Chapitre 5
Des sociétés grecques transalpines
p. 223-266
Texte intégral
1Comme le rappelait encore récemment Guillaume Calafat dans un article consacré aux Osmanlı-Speaking Diasporas, les Grecs, au même titre que les Juifs et les Arméniens, forment le trio traditionnel des « authentiques » diasporas, populations marchandes sans État1. Ce paradigme persiste malgré les critiques fréquentes d’historiens et de sociologues qui mettent davantage en question les termes de diaspora, cosmopolitisme ou communauté perçus comme des outils sémantiques commodes pour l’historiographie2. Ce postulat pose un problème concret puisque son application directe à des groupes migratoires risque de mettre en lumière davantage de sens qu’il faudrait en attendre réellement. Stéphane Dufoix met bien en garde face à cet écueil : chaque source ne place pas nécessairement un sujet en lien avec une communauté, réelle ou fictive ; chaque personnage n’est pas systématiquement désigné comme appartenant à une diaspora en particulier3. En tant que diaspora historique associée aux Juifs et Arméniens, les Grecs forment des groupes d’exilés rejetés d’un territoire originel désormais interdit. Rassemblés dans diverses cités très souvent commerçantes, ces groupes se structurent, occupent fréquemment un espace particulier dans l’espace urbain et sont reconnus par les autorités en tant qu’entité juridique. Ce modèle, nous le verrons, a été souvent repris par l’historiographie pour être appliqué à de nombreuses formes de migrations.
2Pourtant, ces schèmes forment des structures de pensée trop rigides et trop systématiques. Dès lors, les Grecs présents en Angleterre et en France obéissent-ils à ce type de modèle ? Est-il possible d’observer ces groupes humains dans leurs organisations internes, dans leurs présences urbaines, provinciales ou bien curiales ? En d’autres termes, les sociétés grecques d’Angleterre, de Bourgogne et de France remplissent-elles le cahier des charges des communautés diasporiques ? Au-delà de ces débats d’historiographes, l’important est de prendre toute la mesure de l’organisation de la présence grecque dans ce coin de la carte que représentent, dans les conditions qui sont les nôtres, l’Angleterre, la Bourgogne et la France.
Les formes de l’organisation sociale grecque
3Il semble impossible d’établir, à la lumière de nos sources, une cartographie des cadres de vie des Grecs migrants d’Europe du Nord-Ouest. Seules quelques esquisses sont possibles et se révèlent être néanmoins des outils serviables, permettant d’entrevoir des pratiques sociales qui, dès lors, peuvent devenir des jalons de comparaison avec d’autres zones de migrations, avec d’autres groupes migratoires.
Organisation spatiale : esquisses
Instabilité : un obstacle à une histoire spatiale des Grecs ?
4Une impression vague est laissée par nos sources. Ce sentiment vient en premier lieu du fait que celles-ci mettent en avant l’instabilité géographique des Grecs. Ces derniers apparaissent à un moment précis dans une situation particulière. Nous ne savons pas d’où peuvent provenir nombre de ces hommes et ce qu’ils deviennent par la suite. Ces petites tranches de vie ne peuvent donner un panorama complet d’une organisation spatiale grecque. Néanmoins, quelques observations sont possibles.
5L’historiographie ne s’est pas penchée frontalement sur le problème des mobilités comme frein à la compréhension de l’organisation spatiale. Cependant, la plupart des études sur un mouvement migratoire, quel qu’il soit, posent cette question. Philippe Braunstein, dans son étude récente sur les Allemands de Venise, est confronté à ces personnes très mobiles, le plus souvent des marchands liés à plusieurs localités germaniques4. Comme pour nous, l’auteur se trouve face à des Allemands qui ne font que passer dans les sources quand d’autres y apparaissent de façon plus durable5. De même, en raison de la multiplicité de leurs origines, des vicissitudes des relations politiques entre la Sérénissime et la Porte, ou de l’évolution des catégories administratives des sources ottomanes, les Vénitiens d’Istanbul apparaissent parfois comme mouvants, instables, rendant leur étude plus compliquée mais, ici encore, possible6. Si nous nous concentrons sur les études des Grecs dans la chrétienté latine, ces populations présentent toujours un profil mouvant. Des études locales, au niveau de la cité, peuvent être envisagées et Venise est bien sûr le cas le plus évident. Cependant, l’ampleur de la population grecque ainsi que la richesse de la documentation mène souvent à des études spécifiques qui insistent sur tel ou tel aspect des Grecs de Venise – leurs activités, leurs rôles d’intermédiaires, certains membres illustres de leur communauté7. L’historiographie insiste sur la grande mobilité spatiale des Grecs en contacts réguliers avec les possessions vénitiennes de Grèce ou avec le monde égéen sous domination ottomane. La difficulté est grande pour l’historien d’en repérer les ressortissants qui sont souvent difficiles à classifier. Nathalie Rothman évoque notamment pour la fin du xvie siècle les soucis rencontrés par les autorités vénitiennes dès lors que des convertis tels que Zorzi en 1573 ou Zuanne en 1611 apparaissent comme Grecs ou Ottomans, chaque identité n’excluant pas nécessairement l’autre8. Ces deux personnages semblent échapper aux tentatives d’identification, et quelque part de stabilisation, des autorités.
6Cette instabilité est intrinsèquement liée aux Grecs contraints de migrer à un moment de leur existence ou bien descendants de migrants. Il ne faut pas occulter cet aspect des choses si l’on souhaite aborder la question de leurs organisations, tant spatiales que sociales, politiques ou économiques. Dans ce chapitre, nous aurons constamment affaire à des Grecs qui apparaîtront dans un état où l’instabilité géographique a pu être une réalité ou bien pourra le redevenir dans un avenir proche. Le Thomas Francos de 1444, installé à Londres et propriétaire en province, a connu cette phase de grande mobilité depuis Coron et peut-être Constantinople jusqu’à la péninsule Italienne et au-delà. Le médecin semble alors bien établi. Pourtant, sept ans plus tard, le voici de nouveau sur la route en direction du royaume de France. Que dire d’Alexis et Andronic Effomatos ? Toutes les sources montrent les deux frères comme établis en Angleterre. Pourtant, eux aussi ont dû migrer depuis le monde égéen – plus probablement Constantinople – et il n’est pas impossible qu’une source non encore découverte ne remette en cause cette stabilité géographique. C’est, selon nous, le cas du probable séjour anglais de Georges Bissipat au cours des années 1460, entre deux apparitions dans le royaume de France9. Il est possible de réfléchir sur l’organisation spatiale des Grecs compte tenu de la documentation disponible. Néanmoins, celle-ci n’est pas exhaustive et il est nécessaire de garder à l’esprit que ces populations sont avant tout mobiles et que leur ancrage dans une société, s’il reste un objectif pour la plupart, n’en demeure pas moins fragile et soumis à caution.
Ruralités, urbanités : une tendance
7Dans quels cadres évoluent les Grecs dès lors que ceux-ci apparaissent dans les sources et cherchent, le cas échéant, à reconstruire un mode de vie plus pérenne ? Il ne s’agit pas ici de déterminer si les Grecs ont davantage la fibre urbaine que rurale. Cela n’aurait aucun sens : les migrants vont là où les portent leurs espoirs, peu importe que le cadre soit urbain ou champêtre. Pourtant, il existe des tendances, des modes de vie qui poussent certains à privilégier la ville – plus propice aux échanges économiques et aux avancées sociales – tandis que d’autres trouveront dans la vie provinciale des aboutissements sociaux – comme la possession et la gestion d’une terre.
8Comme nous le verrons plus loin avec le cas de Londres, la ville concentre la majorité des cas de Grecs recensés. Qu’ils apparaissent dans des registres fiscaux, de comptes ou bien dans toutes sortes de contrats – matrimoniaux ou commerciaux, la ville semble former un écrin classique pour toutes ces opérations. D’un point de vue chiffré, le constat est sans appel : plus des deux tiers des occurrences de Grecs ont pour cadre la ville. L’urbanité grecque peut ainsi concerner de grandes villes comme Paris, Londres ou Bruges, mais également des centres plus modestes et d’une importance locale. Quoique devenu sur ses vieux jours un seigneur bien établi en Picardie, Georges Bissipat n’en entretient pas moins des contacts avec Beauvais et ses échevins, leur prêtant opportunément des fonds afin d’aider la commune à acquitter un impôt. Sa fille Antoinette et son époux Gobert d’Aspremont vivent en mars 1535 à Beauvais, probablement dans une maison héritée du vieux corsaire, située rue Biot, près de l’église Saint-Michel10. Le capitaine des galères ayant déjà reçu du roi un hôtel à Bordeaux dès juillet 147311, l’implantation urbaine de la famille obéit à une stratégie durable d’insertion dans un maillage urbain. De tels cas sousentendent une alternance avec un mode de vie plus provincial. Néanmoins, certains Grecs apparaissent dans les sources comme intrinsèquement liées à un centre urbain. Ainsi Jean des Grecs et son épouse forment le modèle type de commerçants résidant principalement en ville, siège de l’essentiel de leurs activités et de leurs patrimoines. Ce couple de commerçants – peut-être des bouchers, mais rien n’est sûr – est attaché à sa boutique sise à Paris, près d’une place définie, en l’occurrence celle de Beauvais12, tout comme les activités du brodeur Peter Mylan et du bonnetier Stephen de Grace à Londres dans les années 1540-1560. La ville reste le centre névralgique du développement et de l’épanouissement des implantations grecques en Europe du Nord-Ouest.
9La poursuite d’une carrière peut également s’élaborer ou se poursuivre dans d’autres cadres. En entamant cette étude, nous nous sommes souvent étonné, voire amusé, de noter une présence grecque dans un centre urbain mineur, voire au beau milieu de provinces parfois reculées. Nous découvrons ainsi des Grecs parcourant la campagne nivernaise, la Limagne auvergnate, la lande écossaise ou bien les côtes des Cornouailles anglaises. Si certains comme Alexis Claudioti/Klaudiôtès à La Charité-sur-Loire ne sont véritablement que de passage, d’autres comme la famille Greke de Tregeboun (Cornouailles) semblent implantés plus durablement13. Le médecin du roi Serapion effectue de fréquents séjours hors de la cour d’Édimbourg14. Enfin, en mai 1534, un soldat comme Démétrios Daugreca peut bénéficier d’une retraite méritée à Solignat en Auvergne15. Plutôt que d’observer des Grecs devenus exclusivement campagnards, il est bien plus fréquent que ceux-ci alternent vie rurale et vie urbaine, au gré de leurs cursus, en fonction de leurs intérêts quand d’autres n’adoptent pas une vie militaire et itinérante. En effet, l’évolution de la carrière de George Bissipat le présente tantôt comme un urbain – notamment dans ses relations beauvaisiennes – et tantôt comme campagnard – comme gestionnaire de ses domaines autour d’Hannaches. Donc, plutôt que d’opposer des Grecs ruraux aux Grecs urbains, il faut considérer que le mélange des deux situations semble constituer une règle implicite.
10Ce mélange s’enrichit d’une troisième possibilité. La grande mobilité des Grecs entre provinces et milieux urbains s’explique pour une très grande majorité d’entre eux par le fait qu’ils suivent un puissant, le plus souvent un prince et sa cour. Nombre de déplacements grecs sont liés aux déplacements mêmes de la cour. Prenons le cas de la cour bourguignonne. Certains Grecs apparaissent dans des localités que l’on pourrait qualifier de mineures compte tenu des autres villes existantes : Saint-Omer, Nozeroy, Nevers, Douai, Mons, etc. Certes, toutes ces cités sont des centres urbains réels, mais la présence de Grecs ne peut se justifier autrement que par la résidence de la cour ducale16. Certains bénéficiaires apparaissent clairement dans une situation où ils suivent la cour d’un point à un autre : par exemple, Isaac Paléologue et son fils Alexis reçoivent 20 livres du duc alors qu’ils suivent ce dernier à Paris en septembre 146117. Les modèles de courtisans membres de suites princières s’observent également en France : Jean Kaukadènos, Michel Cantacuzène et Manuel Kaukadènos reçoivent des fonds le 22 octobre 1454, alors qu’ils se trouvent à Romorantin, lieu de villégiature de la cour de Charles VII18. Pour conclure, plutôt que de chercher des destinations préférentielles pour les Grecs, insistons plutôt sur leur adaptabilité qui leur permet d’apparaître alternativement dans un cadre urbain, rural, ou plus souvent curial. Nous aurons l’occasion de revenir sur le cas exemplaire de Démétrios Paléologue (3), courtisan-interprète membre de la cour de François Ier, mais aussi quasibourgeois parisien, en affaire avec plusieurs grands fermiers de la campagne champenoise.
Essai d’histoire urbaine : les Grecs de Londres
11Changeons une nouvelle fois d’échelle dans une tentative d’histoire urbaine. Ici encore, Londres se révèle être la cité la plus prolixe en sources utiles pour construire un tableau de l’organisation urbaine des Grecs. Nul doute que ceux-ci ont bien dû trouver à se loger dans d’autres grandes cités telles que Paris, Bruxelles ou Bruges. La forte présence marchande dans cette dernière, suggérée par la maigre documentation disponible à ce jour, pourrait évoquer une organisation urbaine – à tout le moins économique et sociale – semblable à la capitale anglaise. D’autres cités étant trop dépendantes du pouvoir du prince, les pistes se brouillent et il devient difficile de déterminer si un Grec est actif dans un lieu précis en raison de la présence royale en ses murs ou bien en raison d’une installation plus pérenne, indépendante de ces vicissitudes, comme à Londres.
12Un état des lieux des espaces occupés, des quartiers investis, s’impose. Les Grecs se concentrent pour l’essentiel dans quelques quartiers de Londres, principalement au niveau des portes nord et est de la cité. La concentration des logements grecs le long de la muraille est d’ailleurs une première particularité. D’ouest en est, Aldergate, Cripplegate, Bishopsgate et Aldgate apparaissent dans nos sources. Tout particulièrement, Cripplegate est le quartier d’établissement d’Andronic Effomatos et de son frère au cours de la décennie 1440 et Bishopsgate – ou peut-être Bishopsgatestrete qui en part – accueille Matheus Grekus en 1442 et 148319.
