Chapitre 6
Les Grecs dans les sociétés politiques d’Europe du Nord-Ouest
p. 268-307
Texte intégral
1Basculons de l’autre côté du miroir et changeons de focale pour nous intéresser aux sociétés transalpines elles-mêmes dans leurs rapports avec ces nouveaux arrivants. Dans ce chapitre, nous accentuerons notre réflexion sur l’inclusion, ou non, des Grecs, dans les multiples processus de constructions étatiques que connaissent les trois ensembles politiques anglais, français et bourguignons.
2Angleterre, Bourgogne et France. Plutôt que de comprendre en ces termes trois ensembles géographiques, il s’agit de considérer les pouvoirs qui gèrent ces territoires. Une des raisons qui nous ont poussés à inclure l’étude des Grecs dans un champ géographique aussi précis et circonscrit est que ces trois puissances politiques connaissent des évolutions équivalentes, souvent comparables chronologiquement et même interdépendantes les unes avec les autres. Ces systèmes en gestation connaissent bien évidemment des fortunes très diverses : au long terme depuis au moins le XIIIe siècle pour l’Angleterre, avec une longue éclipse dans la seconde moitié du XVe siècle ; conflictuelle et difficile pour la France, confrontée à la longue résistance des corps intermédiaires traditionnels comme l’aristocratie ; fulgurante mais inachevée en ce qui concerne la Bourgogne1. Nous n’oublierons pas que ces phénomènes de constructions étatiques ne sont pas l’apanage des seuls royaumes transalpins et que la réflexion politique touche également la péninsule Italienne, objet d’une importante historiographie en la matière2. Les Grecs se trouvent confrontés à ces changements et il est impératif de passer à la loupe les logiques d’adaptations, les interactions qui se développent dès lors que de nouvelles possibilités – socio-économiques avant tout – s’ouvrent à eux.
Les Grecs et les États européens : concurrence et souci de prestige
3Avec le développement de structures étatiques dans trois ensembles politiques aussi imbriqués les uns dans les autres que l’Angleterre, la Bourgogne et la France – tous relevant à un moment déterminé des mêmes relations de fidélité, d’alliance et d’hommage, il est inévitable que l’arrivée de migrants à partir de la seconde moitié du XVe siècle, des hommes ayant pour beaucoup des compétences recherchées, suscite les convoitises et la concurrence entre ces mêmes pouvoirs. La concordance entre l’arrivée des Grecs et les ambitions des nouveaux États – comme le souci de s’assurer un prestige et une renommée supérieurs à celles de son voisin – ne peut être négligée.
« Genèse de l’État moderne » et migrations grecques : concordance des temps
4Il peut paraître incongru d’associer les migrations grecques au mouvement historiographique qui consiste dans la démonstration d’un vaste et constant mouvement d’édification de structures étatiques en Europe occidentale depuis le XIIIe siècle. Il ne s’agit pas bien sûr d’induire que les seuls Grecs aient pu influencer ce processus de manière significative. Pourtant, il est rapidement apparu clair qu’un phénomène a pu nourrir l’autre : la construction étatique a pu créer un appel d’air pour des réfugiés, des marchands, des personnes en quête de reclassement ; la venue de populations étrangères, parmi lesquelles se trouvent des Grecs, fournit un apport de populations souvent qualifiées, potentiellement utiles au développement des diverses branches administratives (comme l’armée, les services administratifs ou bien la cour). Il n’est pas dans nos intentions de rappeler les longs débats autour de la construction de l’État au tournant des XIVe-XVIe siècles : ce serait trop long et fatalement incomplet3. Retenons simplement que la fin du XVe siècle est une époque déterminante dans la formation des entités étatiques en Europe occidentale. Quoique les origines de ce mouvement soient difficiles à déterminer, notons que Bernard Guenée insiste sur les enjeux qui se résument à une lutte entre deux modèles de gouvernement : celui du prince et celui des organisations étatiques plus larges (le pays, la communauté, la nation). En conclusion, l’historien propose un modèle à trois temps : de la fin XIIIe siècle au milieu XIVe siècle, avec une croissance de la bureaucratie, une augmentation des officiers et de l’administration ; des années 1340-1350 aux années 1420, avec des phases de décentralisation, l’apparition d’institutions représentatives, de révoltes populaires ou nobiliaires ; des années 1420 jusqu’à la fin du XVe siècle, phase mettant en évidence l’affirmation du pouvoir monarchique4. Ces modèles sont repris par Jean-Philippe Genet et Wim Blockmans5. L’idée du premier met en avant la genèse de l’État moderne et place la naissance de celui-ci entre 1280 et 1360 dans le cadre anglais, français et espagnol. Dans La genèse de l’État moderne, l’historien écrit :
La liaison entre l’affirmation d’un État et celle d’une langue et d’une culture n’est pas seulement une coïncidence chronologique. Un État et […] tout particulièrement ce type d’État que l’on peut appeler l’État moderne, ne se développe et ne se renforce que par l’adhésion que lui apporte la société politique, dont il est à la fois l’expression et l’instrument6.
5Jean-Philippe Genet propose ainsi d’adopter l’angle de la communication politique. L’analyse se structure autour de plusieurs observations : progrès de l’État ; difficultés croissantes des seigneurs feudataires ; développement d’une culture de l’État à la fin du XVe siècle ; développement d’un discours politique à la place du monopole du discours politique de l’Église7. Les XIVe et XVe siècles offrent un spectre varié de formes politiques, des cités autonomes aux royaumes monarchiques. Cette notion est l’objet d’avis enthousiastes et de débats, certains comme John Watts critiquent le fait que la guerre est présentée comme la cause de la croissance des États alors qu’elles en sont également les conséquences8. Néanmoins, les travaux modernes d’historiens du pouvoir politique en Europe fondent leurs réflexions sur la genèse de l’État moderne sur le primat non exclusif de l’explication politique sur l’économique qui puisse expliquer les crises qui naissent alors et les réponses qui sont apportées9.
6Les migrants grecs, arrivés en Europe et tout particulièrement en Europe du Nord-Ouest, ont été confrontés à des formations politiques et aux discours qui en découlent. Ils s’adaptent aux conditions qui leur sont proposées. Il est même intéressant de noter que des chronologies de ces deux phénomènes présentent des similitudes et des concordances temporelles. Il n’est bien sûr pas question d’induire un lien de cause à effets entre ces deux chronologies, mais d’observer que les démarches de reclassement de la part des migrants grecs en Occident trouvent des opportunités auprès des princes en quête d’officiers tous dévoués à leur service.
7Du point de vue occidental tout d’abord. Le XVe siècle voit se dessiner une lente progression des structures étatiques, nous l’avons vu. Les vicissitudes que connaissent les pouvoirs princiers font vaciller leur autorité. Mais, pour ceux qui surmontent l’épreuve, la sortie de crise permet de faire progresser les rouages administratifs de l’État, de faire accepter la nouvelle pression fiscale aux membres de la société politiques – noblesse, bourgeoise, communes en tête – et de peupler les nouveaux services d’hommes nouveaux au service du prince. Ainsi, la Praguerie (1440-1442) et la guerre du Bien public (1465) permettent au roi vainqueur d’écarter progressivement la grande aristocratie du pouvoir, avant de les éliminer définitivement par le biais de procès retentissants, comme celui de Jacques d’Armagnac en 1477. En Angleterre, les dégâts de la guerre des Deux-Roses (1453-1485) plongent l’Angleterre dans l’instabilité qui ne se résorbe progressivement qu’avec l’apaisement sous les Tudor : dès lors, le pouvoir royal peut reprendre le développement de la gouvernance étatique qui était en marche depuis au moins la fin du XIIIe siècle10. La Bourgogne connaît quant à elle une grande structuration de ses services étatiques, souvent aux dépens de la France. Les années 1450-1477 voient l’État bourguignon parvenu au faîte de sa puissance. Seul un accident mortel change les destinées de ce processus11.
8Du côté grec désormais. Nous devons ici opérer une distinction, aussi artificielle qu’elle puisse paraître, entre la présence grecque réelle sur toute la période, indépendante de tous les événements qui pourraient interférer dans les flux migratoires, et celle qui, justement en est la conséquence directe. Alors que dans le premier cas, les processus d’installation obéissent à des logiques moins liées à l’impératif de retrouver rapidement une situation financière et sociale satisfaisante. Ainsi, les marchands du type des frères Effomatos ne fuient pas les Ottomans, Ils ne cherchent pas à retrouver une situation sociale qui aurait prévalu à la cour de Jean VIII ou de Constantin XI : leurs objectifs sont commerciaux avant tout. Il n’en va pas de même avec le second cas qui regroupe des Grecs qui n’avaient pas l’intention de migrer mais l’ont fait par nécessité. Ainsi, les multiples vagues d’arrivées de Grecs à partir de 1453, peuplant les registres de comptes des souverains occidentaux, imposent une analyse différente et feront l’objet de toute notre attention à partir de cet instant.
Enjeux princiers autour de l’installation des Grecs
Nouvelle offre administrative
9Un examen plus approfondi des titres présentés par ces Grecs, ou ceux que les scribes ont cru comprendre, s’impose. Ainsi, ces personnes ont souvent des compétences curiales et administratives qui représentent un intérêt pour les États politiques occidentaux : Georges Dishypatos est un parent de l’empereur12 ; Emanuel Paleologus est chevalier et seigneur, selon les termes employés par le scribe, probablement un courtisan de la cour impériale13 ; Dascarius Cantsacusenus et Michel Lascaris sont respectivement escuyer et conte palatin, terme également curial dont l’équivalence grecque n’est pas assurée14. D’une manière globale, l’ensemble des titres observés relève davantage du monde occidental que des couloirs de l’administration byzantine. Nous voyons ainsi parfois paraître dans les registres de comptes d’anciens chanceliers, conseillers ou trésoriers, tous anciens serviteurs du dernier empereur, sans qu’il soit certain qu’il s’agisse de Constantin XI ou de son prédécesseur Jean VIII, si tant est que ces titres aient revêtu une quelconque réalité byzantine15. Peu importe le fait que ces titres renvoient au monde chrétien occidental. L’objectif est de présenter clairement le statut social et les compétences administratives de chaque individu : du côté bourguignon, Mauphey Arcoclescos est mentionné comme évêque de Melacona en Morée et George Théophile apparaît comme le « filz du conte de Frescante16 ». Ces qualificatifs établissent le niveau social, mais également la fonction qu’occupaient ces individus dans la société où ils vivaient auparavant, suggérant la position qu’ils pourraient occuper dans ce nouvel environnement.
10Un autre terme est tout aussi intrigant et, selon nous, révélateur. Le nombre de citoyens de Constantinople laisse dans l’expectative quant à la signification de ce mot mais pourrait impliquer un niveau social et un degré de compétence relativement élevés17. Un citoyen impliquerait une position sociale élevée au niveau de la ville de Constantinople et de ses institutions politiques. Or, il n’existe pas de telles fonctions. Le terme n’impliquerait-il pas un niveau social médian, suffisamment élevé pour occuper des charges curiales conséquentes sans toutefois appartenir au haut fonctionnariat de l’Empire ? De plus, l’association de ce terme avec celui d’aulici, au sujet de Théodore Plantidorus et de Nicolas Cunctus, recommandés par le duc de Milan à son homologue bourguignon, montre que ces termes représentent une valeur ajoutée pour les princes en quête de serviteurs fidèles. Tout cet ensemble de titres concourt à valoriser les curricula vitae des anciens administrateurs byzantins.
11À l’autre bout du processus d’acquisition d’une fonction officielle dans un appareil d’État, nous trouvons Georges Bissipat, Thomas Francos, Michel et Antoine de Trébizonde ou Démétrios Paléologue (3) qui ont intégré de nouveaux ensembles curiaux et ont fait bénéficier ceux-ci de leurs compétences. Ce sont bien sûr les personnages les plus en vue et ceux sur lesquels nous avons le plus d’information. Nul doute que d’autres auront pu intégrer les échelons administratifs des royaumes transalpins, au même titre que ceux que nous voyons s’agréger aux systèmes curiaux italiens. À Naples, la cour d’Alphonse le Magnanime (1435-1466) puis celle de son fils Ferrante (14661494) accueille des réfugiés grecs qui contribuent à la gloire de la cour aragonaise18. La cour pontificale, Venise, ou Milan fonctionnent également sur le même principe de réemploi des compétences utiles. Plus significatif encore est le cas de Constantin Arianitès (1456-1530), soldat albanais, fils du stradiote George, beau-frère de Skanderbeg et serviteur des Habsbourg puis des souverains pontifes à la fin de sa vie, Constantin joue admirablement de ses connaissances de l’Italie du Nord et des spécificités culturelles qui, par exemple, le placent notamment dans une position favorable lorsque Charles VIII cherche à fédérer autour de son projet de croisade antiturque19. Mais il n’est pas un cas unique. L’empereur Frédéric III délivre également des titres curiaux à Nicolas Agallon en mars 145420, à Jean Staurakios en 145921 et peut-être à Dascarius Cantsacusenus/Laskaris Cantacuzène à la même époque22. Ces titres, sans conférer de fonction réelle dans l’administration impériale, assurent un rang social appréciable23. De l’autre côté des Alpes, de Serapion24 et Thomas Francos, médecins officiels des rois d’Écosse et de France, jusqu’à George le Grec (1), archer et garde du corps du duc de Bourgogne25, tout le monde trouve à servir dans l’appareil d’État, chacun à son niveau.
Échanges de bons procédés princiers : les cas de Théodore Plantidorus et Nicolas Cunctus (septembre 1459)
12Revenons un temps sur la recommandation princière délivrée en faveur de Théodore Plantidorus et Nicolas Cunctus. Au-delà de l’incertitude que nous avons concernant l’identité ces deux personnages, le texte BnF ms. Ital. 1595, fol. 187r, quoiqu’édité depuis plus de trente ans, n’a pas fait l’objet d’une attention poussée26. Or, les informations qu’il renferme sont importantes pour nous. Il se présente sous la forme d’une lettre de recommandation envoyée par Francesco Sforza, duc de Milan (1450-1466) à Philippe le Bon de Bourgogne (1419-1467), en date du 3 septembre 1459. Le duc lombard invoque tout d’abord les misères et les douleurs nées de la chute de Constantinople et qui ont jeté sur les routes de nombreux nobles27, parmi lesquels se trouvent Théodore Plantidorus et Nicolas Cunctus. Ces deux personnages qui semblent végéter à la cour milanaise sont d’anciens courtisans (aulici) et proches (familiares) de l’ancien empereur28. Ce sont ces qualités qui poussent Francesco Sforza à les renvoyer vers Philippe le Bon : les deux Grecs seront, à n’en pas douter, très utiles au Bourguignon. Il est étonnant que ces compétences n’intéressent pas le duc milanais mais la cour est peut-être déjà comblée de ce point de vue. Une première remarque tient dans le fait que le pedigree de Nicolas et Théodore ne tient qu’en ces deux termes dont la signification doit être compréhensible de tous les intervenants de la lettre : les deux Grecs sont d’anciens serviteurs d’une administration qui n’existe plus et a été remplacée par une autre – ottomane – qui n’a pas semblé vouloir se les attacher. Les voilà comme beaucoup d’autres sur les routes d’Occident, se mouvant de cour en cour, avant de trouver les soutiens adéquats. Francesco Filelfo étant actif à Milan à cette époque, il ne serait pas illogique de suggérer l’existence d’un lien avec les deux courtisans. Nous n’avons aucune indication pour savoir si les deux Grecs sont parvenus jusqu’au duc de Bourgogne ou si celui-ci les a accueillis au sein de sa cour. Néanmoins, le processus de recommandation de deux personnes étrangères, au motif que leurs compétences de courtisans peuvent être appréciables par un prince quelconque témoigne de l’existence de réseaux vivaces.
