Chapitre 7
Mises en récit
p. 317-343
Texte intégral
1En 1995, le sinologue Jean Levi, poursuivant l’exploration du roman chinois comparé aux modèles littéraires occidentaux, évoque les rapports entre histoire et roman. Il écrit :
Histoire et roman entretiennent des rapports conflictuels dans notre culture. Ils se posent comme totalement antagonistes : rien de commun entre eux. L’histoire commence là ou s’arrête la fiction ; la fiction commence là où l’histoire s’arrête. […] Naturellement, l’histoire elle-même, en tant qu’elle figure des faits au moyen du langage, est elle aussi fictive et ne saurait se confondre avec des événements dont elle fournit la représentation1.
2Le savant s’engage alors dans la définition des rapports complexes que le roman entretient avec l’histoire dans la littérature chinoise. Il y définit une configuration différente de cet antagonisme en insistant sur des rapports plus « apaisés » entre histoire et roman2. Ainsi, mémoire du passé et style littéraire sont bien plus intrinsèquement liés et produisent du récit par le biais d’une chronique : rien de scandaleux ici3.
3La grande variété des sources à notre disposition implique un apport très différencié d’informations sur les Grecs d’Europe du Nord-Ouest. Mais cette diversité implique d’importantes variations dans la manière de transmettre l’information ainsi que dans la façon d’écrire et de conter un événement aussi majeur que la chute de Constantinople ou plus modeste comme une entrée dans un registre de comptes pour le passage d’un obscur Grec. L’apparition de ces personnes surprend avant de séduire ou de déplaire. Dès lors, les auteurs des sources qui mentionnent ces Grecs se doivent de donner, même par d’infimes touches, des éléments explicatifs les concernant : qui sont-ils ? d’où viennent-ils ? que veulent-ils ? Alors qu’il s’interroge sur les relations entre culture et représentation dans les sociétés d’Ancien Régime, Roger Chartier parvient à une conclusion sur l’importance des représentations collectives et les identités sociales4. L’historien plaide pour tenter de ne pas souscrire à une division traditionnelle qui opposerait les « structures solides » sur lesquelles les sciences historiques s’appuient pour comprendre les anciennes sociétés, et la « subjectivité des représentations » qui sont fondées sur le discours tenu par les sources sur ces mêmes sociétés5. Ce constat majeur, qui fonde la réflexion d’une majorité de l’historiographie impose donc de comprendre les Grecs et les sociétés dans lesquelles ils vivent en tenant compte des représentations que ces sociétés tiennent sur ces personnes – l’inverse étant difficile à étudier pour l’heure, faute de documents.
Une question de sources
4Il nous faut une nouvelle fois revenir aux bases de notre documentation. Celle-ci est très hétéroclite. Des sources iconographiques pour l’essentiel allégoriques jusqu’aux relevés des taxes acquittées par les marchands de Londres, importateurs de denrées lointaines, les formes et les discours ne sont pas identiques. Il serait illusoire de vouloir lire dans ces lignes des propos identiques sur les Grecs : les objectifs diffèrent beaucoup même si cette diversité est vitale pour notre propre récit. Face aux manques et aux incertitudes quant à la manière d’appréhender les sources, il nous faut combattre le risque de surinterpréter le récit que celles-ci nous fournissent. En effet, le risque de l’anachronisme documentaire incite à relativiser la portée de nos sources. Mieux vaut avoir toujours à l’esprit que celles-ci offrent des lectures toujours un peu romancées d’un événement. Une analyse plus approfondie de ces discours semble un très bon préalable à toute étude ultérieure.
Diversité des sources, diversité des discours
À chaque support son récit
5En haut de l’échelle discursive, les chroniques semblent être les supports littéraires les plus utiles. Une fois encore, le voyage de Manuel II en Occident est propice aux récits des chroniqueurs. Pourtant, les difficultés sont nombreuses : le discours porté sur les Grecs y est souvent général et influencé par les événements que connaît la région. Les acteurs de ce drame sont lointains et très souvent inconnus de l’auteur. Le but du discours est en premier lieu d’édifier le lecteur – ou plutôt l’auditeur – occidental. Pourtant, lorsque, parfois, les Grecs entrent en contact directement avec la lumière du récit, le regard peut se faire moins dur, moins accusateur, plus descriptif, plus curieux. Ces phases sont autant de parenthèses où la vision des Grecs évolue : la description des habitudes, de l’apparence des acteurs, de leurs actions, etc. Le chroniqueur se fait davantage anthropologue que juge : le religieux de Saint-Denis, Jean Jouvenel des Ursins, Adam of Usk, Olivier de La Marche, Thomas Basin ou Philippe de Commynes se conforment à ce schéma à un moment de leur récit6. Dès lors, la propension de la chronique à produire du récit représente un biais, certes, mais un biais nécessaire à un type de public qui cherche à être émerveillé par un récit presque fabuleux. Dans cette même fibre discursive qui cherche à étonner et émerveiller un public, nous pouvons inclure l’essentiel de l’iconographie qui concerne en majorité le voyage de Manuel II Paléologue : l’empereur prend l’aspect de rois mythiques (Balthazar) ou antiques (les empereurs Constantin le Grand et Héraclius)7. Le public concerné appartient à une élite aristocratique et/ou intellectuelle réceptive à ces figures culturelles et historiques : ici encore, le récit proposé est non écrit mais suggéré par l’image, il invite au rêve et au voyage.
6Les quelques autres mentions iconographiques dont nous disposons mettent en scène la famille Bissipat qui, elle aussi, se met en scène et propose un récit à travers un blason, une maison, une stèle. En effet, les armes choisies par Georges Bissipat sont caractéristiques d’un programme et d’une revendication de la part du corsaire de Louis XI : celles-ci sont composées d’une croix grecque et de trois croissants de lune inversés, tous d’or sur fond d’azur8. Nous ne nous étendrons pas sur les croissants de lune, dont l’un est clairement dominé par la croix grecque, que nous serions tenté d’interpréter comme le vœu d’un ex-byzantin pour une très hypothétique victoire chrétienne – grecque si possible – sur les infidèles. Mais le langage héraldique peut très bien trouver d’autres raisons à ses croissants. L’important réside dans la croix patriarcale, dite de Jérusalem et liée au monde orthodoxe. Il ne peut s’agir d’une profession de foi dissimulée à l’orthodoxie grecque quand la famille a adopté depuis longtemps les pratiques cultuelles locales. Il vaut mieux y voir un rappel des origines, la première pierre d’une entreprise mémorielle sur laquelle nous reviendrons9. Plus intéressante encore est la stèle funéraire édifiée pour les fils aînés de Georges, Jean et Charles, décédés assez jeunes10. Les inscriptions et les représentations des deux défunts annoncent tout un programme d’assimilation des valeurs culturelles occidentales, symbolisées par l’habit de chevalier de Jean et celui de clerc de Charles, sans pour autant abandonner des origines grecques que l’on espère faire perdurer à travers les générations futures : Jean est surnommé « le Grec » comme son père et la formulation concernant Charles n’exclut pas formellement que celui-ci ait pu également porter ce nom11. Le château de Hannaches enfin, dont les fondations sont à mettre au crédit de Georges, témoigne de ce programme d’enracinement local, dans les mœurs du Beauvaisis, tout en rappelant une nouvelle fois un passé grec en taillant la croix grecque de la famille au fronton d’une des portes d’entrée12.
7À un autre niveau, d’autres sources n’ont pas comme objectif de séduire par le récit. Les correspondances ont une approche plus directe et ne cherchent pas toujours à conter une histoire à un tiers personnage inconnu, un hypothétique lecteur ou auditeur. Ici, l’échange entre deux correspondants donne à voir un transfert d’informations qui sont, elles aussi, des parts de récits. Lorsque Francesco Filelfo conte les dernières nouvelles apprises à Milan à son ami Thomas Francos, lorsque ce dernier est chargé du patronage de Nicolas Tarchaneiotès et Alexandre Kananos, nous nous trouvons également face à plusieurs formes de mises en récit. Les actes de la pratique présentent quant à eux des récits secs et rétifs au raisonnement. Pourtant, les auteurs de ces documents ont besoin de créer un langage, des éléments de compréhension et d’explication de l’irruption d’un Grec dans une chancellerie. Le cas le plus caractéristique est l’ensemble des deux documents qui relatent la demande et la réponse de la chancellerie royale à Nicolas Agallon, venu demander une nouvelle aide à Charles VII : le premier texte s’attarde longuement à relier Nicolas aux tragiques événements de 1453 avant d’induire un futur voyage en Angleterre ; le second texte reprend sur ce périple outre-Manche avant de fournir la réponse demandée et d’évoquer le retour en Italie13. La boucle est bouclée.
8Parmi toute cette diversité documentaire, il est clairement apparu que le facteur commun à toutes ces sources était la constante nécessité de fournir du récit à des événements qui, de par leur nature incomplète ou mineure, n’auraient pas trouvé d’explication logique. Cette obsession ne peut être éludée de notre propos : le fait de créer du récit sur les Grecs consiste à fournir des outils utiles à la définition de ce qu’est un Grec représente dans les schèmes de pensée occidentaux. Roger Chartier pose ces enjeux dès 1989 en rappelant que chaque source détient de par son essence une forme et un objectif discursif qui influe sur la représentation que le scribe entend donner d’une personne, d’une société14. Les Grecs apparaissent donc différemment en fonction du support documentaire employé.
