La première fusion CMP-STCRP en 1942
p. 105-114
Texte intégral
1La fusion des exploitations de la CMP (réseau souterrain) et de la STCRP (réseau de surface) intervient le 1er janvier 1942, sur décision du secrétaire d’État aux Communications du régime de Vichy, Jean Berthelot. La fusion des exploitations de ces deux sociétés privées s’inscrit dans un processus de longue durée, de coordination des réseaux de transports de la région parisienne2. Mais Jean Berthelot affiche néanmoins une volonté de se placer dans une logique de rupture dès septembre 1940, et, en ce sens, la période de la Seconde Guerre mondiale peut être analysée comme un temps de transition entre une exploitation des transports parisiens concédée à des sociétés privées et la prise en charge de ceux-ci par une entreprise publique, la RATP, dont la création est effective à dater du 1er janvier 1949.
La situation initiale
2L’intervention économique de l’État en matière de transports est un fait ancien, contemporain de l’époque de la construction des chemins de fer. Le débat se passionne néanmoins dans les années trente pour des raisons politiques et économiques, mais n’aboutit à aucune solution pratique, alors même que plusieurs formes de coordination, notamment technique, administrative ou encore la fusion financière, ont été étudiées et discutées au cours de ces années. Dès 1930, le conseil général décide de résilier (le 17 décembre) la convention existant entre la STCRP et le département et lance un appel à la concurrence. Plusieurs propositions sont alors avancées. Le préfet de la Seine Renard prend position, dès cette date, pour le projet (déposé par la CMP) visant à réaliser une coordination par fusion financière des deux réseaux — souterrain et de surface - en une seule société qui se dénommerait CMATRP, société filiale de la CMP. Mais le Conseil général ne vote pas à la majorité absolue requise pour aucun des projets. En définitive, la convention de la STCRP se trouve reconduite, presque sans changement, au 1er janvier 1933 : l’opposition des protagonistes politiques et l’importance des groupes de pression neutralisent toute décision3.
3Pourtant le décret-loi du 12 novembre 1938, du gouvernement Daladier-Reynaud, annonce une période transitoire devant mener à une organisation unique des transports de la région parisienne avant le 1er juillet 1942 et constitue un tournant important dans l’histoire des transports parisiens. Notamment, dans l’histoire de l’intervention de l’État en matière de transports collectifs desservant cette région. Il fut d’ailleurs considéré comme une « menace de nationalisation » par bon nombre d’intervenants4.
4A la veille de la guerre, les deux entreprises représentent le même nombre de voyageurs transportés, de kilomètres par voitures ou de recettes enregistrées. Pour ces trois critères, la STCRP occupe même la première place jusqu’à la déclaration de guerre, qui annonce un renversement de tendance, renversement non conjoncturel mais définitif jusqu’à aujourd’hui : la STCRP décline et la CMP profite de la conjoncture. Paradoxalement, alors que l’exploitation de son réseau est très affectée par la guerre, la défaite et l’Occupation, la situation financière de la STCRP est plutôt bonne. Les recettes voyageurs ont fortement fléchi, mais les dépenses d’exploitation également, alors que les recettes accessoires et les « recettes marchandises, messageries et transports divers » ont, quant à elles, fortement progressé5. La situation de l’exploitation du réseau est catastrophique, le personnel traverse une situation dramatique. Cependant, la STCRP et ses actionnaires bénéficient d’une très nette embellie financière de leurs résultats (le solde créditeur du compte de profits et pertes est en progression de trente-quatre pour cent et les dividendes augmentent de près de vingt-trois pour cent entre 1939 et 1940)6.
5Le métro, quant à lui, devient un lieu essentiel à Paris : il demeure pratiquement le seul moyen de transport rapide, et permet, en outre, de s’y réfugier lors des alertes. Ainsi, n’est-il pas étonnant que ses recettes voyageurs atteignent une somme record7 et que ses bénéfices d’exploitation aient été doublés entre 1939 et 1940, triplés entre 1938 et 1940 et quintuplés entre 1937 et 19408 !
Genèse d’une fusion
6Dans ce contexte, la véritable première intervention de Jean Berthelot intéresse le texte, dit « loi » du 20 septembre 1940, dans lequel les principes du décret-loi du 12 novembre 1938 sont repris (Jean Berthelot était déjà directeur de cabinet du ministre des Transports). Néanmoins, le délai de la période transitoire, devant aboutir à une « organisation unique », est abrégé d’un an. Son champ d’application est désormais limité à la CMP et à la STCRP. La « loi » ne précise plus si l’organisme futur sera un organisme d’État. Le Comité des transports parisiens est remplacé par un Conseil des transports parisiens aux membres non élus, dans lequel des pouvoirs de décisions très larges sont accordés à un seul homme, Jean Berthelot9.