13Si ce texte était unique, il serait difficile d’échafauder de tels raisonnements. Or, nous l’avons vu avec Francesco Filelfo, les cas de recommandations, non pour fournir une aide ponctuelle mais pour remédier sur le long terme à une situation désespérée, existent. Ainsi, le jeune Jean Gavras29 protégé du milanais et de Francos, ce mystérieux Glykys30 envoyé à Louis XI ou encore le prince Manuel Paléologue (5) en 1475, tellement persuadé de sa valeur que l’offre d’une rente bourguignonne ne lui inspire que du mépris31, etc. Toutes ces personnes bénéficient du même type d’aide et des mêmes opportunités de reclassement. Le prince Manuel erre de cour princière en cour princière, disposant très probablement de lettres de recommandation de la part du pape ou d’un de ses cardinaux. Il est très plausible que Constantin Scholarios, Georges Doukas Armenès ou Nicolas Tarchaneiotès32 apparaissent dans nos sources au moment où ils cherchent une place en France ou en Bourgogne, avec l’appui et la recommandation d’autres princes européens. C’est le cas de Nicolas Georgiadès porteur d’une lettre du patriarche latin de Jérusalem, qui devait être Bessarion, patriarche jusqu’en 145833, ou d’Alexandre Asanès, recommandé par le pape Pie II34.
14L’appui des princes est vital pour ces Grecs qui ont besoin de recommandations pour s’intégrer. Néanmoins, le processus inverse peut également exister, où des princes cherchent à attirer à eux des Grecs aux compétences reconnues, à les arracher à une obédience princière pour se les attacher. Ce phénomène est parfaitement illustré par Thomas Francos qui semble faire l’objet d’une campagne de recrutement agressive de la part de la cour française35. Les Grecs – et leurs compétences – forment une sorte de marché international : tout système étatique qui s’affirme se doit de compter en son sein les meilleurs éléments susceptibles d’entrer à leur service. Toute l’activité épistolaire de Francesco Filelfo tend à satisfaire des demandes en serviteurs dévoués : le Florentin ne cesse d’entretenir ses relations dans la plupart des cours princières, de Paris à Mantoue en passant par Milan, Rome ou Florence36. À l’image de la visite de Manuel II Paléologue qui ouvre notre champ d’étude, la concurrence est rude entre les princes, aussi modestes soient-ils, pour paraître le plus généreux, le plus munificent, le plus puissant. À un niveau bien entendu bien moindre, puisque les Grecs migrants ne sont pas empereurs ni, pour la grande majorité, membres de grandes familles aristocratiques, la concurrence princière se poursuit pour apparaître comme le prince le plus libéral, le plus charitable et, partant, le plus puissant et susceptible de mener la lutte contre les principaux oppresseurs des Grecs, c’est-à-dire les Turcs.
Les Grecs et l’évergétisme princier : un langage ?
15Parmi les grands apports de John Ma au sujet des interactions paritaires, la question de l’évergétisme et de son usage par le pouvoir royal à des fins politiques nous intéresse tout particulièrement37. L’évergétisme royal, dès l’époque grecque classique puis hellénistique, est conçu comme un moyen de communication pratique entre un pouvoir et les sujets qui lui sont soumis. Les cités comptent parmi ces sujets et sont des interlocuteurs parfois malcommodes. Un échange est mis en action, consistant d’un côté en l’octroi ou bien en la confirmation d’avantages détenus par un sujet, de l’autre par la reconnaissance du pouvoir légitime et souverain du bailleur desdits bienfaits. Cette forme technique de communication devient dialogue dès lors qu’elle est fondée sur la réciprocité et l’échange38 : bienfaits contre légitimité. Le langage mis en place entre les deux parties insiste ensuite sur la nécessité de se prêter « attention » et de se porter une « bienveillance » mutuelle : la relation engage les deux parties dans une interaction de don/contre-don chère à Marcel Mauss39. Or, ce caractère donnant-donnant est frappant dans la relation entretenue entre les différents souverains et leurs obligés, qu’ils soient sujets ou étrangers. Un Constantin Scholarios, qui vit littéralement aux crochets du duc de Bourgogne et du roi de France, fournit en contrepartie une présence étrangère exotique – « le filz du duc de Trapesonde » – qui rehausse leurs cours respectives40. Ensuite, John Ma évoque l’emploi de l’évergétisme royal comme l’élément d’une politique large visant l’ensemble des Grecs, même ceux qui échappaient à leur autorité en employant un vocabulaire propre, communs à tous les Grecs41. Nous trouvons ici un lien avec les projets universalistes des ducs de Bourgogne, prompts à porter la croisade contre les infidèles. John Ma conclut donc logiquement en établissant un lien fort entre évergétisme, dialogue/langage et outil de communication politique. Ces trois notions sont inséparables, elles permettent la mise en place d’un discours, d’un récit plus ou moins manipulé, plus ou moins (ré)inventé42. Or, nous ne pouvons que souscrire à ce raisonnement puisque notre démonstration générale tend à penser la migration des Grecs en Occident avant tout comme une affaire de récit43.
16Quelles ont été les ressources de Paul de Vlachia qui lui ont permis de vivre en Angleterre ? Quels avantages financiers ont déterminé la vie de Georges Bissipat et de sa descendance ? Quelles faveurs ont permis à Démétrios Paléologue (3) de « mettre le pied à l’étrier » ? La réponse est toujours la même : les largesses du prince, sa libéralité bienveillante mais également calculée. L’évergétisme politique des princes occidentaux en quête perpétuelle de gloire et de légitimité, rappelons-le, ont ici à leur disposition un formidable outil de communication qu’ils ne peuvent laisser de côté. Comme à l’époque d’Antiochos III, les souverains d’Angleterre, de Bourgogne et de France usent de ces largesses à dessein : leurs sujets naturels peuvent y lire l’expression de la souveraineté du pouvoir politique, légitime et protecteur ; les dépendants étrangers, dont nos Grecs font partie, y trouvent un interlocuteur potentiellement compréhensif face à une situation souvent critique. Le langage de l’évergétisme donne les moyens de se comprendre, de se reconnaître mutuellement, les uns comme des dépendants, les autres comme des protecteurs. Il est à ce titre particulièrement riche d’enseignements de relever que les entrées des registres de compte renvoient volontiers à ce langage : au nom du bénéficiaire du don succède la mention d’une somme accordée par la volonté du souverain puis les motifs qui justifient ce don44. Certaines localités comme Amiens délivrent ces fonds sur ordre de leur propre suzerain : ainsi le chevalier Manuel Paléologue (1) bénéficie indirectement de l’évergétisme princier en 145645. L’évergétisme princier, fondé sur le modèle fourni par John Ma, est bien opérant dans l’Europe princière du XVe siècle.
Au service armé de l’État
17Les sociétés étatiques en gestation sont confrontées aux rigueurs de conflits armés, qu’ils soient internes avec révoltes et guerres civiles ou externes avec des projets d’expansion territoriale souvent inévitables lorsque deux États s’opposent. Face aux nouvelles exigences des armées, toujours plus nombreuses et complexes, les Grecs, dont certains sont versés dans les arts navals, équestres ou d’archerie. Fournir des chiffres ne servirait pas à rendre compte d’un rapport des Grecs à une activité militaire46. Pourtant, celle-ci est réelle, du chevalier Guillaume Bissipat au rameur de galère Georges de Chypre47. Nous tenterons donc un état des lieux en lien avec le développement des services armés du roi.
Dans les armées du prince : le cas des Stradioti
18Nous avons déjà évoqué les cas de Dyomedes, Démétrios Daugreca, Jean de Corregon et Thomas de Thoe pour leur obtention de lettres de naturalité entre 1528 et 153948. La raison de ces gratifications, si elle n’est pas mentionnée directement, est leur activité militaire, archer pour le second, simples hommes d’armes pour les autres. Leurs supérieurs font partie des compagnies du roi de France. À la même époque à peu près, en Angleterre, Thomas Buas et sa compagnie agissent au service d’Henry VIII. Le XVIe siècle est plus propice à l’observation de groupements grecs militaires. Rien d’étonnant à cela puisque l’époque est à l’engagement, d’abord dans la péninsule Italienne puis dans le reste de l’Europe transalpine, de compagnies de Balkaniques, parmi lesquels les Albanais et les Grecs dominent49. Ces hommes sont appelés Stradioti en Italien, Estradiotes en Français. D’abord apparus à Venise et dans le royaume de Naples, les stradioti sont au départ des Albanais, migrants ou bien leurs descendants : les possessions vénitiennes en Crète ont fait de la cité lagunaire le principal refuge pour les populations grecques et balkaniques et les intérêts des souverains de Naples les font apparaître comme de potentiels employeurs. C’est ainsi qu’en 1461 apparaît une première compagnie balkanique, menée par le chef albanais Georges Castrioti dit Skanderbeg (1405-1468) et agissant pour le compte du roi de Naples contre une révolte interne au royaume50. Entre 1463 et 1479, Venise emploie de telles compagnies dans le Frioul et en Morée puis contre Ferrare en 148151. Leur emploi sur le théâtre des opérations en Italie et non pas uniquement en Méditerranée fait connaître les stradioti à leurs adversaires et aux observateurs plus lointains. Ainsi, l’expédition de Charles VIII met pour la première fois en contact Français et Stradioti. Philippe de Commynes mentionne ces hommes avec un mélange de fascination et d’effroi sur ces compagnies. Leur apparition s’effectue au moment de la bataille de Fornoue le 6 juillet 1495, lors d’un combat en particulier durant lequel ils se comportent de façon courageuse et étonnante. Philippe de Commynes précise que « Ilz estoient tous Grecs, tous venus des places que Venitiens y ont, les ungs de Napples de Romanie, en la Moree, aultres d’Albanye, devers Duras52 ». Suivent plusieurs passages où l’historien décrit leurs mœurs vestimentaires et guerrières, parfois choquantes pour lui, comme le fait de ramener les têtes de leurs adversaires converties en ducats par leurs employeurs vénitiens53. L’historien insiste sur leur ressemblance avec les janissaires turcs, tant dans leurs codes vestimentaires que dans leurs usages martiaux : leurs chevaux sont turcs, visiblement petits mais trapus et rapides ; leurs épées sont courbées, l’emploi de l’arc à cheval une sorte de marque de fabrique54. Charles VIII exprime le désir d’engager de telles troupes à son service. Son successeur Louis XII partage le même intérêt.
19Dès lors, les stradiotes essaiment dans le reste de l’Europe, en France mais aussi en Espagne, dans le monde germanique et dans les Flandres55. L’Angleterre est également une terre d’accueil pour ces hommes, et nos registres sont dès lors utiles à montrer les ordres et missions, pour l’année 1546, de Thomas Bua, Nic… Crexia et Antonios Stesinos, chefs d’une compagnie de 500 hommes dont font partie Andronic Nouccios/Nicandre de Corcyre ou bien le porte-enseigne Eleazar56. De même, en France, les états de service des quatre Grecs Thomas de Thoe, Démétrios Daugreca, Dyomedes et Jean de Corregon laissent entendre leur engagement autour des années 1510, ce qui laisse supposer une participation active aux campagnes de Louis XII en Italie, lieu possible de leur enrôlement. Toutefois, le théâtre des opérations ne semble pas s’être limité à la péninsule puisque Démétrios Daugreca est présent à Solignat, en Auvergne, semble-t-il toujours actif, peut-être en garnison et avec une mission similaire à celle des stradioti du roi de Naples chargés d’assurer l’ordre dans une province57. Les autres soldats semblent agir davantage comme des gardes personnels du duc de Guise ou du comte de Tende.
20Que représentent ces compagnies pour les structures étatiques en gestation ? Ces soldats sont des cavaliers légers, archers montés capables de se mouvoir rapidement, d’attaquer de nuit un camp avant de repartir aussi vite qu’ils sont venus. Ils représentent une arme psychologique censée terroriser une population58, harceler et éprouver les nerfs d’une armée. Thomas Bua et ses hommes agissent ainsi en Écosse où, à coup sûr, les capitaines militaires écossais n’étaient pas au fait de ces usages nouveaux. Philippe de Commynes n’induit pas que ces hommes étaient des hommes employés dans une bataille rangée. La description que donne Nicandre de Corcyre des stradiotes d’Henry VIII à Thérouanne les met en scène lors de combats d’escarmouches où leur vaillance semble irrésistible59. Le déploiement de Démétrios Daugreca à Solignat suggère une mission de contrôle du territoire. L’intérêt des États pour ces soldats est donc grand mais induit davantage une notion de prestige qu’une réelle utilité dans un combat.
21Néanmoins, tous les « militaires » grecs gravitant dans l’entourage des princes transalpins ne sont pas nécessairement des Estradiotes/Stradioti. En effet, des soldats grecs sont présents et actifs en France, en Angleterre et en Bourgogne avant que de telles compagnies ne soient créées. Ainsi il est intéressant de noter la présence de François le Franc, et de deux homonymes Georges le Grec. Le premier est le « neveu » de Thomas Francos qui apparaît en septembre 1454 dans une situation particulière où il reçoit de Charles VII des fonds pour s’armer en vue d’une croisade projetée par le pape60. Si elle n’indique pas directement la vocation militaire de François, ses aptitudes à participer à une croisade en tant que combattant évoquent davantage une fonction liée à la guerre qu’à celle de la médecine ou du droit comme son oncle et son cousin Guillaume. Le premier Georges le Grec est cet archer que nous connaissons déjà61. Garde du corps de Philippe le Bon entre 1451 et 1454, le Grec a tout du mercenaire, professionnel de guerre recruté pour ses compétences particulières. Il décide de repartir chez lui, probablement en réaction à l’annonce de la chute de Constantinople et pour continuer la lutte contre les Ottomans. Sans cela, il est très plausible que son engagement au service de la protection du duc se serait poursuivi. Le second Georges le Grec est mentionné en Bourgogne mais affirme être originaire d’Angleterre. L’impétrant demande en mai 1469 le remboursement d’une salade, une sorte de casque, qu’il aurait perdu en servant le duc de Bourgogne62. Or, l’alliance contractée à cette époque entre le duc et le roi d’Angleterre contre le roi de France implique l’assistance militaire mutuelle. Il est très possible que ce Georges ait fait partie d’un contingent anglais envoyé auprès du duc de Bourgogne. Or, ces cas précèdent de beaucoup l’époque de formation de corps de stradioti, d’abord en France puis en Angleterre.