13Certaines rues partant d’un point de la muraille hébergent plusieurs Grecs : Colemanstrete, Broadstrete, Tower Ward. Cette dernière artère, proche de la tour de Londres et de la Tamise semble compter plusieurs Grecs sur une longue période, depuis la décennie 1440 jusqu’aux années 157020. Colemanstrete s’avère être le lieu de résidence londonien de la famille de Walter Greke/Grace et de son épouse Agnes entre 1441 et 144421. Broadstrete est, quant à elle, une artère de première importance, centre d’une concentration plus significative de Grecs. En effet, Thomas Francos, son ou ses associés homonymes Michael Greke et Michael Greeke, probablement les frères Effomatos, des serviteurs comme Jacobus ou Vertill Negrepond y ont élu résidence, certains en tant que propriétaires, d’autres comme locataires. Cette rue concentre la majorité des mentions disponibles. Or, l’artère communique avec Bishopsgatestrete, que nous avons déjà évoquée, avec Cornhull, Langhorn et Lymestrete, toponymes où la présence grecque est attestée22. L’ensemble pourrait constituer une sorte de quartier d’habitation grecque mais, encore une fois, les sources restent trop minces pour en déduire davantage. Langhorn apparaît même fréquemment au xvie siècle, constituant peut-être un autre centre de regroupement23. Un troisième ensemble est constitué par des points au contact de la Tamise et donc des quais du port de Londres. Cet ensemble est le moins représenté mais il est intéressant de noter que John Demiter, résidant à Londres entre 1517 et 1549 et présenté comme originaire de Venise, donc potentiellement marchand, est déjà mentionné à Langhorn et Tower Ward. Il possède également une maison à Byllyngsgate située le long de quais propices aux chargements et déchargements de marchandises24. D’autres Grecs apparaissent à Vintry Ward et dans le quartier du pont qui enjambe le fleuve25. Un dernier ensemble de localisations concerne l’espace situé hors des murs mais suffisamment proche de Londres pour que certains Grecs s’y installent, ou du moins investissent. Selon James Bolton, les paroisses de Westminster, Southwark et Middlesex regroupent en 1483-1483 3 400 étrangers résidants auxquels il faut ajouter 500 personnes de passage26. Ainsi, nous retrouvons une nouvelle fois Andronic Effomatos qui semble investir cette fois-ci Westminster27. De l’autre côté de la Tamise, Southwark est mentionné à deux reprises, aux extrémités chronologiques de notre étude28, tandis que le Middlesex est investi par Constantin Benet entre 1535 et 155929. Farringdon Without Ward constitue un autre pôle de présence grecque. La paroisse accueille tout d’abord Janus Greke et Jacobus Greke entre mai 1443 et janvier 1444, tous deux propriétaires d’une maison30. Un siècle plus tard, Peter Mylan, brodeur crétois originaire d’Héraklion et fournisseur de Thomas Cromwell, y possède également une maison31. Le plus intéressant – et le plus intrigant – est que la même année 1544, John Voteyr loge dans le quartier, dans une Grekes House32. Il est difficile de déterminer si ce terme mystérieux désigne une maison propre aux Grecs ou bien la maison de Peter Mylan. Toujours est-il que Farringdon Without Ward semble agréger un nombre significatif de Grecs.
14Quels enseignements tirer de ce rapide tableau ? Peut-on conclure à une localisation particulière des Grecs londoniens ? Existe-t-il un quartier grec à Londres, suffisamment structuré pour être comparé au quartier San Giorgio de Venise ? À cette dernière question, il est d’ores et déjà possible de répondre par la négative. Nulle part dans nos sources n’est suggérée l’idée que la présence ait pu être structurée autour d’un quartier exclusif ou autour d’une autorité incontestée comme a pu l’être celle d’Anna Notaras pour les Grecs de Venise dans le dernier quart du xve siècle33. À Londres, rien de tel. Tout juste peut-on remarquer quelques exemples de relations et d’associations entre Grecs, mais cela ne va pas plus loin34. Même s’il peut s’agir d’un effet de source, il paraît néanmoins qu’une telle organisation existe dans la documentation. Seule cette Grekes House évoquée plus haut peut laisser penser à une maison commune aux Grecs, mais la mention est trop fugace et non corroborée pour le moment par d’autres documents pour autoriser de plus larges conclusions. Selon Jean-François Chauvard, la problématique des modes de regroupements de populations étrangères n’obéit pas nécessairement à la règle du rassemblement exclusif par quartier mais l’analyse peut s’effectuer également à l’échelle de la rue et même de la maison35. L’historien montre que les étrangers de Venise aux xviie et xviiie siècles, et spécifiquement les Allemands et les Grecs, peuvent apparaître éparpillés à l’échelle de la ville ou d’un quartier mais qu’ils choisissent d’occuper un tronçon de rue voir une ou plusieurs maisons36. Il n’est pas rare d’observer à Venise des maisons possédées par un étranger et occuper également par un ou plusieurs compatriotes37. Or, nous avons également fait ce type d’observations pour les Grecs de Londres. Ceux-ci ne sont pas regroupés dans une partie spécifique de la ville. Leur qualité d’étrangers et de migrants relativement récents dans la cité les pousse certainement à chercher un espace libre pour leur installation. Or, le maillage urbain de Londres est déjà très dense à l’ouest et au sud de la ville. Les espaces restés à peu près libres se trouvent au nord ou à l’est, le long des murailles. Notons que l’ensemble des rues comprises entre Colemanstreet, Bradstrete et Bishopsgate entourent plusieurs espaces encore non-bâtis, si l’on en croit la carte fournie pour 1520 par Caroline Barron38. Les zones proches des quais sont d’autant plus pratiques pour une population dont les activités marchandes sont importantes. Il n’existe donc pas de volonté d’investir un quartier propre et unique pour les Grecs : dès qu’ils en ont la possibilité, ils investissent dans d’autres paroisses, quitte à sortir des murs de la cité.
15L’organisation spatiale des Grecs n’est pas particulièrement comparable avec leurs compatriotes de Venise, groupés officiellement autour de l’église San Giorgio39. Des parallèles sont apparus avec les Albanais présents à Venise depuis le xiiie siècle. Deux siècles plus tard, ils représentent une petite communauté, généralement pauvre, spécialisée dans le travail du verre et de la laine40. Ces artisans et ouvriers ne vivent pas groupés dans un quartier en particulier, comme dans le ghetto ou même le quartier grec. Leur présence a été située par Alain Ducellier principalement dans le sestier du Castello, entre San
16Marco et San Pietro di Castello, mais pas uniquement. Ainsi, une présence étrangère modeste n’est pas soumise aux rigueurs d’une implantation stricte, dès lors que celle-ci englobe une faible population aux activités de faible niveau, quoique spécialisées dans le verre et la laine. La relative modestie de la population et des activités grecques de Londres, pour autant que nous puissions en juger, valide une forme de présence urbaine semblable aux Albanais de Venise éparpillés dans plusieurs zones de la ville. Le cas londonien, pour éclairant qu’il soit par rapport à d’autres situations qui restent mystérieuses, souffre cependant du manque d’indications plus précises concernant certains Grecs qui s’acquittent de la taxe mais dont nous ne savons rien, même le quartier de résidence. Néanmoins, leur présence est réelle et loin d’être marginale : les fréquentes allées et venues de certains Grecs « italiens » comme Jeronimus Grace et de leur proximité avec d’autres Grecs établis durablement dans la cité comme les frères Effomatos, fournit de précieuses informations sur la vivacité de réseaux d’échanges avec des succursales en Europe méditerranéenne – surtout Venise. Le modèle hybride de marchands grecs à cheval entre Italie et Londres n’a donc rien d’impossible et constitue une réponse plausible à un problème économique.
17L’exemple des Grecs de Londres tend, malgré les lacunes documentaires qui persistent pour l’heure, à constituer le premier jalon d’un modèle alternatif d’installation d’une population migrante, démographiquement faible, dont les assises et les connexions se situent en Méditerranée, et dont les types d’organisation diffèrent visiblement.
Des groupes diasporiques ?
18Ces groupes de Grecs laissent apparaître de caractéristiques qui permettent d’entrevoir des formes de cohésion interne, des éléments structurels communs. Nous avons également largement insisté sur le caractère migratoire de ces groupements. La question logique qui doit découler de tels raisonnements consiste à se demander si ces Grecs forment un ou plusieurs groupes diasporiques.
Définitions et enjeux
19Dans un ouvrage récent dans lequel elles tentent de trouver une définition acceptable du terme, Mathilde Monge et Natalia Muchnik déclarent avoir affaire à une notion valise, aux multiples significations, parfois cohérentes entre elles, parfois complémentaires, mais aussi parfois totalement opposées les unes aux autres41. Selon ces historiennes, le terme de diaspora revêt en premier lieu un caractère de « mot-valise », c’est-à-dire que sa signification a longtemps varié en fonction des intentions que lui ont imputées leurs utilisateurs. En effet, il est impossible de s’accorder sur une définition claire qui fasse le consensus dans l’historiographie d’hier et d’aujourd’hui, qu’ils appartiennent au champ des Cultural Studies ou non42. Nous noterons avec intérêt la double définition relevée par les historiennes selon laquelle le vocable diaspora, d’abord fondé sur le cas, peut-être trop signifiant, de la diaspora juive, peut se centrer sur une population qui doit migrer – ce qui limite les potentielles diasporas – ou au contraire ouvrir le champ – l’« horizon » selon Rogers Brubaker – et inclure des populations qui ne sont pas a priori migrantes comme l’entendrait la première définition43. Les deux auteures insistent néanmoins, sur le fait – tout aussi majeur pour nous – qu’en premier lieu les diasporas se caractérisent par des phénomènes de migrations massives consécutives en général d’un événement « traumatisant » qui pousse un groupe humain à se déplacer44. Il existe donc une double tension dont il faut tenir compte. Il importe de rester le plus clair possible quant à l’usage que nous ferons de ce vocable.
20D’un point de vue sémantique, le terme « diaspora », venu du verbe grec signifiant « disperser », semble, selon Stéphane Dufoix, induire la notion maîtresse d’un groupe rejeté d’un point géographique initial par une force extérieure imprimant une contrainte d’exil à ces mêmes groupes. Pourtant, si le terme apparaît tôt, dès la composition de la Septante, traduction grecque de la Torah hébraïque, dans l’Égypte du second siècle avant notre ère, le concept ne semble pas s’imposer d’emblée45. Il faut attendre le milieu du xviiie siècle, dans le monde germanique, pour voir le terme faire sa réapparition, mais le siècle suivant le fait véritablement entrer dans le champ lexical scientifique de l’époque46. S’il est employé progressivement dans la plupart des langues européennes, c’est en allemand que son usage se généralise tout au long du xixe siècle. Au xxe siècle, après quelques usages séculiers et scientifiques très épars, le terme diaspora tend de plus en plus à prendre le sens d’une dispersion, liée à l’expulsion d’une population à partir d’un point géographique originel. Son champ s’élargit également à d’autres populations migrantes comme les Grecs ou les Arméniens.47. Sans poursuivre plus avant, l’historiographie scientifique a contribué à élargir le champ d’action d’une notion disposant initialement d’une acception plus restreinte. Mais n’est-ce pas exagérer d’employer ce terme constamment ? Les débats se concentrent autour de ces problématiques, davantage en Europe que dans le reste de l’historiographie mondiale.
21Un premier point de divergence avec l’historiographie dite classique sur la question tient dans l’emploi trop fréquent du triptyque Diaspora/Nation/ Identité. Fréquemment présentée comme naturelle à propos de la question grecque à la charnière entre les xviiie et xixe siècles, et au moment de l’indépendance de la Grèce, cette association organique a été considérée pendant longtemps – et aujourd’hui encore dans certains courants de pensée – comme un quasi-dogme. Mathieu Grenet a montré que le mouvement de valorisation nationaliste grecque en opposition avec l’identité ottomane et turque – la « turcocratie », terme très péjoratif – reprend et remodèle le passé byzantin et les migrations qui ont suivi pour définir une « nation grecque en exil » pour paraphraser Deno John Geanakoplos48. Les grands points de désaccords dans l’historiographique moderne se cristallisent ensuite autour de la pertinence ou non d’appliquer la notion de diaspora à des groupes plus moins importants de migrants. Le terme a d’abord prévalu pour les populations juives d’Europe et du Bassin méditerranéen. Plus particulièrement, les Sépharades ayant dû quitter la péninsule Ibérique constituent le modèle de la diaspora : contrainte de se réfugier dans le monde islamique, en Italie, France, puis en Europe septentrionale, cette population vit dans le souvenir d’une terre perdue et s’organise de telle sorte que les descendants de ces populations sont le plus souvent en relations entre elles plutôt qu’avec d’autres Juifs d’Europe du Nord49. La notion s’élargit rapidement à d’autres groupes d’exilés, forcés de partir d’un point initial : Grecs, mais aussi Arméniens50. Pourtant, le terme reste cantonné à certains types de populations, dont les pratiques semblent être devenues « fossiles » ou « pétrifiées » pour reprendre les termes employés par Arnold Joseph Toynbee51. La question se pose donc de savoir s’il fallait englober dans les diasporas toutes les formes de migrations, très souvent forcées, ou bien s’il fallait en restreindre l’emploi. Ces questions naissent également de l’emploi trop fréquent du terme à partir des années 1980 pour qualifier toute forme de migration, sans distinction et sans réflexion autour de la validité de ce type d’expression. Les débats sont vifs entre les tenants d’une acception large du terme et ceux favorables à davantage de mesure dans les critères d’analyse des diasporas.