7Avec cette « loi » s’ouvre une phase au cours de laquelle les velléités de revanche de l’État sur les collectivités locales triomphent par rapport à 1938 et le pouvoir de Vichy s’affirme. Les rapports de force changent mais les collectivités locales, à travers la préfecture de la Seine, opèrent une résistance en gagnant du temps et en démontrant que les dédommagements nécessaires, pour les exproprier au bénéfice de l’État, seraient très élevés.
8La CMP et la STCRP de leur côté multiplient les initiatives visant à démontrer le sérieux de leurs gestions respectives, dans le but de ne pas perdre leur monopole d’exploitation. Dès avril 1941, la direction de la STCRP est consciente de son échec ou du moins elle sait qu’elle ne dirigera pas la future « organisation unique ». Elle entend donc désormais se concentrer sur les négociations de rachat et s’adresse directement à la CMP pour qu’elle lui fasse des propositions, en espérant contourner la mainmise ministérielle. À partir de cette date, la stratégie de la CMP pourrait se résumer ainsi : gagner du temps en cédant sur les points impossibles à remettre en cause, tout en essayant de limiter et de retarder l’entrée des pouvoirs publics dans le capital. Son argument principal est que l’indemnisation nécessaire pour l’évincer serait très importante (cinq fois plus importante que pour la STCRP)10. Quant à la STCRP, la stratégie de la direction sera de sauvegarder l’essentiel, c’est-à-dire de se concentrer sur la négociation des conditions de rachat, de conserver son « domaine privé » et de parvenir à imposer l’intégration d’une partie de son personnel dirigeant au sein de la future « organisation unique » dirigée par la CMP11.
9Une seconde « loi » est promulguée le 26 juin 194112. Elle peut être analysée comme marquant un recul du gouvernement de Vichy par rapport à la « loi » du 20 septembre 1940. L’ambition affichée n’est plus de créer une « organisation unique » des transports en commun de la région parisienne mais de « faire précéder l’organisation unique d’une fusion des exploitations du réseau souterrain et de surface ». Malgré le volontarisme affiché, le secrétaire d’État aux Communications de Vichy tempère son ardeur à réformer et compose avec les différents groupes d’intérêt, dont les autorités d’occupation, sans le reconnaître officiellement : la « loi » ne fixe pas de date pour la création d’une « organisation unique », ordonnant simplement la mise en place d’une « étape intermédiaire », la fusion des exploitations des seules CMP et STCRP. Il est vrai que d’autres contraintes (conjoncture de guerre et Occupation, groupes d’intérêt...) ont remplacé les « contraintes » démocratiques...
10D’autre part, cette « loi » de Vichy laisse aux parties concernées l’initiative pour négocier en fixant simplement, comme date butoir, le 1er janvier 1942. Date à laquelle l’État interviendrait, si ces dernières ne sont pas parvenues à un accord, pour fixer le montant de l’indemnisation de la STCRP13. La « loi » marque le début d’une nouvelle phase, celle de la négociation proprement dite, qui doit s’achever au plus tard le 31 décembre 1941. Au cours de cette période, le débat fut vif entre les différentes composantes des pouvoirs publics sur la question du transfert, ou non, de l’autorité en matière de transports parisiens, des collectivités locales vers l’État. D’autre part, la stratégie de la CMP au cours de cette phase semble être, comme précédemment, de gagner du temps et surtout de tout mettre en œuvre pour ne pas risquer de renégocier globalement sa convention d’exploitation, en portant le débat uniquement sur la négociation de la convention d’exploitation du réseau de surface et en espérant réduire au maximum les facteurs de risque.
11Les négociations au sujet de la fusion, loin d’être l’occasion de réétudier la mission globale du concessionnaire choisi, de redéfinir ses attributions et sa rémunération, en bref renégocier globalement la convention accordée, se résument à une négociation qui s’applique exclusivement au réseau de surface qui, dans cette conjoncture, n’offre plus qu’un intérêt secondaire. Dans ces conditions, Jean Berthelot est obligé de sortir de sa réserve en novembre 1941 et d’intervenir directement dans la négociation. Il n’obtiendra que de maigres concessions.
Fusion, intégration ou coexistence de deux réseaux de transports ?