Les Grecs et la marine occidentale
22Changeons d’élément. Les États modernes ont eu pour objectif majeur la constitution de flottes puissantes, capables d’assurer leur domination sur les mers, de protéger les routes économiques, lutter contre la piraterie et, si possible, faire concurrence aux flottes italiennes ou hanséates. Sur cette question, l’Angleterre avait pris un peu d’avance sur ses voisins septentrionaux, sa position insulaire nécessitant l’entretien d’une flotte qui puisse assurer les communications avec le continent. Néanmoins la crise que connaît le royaume à partir de 1453 avec les premiers symptômes de la folie du roi, appauvrit les finances déjà chancelantes. La flotte anglaise se rétracte et, contrairement à la France et à la Bourgogne, nous n’observons pas directement de Grecs engagés dans l’effort maritime anglais, exception faite de la possible présence dans l’île de Georges Bissipat au cours de la décennie 1460. Tout porte à croire que ses activités anglaises étaient portées vers la mer. En effet, George est mentionné comme soldat à Calais, mais les activités maritimes y sont très fortes, ne serait-ce que pour assurer la liaison et la défense de la cité63.
23Dès lors que leur puissance se renforce face au royaume de France, les ducs de Bourgogne cherchent à disposer d’une flotte importante à partir de leur port de Villefranche-sur-Mer. L’objectif est alors de bâtir une flotte et de mener la croisade en Méditerranée64. Jacques Paviot a montré combien l’enjeu était grand pour les ducs de Bourgogne de posséder une flotte digne de ce nom. Les princes Valois sont confrontés à diverses difficultés : soucis diplomatiques avec l’Angleterre et la France, autres concurrents sur les mers ; protection des intérêts économiques bourguignons face à l’insécurité chronique des mers ; nécessité de disposer d’une flotte susceptible d’appuyer l’entreprise de communication politique et de prestige des ducs et dont la croisade est une manifestation éclatante. L’organisation du port de Villefranche en 1442 illustre ces objectifs et on a déjà noté la présence de marins grecs parmi les matelots de la flotte65. Si Jacques Paviot doute de la réalité d’une politique navale structurée et cohérente ainsi que de l’intervention réelle de telles flottes dans la lutte contre l’insécurité maritime, l’historien montre que les infrastructures étaient néanmoins réelles66. Cette flotte intervient réellement sur le terrain militaire, même si ces actions ne sont pas aussi fréquentes que l’on aurait pu croire. La participation bourguignonne à l’expédition organisée par le pape Eugène IV entre 1443 et 1445 met en application tous ces préparatifs. Sous le commandement de Waleran de Wavrin, Geoffroy de Thoisy et Martin Afonso de Oliveira, l’objectif devient rapidement de dégager Rhodes du siège établi par les Mamelouks. Ceux-ci sont défaits le 10 septembre 144467. Une fois Rhodes dégagée, la flotte se dirige vers Constantinople qui est atteinte le 24 octobre. Mission est confiée à Wavrin de défendre les détroits face aux Ottomans présents du côté asiatique ainsi qu’à Gallipoli. Mais celui-ci échoue à empêcher le sultan Mourad II (1421-1451) de passer en Europe. Dès lors, la flotte retourne en Europe68. L’implication de marins grecs dans la seule entreprise maritime bourguignonne qui s’apparente à une croisade répond à une logique qui se répète parfois pour d’autres Grecs, dans des situations similaires de contacts avec les Ottomans : Ils deviennent des auxiliaires précieux dans des guerres d’un nouveau genre pour un pouvoir ducal en quête de prestige international.
24Le royaume de France semble, quant à lui, avoir pris plus de retard et n’avoir pas eu une politique maritime clairement définie et soutenue. Pourtant, le pouvoir français n’est pas étranger à la mer et la reprise en main de cités portuaires aquitaines comme Bayonne, Libourne ou Bordeaux autorise de nouveaux horizons maritimes. Associés aux ports bretons et surtout normands, ces centres sont des foyers de marins pêcheurs, corsaires et aventuriers des mers qui croisent jusqu’à Terre-Neuve. Or, c’est en France que nous trouvons l’implication la plus significative des Grecs dans la marine, grâce à Georges Bissipat et ses compères corsaires. Quoique capitaine des galères du roi, Bissipat est avant tout un corsaire très compétent, très actif – trop au goût des Vénitiens – qui permet de pallier l’absence d’une réelle flotte royale de combat. En effet, la guerre de course représente un moyen commode pour le pouvoir royal d’exister sur les mers, à moindres frais. Les registres des comptes royaux montrent que l’investissement des souverains dans les nefs royales est conséquent mais le commandement est laissé à Georges Bissipat et, semble-t-il ses acolytes corsaires parmi lesquels on compte Guillaume de Casenove, dit Coulon69. On notera par ailleurs la présence aux côtés du Grec de quelques coreligionnaires : Nicolas Famileti, originaire de Rhodes, est un fidèle compagnon de Georges qui semble reprendre la succession de celui-ci et apparaît comme impliqué dans l’affaire du navire La Magdeleine puisqu’il est envoyé en représailles contre les Portugais qui ont arraisonné le bâtiment70 ; les fils de Georges Bissipat, Jean et peut-être un autre Georges, apparaissent dans quelques sources, notamment à l’occasion de l’affaire des galères vénitiennes de 148571 ; parmi les subordonnés de Georges Bissipat peut-être existe-t-il de simples marins grecs, semblables aux mariniers de Philippe le Bon déjà évoqué, comme ce Simon Menard défendu par son patron en juin 1484, et dont on ignore les origines72. Il est néanmoins vrai qu’hormis ces quelques cas, les Grecs officiant dans la marine royale disparaissent : ici encore, la défaillance des sources est probablement une cause de cette lacune.
Les Grecs, les princes et la croisade
25Les princes et les États en formation qu’ils dirigent font montre d’un besoin récurrent et commun : la recherche constante et sans fin d’une légitimité à l’existence et l’exercice de leur pouvoir. Nés du contrôle des différents secteurs administratifs, économiques et politiques d’une société, ces États et leurs dirigeants doivent justifier leur domination auprès de leurs sujets et, plus encore, auprès de leurs rivaux. La croisade, plus particulièrement le vœu que les princes ne manquent pas de faire, devient une carte d’atout majeure dans la politique de communication de ces régimes. Les croisades perdurent au XIVe siècle et plusieurs expéditions de moindre ampleur ont eu lieu – comme l’expédition d’Égypte menée par Pierre de Chypre (octobre 1365). Les époques suivantes poursuivent dans la même voie et la croisade devient un élément de communication précieux pour les puissances au contact du monde turc. Ainsi le discours politique pontifical cherche à définir la croisade comme une nécessité pour tout chrétien, le Turc devient l’ennemi absolu des chrétiens, grecs compris : toute guerre menée contre eux devient une croisade73. De même, les princes transalpins incarnés à merveille par le duc de Bourgogne Philippe le Bon utilisent cet argument à leur profit. La présence récurrente et croissante de Grecs, témoins des soubresauts politiques du monde méditerranéen, vient jouer un rôle dans le discours sur la croisade, toujours promise, parfois organisée, rarement engagée, plus rarement encore efficace. Nous tendrons à prendre quelque peu le contrepied de tout un pan de l’historiographie qui a bien voulu voir dans l’afflux de Grecs dans les cours d’Occident, des prétextes à la croisade, niant l’implication de ceux-ci dans la promotion de la guerre sainte ou négligeant d’insister sur l’effacement progressif de l’élément grec du discours de la croisade. Nous tenterons de dégager trois différentes postures, trois attitudes des princes vis-à-vis de la question grecque et de celle de la croisade. Une démonstration par l’exemple semble la plus claire des argumentations.
Manuel II en Occident : les Grecs, promoteurs de la croisade
26La vaste entreprise de communication politique qu’est le voyage de Manuel II en Occident a pour objectif majeur de susciter la compassion de ses interlocuteurs occidentaux et, par conséquent, leur assistance financière et/ou militaire. De Venise à Londres, Manuel et ses sujets sont en représentation, promoteurs zélés de l’intervention chrétienne occidentale. Tout est bon pour lancer des passerelles : réceptions fastueuses ; rencontres intellectuelles autour de certaines pratiques « exotiques » – dont certaines sont religieuses ; grands discours où l’on tente de se comprendre. Ainsi, les arrivées à Venise, Padoue ou bien à Paris sont autant d’occasions pour mettre en scène ces rencontres. L’arrivée à Venise ne laisse dans les Annales Estenses que le souvenir que la dépendance et de la supplication de Manuel II à l’égard de la Sérénissime pour obtenir quelques subsides : l’accueil réservé par les Vénitiens reste toutefois digne de la majesté impériale74. La communication est difficile. Pourtant, dès l’étape de Padoue, le ton change : la cité, éternelle rivale de Venise, tente un accueil plus grandiose, plus populaire qui, visiblement, touche l’empereur. On vient le voir depuis toute la région et on l’écoute75. La rencontre de Charenton, quant à elle, donne lieu à une série de représentations quinze ans plus tard de la part des frères Limbourg dans les Très riches Heures du duc de Berry76. Autour d’un même fonds culturel chrétienne au sens large – autour d’un épisode néotestamentaire commun aux Catholiques et aux Orthodoxes par exemple –, toute la communication tend à promouvoir la croisade des chrétiens unis contre les infidèles ottomans. Les rapports amicaux que l’empereur entretient avec certains princes, tout particulièrement Charles VI, indiquent un effort de la part des Grecs pour aplanir les divergences religieuses. Un point d’orgue est atteint lorsque Manuel se lance dans un exercice poétique, devant la cour de Charles VI, probablement interloquée mais aussi séduite77 : l’empereur est au comble de la communication politique.
27Il est également très significatif de voir Manuel II participer à la plupart des grandes fêtes qui occupent les cours chrétiennes : il est présent à Eltham auprès d’Henry IV d’Angleterre lors fêtes de noël 140178 ; il assiste aux fêtes de Pâques 1402 à Saint-Denis avec Charles VI, ce qui ne manque pas de susciter la curiosité populaire et certains mécontentements toutefois79. Les déplacements royaux, suivis de la délégation byzantine, sont autant d’occasions pour communiquer et invoquer la raison du voyage en Occident : Manuel est présent à Bourges en novembre 1402, à Troyes en décembre 140280. Les princes ne manquent pas non plus de convier à leurs fêtes l’empereur et son entourage : à Paris le 3 juin 1402, dîner organisé par le duc de Bourgogne81 ; toujours à Paris pour le mariage du comte de Clermont, fils du duc de Bourbon82. Tout est bon pour se faire voir et promouvoir la croisade. C’est tout l’objectif de Jean VIII (1425-1448) venu en personne pour assister aux discussions du concile de Ferrare-Florence : au-delà d’une union des Églises mal acceptée par ses sujets, le but affiché depuis le concile de Lyon de 1274 est l’organisation d’une croisade, constamment conditionnée à la résorption du schisme. Les envoyés impériaux, officiels ou officieux, œuvrent à cette promotion : lors de l’intervention de la flotte bourguignonne en Méditerranée en 1443-1445, un Manuel Cristins (Karystinos ?) est reçu en novembre 1442 « pour aucunes choses secretes83 » ; quelques mois, plus tard, Théodore Karystinos est officiellement reçu à Châlons-sur-Saône puis Bruxelles84.
28Les Grecs, et tout particulièrement les sujets de l’empereur byzantin, sont les premiers promoteurs de l’action militaire occidentale. Tant qu’il existe un semblant d’État byzantin à défendre, l’objectif sera toujours de réveiller les États d’Italie et d’ailleurs, de les rappeler à leurs devoirs de chrétien, de tenter de leurs faire taire leurs querelles internes. Les empereurs donnent l’exemple : Jean V, Manuel II et Jean VIII s’impliquent personnellement, mais ce n’est pas tout. Les diplomates byzantins sont également très actifs. Nous avons largement insisté sur l’ambassade de Théodore Karystinos. Existent également nombre d’ambassadeurs dans la péninsule Italienne, certains franchissant les Alpes : Théodore Cantacuzène vient annoncer la venue de Manuel II en 13971398 ; Alexis Branas et Constantin Rhallès sillonnent la péninsule Ibérique au début du XVe siècle ; le métropolite Pachomios est présent en 1445 à la cour de Bourgogne85. L’activité diplomatique s’intensifie durant les dernières années de vie de l’empire byzantin. Après 1453, d’autres diplomates grecs, au service d’autres souverains, interviennent : Manuel et Nicolas Agallon père et fils, Phrangoulios Serbopoulos, peut-être même Georges Hermonymos ou Janus Laskaris si l’on considère leur action au service des princes comme des promotions de la croisade86. Un processus de sensibilisation des populations chrétiennes occidentales et de leurs dirigeants se met en place et semble fonctionner invariablement de la même manière : arrivée dans un lieu donné ; accueil par les autorités ; exposé, parfois grâce à un interprète, de la situation critique des Grecs et des chrétiens en général en Méditerranée ; exhortation à l’organisation d’une nouvelle expédition armée ou bien, à défaut, à l’octroi de fonds qui permettront l’engagement de troupes mercenaires ; attente d’une réponse qui s’apparente fréquemment à un expédient ; retour des ambassadeurs, riches de promesses. Les pérégrinations de Thomas Eparchos et Georges Diplovatazès, que nous avons déjà évoquées, obéissent à ces modèles, que ce soit à la cour impériale de Frédéric III ou à celles du duc Philippe le Bon ou du roi Charles VII87.
