Conclusion de la troisième partie
p. 309-310
Texte intégral
1Qu’avons-nous appris au terme de cette mise en situation des Grecs tant dans leurs relations internes que dans leurs rapports – avant tout sociaux mais aussi économiques et politiques – avec les populations occidentales ? En tout premier lieu que les modèles classiques de l’organisation grecque en Occident n’obéissent pas nécessairement au modèle d’une communauté diasporique grecque centrée sur elle-même, vivant dans le mythe d’un hypothétique retour à la mère-patrie que les Turcs leur auraient enlevée. Bien évidemment, comme en Italie, les Grecs cherchent à se regrouper, à s’entraider afin de franchir les obstacles qui ne manquent pas de surgir. Toutefois, la faiblesse démographique de la présence grecque en Europe septentrionale induit d’autres rapports avec les populations locales ou les autorités, que l’on n’aborde pas de la même façon. Nulle reconnaissance officielle d’une communauté grecque, perçue comme une entité ethnique à qui l’on assignerait des devoirs vis-à-vis des sociétés politiques qui les accueillent mais qui peuvent tirer d’elles des droits et des avantages – souvent économiques – qui justifient le regroupement des populations grecques sous une même autorité, parfois dans un même quartier d’une ville comme ce fut le cas pour Venise. Nos principales conclusions ne poussent cependant pas à remettre radicalement en cause les modèles développés mais plutôt à les nuancer, à les mettre en perspective. Les Grecs peuvent avoir ainsi une assise urbaine dans certaines cités comme Londres : les activités des Grecs, souvent marchandes, y sont proches des activités observées pour d’autres ports méditerranéens comme Marseille ou Livourne. Néanmoins, la faible présence démographique grecque révèle quelques adaptations comme une dissémination plus large dans le tissu urbain ou encore l’adoption rapide de mariages mixtes avec d’autres groupes étrangers. Ces différences servent avant tout à enrichir la question de la présence et l’organisation d’une population étrangère sur un territoire donné.
2Le second axe mis au jour est la part active des Grecs eux-mêmes tant dans la promotion et la préservation de réseaux de sociabilités internes que dans l’intégration aux réseaux occidentaux déjà existants. En effet, si les Grecs ont su exporter certaines de leurs connexions avec leur ancienne vie, certains ont rapidement sur les faire fructifier et les réemployer au service de leur nouvelle vie : Georges Bissipat, Thomas Francos et Démétrios Paléologue (3) en sont les exemples les plus frappants. Ces liens d’amitié, de redevabilité ou de clientélisme restent vifs tout au long de notre période et nous ont permis d’étendre des liens déjà mis au jour par l’historiographie et surtout de les voir fonctionner : les cas de Nicolas Cunctus et Théodore Plantidorus sont tout à fait significatifs de deux Grecs capables de voyager dans toute l’Europe depuis Constantinople grâce au secours d’un réseau d’entraide dirigé par Francesco Filelfo. L’humaniste florentin donne ainsi aux Grecs un accès privilégié aux principales chancelleries du temps – Milan, Paris, Bruxelles principalement. La réalité de ce réseau d’assistance offre également un angle de réflexion sur le degré potentiel de pénétration des Grecs des sociétés européennes. Ces insertions ne sont pas toujours couronnées de succès – tant s’en faut – mais elles constituent des modèles de comportements grecs dans un cadre sociétal souvent nouveau qu’il sera toujours intéressant de comparer avec d’autres situations en d’autres lieux et d’autres époques.
3Le glissement serein que nous avons choisi d’opérer donne à voir des Grecs en mouvement, en confrontation avec les codes et les individus qui composent une société étrangère pour eux. Les Grecs se donnent à voir de celle-ci qui leur renvoie une image à travers la documentation qu’elle produit sur eux. De cette image naît un récit narrant ces arrivées grecques, les jaugeant, les jugeant parfois. Un nouveau basculement se présente à nous, celui vers l’univers fictionnel bâti autour des identités grecques.
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