons pu nous rencontrer et monter des programmes de travail mettant à la disposition des chercheurs des archives tout juste classées ou à peine classées, mais pour lesquelles nous savions qu’elles pouvaient constituer une base de recherche pour un travail universitaire. Nous avons pu faire cela avec les Universités Paris I, Paris VIII, Paris X..., bref, un très grand nombre d’institutions, et la présentation d’une partie de ces travaux est à l’origine de l’organisation de ces journées. L’insertion au sein de ces réseaux est donc particulièrement essentielle.
10Je ne voudrais pas donner une image par trop idyllique de ce qu’est la situation de l’archiviste au sein de l’entreprise en évoquant les avantages et les inconvénients d’une telle formule de création interne.
11D’une part, on est en mesure d’expliquer ce qu’est l’archiviste - il n’est pas le magasinier mais c’est aussi le magasinier ! Il est important d’énoncer toutes les dimensions du métier d’archiviste. On le fait bien quand on est dans la structure, quand on est en mesure de remonter très en amont par rapport à la création des dossiers, quand on a cette possibilité d’accompagner les évolutions et les réalisations de l’entreprise. Il est vrai que le transfert de 1 500 agents sur le site de Lyon-Bercy, en présence d’un archiviste, a représenté une occasion exceptionnelle, historique. En effet, on a l’exemple du transfert, vers le site de Charonne-Vallès, de la direction du réseau ferré, installée depuis 1970 quai de la Rapée, qui s’est accompagnée de la destruction complète des archives, si bien qu’on ne dispose plus d’aucun document datant d’avant le lendemain de la Libération, si ce n’est quelques bribes ici ou là... Je ne reviendrai pas sur l’élargissement du périmètre d’origine, c’est-à-dire des archives au patrimoine industriel... Mais, on est également face à l’évolution des métiers, face à l’évolution des techniques documentaires utilisées par différents métiers... Il est vraiment nécessaire de comprendre les métiers pour se faire respecter, donc d’intégrer très en amont les évolutions de pratiques face aux métiers de l’information des différents secteurs de l’entreprise.
12Si l’on pousse jusqu’au bout la logique de la mise en place d’un service d’archives, le risque, à terme, est de s’intéresser plus au patrimoine qu’aux archives, d’agir peut-être davantage par rapport aux besoins de l’entreprise que par rapport à une présentation neutre des sources. Mais le risque absolu - celui que l’on constate chez les archivistes qui ont passé un certain temps en entreprise- consiste à vouloir poursuivre son intégration au sein de l’entreprise et ainsi de renoncer au métier d’archiviste. Mais les avantages dépassent de loin les inconvénients.
13Je conclurai en reprenant ce que j’ai écrit ailleurs en faisant le point sur ces sept années de présence à la RATP : l’archiviste d’entreprise est finalement un archiviste, un homme au carrefour de l’information et de la mémoire, qui applique, à partir du principe du respect des fonds et en correspondance avec la réalité de la structure au sein de laquelle il opère, des règles de conservation, de classement, d’inventaire, de communication des dossiers qu’il contrôle et dont il a la garde. Mais il n’en reste pas moins qu’il crée chaque jour son poste, c’est en tout cas l’enseignement que je tire de mes années à la RATP. Nous devons savoir être au service des logiques de l’information et du patrimoine dans la mesure où celles-ci transcendent les frontières entre public et privé et où nous avons souvent la chance de revenir très en amont au sein des entreprises sur les archives courantes.
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