29Les simples particuliers grecs sont également mis à contribution afin de promouvoir la croisade. Le recours à l’explication turque est à comprendre comme une forme de communication et de promotion de la réaction armée face aux Ottomans. Ces réfugiés sillonnent l’Occident en tous sens, sont amenés à rencontrer toutes sortes de catégories de personnes, depuis les autorités d’une localité jusqu’aux particuliers à qui certains détenteurs d’indulgences peuvent demander une aide. Constantin Scholarios, Andronic et Démétrios de Constantinople (2), Georges de Constantinople (1), etc.88 Autant de réfugiés qui répètent inlassablement leur discours. Helena Laskarina et Ffraunces Norreis justifient de cette manière leur démarche anglaise en 150789 : nul doute que ce discours touche leur auditoire, la menace turque restant réelle tout au long de la période. Progressivement, ce discours suscite moins de réactions de la part des Occidentaux mais il est toujours activé, au moins pour susciter compassion à défaut de réaction : encore en 1584 et 1585, Thomas Diogène et Cosmin Reilly (un Comnène Rhallès ?) justifient ainsi les quelques aumônes que l’archevêque de Rouen a bien voulu leur octroyer90. Les Grecs sont bien des éléments moteurs de la croisade contre les Turcs, du moins jusqu’au dernier tiers du XVe siècle. Néanmoins, des évolutions restent à l’œuvre.
Le Banquet du Faisan : les Grecs, prétextes à la croisade
30Une étape est franchie à partir des années 1430-1440 au moment où la pression ottomane s’accentue de nouveau après une période de luttes intestines qui ont paralysé toute action militaire. Face à cette menace renouvelée, les princes d’Occident, devenus plus forts et plus soucieux de leur image, ne peuvent plus rester inactifs, tout du moins dans leurs discours. La croisade contre les Turcs intègre progressivement les discours politiques des principaux princes d’Occident, elle s’invite dans les représentations, souvent festives, de ces chefs d’État. Or, le 17 février 1454 se joue une grande cérémonie destinée à magnifier la puissance et le prestige du duc de Bourgogne, le « Grand-Duc d’Occident ». Ce Banquet du Faisan prend place dans un contexte particulier d’émotion, à la suite de la chute de Constantinople le 29 mai 1453. Le duc de Bourgogne, sensibilisé à cette question dès 1451, affirme publiquement sa volonté de défendre les chrétiens d’Orient. Son entourage, les évêques au premier plan, ainsi que des cités comme Gand apportent leur soutien au Valois et valorisent son action. Mais le vœu qu’il fait de partir en croisade ne s’est jamais traduit dans les faits. Le duc profite de la paix de Gand pour souhaiter l’organisation d’une grande fête qui se tient à Lille. Les papes, dont les efforts en faveur de la croisade sont constants depuis, envoient un représentant lors de cette fête. Celui-ci dresse devant la cour réunie un tableau sombre de la situation de la Méditerranée orientale91. Le déroulement de la fête obéit à un ordre strict et ritualisé. Une joute entame la journée, suivie d’un banquet égayé de plusieurs intermèdes festifs. Les danses et l’attribution de prix précèdent la distribution de vins, d’épices et de l’annonce de nouvelles joutes pour lendemain92. Le cadre de la fête est également scrupuleusement choisi, les spectateurs par les décors somptueux du palais : la vaisselle d’or et d’argent agrémente la richesse des plats servis. Le duc trône et règne sur cette réception, il est un personnage central vers qui tous les regards ne manquent pas de se tourner93. Les entremets ont leur importance et évoquent l’Orient : un éléphant évoque Constantinople ; un tableau vivant représentant la Sainte Église menée par un géant doit évoquer la question de la défense de la Religion94. Le duc prononce alors un discours qui prend la forme d’un vœu de croisade, suivi en cela par l’ensemble de sa noblesse95.
31L’intérêt pour ce vœu consiste pour nous dans les personnes qui ne sont pas évoquées. En effet, l’empire des Grecs vient de disparaître sous les coups des Turcs. Ceux-ci sont bel et bien reconnus comme les ennemis des chrétiens mais plus aucune mention n’est faite des Grecs qu’il faudrait secourir. À leur place, ce sont les chrétiens au sens large qui ont besoin d’aide. Il est indéniable que c’est la situation des chrétiens confrontés aux Ottomans qui préoccupe et choque en Occident. Or ces chrétiens orientaux sont en grande partie grecs mais le vœu de croisade de Philippe le Bon propose de repousser les Turcs et de récupérer les terres chrétiennes : rien n’évoque une possible restauration des Grecs dans leurs droits. Notons que les projets militaires précédents – dont les désastres de Nicopolis et de Varna représentent les dramatiques résultats – cherchent, au moins symboliquement, à apporter une aide aux Byzantins. La politique de promotion de la croisade du duc de bourgogne, énoncée dès 1430 avec la fondation de l’ordre de la Jarretière, ne place plus les Grecs au centre des enjeux.
32Dans cette ambiance de valorisation de la croisade, quelle peut être la place des Grecs à la cour de Bruxelles ? Les ambassades proprement byzantines cessent avec la disparition progressive des poches de résistance grecques. Néanmoins, leur rôle reste central puisqu’ils représentent des relais commodes d’information et de promotion d’une croisade occidentale. Ainsi, Nicolas et Manuel Agallon, Phrangoulios Serbopoulos ou même Bessarion96 sont autant de Grecs amenés à occuper ou reprendre la fonction de diplomate, au service des Occidentaux : l’objectif n’est plus la sauvegarde des territoires byzantins – puisqu’il n’y en a progressivement plus – mais de susciter la reconquête des terres perdues, sans garantie d’une restitution de celles-ci aux Grecs. Ceux-ci sont impliqués dans ce processus mais à un niveau subalterne. Isaac et Alexis Paléologue pères et fils occupent une place assez singulière dans l’entourage du duc de Bourgogne. En mai 1461, les deux Grecs reçoivent une forte gratification de 60 livres pour avoir fourni des informations utiles sur les chrétiens d’Orient97. Or, Isaac bénéficiait d’une bulle pontificale et d’un mandement royal indiquant la faveur de deux alliés dans l’organisation de la croisade98. Quelques mois plus tard, les deux Grecs suivent le duc dans son voyage à Paris99. Il est clair qu’Isaac joue un rôle d’informateur très consulté à propos de la situation du monde égéen et vraisemblablement fiable compte tenu des sommes accordées par la générosité ducale. Nul doute que des réseaux puissants sont entretenus avec des Grecs restés en Orient et toujours actifs100. À la même époque, Thomas Francos fait office de point de convergence des informations égéennes à la cour de Charles VII101. Un siècle plus tard, et quoique la fonction tende à disparaître, toute l’ingéniosité et l’entregent de Démétrios Paléologue (3) permet de dénouer la situation bloquée dans laquelle se trouve le baron Saint-Blancard ambassadeur à Constantinople : mais nous ne sommes plus dans un contexte de croisade102.
33Les Grecs sont donc présents dans le système d’organisation de la croisade, dans l’assurance que les futures armées croisées seront mieux informées sur les réalités orientales. Néanmoins, leur effacement progressif de la croisade est de plus en plus patent.
André Paléologue et Charles VIII : les Grecs hors de la croisade
34Le 6 septembre 1494, André Paléologue, fils de Thomas Paléologue et prétendant aux trônes de Constantinople, Morée et de Serbie, au terme de négociations qui lui assurent une rente de 4 300 ducats, cède ses droits au roi Charles VIII de France103. Par cet acte majeur dans l’itinéraire quelque peu pathétique d’un prince grec progressivement abandonné de ses soutiens occidentaux – Bessarion est décédé en 1472, les papes et les rois fluctuent dans leurs soutiens – et en butte à des parents turbulents104, André vit d’expédients et n’a plus les moyens de mener une entreprise de reconquête, moins encore de susciter une réaction de la part des souverains occidentaux. Pour les intéresser un minimum à sa cause, une ultime solution consiste à se dépouiller de ses derniers oripeaux byzantins. André s’y résout mais tente de garder une place hypothétique, en cas de victoire de l’entreprise dans un nouvel ordre politique égéen, puisqu’il conserve ses droits sur la Morée. Or, les temps évoluent et les projets de Charles VIII en Italie, s’ils ont pour finalité la reconquête de la Terre sainte et l’expulsion des Ottomans de Méditerranée ont désormais d’autres outils symboliques à disposition. La justification se nomme Djem, ou Zizime en français, ce prince ottoman, frère de Bayezid II, dont les vicissitudes politiques de la succession de Mehmet II (1481) le mènent à chercher refuge et protection auprès des chevaliers de Saint-Jean105. Jouet des puissances occidentales qui s’arrachent sa garde – le prince est même gardé au château de Bourganeuf en Limousin, Djem est également l’objet de tractations avec le sultan qui choisit de payer pour que le prince reste en Occident106. Djem fait montre d’ouverture et de bonne volonté lorsque s’élaborent des projets de croisade et de remplacement de Bayezid II : il serait bien disposé à se convertir, ou tout du moins à favoriser les chrétiens et cesser la guerre contre les Occidentaux. Dès lors, lorsque Charles VIII entre en Italie, c’est le prince turc qui accompagne le roi, non le Grec107.
35Il est caractéristique qu’à partir de la fin du XVe siècle, les Grecs cessent progressivement d’être au centre des préoccupations de croisade. Devant la pérennisation du pouvoir turc et la fin des souverainetés grecques au cours des années 1460, les anciens sujets du basileus se sont trouvés devant un choix : rejoindre les rangs des serviteurs du sultan ou bien partir pour l’Occident. Les Grecs restent des intermédiaires compétents entre Turcs et Occidentaux. Les attitudes de Georges Bissipat et Hüsseyn Bey en 1486, de Démétrios Paléologue (3) en 1537-1538 illustrent à merveille ce changement de situation108. Le temps est désormais à l’intégration de fait de l’Empire ottoman dans le jeu politique les puissances européennes et la croisade n’est plus une réponse systématique. Les quelques militaires grecs engagés dans les armées anglaises ou françaises n’ont plus vocation à être utilisés sur un champ de bataille en Méditerranée mais plutôt dans les hautes terres d’Écosse ou dans les Flandres109.
36De plus, au nord des Alpes, le recentrage des enjeux politiques autour de la lutte entre les trois puissances que sont l’Angleterre, l’Espagne/Empire et la France font que la menace turque, si elle reste présente, ne représente plus une nécessité militaire pour les deux premiers royaumes. De plus, l’alliance de revers qu’essaie d’entretenir le roi de France avec le sultan mène inévitablement à l’abandon progressif du discours de la croisade. De fait, les occasions pour les Grecs d’intégrer une armée combattante tournée contre les Turcs disparaissent. Il existe toujours des réfugiés tout au long du siècle, mais leur arrivée n’implique plus l’organisation de croisades dans l’Europe du NordOuest, au grand dam du pape ou de Venise.
Perspectives
37Anciens sujets de l’empereur ou ressortissant d’une terre grecque tombée sous le joug ottoman, les Grecs étaient censés se muer en chantres de la croisade, âmes innocentes et témoins de la férocité turque. Pourtant, l’examen plus approfondi a bien révélé des nuances dans la compréhension de l’attitude de certains Grecs – et non la totalité. Longue de plus d’un siècle et demi, la période qui nous concerne n’est pas uniforme lorsqu’il s’agit de définir l’attitude à tenir vis-à-vis de la menace turque. Les États en formation d’Europe outralpine ont certes conscience des enjeux de la question, les chroniques en font suffisamment le catalogue110. Pourtant, au cours du XVe siècle, les princes anglais, bourguignons ou français sont de plus en plus impliqués dans les conflits méditerranéens ; cette implication fluctue en fonction de l’intérêt que le prince porte à l’organisation d’une croisade par souci de prestige ou bien en fonction d’enjeux de puissance vis-à-vis de ses voisins. Néanmoins, ces attitudes ne sont jamais constantes : la France passe par une phase d’intérêt au tournant du siècle, pour la lutte mais la malheureuse expérience de Nicopolis et la reprise de la guerre anglaise n’a pas permis une quelconque entreprise d’ampleur. Charles VIII et Louis XII montrent bien leur intérêt pour cette question mais, encore une fois, les réalités politiques, incarnées par la lutte contre Charles Quint, imposent des stratégies plus diplomatiques. L’Angleterre est restée extérieure à ses questions, accaparée par la guerre en France puis par la guerre des Deux-Roses. Les ducs de Bourgogne et leurs héritiers Habsbourg sont les seuls à créer et tenter de faire perdurer une politique de croisade envers les Turcs. En effet, les possessions des Impériaux sont en contact direct avec les domaines du sultan.
38Quelle a été l’attitude des Grecs ? Tout d’abord, insistons de nouveau sur le fait que tous les Grecs ne se revendiquent pas être les chantres de la croisade à partir du moment où ils mettent les pieds en Occident, loin de là. Notre documentation reste encore trop imprécise sur les conditions de voyage de nombre de personnages étudiés, mais certains comme les marchands n’obéissent a priori pas à une logique d’expulsion et de prédation de la part des Turcs. Bien sûr, certains évoquent ce danger comme justification du voyage, mais, dans ce cas, les Grecs ne deviennent pas exclusivement les faire-valoir du prince prêt à se croiser afin de rendre à ces malheureux leurs terres grecques. Au contraire, plusieurs attitudes sont observables. Tant que quelque chose peut être sauvé ou reconquis, les Grecs se parent volontiers des habits de hérauts de la croisade. Cependant, dès lors que la perspective d’une reconquête rapide et réaliste s’éloigne, les Grecs et le récit de leurs malheurs disparaissent des commentaires des chroniqueurs et des calculs politiques des souverains européens. Ces pauvres hères sont dès lors dépassés par la question.
39Quelles sont les raisons à ce délaissement progressif et inexorable ? Les conditions politiques ne sont pas les seules explications. Ici intervient assurément le poids des représentations et récits que les sociétés ont construits depuis des siècles sur ces Grecs. De Jean Froissart jusqu’à Philippe de Commynes, une considération sous-tend le récit de l’avancée turque en Méditerranée orientale : les chrétiens d’Orient, Grecs en tête, ont commis des erreurs politiques, économiques et surtout religieuses qui ont attiré sur eux la colère divine. Leur chute est imputable à leurs péchés. La venue en Occident de quelques Grecs permet certes de nuancer ce récit, mais de façon trop légère. L’étonnement, conjugué parfois avec la suspicion, est peut-être une cause propice à ce progressif désinvestissement des Grecs dans la croisade contre les Turcs : les princes d’Occident n’ont plus besoin des Grecs et ceux-ci ne méritent peut-être plus qu’on risque sa vie pour eux.
Des courtisans comme les autres ?
