« Les enfants du métro ». Les œuvres sociales aux origines de la RATP
p. 131-142
Texte intégral
1Quarante-trois œuvres sociales (dont dix-sept appartenant à la CMP, et vingt-six à la STCRP) au service d’environ vingt-cinq mille agents, tel est l’héritage légué par la direction du réseau souterrain et du réseau de surface à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Bilan plutôt positif pour l’époque, largement exploité dans les brochures éditées par « Les Enfants du métro », dans les années trente, vantant les mérites des institutions philanthropiques des deux compagnies de transports parisiens.
2Qu’elles aient été instituées par des associations d’agents, par la direction générale de la CMP ou de la STCRP, les œuvres sociales ont eu toutes un objectif commun : se mettre au service du personnel et de leur famille. Certes, la contribution des hauts dirigeants de ces deux réseaux permit un rapide développement de cette politique sociale par le biais d’attributions de subventions. Mais cette participation du patronat s’inscrivait plutôt dans une volonté marquée de contrôler l’agent, que ce soit pendant ou en dehors des heures de travail.
3Mens sana in corpore sano, telle est la devise vers laquelle tend la politique d’action philanthropique de œuvres sociales aidées financièrement par les directions respectives des deux compagnies de transports parisiens. Les différentes missions de ces institutions sont de plusieurs ordres mais convergeaient toutes vers un objectif commun : le bien-être des agents, aussi bien dans la vie professionnelle que dans la vie privée.
4C’est un discours avant tout hygiéniste qui ressort de l’analyse des archives consultées, en particulier des différentes brochures des « Enfants du métro » comme Les Institutions de prévoyance et œuvres sociales1, L’Hygiène, Le Service médical et les institutions philanthropiques de la CMP2 ou bien encore les organes internes à chaque compagnie tel que L’Écho de la STCRP3. Les différentes initiatives de ces œuvres en matière d’hygiène, d’assistance et de bienfaisance ont un caractère innovant pour l’époque et font de la STCRP et de la CMP des pionnières dans le domaine de la politique sociale.
5Les directions des deux compagnies mettent un point d’honneur à appliquer, dans le cadre de la profession, de sévères conditions de salubrité, tant pour la sécurité des voyageurs que pour celle du personnel. Pour cette raison, la CMP et la STCRP ont établi une véritable campagne de prévention des accidents et une politique systématique de dépistage des maladies sociales. Cette volonté se traduit par un contrôle permanent du matériel et des actions stratégiques portant sur l’assainissement constant des locaux. A. Hallmayr, ingénieur en chef des services administratifs en 1939 et vice-président des « Enfants du métro », est particulièrement fier de cette campagne de prévention, et affirme : « L’atmosphère du souterrain est aussi saine que celle des rues du centre de la capitale, et elle est beaucoup moins insalubre que celle que l’on respire dans les locaux qui abritent le travail ou les loisirs de la plupart des Parisiens. »4
6Le discours hygiéniste s’illustre aussi dans les soins corporels du personnel. Des installations sanitaires sont, très rapidement mises en place : cabines de douches, urinoirs et WC à chasse d’eau aménagés dans les terminus, les ateliers et les sous-stations du réseau souterrain5. La STCRP offre, quant à elle, la possibilité à ses agents d’utiliser gratuitement les bains-douches de la Ville de Paris6.
7Le service médical de chaque compagnie est une institution essentielle et vitale pour préserver la santé des agents et de leur famille, tant par la richesse des soins dispensés que par l’organisation. Ces services constituent une particularité innovante et un modèle dans la politique sociale de l’époque. Périodiquement, le personnel des deux compagnies est soumis à des visites de contrôle, dans le but de vérifier la capacité de l’agent à assurer un service normal. A la STCRP, ces visites vont de pair avec des examens psychotechniques, permettant un dépistage plus efficace des maladies sociales telles que la tuberculose, l’alcoolisme ou encore le cancer. Le réseau de surface est d’ailleurs très fier de son centre psychotechnique, créé en 1924, et qui, selon L’Écho de la STCRP7, aurait été par la suite un modèle et un exemple international, repris, en autre, par les compagnies ferroviaires d’Amérique, d’Italie et d’Allemagne. Une autre particularité du service médical de la CMP8 réside dans la gratuité des soins médicaux, pharmaceutiques et des frais hospitaliers dispensés à ses agents. Le personnel de la STCRP ne tarde pas à bénéficier des mêmes avantages, au moment où les deux compagnies fusionnent, en janvier 1942.
