L’entreprise RATP, les archives, l’ethnologie et l’histoire
p. 167-170
Texte intégral
1Je voudrais vous exprimer la satisfaction et tout l’intérêt que la direction de l’entreprise porte au partenariat qui s’établit ici, à propos de l’histoire de l’entreprise.
2Il est toujours bon de sortir des aréopages de techniciens et de raconter l’histoire telle qu’elle s’est réellement déroulée, et non pas telle que vous la découvrez dans les mémoires, dans les archives, dans les papiers. Si un jour vous essayez de comprendre pourquoi, il y a dix ans, l’entreprise RATP a créé une unité « Mémoire de l’entreprise », vous trouverez, sans doute, dans les archives la date de cette décision, la note de service qui désigne Henri Zuber comme responsable de cette unité. Vous découvrirez, éventuellement quelques éléments de recherche qui expliquent que « ce serait vraiment bien de faire des choses comme ça... », mais vous ne comprendrez pas pourquoi, cela s’est décidé à cette époque précise. Ou bien vous avez des réseaux de renseignements parfaitement efficaces...
3Je vais donc vous dévoiler un secret, qui n’en est pas un. Je ferai allusion aux étoiles, au fatum : il y a des étoiles qui autorisent la prise de décisions et la réalisation de choses qui ne sont pas possibles dans des structures logiques, organisées, rationnelles. J’ai été acteur de cette décision, de façon étonnante, imprévisible et aléatoire, puisque je suis arrivé à la RATP, en septembre 1989, pour travailler avec le président Blanc sur différents sujets et que j’ai rencontré les problèmes d’organisation de l’entreprise. Dans cette réflexion pour changer les habitudes et les structures, il y avait le contenant et le contenu. Il fallait parvenir à travailler sur le contenant : les espaces de travail, les organisations mises en place... Au début du travail sur les flux et les questions d’ancienneté, de mouvements, d’organisations fonctionnelles, etc., je n’étais pas totalement ignorant de l’intérêt et de l’importance de l’histoire, des archives et des problèmes structurels qu’elles posaient. J’avais eu la chance d’être, dans mon passé professionnel, secrétaire général d’une ville, ô combien historique, Arles, dont le passé jouit d’un prestige immense, et où l’on avait traité les questions d’archives.
4Et nous voici dans la mécanique du patrimoine. Je me suis retrouvé, avec l’aide efficace d’Henri Zuber et de son équipe, à préparer la grande décision, le grand bouleversement de l’organisation du service des archives de la RATP. Au départ, c’est une affaire de réorganisation opérationnelle et fonctionnelle qui nous a conduits à cette décision : que faire de tous ces éléments anciens ? Le site historique du quai de la Rapée allait être démoli, les Grands-Augustins « bougés ». Il n’était pas pensable de continuer à avoir des kilomètres d’armoires dans les couloirs ! Il fallait des éléments scientifiques de rationalisation. Quelqu’un devait assurer une homogénéisation des documents, puisque tous les départements de l’entreprise faisaient ce qu’ils voulaient : certains avaient des problèmes importants de mémoire..., d’autres avaient tout jeté à la Seine. On ne pouvait pas continuer ainsi !
5Cet outil, l’unité « Mémoire de l’entreprise », a donc été créé sur la base du volontariat, d’adhésion à un projet de la part d’hommes et de femmes qui croyaient en ce qu’ils allaient réaliser. Le plus extraordinaire dans cette décision est que, non seulement, on a su voir ce qu’il y avait à faire et on les a autorisés à le faire, mais encore, on leur en a donné les moyens, les assurant du soutien de la direction générale. En ce domaine, dès le début, nous sommes passés d’un problème, uniquement matériel, fonctionnel et organisationnel, à une vision beaucoup plus stratégique de la dimension historique, dont nous avons fait un élément de la stratégie de l’entreprise, dans sa perception la plus compréhensible pour les salariés et pour l’extérieur. Il s’agit d’une double décision prise à l’époque par l’entreprise. D’une part, il fallait des professionnels ayant des outils adaptés à la conservation et à l’utilisation de notre mémoire. D’autre part, il fallait que cet outil produise, nous dirige, nous alerte sur nos racines par rapport à notre avenir. Si l’utilisation des espaces intéresse le domaine technique, il est clair que certaines dimensions de l’histoire de l’entreprise peuvent participer à la mobilisation, à la réflexion, à la traduction opérationnelle de l’évolution de l’entreprise. Par rapport aux dix années que nous venons de vivre, sur les évolutions de charges organisationnelles, de relations sociales, vous, les historiens, pouvez nous aider à comprendre et à anticiper les questions qui vont se poser à nous.
6Dans ce domaine comme dans d’autres, on peut se féliciter du fait que l’entreprise investisse le champ des sciences sociales. La direction est persuadée que ces sciences sont essentielles, dans une entreprise comme la nôtre, car elles nous éclairent quotidiennement sur la mise en œuvre de nos compétences. Les compétences techniques de l’entreprise ne sont pas en cause. La RATP est un excellent transporteur, que ce soit en matière de sécurité ferroviaire, d’organisation des transports ou d’ingénierie du développement. En revanche, se pose la question des capacités de l’entreprise à développer la compréhension de son tissu social externe : ce qui se passe à l’extérieur de l’entreprise a des conséquences sur son fonctionnement quotidien. De notre capacité à comprendre ces problèmes, à anticiper les évolutions et à comprendre les organisations à mettre en place, pour faire face à ces sollicitations externes, dépendront notre survie et notre développement. Aujourd’hui, nous devons savoir gérer les transports en commun dans certains quartiers difficiles et nous ne pouvons rester extérieurs. Nous devons au contraire être acteurs et réfléchir à l’évolution des métiers. Le métier de machiniste pourra constituer, dans quelques années, un sujet de thèse. Il est évident qu’il se passe quelque chose d’important, entre les années quatre-vingt et la fin du xxe siècle, dans la définition même du machiniste dans sa relation avec le public et la société. Là, l’histoire des statuts et des relations entre les groupes ne peut que nous éclairer. Nous n’avons aucun a priori ou plutôt nous n’avons que des a priori positifs à l’égard de ce que les sciences sociales peuvent apporter à la détermination de nos stratégies d’entreprise. Aussi souhaitons-nous que perdurent les relations maintenant établies avec les enseignants, les étudiants et les chercheurs, que s’enrichissent les travaux fondés sur nos archives et qu’un jour une étude sur notre activité des dix dernières années évalue la portée et l’efficacité de notre projet de modernisation.
7Il existe dans l’entreprise une unité qui s’intitule « Prospective », composée de chercheurs qui sont là pour nous interroger. Depuis que ce groupe fonctionne, de grandes missions apparaissent. À propos de l’extension des transports en Île-de-France, on peut s’interroger sur la double détermination du pouvoir régional et celle des impératifs de la construction de l’Europe. Se pose simplement la question de savoir comment un colloque des prospectivistes pourrait tirer des conclusions de notre politique de réforme de l’entreprise de ces cinq dernières années. Je me félicite en tout cas de la tenue de ce colloque et vous transmets, de la part du président Bailly et de toute la direction générale, des vœux de plein succès pour ces deux journées.
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