40Certes, l’entretien de bons rapports entre les Grecs et les cours occidentales est la condition sine qua non de la bonne adaptation des migrants grecs, qu’ils soient réfugiés ou marchands : ainsi les Grecs se fondent normalement dans la masse des membres d’une société curiale. Néanmoins, cette normalisation ne doit pas faire oublier que les conditions d’accession à ces cours ne sont pas uniformes et ne vont pas systématiquement de soi. Les nouveaux venus grecs, en tant qu’étrangers originaires de contrées culturellement distantes des pratiques curiales occidentales – même si celles-ci ne leur sont pas inconnues – doivent développer des trésors d’ingéniosité pour être acceptés dans une cour. En ne perdant toujours pas de vue que la rencontre des Grecs et des sociétés occidentales profite à tous, nous insistons sur le fait que la curiosité domine dans les relations gréco-occidentales et que la figure du Grec propose un imaginaire inédit sur un monde nouveau toujours très attractif pour des courtisans peu au fait des réalités méditerranéennes. Un modèle type de courtisan grec-oriental émerge ainsi de cette rencontre entre Orient et Occident, mûri dans le cadre des cours européennes et particulièrement bien incarné par un Thomas Francos à la cour de Charles VII.
Stratégies curiales d’insertion
41En 1460, se présente une ambassade très originale menée par le cardinal Louis de Bologne et composée de divers représentants des chrétiens d’Orient venus demander de l’aide au duc de Bourgogne Philippe le Bon111. Parmi eux se trouve Michel Alligheri, ambassadeur de l’empereur de David II Comnène de Trébizonde (1458-1461). Comme la plupart des entreprises de ce type, l’ambassade suscite la curiosité pour ces chrétiens du bout du monde, sensibilise quant à leur situation face aux Turcs – qu’ils soient ottomans ou seldjoukides – mais n’aboutit à rien d’autre que de belles promesses. La logique pour ce Michel de Trébizonde était de suivre ses compatriotes sur le chemin du retour. Cependant, les événements politiques s’accélèrent précisément à cette époque et donnent raison a posteriori au diplomate : Trébizonde est prise par les Ottomans le 15 août 1461 et l’empereur est détrôné. Michel apprend la nouvelle alors qu’il séjourne toujours auprès de Philippe le Bon. Privé de maître, le marchand/diplomate trouve le moyen de rester et de servir désormais le duc de Bourgogne et parvient à retrouver un statut social plus ou moins équivalent112. Il obtient surtout une place enviable pour son fils Antoine de Trébizonde auprès du comte de Charolais. Le fils profite largement de l’avènement de celui-ci en devenant son chancelier et chambellan. Membre actif de la cour ducale, Antoine participe aux manifestations, fêtes, réjouissances et autres cérémonies curiales du règne de Charles le Téméraire113. Tout au long du règne de ce dernier, Antoine de Trébizonde est régulièrement payé pour sa présence à la cour au service du duc. Cette intégration et cette faveur ducale ne semblent cependant pas reconduites à l’époque de Marie de Bourgogne (1477-1482) qui réduit ses gages annuels114. Néanmoins, Antoine intègre son fils Jean au système curial en tant qu’écuyer115. Celui-ci, tout comme son père mais, mais avec un degré de réussite moindre, semble poursuivre une carrière de courtisan sous les règnes de Marie puis peut-être de son fils Philippe le Beau (1482-1506)116. Si l’on prend en compte les lettres de légitimité accordées entre 1480 et 1488 à Charles de Trébizonde117, qui peut être parent avec eux, il est clair que la famille Alligheri de Trébizonde a trouvé les moyens de mener à bien une politique d’intégration réussie en exploitant les opportunités de carrière que la fréquentation de la cour bourguignonne ne manque pas de leur offrir. Son point d’orgue se situe sous Charles le Téméraire (14671477) dont Antoine est un compagnon de jeunesse quand son père Michel est alors un conseiller écouté de Philippe le Bon, riche et influent118.
42Les ensembles curiaux forment les points essentiels pour toute entreprise de (re)composition sociale. En effet, seul le prince est capable de fournir une nouvelle identité sociale et une nouvelle place au sein de réseaux d’amitiés structurés. En effet, parmi les ponts qui peuvent être aisément établis entre Byzantins et Occidentaux, la pratique et l’entretien d’une cour autour du prince est très importante. La proximité de l’empereur offre une structure plus complexe et précoce que ce que connaissent les sociétés princières occidentales à la même époque. Les quelques réfugiés grecs qui ont pu connaître et intégrer la cour impériale ou ses imitations moréote et trébizontine détiennent un net avantage lorsqu’ils intègrent ces cours occidentales. Ainsi, certains Grecs arborent des titres d’appartenance au réseau des serviteurs domestiques de la famille impériale ou bien avec les services administratifs de l’empire. Dans les États de Bourgogne officie Alexis, « conte de Salubria », qui est également « grant connestable » de Constantinople, formule occidentale plus ou moins équivalente à celle de protostator119. Nous voyons également apparaître un « chambellan de feu ledit empereur de Constentinoble120 », un « chancelier de l’Empereur121 » ou bien un fils de « prince » moréote ou de « conte » constantinopolitain122. En France apparaissent entre autres Michel Lascaris « escuyer conte palatin natif de Constantinople », Andronic Iagaris « chevalier parent du feu empereur de Constantinople » ou bien ce « Maistre Jehan Patrices » dont le patronyme peut être l’expression d’une fonction réelle à la cour impériale123. Il est intéressant de noter que les sommes allouées à ces réfugiés sont en moyenne plus élevées lorsque l’impétrant se targue d’avoir appartenu à l’une ou l’autre des cours byzantines. Alors que la générosité ducale s’élève en moyenne à quelques livres, parfois une vingtaine, les membres apparemment les plus en vue récoltent aisément plusieurs dizaines de livres. Alexis de Selymbria capte à lui seul 120 livres alors qu’au même moment « Culart de Groece povre homme » n’en récolte que 18124.
43Certains Grecs s’adaptent aisément à leurs nouveaux cadres de vie. Selon nous, ils choisissent même leur prince. Nous avons déjà évoqué le cas de Constantin Scholarios125. Celui-ci effectue de curieux allers-retours entre la cour de Charles le Téméraire et celle de Louis XI. Ce circuit, observable chez d’autres compatriotes, est le résultat d’une mise en concurrence des possibilités d’insertion offertes par chaque cour : tandis que quelques années plus tard le prince Manuel Paléologue (5) préférera finalement la sujétion ottomane126 au service du prince bourguignon, Constantin Scholarios semble choisir l’entourage de Philippe le Bon puis de son fils. Plus tôt encore, Georges Bissipat ou Thomas Francos effectuent le même type de périple, se fixent quelques années en Angleterre avant de changer d’avis et d’entrer au service du roi de France. Notre hypothèse consiste en ce que ces circuits ne se résument pas uniquement à un ratissage systématique des principaux centres politiques d’Occident sans logique d’installation pérenne. Au contraire, certains Grecs, entrapercevant une opportunité de réinsertion sociale, savent courir les cours européennes en quête d’une chance d’installation viable. Dès lors, le patronage exercé par Francesco Filelfo sur une part importante de ces réfugiés ainsi que la lettre de recommandation du duc de Milan en faveur de Théodore Plantidorus et Nicolas Cunctus se conçoivent différemment. Des réseaux sont à l’œuvre et des stratégies d’intégration des cours européennes à plus ou moins long terme forment une réalité sociale que l’historiographique a trop souvent délaissée et qui doit occuper davantage de place pour qui souhaite étudier la présence grecque en Occident. Loin d’être une présence passive et forcée par la brutalité des événements, la place des Grecs peut très bien se révéler être autant le reflet de leurs actions, de leurs volontés, de leurs stratégies d’intégration que le résultat du hasard, en tout cas de la volonté unique d’un prince particulièrement libéral. À un souci de prestige princier répond une offre grecque opportune.
Des objets de curiosité ?
Fournisseurs en réjouissances princières
44Dès lors, que peuvent représenter ces Grecs dans les ensembles curiaux ? Contribuent-ils à la vie d’une cour, à sa renommée ? L’enjeu est de justifier l’existence d’une cour, d’émerveiller son entourage et, au passage, de marquer sa supériorité par rapport aux voisins. Dans ce schéma, les fêtes, cérémonies et représentations mettant en scène le prince et sa famille, organisant des événements politiques – comme la croisade – sont essentielles. Plus ces fêtes sont fastueuses, plus leurs mises en scène sont raffinées, plus le prestige sera grand. L’emploi et l’importation de denrées les plus rares sont cruciaux et il n’est pas anodin de retrouver des Grecs à l’origine des commandes de fournitures de certaines denrées, de certains plaisirs.
45Les Grecs fournissent tout d’abord les fêtes princières avec tout le nécessaire pour la table, qu’il s’agisse de nourriture ou de pièces de vaisselle. En effet, nous avons évoqué la présence d’Antoine Loscart/Losschaert/Laskaris en tant que fournisseur d’épices pour le service du duc de Bourgogne. Pour l’année 1454, le marchand grossiste reçoit 177 livres en guise de paiement. Lors du Banquet du Faisan, la même année, Loscart reçoit la somme de 18 livres pour l’approvisionnement des convives en épices. Le type d’épices n’est pas spécifié mais les cours européennes sont particulièrement friandes de safran, de gingembre ou de poivre long127. Or, en 1477, Démétrios de Rhodes trafique justement à Rouen du safran. Ce produit très cher ne peut être destiné qu’à des clients riches, la cour française s’avérant une cliente très demandeuse128. Parmi les autres produits importés par le Rhodien figure le vin d’Espagne, autre denrée extrêmement prisée par les cours européennes. Les relations entre les marchands grecs et le monde viticole méditerranéen sont réelles et ont déjà été évoquées plus haut129. Jonathan Harris a très justement insisté sur la vogue du vin grec en Angleterre, élixir venu de Monemvasia et dont le nom a été transcrit en Malmsey130. Ce vin fait l’objet d’une grande vogue outremanche avec le Rumney131 en provenance des Îles Ioniennes. Ce trafic avec la Méditerranée orientale est d’abord assuré par des marchands byzantins puis, et surtout, vénitiens et génois qui ravitaillent l’île par les ports de Londres et de Southampton. La Crète vénitienne joue un rôle particulier dans l’approvisionnement : dès 1396, un certain John Nicolai de Crète exporte du vin doux sur des galées vénitiennes et flamandes qui assurent la liaison avec Londres et Bruges132. L’importance des Grecs dans cet approvisionnement est réelle : en novembre 1446, Andronic Effomatos, quoique marchand de fil d’or, ne refuse pas d’importer à l’occasion 40 barils de vin doux133. Même après la disparition de l’empire, les marchands grecs fournissent toujours la cour anglaise comme celle d’Edward IV (1461-1483)134. Ces vins fins sont donc essentiellement destinés aux cours, qu’elles soient royales ou princières. Les Grecs peuvent également jouer un rôle dans le service à table. En effet, Démétrios Paléologue (3), concierge des Tournelles pour le roi, occupe d’autres fonctions curiales plus importantes. Le Grec fait partie des officiers de paneterie du roi et avait pour charge de s’assurer de la mise de la nappe, de la nef de table, du pain, du sel, etc. Or, lors du banquet organisé le 19 juin 1549 par la reine Catherine de Médicis, Démétrios est rétribué 95 livres pour avoir fait parvenir aux convives toutes sortes de parfums, de chandelles parfumées, d’eau de rose, d’ambre135. Parmi ces senteurs, le benjoin est évoqué et est une résine provenant justement de Grèce, de Chypre et du Proche-Orient. Or, nous savons que Démétrios a longtemps entretenu des liens avec Péra près de Constantinople. Il est probable que ces réseaux sont toujours actifs et profitent à la cour des rois de France.
46Les Grecs sont également présents lors des divertissements qui accompagnent les cérémonies princières. Les Chroniques de Yolande de France duchesse de Savoie mettent en scène à plusieurs reprises des cérémonies festives à la cour des ducs de Savoie, Amédée IX (1465-1472) puis son fils Philiber Ier (14721482). Lors d’une de ces fêtes, le 15 août 1479, en présence de toute la famille ducale, des Grecs montreurs d’animaux exotiques assurent le spectacle.
47Parmi toute la ménagerie présentée à la cour, un éléphant et un tigre impressionnent particulièrement136. Quelques années plus tôt, un certain Manuel, nain de son état et probablement bouffon de profession, anime la cour de Bourgogne de ses facéties et officie en 1468 lors du mariage de Charles le Téméraire avec Marguerite d’York137. Les Grecs sont rapidement placés au centre de l’attention, objets de divertissements pour des courtisans et princes en mal de nouveautés. La visite de Manuel II suscite un grand enthousiasme, la foule attendant l’empereur à chaque étape, pressée de l’entendre. L’attrait de la langue, que l’on ne comprend pas toujours, joue un rôle important dans les réjouissances. Ainsi, lors de l’épisode du mariage du comte de Clermont, fils de Louis II de Bourbon, celui-ci est visiblement fier de compter un tel personnage parmi les convives, personnage que bien sûr l’on ne comprend pas, ou peu, mais dont la présence et l’éloquence permettent d’assurer une partie du spectacle du mariage138. Les Grecs assurent le spectacle pour des cours constamment en recherche de nouveautés. Mais de l’exotisme à la curiosité et à l’étrangeté il n’y a qu’un pas, et les Grecs savent également jouer leur rôle.
Entre nouveauté et curiosité exotique : une mode ?
48L’aura de Manuel II Paléologue ne constitue pas simplement une occasion de mettre en valeur la personne impériale lors de fêtes particulières. Son essence même, sa condition de Grec, empereur par-dessus le marché, place le souverain en situation d’objet de curiosité qui dépasse le simple fait du divertissement. Le foisonnement d’images exotiques qui émanent des sources concernées montre un engouement pour les membres de cette suite impériale, leur apparence, leurs comportements et leurs pratiques. Les cérémonies religieuses orthodoxes, qu’on ne songe pas à interdire à l’empereur, attirent beaucoup de curieux, pour la plupart membre de la cour française139. Les principaux princes du sang s’amusent même à imiter leurs pratiques vestimentaires : en 1402, en pleine visite impériale, le comte de Nevers fait acheter des « habiz de Turcq » pour l’usage de son fils, le futur Philippe le Bon, à peine âgé de six ans140. Toute l’iconographie que le voyage impérial inspire aux artistes résulte de cet attrait pour les membres de la cour française soucieux d’ajouter à leur apparence, leur entourage, une dose d’exotisme oriental qui est à la mode en ce début de siècle. L’analogie entre les Rois mages et l’empereur est cruciale dans les deux tableaux des Très Riches Heures du duc de Berry des frères Limbourg : Manuel est vêtu d’une tiare impériale et de soieries étrangères aux pratiques vestimentaires occidentales, affublé d’une épée courbe, suivi d’une suite bigarrée, de singes et de panthères. Tout l’Orient fantasmé est présent ici et séduit la noblesse française141. Tout particulièrement, le duc de Berry cherche à établir un lien artistique avec ce monde antique et lointain : le prince fait battre diverses médailles où Constantin le Grand (307337) et Héraclius (610-641) sont représentés et symbolisent simultanément l’Empire romain, le christianisme (Constantin) et la lutte contre les Infidèles (Héraclès)142.