Créer du récit : le cas des registres de comptes
9Nous avons choisi de mettre en exergue le cas particulier des registres de comptes que les chancelleries anglaises, bourguignonnes et françaises ont tenu. De même, les registres municipaux ont rédigé le même genre de documents En effet, dans certains d’entre eux apparaissent des Grecs qui reçoivent quelques largesses princières. En particulier, ces sources sont même essentielles pour la connaissance de la majorité des Grecs puisque sans elles, ils n’existeraient pour ainsi dire plus. Des personnages tels que Manuel Théodore, Constantin Scholarios ou les multiples Manuel Paléologue ne sont portés à notre connaissance qu’uniquement en raison de leur mention dans un registre de comptes.
10Un registre de comptes n’a pas pour vocation initiale de fournir un récit détaillé et stylisé concernant la fourniture de subsides à une foule de quémandeurs attachés à la suite d’un prince. Les Grecs sont ainsi inclus dans cette apparente pauvreté littéraire. Par exemple, pour le royaume de France, le document BnF ms. fr. 32511 note l’octroi en septembre 1457 à « Sabbas Constantinus cytoyen de Constantinople XIII lt XVI s en consideration quil a tout perdu a la prise de Constantinople et pour luy ayder a vivre » ; Georges Syropulum/Syropoulos et Petrus Jehan, probables compagnons de Sabbas, sont encore moins bien lotis en matière de texte explicatif puisqu’il n’est évoqué que leur condition de cytoyen de Constantinople et la somme qui leur est allouée. Au folio suivant, il est fait mention de « monseigneur Theodore Thoucas du pays de grece VIII lt V s en compassion de ce quil a tout perdu a la prise de Constantinople » quand son probable compagnon Démétrios Cruceface/Chrysaphès n’est que « dudit pays »15. Seuls les personnages les plus conséquents et peut-être socialement plus importants semblent avoir droit à un peu plus d’égards.
11Pourtant, les archives princières doivent tout de même fournir quelques éléments explicatifs pour toute dépense effectuée par le Trésor. Or, toute entreprise d’explication, aussi rapide soit-elle, implique l’emploi de formules souvent stéréotypées et répétées qu’il ne faudrait cependant pas négliger. Par quelques bribes de mots, de précieuses informations peuvent transparaître d’une condition sociale, réelle ou supposée. Sabbas Constantinus, Georges Syropulum/Syropoulos et Petrus Jehan n’ont pas de qualificatif particulier mais leur qualité de citoyen de la cité de Constantinople peut induire une position sociale non pas forcément liée à la cour impériale mais peut-être associée à d’autres instances urbaines. Nous avons peut-être affaire à une délégation de citoyens de haut rang, venus de Constantinople, membres des autorités civiles de la cité. Concernant Théodore Thoucas/Doukas, le qualificatif de « monseigneur » induit certainement une qualité plus élevée que celle de Démétrios Cruceface/Chrysaphès qui lui fait suite, importance sociale probablement justifiée par son patronyme impérial. De plus, il est évoqué que la venue de Théodore et de Démétrios a été contrainte par les pertes qu’ils ont subies du fait de la chute de Constantinople. Rien d’étonnant à cela, même trois ans après la prise de la cité, les circuits effectués en Occident pouvant prendre du temps. Une distinction semble s’opérer entre Sabbas Constantinus et Théodore Doukas : le don fait pour le premier a pour objectif à « luy ayder a vivre », induisant peut-être une volonté, ou une nécessité, de résider quelque temps en France, alors que Théodore peut fort bien ne pas s’être fixé à Paris.
12Ainsi, en quelques lignes arides, un schéma discursif semble de dégager : un impétrant est identifié, affublé le cas échéant d’une particule qui le distingue socialement d’autres personnes ; un lieu d’origine est mentionné, le plus précis possible, mais souvent vague quand il n’est pas simplement occulté – mais peut-être a-t-il été mal compris par les membres de l’administration ; vient ensuite le montant de la somme allouée ; la raison de l’octroi de l’argent clôt l’entrée dans le registre. Ce modèle fonctionne dans tous les registres consultés, et bien sûr ne se limite pas aux seuls Grecs. Notre propos consiste à montrer que ces sources sont bien plus riches que l’on aurait pu le croire. Longtemps l’historiographie concernée par les migrations grecques a négligé ces notes en ne les mentionnant que pour attester d’une présence mais jamais pour tenter d’en extraire un discours sur les Grecs16. Elles ont pourtant une importance qui doit être totalement réévaluée.
Du Grec des poètes au Grec des chancelleries
Polysémies
13En 1454, l’archer George garde du corps de Philippe le Bon, décide de rentrer chez lui. Voici ce qu’en disent les documents de la pratique :
À George grec archier de corps mondit seigneur que mondit seigneur lui a par sa grace donné pour une fois tant en consideracion des services quil lui a fait et service de trois ans […] et homme pour lui deffraier de ladite ville de Lille et retourner en pays de grece dont il est IIIIxx l.17.
14Plus d’un demi-siècle plus tard, Guillaume Crétin rend hommage à son ami Guillaume Bissipat, tombé sous les murs de Bologne en 1512. Il insiste tout particulièrement sur les rapports du chevalier avec la langue grecque, dont la maîtrise faisait l’admiration de la bonne société :
Bon grecq parloit,
Et beau latin aussy quand il vouloit,
Du maternel son escript tant valoit
Que ung tout seul mot amander n’y falloit18.
15Trois générations plus tard, l’officier ligueur d’origine grecques Alexis Drague de Comnène est raillé par ses adversaires, parmi lesquels se trouve le roi de France Henri IV et René de Bouillé son général. Il s’est pourtant bien battu dans les rangs des Ligueurs mais son échec dans la défense du château de La Ferté-Bernard en 1590 pris par le gouverneur de Bellême, originaire du Mans, arrange grandement la cause du roi de France. Comnène est un courtisan connu de longue date, au service d’Henri III en 1575 se targuant alors d’avoir des origines le rattachant aux empereurs byzantins tombés en 1453.
16La raillerie d’Henri IV n’en est que plus cruelle19 : « Ha Ha ! Le Manceau a donc été aussi fin que le Grec20. »
17Une des principales difficultés de notre documentation réside en ce que le vocable « grec », varié dans son orthographe et fréquemment employé dans diverses situations, donne l’impression de ne pas porter une même unité de sens identifiable et applicable couramment. Les Grecs antiques invoqués par Adam of Usk lors de la rencontre entre Byzantins et Anglais à Rome en 140521, ont-ils une signification pour ce George, garde du corps ducal, dont on ne peut évaluer la culture ? Cela semble difficile à concevoir. De même, Georges Hermonymos a probablement des conceptions culturelles proches de celles de Guillaume Bissipat dont le père était un ami. Mais ni Guillaume Budé ni Guillaume Crétin – respectivement élève et ami de ces derniers – ne semblen considérer avec le même regard ces personnages et leurs rapports avec la culture grecque. Après tout, les poèmes que nous conservons de Guillaume sont imprégnés de culture classique sans que jamais la langue grecque apparaisse : peut-être reste-t-elle un accessoire de salon, alors qu’elle était une langue de communication pour Thomas Francos et ses proches. De même, la manière de coucher par écrit ce vocable « grec » ne renvoie pas aux mêmes conceptions sociales, religieuses ou politiques en fonction de l’époque : tout dépend de l’effet littéraire recherché. L’allusion par le clergé à la condition grecque de Thomas Francos au sujet de la révocation du bénéfice de l’église de Brightowell doit susciter la suspicion de mauvaises pratiques22 ; ces mêmes suspicions pèsent sur les formulaires de conversion des Grecs dont nous avons exhumé un exemplaire23.
18Ces mentions n’existent pas toujours pour qualifier un Grec et ont pu parfois compliquer notre recensement. Leur examen implique une vigilance de tous les instants sur la charge sémantique que les auteurs d’un document entendent conférer à ce genre de terme. Ainsi, qualifier une personne de « grecque » peut impliquer une forme de jugement, même diffus, rattachant celle-ci à un présupposé ou à une attente de la part du scribe : une méfiance sociale ou religieuse ; un enthousiasme pour une rencontre nouvelle ; un fantasme autour d’un bagage technique, culturel et/ou humaniste dont l’époque est très demandeuse ; un simple besoin de comprendre une origine géographique et d’accoler une étiquette stéréotypée qui subsiste avec le temps. Une typologie s’impose.
Typologie
19Quatre modèles nous paraissent fort bien illustrer les différentes catégories discursives dans lesquelles les auteurs de notre documentation puisent leur inspiration pour décrire les Grecs.
Le Grec poétique
20Nous l’avons évoqué avec ce passage assez surréaliste d’Adam of Usk de la rencontre des Anglais et des Byzantins à Rome, le terme « grec » peut induire un imaginaire fort lié aux pratiques humanistes. Le lien est rapidement établi dans les sources occidentales autour des anciens Grecs et les contemporains qui sont plus ou moins perçus comme leurs descendants, christianisés24. Le Grec reste associé à cette soif grandissante de savoirs antiques : les besoins de la connaissance poussent à rechercher toujours plus de documents exhumés de l’Antiquité classique. Or, les Byzantins ont longtemps été les dépositaires d’ouvrages et de traditions philosophiques qui reparaissent en Occident à la faveur de la fuite de plusieurs grands intellectuels grecs vers l’Italie au Quattrocento : Manuel Chrysoloras, Démétrios Chalcocondylès, Georges de Trébizonde, Théodore Gazès, Jean Argyropoulos, pour ne citer que les plus célèbres. Par leur biais s’opèrent un grand bouleversement des mentalités et un grand renouveau des humanités25. Ce fourmillement de savants, d’ouvrages et de culture affecte l’image du grec dans le monde chrétien occidental. Les royaumes d’Europe du Nord-Ouest cherchant à combler leur retard en cette matière par rapport à leurs voisins italiens, leurs demandes suscitent un appel d’air dont savent profiter d’autres Grecs. Ainsi, Thomas Francos, Georges Hermonymos, Andronic Kallistos, Janus Laskaris et en quelque sort Guillaume Bissipat, bénéficient tous de cette image du Grec en tant qu’intellectuel, poète, penseur, etc. Le travail de copiste et de traducteur de nombre d’entre eux favorise l’association entre Grec et savant : ainsi, en février 1455, Grégoire Tifernas, humaniste romain originaire des alentours de Rome, de par ses grandes connaissances en grec, se fait rétribuer par les services de l’université de Paris qui ne voient en lui et ses compagnons que de pauvres Grecs26.