12En définitive, l’accord conclu le 1er décembre 1941 (signature des conventions tripartites) marque surtout la victoire de la stratégie de la CMP : les deux réseaux gardent un régime financier et contractuel propre, le seul régime modifié étant celui du réseau de surface. La réorganisation opérée se résume essentiellement à une réorganisation visant à réduire les coûts dans le budget des pouvoirs publics et, notamment, dans celui du département de la Seine. La fonction sociale des transports collectifs, quant à elle, est loin d’être au centre des discussions et de l’accord final. Enfin, la CMP, même si elle est obligée d’en rabattre sur ses prétentions, obtient un compromis tout à fait acceptable. En effet, la date de dénonciation anticipée de sa convention est reportée de trois ans (au lieu des dix demandés au départ)14, contre la participation de l’État et de la Ville de Paris aux bénéfices à terme (à compter du 1er janvier 1945), grâce à la remise d’actions B de jouissance (dix pour cent), de deux sièges au conseil d’administration pour les collectivités publiques (essentiellement l’État), et des corrections apportées au contrat de la CMP de 1929- qui ont visiblement été le « point le plus ardu de la négociation » - en ce qui concerne la révision de l’indexation de l’attribution forfaitaire. En définitive, les modifications essentielles, nées de la fusion, intéressent le réseau de surface (réduction de charges pour le département de l’ordre de cinquante pour cent pour une année type 1941).
13Dans ces conditions, la « loi » du 27 décembre 1941 se contente d’entériner les conventions signées le 1er décembre. Elle précise que l’État couvre désormais, par une subvention aux budgets de la Ville et du département, la moitié des déficits résultant de la fusion (mais non les charges financières), et précise également qu’il perçoit la moitié des bénéfices revenant aux collectivités locales. Cette disposition marque donc une aggravation de charges aux budgets des collectivités locales, voulue comme une contrepartie du maintien de leur autorité. Cette « loi » ne paraît, au Journal officiel, que le 3 mars 1942, après examen prolongé des autorités d’occupation, même si Jean Berthelot veille à ce que la dynamique d’ensemble se mette en place dès le 1er janvier 1942. Cette « coordination », restreinte par rapport à ce que laissait entendre le premier texte de Jean Berthelot- dit « loi » du 20 septembre 1940- représente néanmoins une étape dans le processus de longue durée de coordination des transports parisiens et de transfert de l’autorité principale des collectivités locales vers l’État.
14Les conventions signées et la « loi » du 27 décembre 1941 mettent en évidence les choix qui ont été entérinés, c’est-à-dire la vision qu’a Jean Berthelot du réseau de transports parisiens, vision essentiellement ferroviaire15. Il tranche en faveur des intérêts électriques contre les intérêts pétroliers et automobiles. Mais son programme de substitution des autobus par des trolleybus est freiné par la pénurie de matières premières. Le réseau de surface prend officiellement un statut et un rôle subordonnés, tandis que l’objectif principal est de faire du métropolitain, « l’ossature même » du système de transports, complétée par les lignes de surface16.
15Symboliquement, la CMP ne change pas de raison sociale après la fusion : son nom reste inchangé, bien qu’il ne corresponde plus que partiellement à son activité. De plus, la réorganisation interne de la CMP semble très limitée en apparence. D’une part, la comparaison rapide de l’organigramme du personnel dirigeant de « l’ancienne » et de la « nouvelle » CMP montre simplement qu’une nouvelle direction du réseau de surface a été intégrée à l’ancienne structure. D’autre part, deux régimes financiers distincts coexistent au sein d’une société unique chargée de l’exploitation. Mais ces éléments ne doivent pas masquer le fait qu’une nouvelle compression de personnel (hors personnel dirigeant) soit opérée, s’ajoutant à la réduction massive du personnel en activité sur le réseau de surface, déjà réalisée en 1941 (réduction de plus de cinquante pour cent !)17. Finalement, il semble que la gestion quotidienne des deux réseaux ait connu, chacune séparément, plus de continuités que de mutations. Si la coordination juridique est effectivement réalisée, la coordination des pratiques reste à faire18.
16Le calcul de la tarification représente, peut-être, la principale innovation liée à la fusion. La politique tarifaire a été modifiée par le décret du 4 août 1941, par laquelle Jean Berthelot homogénéise les tarifs de tous les réseaux. Il instaure un module unique U, dont la variation a une influence sur l’ensemble des tarifs, et crée une carte hebdomadaire de travail. La politique tarifaire a également été très surveillée par les autorités allemandes, qui ont refusé toutes les augmentations de tarifs envisagées.