49Cet attrait ne se dément pas avec le temps. Certes, les délégués grecs sont moins prestigieux mais ils véhiculent toujours l’image presque figée d’un Orient chrétien menacé et fascinant. Les Grecs représentent des objets de curiosité qu’une cour se doit de compter en son sein : les portraits de la famille impériale ainsi que l’ouvrage relié apportés par Manuel Chrysoloras à Charles VI enrichissent les collections royales au même moment que les entreprises artistiques de Jean de Berry143 ; un siècle plus tard, les dromadaires offerts à François Ier font la fierté royale et leur entretien est confié à Démétrios Paléologue (3) gardien de l’Hôtel des Tournelles qui accueille ces animaux144. Les collections princières s’enrichissent d’animaux dont certains, à l’image des oiseaux de proie, sont des accessoires importants pour le mode de vie curial145. Il faut également mesurer tous les problèmes que peut engendrer en matière d’intronisation princière le vol d’une relique par un certain Manuel Mamonas à Nicolas Tarchaneiotès et Alexandre Kananos146. Enfin et surtout, les textes qui émanent de la culture classique et qui sont extraits des bibliothèques byzantines, constituent autant d’objets d’échanges et de moyens d’intronisation pour certains migrants : Manuel de Constantinople (4) propose ainsi plusieurs textes dont un Démosthène, à l’archevêque d’York, acte qui prélude à l’obtention d’un emploi de copiste147.
50La curiosité que suscitent les Grecs et leurs artefacts n’est certes pas toujours observable dans nos sources. De plus, le temps long de notre champ d’étude montre que l’intérêt peut parfois s’essouffler : tant qu’il subsiste quelques parcelles de terres grecques à sauver ou à reconquérir immédiatement, l’actualité politique fait que les Grecs restent intéressants. Progressivement, d’autres contacts sont pris avec d’autres cultures, d’autres mondes extra-européens, et l’intérêt pour les Grecs et les « Turqueries » s’estompe sans jamais disparaître : les Ottomans et leur sultan supplantent les éléments culturels grecs au point parfois de les confondre148. Hüsseyn Bey, grec ottoman, diplomate et cousin de Georges Bissipat illustre parfaitement l’évolution nette des fantasmes à l’égard de cet Orient par l’entremêlement de deux sentiments en apparence contradictoires : fascination – un Orient toujours rêvé – et répulsion – un Orient infidèle149.
Itinéraire d’un courtisan entre Angleterre et France : Thomas Francos
51Thomas Francos, médecin érudit péloponnésien et peut-être apothi caire, apparaît à de multiples reprises en situation d’exercice vis-à-vis de personnes toutes membres de systèmes curiaux, qu’ils soient milanais, anglais ou français. Les liens avec Francesco Filelfo, courtisan au service des ducs Sforza de Milan, sont anciens et déterminants dans la construction de la carrière du Grec. Il est vraisemblable qu’avant l’Angleterre, Thomas ait été présent auprès de Filippo Maria Visconti (1412-1447)150. À partir de 1436, Thomas, alors résidant en Normandie, passe en Angleterre et entre rapidement au service du cardinal Beaufort151. La période anglaise ne le met pas en scène à la cour anglaise ou du moins dans l’entourage de Beaufort. Toutefois, Thomas apparaît comme propriétaire terrien dans le diocèse de Salisbury et à Londres152 ; or ces capacités foncières ne sont possibles que grâce à la présence active dans l’’entourage des puissants, donc de la cour153. Un dernier argument en faveur de la présence de Thomas à la cour anglaise tient dans sa fuite de l’île en 1451, au moment où se conjuguent défaites militaires en France, premiers signes de la folie d’Henry VI et début de la guerre civile. La cour de Charles VII constitue le cadre nouveau de la vie et de l’action de Thomas et, reconnaissons-le, c’est en son sein que nous observons le plus commodément la vie quotidienne de celui-ci. Thomas s’intègre tellement naturellement parmi les courtisans français qu’il occupe une position hiérarchique déterminée, en tant que médecin du roi. À ce titre il côtoie d’autres courtisans, d’autres hommes de médecine comme le premier chirurgien du roi Regnault Thierry154. De même, Thomas occupe une fonction partagée par d’autres collègues et les visites du roi sont collectives, très vraisemblablement menées sous la conduite du premier médecin du roi Guillaume de Traverse. Néanmoins, ses origines et ses connaissances – réelles ou supposées – confèrent un rôle important à Thomas, au point qu’à la mort du Grec, on note que le roi en est très affecté et lui accorde de somptueuses funérailles155. Plus intéressant encore, Thomas a même sous sa protection des compatriotes. Il les protège et, à l’occasion leur obtient des grâces ou des avantages156. Ses quartiers, situés dans le palais royal, non loin de ceux du roi qui a quotidiennement besoin de ses services, constituent le point de ralliement de certains courtisans où s’entament fréquemment des discussions concernant les affaires d’Orient. Ainsi, une sorte de cour en miniature s’organise autour du Grec, salon avant l’heure ouvert aux autres membres de la cour et où l’on discute passionnément des événements touchant de lointains horizons.
52Thomas occupe à Paris une position certes prestigieuse socialement, mais il incarne également une ouverture sur une culture à la fois proche et différente de celle connue des courtisans de France et d’Angleterre. La carrière médicale de Thomas, son succès en tant que praticien au service des plus grands tient principalement à ses compétences professionnelles. Toutefois, nous avons déjà insisté sur les présupposés qui valorisent la médecine orientale, grecque en particulier. Or les fortes pressions qui ont nécessairement présidé au passage de Thomas en France montrent que sa renommée était bien établie. En effet, les médecins grecs sont présents et influents à cette époque, objets probables de concurrence157. En Angleterre, les sources n’évoquent pas les origines de Francos : il faut attendre la révocation de son bénéfice sur l’église de Brightowell en 1451 pour que ses origines grecques soient évoquées en des termes péjoratifs158. Thomas devient ainsi un Grec auquel est associée la suspicion d’infidélité, le manque d’honnêteté dans ses pratiques religieuses qui doivent se conformer aux préceptes catholiques, et dont on craint d’hypothétiques comportements orthodoxes cachés. Une fois qu’il est parvenu en France, les origines grecques sont clairement mises en valeur. On insiste sur le fait que dans son entourage on parle grec et que cela ne nuit pas à la position de Thomas, bien au contraire. Ainsi, des deux côtés de la Manche surgissent deux fantasmes souvent accolés aux Grecs : la méfiance à l’encontre d’une population chrétienne mais dont la conversion au catholicisme, scellée par les conciles de Bâle et de Florence, est toujours sujette à caution et conditionnée à un contrôle par des professions de foi et des contrôles de la bonne religiosité des Grecs159 ; la réjouissance et l’admiration pour une nouveauté culturelle, pour l’arrivée d’un homme représentant d’un autre monde qui, nous le verrons dans un autre chapitre, ne se positionne pas en opposition avec les références culturelles des sociétés hôtes mais plutôt en exemple alternatif, propice au rêve mais également à la mise en garde.
53Par son activité épistolaire avec Francesco Filelfo qui semble continue, Thomas Francos conserve des liens forts quoique lointains avec le monde égéen. La plupart des Grecs que nous avons la chance d’observer entre 1450 et 1456 passent à un moment ou à un autre entre les mains protectrices de Thomas Francos. Les relations personnelles que le Grec établit rapidement avec les membres les plus influents de la cour française ainsi que l’accès privilégié que le Grec semble bénéficier auprès de Charles VII concourent à placer celui-ci comme un intermédiaire privilégié entre l’espace grec d’où partent nombre de réfugiés, et la France, potentiel accueil pour ces derniers160. Cette position de relais permet l’entretien de relations diplomatiques avec certains princes d’Italie – comme le duc de Milan – ou des humanistes comme Filelfo ou Argyropoulos qui tissent un lien, même ténu, entre le roi et les diverses entreprises politiques qui concernent la Méditerranée orientale. Il est ainsi significatif que Thomas Francos soit cité comme ayant participé aux deux assemblées traitant de la demande diplomatique de Nicolas Agallon, venu en 1454 demander l’aide du roi, au nom du pape161. À l’évidence, l’avis de Thomas a été demandé, écouté peut-être. Le Grec aura probablement pu servir d’interprète et, pourquoi pas, d’avocat de la cause d’Agallon puisque les événements qui touchent l’empire sont très bien connus par son intermédiaire. En effet, deux ans plus tôt la lettre de rémission obtenue par Thomas sousentend que l’attroupement qui se forme régulièrement dans ses appartements à pour objectif d’obtenir de lui des informations fiables sur les destinées de l’empire162. Certes, nous n’avons aucune indication à propos d’un quelconque retour chez lui durant sa carrière. Néanmoins, l’étendue de ses connaissances, pratiques et théoriques, de l’état de son information sur l’actualité, favorisé par l’échange de nouvelles via sa correspondance avec Filelfo, place Thomas comme un intermédiaire pratique pour tous, ayant un pied dans chaque monde et servant opportunément de lien entre eux, même indirectement.
54Plus qu’un simple courtisan grec, le parcours de Thomas Francos est révélateur de toute l’importance de l’implication d’un Grec dans un tissu social étranger, de son intégration aux pratiques de celui-ci. Inséré dans des pratiques de sociabilités qui ont pu lui paraître étrangères, Francos, du fait de ses compétences médicales, constitue un atout pour ces mêmes sociétés.
55Nous avons tenté de montrer dans ce chapitre que l’arrivée de Grecs en Europe du Nord-Ouest ne représentait pas uniquement un enjeu d’insertion pour ces migrants seuls. En inversant le paradigme, nous avons pu démontrer que les sociétés politiques anglaise, bourguignonne, et française forment des bases très enclines à accueillir ce type de populations, dont les compétences peuvent servir à l’édification des pouvoirs politiques en phase de (re)structuration. Souvent issus d’une administration impériale défaillante puis disparue, parfois détenteurs d’un savoir-faire pratique ou théorique – comme pour les médecins ou des humanistes – dont les puissants cherchent à bénéficier, les Grecs parviennent à occuper des fonctions nouvelles, souvent développées ou créées dans un souci d’expansion politique – une armée et une marine puissantes – ou économique – l’entretien de réseaux d’approvisionnement avec la Méditerranée et au-delà. Dans ces cas, les sociétés occidentales n’ont pas cherché à créer de toutes pièces ces atouts, elles ont le plus souvent profité de leur existence et réemployer ces compétences à leur avantage : les stradiotes, les réseaux des grands marchands, les réseaux diplomatiques, etc.
56En se servant des Grecs comme prétextes à l’expansion de leur prestige, les princes, à la tête de cours et d’État en gestation au cours des XVe et XVIe siècles, trouvent un moyen commode de fédérer les fidélités autour de leurs personnes, devenant des personnes auxquelles de nombreuses marques de cosmopolitisme culturel – et dont font partie les Grecs – sont attachées, qui grandissent leur pouvoir.
Notes de bas de page
1La gestation d’un État dans un ensemble aussi hétéroclite et inachevé que les domaines du duc de Bourgogne a fasciné une longue historiographie toujours active aujourd’hui. En effet, en plus du duché bourguignon, le duc possède également le duché de Brabant, les comtés de Flandre, de Bourgogne, de Hainaut, d’Artois, de Hollande, de Zélande, et bien d’autres seigneuries encore. Les moindres parcelles des institutions qui sont mises en place par les ducs ont fait l’objet de recherches, tout comme le personnel administratif à son service. De même, les capacités financières et militaires sont autant de domaines de recherches très féconds. Parmi une longue historiographie, et pour une approche globale, voir Bertrand Schnerb, L’État bourguignon, Paris, Perrin, 1999, et Élodie Lecuppre-Desjardins, Le royaume inachevé des ducs de Bourgogne (xive-xve siècle), Paris, Belin, 2016. Des études plus spécifiques, depuis les travaux d’Yves Lacaze en 1969, concernant les projets de croisades des ducs, à la base de données « Prosopograhia Curiae Burgundicae », burgundicae.heraudica.org, recensant les courtisans de la cour bourguignonne ont une importance particulière pour notre propos parce qu’elles abordent des questions et des domaines dans lesquelles des Grecs peuvent intervenir.
2Voir sur cette question l’œuvre fondamentale, bien qu’ancienne, de Quentin Skinner, Les fondements de la pensée politique moderne, trad. par Jérome Grossman et Jean-Yves Pouilloux, Paris, Albin Michel, 2009 [éd. orig. 1978].
3Pour ce faire, quelques références importantes permettront de combler les lacunes. JeanPhilippe Genet, La genèse de l’État moderne. Culture et société en Angleterre, Paris, Presses universitaires de France, 2003. En langue anglaise, voir John Watts, The Making of Polities. Europe 13001500, Cambridge, Medieval Textbooks, 2009.
4Bernard Guenée, L’Occident aux xive et xve siècles : les États, Paris, Presses universitaires de France, 1993.
5Jean-Philippe Genet, La genèse de l’État moderne, op. cit. ; Wim Blockmans, « Les origines des États modernes xiiie-xviiie siècles : état de la question et perspectives », dans Visions sur le développement des État européens. Théories et historiographies de l’État moderne. Actes du colloque de Rome (1831 mars 1990), Rome, Publications de l’École française de Rome, 1993, p. 1-14.
6Jean-Philippe Genet, La genèse de l’État moderne, op. cit., p. 4.
7Ibid. ; John Watts, The Making of Polities, op. cit., p. 27.
8John Watts, The Making of Polities, op. cit., p. 29.
9Boris Bove, dans l’introduction de son ouvrage sur la guerre de Cent Ans, tient cette théorie comme le fondement de ses travaux. Boris Bove, La guerre de Cent Ans, Paris, Belin, 2015, p. 20-24.
10Jean-Philippe Genet, La genèse de l’État moderne, op. cit.
11Élodie Lecuppre-Desjardins a récemment montré toutes les ambitions déçues et inachevées de l’État des ducs de Bourgogne. L’historienne insiste notamment sur les enjeux et les limites du discours symbolique du pouvoir. Notamment, la politique de communication autour du prestige du pouvoir ducal est un axe de réflexion majeur et très utile pour nous. Ainsi, le discours autour de la croisade que prétendent mener les ducs de Bourgogne, depuis la fondation de l’ordre de la Jarretière en 1430 jusqu’à la mort de Charles le Téméraire, en passant par le Banquet du Faisan et le projet défendu auprès de l’empereur à Ratisbonne en 1454, constitue un outil politique de premier ordre, outil permettant de faire apparaître les États bourguignons comme des territoires favorables et accueillants pour tous les réfugiés orientaux. Élodie Lecuppre-Desjardins, Le royaume inachevé des ducs de Bourgogne, op. cit., p. 49-51.