21Le long poème que Guillaume Crétin dédie à son ami est tout à fait éloquent. Le texte se divise en trois parties distinctes. Dans une première partie, le poète se plaint du trépas de son ami, rappelle ses formidables qualités de courtisan et de lettré et s’abîme dans un chagrin qui le mène au sommeil27. Le rêve survient alors, enchanté par la rencontre avec tout le panthéon des dieux et personnages mythologiques que la culture gréco-latine peut proposer28. Survient enfin un long dialogue entre l’intéressé et les Neuf Muses qui clôt le poème29. Tout au long du texte, Crétin associe Guillaume Bissipat à ses images mythologiques dont il rappelle les qualités littéraires certaines30. Ici, le lien entre grécité et poésie, quoiqu’un peu ronflant d’un point de vue stylistique, est indéniable.
Le Grec exotique
22Souvent associé à cette notion poétique ou culturelle, le vocable « grec » peut également renvoyer à l’impression de nouveauté, voire d’exotisme, que suscite la rencontre avec les sociétés occidentales. La documentation, de la chronique aux actes de la pratique témoigne de ce caractère insolite. Le même Adam of Usk avait pu s’étonner de la longueur des barbes des prêtres grecs de la suite de Manuel II au même moment où Jean Jouvenel s’émerveillait des pratiques rituelles de ces mêmes Grecs au Louvre31. Le port de la barbe est en effet un attribut considéré comme viril et fréquemment attaché aux Grecs. Camille Rouxpetel montre notamment que cet attribut pileux est décisif dans les récits des pèlerins du xiie siècle pour définir qui sont les Grecs, les Arméniens et les Géorgiens, à la différence des Nubiens et des Éthiopiens qui sont imberbes et d’une couleur de peau différente des premiers32. Ces remarques liées à la barbe des Grecs, mêlées d’étrangeté et de curiosité dans la confrontation avec les populations occidentales sont différemment appréciées selon le chroniqueur dont il est question : positives chez ou du moins neutre chez Jean de Mandeville, elles sont franchement polémiques chez Thomas de Vitry33. Nos sources littéraires sont également soumises à ce genre de considérations : le jugement sur la barbe des Grecs se fait très négatif chez Adam of Usk, tandis que Michel Pintoin n’en a rien à faire.
23Ce sentiment ne se dément pas tout au long de la période qui nous occupe et embrasse un vaste domaine où peut s’exercer cette fascination : les animaux exotiques tels que les oiseaux de proie des fauconniers de François Ier, les chameaux confiés à la garde de Démétrios Paléologue (3) ou encore les tigres présentés à la cour de Savoie34 ; les déroutantes pratiques militaires qui font l’admiration d’Olivier de La Marche et de Philippe de Commynes ; toutes sortes d’artefacts – objets, vêtements, cadeaux – que plusieurs Grecs ne manquent pas d’emmener35. Les auteurs des xiie et xiiie siècles mentionnent déjà les vêtements comme éléments de distinction entre Grecs et Latins. Camille Rouxpetel évoque ces attributs vestimentaires propres aux Orientaux comme les turbans et les ceintures comme des éléments qui permettent de déterminer – mais aussi de discriminer – des groupes chrétiens entre eux et vis-à-vis des musulmans36. Nos sources ne détaillent hélas pas assez les vêtements portés par les Grecs présents en Occident. Nous pourrons toujours nous interroger sur la continuité du port d’un costume propre puisque dès la seconde génération, les descendants ne semblent pas se conformer à ces codes culturels : les fils de Georges Bissipat sont représentés en costumes occidentaux (armures et habits d’écolâtres) et non affublés de turbans ou bien d’habits grecs. Nous pouvons donc douter de ce que les Grecs puissent forcément être déterminés par les sources occidentales au seul argument de leurs pratiques vestimentaires. La conclusion de Camille Rouxpetel est que les différents chroniqueurs des xiie et xiiie siècles adaptent les « marqueurs traditionnels » de l’ethnicité – la langue, les armes, les vêtements, la coiffure et les lois – à leurs préoccupations et à l’objet de leurs observations37. Les chroniqueurs dont nous nous occupons s’adaptent également : ils ne notent pas tous les éléments culturels des Grecs qui se présentent en Occident, aussi exotiques soient-ils, mais relèvent plutôt ce qui les étonne en premier (comme les barbes d’Adam of Usk). Bien sûr, cela rend difficile l’appréhension d’un discours unique et cohérent sur les Grecs : certains, hostiles, accentueront leur description de caractères qu’ils pensent révélateurs des travers des Grecs ; d’autres, plus neutres, ne les mentionnent pas.
24L’insolite et l’exotique évoquent une facette plutôt bienveillante vis-à-vis de la venue des Grecs et les différents supports documentaires à disposition se font parfois l’écho de ce sentiment, mais avec toutefois un pendant inverse qui consiste à voir dans le terme « grec » un risque de perversion pour les sociétés occidentales.
Le Grec rejeté
25Ces éléments de répulsion forment l’autre pendant d’une même appréhension. L’évocation des Grecs peut très bien s’effectuer dans les sources sous le sceau de la méfiance à l’égard de populations que l’on ne connaît pas ou que l’on connaît mal. Interviennent alors nombre de préjugés qui sont véhiculés par les différents récits qui prennent à un moment donné les Grecs pour objet de d’étude. Décrits historiquement, anthropologiquement ou sociologiquement, les Grecs des chroniques ou des récits de voyage alternent souvent entre cette image de l’exotisme fascinant et celle du jugement négatif face à des pratiques, souvent cultuelles, considérées comme déviantes. De même, leur attitude jugée ambivalente à l’égard des Turcs contribue à catégoriser les Grecs comme des gens peu fiables. Les quelques sources littéraires dont nous disposons laissent parfois transparaître des critiques à l’encontre de ces Grecs qui déconcertent, voire choquent le bon peuple. Nombre de ces remarques suivent une fois encore le voyage de Manuel II Paléologue. Jean Jouvenel des Ursins relate comment les messes orthodoxes, autorisées exceptionnellement par le roi, attirent des foules de Parisiens curieux38. Toutefois, l’auteur ne dit rien de leurs réactions : curiosité n’implique pas forcément enthousiasme ni approbation. Or, en Angleterre Adam of Usk se montre très sceptique39 et Michel Pintoin note que la participation de l’empereur aux fêtes de Pâques suscite quelques remous dans l’assemblée : les honneurs accordés au souverain grec dépassent les limites de la décence religieuse40. Donc, même un hôte aussi illustre que Manuel II n’est pas accepté de façon aussi unilatérale.
26Cette défiance se répercute mécaniquement dans les documents plus courants à notre disposition. Nous avons déjà évoqué le cas de Thomas Francos. Les suspicions autour d’une mauvaise religiosité et d’une extranéité repoussante semblent entretenir des tensions avec les populations locales. Ainsi, lors du vaste mouvement qui consiste à déléguer des autorisations aux Grecs de collecter des fonds pour la cause de la croisade antiturque, ou, plus prosaïquement, pour le compte personnel d’une cause particulière, des réticences sont observables en creux dans la documentation. En effet, ces documents sont constamment mis en avant par les sources de la pratique pour justifier de l’octroi de fonds, indiquant que sans ce précieux sésame, la transaction n’aurait pas pu aboutir. Même lorsqu’au début du xve siècle, la collecte s’effectue à une échelle internationale, avec l’appui réel des autorités royales, la sécurité des collecteurs, dont la plupart sont constitués de Grecs, doit être rappelée aux populations locales41. La méfiance et le mépris restent présents tout au long de la période et le jugement sévère de Sanuto à l’égard Janus Rhyndaceus Laskaris découle autant d’une sourde rivalité que de préjugés sur des personnes sans maître, au service du plus offrant, ce qui inclut même les Turcs42.
27Une dernière question est évoquée une nouvelle fois par Camille Rouxpetel et a pour enjeu de savoir si l’on peut considérer un Grec comme un allié ou bien un ennemi. Selon l’historienne, l’époque des Croisades a pu poser comme constat que les Grecs étaient des alliés théoriques mais qui pouvaient s’entendre avec les musulmans43. Cette image ambivalente perdure et ce malgré les décisions du concile de Florence : les Grecs font l’objet de rejet et sont affublés des défauts de mollesse et de lâcheté44. Ce constat est toujours valable pour notre corpus.