17Dresser un premier bilan de la situation de l’entreprise, maintenant fusionnée, en charge des transports parisiens sous l’Occupation, montrerait que la conjoncture a été très favorable à la CMP et à ses actionnaires. La société connaît une croissance exceptionnelle de son bilan et de ses bénéfices (et ceci sans augmentation de tarifs, plusieurs fois refusée par les autorités d’occupation), due essentiellement à une très forte augmentation du nombre de voyageurs, puisqu’elle bénéficie depuis la fusion d’une situation de quasi-monopole. Bilan positif pour la CMP et ses actionnaires, mais non pour son personnel, qui voit ses effectifs, ses conditions de travail et de rémunération affectés.
18Les rapports - de 1942 à 1944 — entre la direction du réseau de surface et la direction de l’Exploitation de la CMP peuvent se résumer ainsi : la première tente de sauvegarder l’essentiel, tandis que la seconde veille à ne pas voir réapparaître une situation de concurrence avec le réseau souterrain.
19Dorénavant, « le principe doit être que les autobus dans Paris sont un transport de luxe »19. La CMP veut changer l’image de l’autobus, imposer l’idée que ce mode de transport doit répondre à un autre besoin social que celui, datant de l’avant-fusion, de concurrent du métro, et ainsi éviter la concurrence tarifaire.
20Le bilan de la guerre et de l’Occupation quant à l’exploitation des transports parisiens apparaît contrasté. La fusion autoritaire des exploitations, voulue par le secrétaire d’État aux Communications du « premier » Vichy, a été réalisée. Cependant, le plan initial s’est heurté à des résistances multiples et, contrairement à ce que Jean Berthelot imaginait au départ, il a fallu réévaluer les projets de réorganisation des transports collectifs de voyageurs de la région parisienne. La « coordination » des réseaux se limite aux seules CMP et STCRP et ne règle pas le problème des autres parties prenantes (SNCF, taxis collectifs, sociétés de transports collectifs de grande banlieue). Certes, une nouvelle étape de cette « coordination » est néanmoins franchie puisque, de ces deux sociétés privées, seule la CMP subsiste en tant qu’entité juridique. Toutefois, la nouvelle direction du réseau de surface, dirigée par Pierre Mariage et intégrée théoriquement aux structures de la CMP, continue à fonctionner à part, en se maintenant au siège social de l’ex-STCRP, quai des Grands-Augustins. La CMP ne parvient pas à harmoniser le réseau de surface et son réseau souterrain, structures qui connaissent trop de différences fondamentales. En conséquence, le réseau de surface passe bel et bien, pour toutes les raisons déjà évoquées, au second plan au cours de cette période. Néanmoins, il conserve un statut important. Sa direction devient même l’agent privilégié des relations avec l’occupant, son réseau étant très convoité par ce dernier pour les besoins de la guerre. La collaboration semble avoir été intégrée à la stratégie des dirigeants de l’entreprise. Stratégie qui, pour la direction du réseau de surface, peut se ramener à : négocier et survivre, en résistant aux assauts du secrétariat d’État aux Communications et du réseau souterrain, tout en maintenant l’illusion de sa puissance passée. Mais les « services spéciaux et travaux »20, agissant pour le compte des autorités allemandes, représentèrent surtout une source importante de chiffre d’affaires pour le réseau de surface21 et ont permis au réseau souterrain de se consacrer à l’exploitation normale, sans trop de contraintes compte tenu de la période. La CMP connaît, au cours de cette période de guerre et d’Occupation, des résultats d’exploitation exceptionnels : la longueur moyenne exploitée du réseau, le nombre de voyageurs et le bénéfice d’exploitation sont largement supérieurs entre 1941 et 1944 à ceux de l’entre-deux-guerres. À son apogée, en 1943, la croissance du trafic est de l’ordre de soixante-quinze pour cent et le bénéfice d’exploitation est multiplié par cinq et demi ! Même la ligne de Sceaux et le réseau de surface connaissent en 1942 et en 1943 des résultats d’exploitation bénéficiaires, ce qui ne s’était pas produit depuis bien des années.