8En fait, si le réseau de surface a, en sa possession, des installations plus performantes et plus développées comme le laboratoire d’analyses et de biologie ou le centre de psychotechnie, la CMP, de son côté, préfère avantager son personnel en prenant à sa charge le maximum de soins médicaux.
9Travaillant en parallèle avec le service médical de chaque compagnie, les institutions de prévoyance et les caisses de secours mutuels se doivent, quant à elles, de préserver la famille de l’adversité. Ce sont les premières œuvres sociales fondées au sein des deux compagnies, par exemple, la Caisse de prévoyance de la CMP, créée le 27 janvier 1898, par une convention passée entre la Ville de Paris et la Compagnie concessionnaire du chemin de fer métropolitain. Cette dernière contribue au bien-être du personnel en aidant les familles nécessiteuses et en visitant les malades et les blessés. Elle dispense aussi des conseils d’hygiène de vie qu’elle envoie à chaque agent du réseau souterrain. Elle préconise, entre autre, un habitat confortable, une bonne et saine alimentation et une vie bien réglée et sans excès9. Il faut mentionner, également, la présence des coopératives, très prisées auprès des agents et mises en place en 1904 à la CMP et en 1932 à la STCRP. Ces dernières procurent à leurs adhérents, en échange d’une contribution, des produits alimentaires de consommation courante à des conditions avantageuses10.
10Ce discours hygiéniste se retrouve encore dans les œuvres sociales de sports et de loisirs. Chaque compagnie a son propre complexe sportif. À travers le développement et la pratique des différentes disciplines sportives, les deux réseaux veulent inculquer à chaque agent l’adage « un esprit sain dans un corps sain ». C’est en tout cas ce qu’affirment, chacun de leur côté, les membres organisateurs de ces œuvres. Ainsi, pour l’Association sportive des transports de la STCRP : « Seul le sport peut [...] donner une âme saine dans un corps robuste, car il réprouve rigoureusement tous les excès. Il contribue à la formation du caractère des individus pour en faire des hommes dignes des durs combats de la vie. »11
11L’Union sportive métropolitaine s’est donnée, quant à elle, deux priorités explicitées par Gaston Vrolixs, président de l’association en 1928 : « Améliorer la condition physique et l’état moral des agents de la CMP par la pratique de la culture physique et des sports, et faire un effort en vue de la diffusion de l’idée sportive parmi le personnel de la CMP. »12
12D’autres œuvres sociales comme la « Société littéraire et artistique du métropolitain », 1’ « Union musicale de la STCRP » ou encore le « Groupement horticole de la CMP » permettent au personnel de développer chez lui le goût des arts, de la musique ou de la littérature. Tout agent, qui désire employer « utilement » ses heures de loisirs, a à sa disposition un éventail d’activités d’une grande richesse.
13Contrairement aux autres œuvres sociales, les amicales ou les associations d’anciens combattants s’attachent à unir des catégories distinctes du personnel des deux réseaux, à resserrer les liens des adhérents originaires d’une même région, ou bien encore à défendre concrètement leurs intérêts économiques. En 1939, force est de constater que les œuvres sociales de la CMP et de la STCRP ont une réputation plus qu’honorable auprès des agents des deux réseaux, qui sont de plus en plus nombreux à y adhérer.
14Les années quarante marquent un tournant dans la gestion des œuvres sociales. A dater du 1er janvier 1942, la CMP se voit confier la mission d’exploiter à la fois le réseau ferré et le réseau de surface. Avec la fusion des deux compagnies, les personnels de la CMP et de la STCRP peuvent bénéficier, sans distinction, des différentes institutions philanthropiques13. Cette unification entraîne de nombreuses transformations au sein des œuvres sociales des deux réseaux. De fait, jusqu’en 1942, ces différentes institutions se sont organisées et ont mené leurs activités de manière indépendante. Mais l’instauration du comité social par la Charte du travail14 met un terme à ces années d’autonomie15.