Le Grec administratif
28Dernière figure, la plus neutre, est celle qui consiste à voir dans le terme « grec » une référence à une localisation géographique qui permette la catégorisation des personnes se réclamant de cette étiquette. C’est le sens que prend souvent ce terme dans les actes de la pratique dont l’objectif majeur est d’apporter une explication plausible à la venue d’un Grec. Le terme « grec » tend ainsi à qualifier, de manière très sèche, une provenance et/ou une qualité ethnique. Cela pose bien évidemment des questions sur ce qui constitue cette « grécité » plus neutre. Paradoxalement, cette neutralité, généralisée dans les actes de la pratique, ne fournit souvent qu’une catégorisation imparfaite pour ces mêmes sources. Ainsi, le terme « grec » et sa variante géographique « Grèce » sont souvent abandonnés au profit de mentions plus précises comme Constantinople, Trébizonde, Rhodes, etc. Ces termes ne semblent pas non plus chargés d’un sens particulier outre que géographique. Ce processus concourt à désenclaver et démythifier la venue des Grecs, de replacer plus précisément dans un monde élargi la Grèce et leur peuple.
Requalifier les Grecs
29La question qui se pose désormais pour les sociétés occidentales et la production écrite qui en émane est de trouver les premiers éléments explicatifs qui permettent de répondre à deux questions sous-jacentes : qui sont ces personnes ? Quelle place entend-on les faire occuper dans l’organisation des sociétés occidentales ? La définition des Grecs en tant que « Grecs » permet de leur attribuer une place interstitielle dans des sociétés occidentales du nordouest progressivement confrontées progressivement à cette époque au monde méditerranéen oriental désormais dominé par les Ottomans.
Grecs ou Romains ?
Histoire d’un malentendu
30Une ambiguïté plane sur le voyage de Manuel II Paléologue en Occident. La Chronographia regum Francorum évoque cette visite et débute ainsi :
Anno sequenti, scilicet Mo CCCo nonagesimo nono, circa mensem maii, venit Parisius imperator Constantinopolitanus, nomine Manuel Paleologus, in magno Grecorum suorum comitatu, ut haberet succursum a rege Francie contra Baizacum, dominum ac regem Turquorum potentissimum45.
31La visite se poursuit, l’empereur part pour l’Angleterre avec suis Grecis puis il revient et séjourne quelque temps à Paris. En novembre 1402, survient la nouvelle de la défaite du sultan Bayezid à Ankara. Le texte reprend :
Eo tunc, circa mensem novembris, imperator Constantinopolitanus recessit de Parisius ad remeandum in Greciam, ut peteret ad Temurlanum imperium suum aut partem ejus quod Baizacus sibi abstulerat. Tunc jussu regis Francie XXXm scuta tradita sunt eidem. De quibus solvit fere XXm que debebat Parisius, ac cum residuo abiit Venecias ac inde Greciam. Hic imperator talem habebat titulum : « Manuel in Christum Dei fidelis imperator et mundicrator Romeorum Paleologus semper augustus46.
32Ces deux passages évoquent deux réalités discursives pourtant contradictoires. Manuel apparaît tout d’abord comme l’empereur de Constantinople, chef des Grecs dont une partie illustre compose sa suite. Lorsqu’il repart, il est toujours qualifié de la même manière mais la chronique trouve intéressant de noter que l’habitude de l’empereur était de se faire appeler empereur des Romains47. En effet, la titulature officielle des empereurs byzantins exprime toute cette importance du lien de continuité avec les empereurs romains. La titulature grecque des basileis évoque cette domination sur un peuple de Romaiôn, c’est-à-dire de Romains. Toutefois, lorsque cette titulature est traduite en latin, l’usage du terme Romeorum se généralise. Depuis l’époque des Comnènes, nous voyons très fréquemment les empereurs être pourvus dans un texte latin du titre d’imperator et moderator Romeorum. Nous devons noter avant toute autre considération que ce terme latin de Romeorum peut choquer d’un point de vue grammatical. En effet, il serait normal d’attendre que le terme des Romains soit rendu par le génitif pluriel Romanorum. En cela, Romeorum constitue une faute grammaticale. Cependant, le terme est constamment répété dans les documents officiels en latin. Il ne peut donc s’agir d’une erreur, mais la signification précise de cette nouveauté grammaticale nous échappe encore48.
33Ce terme ambigu rappelle néanmoins un lien généalogique ancien entre l’antique Empire romain et le moribond Empire byzantin. La réalité de ce lien fictif est depuis longtemps délaissée par les Occidentaux – du moins reconnaît-on une filiation avec l’empereur du Saint-Empire romain germanique – mais reste très fortement à l’esprit de l’empereur grec et de ses sujets. N’en déplaise à l’empereur du Saint-Empire romain germanique, le véritable empereur romain réside à Constantinople, nouvelle Rome. En effet, Manuel II, comme tous ses prédécesseurs, entretient ce souvenir. Les quelques documents officiels que l’empereur produit lors de son séjour ne varient pas dans ces usages classiques et le souverain « romain » proclame tranquillement son titre en terre de culture et de droit hérités de Rome. Le plus curieux est que même certaines sources occidentales s’adressent directement à l’empereur en lui reconnaissant ce lien fictionnel : tel fut le cas du roi d’Angleterre Henry IV qui s’adresse à Manuel en lui conférant son titre traditionnel49. Une fois encore, la différence grammaticale observée plus haut joue peut-être dans cette acceptation toute formelle. Cette fiction se poursuit tant qu’un empereur, ou un de ses prétendants, se manifeste : Démétrios Paléologue, frère cadet de Constantin XI en lutte contre Thomas Paléologue, se fait appeler Demetrius in Christo Deo fidelis Despotus Romeorum Paleologus50 et son ambassadeur Phrangoulios Serbopoulos est nommé Imperatorum Cancellarium et Romeorum Iudicem Generalem par une source occidentale51 ; André Paléologue, son neveu, est gracieusement nommé « kinge of the Romanus », qualificatif peut-être un peu méprisant52. Même si les mentions sont très rares et émanent le plus souvent des encore plus rares sources grecques, il est néanmoins intéressant de s’interroger sur cette ambiguïté qui révèle beaucoup sur le malentendu culturel entre Grecs et Latins.
Des Grecs devenus grecs
34Une fois parvenus en Occident, les Grecs ne disposent plus de leurs assises locales ni de leurs cadres de vie traditionnels qui auraient pu conforter leur culture de Grecs. Un Crétois reste un Crétois et reconnaît une ancienne filiation avec l’empereur, romain bien sûr, qui reste un point d’attachement bien que ce dernier ne domine plus l’île depuis 1204. Pourtant, l’afflux de plus en plus massif de Grecs dans la péninsule Italienne et au-delà confronte deux fictions et consacre le remplacement de l’une par l’autre : ces personnes ne sont plus décrites comme des Romains mais deviennent des Grecs. Le fossé semble important avec des populations hellénophones dont la mention de Grec ou Graikos évoque davantage l’époque païenne que l’Antiquité classique. Des chrétiens pourraient-ils accepter de se reconnaître en des païens avec lesquels beaucoup ne se sentent pas d’affinité ? Certes les Byzantins ont reçu en héritage un important bagage culturel et seuls quelques érudits s’en approprient le savoir. Mais ceux-ci restent résolument chrétiens et l’important est de tirer de ces textes antiques un savoir propre à éclairer des réflexions plus contemporaines53. Les érudits et humanistes grecs actifs en Occident, de Manuel Chrysoloras à Bessarion en passant par Georges Gemistos Plethon ou Théodore Gazès, sont moins radicaux quant à l’évacuation de leur grécité54. En effet, l’élément grec étant au centre des réflexions des humanistes italiens du Quattrocento – notamment autour d’Aristote et de Platon – l’apport des penseurs hellénophones est crucial et devient rapidement un sésame pour tout candidat à un poste dans une prestigieuse école d’Italie ou d’ailleurs en Occident55.
35Concernant l’ensemble des Grecs, anonymes ou non, qui apparaissent dans une source anglaise, bourguignonne ou française, nous ne pouvons que constater l’absence de nuance. Aucune référence à la romanité, ou presque, n’est évoquée : l’impétrant est grec, ce constat est évident pour l’ensemble des parties concernées dans l’espace culturel latin. Pourtant, l’application de ce qualificatif est large et concerne l’ensemble des types de documents consultés, mais n’en est pas systématique pour autant. Il est fréquent que les impétrants soient qualifiés en fonction de leurs origines géographiques supposées, trahissant selon nous un doute quant à leur appartenance réelle au groupe culturel grec ainsi édifié par l’Occident. Au souci de cibler au mieux les origines et les motifs de chaque personne vient s’ajouter une incertitude : le scribe concerné a-t-il bien saisi l’origine du personnage ? S’agit-il d’un Grec ? Lorsque Georges d’Armegne se présente, la confusion semble troubler les officiers du duc de Bourgogne : celui-ci fait partie d’une délégation menée par un membre important de l’ancienne cour impériale (Alexis « conte » de Selymbria) et donc Grec selon les critères précédemment décrits. Pourtant, est-il Arménien ou Grec ? Les scribes ne tranchent pas et mentionnent son origine constantinopolitaine, comme pour ses compagnons56. Or, nous savons que Georges Doukas Armenès porte un patronyme courant à Byzance qui rappelle une famille d’origine arménienne mais n’implique pas nécessairement une provenance directe d’Arménie, alors sous domination musulmane depuis près de quatre siècles. La romanité byzantine englobe des origines très variées, des Balkans serbes, bulgares ou albanais aux Syriaques, Géorgiens ou Arméniens57 : les mélanges forment une partie constante de la composition sociale de l’empire, de plus en plus concentrée avec le recul des frontières impériales et le déplacement de populations venues de loin58. Pourtant, l’important est pour notre documentation que ces populations correspondent à une identité fixe et commode : ils deviennent donc des Grecs.