21La « fusion » autoritaire des exploitations de la CMP et de la STCRP montre également la tendance modernisatrice et rationalisatrice du gouvernement de Vichy (avant novembre 1942). Profitant, dans un premier temps, de la conjoncture qui affecte gravement le réseau de surface, pour procéder à une « réorganisation » rapide des transports parisiens, Jean Berthelot se heurta rapidement aux contraintes de la pénurie et à la tutelle de l’occupant, pour appliquer pleinement son projet. Ces derniers facteurs furent, après la « fusion » des exploitations de la CMP et de la STCRP le 1er janvier 1942, nettement plus déterminants dans la vie de l’entreprise que les exigences formulées par Vichy. Mais la guerre et Vichy auront marqué l’évolution des transports parisiens sur le long terme, en imposant la gestion des deux réseaux par une seule entreprise, en augmentant le rôle de l’État aux dépens de la Ville de Paris et du département de la Seine et en abandonnant le régime de la concession22. Malgré le bilan apparemment modeste de cette « réorganisation », elle peut être considérée comme un tournant dans l’organisation des transports parisiens. La guerre, l’Occupation et le régime de Vichy ont bouleversé les habitudes de manière telle, que le Gouvernement provisoire de la Libération ne peut reconduire la situation d’avant-guerre. Pour autant, la CMP, la plus importante entreprise — par la taille - de Paris, n’est pas nationalisée rapidement. Elle connaît d’abord une administration provisoire et ne fait partie que de la dernière vague de nationalisations de la Libération, décidée au printemps 1948. D’autre part, Odile Zvenigorovsky23 estime à vingt ans la durée des traces de la guerre et de la Libération dans les stratégies internes de l’entreprise.
22Enfin, pour reconstituer cette histoire dans sa complexité, la multiplication des angles d’approche paraît indispensable. Seuls quelques-uns ont été effleurés, mais d’autres points mériteraient de plus amples développements. Ainsi, il serait intéressant, par exemple, d’étudier de manière plus approfondie la vision externe à l’entreprise des usagers, de même que la vision interne des agents de l’entreprise concernant cette fusion. Mais celles-ci ne semblent pas faciles à cerner, les sources n’étant pas très abondantes. L’approche géographique, visant à étudier l’évolution des réseaux pendant la guerre, reste, elle aussi, en grande partie à faire. Elle aurait peut-être permis de savoir si la « réorganisation » des transports au cours de la guerre et de l’Occupation a entraîné une mutation dans l’organisation de l’espace parisien. Il serait souhaitable que d’autres études voient le jour et apportent un autre éclairage à cette histoire.
Notes de bas de page
2 Voir notamment, M. Margairaz, Histoire de la RATP. La singulière aventure des transports parisiens, Paris, Albin Michel, 1989 ; G. Ribeill, « Quelques aspects de l’histoire des transports collectifs en région parisienne (1828-1942) », in Métamorphose de la ville, ouvrage collectif, colloque de Cérisy, Paris, Economica, 1987 ; D. Larroque, Analyse historique de l’évolution des transports en commun dans la région parisienne de 1855 à 1939, Paris, CNAM, 1977.
3 Pour de plus amples développements à ce sujet, voir d. Larroque, Analyse historique..., op. cit.,p. 113-214.
4 En cela, les débats concernant la « coordination » des transports parisiens sont révélateurs du climat politique national. Selon l’expression du témoin et acteur politique, le radical René Mayer, l’affrontement politique, au sujet de l’intervention de l’État dans les sociétés qui assurent un service public, faisait régner « une mystique de la nationalisation » (R. Mayer, Études, témoignages, documents, Paris, PUF, 1983).
5 Archives RATP, CMP, Comptes généraux d’exploitation du réseau urbain et du réseau banlieue (1939-1944). Les deux derniers postes représentent, pour l’exercice 1940, une somme équivalente à cinquante-sept pour cent des recettes voyageurs de 1940, alors qu’au cours de l’exercice 1939, ils ne représentaient qu’une somme équivalente à moins de trois pour cent des recettes voyageurs de la même année. Les « services spéciaux » pour le compte de l’État de Vichy et les autorités d’occupation allemandes n’y sont sans doute pas étrangers : les « recettes marchandises, messageries et transports divers » augmentent de 266% et les « recettes accessoires » de 1 031 % !
6 Pour plus d’information sur ce mécanisme, voir R. Roth, « Une entreprise de transports parisiens.... », op. cit., p. 38-40.
7 Archives RATP, CMP, Comptes généraux d’exploitation du réseau urbain et du réseau banlieue (1939-1944), rapport du conseil d’administration de la CMP, exercice 1940, assemblée générale ordinaire du 29 mai 1941, p. 8. Selon l’expression même des administrateurs de la CMP, les recettes voyageurs sont « les plus élevées que nous n’ayons jamais réalisé ».