15Cet organisme, créé à la CMP le 21 janvier 1943, est chargé d’organiser la profession au point de vue social et professionnel. Administrateur direct des institutions sociales mises en place au sein de la CMP, le comité social apparaît, avant tout, comme le moyen d’expression du personnel, mais sous la direction « bienveillante » du chef d’entreprise. Le personnel se trouve représenté au comité social par des syndicalistes légaux qui, en contact constant avec leurs mandants, assurent une liaison directe dans le sens personnel comité et dans le sens comité personnel.
16Le discours générique du comité social prône l’esprit de solidarité, la lutte pour le bien commun et contre le désordre social, une bonne volonté réciproque ainsi qu’une entraide et une compréhension mutuelles entre les différentes catégories professionnelles. Il a pour tâche d’aider la Compagnie à résoudre toutes les questions relatives à la vie sociale du personnel et de provoquer un échange d’informations mutuelles entre les catégories professionnelles.
17Cependant, force est de constater que le comité social est, avant tout, le premier organisme coordonnateur des œuvres sociales. Dès 1943, sous sa tutelle, ces institutions doivent vivre et s’organiser. Cette centralisation des œuvres sociales s’illustre par une politique générale d’entraide et d’assistance morale, matérielle et intellectuelle, destinée à améliorer les conditions d’existence des agents et de leur famille. Dans un but de coordination ou d’amélioration de ces dernières et en vue d’intensifier leur action dans l’intérêt général, deux commissions ont été créées au sein de ce comité : la commission des œuvres sociales et la commission provisoire des œuvres sociales de guerre. Elles se donnent le droit, au nom du comité, de prescrire soit la modification d’activité, soit la dissolution, soit la fusion de certaines œuvres, soit la remise de leur gestion au comité social16.
18En août 1944, à la Libération, les œuvres sociales de la Compagnie font piètre figure. Elles ont été plus ou moins atteintes par la guerre et la remise en état de leurs locaux, par exemple, doit être entreprise rapidement. Telle fut la priorité de la politique du comité provisoire de gestion des œuvres sociales. Il faut constater que les différentes institutions de la Charte du travail n’auront guère eu le temps d’instituer le climat de paix sociale et d’union qu’elles prônent. L’épuration de certains membres de la CMP aux premiers jours de la Libération, comme Paul Martin17, ébranle les premières pierres de cet édifice social. De cet organisme qui se voulait être le moteur de la lutte pour le bien commun, un seul de ses objectifs persiste après la Libération : celui de coordonner les œuvres sociales de la Compagnie. Tel fut le mot d’ordre de la politique sociale de la Compagnie, illustrée par la mise en place du comité de gestion provisoire des œuvres sociales qui remplace, à la Libération, le comité social de Vichy. Ce comité provisoire a pour priorité les réparations d’après-guerre qui passent avant l’extension et l’agrandissement même des œuvres sociales. A ceci s’ajoute la création, pour répondre aux besoins exceptionnels de l’heure, d’organisations appropriées comme le centre d’accueil des prisonniers, déportés et réfractaires, symbolisant l’esprit d’entraide qui doit animer toute institution philanthropique.
19En 1946, les œuvres sociales reprennent peu à peu leurs activités d’avant-guerre. Toutefois, le manque total d’archives concernant ce comité de gestion provisoire illustre l’une des zones d’ombre rencontrées. Néanmoins, on peut avancer qu’il a pour mission l’administration des œuvres à caractère social de la CMP. Pour cela, mais sous réserve de l’approbation de la direction générale de la Compagnie, il fixe le montant des crédits, les affectent à tels ou tels groupements et sociétés et contrôle la régularité de leur emploi. Ce régime provisoire fonctionne jusqu’au printemps 1947, date à laquelle il passe le relais au comité d’entreprise de la CMP, institué deux ans après la promulgation du décret du 22 février 1945.