Un outil de communication ?
36Les hésitations des sources occidentales font que notre travail de regroupement implique de prendre en compte la référence géographique comme l’expression d’une localisation mais également d’un éventuel doute sur une appartenance ethnique qui se révèle aussi factice et fictionnelle que celle de la « romanité » des Byzantins. Les Grecs des chroniques servent d’outil à un récit qui se réduit souvent à une comparaison entre les défauts des uns et les vertus des autres. Lorsqu’ils entrent en contact direct avec les sociétés occidentales, les modèles sont appliqués sans nuance et aboutissent parfois à des confusions. Toutefois, l’enjeu d’une telle entreprise est bien de poser une corrélation large et logique entre les Grecs présents dans les chroniques et dont l’opposition traditionnelle aux chrétiens d’Occident a longtemps été mise en exergue, et ces nouveaux venus, souvent très différents des images mentales que ces grands récits ont pu générer. Faire de ces populations des Grecs permet la compréhension.
37La majorité des Grecs qui arrivent en Occident effectuent ce trajet à cause d’événements tragiques comme la prise de Constantinople par les Turcs. Ces événements sont plus ou moins bien connus en Occident : la chute de la ville est sue dans toute la chrétienté, à des degrés de rapidité différents, mais les pertes de la Morée et de Trébizonde touchent moins rapidement les cours européennes. D’après les sources, si ces personnes viennent de l’espace culturel grec, elles sont donc grecques. Les registres royaux ou ducaux ne s’attachent parfois même pas à collecter davantage d’informations sur elles : ce sont des Grecs anonymes venus d’un pays que l’on nomme Grèce ou Constantinople59. D’abord compris comme un terme littéraire global, la mention de Grec devient une catégorie ethnique commode dans l’optique de catégoriser l’arrivée de populations nouvelles. Nous restons néanmoins dans le domaine de la fiction. Un Grec qui paraît en Occident sera fréquemment qualifié de grec, dans la mesure où sa supposée identité ne fait aucun doute, et ce dès son apparition. Toutefois, l’inverse existe également, l’identité grecque stéréotypée devient un outil a posteriori pour qualifier un personnage dont le comportement laisse à désirer : tel est le cas pour Thomas Francos après 1451, traître au roi d’Angleterre, mauvais gestionnaire des biens de l’église de Brightowell, donc qualifié de grec, et de schismatique par la même occasion60. De même, le vocabulaire de la romanité n’est employé qu’à partir du moment où l’enjeu est de flatter un souverain comme Manuel II, ou bien de maintenir des relations diplomatiques solides entre un des royaumes d’Occident et les restes de l’État byzantin à Constantinople, en Morée ou à Trébizonde. Toutefois, l’emploi de ce champ lexical reste rare et réservé à l’empereur germanique, non au grec.
38Dès lors que le pouvoir byzantin cède devant les Ottomans, les Grecs ne sont définitivement plus des Romains et intègrent ces nouvelles marques identitaires à leur horizon culturel. Georges Bissipat, Démétrios Paléologue (3) ou même Nicandre de Corcyre sont des Grecs et non des Romains. La communication s’inverse : il ne s’agit plus simplement d’entretenir un antique lien avec la romanité mais aussi de revendiquer un lien avec l’hellénisme antique qui est en vogue parmi les milieux humanistes occidentaux.
Un nouveau statut pour des Grecs entre deux mondes ?
Des Grecs au service des autres peuples
39L’un des problèmes que nous opposent les Grecs révélés par nos sources est qu’ils n’ont pas laissé de nombreuses traces de leur passage. En effet, le Prosopographisches Lexikon der Palaiologenzeit ne nous a livré que peu d’informations utiles concernant ces personnes. Certains personnages sont notés comme Bessarion, Jean Argyropoulos ou bien sûr l’empereur Manuel II, mais ils jouissent d’une notoriété telle que leur mention dans le lexique va de soi. Toutefois, la majorité des autres personnages de notre registre sont absents du registre, peut-être en raison de leur modeste extraction, plus vraisemblablement à cause de leur présence très discrète dans les sources occidentales. Nombre d’entre eux sont même absents des sources italiennes. Néanmoins, au nord des Alpes, les personnages disposant d’un statut social suffisamment élevé afin de servir de patrons et de protecteurs pour leurs coreligionnaires manquent également à l’appel. La situation est inverse de celle qui est connue en Italie où quelques chefs comme le despote Thomas Paléologue, le cardinal Bessarion ou Anna Notaras assurent pendant un temps la cohésion des groupes grecs qui quittent le monde égéen. Plus au nord, Thomas Francos ou Georges Bissipat assument ponctuellement ce rôle de relais pour les migrants grecs mais il ne semble pas qu’il existe une fonction pérenne qui assure aux Grecs un cadre de protection structuré. La faute peut en revenir à des pouvoirs plus forts et dépendants du souverain au nord des Alpes : peut-être devonsnous comprendre ainsi la tentative d’installation en Bourgogne de Manuel Paléologue (5), fils du despote Thomas, c’est-à-dire comme un essai de prise de contrôle du patronage des Grecs dans le duché61. Ce n’est pas sûr cependant ; il reste en tout cas que des chefs légitimes manquent à des communautés grecques difficiles à trouver.
40Au contraire, les Grecs que nous observons apparaissent dans la dépendance constante d’un puissant occidental. Dès avant la chute de Constantinople et la fin des derniers reliquats byzantins, les Grecs résidant en Occident éprouvent le besoin de trouver de nouveaux appuis et les trouvent chez les élites des royaumes visités. L’époque où Manuel II négociait des accords de protection pour ses rares ressortissants est révolue : en effet, le roi d’Aragon et très probablement les souverains d’Angleterre et de France prennent sous leur protection les Grecs présents dans leurs royaumes, chargés pour la plupart de la promotion de la croisade62. La déliquescence du pouvoir byzantin et l’incapacité pour ses prétendants – Thomas Paléologue et ses fils André et Manuel – à reprendre la lutte discréditent les chefs traditionnels – ceux qui auront survécu aux exécutions qui suivent la prise de Constantinople et touchent en priorité les membres de l’aristocratie byzantine. Leur succèdent, quand cela est possible, quelques rares chefs locaux mais le plus fréquent est d’observer ces Grecs se placer sous la domination de nouveaux maîtres occidentaux63.
41Les nouvelles conditions de vie imposent d’entrer dans la dépendance de nouveaux maîtres occidentaux et d’accepter de jouer un rôle de serviteur, parfois un peu décalé ou original, dans une nouvelle hiérarchie sociale, politique ou économique : tel est le cas de Thomas Buas d’Argos, un mercenaire apprécié par Henry VIII pour ses qualités militaires spécifiques et dont les origines péloponnésiennes suggèrent des liens avec Venise tout en suggérant peut-être qu’un tel individu est habitué à servir des maîtres occidentaux64. Démétrios Paléologue (3) offre l’exemple équivalent pour la cour de France, serviteur originaire de Péra mais dont les contacts avec le monde méditerranéen s’expliquent par plusieurs années de service pour un pouvoir chrétien, peut-être italien – par exemple à Venise. Cette position de service d’un pouvoir occidental, étranger à leurs yeux mais désormais seul horizon social pour eux, contribue à placer ceux-ci à la lisière de deux mondes, peut-être de deux cultures. C’est du moins ce que certaines sources tentent de son suggérer.
Passeurs et/ou intermédiaires ? La question des Brokers
42Les Grecs apparaissent toujours à l’orée de deux mondes. Migrants ou marchands, ils quittent l’espace grec et méditerranéen pour les confins nord-européens. À l’instar de Nicolas Tarchanieiotès et ses compagnons d’infortune qui se trouvent rapidement en contact avec de nouvelles sociétés, l’enjeu pour les Grecs est bien d’aborder d’une manière ou d’une autre ces mondes, y trouver des relais capables de comprendre une langue, une culture ou encore d’expliquer une situation qui pourrait autrement apparaître comme complexe. Pour Nicolas Tarchaneiotès et beaucoup d’autres avec lui, ce point d’appui est incarné par Thomas Francos qui occupe une position d’intermédiaire entre le monde grec et les mondes chrétiens d’Occident qu’il ne faut pas négliger. À la suite de Nathalie Rothman qui évoque les relais essentiellement économiques entre marchands vénitiens et marchands ottomans65, nous devons évoquer la figure du broker, cet intermédiaire apte, autorisé même, à ouvrir le dialogue et permettre la négociation entre deux groupes culturels différents. L’historienne américaine décrit l’organisation officielle de brokers par Venise en 1503 : parmi les tâches qui sont assignées à la centaine de personnes désignées, les autorités insistent sur l’aide à apporter aux marchands « Ottomans » dans leurs négociations avec les autres marchands de la lagune, mais également sur la collecte des taxes dues par ces mêmes négociants66. Ainsi, les brokers ont la charge d’assurer et de faciliter les échanges, non uniquement économiques, entre personnes culturellement différentes mais aux intérêts communs. Ce critère est selon nous crucial et mérite d’être analysé pour l’Europe transalpine, bien qu’aucune institution officielle n’émerge alors. Les brokers sont perçus comme des avocats d’une cause concernant un même groupe67.