8 Archives RATP, CMP, Comptes généraux d’exploitation du réseau urbain et du réseau banlieue (1939-1944), rapport du conseil d’administration de la CMP, op. cit., p. 9. Précisons que « la charge du montant des salaires des agents de la CMP mobilisés ou prisonniers de guerre, à la suite d’un accord intervenu, incombe à la Ville de Paris », ce qui réduit de manière non négligeable les dépenses d’exploitation.
9 R. Roth, op. cit., p. 45-48.
10 Archives RATP, inventaire DG. Affg - Direction générale - Affaires générales, dossier 27, sous-dossier 27-6, p. 1 -4. « Avant-projet d’un exemple d’organisation unique des transports de la région parisienne », annexe du Projet de lettre à M. le secrétaire d’État aux Communications, 24 avril 1941.
11 Archives RATP, DSA n 622. Lettre de M. Level à M. Paul Martin, 7 mai 1941 ; Archives RATP, inventaire DG. Affg, idem, 7p., « Note sur la reprise éventuelle par l’État de la concession d’affermage de la STCRP ».
12 Celle-ci n’est publiée au Journal officiel que le 4 août 1941... c’est dire si les autorités allemandes d’occupation l’ont minutieusement examinée avant de donner leur aval à sa publication, et donc à son entrée en vigueur.
13 La question de la spoliation n’a jamais été posée.
14 Au terme de ces négociations, les dates définitives sont : le 1er janvier 1946 pour la dénonciation anticipée et le 1er janvier 1948 pour la résiliation anticipée de la convention de la CMP.
15 Archives RATP, inventaire Direction financière, dossier DE1. Sur ce plan, la vision de Jean Berthelot ne doit rien au hasard. Sa formation d’ingénieur X-Mines, et surtout sa fonction récente de directeur adjoint de la jeune SNCF, le prédisposent à avoir une vision essentiellement ferroviaire du réseau des transports parisiens : « le plan de réorganisation [...] est fondé sur l’existence de voies ferrées et du métro, rayonnant autour de Paris. Entre ces voies à grand trafic, des lignes d’autobus et de trolleybus seront établies, afin qu’elles puissent rabattre les habitants des localités de banlieue sur les gares du métropolitain ou de la SNCF », in La Vie industrielle, 7-8-9 mai 1941, entretien avec Jean Berthelot.
16 Archives RATP, CMP, inventaire CML (Études générales), dossier 2A. Note sur l’organisation unique des transports de la région parisienne.
17 L’effectif du personnel en activité sur le réseau de surface est défini par le tableau annexé à l’arrêté du 21 novembre 1940 du secrétariat d’État aux Communications.
18 Archives RATP, inventaire CML (Études générales, 3G), dossier 2A, sous-dossier 2.1. Il semble que cette « fusion » n’ait pas harmonisé les statuts et conditions de travail du personnel des deux réseaux. Sur ce point, la conclusion d’un autre article de presse « il reste maintenant à fusionner les personnels des deux réseaux » est de toute évidence restée lettre morte. Et pour reprendre l’expression de M. Margairaz, « les deux quais s’ignorent » (Histoire de la RATP..., op. cit.).
19 Archives RATP, CMP - inventaire CML (Études générales, 3G), dossier 2A, sous-dossier 2.4. Note sur le tarif des autobus, direction CMP, 30 avril 1942, 3 p. + 3 p. d’annexes, transmise par M. Devillers à M. Pierre Mariage.
20 Convois, lignes spéciales d’autobus, location de matériel et de dépôts, affectation de personnel, utilisation comme usine de guerre de l’atelier central de Championnet (classé, par décision du 24 octobre 1943 du commandant militaire allemand en France, dans la catégorie des établissements « Speerbetrieb » ou « S-betrieb », c’est-à-dire la catégorie des établissements considérés comme les plus essentiels à la conduite de la guerre).
21 Archives de la RATP, inventaire Bus-Guerre 1939-1945, dossier 6, sous-dossier 6.7. Pour connaître le bilan chiffré des prestations de transports de la part du réseau de surface pour le compte des autorités d’Occupation, on peut consulter en priorité la « Note du réseau de surface en réponse à l’Institut de conjoncture », 14 avril 1945.
22 Voir les principales conclusions de Michel Margairaz (Histoire de la RATP..., op. cit., p. 61).
23 O. Zvenigorovsky, Paris et son métro, 1944-1945, CNRS-IHTP, 1989, 11 p.
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