Conclusion de la quatrième partie
p. 391-392
Texte intégral
1Il nous faut tenter de rassembler les données que nous avons mises en évidence au prisme d’une fiction produite par l’ensemble de notre corpus documentaire. Une analyse la plus complète sur un groupe humain tel que les Grecs évoluant dans un contexte social aussi différent que les sociétés anglaise, bourguignonne et française ne pouvait faire l’économie d’une réflexion sur la documentation qui évoque leur présence et leurs actions.
2Dans un premier temps, l’analyse détaillée des types de sources et des discours qui leur sont associés, a révélé en premier lieu que leur grande diversité impliquait une pluralité des récits sur les Grecs. Ceux-ci sont fondés sur des réalités politiques, sociales, économiques et culturelles qui affectent les Grecs de l’époque mais qui sont souvent adaptées à une fiction en accord avec le public visé : ainsi, depuis les chancelleries jusqu’aux pages des chroniques les plus courues, les Grecs apparaîtront de diverses manières, oscillant entre une image fantasmée et enrichie par une littérature exotique, et une volonté plus réaliste où les Grecs prennent place dans une nouvelle carte mondiale qui s’élargit au xve siècle. De fait, les récits sur les Grecs – ou plutôt les mises en récit de situations où interviennent des Grecs – contribuent à former une première image les concernant, à savoir de personnages entre deux cultures. Naturellement, une analyse des récits fictionnels mis en place amène à poser une première fois la question de l’identité des Grecs au prisme de ces récits : ainsi la figure presque totémique du Grec apparaît et se nourrit d’une entreprise mémorielle qui n’était pas à négliger mais qui n’implique pas pour autant que les identités nées de ces figures soient acceptées dans négociations de la part des individus mêmes concernés. Le résultat induit par ces identités négociées était que les figures grecques ont accouché de modèles de Grecs, images globales qui prennent de la hauteur et acquièrent une signification globale. De plus, elles ont fragmenté encore davantage des identités grecques que nous avions de plus en plus de mal à considérer comme une notion d’un seul tenant, aboutie et clairement définie.
3Nous ne pouvons douter que les auteurs des sources ainsi que les personnes concernées par celles-ci, ne sont pas nécessairement dupes des images qu’ils contribuent à construire. Tout porte à croire que les scribes de la chancellerie royale française, en répétant inlassablement les mêmes raisons stéréotypées pour qualifier les causes de la venue d’un Grec à la cour, n’indiquaient pas un degré de croyance en ce qu’ils écrivent : ils « savent bien que » tous ces Grecs n’ont pas les mêmes objectifs ni les mêmes raisons de venir, « mais quand même » il vaut mieux écrire ainsi et se conformer à un type d’image littéraire classique pour l’époque – le Grec victime des Turcs par exemple. La fiction n’est pas une simple technique littéraire sans incidence sur des réalités politiques ou sociales. Au contraire, ces éléments fictifs sont à l’origine de la pluralité des processus de création des identités grecques qui se forment à cette époque charnière.
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