43Quoi que Guillaume Budé ait pu écrire à son sujet, la langue et la culture grecque classique transmises par Georges Hermonymos ont été des objets d’échanges importants entre deux mondes, l’un grec, l’autre français. Aussi limités qu’aient pu être les apports linguistiques ou la connaissance des anciens, le Spartiate apparaît clairement comme un intermédiaire plausible et un copiste compétent, capable d’occuper une place importante dans l’essor des humanités grecques en France à la fin du xve siècle. Dans le domaine économique, la position stratégique des marchands n’est plus à prouver et les denrées exotiques et rares convoyées depuis l’Orient méditerranéen68 sont autant d’occasions de contacts avec les sociétés occidentales, de rencontres et d’apprentissage du monde égéen. Lorsque la diplomatie l’exige, Démétrios Paléologue (3) sait, nous l’avons vu, activer ses connexions orientales et permettre le dialogue69. Les royaumes de France et d’Angleterre se structurent davantage à cette époque et le duché de Bourgogne suit cette même voie avant son effondrement. Or, ce souci de construction d’un État moderne créant de nouveaux besoins, les Grecs trouvent à s’employer dans des niches d’activités dont ils deviennent les spécialistes : la marine, la cavalerie légère par exemple pour le domaine militaire. Dès lors, certains Grecs occupent souvent la charge de parler au nom de leurs coreligionnaires ou protégés. Cependant si à Venise l’État reconnaît une fonction officielle et essentielle au sein de son système administratif, les États naissants transalpins ne poussent pas aussi loin l’existence de brokers. Ici, l’empirisme domine.
44Nous avons démontré l’existence de structures permettant le regroupement de populations grecques en Occident, sans toutefois en exagérer l’organisation ni la cohésion sociale70. Mais leur raison d’être se résume-t-elle à l’accueil de contemporains venus dans une localité de façon plus ou moins pérenne ? Certains de ses membres entretiennent clairement des contacts avec leurs supposées régions d’origine : les frères Effomatos et leurs dépendants et descendants71, les nombreux Greke ou Grace mentionnés comme ressortissants d’une cité italienne72, Thomas Francos, Démétrios Paléologue (3), etc. Tous entretiennent des liens avec des compatriotes et des autochtones et font office d’intermédiaires. Cette fonction prend la forme d’échanges de biens – le safran et le vin doux transportés par Démétrios de Rhodes73 – mais aussi d’êtres humains – par le biais d’entraides, de protections ou de patronages, Démétrios Paléologue (3) servant d’interlocuteur avec des représentants de la Porte74. Il n’existe aucune communauté structurée du type de celle de Venise mais des relations sont entretenues avec des sites de regroupements de populations grecques. Londres compte plusieurs Grecs d’Italie ainsi que d’autres populations, à l’instar des frères Effomatos, qui viennent directement du monde méditerranéen oriental ou balkanique : John Negerpount (Nègrepont ?), Manuel Sophianos (Péloponnèse), Francisco Belle et Constantin Benet (de Rhodes), Peter Mylan (de Crète), George de Nicosie/Cipro, Johannes de Sophia (Bulgarie), Démétrios de Larta (Arta en Epire), etc.75. Les origines géographiques se croisent, certains Grecs restent en Angleterre, d’autres repartent puis reviennent. Tout ce fourmillement contribue au rôle d’intermédiaire que l’on veut bien conférer aux ressortissants du monde grec.
45Une légère nuance s’impose toutefois. La notion de Broker, traduite difficilement par celle d’intermédiaire, pose certaines difficultés. Les brokers étudiés par Nathalie Rothman émanent tout d’abord d’une époque et d’une situation géographique où ces intermédiaires occupent une place presque officielle dans les systèmes politiques ottomans ou italien : la fonction de drogman ou interprète, initialement originaire des rives du Bosphore et imitée rapidement à Venise, occupe une place importante qui n’échappe bien sûr pas à l’historienne76. Venise instaure un « drogman public » dont les fonctions sont multiples : traduire les lettres officielles, accompagner et surveiller les dignitaires ottomans dans leur séjour vénitien, négocier à Istanbul pour le compte de la Sérénissime, etc.77. Or, ces modèles sont difficilement observables dans notre documentation : certes, un Grec peut être suffisamment haut placé dans l’entourage du roi de France pour jouer informellement ce rôle. Mais ces fonctions sont éphémères et fragiles, insuffisantes pour conclure sur la systématique fonction d’intermédiaires de certains Grecs. Ceux-ci peuvent agir ainsi, mais de façon très empirique, sans précision d’une charge qui serait transmise dans le temps78. Un second point de relativisation de cette fonction de broker consiste à interroger sur la réalité de la position d’intermédiaire, entre deux cultures, entre deux mondes. Même les personnages évoqués par Nathalie Rothman sont parfois très ambigus dans leurs attitudes, peuvent parfois passer d’un camp à un autre79. Or, Thomas Francos, Georges Bissipat, Janus Laskaris ou Démétrios Paléologue (3) sont tous des interprètes et des intermédiaires utiles au pouvoir – comme Bissipat et Hüssein Bey80 – mais aucun ne transmet sa culture grecque – tout du moins certains aspects de celle-ci – ni ne sert activement à la cour ottomane – exception faite peut-être de Démétrios Paléologue (3). Ces personnes présentent une vitrine culturelle mais non pas un pont d’échanges entre deux cultures.
Des sociétés de l’entre-deux ?
46Un Grec n’est donc pas prédéterminé dans ses nouveaux choix sociaux par une volonté d’occuper une place de passeur et d’intermédiaire qui faciliterait l’échange direct entre le monde occidental et le monde grec rapidement devenu ottoman. Rien n’est gravé dans le marbre. La vitalité de certaines communautés comme celle de Venise, ou, à l’inverse, la très petite taille d’autres comme celle des Grecs de Londres ne doit pas inciter à la généralisation. En effet, les contacts sont constants avec des Grecs venus de Grèce, passés par l’Italie et effectuant sans contrainte apparente des circuits parfois complexes en Europe du Nord-Ouest : à l’évidence, des réseaux d’entraide sont à l’œuvre qui permettent d’entrer en contact, de dialoguer, d’établir une relation d’échange. Il est notable que la grande majorité de nos sources mettent en scène un Grec en relation avec un interlocuteur occidental. En effet, qu’il s’agisse d’une administration ou de particuliers, les Grecs sont aux prises avec des partenaires extérieurs au monde oriental large. Très peu d’actes ou documents mentionnent des liens entre Grecs. Lorsqu’ils existent, ces sources évoquent presque toujours un tiers occidental81. La seule notable exception est la lettre d’Andronic Kallistos à Georges Bissipat écrite afin que ce dernier intervienne dans la libération de Georges Hermonymos82. Les relations grécooccidentales s’effectuent, pour l’essentiel du temps, dans l’échange d’informations et de biens entre une partie grecque et une partie occidentale.
47Le Grec est certes à la croisée des chemins, entre une posture d’Oriental que l’on veut lui accoler, peut-être de manière excessive, et une volonté d’adhésion aux codes des sociétés occidentales qui reste incomplète. Il a un passif qui détermine ses actions en Occident83 et qui fait de lui, théoriquement, le broker idéal, membre d’une société de l’entre-deux. Mais, à la suite de Bernard Lahire, nous ne pouvons qu’émettre les mêmes réserves sur une trop grande systématisation de ce modèle. La grande variété des situations rencontrées ne prédestine pas les Grecs migrants à occuper un rôle d’intermédiaire. Les Grecs ne peuvent pas, à proprement parler, appartenir à des sociétés de l’entre-deux. Leur éclatement en regroupements humains, plus ou moins structurés en Europe occidentale à la suite de la disparition de leur État référent, n’est reconnu comme tel par aucun pouvoir occidental. Les relations entre les sociétés hôtes et les zones d’origines de ces populations restent minimes pour une grande partie d’entre eux. Seules les communautés grecques des cités italiennes peuvent jouer ce rôle d’interfaces. L’intérêt pour nous est ailleurs et réside une nouvelle fois dans la manière dont on rédige les textes qui concernent les Grecs. Il est nécessaire d’apporter une explication à ce grand chamboulement humain : la présence grecque peut constituer une aubaine pour les sociétés occidentales parce qu’elles représentent des apports culturels et économiques notables. Il vaut donc mieux que les Grecs apparaissent comme des personnes intermédiaires, intégrées à un nouveau système social et garant de la survie d’une parcelle de culture grecque que la domination ottomane semble mettre à mal. Nous naviguons encore une fois en plein récit.
48L’historien américain Glen Bowersock évoque en 1994 les rapports ambigus qu’entretiennent fiction et vérité historique dans la littérature de l’Antiquité tardive. Le savant évoque le cas du romain Celse qui compose une charge virulente contre les chrétiens au iie siècle. Dans son Discours vrai (Alêthês Logos), Celse entend démasquer les mensonges et les fictions des récits que mettent en avant les chrétiens. Il y dénonce les étapes de la vie de Jésus Christ perçues comme des récits fantaisistes autour de sa mort et de sa résurrection. Celse est suivi dans la démarche de Bowersock par le satiriste Lucien qui rédige à la même époque des Histoires vraies. Son public visé n’est les chrétiens, mais la démarche est identique à Celse. Or, Bowersock nous explique que ces deux auteurs ne sont pas exempts de la critique de fiction et de récits dans leurs écrits : « Il est symptomatique de l’époque que Celse et Lucien qu’ils plongent dans la fiction, qu’ils s’en prennent à la fiction en créant des fictions, qu’ils démasquent des mensonges et des forgeries84. » Cet exemple montre, entre autres choses, que l’on n’échappe pas à la mise en récit, le « mensonge », même avec la meilleure volonté possible et un réel souci d’établir une vérité. Le cas étudié par Bowersock résume particulièrement bien notre démonstration dans ce chapitre. Nous ne pouvons échapper à l’examen de notre matière documentaire. Aussi aride soit-elle, celle-ci lève le voile sur tel ou tel aspect de la vie d’un individu, de la destinée d’un groupe plus ou moins conséquent. Tout est question, pour des scribes occidentaux, de transcrire, de mettre par écrit un événement, un phénomène sociologique, même infime, et de rendre au mieux la réalité de ces dernies. Pour cela, la fiction est un outil inévitable.