20A la Libération, la création des comités d’entreprise illustre et symbolise l’accès des travailleurs à la gestion de l’entreprise. L’institution se veut à l’image d’une idéologie nouvelle, d’un monde ouvrier en pleine mutation. Le comité d’entreprise de la CMP18 naquit par le biais d’un contrat établi entre la direction et les syndicats les plus représentatifs de la Compagnie (protocole du 10 octobre 1946)19 et non pas de textes officiels issus de la Libération comme l’ordonnance du 22 février 1945 ou encore le décret du 2 novembre 1945 portant création des comités d’entreprise dans tous les centres d’activité économique de plus de cinquante salariés.
21L’essence même de cet organisme réside dans la diversité sociale de ses membres et dans la reconnaissance des capacités du monde ouvrier à prendre en main sa vie professionnelle. Il assure sa tâche au travers de deux types d’attributions. D’un point de vue économique d’une part, le législateur a marqué sa volonté de voir ce comité s’associer étroitement à la vie de l’entreprise. Ainsi, à titre consultatif, le comité d’entreprise étudie toutes les questions relatives à l’organisation générale de la compagnie, par exemple, à travers le rapport d’ensemble sur l’activité de l’entreprise présenté tous les trois mois par le directeur général lui-même. Cependant, si le comité d’entreprise est appelé à donner de nombreux avis concernant l’amélioration des conditions de travail, l’exploitation des réseaux, l’organisation et la gestion de la CMP, son activité s’exerce principalement dans le domaine social.
22Le comité d’entreprise a un droit de regard plus ou moins direct sur toutes les œuvres sociales de la compagnie. Il dispose de trois possibilités d’intervention : soit la gestion directe des œuvres sociales comme les maisons de repos ou les coopératives, soit la participation à ladite gestion pour des œuvres comme l’USMT, la SLAM ou « Les Enfants du métro », soit un contrôle pour l’école d’apprentissage de Mozart.
23Le premier Bulletin annuel du comité d’entreprise du chemin de fer métropolitain de Paris, édité en 1948, retrace l’historique du comité d’entreprise et son organisation, dans le but de mieux faire connaître à l’ensemble du personnel de la Compagnie cet organisme et ce qu’il peut lui apporter. Par la signature du protocole du 10 septembre 1946, le comité d’entreprise de la CMP se voit octroyer une base légale, confirmée par la loi du 21 mars 1948, instituant la RATP, à laquelle est désormais confiée l’exploitation des réseaux antérieurement gérés par la CMP. Petit à petit, fort de sa légitimité et de ses pouvoirs, le comité d’entreprise devient un organisme de plus en plus nécessaire au bien-être du personnel et à l’équilibre de l’entreprise.
24Une « politique de grandeur sociale »20, pour une meilleure gestion des œuvres sociales au service des agents de la Compagnie, est la ligne directrice que les premiers élus tentent de suivre au cours de leurs années de présence au sein du comité d’entreprise. Ils veulent étendre les fonctions des œuvres et développer leurs activités. Mais de quelle manière les œuvres sociales profitent-elles de la coopération du comité d’entreprise dans les trois années qui suivent son élection ? Le comité a mis toutes ses forces dans trois grands thèmes illustrant les trois grandes lignes principales de sa politique, à savoir les vacances, les sports et les cantines. Ainsi améliore-t-il, par exemple, la coordination des cantines pour une meilleure homogénéité entre elles21. Quant aux sports, ils représentent le domaine le plus apprécié des membres du comité d’entreprise. Ils y voient avant tout un développement moral, intellectuel et physique, tant pour les jeunes que pour les adultes22.
25Le comité a fait tout ce qui était en son pouvoir pour étendre les activités des différentes œuvres sociales d’avant-guerre. Cependant, aucune œuvre, qu’elle soit culturelle, sportive ou artistique ne se crée au sein du comité d’entreprise entre 1947 et 1950. Il se contente juste d’offrir son aide et son soutien aux œuvres sociales déjà existantes. Toutefois, celles qui ont connu une autonomie certaine à leurs débuts, apprécient-elles véritablement l’ingérence du comité d’entreprise au sein de leur organisation et de leur fonctionnement ? « Les Enfants du métro », et ils étaient les seuls, mirent en doute le bien-fondé de la création du comité d’entreprise.
