Dossier documentaire, n° 2
Autour du voyage de Manuel II Paléologue en Occident (1399-1403)
p. 411-417
Texte intégral
1La venue de l’empereur Manuel II Paléologue en France en 1400 est cruciale dans l’organisation des collectes : c’est grâce à celle-ci que les souverains occidentaux accordent le droit de prélever les fonds pour la sauvegarde de Constantinople face aux Turcs qui ont mis le siège devant la ville en 1397. Manuel II prend la mer en décembre 1399. L’empereur fait tout d’abord étape en Morée et passe l’hiver en compagnie de son frère Théodore, despote de Mistra. Reprenant la route, Manuel passe vraisemblablement par Raguse puis arrive à Venise en avril 1400. Là-bas, le monarque est fêté comme rarement par la Sérénissime : réception officielle par les élites politiques et sociales de la cité, escorte sur le Bucentaure, la galère personnelle du doge. Puis Manuel poursuit son périple et est magnifiquement reçu partout où il fait étape : en effet, il est impératif pour chaque cité de faire mieux que sa voisine et de célébrer avec plus de faste une visite si extraordinaire. Ainsi, Andrea Gatari témoigne de la liesse populaire qui saisit la ville de Padoue et la région environnante à l’annonce de l’arrivée de l’empereur, oubliant presque la menace vénitienne. De même, à Pavie, c’est le duc de Milan en personne Gian Galeazzo Visconti qui l’accueille fastueusement. Manuel II arrive enfin à Paris le 3 juin 1400 où il est l’hôte de marque de Charles VI, fort heureusement dans un état mental acceptable. La venue impériale avait été annoncée longtemps à l’avance puisqu’une ambassade menée par Théodore Cantacuzène, oncle de Manuel, était entrée en contact avec les cours française puis anglaise en 13971398. Une fois à Paris, Manuel est de nouveau fêté : ce ne sont qu’enchaînements de réceptions fastueuses où le souverain byzantin continue d’être un objet de faire-valoir politique. Les Byzantins sont l’objet d’une curiosité qui ne faiblit jamais. Pendant trois années, interrompues par un court séjour en Angleterre à la Noël 1400, l’empereur et sa suite sont au centre de l’attention. Les Parisiens et les Londoniens sont intrigués par ces gens si différents et proches à la fois.
2Malgré toute cette atmosphère de fête, Manuel II ne perd pas de vue l’objectif principal de l’expédition. L’occasion lui est souvent donnée d’exposer la situation désastreuse de l’Empire et la nécessité d’en lui venir en aide. Ce ne sont alors que déluges de promesses et de belles paroles. On promet donc beaucoup à l’empereur, les princes font assaut de déclarations chevaleresques ce qui semble réjouir l’empereur : il est sûr que bientôt une armée sera sur pied. Pourtant, il ne se rend pas compte – ou feint de ne pas s’en apercevoir – que ce ne sont que des mots et que lorsqu’il s’agit de passer aux actes, il existe toujours des raisons de louvoyer. L’argument principal est la guerre francoanglaise, toujours latente. On promet cependant des fonds qu’on est bien incapable de collecter. Ainsi trois années se passent riches en promesses mais pauvres réalisations.
3En 1403, l’empereur reçoit la nouvelle incroyable de la défaite et de la mort du sultan ottoman à Ankara, face aux armées de Tamerlan. Étant parvenu à la conclusion qu’il ne tirerait rien de plus des princes d’Occident que de vaines promesses, l’empereur décide de rentrer chez lui. Le voyage de retour se fait bien plus rapidement, les événements se précipitant à Constantinople. En effet, le vide politique laissé par Bayezid ouvre une période de guerre civile opposant les fils du sultan, Mehmet, Suleymân, Musa et Mustafa. L’État byzantin dispose d’une période pendant laquelle la pression ottomane se fait moins forte et où la négociation avec tel ou tel prétendant rend possible la récupération de territoires perdus. Suleymân, une fois maître du pouvoir en Europe, signe un accord avec Jean VII Paléologue en février 1403 : des territoires comme Thessalonique sont récupérés. Pendant ces quelques années, Manuel II ne ménage pas sa peine et cherche constamment à impliquer les puissances occidentales dans la reconquête en cours, mais aussi à assurer la cohésion des terres byzantines toujours sous contrôle. Les contacts sont maintenus avec les souverains latins : les ambassades se succèdent dans la péninsule Italienne, en France, en Angleterre, dans le Saint-Empire ou en Castille. Le don au roi de France d’une image représentant la famille impériale est bien sûr un moyen de garder vivace l’amitié franco-byzantine. Et ce n’est pas anodin si les Riches Heures du duc de Berry mettent en scène la rencontre des Rois mages représentés sous les traits de Charles VI, Constantin le Grand et Manuel II Paléologue.
4S’embarquant à Venise fin 1403, l’empereur n’emmène pas tous ses sujets avec lui. Certains de ses sujets restent sur place ou reviennent rapidement en Occident, chargés de veiller sur les intérêts de l’empereur. Manuel II s’active et se démène pour rester dans les esprits des puissances et Manuel Chrysoloras n’est pas son seul atout : les ambassades se succèdent auprès du pape, de Venise, mais aussi des souverains français ou aragonais. Ainsi le diplomate Alexis Branas se fait une sorte de spécialiste des relations avec les souverains de la péninsule Ibérique. Manuel II ne laisse donc aucun répit aux souverains latins et ne cessent d’être présent, que ce soit physiquement ou par l’intermédiaire d’un diplomate. Et c’est bel et bien dans ce contexte diplomatique intense que ce situe la vaste entreprise de collecte des dons dont il est question ici.
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