49Dans cette optique, il faut savoir faire feu de tout bois. Les quelques bribes d’informations qui peuvent transparaître dans une source sont invariablement adaptées pour être conformes à ce que le support documentaire peut exiger : pour une chronique des détails cosmétiques et nombreux, chargés de rendre compte d’une visite diplomatique aussi fastueuse et exotique qu’elle fut dans les faits ; pour une ordonnance, des faits importants et explicatifs répétés, martelés même, mais clairs ; pour des registres de comptes, des faits précis et stéréotypés, mais néanmoins mis en récit en une ligne ou deux de texte. Dès lors, tout est utile pour créer du récit, la nature des Grecs mais également les origines de ceux-ci. La Grèce devient un objet d’histoire, de récit, en partie constitutif de l’essence de ce que deviennent les Grecs dans leur représentation dans les sociétés occidentales. Se pose alors la question, pour l’heure à peine effleurée, de l’existence d’une fabrique identitaire, de représentations sur les Grecs. Ces images sociales sont autant d’outils de communication, de négociations entre Grecs et Occidentaux, permettant aux seconds de définir les premiers et de se définir soi-même.
Notes de bas de page
1Jean Lévi, La Chine romanesque. Fictions d’Orient et d’Occident, Paris, Seuil, (La librairie du xxe siècle), 1995, p. 131.
2Ibid., p. 135.
3Ibid., p. 140-172.
4Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Annales ESC, 6, novembre-décembre 1989, p. 1505-1520.
5Ibid., p. 1513-1514.
6Michel Pintoin est tout heureux de décrire cette délégation bigarrée et chamarrée. Il insiste sur les contacts qui s’opèrent avec les membres de la Cour et sait gré à Charles VII de rendre des honneurs à l’empereur, honneurs qui rejaillissent sur le roi. Le chroniqueur note bien sûr quelques différences, notamment d’ordre religieux, mais il balaie immédiatement les critiques des grincheux qui s’offusquent d’une telle confrontation, perçue comme sacrilège. Michel Pintoin, Chronique du religieux de Saint-Denis, op. cit., vol. 2, livre XXI, chap. 1, p. 754. Il en va de même avec les épisodes de la messe de la Sainte-Chapelle livré par Jean Jouvenal des Ursins, des barbes monacales d’Adam of Usk, des prouesses équestres de Théodore Karystinos rapportées par Olivier de La Marche, de l’allure de George Bissipat revenu des îles du Cap-Vert ou de l’aspect farouches des Stradiotes de Philippe de Commynes. Jean II Jouvenal des Ursins, Histoire de Charles VI, op. cit., p. 417-418 ; Adam of Usk, The Chronicle Adam Usk, op. cit., p. 118-120 ; Olivier de La Marche, Mémoires, op. cit., p. 321 ; Charles Samaran, « Une page inédite de l’“Histoire de Louis XI” par Thomas Basin », Bibliothèque de l’École des chartes, 85, 1924, p. 304 ; Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 586.
7Voir le Dossier documentaire, no 2.
8Voir le Dossier documentaire, no 1.
9Voir infra, p. 356.
10Voir le Dossier documentaire, no 1.
11Notons simplement que Guillaume et peut-être Georges (II) portent également ce surnom. Il serait donc logique que Charles en soit affublé. Cependant, le caractère religieux de la carrière avortée de celui-ci tendrait à l’exclure de la reprise de l’héritage paternel dont fait partie ce surnom.
12Voir le Dossier documentaire, no 1.
13BnF ms. fr. 16216, fol. 47r-49r et 75v-76r.
14Roger Chartier, « Le monde comme représentation », art. cité, p. 1516.
15Ibid., fol. 191v-192r.
16Jonathan Harris, Greek Emigrees in the West. 1400-1520, op. cit. Henri Taparel, « Notes sur quelques réfugiés byzantins en Bourgogne après la chute de Constantinople », art. cité ; Nicolae Iorga, Byzance après Byzance, op. cit.
17ADN B 2017, fol. 225r.
18Guillaume Crétin, Œuvres poétiques, op. cit., p. 76, vers 89-93.
19Il faut croire que cette pique ne vexa pas outre-mesure Drague de Comnène puisque nous le retrouvons dix ans plus tard, en 1601 comme gentilhomme ordinaire de la chambre du roi. Samuel Menjot d’Ebenne, « La défaite des reîtres à Conerré », dans La province du Maine, 1, 1895, p. 10, n. 3.
20Ibid.
21Adam of Usk, The Chronicle Adam Usk, op. cit., p. 198-200.
22Répertoire prosopographique, no 115.
23Dossier documentaire, no 4.
24Voir Gilbert Dagron, « Byzance et la Grèce antique : un impossible retour aux sources », dans Jean Leclant, Michel Zink (dir.), La Grèce antique sous le regard du Moyen Âge occidental. Actes du 15e colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer les 8 et 9 octobre 2004, Paris (Cahiers de la Villa Kérylos, 16), 2005, p. 195-206.
25Voir par exemple John Monfasani, « The Greek and Renaissance Humanism », dans Greek Scholars between East and West in the Fifteenth Century, Farnham, Variorum Collected Studies Series, 2016, p. 31-78.
26Auctarium chartularii universitatis parisiensis, V, Liber procuratorum nationis gallicanae. op. cit.
27Guillaume Crétin, Œuvres poétiques, vers 1-170.
28Les dieux Phebus/Apollon, Diane, Aurora, Vesta, Junon, Venus, Pallas, Eole, Jupiter, Neptune, côtoient des néréides (Thétis), des divinités extérieures au Panthéon gréco-latin comme Cybèle ou Isis mais dont le culte était attesté dans le monde romain. Les animaux mythologiques tels que les tritons ou des personnages comme Atlas ou Chiron sont également appelés à l’aide par Guillaume Crétin. Ibid., vers 171-241.
29Ibid., vers 242-610.
30« Clerc bien lettré / Et sage estoit, de langeige acoustré, / Si prompt, que quant en propoz fust entré / Son dire l’eust tresscavant demonstré. » Ibid., vers 85-89.
31Adam of Usk, The Chronicle Adam Usk, op. cit., p. 118-120 ; Jean II Jouvenal des Ursins, Histoire de Charles VI, op. cit., p. 417-418.
32Camille Rouxpetel, L’Occident au miroir de l’Orient chrétien, op. cit., p. 172.
33Ibid., p. 175.
34AN J 961(11) no 21 ; AN MC/ET/XIX/163. Chroniques de Yolande de France, op. cit.
35Nous songeons ici au présent que Nicolas Tarchaneiotès et Alexandre Kananos s’apprêtaient à offrir au roi mais qu’un malhonnête compatriote leur aura subtilisé. Répertoire prosopographique, no 73 et 98.
36Camille Rouxpetel, L’Occident au miroir de l’Orient chrétien, op. cit., p. 187.
37Ibid., p. 210.
38Jean II Jouvenal des Ursins, Histoire de Charles VI, op. cit., p. 417-418.
39Adam of Usk, The Chronicle Adam Usk, op. cit., p. 118-120.
40Michel Pintoin, Chronique du religieux de Saint-Denis, op. cit., vol. 2, livre XXI, chap. 8, p. 774-776.
41Un épisode très édifiant concerne le royaume d’Aragon. Après la visite de Manuel II qui avait envoyé un ambassadeur à Barcelone en la personne d’Alexis Branas, des délégués byzantins étaient chargés d’assurer la collecte des fonds. Mais certains villages rechignent à donner de l’argent à des personnes dont on ne comprend ni qui ils sont ni ce qu’ils font. Le roi Martin Ier doit donc rappeler par une ordonnance le bon déroulement d’une collecte et de garantir que la personne chargée de réunir l’argent est bien agréée par ses services. Antonio Rubio y Lluch, Diplomatari de l’Orient catala, Barcelone, 1947, lettre DCLXXXIV, Barcelone, 3 avril 1405.
42Le Vénitien insiste sur le fait que sa barbe seule était digne de mémoire chez Janus : « el qual è di nation grecho, portava barba, è amico dil cardinal Roan », Sanuto, diarii, VII, c. 727.
43Camille Rouxpetel, L’Occident au miroir de l’Orient chrétien, op. cit., p. 306.
44Ibid., p. 310-311.
45« L’année suivante, c’est-à-dire mille trois cents quatre-vingt-dix-neuf, autour du mois de mai vint à Paris l’empereur de Constantinople, nommé Manuel Paléologue, avec une grande suite de Grecs, dans le but d’obtenir l’aide du roi de France contre Baizac, seigneur et roi très puissant des Turcs. » Chronographia regum Francorum, éd. par H. Moranvillé, t. 3, 1380-1405, Paris, Renouard/Société de l’histoire de France, 1897, p. 168.