26De toutes les œuvres sociales qui naquirent au début du siècle, la fondation « Les Enfants du métro » représentent un exemple de choix pour illustrer l’évolution de ces œuvres sociales qui, nées du développement de la politique patronale de la STCRP et de la CMP, se retrouvèrent sous la coupe du comité d’entreprise, issu du monde ouvrier.
27La fondation fut créée en janvier 1930 par Yvonne Ulrich, épouse de Marcel Ulrich, administrateur délégué de la CMP. La politique philanthropique de cette œuvre sociale a pour objectif d’appliquer, au sein de la Compagnie et en faveur des enfants d’agents, un très vaste programme de protection de l’enfance23. L’illustration de cette volonté bienfaitrice est la création de colonies de vacances comme Ménétreux-le-Pitois (Côte-d’Or), Ruffey-sur-Seille (Jura), Beauvais-sur-Matha (Charentes-Maritimes) ou encore Poiseux (Nièvre). Selon les dires d’Albert Hallmayr, vice-président de la fondation dans les années trente, il s’agit : « d’ouvrir des horizons nouveaux à des enfants affaiblis par le séjour des villes, de rétablir leurs forces, de leur apprendre l’hygiène, l’éducation physique et de les faire accéder à une existence plus saine et plus heureuse »24.
28Les paroles que Marcel Ulrich prononce, peu avant sa mort en 1934, éclairent parfaitement la ligne de conduite très paternaliste de la politique sociale de la compagnie envers son personnel : « Enfants du métro, ils le sont bien en effet ces petits garçons et ses fillettes que nos agents envoient dans nos colonies de vacances [...]. Ils le sont, car notre compagnie est une grande famille dont tous les membres sont entre eux profondément unis ; elle est, vous le savez, soucieuse du bien-être de son personnel [...]. Elle se penche avec une attention particulièrement bienveillante vers la génération de demain, pour contribuer à lui donner la santé morale et physique dont elle a besoin. »25
29Les membres de la CGT dénoncèrent ce côté paternaliste dès la mise en place du comité d’entreprise26. Mais cela n’enlève rien au fait que c’est la seule œuvre sociale d’avant-guerre à se préoccuper avant tout des problèmes de l’enfance. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la fondation étend ses activités et permet à de nombreux enfants d’agents de profiter du grand air de la campagne. Par sa position au sein de la Compagnie et ses attaches patronales d’avant-guerre, elle est certainement l’une des œuvres sociales les plus influentes auprès du personnel de la Compagnie. Cependant, si elle a « coulé des jours heureux » jusqu’en 1945, il en fut tout autrement lorsque le comité d’entreprise décide, dès 1947, de participer à sa gestion par le biais de ses représentants au sein du conseil d’administration de la fondation. De cette collaboration étroite, qui permit l’extension des activités de la fondation, aurait pu naître une relation complice entre le comité d’entreprise et « Les Enfants du métro », fondée sur le développement et la protection de l’enfance. Ce ne fut pas le cas ! « Le patronat comprenait la colonie dans le cadre de la charité dont il avait fixé, par avance, les limites étroites. Après la Libération et grâce à la législation créant les comités d’entreprise une ère nouvelle allait naître. »27
30Telle est l’image que les représentants de la CGT du comité d’entreprise se font de la gestion des colonies de vacances d’avant-guerre. Dans tous les articles parus sur les colonies enfantines, que ce soit dans les journaux syndicaux ou dans l’organe du comité d’entreprise de 1946 à 1950, jamais l’œuvre des « Enfants du métro » n’est mentionnée en tant que telle. Ceci traduit la mainmise totale du comité d’entreprise sur les colonies et le refus de reconnaître une œuvre patronale qui a réussi à mettre en place un programme de protection de l’enfance grâce aux subventions de la direction de la compagnie. Le comité d’entreprise veut avant tout tirer un trait sur la politique de protection de l’enfance d’avant-guerre et effectuer une totale refonte de la gestion dans ce domaine.