Des critères d’analyse multiples
22La question reste néanmoins encore largement débattue entre les tenants des diasporas au sens large, ceux qui préfèrent restreindre son emploi à une infime partie des mouvements migratoires, et ceux qui récusent la pertinence du terme. Sans poursuivre plus avant dans la controverse qui prendrait une place excessive dans notre étude, il importe de trouver un angle d’approche commode et clair afin de mettre à l’épreuve la notion de Diaspora au prisme de la question migratoire grecque des xve et xvie siècles.
23Dans L’Atlas des diasporas, rédigé en 1991 par Gérard Chaliand et Jean-Pierre Rageau, une liste non exhaustive est donnée des caractéristiques qui doivent correspondre à la situation de tout groupe susceptible d’être défini comme une diaspora. L’objectif est de pouvoir fournir une cohérence ainsi que des grilles de lecture communes à divers mouvements migratoires jugés différents d’autres52. Ces différentes facettes d’un phénomène sociologique perçu comme réel et non remis en cause sont pensées comme fonctionnant en se combinant les unes avec les autres, sans que la démarche soit totalement exhaustive : l’idée d’une dispersion collective forcée d’un groupe religieux ou ethnique ; la mémoire collective de la transmission du désastre qui a mené à cette dispersion, ainsi que l’héritage culturel conservé ; la transmission qui s’effectue dans un groupe minoritaire ; le temps qui détermine ou non la survie de ce même groupe. Ces aspects correspondent en effet à nombre de mouvements migratoires et paraissent pertinents. Il ne sera pas étonnant de trouver dans nos sources quelques Grecs obéissant à ces critères53.
24Néanmoins, peut-on considérer que toutes les personnes dont nous nous occupons répondent à ces critères ? Thomas Francos ou Démétrios Paléologue (3) au siècle suivant ne semblent pas voir subi un exil forcé dû aux Turcs. Ils n’entretiennent pas le souvenir d’un tel traumatisme. D’autres Grecs apparaissent de manière trop furtive pour confirmer ou infirmer ces arguments. De tels modèles supposeraient également que la mémoire transmise ait été la même pour tous, véhiculée selon les méthodes communes. Lorsque quelques rares documents nous livrent la pensée d’un auteur grec, les textes sont souvent des compositions littéraires ou des correspondances obéissant à des codes précis qui rendent difficile l’analyse d’une possible transmission culturelle. Nicandre de Corcyre, dans le récit de son voyage, évoque à plusieurs reprises l’expression « Nous, Grecs » qui permet de penser que les coreligionnaires rencontrés appartiennent à un même socle ethnique et culturel partagé activement par chacun de ses membres. Mais son auditoire reste vénitien, le texte n’a pas vocation à être diffusé dans les cercles culturels grecs – s’ils existent – en Europe du Nord-Ouest. Lorsqu’Andronic rencontre d’autres Grecs54, tous se comprennent, tous partagent peut-être des bases culturelles communes mais rien n’indique un phénomène systématique. Guillaume Bissipat ou Drague de Comnène ne conservent qu’un très léger vernis de culture grecque qui sert avant tout de plus-value à leur culture occidentale. Le fils du corsaire grec pratique bien le grec comme langue maternelle au même titre que le français ; il porte également le qualificatif « le Grec » accolé à son nom. Mais son comportement et ses schémas mentaux sont bel et bien occidentaux : il est chevalier, courtisan, poète à ses heures et meurt chevaleresquement au combat55. Bien qu’il assume ses origines grecques, Drague de Comnène correspond au modèle de l’aristocrate français et membre de la Ligue à la fin du xvie siècle56. Tant Guillaume que Drague sont des secondes générations et il est logique d’observer une forme de dilution du sentiment de rattachement à une hypothétique diaspora.
25Il n’existe donc pas de groupe grec uni, conservant de manière stable la mémoire d’un peuple rejeté. Ces critères ne fondent donc aucune diaspora grecque qui semble bien impossible à constituer, même en forçant le trait.
L’impossible diaspora grecque d’Europe du Nord-Ouest
26Parmi les fluctuations et les imprécisions sémantiques du terme « diaspora » et des groupes qui s’y rattachent prétendument, il est légitime de conserver au minimum quelques doutes sur la pertinence ou non de reprendre ce lexique à notre compte. Les migrations grecques, jusqu’à notre époque mais particulièrement pour la portion chronologique qui nous concerne, restent rétives à ce type d’analogie et ce pour plusieurs raisons.
27La première tient en la nature même des migrations que nous avons évoquées à plusieurs reprises : des migrations circonstanciées, consécutives d’événements extérieurs, en l’occurrence la progression turque dans les Balkans et en mer Égée, qui jettent des populations sur les routes d’Occident, pour un temps plus ou moins long ; migrations économiques, présentes tout au long de la période, qui se combinent parfois avec la première catégorie ; migrations internes d’un espace politique occidental à un autre sans que l’on puisse déterminer une motivation particulière. La liste n’est pas exhaustive. Elle se double en tout cas de l’incapacité de déterminer avec netteté si le sujet observé dans les sources en a fini avec les migrations, s’il a choisi de se fixer, ou bien s’il n’a pas été contraint de reprendre la route. Toujours est-il que les situations variées ne renvoient pas l’image d’une communauté de destinées. Les cas sont parfois trop différents les uns des autres – comme entre des marchands du type des frères Effomatos et de malchanceux Byzantins privés de leurs biens à la capture de Constantinople – pour qu’on puisse assimiler ces groupes à une diaspora.
28Un second point de blocage consiste dans la mobilité de Grecs qui ne s’établissent pas selon des modèles fixes et communs à tous. Certains cheminent lentement avant de se fixer définitivement. D’autres décident de repasser plusieurs fois au même endroit, ne s’établissent jamais véritablement et choisissent même de revenir sur leurs pas : Nicolas Tarchaneiotès et ses compagnons retournent une première fois en Italie en janvier 1456 avant de revenir en France trois ans plus tard57 ; Démétrios Koumousès effectue trois voyages en Occident mais retourne toujours en Grèce58 ; la présence de Georges Diplovatazès, Thomas Eparchos et Théodore Laskaris en Angleterre, en France, en Bourgogne et dans le Saint-Empire suggère deux voyages plutôt qu’un seul59 ; d’autres comme Georges Bissipat bougent sans cesse entre la France, l’Angleterre et peut-être la Bourgogne, avant de revenir définitivement en France60 ; au siècle suivant, Démétrios Paléologue (3) semble trouver rapidement un nouveau foyer, bien que les relations avec le monde égéen persistent61. Autant de trajectoires de vies différentes, peu propices à évoquer un modèle probant ouvrant la voie aux diasporas62.
29Dernier point de friction : l’évolution dans le temps. En effet, on ne peut raisonnablement penser qu’un migrant grec dans les années 1450, époque de la chute de Constantinople, puisse avoir les mêmes contraintes et objectifs qu’un coreligionnaire parvenant à s’insérer dans le système curial complexe de François Ier ou de ses descendants. La perception des Ottomans change progressivement. Quoique toujours perçus et présentés par la littérature contemporaine comme les principaux ennemis de la chrétienté, les chrétiens restés sous la domination ottomane connaissent une situation qui a bien changé puisque Mehmet II s’est vite aperçu de l’importance de conserver dans leurs terres et leurs pratiques religieuses les populations locales devenues des contribuables utiles et rentables63. Dès lors, les migrations ne sont plus systématiquement entraînées par des expulsions – notons qu’avant 1453, elles étaient aussi économiques que politiques – du moins hors des périodes de conquêtes ottomanes. Mais peut-on associer Thomas Francos, médecin ayant migré très probablement pour des raisons économiques, avec des réfugiés tels que Jean Gavras qui lui sont recommandés64 ? Il est difficile de déterminer les raisons de la présence de Démétrios Paléologue (3) en France en 1534 mais les intérêts personnels, plutôt que les vicissitudes politiques, semblent présider à ce changement de cadre de vie. De même, les intellectuels, qui côtoient et aident parfois ces migrants poussés sur les routes d’Occident par les Turcs65 compliquent encore la situation. Ceux-ci sont avant tout en quête de position sociale, monnayant leurs savoirs tels Georges Hermonymos ou Andronic Kontoblakas dans les années 147066. Certains ont fui l’avancée turque, comme Jean Argyropoulos en 145667, alors que d’autres ont été attirés en Occident indépendamment de toute menace – tel Manuel Chrysoloras68. La confusion s’intensifie si l’on ajoute certains intellectuels dont les parents ont dû fuir les Turcs mais dont les pérégrinations sont motivées par d’autres causes – Janus Laskaris, Angelos Vergekios, Andronic Noukios69. Il n’existe toujours aucun indice probant d’une quelconque diaspora.
30Compte tenu des catégories supposées inhérentes à la notion de Diaspora, les éléments dont nous disposons sur les populations grecques d’Europe du NordOuest ne peuvent correspondre à une telle définition. Il faut dépasser la tentation constante de rattacher ces mouvements aux populations ultérieures ou contemporaines qui formeraient de plus convaincantes diasporas. S’intéresser aux populations grecques migrantes, à leur organisation, leur sociologie, n’implique bien sûr pas de rester aveugle aux autres phénomènes migratoires. Mais à trop vouloir trouver de grandes logiques qui transcendent les époques, on oublierait d’en considérer les spécificités propres. Pour le moment, concluons que ces populations migrantes grecques ne correspondent pas à ces définitions valables pour une (trop) infime catégorie de populations.
Des cadres sociétaux pour les Grecs
31Les sociétés grecques présentes en Europe du Nord-Ouest prennent des formes diverses, tant par rapport aux autres types de structures observables dans le Bassin méditerranéen, qu’au sein même d’une communauté. Ce terme, s’il vient à l’esprit dès lors que l’on aborde la notion d’organisation sociale d’un groupe, n’a pas encore été questionné. Nous n’avons pas non plus évoqué les modalités qui permettent la formation et la pérennisation de nouveaux modes de vies pour les Grecs, au sein de sociétés étrangères aux yeux de ces derniers. En d’autres termes, dans des sociétés occidentales de plus en plus contractuelles, il est permis de se demander comment évoluent les populations grecques. Celles-ci présentent-elles une tendance à se regrouper pour obtenir une reconnaissance officielle globale, comme à Venise, ou bien le faible poids démographique grec amène-t-il de nouvelles stratégies d’intégration qui laisseraient de côté des formes communautaires d’organisation au profit de liens contractuels individuels plus utiles pour les Grecs ?
Des communautés grecques transalpines ?
32Il faut évoquer la possibilité de l’existence de communautés grecques. Se structurent-elles selon des modèles comparables aux autres régions en Occident ou dans le Bassin méditerranéen ? Au contraire, ne serait-ce pas ici la manifestation d’une fiction, une mise en récit censée se conformer à un modèle préconçu et adoubée par l’historiographie ? Est-ce que le vocable « Grec », utilisé comme nous l’avons vu dans une large part de nos sources, sert à désigner de façon universelle, et peut-être artificielle, des groupes humains que les présupposés culturels et identitaires poussent à regrouper sous une communauté portant ce nom ? La ou les communauté(s) grecque(s) existe(nt)-elle(s) véritablement ou bien s’agit-il d’une manière commode de désigner un ensemble plus hétéroclite70 ?
Modèles méditerranéens
33Qu’est-ce qu’une communauté ? Dans quels cadres géographiques et sociaux voit-on se développer des cas significatifs ? Ce terme a depuis longtemps fait l’objet de la part de l’historiographie scientifique d’un emploi élargi à tout groupe humain minoritaire par rapport à un ensemble majoritaire – ethnique mais aussi social, culturel, économique, politique, géographique, etc. Si ce constat reste intéressant, il est préférable d’en revenir à une acception plus restreinte et, se faisant, plus significative pour notre étude. En effet, pour correspondre à nos critères, une communauté résulte tout d’abord du regroupement d’une portion d’une population qui se distingue, principalement du point de vue démographique, de la société dans laquelle elle prend place. La question semble se compliquer lorsque certains de ces groupes présentent des origines différentes, réelles ou fictives. En effet, les Grecs de Venise – représentant une population de 4 000 à 5 000 individus en 1509 pour un total de 100 000 habitants71 – sont fréquemment issus de régions grecques sous domination vénitienne : Crète, Nègrepont, Cyclades, etc. Il est donc logique d’observer une forte population grecque à Venise : néanmoins, celleci reste sujette de la Sérénissime72.
34Il n’est pas suffisant que ces groupes humains existent. Encore faut-il que les sociétés et les pouvoirs qui les accueillent soient conscients d’une telle situation et acceptent celle-ci en reconnaissant souvent a posteriori un état de fait plus ancien. Toujours à Venise, la Sérénissime reconnaît l’autorité, ou du moins le patronage, d’Anna Notaras sur l’ensemble des Grecs résidant dans la lagune à partir de la fin des années 147073. L’enjeu pour l’historien est de parvenir à déterminer si un pouvoir, quel qu’il soit, a conscience de l’existence de communautés étrangères en son sein, si ce même pouvoir est disposé à les reconnaître et les doter d’un statut officiel. Cette reconnaissance implique dès lors une organisation et une structure qui permette une bonne représentation auprès des autorités locales ainsi qu’un dialogue stable avec celles-ci. Ainsi, les marchands allemands obtiennent rapidement un local officiel pour entreposer leurs marchandises et les héberger74. Les personnes chargées de la gestion du Fondaco dei Tedeschi sont des officiers, gèrent la vie du bâtiment et de ses occupants, assurent l’ordre et sont responsables devant les autorités vénitiennes75. L’agglomération d’un peuplement allemand dans les rues mitoyennes du fondaco est une conséquence de cette reconnaissance76. Les autres cas de structures et d’avantages accordés à des groupes minoritaires égrènent nombre de cités méditerranéennes : Vénitiens ou Génois de Constantinople jouissent d’importants privilèges, structurés dans la cité de Pera, tant à l’époque byzantine que sous les Ottomans – quoique dans une moindre mesure. Les Grecs de Venise, regroupés dans le quartier de San Giorgio, obtiennent divers privilèges économiques, culturels et religieux : l’octroi d’une église de rite orthodoxe en 1539 ; le développement d’une imprimerie permettant la sauvegarde d’une culture grecque par sa diffusion à une échelle importante à partir des années 149077. Cette cohésion culturelle reste forte et est bien illustrée par le personnage d’Andronic Nouccios/Nicandre de Corcyre, à la fois Grec et Vénitien78.