46« Alors, autour du mois de novembre, l’empereur de Constantinople quitta Paris pour retourner en Grèce puisqu’il espérait de Tamerlan récupérer son empire ou une partie de celuici que Baizacus lui avait enlevé. Alors, sur ordre du roi de France, trente mille écus sont prélevés. De laquelle somme il détacha vingt milles écus que Paris lui devait, et il retourna avec le reste à Venise et ensuite en Grèce. Cet empereur avait cette titulature : “Manuel fidèle en Christ Dieu empereur et modérateur des Romains Paléologue toujours Auguste”. » Ibid., p. 204.
47La Chronographia n’est pas la seule chronique à noter ce décalage. Michel Pintoin reproduit l’intégralité du texte officiel présenté par l’ambassadeur de l’empereur, Théodore Cantacuzène, venu en 1397 annoncer la prochaine venue du souverain. La titulature y est strictement reproduite : Manuelis in Christo Deo fidelis imperator et moderator Romeorum Palealogus. Michel Pintoin, Chronique du religieux de Saint-Denis, op. cit., vol. 1, livre XVIII, chap. 8, p. 559-563. Pourtant, une fois parvenu en France, Manuel devient un imperatoris Grecie et non un souverain des Romains. Ibid., p. 754.
48Aucune réflexion linguistique ou historique ne semble, à notre connaissance, s’être encore attachée à éclaircir cette question. En l’absence de toute autre hypothèse, nous pouvons cependant évoquer une possible volonté d’esquisser une distinction avec la titulature de l’empereur du Saint-Empire romain germanique, seul héritier de l’Empire romain reconnu en Occident latin. Il pourrait s’agir d’une forme archaïsante du terme Romanorum, ou bien de façon plus plausible une traduction phonétique du terme Romaiôn. En l’absence de toute étude sérieuse et systématique sur le sujet, nous ne pouvons aller plus loin dans nos déductions. Sur la titulature des empereurs byzantins et latins de Constantinople au xiiie siècle, voir Filip Van Tricht, The Latin Renovatio of Byzantium. The Empire of Constantinople (1204-1228), Leyde/Boston, Brill, 2011.
49British Library. Cotton MS Nero B XI, no 38, fol. 174. Sur une reconnaissance de paiement de dette par Henry IV à Manuel II le 3 février 1400.
50« Démétrios, fidèle en Christ Dieu despote des Romains Paléologue ». Lettres de Louis XI, (éd.) J. Vaesen et E. Charavay, Paris, 1883-1909, vol. 5, p. 244.
51« Chancelier des empereurs et juge général des Romains ».
52PRO E 404/81 (1).
53Gilbert Dagron, « Byzance et la Grèce antique : un impossible retour aux sources », art. cité.
54John Monfasani, « George Gemistus Pletho and the West », art. cité, p. 19-34.
55Par exemple, Manuel Chrysoloras fait l’objet d’une opération séduction concurrentielle acharnée entre Florence et Milan pour que le professeur accepte d’enseigner dans leurs universités respectives. Un demi-siècle plus tard, Jean Argyropoulos, après une brillante carrière à Constantinople, doit partir en Italie, effectue une tournée européenne avant de choisir de se fixer à Florence pour y enseigner. D’autres éminents penseurs grecs comme Démétrios Chalcocondylès, Janus et Constantin Laskaris offrent le même attrait. Partout, l’attrait pour l’édition et la traduction d’ouvrages rares écrits en grec constituent le premier motif d’offre d’emploi. Georges Hermonymos à Paris ou bien Andronic Kontoblakas à Bâle à la même époque, bénéficient ainsi de ce lien fictif, défini à gros trait, que tous, détenteurs du savoir et acquisiteurs dudit enseignement, ont intérêt à faire vivre. PLP no 1267 et 13053. Répertoire prosopographique, no 56, 179 et 201.
56ADN B 2020, fol. 346v.
57Rappelons que la dynastie byzantine macédonienne (867-1056) a été fondée par Basile Ier (867-886) dont les origines arméniennes sont connues et assumées et n’impliquent pas un manque particulier de légitimité puisque d’autres empereurs ont pu avoir des origines très diverses. Gilbert Dagron, « Byzance et la Grèce antique : un impossible retour aux sources », art. cité.
58En effet, dès les invasions sklavènes du viie dans les Balkans et en Grèce, des flots de population se réfugient dans les rares cités encore tenues par l’empire. Par la suite, au gré des affrontements et reconquêtes, les empereurs reprennent l’idée de transférer dans une autre partie de l’empire des populations jugées dangereuses et peu fiables est fréquemment employée, dans un sens comme dans l’autre : ainsi des populations slaves se retrouvent en Asie Mineure et des populations arméniennes s’installent en Macédoine. Ces mélanges perdurent dans le temps et contribuent fortement au lissage des identités qui se trouvent groupées sous le terme générique « culture grecque ».
59Les archives départementales du Nord recèlent de plusieurs mentions évoquant ces anonymes grecs. Le registre B 2017, qui correspond à l’année 1454-1455, note la venue de « cinq gentilshommes de la cité de Constantinople », de « huit gentils hommes du pays de Grece », de « quatre homme du pays de Grece » et enfin d’« ung grech ». ADN B 2017, fol. 238v, fol. 267r, fol. 287v et fol. 293r.
60Répertoire prosopographique, no 115.
61Répertoire prosopographique, no 266.
62Les accords avec les rois d’Aragon sont chronologiquement les plus anciens. Daniel Duran Duelt, « Diplomacia de cruzada », art. cité. De même, la correspondance qui semble s’établir entre Richard II puis Henry IV et Manuel conforte également l’idée d’un accord de ce type, même si la présence grecque paraît limitée à cette époque aux activités de marchands dans le port de Londres. Certaines de ces lettres sont reproduites dans Dominica Legge, Anglo-Norman Letters and Petitions from all souls MS. 182, Oxford, Anglo-Norman Text Society, 1941, p. 152, 418-419 et 465-466. Enfin, les ordonnances que les rois de France accordent aux envoyés de l’empereur entre 1406 et 1408 montrent d’une part le souci de garantir leur sécurité en les autorisant leurs prospections dans le royaume, d’autre part en plaçant ces personnes sous l’autorité directe d’un représentant grec (Constantin Paléologue Rhallès puis, après bien des vicissitudes, Manuel Chrysoloras), lui-même sous l’autorité directe de l’empereur rentré à Constantinople. Répertoire prosopographique, no 278.
63Le phénomène n’est pas nouveau pour beaucoup de Grecs issus de régions égéennes alors possessions latines. Sans conclure que cette domination fut facilement et unanimement acceptée (le cas crétois montre au contraire toutes les difficultés vénitiennes dans l’établissement de son pouvoir dans l’île), il n’est pas irréaliste de penser que ces nouvelles dominations ont été acceptées de facto. La poursuite de telles logiques n’exclut donc pas que les Grecs se retrouvant en Occident pour y trouver des fonds puissent s’adapter et trouver de nouveaux systèmes sociaux hiérarchisés, occidentaux, qu’ils peuvent intégrer.
64Répertoire prosopographique, no 38.
65Nathalie Rothman, Brokering Empire, op. cit.
66Ibid., p. 34.
67Ibid., p. 190-191.
68Outre le fil d’or et le tissu de Damas des frères Effomatos, les épices font l’objet d’un commerce par Antoine Loscart à Bruges en 1454, le safran étant par exemple importé à Rouen en 1477 par Démétrios de Rhodes. Répertoire prosopographique, no 202 et 274. Le vin doux méditerranéen est extrêmement prisé en Angleterre et les Grecs tiennent une part de ce marché lucratif. Jonathan Harris, « More Malmsey, Your Grace ? », art. cité.
69Répertoire prosopographique, no 259.
70Voir supra.
71Nous comptons les frères Andronic et Alexis ainsi que leurs proches familiaux Andronic (II), John, Carant et Everard. S’agrègent également à ce groupe des personnages qui semblent graviter à proximité de ces grands marchands tels que Nicholas Greek, Christophe et Jeronimus Grace ou John de Grace ; PRO E 179/144/64, fol. 8 ; PRO E 179/236/74.
73ADSM B VIC Eau 1477-1478.
74AN J 964, no 48.
75PRO E 179/241/327, part. 2 ; C 66/520 pergamena 7 ; Letters and Papers, Foreign and Domestic, of the Reign of Henry VIII, vol. 2, part. 1, no 2557 ; Richard Edward Gent, Ernest Kirk, Returns of Aliens, op. cit., vol. 2, p. 214 ; William Page (éd.), Letters of Denization and Acts of Naturalization for Aliens in England, op. cit., p. 72 ; PRO E 122/203/3, fol. 16r, 16v et 19r.
76Nathalie Rothman, Brokering Empire, op. cit., p. 165-173.
77Ibid., p. 170.
78Guillaume, le fils de Thomas Francos, susceptible de faire office d’interprète et conseiller pour les affaires grecques-ottomanes, n’occupe pas du tout cette fonction. Il en va de même pour Guillaume Bissipat, fils de Georges.
79Ibid., p. 29-30.
80Nicolas Vatin, « La traduction d’une lettre de Charles VIII de France (1486) », art. cité.
81Ainsi, les mêmes Tarchaneiotès et Kananos ont pour appui Francesco Filelfo et probablement Guillaume des Ursins.
82BnF ms. gr. 2966.
83Voir sur cette question Bernard Lahire, La culture des individus, op. cit., p. 82.
84Glen W. Bowersock, Le mentir-vrai dans l’Antiquité. La littérature païenne et les évangiles, Paris, Bayard, trad. de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, 2007 [éd. orig. 1994], p. 27.
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