31Comme à chaque participation du comité d’entreprise à la gestion d’une œuvre sociale, le conseil d’administration des « Enfants du métro » est composé, pour moitié, de membres de la Fondation et de membres du comité. Mais dès 1951, la situation devient tendue lorsque le comité d’entreprise décide d’assumer la gestion directe des colonies enfantines28, mettant ainsi un terme à cette collaboration « pacifique ». Après cette décision, la fondation n’a plus qu’une existence théorique. Pour justifier sa prise de position, le comité argue de la gestion trop coûteuse des colonies de vacances par « Les Enfants du métro ».
32Le comité d’entreprise ne désire-t-il pas, tout simplement, mettre un terme à l’existence d’une œuvre paternaliste et discréditer les actions de la direction au sein de la gestion des œuvres sociales ? En fait, le comité d’entreprise n’a jamais vu dans la fondation qu’une œuvre sociale au service de la direction de la CMP. Il avance deux arguments pour démontrer l’étroite relation qui existe entre la direction de la CMP et « Les Enfants du métro ». D’une part, il voit dans l’achat des propriétés effectué dans les années trente par la compagnie la volonté de cette dernière de s’approprier le service des colonies de vacances et de faire du conseil d’administration de la fondation « un appendice de la direction », comme le souligne René Allyn en 1951, dans le magazine Métro-Bus29. D’autre part, le comité reproche aux « Enfants du métro » d’avoir mis pendant l’Occupation, les colonies enfantines au service du comité social de Vichy. La décision du comité de gérer directement les colonies de vacances, sans en référer aux « Enfants du métro », place la direction de la Régie devant un sérieux dilemme et la met dans une situation délicate. En effet, accepter la décision du comité équivaut à renier les actions que l’ex-direction de la CMP a entreprises dans les années trente. D’autre part, si elle se range aux côtés des « Enfants du métro », sa position aurait été immédiatement critiquée par le comité d’entreprise comme allant à l’encontre de l’accès des travailleurs à la gestion des œuvres sociales. Peut-on réellement mettre d’accord une œuvre sociale, née de la volonté paternaliste de la direction de la CMP des années trente, et un organisme tel que le comité d’entreprise issu de la Libération ? Après bien des atermoiements, il est décidé que le conseil d’administration serait composé par moitié de membre du comité d’entreprise avec, à leur tête René Allyn, fervent défenseur des prérogatives du comité en qualité de vice-président de la fondation. En contrepartie, le caractère fondamental de la fondation n’est pas mis en cause, puisque deux membres du personnel supérieur, MM. Cordemoy et Mudes, ont été respectivement nommés, en 1964, président et vice-président des « Enfants du métro »30.
33En 1964, c’est une victoire pour le comité et une reconnaissance des droits du personnel à la gestion ou tout au moins au contrôle de toutes les œuvres sociales existant dans l’entreprise. Cependant, la composition du conseil d’administration de la Fondation montre que la majorité des « Enfants du métro » risque toujours d’être l’expression de la direction puisque la voix du président de son conseil d’administration est prépondérante.
34De nos jours, le reflet de la lutte entre la CGT et le patronat, c’est-à-dire entre les colonies du comité d’entreprise et celles des « Enfants du métro » est toujours aussi vivace. Pourtant, l’objectif de chacun reste le même. Les membres du comité d’entreprise conçoivent à l’heure actuelle les colonies de vacances comme des centres laïcs et éducatifs. Les activités qui s’y déroulent ayant pour but de sensibiliser l’enfant à la découverte du milieu naturel en passant par l’apprentissage de la vie en société. Mais n’était-ce pas ce vers quoi tendaient les actions et la politique éducative de la fondation des « Enfants du métro » ?
Notes de bas de page
1 Archives des « Enfants du métro », Les Institutions de prévoyance et œuvres sociales, Paris, Édit. Les Enfants du métro, janvier 1938, 22 p. ; L‘Hygiène, Paris, Edit. Les Enfants du métro, janvier 1938, 53 p.
2 Archives des « Enfants du métro », Le Service médical et les institutions philanthropiques de la CMP, Paris, Édit. Les Enfants du métro, janvier 1938, 12 p.