35Une communauté obéirait donc à des principes de base : des regroupements humains minoritaires et étrangers aux sociétés vers lesquelles ils se dirigent ; des formes de reconnaissance officielles de la part des autorités locales ; des structures officielles qui facilitent le dialogue avec ces mêmes autorités et leur octroient une meilleure protection desdits ressortissants ; des avantages accordés à ces groupes, justifiés par une particularité quelconque de ceux-ci et dont serait déficitaire la société qui les accueillerait ; un partage commun de valeurs culturelles, entretenues à l’intérieur de ces groupes et permettant une nette distinction avec les autochtones ; enfin une pérennité et une stabilité temporelle et géographique de ces communautés. Autant de points de repère que nous allons devoir confronter à nos sources afin de confirmer ou de nuancer ces modèles.
Indices de communautés grecques en Europe du Nord-Ouest
36Si l’on se fie à Henri Taparel, le royaume de France abriterait aux alentours de 1500 au moins deux communautés grecques assurées, l’une à Paris, l’autre à Lyon79. Ces considérations s’appuient – si l’on n’invoque pas tout simplement l’emploi galvaudé du terme pour évoquer tout regroupement humain aussi restreint soit-il – sur le fait que la présence grecque dans la capitale n’est plus à démontrer, stable et constante dans le temps quoique d’ampleur toute relative, tandis que la capitale des Gaules se situe au pied des alpes, au carrefour logique des routes reliant le royaume de France à Milan, via Turin. Pourtant, les propos d’Henri Taparel sont mal référencés80. Or, quels peuvent bien être les éléments qui fondent une telle certitude ? À notre sens, aucun. Existe-t-il des communautés grecques en France, Angleterre et Bourgogne au tournant des xve et xvie siècles ? La question est plus complexe qu’elle n’y paraît au premier abord.
37Est-il tout d’abord possible d’observer dans l’espace des formes d’implantations et d’organisations grecques autorisant à penser à des structures communautaires ? Nous avons déjà évoqué le cas de la Grekes House de Farringdon Without Ward de Londres. L’allusion pose quelques soucis : la présence dans le même quartier, dans le même recensement, de Peter Mylan the Gracyan jouet-elle un rôle ? Est-il l’hôte de John Voteyr, ce qui expliquerait que le terme « Greke » fasse référence au brodeur crétois ? Cette maison jouit-elle d’une reconnaissance officielle, centre névralgique d’une vie locale grecque ? Tant de questions, autant d’hypothèses mais, pour le moment, aucune réponse fiable ni satisfaisante. L’examen de nos sources a mis dès le début en lumière qu’il n’existait aucun lieu, aucun bâtiment – économique, culturel, religieux, politique – qui soit dédié à l’usage exclusif des Grecs en tant qu’entité sociale et juridique reconnue. On se serait peut-être attendu à trouver un entrepôt réservé aux marchandises des négociants grecs présents dans le port de Londres. Or rien de tout ceci n’est observable pour l’heure. Rien, ou presque. Un cas particulier est intéressant et concerne Démétrios Paléologue (3), officier de paneterie du roi et concierge de l’Hôtel des Tournelles à Paris. En octobre 1554, un inventaire des biens de feue son épouse, Jeanne de Vitry, est dressé et determine les possesions de chacun des époux81. Parmi la liste des biens recensés, nous trouvons une fourrure de marthe qui n’appartient pas à Démétrios mais à des compatriotes grecs, brodeurs, qui ont laissé leur bien en dépôt à l’hôtel. Celui-ci semble donc servir d’emporium informel et peutêtre agrège-t-il une population marchande grecque qui peut s’apparenter à la Grekes House de Londres. Cet exemple reste cependant unique.
38À défaut, il doit probablement exister des structures juridiques justifiant une communauté grecque. Une distinction nette semble s’opérer où, une fois n’est pas coutume, la césure de 1453 joue un rôle. En effet, tant que subsiste un pouvoir byzantin, nous voyons apparaître dans nos sources des accords bilatéraux entre les divers États occidentaux et les empereurs de Constantinople. Dans la continuité des traités négociés tout au long des siècles précédents et que nous avons évoqués avec le cas des Grecs de Gênes, les ressortissants byzantins sont protégés dans leurs corps et leurs biens. Ce phénomène favorise l’existence et la pérennité de communautés grecques de taille variable. Ainsi, les accords conclus entre les rois d’Aragon et les empereurs grecs favorisent les échanges entre les deux États82. À la fin du xive siècle, le contexte de détresse que connaît Byzance face aux Ottomans enclenche un vaste mouvement de collecte de fonds auprès des populations chrétiennes, et notamment catalanes. Daniel Duran Duelt a insisté sur l’importance des structures établies par les autorités byzantines et favorisées par le pouvoir catalan sur son sol83. La charge de collecter les dons prend la forme d’une véritable administration, les officiers nommés sont grecs pour certains, catalans lorsqu’il s’agit d’agir au plus près du terrain. Or, d’autres situations similaires existent dans l’Europe du Nord-Ouest et s’entrecroisent même avec le cas catalan. En France, le voyage de Manuel II Paléologue, s’il n’a pas suscité un large engouement pour une nouvelle croisade, a au moins laissé croire à l’empereur que de l’argent pouvait y être collecté. Il fallait se charger de cette collecte. En 1404, Constantin Paléologue Rhallès, haut personnage de l’administration byzantine, après un passage par Barcelone en compagnie de son fils Théodore, est nommé procurateur général de la collecte des dons par le roi de France, sur recommandation de Manuel II Paléologue. L’affaire, après de multiples vicissitudes, malentendus et escroqueries, traîne pendant quatre années au bout desquelles un nouveau procurateur est nommé, Manuel Chrysoloras84. Cette entreprise ne pourrait constituer qu’un exemple isolé, sorti de son contexte et sans rapport avec la question qui nous occupe. Or, la documentation insiste sur la structure organisée de ces collectes : des personnages officiels sont nommés pour une fonction précise mais ils servent également d’interlocuteur avec les autorités locales. Lorsqu’un des agents de terrain de Constantin Paléologue Rhallès, un dénommé Alexis Claudioti, est arrêté près de La Charité-sur-Loire par les hommes du duc de Berry, l’imbroglio judiciaire qui s’en suit fait intervenir son supérieur direct, Constantin Paléologue Rhallès. Celui-ci est débouté, le supérieur de ce dernier, Manuel Chrysoloras s’implique et obtient la libération de l’agent grec ainsi que les sommes qui étaient alors en sa possession85. Sur le modèle des consuls des Grecs de Gênes, les procurateurs jouent un rôle d’intermédiaires pour les Grecs présents dans le royaume de France. La différence tient davantage dans les événements que connaît la France – folie du roi, guerre civile, retour du conflit avec l’Angleterre – qui ne permettent pas la pérennisation du système.
39Les communautés grecques du sud de l’Italie observées par Anick Peters-Custot présentent des structures d’encadrement social précises qui devraient être observables dans les groupes grecs du nord de l’Europe86. L’autrice note que les Italo-Grecs sont regroupés en communautés dans des régions où d’autres groupes humains, lombards notamment, sont également présents et constituent d’autres modèles d’organisation. Majoritaires en Calabre ou dans la région de Tarente, ces communautés sont structurées par des cadres chargées de conserver le caractère culturel byzantin de ces sociétés. Les élites se composent des notables locaux, des personnalités les plus éminentes qui monopolisent les fonctions politiques et religieuses de ces communautés grecques. Elles bénéficient également, à l’époque byzantine, de dignités qui les relient au pouvoir central et les distinguent du reste de la population87. Les élites grecques existent assurément dans notre corpus. Pourtant, et même si elles peuvent voyager et migrer avec certains de leurs dépendants, ces notables se trouvent en situation de déracinement par rapport à leur statut social initial. Les Grecs que nous observons le plus souvent n’ont pas encore eu l’occasion de choisir définitivement les modalités de leurs nouvelles implantations. Une fois arrimés à un nouveau milieu social, certains Grecs retrouvent une condition de notabilité. Toutefois, le phénomène reste très mal documenté. De plus, les agissements de certains Grecs peuvent parfois être contradictoires : les uns, tels Thomas Francos en France ou les drapiers Effomatos en Angleterre occupent une place sociale ou économique suffisante pour entretenir dans leurs entourages des dépendants grecs ; les autres, tel Démétrios Paléologue (3), n’usent pas particulièrement de leur statut social nouveau pour favoriser leurs coreligionnaires. Tous ces cas n’impliquent pas un patronage de groupes larges de populations sur le modèle des notables italo-grecs : les liens observables sont toujours contractés individuellement. Il est donc très difficile de conclure à l’existence d’un groupe d’élites sociales grecques au nord des Alpes sur le modèle des liens qu’entretiennent Anna Notaras et sa famille avec la communauté grecque de Venise à la fin du xve siècle88. Le second élément communautaire observé par Annick Peters-Custot est le recours à un notariat proprement grec, tant par ses modes de fonctionnement, ses fondements juridiques, que par ses titulaires, tous grecs. Les Italo-Grecs font un usage fréquent de l’acte officiel écrit hérité de la juridiction byzantine. Le notariat italo-grec constitue même, malgré ses manques, un corpus documentaire de premier ordre pour l’étude des Grecs d’Italie du Sud89. Au nord des Alpes, les Grecs passent toujours par écrit notarial afin d’officialiser certaines étapes de leurs vies – actes de mariage, ventes ou donations.
40Ainsi, l’essentiel de la vie de Démétrios Paléologue (3) est connu grâce à des documents notariés qui évoquent ses deux mariages, les diverses promotions sociales dont il bénéficie ou encore les nombreux actes financiers – ventes, prêts, procurations – qui impliquent ce Grec : au total ce ne sont pas moins de 14 documents sur un total de 26 qui émanent d’un registre notarié, principalement celui du notaire Trouvé90. La différence avec le monde italo-grec tient une nouvelle fois en ce que les notaires qui consignent les actes des Grecs sont tous issus des sociétés d’Europe latine. Il n’existe pas, à notre connaissance, de notaire grec qui ait officié pour ses coreligionnaires au nord des Alpes. Les structures religieuses constituent le dernier cadre culturel fondamental constitutif des communautés italo-grecques. Le clergé séculier comme régulier y est organisé, dans les zones où ils sont majoritaires, pour les Grecs, selon leurs rites et administré par des Grecs91. Nous avons vu que les religieux grecs sont présents en Angleterre ou en France aux xve et xvie siècles. Toutefois, la plupart d’entre eux ne sont pas en fonction : il s’agit de migrants au même titre que les autres Grecs, ils n’exercent aucune autorité officielle et reconnue par Rome, sur d’éventuels compagnons. Peut-être peut-on supposer une autorité spirituelle et morale92. D’autres Grecs sont bel et bien des ecclésiastiques en charge d’une autorité qui s’exerce dans le monde latin mais celle-ci ne concerne pas exclusivement les Grecs. Au contraire, tels Georges Branas (2) évêque de Dromore en Irlande, ces prélats exercent leur sacerdoce sur tous les fidèles du diocèse, latins ou grecs93. Le cadre structurant de la religion n’est donc pas non plus opérant pour déterminer s’il existe ou non des communautés grecques au nord des Alpes.
Des communautés alternatives ?
41Nous nous trouvons face à d’autres modèles d’organisation qu’il serait irréaliste de rattacher aux modèles communautaires opérant en Méditerranée. Non pas que ceux-ci n’existent pas, bien au contraire. L’établissement plus ou moins pérenne de populations étrangères dans un lieu précis se fonde en fonction des conditions rencontrées par ces mêmes populations. Or, démographiquement, l’ampleur des mouvements migratoires n’a rien de commun
42avec ce que connaît le monde méditerranéen : les Grecs ne sont à l’évidence pas assez nombreux pour constituer un groupe suffisamment homogène et structuré et être reconnu officiellement par les autorités des sociétés qui les accueillent. En comparaison d’autres groupements migratoires, comme ceux des Lombardi, des Dutchmen et des Teutonici à Londres, détenteurs de monopoles commerciaux importants, les Grecs, qui n’apparaissent dans nos sources que de façon sporadique, doivent trouver d’autres modes de sociabilité avec le monde extérieur. Nous verrons bien sûr que les relations entre coreligionnaires existent et forment un ciment essentiel pour la vie des Grecs en Occident.
43Néanmoins, nos sources ne laissent pas entrevoir de structures communautaires formelles, seulement des indices de fonctionnement alternatifs. Ainsi, dès lors qu’un Grec parvient à se hisser à un niveau satisfaisant dans ces nouvelles hiérarchies sociales, son comportement devient celui d’un patron local, protecteur et intermédiaire pour ses coreligionnaires, leur permettant de trouver une aide plus aisément, favorisant une installation, autorisant la mise en place d’un dialogue avec les autorités. Ce fut le cas en France pour Thomas Francos, Georges Bissipat, Démétrios Paléologue (3) et probablement Angelos Vergekios. Cependant, ces patronages restent éphémères et ne survivent pas à leurs représentants : Guillaume Francos ou Guillaume Bissipat, fils desdits patrons, ne semblent pas reprendre cette position d’intermédiaire. Tout fonctionne dans ces sociétés grecques en Europe du NordOuest comme si les liens personnels rendaient possibles des formes d’organisation grecques sans que ce phénomène soit institutionnalisé ni qu’un quelconque avantage accordé à un Grec soit généralisé à tous ses congénères.