12BnF ms. fr. 32511, fol. 191r.
13Ibid., fol. 208v.
14Ibid., fol. 209r.
15Phrangoulios Serbopoulos est mentionné uniquement comme le « chancelier de l’empereur de Constantinoble », sans que son patronyme soit mentionné. ADN B 2034, fol. 181v. Cette dénomination est à comprendre comme celle qui qualifie Antoine de Trébizonde, chancelier et conseiller du duc de Bourgogne sous Charles le Téméraire. Répertoire prosopographique, no 308. Nicolas Agallon est, quant à lui, un ancien conseiller de Constantin XI ; BnF ms. fr. 16216, fol. 47-49r et 75v-76r. Enfin, un Démétrios de Constantinople (2), présent à Rouen en avril 1460, reçoit un don de 60 sous et est qualifié de « trésorier de feu l’empereur ». AMR A8. Cette fonction était déjà ainsi décrite avec Mathieu Chrysokephalos, trésorier de Manuel II, présent avec son maître en France en 1402. AN KK 27, fol. 149r.
16ADN B 2040, fol. 244v-245r, fol. 271v-272r.
17Plusieurs Grecs ne sont présentés que par ce vocable dans le registre BnF 32511. Jean Argyropoulos est ainsi qualifié de citoyen, tout comme Sabbas Constantinus, Georges Syropoulos, Petrus Jehan, Georges Phaphilos et peut-être Savrandinus Piralipagès ; BnF ms. fr. 32511, fol. 184r, fol. 191v, fol. 209v.
18Constantin Marinesco et Nicolae Iorga évoquent notamment le cas de Manuel Paléologue, tout d’abord ambassadeur auprès d’Alphonse V à Naples, compagnon de route de Jean et Manuel Torcello en mai 1447. Quatre ans plus tard, au printemps, Manuel retourne à Naples chargé par Constantin XI de mener une nouvelle ambassade, désespérée très probablement : Alphonse le nomme grand chambrier. Toujours selon Marinesco, en 1453, ce même Manuel cherche à trouver du blé à Naples pour la cité alors assiégée. Mais la cité tombe avant qu’il n’ait pu mener à bien sa mission. Nul doute que Manuel ait alors subi le sort de multiples réfugiés en Occident et chercher de l’aide auprès du roi de Naples, en y faisant peut-être souche. Constantin Marinesco, « Notes sur quelques ambassadeurs byzantins en Occident à la veille de la chute de Constantinople sous les Turcs », art. cité, p. 423-424.
19En effet, Constantin s’implique pour promouvoir cette croisade et part pour Venise afin de défendre le projet (mars 1495). Cependant, il est arrêté par les autorités qui le libèrent rapidement. Constantin décide alors de fuir vers les Pouilles où se trouve Charles VIII. Winfried Steizer, « Konstantin Arianiti als Diplomat zwischen König Maximilian I. und Papst Julius II. in den Jahren 1503 bis 1508 », Römische Quartalschrift für christliche Altertumskunde und Kirchengeschichte, 63, 1968, p. 29-48.
20Regesten des Römischen Kaisers Friedrich III, Vienne, Böhlau, 1859, vol. 2, p. 319-320.
21Somerset Record Office, Taunton, D/D/6, fol. 246. Répertoire prosopographique, no 299.
22BnF ms. fr. 32511, fol. 209r.
23Il est à noter que le propre père de Théodore Spandounès, Mathieu, a bénéficié de la même gratification en 1454. Sur la famille Spandounès et les exploits militaires de Mathieu, voir Donald M. Nicol, The Byzantine Lady. Ten Portraits 1250-1500, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 116. Voir également Id., Theodore Spandounes : On the Origins of the Ottoman Emperors, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
24Répertoire prosopographique, no 292.
25Répertoire prosopographique, no 148.
26Une édition du texte a été publiée par Ernesto Sestan (éd.), Carteggi diplomatici fra Milano sforzesca e la Borgogna, Rome, « Fonti per la storia d’Italia, 140-141 », 1985-1987, no 28, t. 1, p. 69.
27BnF ms. Ital. 1595, fol. 187r.
28Ibid.
29Répertoire prosopographique, no 119.
30Répertoire prosopographique, no 127.
31Répertoire prosopographique, no 266.
32Répertoire prosopographique, no 286, 9 et 303.
33Répertoire prosopographique, no 123.
34ASV Reg. vat. 472, fol. 334v.
35Répertoire prosopographique, no 115.
36À Paris, Francesco Filelfo est en contact avec Thomas Francos bien sûr mais aussi avec Guillaume des Ursins, chancelier du roi. Il est à noter que le Milanais assure un suivi constant de ses protégés : ainsi Georges Doukas Armenes, Démétrios Asanès, Michel Asanes, Michel Dromokatès Chrysoloras ou Andronic Trichas Spandounès sont tous mentionnés à Mantoue avant ou après un périple transalpin, toujours recommandés par Filelfo auprès des souverains en place. Michel Dromokatès est tout d’abord recommandé en juin 1454 par Francesco à son fils qui réside à Turin. Le Florentin explique que le Grec, porteur de cette lettre est un parent et qu’il faut faciliter son voyage jusqu’en France. Une fois revenu en Italie, ce même Dromokatès bénéficie d’une nouvelle recommandation auprès du marquis de Mantoue (octobre 1455). Émile Legrand, Cent dix lettres grecques de François Filelfe, op. cit., p. 69-70, no 33.
37John Ma, Antiochos III et les cités d’Asie Mineure occidentale, op. cit., p. 136.
38Ibid., p. 137.
39Ibid., p. 138-139.
40AGR CC 1925, fol. 395v. Répertoire prosopographique, no 286.
41John Ma, Antiochos III et les cités d’Asie Mineure occidentale, op. cit., p. 140-143.
42Ibid., p. 151.
43Voir infra.
44Voici trois exemples correspondant aux trois principaux espaces politiques concernés. « Johannus Alexij et Andronicus Maugas escuyers du pays de grece XXVII l. X s. en aumosne passan par ce qu’ils ont perdu tout ce qu’ils avoient a la prise de Constantinople et pour payer la rancon de leurs femmes et enfans prisonniers des turcs », BnF ms. fr. 32511, fol. 190r. « Cinq gentilshommes de la cité de Constantinople pour don a eulx fait par mondit seigneur pour eulx aidier a vivre en passant leur chemin. 30 fr », ADN B 2017, fol. 238v. Quant à Phragoulios Serbopoulos, les dons qu’il reçoit sont délivrés par la grâce d’« Henri by the grace of god kyng of Englande and of Fraunce and lord of Irlande ».
45« A messire Manuel Penelopes, chevalier de la ville de Contantinoble, XXIIII s. que mesdis seigneurs lui ont donné pour l’onneur de Nostre Seigneur à passer son chemin, en obtempérant aux lettres de Mons. Le duc de Bougongne. » AMA CC 40, fol. 51r.
46Tout au plus compterions-nous une vingtaine de militaires, soldats terrestres, chevaliers et marins, pour toute la période. C’est peu mais significatif de l’existence d’un phénomène sociologique qui reste peut-être encore à découvrir.
47Répertoire prosopographique, no 28 et 58.
48Voir supra.
49Voir sur les Albanais l’ouvrage majeur d’Oliver Jens Schmitt, Das venezianische Albanien 13921479, Munich (Südosteuropäische Arbeiten, 110), 2001.
50Paolo Petta, Stradioti. Soldati albansei in italia (sec. XV-XIX), Lecce, Argo, 1996, p. 38. Concernant Skanderbeg, voir Oliver Jens Schmitt, Skanderbeg: der neue Alexander auf dem Balkan, Ratisbonne, Pustet, 2009.
51Ibid.
52Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., fol. 180v, p. 586.
53Ibid., p. 603.
54Ibid., p. 586. Rappelons à ce propos les observations émerveillées d’Olivier de La Marche sur les capacités militaires de l’ambassadeur byzantin Théodore Karystinos en 1442 qui, probablement à l’instar de ses compatriotes, sait chevaucher et décocher des traits en plein galop, se retournant sans difficulté sur sa selle. Olivier de La Marche, Mémoires, op. cit., p. 321.
55Paolo Petta, Stradioti, op. cit., p. 39.
56Répertoire prosopographique, no 38, 81, 110, 247 et 297.
57Répertoire prosopographique, no 83.
58À propos de Thomas Buas, Nicandre de Corcyre évoque la peur qu’il suscitait dans le cœur de ses ennemis. Nicandre de Corcyre, Le voyage d’Occident, op. cit., p. 171.
59Ce combat d’escarmouches mérite, par l’emphase mise dans le récit par Nicandre, que nous nous y penchions quelques instants. Le Grec suit le capitaine moréote et ses hommes entre Ardres et Thérouanne où s’engage un combat contre 1 000 soldats français. Leur technique d’attaque consiste dans l’attente en embuscade, le long de la route, à l’aube. Lorsque les Français sont annoncés par leurs éclaireurs, les Grecs se réunissent et Thomas leur parle. Le discours prononcé, que nous avons évoqué, galvanise le cœur de ses hommes. Divisés en deux groupes, ceux-ci enveloppent leurs ennemis et fondent sur eux, à cheval. Malgré leur vaillance, les Français sont dispersés, fuient et abandonnent sur le terrain le matériel militaire, les canons et 360 morts et blessés. Les Grecs ne comptent que 35 morts et 40 blessés. Thomas lui-même s’est comporté courageusement en affrontant simultanément deux soldats sans tomber de cheval, symbole de toute l’utilité de ce type de compagnies. Ibid., p. 171-173.
60Répertoire prosopographique, no 113.
61Répertoire prosopographique, no 148.
62AGR CC 1924, fol. 188r-v. Répertoire prosopographique, no 149.
63Répertoire prosopographique, no 27.
64Yves Lacaze, « Politique méditerranéenne et projets de croisade chez Philippe le Bon », art. cité, p. 5.
65Jacques Paviot, Les ducs de Bourgogne, la croisade et l’Orient, op. cit., p. 111-113.
66Le chapitre 5 de l’ouvrage décrit de façon très précise l’état des structures et bâtiments qui composent la flotte bourguignonne. Ibid., p. 281-326.
67Ibid., p. 116.
68Ibid., p. 117.
69Voir Henry Vignaud, Études critiques sur la vie de Colomb avant ses découvertes, Paris, Welter, 1905, p. 139-163. À noter que le chapitre suivant est consacré à Georges Bissipat, son contemporain souvent confondu avec Coulon.
70Michel Mollat, Histoire maritime de Normandie, op. cit., p. 491. En 1499, La Madeleine est un navire de commerce du tonnage de 2 000 livres. Affrété par des marchands rouannais parmi lesquels Jacques Le Pelletier, le bâtiment convoie pour 4 000 livres de cargaison. La destination du voyage était Alicante mais les Portugais capturent le bateau. Le Pelletier réagit en engageant le 9 décembre 1499 Nicolas Famileti, dit le Grec, afin qu’il mène des représailles. En effet, le corsaire grec, très actif entre 1490 et 1509, est habitué aux coups de main contre les Portugais : l’année précédente, accompagné de Normands comme Jean de Bellefonce ou Jean Cousin, il avait arraisonné une caravelle lusitanienne au large de côtes de l’Afrique occidentale. Ibid., p. 250. Répertoire prosopographique, no 112.
71Jean est associé à son père tout au long de l’affaire, peut-être même aussi Georges II bien qu’un doute subsiste sur son existence puisqu’il peut très bien s’agir de Georges Bissipat père. Répertoire prosopographique, no 28 et 30.
72AN JJ 211 no 496.
73Benjamin Weber, Lutter contre les Turcs. Les formes nouvelles de la croisade pontificale au xve siècle, Rome, Publications de l’École française de Rome, 2013, p. 445-453.
74Serenissimus & Illustrissimus Princeps & Dominus Dominus Imperator Constantinopolis vênit in Italiam, videlicet primò Venetias ad Ducale Dominum, implorans subsidium ad resistendum violentiae Bayseth Imperatoris Turchorum. « Le sérénissime et très illustre prince et seigneur le seigneur empereur de Constantinople vint en Italie, c’est-à-dire d’abord à Venise auprès du seigneur doge, implorant de l’aide pour résister aux violences de Bayseth empereur des Turcs. » Annales Estenses, dans Ludovico Antonio Muratori, Rerum Italicarum scriptores, vol. 16, p. 965-966.
75Andrea Gataro, Istoria Padovana, dans Ludovico Antonio Muratori, Rerum Italicarum scriptores, vol. 17, Milan, 1730, p. 836-837.
76Raymond Cazelles, Les très riches heures du duc de Berry, op. cit., fol. 51v et 52r.
77Manuel II prononce une ekphrasis, probablement en 1402. Il s’agit d’un exercice de style proprement byzantin consistant à gloser autour d’une œuvre d’art, à aller au-delà de la simple description, en s’inspirant notamment de grandes références littéraires. Glenn Peers propose une lecture à trois niveaux de cette ekphrasis : une simple lecture d’une description de la nature représentée dans une tapisserie où il s’agit de sublimer par des mots ce que l’on voit ; une description interprétative et transformative où Manuel part de l’observation d’objets statiques pour en faire surgir des mouvements ; l’empereur décrit enfin un groupe de perdrix qui s’envolent, des hommes qui s’attablent, faisant apparaître le caractère « audible » de l’œuvre. Cet essai poétique illustre la confrontation des cultures byzantine et occidentale: elle montre comment la langue grecque s’intègre à l’art naturaliste français et flamand qui est en vogue. Nous ne savons pas exactement à quelle époque Manuel II rédige ce travail (très probablement lors de son second séjour parisien, au cours de l’année 1402). Glenn Peers, « Manuel II Palaiologos’s ekphrasis on a tapestry in the Louvre: Word over Image », Revue des études byzantines, 61, 2003, p. 201-214.
78Chronicle of London, from 1089 to 1483, written in the Fifteenth century, from manuscripts in the British Museum, Londres, 1995 [éd. orig. 1827], p. 87; Thomas Walsingham, Annales Ricardi Secundi et Henrici Quarti, éd. par H. T. Riley, Londres (Rolls Series), 1866, p. 335.
79Michel Pintoin, Chronique du religieux de Saint-Denis, op. cit., vol. 2, livre XXI, chap. 8, p. 774.
80Inventaires de Jean, Duc de Berry, éd. par J. Guiffrey, vol. 1, Paris, 1894, p. 72-73. Archives municipales de Troyes (AMT) B8, fol. 21r.
81Itinéraires de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur, ducs de Bourgogne (1363-1419), d’après les comptes de dépenses de leur hôtel recueillis et mis en ordre par Ernest Petit, Paris, 1888, p. 298.