3 Archives RATP, Publication mensuelle d’information professionnelle à destination des agents de la Compagnie (du n° 1, octobre 1929, au n° 20, octobre 1931).
4 Archives des « Enfants du métro », L‘Hygiène, op. cit., p. 53.
5 P. Deval, Le Personnel de la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris, Étude juridique et sociale, thèse de doctorat en droit, Paris, 1939, 295 p., p. 225.
6 Archives RATP, fonds P, cote 17/1 B : Gestion des œuvres sociales, relations avec le CE, généralités de 1901 à 1981. Liste établissant une comparaison entre les œuvres sociales des réseaux souterrains et de surface (4 février 1942).
7 Archives de la RATP, L’Écho de la STCRP, n° 2, novembre 1929, p. 3.
8 Archives des « Enfants du métro », Le Service médical..., op. cit., p. 5. En 1938, 476 pharmaciens à Paris, 277 en banlieue étaient les fournisseurs officiels de la compagnie, délivrant gratuitement les médicaments aux agents sur simple présentation d’une ordonnance établie par un médecin agréé.
9 I. Pruvot, op. cit., p. 18-22.
10 Archives des « Enfants du métro », Institutions de prévoyance, op. cit., p. 12.
11 Archives de la RATP, L’Écho de la STCRP, n° 2, novembre 1929.
12 « Compte rendu annuel de l’exercice 1929 », in M. Touret, « L’Union sportive métropolitaine des transports : monographie d’un club sportif de 1928 à 1960 », mémoire de maîtrise, Université Paris I, A. Prost et J. Girault dir., CRMSS, 1982, 266 p., p. 12.
13 Archives RATP, fonds P, cote P 17/1 B : Gestion des œuvres sociales, relations avec le CE, généralité de 1901 à 1981.
14 Archives RATP, fonds P, article 215 : La « Charte du travail » de 1940 à 1944.
15 Archives RATP, fonds P, cote Services et conseils n) 7 à 8 : Les œuvres sociales.
16 Archives RATP, fonds P, article 215 : La « Charte du travail » de 1940 à 1944.
17 Président-directeur général de la CMP, président du comité social.
18 Archives RATP, Presse syndicale, « Le CE du métro voit enfin le jour », Métro-Bus, organe mensuel du Syndicat confédéré du personnel métropolitain, réseaux de surface et souterrain, n° 22, février 1947 ; P. Decugnière, « La première année de vie de notre comité d’entreprise », Métro « A » FO, n° 41, mars 1948.
19 Archives RATP, chemise 102A, protocole du 10 septembre créant le comité d’entreprise, et annexes.
20 Archives RATP, Presse syndicale, « Les œuvres sociales », Métro-Bus, n° 19, novembre 1946.
21 I. Pruvot, op. cit., p. 85.
22 Archives CGT, Bulletin annuel du comité d’entreprise de la RATP, n° 2, Paris, mai 1949, 31 p., p. 14.
23 I. Pruvot, op. cit., p. 94-95 et p. 188-194 : Fondation « Les Enfants du métro », statuts.
24 Archives « Les Enfants du métro », Les Enfants du métro, Paris, Édit. Les Enfants du métro, janvier 1938, 34 p. A. Hallmayr est membre du comité social provisoire de Vichy en tant que représentant de la direction.
25 Archives « Les Enfants du métro », Dossier « Les Enfants du métro : centres, divers »
26 « Les colonies enfantines : leur évolution depuis la création du comité d’entreprise », Métro-Bus, juillet-août 1946.
27 Ibid.
28 Archives du comité d’entreprise : les Enfants du métro de 1952 à 1971, dossier : Correspondance avant les délibération de la Régie, statuts. Lettre du 15 janvier 1951 d’Auguste Dobel (secrétaire du CE) : « [...] J’ai donc été mandaté pour vous informer qu’à partir de 1951, les colonies de vacances seront placées sous l’autorité du comité d’entreprise et gérées par lui. »
29 Archives RATP, Presse syndicale, R. Allyn, « Bien qu’il ait des alliés, le "paternalisme" ne revivra pas », Métro-Bus, n° 56, juillet 1951.
30 I. Pruvot, op. cit., p. 158-161.
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