44Ainsi, pour conclure, probablement faudrait-il suivre les conclusions de Mathilde Monge à propos des anabaptistes de Rhénanie à l’époque moderne94. Plutôt que de parler de communautés de « frères chrétiens » clairement définis, les recherches de l’historienne ont montré la capacité pour les anabaptistes de cacher leur foi, en tout cas ne pas l’exposer tout le temps et d’adopter des pratiques religieuses intermittentes – notamment dans la fréquentation de la messe95. Ainsi, ces communautés prennent des formes mouvantes dont le fonctionnement nous intéresse ici. Les Grecs s’adaptent aux conditions offertes dans de nouvelles sociétés-hôtes. Sans modèle type unique, ces adaptations donnent une impression d’empirisme et d’improvisation, constitutives également des sociétés grecques mouvantes, différentes des modèles méditerranéens ainsi que d’autres groupes étrangers d’Angleterre, de Bourgogne ou de France.
Un cas particulier : les sociétés marchandes grecques
45Quelle image pourrait illustrer, même partiellement, les sociétés grecques dans l’Europe du Nord-Ouest ? Il existe un ensemble que nous avons déjà évoqué tout au long de ce chapitre sans nous y arrêter véritablement, celui des marchands grecs. En effet, ceux-ci offrent l’image d’une organisation plus ou moins bien structurée avec un fonctionnement social interne un tant soit peu connu de l’historiographie.
46Les marchands sont présents partout dans l’ensemble des trois entités politiques concernées, qu’il s’agisse des drapiers londoniens – les frères Effomatos en premier lieu96 – ou des fauconniers itinérants des cours bourguignonne et française – Jean de Constantinople (2)97 présent dans la première, la famille Deustereno active dans la seconde98. Partout présents, les marchands bénéficient d’un éclairage documentaire particulier, la profession nécessitant une production paperassière plus conséquente que pour d’autres catégories de métiers (ventes, monopoles, autorisations, legs, etc.). Le terme « marchand » revêt bien sûr divers aspects liés au commerce, qu’il s’agisse des grands marchands internationaux, importateurs et exportateurs de marchandises entre plusieurs territoires, sur de longues distances, ou de simples détaillants, tenanciers, boutiquiers99 ou bien des professions incluant dans leurs activités professionnelles une part commerciale (comme les médecins/apothicaires). Encore une fois, les Effomatos, en lien avec Venise, Constantinople et, peutêtre la côte syrienne, sont exemplaires des grands marchands internationaux. Ils ne sont pas les seuls. Au xvie siècle, des réseaux complexes d’échanges commerciaux apparaissent en France et les fauconniers organisent l’apport constant et régulier d’oiseaux de proie pour les chasses royales. Ainsi, en 1532, Jean Deustereno importe des oiseaux originaires de Méditerranée orientale et est très probablement associé à d’autres Grecs vénitiens, Gaspard de Venise et Jean Nadal en tête100. Le nombre de marchands originaires d’Italie et surtout de Venise – particulièrement à Londres – laisse apparaître un réseau classique de relations économiques ayant la péninsule pour escale naturelle. Ces liens économiques forts sont même rappelés indirectement dans certains produits nécessaires aux médecins/apothicaires, provenant de loin, d’Orient ou du Bassin méditerranéen, et soumis aux taxes des denrées étrangères101.
47De même, les marchands sont au centre des relations entre coreligionnaires ou méditerranéens et marchands locaux. Ainsi Jean de Trébizonde (1) se trouve en contact, quoique ceux-ci soient complexes, avec des grossistes londoniens comme Nicholas Philipp102. Nous avons déjà évoqué les Effomatos très bien implantés dans le port de Londres, en contact tant avec des Londoniens qu’avec des Theotonici ou, à notre sens, des coreligionnaires103. Des ébauches de hiérarchies sociales, apparaissent. De tout notre corpus, seul le groupe large des marchands permet de telles observations. Sans conclure toutefois à une officialisation de rapports de force par les autorités locales, ces relations, ces formes hiérarchiques permettent d’observer les Grecs au quotidien, en activité. La fréquence des fournitures d’oiseaux de proie pour la cour de François Ier est évocatrice. Pour la seule période allant de 1528 à 1541, huit marchands d’oiseaux de proie s’affairent pour satisfaire le roi104. Tous sont en lien les uns avec les autres, originaires de Venise et très probablement de Constantinople. Or, à la même époque, la famille Kalvokorésès, composée de marchands pérotes, est honorée par le roi105 : tous ses membres reçoivent des lettres de naturalité pour services rendus au souverain. Nous savons que l’époque est aux premiers contacts directs avec la Sublime Porte. Nous retrouvons ces personnes dans le rôle d’intermédiaires et particulièrement Démétrios Paléologue (3), pérote lui aussi et dont les contacts locaux font beaucoup pour permettre le bon déroulement de l’ambassade française106.
48Comme ces personnes sont actives à la même époque et fréquentent une même cour, il est très plausible de suggérer l’existence de liens entre elles107. Sans former des sociétés réellement structurées, les divers cercles marchands constituent des pôles de sociabilités précieux pour nous, une fenêtre sur les sociétés grecques transalpines et plus largement d’Occident.
Sociabilités
49Les sociétés grecques ne sont pas inexistantes, elles ont une réalité concrète même s’il ne faut pas exagérer leur organisation. Ni totalement diasporas, ni totalement communautés, dans le sens perçu par une large part de l’historiographie, les sociétés grecques forment un ensemble de relations humaines, internes au cercle culturel grec ou bien ouverts sur le monde extérieur. Elles jouent ainsi un rôle d’interface culturelle qui, nous semble-t-il, mérite d’occuper le troisième temps de ce chapitre. Fictions ou réalités anthropologiques, les groupements humains grecs forment un ensemble de réseaux, liens personnels, économiques ou politiques qui fondent et permettent le dialogue avec les autochtones et les pouvoirs qui les dominent.
Amitiés, fidélités, clientélisme
50Lorsque Nicolas Tarchaneiotès et Alexandre Kananos arrivent pour la première fois en France au mois d’août 1455, les deux Grecs ne sont pas de pauvres personnes égarées sur les routes d’Occident sans but et sans soutien. Leur objectif est double : remettre une lettre de recommandation à Guillaume Jouvenel des Ursins et Thomas Francos. Le premier personnage est un conseiller écouté du roi108 ; le second est déjà bien connu. Cette missive émane d’un personnage non moins célèbre, Francesco Filelfo. Grâce à cet entregent, les deux Grecs trouvent une aide adaptée à leurs besoins, au point que lorsqu’ils reviennent quatre ans plus tard, le réseau d’entraide fonctionne toujours, il cimente ces sociétés en leur conférant solidité et cohésion109. Il ne s’agit pas ici de tenter à tout prix de faire coïncider ces liens avec un modèle idéal de réseau, du moins tel que les sociologues et anthropologues les ont définis110. Néanmoins, les Grecs entretiennent des relations d’amitié, de fidélité, voire de clientélisme qu’il nous faut aborder.
51Ces embryons de réseaux procèdent logiquement de comportements sociologiques classiques tels que l’amitié, la fidélité, le clientélisme ou toute forme de dépendance. Les liens d’amitié semblent à première vue les plus difficiles à mettre en évidence. Pourtant, les relations personnelles intimes sont présentes et constituent même un ressort privilégié pour tout Grec ayant besoin d’aide dans un contexte nouveau. Au même titre que les autochtones, les Grecs transportent des liens d’amitié venus de Grèce, peuvent en contracter sur place, avec des coreligionnaires ou non. Ainsi, les liens qu’entretiennent Thomas Francos et Francesco Filelfo reflète une amitié profonde entre les deux hommes peut être construite à Constantinople lors de leurs années d’étude111. Même si la correspondance entre les deux amis n’apparaît que pour les années 1450, l’amitié semble continue tout au long de leurs vies respectives. Nous avons déjà évoqué les échanges d’hommes et de biens culturels – des livres avant tout, entre les deux personnages. Les deux amis protègent également leurs enfants respectifs : alors que son fils Gian Maria décide de fausser compagnie à son père et de voyager au-delà des Alpes, Francesco écrit à son ami afin qu’il l’accueille et, au besoin, le protège112. Il est même permis de penser que la réciprocité a pu avoir lieu puisque Guillaume Francos, fils de Thomas, effectue ses études droit à Padoue autour des années 1450, et que l’influence de Filelfo aura pu être utile113. L’entraide semble bien être la manifestation de l’amitié. Ces réseaux peuvent être opérants lorsqu’il s’agit de venir en aide à un de ses coreligionnaires. Les liens entretenus entre Andronic Kallistos, Georges Hermonymos et Georges Bissipat ont pour origine des liens amicaux anciens réactivés à l’occasion de l’emprisonnement d’Hermonymos en 1476114. Le Spartiate était chargé d’une mission diplomatique par le pape Sixte IV. Il devait intercéder en faveur de l’archevêque d’York, George Neville, compromis auprès du roi Edward IV et emprisonné depuis 1472115. Après un bref passage par Paris en 1475 où Hermonymos aura peutêtre réactivé d’anciens liens d’amitié avec Georges Bissipat116, l’émissaire parvient en Angleterre, s’acquitte avec succès de sa mission et décide de rester quelque temps dans le royaume. Hélas pour lui, la présence d’un Grec, diplomate au service d’un pouvoir étranger – tout pontifical qu’il soit, attire sur lui la suspicion de certains membres de la cour. La rumeur enfle et finalement on ordonne son incarcération. Au désespoir, Hermonymos parvient à faire connaître sa situation à son ami Andronic Kallistos, lui aussi de passage à Londres. L’humaniste décide de demander l’appui de Georges Bissipat, alors conseiller écouté de Louis XI. Que l’intercession de Bissipat soit due à une position politique avantageuse à la cour de France ou bien, selon nous, à un passé anglais dont les contacts devaient toujours être efficients à cette époque117, Hermonymos est finalement relâché puis part immédiatement pour Paris où il s’installe définitivement. L’amitié et les liens de redevabilité ont su éviter au Grec de graves ennuis.
52La persistance de rapports de fidélité entre Grecs génère également des rapports de dépendance entre ces personnes : parents, serviteurs ou au contraire protecteurs apparaissent dans nos sources et laissent entrevoir quelques éléments de solidarités qui ont pu être fortes entre ces personnes. En 1454, à Londres, Georges Diplovatazès et Thomas Eparchos reçoivent du roi une autorisation de collecte de fonds. Les deux impétrants semblent être deux compagnons de route de même niveau social118. À Nuremberg en 1455, les deux Grecs apparaissent à égalité dans leur récit de la chute de Constantinople119. Pourtant, deux ans plus tard, à Paris, flanqués de Théodore Laskaris qui ne les a peut-être jamais quittés, Diplovatazès et Eparchos ne sont pas traités de la même manière dans les registres de comptes royaux :
53George Paleologo neveu du feu empereur de Constantinople LXVIII l. XV s. 20 juillet en compassion de la pauvreté parce qu’il a tout perdu a la prise de Constantinople Thiautor Lascary chevalier de la compagnie dudit Paleologo VIII l. Vs. Thomas Espargne chevalier de la compagnie dudit Paleologo VIII l. Vs.120.
54Théodore et Thomas sont des compagnons de route de Georges mais les fonds reçus sont plus modestes et créent une hiérarchie qui est justifiée par la mention d’une compagnie ayant pour chef Diplovatazès. Enfin, le rappel des origines familiales impériales du Grec, même fictives, désigne clairement le chef de la compagnie121. Thomas Eparchos et Théodore Laskaris semblent bien être dans la dépendance de Georges Diplovatazès. Ce cas n’est bien sûr pas le seul et le groupe mené par Alexis, « comte de Salubria » auprès du duc de Bourgogne à la même époque obéit à un schéma122. Il est même intéressant de s’interroger sur l’importance sociale de ce Michel Catapopinos, ou Cantacuzène, compagnon de route de Jean et Manuel Caschadinos/ Kaukadènos123. Thierry Ganchou retrace son itinéraire avant sa réapparition parisienne et tente de recomposer son milieu social d’origine124. Freddy Thiriet a exhumé des archives vénitiennes un document le mettant en scène associé à un certain Laskaris Kanabès, son beau-père, jusqu’alors difficile à identifier clairement125. Michel est rattaché aux membres prestigieux de la famille Cantacuzène de Constantinople, brutalement déchue, sans qu’un lien ait pu être établi en son sein126. Le Constantinopolitain bénéficie d’un statut social plus élevé que les deux Kaukadènos, il est plausible que ceux-ci soient les clients de Cantacuzène.
55Les Grecs que nous observons, ne serait-ce que brièvement, ne s’affranchissent donc pas complètement d’anciens liens de dépendance, d’amitié, plus généralement de loyauté. De même, en tant que personnes sociables en quête d’intégration à un nouveau tissu social, de nouveaux liens se créent inévitablement, se renforcent ou bien s’interrompent.
Des solidarités interculturelles ?
56Ces modèles ne se limitent pas aux relations internes aux Grecs. En fonction des circonstances, les migrants ont fréquemment contracté des relations plus ou moins soutenues avec les locaux. Des relations de confiance naissent de contacts réguliers avec des personnes utiles à l’accomplissement d’une activité, à la pérennisation d’une intégration : qu’ils soient marchands ou simples passants, les Grecs ont besoin des locaux.