82Jean Cabaret d’Orronville, Chronique du bon duc Loys de bourbon, op. cit., chap. 86, p. 269-270.
83ADN B 1978, fol. 196v-197r. Donné par Jacques Paviot, La politique navale des ducs de Bourgogne, op. cit., p. 113.
84Répertoire prosopographique, no 194.
85Répertoire prosopographique, no 33, 278 et 250.
86Répertoire prosopographique, no 1, 294, 179 et 209.
87Répertoire prosopographique, no 111.
88ADN B 2064, fol. 209v. ADN B 2092, no 67111. AGR CC 1924, fol. 209v. AGR CC 1925, fol. 395v ; BnF ms. fr. 32511, fol. 296r. AMR. A8. ADN B 2040, fol. 244v-245r
89PRO C 1/1507/31
90« À Thomas Diogène gentilhomme grec du pays de Macédoine de la ville de Philippe, chrétien de religion, ayant été longtemps captif du Turc dont étaient détenus encore huit de ses serviteurs. » 23 juillet 1584, ADSM G 2175, « Aumônes à Cosmin Reilly, grec, pour retirer quatre de ses parents captifs des Turcs ». Ibid., G 2278.
91Marie-Thérèse Caron, Les vœux du Faisan, op. cit., p. 28-29.
92Ibid., p. 31-32.
93Ibid., p. 34-35.
94Ibid., p. 35.
95Ibid., p. 133. Marie-Thérèse Caron publie à cette occasion du manuscrit BnF ms. fr. 11594.
96Giuseppe Coluccia évoque toutes les difficultés de l’entreprise diplomatique menée par Bessarion, envoyé de Sixte IV. Le cardinal doit parvenir à convaincre le roi de France et le duc de Bourgogne de faire la paix. Mais le cardinal de Rouen, conseiller de Louis XI l’accuse d’être un « Bourguignon », tandis que Charles le Téméraire voit en lui un « Français ». Néanmoins, le roi le reçoit à Orléans le 30 août 1472 puis le 13 septembre suivant à Lyon. Louis XI affirme vouloir faire la paix quand il aura puni les ennemis du royaume, dont font partie selon lui les ducs de Bretagne et de Bourgogne. L’ambassade est un échec. Bessarion repart fin octobre 1472. Giuseppe Coluccia, Basilio Bessarione, op. cit., p. 341-342.
97ADN B 2040, fol. 241v-242r.
98AMC CC 21.
99ADN B 2040, fol. 249v.
100Un certain Jean Lazury/Lazare/Laskaris occupe le même genre de position en informant le duc d’événements qui se sont produits à Constantinople. Nous nous trouvons à la même époque qu’Isaac, en octobre 1461. ADN B 2045, fol. 251v. Il est tentant d’établir un lien entre les deux Grecs, tous deux issus du « païs » ou des « Marches » de Constantinople, marque de l’existence de réseaux d’informations entre Constantinople et Bruxelles et dont les Grecs seraient les intermédiaires naturels.
101Répertoire prosopographique, no 115.
102BnF ms. fr. 12528, p. 340.
103BnF ms. fr. 15526, fol. 165-168. Voir Jonathan Harris, « A Worthless Prince ? », art. cité, p. 551.
104Son frère Manuel, insatisfait de son sort, a décidé de retourner à Constantinople et d’accepter une rente en échange de sa soumission.
105Le prince Djem est le troisième fils de Mehmet II. Bayezid et lui sont les seuls héritiers du conquérant de Constantinople. Bayezid parvient à le devancer sur le trône et dispose de l’armée. Vaincu à deux reprises, le prince doit rallier Rhodes puis l’Italie et France, afin de continuer la lutte et susciter une entreprise armée chrétienne contre son frère. Nicolas Vatin, « L’affaire Djem (1481-1495) », dans Marie-Thérèse Caron, Denis Clauzel (dir.), Le banquet du faisan. 1454 : l’Occident face au défi de l’Empire ottoman. Actes du colloque « 1454 : Lille-Arras et le Vœu du Faisan. Deux capitales princières bourguignonnes face au défi de l’Empire ottoman » (Lille et Arras, 21 au 24 juin 1995), Arras, Artois Presses Université (Histoire), 1997, p. 85-87.
106Venise trouvera le moyen de faire apparaître la somme de 40 000 livres versées pour l’entretien du prince comme une forme de tribut et d’utiliser ce stratagème comme d’un outil de prestige vis-à-vis de l’opinion publique. Nicolas Vatin, « L’affaire Djem (1481-1495) », art. cité, p. 86.
107C’est sur la route, à Naples et en compagnie du roi de France, que Djem décède dans la nuit du 23 au 24 février 1495. Sur la destinée rocambolesque de sa dépouille mortuaire, voir Nicolas Vatin, « Trafic macabre : la destinée post-mortem du prince Djem », dans Jean-Louis Bacqué-Gramont, Rémy Dor (dir.), Mélanges offerts à Louis Bazin par ses disciples, collègues et amis, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 231-239.
108Répertoire prosopographique, no 27, 22 et 259.
109Thomas Bua et sa compagnie accomplissent une mission en Écosse en 1545 avant d’être envoyés à Thérouane contre les Français.
110Jean Froissart par exemple reproche aux Grecs leurs querelles qui favorisent la montée en puissance des Turcs. Gilles Le Bouvier s’épanche assez longuement sur la menace grandissante que représentent les Turcs, récents vainqueurs des Grecs. Jean Froissart, Chroniques, op. cit. Olivier de La Marche, quant à lui est conscient de l’importance de l’ambassade de Théodore Karystinos en1443 pour la survie de l’empire. Olivier de La Marche, Mémoires, op. cit., p. 320-321.
111Jean Richard, Louis de Bologne, op. cit., p. 63-69.
112Répertoire prosopographique, no 4.
113En 1468, par exemple, il participe à Bruges au pas d’armes de l’Arbre d’or. Mémoires d’Olivier de La Marche, t. IX, p. 193.
114ADN B 2118, fol. 104v.
115Répertoire prosopographique, no 313.
116Jean est appointé comme écuyer pendant trois ans jusqu’en 1481. Peut-continue-t-il sa carrière par la suite. ADN B 2115, fol. 43r et fol. 115v. ADN B 2124, fol. 211r
117Répertoire prosopographique, no 311.
118Au moment de l’avènement de Charles le Téméraire, Michel est confirmé dans ses revenus de 439 livres et dans sa charge de chambellan. Il lui est même accordé le privilège de rester dans ses appartements lors d’un déplacement ducal parce que son grand âge lui rend sa tâche de conseiller difficile à remplir. ADN B 2068, fol. 17v
119ADN B 2020, fol. 346r.
120ADN B 2026, fol. 328r.
121ADN B 2034, fol. 172r.
122Il s’agit d’Assaneuz de Acarye et de Georges Théophile. ADN B 2040, fol. 231v et fol. 244v-245r.
123BnF ms. fr. 32511, fol. 209r, 209v et 210r. Le titre de Patrice/Patrikios, hérité de l’Empire romain, existe toujours dans les titulatures byzantines. Il concerne avant tout l’aristocratie qui
se voit accorder ce titre afin de classer un personnage vis-à-vis des autres membres de la suite impériale (et parfois au sein même de la famille impériale).
124ADN B 2020, fol. 346r et 351r-v.
125Répertoire prosopographique, no 286.
126Répertoire prosopographique, no 266.
127Bruno Laurioux, Manger au Moyen Âge. Pratiques et discours alimentaires en Europe aux xive et xve siècles, Paris, Hachette Littératures, 2002, p. 20.
128ADSM B VIC Eau 1477-1478
129Voir supra.
130Jonathan Harris, « More Malmsey, Your Grace ? », art. cité, p. 249-254.
131Le terme dérive de Romania. Ibid., p. 249.
132Ibid., p. 253.
133National Archives, PRO E 122/203/3, fol. 14v et 16r. Ibid., p. 253. Répertoire prosopographique, no 106.
134Ibid., p. 252-253. The Crowland Chronicle Continuations, éd. par Nicholas Pronay et John Cox, Londres, Richard III and Yorkist History Trust, 1986, p. 139.
135« A Dymittre Paillelogue, cappitaine des Tournelles, demourant à Paris, la somme de 93 livres 7 sols tournois, pour l’achapt d’eaues et autres choses pour parfumer et ploier le linge du dict festin, ainsi qu’il s’ensuit : pour eaue de nèfle, eaue de rose et de mélilot, 7 l. 10 s. tourn. Item, en binjoan, chandelle de perfum et ambre, le tout meslé ensemble, 60 sols tourn. » Louis Cimber, Félix Danjou, Archives curieuses de l’histoire de France, 1re partie, t. 3, Paris, 1835, p. 420-422. À noter également, pour compléter ce qui a pu être écrit sur les vins, que la même liste évoque l’achat de vin de Malvoisie, même si Démétrios n’était pas chargé de cet approvisionnement.
136« Item le xv jour d’aoust feste de Notre Dame az certains hommes de Grece qui monstrerent a mon dit seigneur et messeigneurs ses freres en la présence de toute la court deux bestes souvaiges, cest assavoir ung elephan et ung tigre en deux escus de roy. » Chroniques de Yolande de France, duchesse de Savoie, sœur de Louis XI, documents inédits recueillis et mis en ordre par M. Léon Ménabréa, Chambéry, Imprimerie de Puthod fils, 1859, p. 197.
137Jonathan Harris, « Two Byzantine Craftsmen in Fifteenth Century London », art. cité.
138Jean Cabaret d’Orronville, Chronique du bon duc Loys de bourbon, op. cit., chap. 86, p. 269-270.
139Jean Jouvenal évoque notamment le logement de l’empereur au Louvre et des commodités qui lui sont accordées : « Et estoit l’hostel tres bien habillé et paré, et là tenoit son estat aux depens du Roy. Et faisoient le service de Dieu selon leurs manieres et ceremonies, qui sont bien estranges, et les alloit voir qui vouloit. » Jean II Jouvenal des Ursins, Histoire de Charles VI, op. cit., p. 417-418.
140ADCO B5519.
141Frères Limbourg, La Rencontre des trois Rois mages, op. cit., fol. 51v et 52r.
142Inventaires de Jean, duc de Berry, op. cit., no 199 et 200, p. 72-73.
143Raymond Cazelles, Les très riches heures du duc de Berry, op. cit.
144AN MC/ET/XIX/163.
145Les fauconniers de François Ier ont une importance réelle à la cour de Fontainebleau. Les oiseleurs de la cour comme Théodore de Bragdymène sont même plusieurs fois remercier de leur rapidité à satisfaire les désirs royaux. Répertoire prosopographique, no 33.
146Epistolare Francisci Philelfo, op. cit., livre XII, p. 410. La situation semble si problématique que les deux Grecs en appellent à leur protecteur florentin Francesco Filelfo afin que celuici intercède pour eux auprès de Thomas Francos, relais habituel pour les Grecs à la cour de Charles VII. L’objectif est de leur assurer une audience, non de retrouver la relique qui semble bel et bien perdue.
147Répertoire prosopographique, no 73.
148Nicolas Vatin a montré que le grec est une langue que les Ottomans conservent dans leurs usages diplomatiques, notamment avec les Occidentaux. Il s’agit d’un premier pas vers l’association plus étroite, voire vers l’assimilation pure et simple entre Grecs et Ottomans dans les esprits occidentaux et dont Mathieu Grenet se fait l’écho pour le xviiie siècle. Nicolas Vatin, « L’emploi du grec comme langue diplomatique par les Ottomans (fin xve-début xvie siècle) », dans Nicolas Vatin, « L’emploi du grec comme langue diplomatique par les Ottomans (fin xve-début xvie siècle) », dans Frédéric Hitzel (dir.), Istanbul et les langues orientales, Varia Turcica XXXI, Paris/Istanbul, L’Harmattan/IFEA Inalco, 1997, p. 41-47 ; Mathieu Grenet, « Grecs de nation, sujets ottomans », art. cité, p. 314-315.
149Répertoire prosopographique, no 22.
150Les relations avec Milan semblent se poursuivre tout au long de la vie de Thomas puisqu’à sa mort, le duc de Milan, avait reçu un prêt d’ouvrages précieux qu’il se voit dans l’obligation de rendre des ouvrages précieux que le Grec avait bien voulus lui confier. « Lettre de Tommaso Tebaldi da Bologna au duc de Milan », Francia Cart.524. Voir Émile Legrand, Cent dix lettres grecques de François Filelfe, op. cit., p. 76.
151Répertoire prosopographique, no 115.
152Ibid.
153Thomas est mentionné dans les Subsidies Rolls comme physician, terme très proche de celui qui est accordé au Grec à la cour de France.
154Regnault Thierry est cité dans la lettre de recommandation accordée à Thomas. De même, le chirurgien du roi est l’exécuteur testamentaire de Thomas, chargé par le pouvoir de garantir les biens du grec à son héritier Guillaume ; BnF ms. fr. 32511, fol. 189v et 190v.
155« Lettre de Tommaso Tebaldi da Bologna au duc de Milan », Francia Cart. 524. Émile Legrand, Cent dix lettres grecques de François Filelfe, op. cit., p. 76.
156Nous faisons allusion ici à la lettre de rémission accordée à André de Frans, dit « Sac », coupable du meurtre de son compatriote George. AN, Registres du Trésor des chartes, II, 182, p. xxxviii.
157Il est ainsi étonnant de noter que la carrière de Sérapion à la cour du roi d’Écosse prend place à la même époque : les sources le mettent en scène de 1456 à 1462 mais il est logique de penser que sa carrière écossaise fut plus longue et que le Grec aura eu potentiellement de précédents employeurs. Répertoire prosopographique, no 292.
158À l’occasion de la dénonciation des biens de Thomas, les ecclésiastiques proches de l’église de Brightowell évoque le fait qu’il soit d’origine grecque pour dénoncer Thomas. Lat. Reg CCCLXXXII, fol. 297. Lat. Reg CClXXIII.
159Nous avons déjà évoqué toute l’importance du formulaire du Herefordshire que nous avons pu exhumer des archives anglaises. Dossier documentaire, no 4. Notons également que ce souci d’enregistrement est commun à tout l’Occident chrétien dès le concile de Bâle et la cité d’Embrun se voit même accorder des indulgences pour sa dévotion à la cause de la « réduction des Grecs et de toute l’église orientale à la foi catholique ». ADHA, GG 23.
160Voir les tableaux no 7 et 8.
161BnF ms. fr. 16216, fol. 75v-76r.
162AN, Registres du Trésor des chartes, II, 182, p. xxxviii.
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2011
Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge
XLe Congrès de la SHMESP (Nice, 4-7 juin 2009)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (dir.)
2010
Une histoire provinciale
La Gaule narbonnaise de la fin du IIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.
Michel Christol
2010