57Ces relations externes s’observent étrangement pour toute la période concernée dans la pratique testamentaire. En effet, la gestion des biens d’un défunt permet de mettre en évidence des témoins ou exécuteurs testamentaires qui sont des proches : amis, famille ou bien collègue de travail. Au moment du décès de Thomas Francos en octobre 1456, Charles VII ordonne que les biens du Grec soient transmis à son héritier. Ainsi, en 1457 Regnault Thierry, chirurgien du roi, par conséquent collègue de Thomas, est nommé « commis au gouvernement et administration des biens de feu Messire Thomas le Franc du pays de Grece medicin du Roy mort au moy d’octobre127 ». Ce même Regnault gravite dans l’entourage amical du Grec à la Cour de France dès 1451128 Au siècle suivant, en Angleterre, Everard Effomatos, en qualité de scribe, est amené à témoigner lors de l’établissement de testaments pour plusieurs bourgeois londoniens129. Démétrios Paléologue (3) devient un personnage incontournable pour ses proches lorsqu’il s’agit de gérer et d’assurer la transmission de biens. En effet, durant les années 1540, le Grec gère les successions de Marc Terrier et Anne Chappu, respectivement sommelier de paneterie et chevaucheur des écuries du roi130. Il s’agit de collègues, de proches et peut-être d’amis, membres de la cour royale. Démétrios est alors un officier bénéficiant d’une réputation suffisante pour devenir gestionnaire de successions qui auraient pu être dévolues à d’autres. La succession de sa première épouse est plus révélatrice encore. Jeanne de Vitry est la fille de Thibault de Vitry, seigneur de Crespières et membre du parlement de Paris, et a eu une fille, Maguelonne, née d’un premier mariage avec Louis Gilles, procureur au parlement de Paris. Elle décède entre le 3 et le 13 octobre 1554, ses biens ainsi que ceux de son premier mari sont confiés à la tutelle de Démétrios131. Malgré la contestation des frères de la défunte, Jean et François de Vitry132, Démétrios reste procurateur des biens de sa belle-fille : le Grec sait s’imposer face aux membres puissants de Vitry, s’appuyant très probablement sur des amis influents de la Cour.
58Ces relations entretenues avec des locaux semblent parfois même devenir plus importantes que la persistance de liens avec des coreligionnaires. Ce même Démétrios Paléologue (3) n’a de contact direct et avéré qu’avec un seul Grec, Jean Laskaris (2), dont nous ne savons rien133. S’il est permis de supposer qu’il entretient des liens réguliers avec les Grecs de Péra134, l’essentiel des relations sociales est le fruit de contacts suivis avec des locaux135. Mais Démétrios est peut-être un cas extrême : quoique migrant lui aussi, ses contacts grecs apparaissent peu. Le réseau constitué autour de Thomas Francos est plus évocateur : outre les Grecs présents dans son entourage, plusieurs locaux apparaissent, collègues, amis ou simples relations épistolaires136. Ces rapports de dépendance permettent une meilleure intégration des Grecs au tissu social environnant. Ainsi, les affaires picardes de Georges Bissipat constituent un modèle d’implantation du Grec dans la vie locale, dans les réseaux de sociabilité de la petite noblesse des alentours de Beauvais. Le corsaire épouse en 1478 Marguerite de Poix, issue d’une famille d’importance locale, autour des possessions d’Hannaches et Troissereux qu’il acquiert à cette époque137. Ses enfants et petits-enfants contractent également des alliances locales avec des familles nobles, créant de nouveaux liens, familiaux voire amicaux favorisant de nouveaux rapports de dépendances : économiques par l’entremise de la fortune Bissipat qui crée nombre d’obligés ; politiques par le rôle curial fort joué tant par Georges que par Guillaume et même Hélène, femme de chambre et dame de compagnie de Catherine de Médicis ; sociaux enfin puisque les terres possédées sont incluses dans un système seigneurial et les Bissipat relèvent pour l’essentiel de l’évêque de Beauvais. Des liens de patronages naissent de ces situations : la commune de Beauvais est tout heureuse de trouver en Georges Bissipat un investisseur et un protecteur bien intentionné. De même, les charges officielles conférées aux Bissipat par le roi ont également favorisé la formation de liens de commandement avec des personnes ou des communautés : en juin 1484, le marin Simon Menard est tout heureux de trouver un arbitre en Georges, à la fois capitaine corsaire et gouverneur de la cité de Touques, et dont la population a voulu saisir le soldat pour cause de violence138. Mais, d’un autre côté, Georges et ses descendants entrent de plain-pied dans la dépendance du roi qui est d’autant plus forte que Georges est un homme nouveau, qu’il appartient à ces personnes que le pouvoir royal promeut progressivement à mesure que le contrôle royal s’affermit contre les menaces extérieures – anglaises surtout – et intérieures – face à de grands vassaux de plus en plus récalcitrants. Ce modèle d’homme nouveau, nous le verrons, ouvre une période d’opportunités importantes pour toute personne cherchant à s’élever socialement, opportunités dont les Grecs sauront profiter.
59Ainsi, les relations entretenues avec l’extérieur restent vitales pour les Grecs, surtout dans cette Europe du Nord-Ouest où les Hellènes jouissent d’un poids démographique, politique et économique si relatif. Face à l’estompement progressif des liens avec la région d’origine, la nécessité pousse à établir des liens plus durables avec les locaux. Certes, il est aisé d’observer des liens perdurer avec le monde égéen. Ainsi, la famille Kalvokorésès entretient toujours des intérêts communs entre Péra et la France, trente ans après les premiers contacts et, semble-t-il, les premiers investissements139. Néanmoins, la tendance est davantage à l’abandon d’une réalité de relations sociales avec la région d’origine et leur remplacement par un discours mythique et mémoriel sur les origines grecques d’une famille, discours qui sera l’objet d’une plus large réflexion dans le chapitre 6.
Distinction sociale et grécité
60Une question demeure : la nature ethnique des Grecs constitue-t-elle un élément de distinction sociale dans des sociétés occidentales où l’importance essentielle de marquer son rang, de montrer tout ce qui peut distinguer un individu de ses congénères, est sans cesse rappelée ? Le colloque organisé en 2011 par Jean-Philippe Genet et E. Igor Mineo autour de l’importance de la mise en valeur de la prééminence sociale inclut dans le champ de la réflexion sur les vecteurs de l’idéel toute l’importance des marques, visibles ou symboliques, qui établissent des distinctions et des hiérarchies entre les différents
61corps d’une société140. Ces marques, comprises et intégrées par l’ensemble de ses membres permettent de distinguer qui a le droit à la prééminence et qui n’en bénéficie pas. Une très grande variabilité de ces vecteurs est à l’œuvre depuis les pratiques onomastiques de la bourgeoisie parisienne étudiées par Boris Bove jusqu’aux stratégies vestimentaires révélatrices d’une expression politique de la prééminence dans le cadre des cours princières évoquées par Gil Bertholeyns141. Jean-François Chauvard, en conclusion de ce colloque, insiste sur l’exigence méthodologique à tenir pour dégager ces distinctions sociales qui contribuent à faire fonctionner une société142. Rappelant les travaux de Pierre Bourdieu sur les mécanismes de production et de reproduction des hiérarchies sociales, l’historien reprend d’une manière globale :
Selon une logique dialectique, les marqueurs de la hiérarchie sociale fonctionnent sur le mode d’une double reconnaissance : ils servent à se distinguer et à être distingués ; à partager une identité commune et à se différencier des autres groupes ; à s’intégrer à une communauté et à s’en singulariser. Ils sont mobilisés à plusieurs niveaux de la dynamique sociale. D’abord, quand il s’agit de mettre à distance des groupes immédiatement inférieurs tentés eux-mêmes par l’imitation qui appelle de nouveaux efforts de différenciation. Ensuite, quand il accompagne un processus de segmentation au sein d’un milieu originellement homogène, à l’image des artistes qui se séparent du monde des artisans à la Renaissance. Enfin, quand on cherche à se distinguer de ses semblables car la distinction est avant tout affaire de proximité. C’est bien à une concurrence généralisée que se livrent dynasties, États, villes, corporations et individus d’un même milieu dans une lutte pour la préséance143.
62Les Grecs qui abordent les sociétés occidentales ont à cœur à la fois d’en intégrer les codes et en parallèle de s’en singulariser afin d’exister socialement. La désignation d’une personne comme grecque – ou bien son rattachement à ce groupe ethnique par l’association à un attribut culturel ou géographique grec – a pour objectif premier de mettre à part une population étrangère, différente de la société dans laquelle elle intervient. Est-ce pour autant un objet de distinction sociale – positive ou négative ? De même, entre Grecs, des éléments de distinction sociale, peut-être hérités d’une situation sociale antérieure, sont à l’œuvre et contribuent à rendre plus compliqué le tableau de la situation sociale des Grecs en Occident.
Distinctions sociales internes aux Grecs
63Les sociétés grecques/byzantines fonctionnent sur des modèles communs à leurs homologues occidentales dans la mesure où des hiérarchies sociales existent de longue date et se perpétuent invariablement. Ces stratifications sociales connaissent parfois des périodes favorables aux ascensions sociales parfois fulgurantes. Même à la fin de l’empire, de riches familles de marchands peuvent accéder aux plus hautes fonctions de l’empire, par exemple la famille des Notaras144. La haute noblesse, nous l’avons vu, n’atteint que rarement l’Europe du Nord-Ouest. Toutefois, certains membres de l’aristocratie grecque/byzantine ont pu parvenir en Europe septentrionale : quels sont alors leurs rapports avec d’autres Grecs socialement moins prestigieux ? Il est difficile d’établir avec certitude l’étendue des contacts entre certains Grecs, tant la documentation peut paraître lacunaire. Néanmoins, l’échange de courrier entre George Bissipat et Andronic Kallistos au sujet de Georges Hermonymos est une nouvelle fois caractéristique. La demande d’aide formulée par Andronic Kallistos se justifie probablement par la position hiérarchique qui s’est établie au profit de George : celui-ci, qui apparaît parfois sous le nom de George Paléologue, occupe clairement une position sociale supérieure aux deux autres Grecs. Vraisemblablement, sans appartenir à la famille impériale, le corsaire n’en est pas moins représentant de l’ancienne aristocratie byzantine.
64Davantage que la revendication d’une grécité qui semble incertaine et en tout cas trop difficile à évaluer pour le moment et compte tenu des sources disponibles, il nous semble plus pertinent d’insister une nouvelle fois sur l’importance du patronyme arboré par certains personnages. Celui-ci est un vecteur permettant la hiérarchisation d’un groupe social. Boris Bove montre que l’onomastique de la bourgeoisie parisienne est un enjeu crucial pour l’affirmation de la notabilité : à partir de l’époque où se structure un échevinage pérenne, les familles bourgeoises qui tentent de se les approprier, revendiquent fréquemment des parentés avec les anciens échevins et montrant le partage d’un même patronyme censé assurer un héritage et un droit audit échevinage145. Peu importe que celui-ci soit réellement le patronyme de la personne concernée : il est nécessaire que ce nom apporte une prééminence sociale incontestable par les autres Grecs. Démétrios Paléologue (3) n’est très probablement pas un Paléologue. Mais ce patronyme, ce titre serions-nous tentés d’écrire, est le meilleur laissez-passer pour occuper une position sociale interne et surtout de tenir un rang dans à la cour de François Ier. Plus tard, Hélène Comnène, castellane de Milan et originaire de Macédoine, sait également jouer du prestige de son patronyme et obtenir une place parmi les dames d’honneur de Catherine de Médicis, avec une pension qui grimpe rapidement jusqu’à 1 200 livres annuelles146. Avec le temps, et en suivant le modèle énoncé par Boris Bove, le patronyme grec transmis aux générations suivantes acquiert une valeur qui peut être perçue comme un élément de distinction sociale. La famille Greke en Cornouailles obéit probablement à cette logique, l’adjectif ethnique devenant patronyme147 ; un siècle et demi plus tard, une autre famille Greke se transmet également ce patronyme spécifique148. Il existe donc bien des éléments de distinction sociale internes aux Grecs. Mais les lacunes actuelles des sources ne permettent pas d’avancer plus loin dans le raisonnement.
La grécité comme marqueur de différenciation sociale
65Il existe un autre domaine dans lequel les distinctions sociales concernent fortement les Grecs : les relations avec les populations locales obéissent également à des règles et des codes qui établissent des prééminences entre leurs membres. Or, l’ontologie de la grécité constitue-t-elle une barrière ou au contraire un outil permettant aux impétrants d’être distingués ou de se distinguer dans des sociétés, notamment curiales où le moindre aspect d’une personnalité – culture, condition sociale, apparences – est mis en avant afin de se différencier des autres ?
66Il n’est pas question de rappeler ici tous les projections et fantasmes qui s’agrègent autour de la notion d’étranger. Toutefois, cette différenciation entre des populations autochtones et d’autres extérieures à celle-ci – dont les Grecs – reste un phénomène sociologique qui doit être mis en lumière. Les différences observées, ou supposées, entre Grecs et autochtones permettent de créer un décalage qui ne s’opère pas nécessairement au détriment du Grec. Thomas Francos, George Bissipat et Démétrios Paléologue (3), nos « têtes d’affiche », savent très habilement employer leur différence afin de se distinguer des autres courtisans : folklore culturel pour Francos, intermédiaire diplomatique pour Bissipat et Démétrios. Rappelons que ces deux derniers arborent leur origine comme une sorte de pseudonyme, au point que Bissipat n’est connu dans les sources vénitiennes que sous le nom de Zorzi Greco. Cette définition de George et Démétrios comme d’authentiques Grecs en immersion dans des systèmes curiaux où la présence hellénophone, sans être rarissime, est peu fréquente. Il n’est d’ailleurs pas anodin que la plupart des serviteurs d’un prince se fassent appeler « grecs », définitivement ou pendant une période plus ou moins longue : outre Bissipat et ses fils, nous trouvons les frères Effomatos, Georges le Grec archer et son homonyme soldat « anglais », Nicolas Familetti, corsaire associé à Bissipat, Alexandre Deustereno, Théodore de Bragdymène et Démétrios, fauconniers au service de François Ier, Madeleine Balby, Catherine et Marguerite, femmes de chambre de Catherine de Médicis149. Même Bessarion apparaît dans les sources anglaises comme « the greek cardinal150 ». Le même type de raisonnement vaudrait également concernant le rappel des lieux d’origine, « Constantinople » ouvrant certainement des portes plus aisément qu’une cité d’Angleterre ou de France. Tout est valable dès lors que l’origine permet de se distinguer et de s’élever.
67La grécité constitue également un moyen d’accès à d’autres marqueurs de distinction sociale, voire de prééminence sociale. Gil Bertholeyns et Michèle Bubenicek insistent chacun sur l’importance cruciale de l’apparence dans les cours européennes : le jeu des vêtements et des bijoux, peut-être portés de manière extravagante par certains de ces membres, doit déterminer aisément les attributs de chacun – les « gens d’armes » et les « gens de conseil » par exemple – et montrer que le courtisan se distingue de la simple noblesse et témoigne de la proximité et de la faveur du roi et de sa famille151. Les Grecs profitent eux aussi de ce système de valeurs : Thomas Francos reçoit du roi divers dons de tissus pour se confectionner des habits de cour ainsi qu’un stylet précieux de la part du duc d’Orléans152 ; Charles Bissipat, second fils de Georges, a pour parrain la duchesse d’Orléans, fille de Louis XI153. Ces gratifications ne concernent bien sûr pas les seuls Grecs les plus haut placés : l’archer, garde du corps du duc de Bourgogne reçoit également des dons d’habits et de fournitures afin de tenir le rang qu’il a acquis en servant son maître154 ; Antoine de Trébizonde, au service de Charles le Téméraire, reçoit, outre ses gages, plusieurs cadeaux comme un cheval155. Ses marques de distinction sociale ont été acquises grâce à une revendication d’une nature grecque – ou supposée grecque – qui sert de tremplin pour leurs bénéficiaires. Notons qu’à l’inverse, la grécité peut jouer contre ses détenteurs, leur nuire et influer sur leur déclassement social : Thomas Francos en Angleterre, Michel Dishypatos à Chambéry, Drague de Comnène pâtissent tous de leur attachement à la grécité, après avoir tenté de mettre en avant ce faire-valoir156.
68Il existe donc bel et bien des éléments sociétaux grecs dans les sociétés européennes du nord-ouest. Mais existe-t-il de réelles sociétés grecques, regroupées et structurées sur le modèle de communautés méditerranéennes, et vivant avec un référentiel mémoriel mettant la diaspora en avant ? Conclure dans ce sens serait très exagéré. Plutôt qu’une configuration de modèles préexistants et centrés sur l’espace méditerranéen le plus proche du monde culturel grec, nous préférons insister sur l’émergence de modèles alternatifs. L’état actuel des sources disponibles ne permet d’établir que des pistes concernant de nouvelles formes de présence et d’organisation sociale. Les Grecs, étant moins visibles dans les sociétés anglaise, bourguignonne et française, s’adaptent aux conditions locales qui divergent forcément des situations méditerranéennes, et tout particulièrement en Italie. Le résultat est une multiplicité de cas, connectés les uns aux autres mais avec leurs organisations propres : les Grecs de Londres apparaissent comme mieux organisés qu’en France, davantage tournés vers le commerce international. Cette diversité n’a rien de nuisible au débat. Au contraire, plus les situations seront diverses, plus la réflexion s’enrichira.
69Ce chapitre a une fonction charnière dans notre étude. Jusqu’alors, l’examen des sources menait à s’interroger sur les formes de la présence grecque, quantitativement, qualitativement, les définissant, ou non, comme des étrangers et, ici, comme des membres des sociétés autochtones. Dès lors, un seuil est atteint : d’un point de vue à un autre, nous passerons de l’importance des sociétés occidentales pour d’éventuelles sociétés grecques à la situation inverse, prélude au dernier temps de notre travail qui sera consacré au processus (naissant) de fabrique des identités grecques par ces mêmes sources occidentales.
Notes de bas de page
1Guillaume Calafat, « Osmanlı-Speaking Diasporas. Cross-Diasporic Relations and Intercommunity Trust between Marseilles, Tunis and Livorno (1600-1650) », dans Georg Christ, Franz-Julius Morche, Roberto Zaugg, Wolfgang Kaiser, Stefan Burkhardt, Alexander D. Beilhammer (dir.), Union in Separation. Diasporic Groups and Identities in the Eastern Mediterranean (1100-1800), Rome, Viella, 2015, p. 613.
2Parmi une littérature riche, voir par exemple, Roberto Zaugg, « On the Use of Legal Resources and Definition of Group Boundaries: A Prosopographic Analysis of the French Nation and the British Factory in Eighteenth-Century », dans Georg Christ, Franz-Julius Morche, Roberto Zaugg, Wolfgang Kaiser, Stefan Burkhardt, Alexander D. Beilhammer (dir.), Union in Separation, op. cit., p. 699-714; David Do Paço, « La ville contre la diaspora: les Ottomans dans l’espace urbain de la monarchie des Habsbourg au xviiie siècle », Diasporas, 28, 2016, p. 65-85.
3Stéphane Dufoix, « Notion, concept ou slogan: qu’y a-t-il sous le terme de “diaspora”? », dans Lisa Anteby-Yemini, William Berthomière, Gabriel Sheffer (dir.), Les diasporas. 2000 ans d’histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 53-65.
4Philippe Braunstein insiste également sur l’importance des liens entre Venise et le monde germanique dont les ressortissants franchissent régulièrement les cols alpins et arpentent des routes dont le contrôle et la sécurité sont cruciaux pour les autorités. En effet, les fréquents va-et-vient de marchands allemands et de leurs cargaisons entre la Sérénissime et les villes comme Nuremberg ou Ratisbonne, doivent être praticables. Philippe Braunstein, Les Allemands de Venise, op. cit., chap. 2, p. 31-75. Parmi les différentes catégories de métiers pratiqués par les Allemands, certains comme les portefaix, emballeurs et autres travailleurs modestes, sont les plus difficiles à saisir ; ceux-ci n’assurent souvent que des activités temporaires et alternent entre Venise et leur cité d’origine. Ibid., p. 108-120.
5Parmi les locataires du Fondaco dei Tedeschi, certains grands marchands allemands (nurembergeois ou hanséates) occupent un logement pendant plusieurs décennies et transmettent leur location à leurs héritiers. Ainsi en va-t-il de la famille Mandel de Nuremberg, présente sur trois générations de 1355 au milieu du xve siècle. Ibid., p. 259.
6Eric R. Dursteler, Venetians in Constantinople, op. cit.
7Outre les activités économiques sur lesquelles nous reviendrons, l’essor de l’imprimerie et de l’édition de textes grecques à Venise a fait l’objet de tout un courant historiographique, quelque peu ancien toutefois, lié notamment aux réflexions sur les apports grecs à l’humanisme italien du Quattrocento. Deno John Geanakoplos, Greek Scholars in Venice. Studies in the Dissemination of Greek Learning from Byzantium to Western Europe, Cambridge, Harvard University Press, 1962. Concernant la position d’intermédiaires privilégiés occupée par les Grecs de Venise, voir Nathalie Rothman, Brokering Empire. Trans-Imperial Subjects between Venice et Instanbul, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 2012.
8Nathalie Rothman, Brokering Empire, op. cit., p. 29-32 et 45. Voir également Mathieu Grenet, « Grecs de nation, sujets ottomans », art. cité, p. 321. L’historien rappelle que le terme « Greco Ottomano », combinant deux identités à première vue opposées, n’en est pas moins employé et revendiqué par nombre de sujets du sultan présents à Venise ou Livourne, permettant opportunément de jouer de deux catégories juridiques, aux avantages différents en fonction de l’époque.
9Voir le Dossier documentaire, no 1.
10Pierre-César Renet mentionne cette maison qui porte les armoiries de la famille Bissipat, vraisemblablement acquise vers 1481-1484. Pierre-César Renet, « Les Bissipat du Beauvaisis », art. cité, p. 33.
11BnF ms. fr. 21405 p. 179.
12AN, Acquits de l’épargne, J 960, no 52.
13Cornwall Record Office (CRO), ART/2/1/2 ; PRO C 1/62/306, 307 et 308.
14George Burnett (éd.), The Exchequer Rolls of Scotland, t. 6, Rotuli scaccarii regum scotorum, CCXXII Computa custumariorum et ballivorum Burgorum, Édimbourg, H. M. General Register House, 1883, p. 625.
15AN JJ 247 no 33, fol. 23v.
16Ainsi l’étude des itinéraires des ducs de Bourgogne permet d’établir des corrélations entre les dons reçus par certains grecs et la présence du duc et de sa chancellerie dans la même localité : il en va ainsi pour les « huit gentils hommes du pays de Grece » qui reçoivent 27 livres 10 sous tournoi à Nozeroy le 11 avril 1454. ADN B 2017, fol. 267r. De même, en 1459, Frangoulos Servopoulos, ancien chancelier de Constantin XI et récent ambassadeur du souverain pontife, reçoit 300 livres à Mons où se trouve la cour ducale. ADN B 2034, fol. 172v. Voir également Henri Stein, Catalogue des actes de Charles le Téméraire (1467-1477), Sigmaringen, 1999.
17ADN B 2040, fol. 249v.
18BnF ms. fr. 5909, fol. 158.
19Andronic Effomatos est également mentionné à Bishopsgate en 1449, Leonard Grekeson et John le Grace sont présents à Aldergate, le marchand Augustinus Grace apparaissant à Aldgate ; PRO E 179/144/42, fol. 26 ; PRO E 179/242/25, fol. 11. Voir carte no 3 ci-dessus.
20Un Master Miter ou Demitre est propriétaire dans ce quartier entre septembre 1443 et octobre 1444 ; PRO E 179/144/50, fol. 21 ; PRO E 179/144/58. John Demiter et Simon Greke y sont mentionnés entre 1541 et 1544. Jusqu’en 1571, date de sa mort, Manuel Démétrios, marchand originaire des Flandres, possède une maison. Richard Edward Gent, Ernest Kirk, Returns of Aliens, op. cit., vol. 2, p. 54, 101 et 417.
21PRO E 179/144/42, fol. 13 : PRO E 179/144/52, fol. 4.
22Les frères Effomatos, encore eux, semblent effectuer des investissements immobiliers à Cornhull et dans Lymestrete, tandis qu’un Gilmyn Grace en 1443/1444 ou Anthony Denys en 1483 élisent domicile dans Langhorn; PRO E 179/242/25, fol. 1o; PRO E 179/144/52, fol. 7; PRO E 179/242/25, fol. 9v.
23Gabriel do Grace est présent en 1522 et 1537, tandis que nous retrouvons John Demiter en 1549. Stephen de Grace est mentionné en 1564 et 1567, peut-être accompagné d’un Demetro. Richard Edward Gent, Ernest Kirk, Returns of Aliens, op. cit., vol. 2, p. 18, 165, 311, 312 et 354.
24Ibid., vol. 2, p. 162. Répertoire prosopographique, no 89 et 90.
25Andro Nino est mentionné dans Vintry Ward à Pâques 1567 et semble y résider depuis six ans déjà. Richard Edward Gent, Ernest Kirk, Returns of Aliens, op. cit., vol. 2, p. 341. À la même époque, John Semeno, serviteur de l’ambassadeur d’Espagne Cosino Graffye, réside dans Bridge Within Ward. Ibid., vol. 2, p. 341.
26James L. Bolton, « La répartition spatiale de la population étrangère à Londres au xve siècle », op. cit., p. 428.
27PRO E 179/235/57, fol. 2.
28En 1436 un John Grace (1), originaire du Brabant, est mentionné. Un siècle plus tard, en 1530, Palamides est recensé dans ce même quartier où les étrangers semblent être nombreux, peutêtre en raison de l’existence de la route de Douvres, propices au commerce. Calendar of the Patent Rolls preserved in the Public Record Office, Henry VI, vol. 2, 1429-1436 (HMSO, 1907). Metropolitan Archives, Eyre and Spottiswoode, Londres, DW/DA/7/3, fol. 162. Voir Carlin Martha, Medieval Southwark, Hambledon Press, Londres, 1996.
29Richard Edward Gent, Ernest Kirk, Returns of Aliens, op. cit., vol. 2, p. 16, 29, 156, 200, 214 et 257. Il est à noter qu’une Anna Grace est mentionnée dans la même paroisse en 1568. Originaire de France, elle est alors veuve (de Constantin Benet?). Ibid., vol. 3, p. 414. Répertoire prosopographique, no 21.
30PRO E 179/144/53, fol. 7; PRO E 179/144/50, fol. 26; PRO E 179/144/52, fol. 10.
31Richard Edward Gent, Ernest Kirk, Returns of Aliens, op. cit., vol. 2, p. 94.
32Ibid. Répertoire prosopographique, no 319.
33Klaus-Peter Matschke, « The Notaras Family and its Italian Connections », DOP, 49, 1995, p. 59-72.
34Notons ainsi que plusieurs Grecs semblent être locataires dans un quartier où d’autres sont propriétaires. Ainsi John de Grace et Alexis Effomatos à Cornhull en août 1451 ou bien Michael Greek et Michael Greeke en janvier 1444 à Broadstrete; PRO E 179/144/64, fol. 8; PRO E 179/144/52, fol. 9. La tentation est forte d’émettre l’hypothèse que les premiers sont logés par les seconds.
35Jean-François Chauvard, « Échelles d’observation et insertion des étrangers dans l’espace vénitien (xviie-xviiie siècle) », dans Jacques Bottin, Donatella Calabi (dir.), Les étrangers dans la ville, op. cit., p. 195-207.
36Ibid., p. 196 et 202.
37Ibid., p. 203.
38Caroline M. Barron, London in the Later Middle Ages, op. cit. Nous nous sommes appuyé sur cette carte pour réaliser notre propre représentation de la présence grecque à Londres au cours des xve et xvie siècles. Dossier documentaire, no 3.
39Heleni Porfyriou, « La présence grecque en Italie entre xvie et xviie siècle : Rome et Venise », dans Jacques Bottin, Donatella Calabi (dir.), Les étrangers dans la ville, op. cit., p. 131.
40Oliver Jens Schmitt, Das venezianische Albanien 1392-1479, Munich (Südosteuropäische Arbeiten, 110), 2001, p. 185.
41Mathilde Monge, Natalie Muchnik, L’Europe des diasporas, xvie-xviiie siècles, Paris, Presses universitaires de France, 2019, p. 20.
42Ibid.
43Ibid., p. 24.
44Ibid.
45Stéphane Dufoix, Dispersons. Une histoire des usages du mot « diaspora », Paris, Amsterdam, 2011, p. 47.
46Ibid., p. 115.
47Ibid., p. 163.
48Mathieu Grenet, « Grecs de nation, sujets ottomans », art. cité, p. 314-315.
49Ibid.
50Il s’agit ici des travaux fondamentaux de Simon Dubnov qui réfléchit notamment à partir du lien supposé entre le génocide arménien et leurs migrations. Dubnov n’établit cependant pas de lien essentiel et propose une spécificité de la diaspora juive puisqu’il s’agirait d’une diaspora de très longue date. Stéphane Dufoix, Dispersons, op. cit., p. 169.
51Ibid., p. 175.
52Ainsi, les migrations juives, arméniennes, tziganes, afro-américaines, chinoises, indiennes, irlandaises, grecques, libanaises, palestiniennes, vietnamiennes ou coréennes constituent la base de leur analyse. Ibid., p. 395.
53Il en va ainsi des rescapés de la chute de Constantinople tels que Nicolas Tarchaneiotès et ses compagnons, un jeune tel que Georges Bissipat et son acolyte Georges Gazès, ou bien je très jeune Jean Gavras. Répertoire prosopographique, no 119, 120, 300. De même, la mémoire du désastre se transmet dans la famille de Dragues de Comnène au point d’apparaître encore près d’un siècle et demi plus tard. Répertoire prosopographique, no 60. Le temps ne semble pas avoir altérer le souvenir d’avoir des liens avec le monde culturel grec : le fils de Georges Bissipat, Guillaume semble même conserver l’emploi de sa langue paternelle, ce qui lui vaut l’admiration de poète comme Guillaume Crétin. Guillaume Crétin, Œuvres poétiques, op. cit., p. 76, poème XXXII : « Plainte », vers 89-93.
54Nicandre rencontre notamment le stradiote Thomas Buas d’Argos en Angleterre et le lecteur du roi en langue grecque Angelos Vergekios à Paris.
55Répertoire prosopographique, no 28.
56Répertoire prosopographique, no 59.
57Répertoire prosopographique, no 303.
58Répertoire prosopographique, no 202.
59Répertoire prosopographique, no 99. En effet, le groupe semble apparaître d’abord en Angleterre, en 1454, avant qu’un second voyage en 1457-1459 n’ait lieu dans le monde germanique, en Bourgogne et en France. Il est possible que les trois Grecs soient repassés en Italie entre-temps.
60Répertoire prosopographique, no 27.
61Répertoire prosopographique, no 259.
62Voir les cartes no 2.
63Joëlle Dalègre, Grecs et Ottomans, 1453-1923. De la chute de Constantinople à la disparition de l’Empire ottoman, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 66-67.
64Répertoire prosopographique, no 115 et 119.
65Ainsi, le cardinal Bessarion forme-t-il un cercle culturel qui se fixe également comme mission l’aide aux Grecs réfugiés. Nous retrouvons ainsi à Paris Jean Argyropoulos proche de Bessarion et, selon nous, ses propres protégés Georges Bissipat et Georges Gazès, en septembre 1454; BnF ms. fr. 32511, fol. 175v. Répertoire prosopographique, no 8, 115 et 120.
66Répertoire prosopographique, no 179 et 201.
67Répertoire prosopographique, no 8.
68Répertoire prosopographique, no 56.
69Répertoire prosopographique, no 209, 249 et 316.
70Giorgio Agamben, La communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque, trad. par Marilène Raiola, Paris, Seuil (La Libraire du xxie siècle), 1990, p. 17.
71Donatella Calabi, « L’insediamento greco e il contesto urbano », dans Maria Francesca Tiepolo, Eurigio Tonetti (dir.), I Greci a Venezia, op. cit., p. 557.
72Voir ainsi le cas intéressant de deux Grecs, Iôannès Tortzélos et Nikolaos Pôlos, sujets grecs de Venise à la veille de la chute de Constantinople. Thierry Ganchou, « Sujets Grecs crétois de la sérénissime à Constantinople à la veille de 1453 (Iôannès Tortzélos et Nikolaos Pôlos) : une ascension sociale brutalement interrompue », dans Gherardo Ortalli, Oliver Jens Schmitt, Ermanno Orlando (dir.), Il Commonwealth veneziano tra 1204 e la fine della repubblica. Identità e peculiarità, Venise, Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, 2015, p. 339-389.
73Thierry Ganchou, « Le rachat des Notaras après la chute de Constantinople ou les relations “étrangères” de l’élite byzantine au xve siècle », art. cité, p. 215-335.
74Philippe Braunstein, Les Allemands de Venise, op. cit., p. 91-102.
75Ibid.
76Ibid.
77Les premiers imprimeurs grecs de Venise dans les années 1470 sont Laonicos de Crète et Alexandros Alexandrou. Mais ce sont Zacharias Calliergis et Nicolas Vlastos qui développent véritablement cette industrie, sous le patronage d’Anna Notaras et d’Aldo Manuzio. Georghios Ploumidis, « Le tipografie greche di Venezia », dans Maria Francesca Tiepolo, Eurigio Tonetti (dir.), I Greci a Venezia, op. cit., p. 365-379.
78D’autres cas de Grecs vénitiens existent dans nos sources : Janus Laskaris, plusieurs marchands de Londres, etc.
79Henri Taparel, « Notes sur quelques réfugiés byzantins en Bourgogne après la chute de Constantinople », art. cité, p. 51-58
80L’historien, qui s’attache avant tout aux réfugiés grecs en Bourgogne note simplement au passage que Deno John Geanakoplos et Pierre Rudier évoquent rapidement ces questions. Henri Taparel, « Notes sur quelques réfugiés byzantins en Bourgogne après la chute de Constantinople », art. cité, p. 52.
81AN MC/ET/III/305, 3 octobre 1554, fol. 3v.
82M. Floristán Imizcoz, « Los últimos Paleólogos, los reinos peninsulares y la cruzada », dans P. Bádenas (dir.), Constantinopla 1453. Mitos y realidades, Castellano, Consejo superior de investigaciones cientificas, 2003.
83Daniel Duran Duelt, « Diplomacia de cruzada. Las misiones de Manuel II Paleólogo a la Península Ibérica y la recaudación de subsidios », dans Eloísa Ramírez Vaquero, Roser Salicrú i Lluch (dir.), Cataluña y Navarra en la Baja Edad Media, Pampelune, Universidad Pública de Navarra (Colección Historia, 29), 2010, p. 53-110.
84Voir le Dossier documentaire, no 2.
85Ibid.
86Annick Peters-Custot, Les Grecs de l’Italie méridionale post-byzantine, op. cit., p. 164-181.
87Ibid., p. 166.
88Sur Anna Norasa, voir, Klaus-Peter Matschke, « The Notaras Family and its Italian Connections », art. cité.
89Annick Peters-Custot, Les Grecs de l’Italie méridionale post-byzantine, op. cit., p. 168.
90Répertoire prosopographique, no 259.
91Annick Peters-Custot, Les Grecs de l’Italie méridionale post-byzantine, op. cit., p. 174.
92En juillet 1462, Christophe Pancanty appartient à un groupe ou deux personnes au moins sont religieuses, Nicolas Capella, prêtre originaire de Morée, et Mathieu Arcoclescos, évêque. Il est possible et plausible que Nicolas et Mathieu exercent une forme d’autorité religieuse sur ces hommes. Mais rien n’est sûr. ADN B 2045, fol. 271v-272r.
93Répertoire prosopographique, no 36.
94Mathilde Monge, Des communautés mouvantes. Les « sociétés des frères chrétiens » en Rhénanie du Nord Juliers, Berge, Cologne vers 1530-1694, Genève, Droz, 2015.
95Ibid.
96Répertoire prosopographique, no 104 et 105.
97Répertoire prosopographique, no 69.
98Répertoire prosopographique, no 95, 96 et 97.
99Répertoire prosopographique, no 157.
100Répertoire prosopographique, no 150, no 241, no 315.
101Ces produits sont un des soucis de Démétrios de Cerno. Répertoire prosopographique, no 49.
102Répertoire prosopographique, no 312.
103Les listes des Subsidies Rolls notent fréquemment que d’autres Grecs sont présents à côté des frères Effomatos. Souvent, ceux-ci ne sont pas propriétaires du logement quand Alexis et/ ou Andronic le sont. Ainsi, le 19 août 1457, un Carant Effemathi/Effomatos très probablement parent des deux frères, nous trouvons un Nicholas Greek et Geronimus Grace que nous avons déjà évoqués. Notre hypothèse est que ces personnages, locataires, sont liées aux deux frères, logent dans leur maison, trouvant ainsi un toit, une aide découlant de liens amicaux ou économiques forts et actifs, internationaux ; PRO E 179/236/74.
104Frédéric Corac/Korax entre 1528 et 1529 ; Alexandre, Jean et Marin Deustereno en 1528-1530, 1532-1539 et 1538-1541 ; Démétrios Grec en 1532 ; Jean Nadal en 1532 ; Gaspard de Venise en 1532 ; Théodore de Bragdymène entre 1528 et 1538. Répertoire prosopographique, no 32, no 77, no 95, no 96, no 97, no 148, no 150, no 241, no 315.
105Il s’agit de Georges Korézès et de ses fils Antoine et Démétrios actifs en 1539 et bénéficiaires de lettres de naturalité. Un neveu, Paul, est présent en France en 1567. Répertoire prosopographique, no 185, no 186, no 187, no 188.
106Répertoire prosopographique, no 259.
107Le même type de raisonnement opère également pour les marchands du port de Londres. Dès lors qu’Andronic Effomatos réceptionne des marchandises en même temps, et sur des galères identiques que celles de Georges de Chypre/Nicosie, Andronic de Loro ou Démétrios d’Arta, il est plausible que ces personnes se connaissent, à défaut de se fréquenter ; PRO E 122/203/3.
108Né en 1401, Guillaume est fils de Jean Ier Jouvenel des Ursins avocat général au Parlement de Paris et frère de Jean II Jouvenel des Ursins alors archevêque de Reims et chroniqueur. D’abord conseiller au Parlement de Poitiers, il occupe diverses fonctions comme bailli de Sens ou lieutenant du gouverneur du Dauphiné. Guillaume est nommé chancelier de France en 1445, poste qui lui vaut d’être sollicité par Francesco Filelfo, Nicolas Tarchaneiotès et Alexandre Kananos.
109Si Francesco Filelfo n’est pas mentionné, les Grecs arrivent toujours de Milan et bénéficient de l’aide du roi (peut-être par l’entremise de Guillaume Jouvenel des Ursins). Seul Thomas Francos n’apparaît pas, étant alors décédé. Répertoire prosopographique, no 187 et 302.
110Les quelques informations que nous avons pu glaner sur certains Grecs parmi les plus célèbres de notre documentation permettent de tisser un ensemble de liens plus ou moins dense et stable avec certains personnages, grecs ou non. Néanmoins, aucun ne correspond à un réseau complet et satisfaisant. Pierre Mercklé aborde la question des modèles les plus adéquats et définit deux types de réseaux : le plus classique tente d’envisager l’ensemble des relations d’un groupe de la manière la plus empirique possible ; un modèle alternatif s’attache plus volontiers à définir les relations et connexions d’un seul personnage dans une lecture plus personnelle des réseaux. Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte (Repères), 2016, 3e éd. [éd. orig. 2004], p. 30-35. Voir également Isabelle Rosé, « Institution, représentation graphique et analyse des réseaux de pouvoir au haut Moyen Âge. Approche des pratiques sociales de l’aristocratie à partir de l’exemple d’Odon de Cluny († 942) », REDES Revista hispana para el análisis des redes sociales, 21, décembre 2011, p. 200-272. Nous avons choisi de privilégier également ce modèle personnel pour les cas de Thomas Francos et de Démétrios Paléologue (3). En effet, ces deux personnages fournissent les deux meilleures possibilités de réseaux sociaux, compte tenu de nos sources. Cette situation documentaire pour le moment disparate empêche de pouvoir inclure les deux Grecs dans des ensembles de sociabilités plus larges (comme celui des milieux curiaux), les relations étant trop ténues : il est par exemple difficile de prouver à coup sûr que Thomas Francos ait côtoyé le monde des officiers curiaux proches de Guillaume Juneval des Ursins même si des liens indirects existent (avec Francesco Filelfo, Nicolas Tarchaneiotès ou Alexandre Kananos). Tableau no 7 ci-dessus. De plus, l’analyse centrée autour de ces personnages permet plusieurs observations utiles quant aux relations avec leurs coreligionnaires : si Thomas Francos entretient de réels liens avec d’autres Grecs, Démétrios Paléologue n’est en contact direct qu’avec ce mystérieux Jean Laskaris, les autres Grecs de l’entourage royal (comme les fauconniers Deutereno) ne faisant l’objet que d’hypothèses. Tableau no 8 ci-dessus. L’officier de François Ier semble comme moins relié avec le monde grec que le médecin de Charles VII surtout à partir des années 1540 : les orientations et centres d’intérêt évoluent.
111Les références à leur forte amitié transparaissent dans certaines formules comme « si me amas » dans les lettres envoyées par le Florentin. Francisci Philelfi Epistolari, op. cit., p. 415.
112Ibid., p. 415, 419, 432.
113Guillaume Francos, obtient en 1454, la jouissance d’une charge de chanoine à Lodève, privilège confirmé par la Curie romaine. Il est alors étudiant à Padoue. Lat. Reg CCCCXCII fol. 220d, fol. 311, fol. 312.
114BnF ms. Gr. 2966.
115Répertoire prosopographique, no 179.
116À cette occasion, Hermonymos semble accomplir une première copie d’un texte grec. Maria Kalatzi, Georgios Hermonymos, op. cit.
117Voir le Dossier documentaire, no 1.
118Borthwick Institute of Historical Research, York, reg. 20, f. 167v-168.
119Vincent Déroche, Nicolas Vatin (dir.), Constantinople 1453, op. cit., p. 761-769.
120BnF ms. fr. 32511, fol. 191r.
121Le PLP ne mentionne aucun Georges Diplovatazès contemporain mais met en évidence 13 personnages portant ce patronyme (transcrit sous la forme Diplobatatzes) : un protovestiaire en 1350 ; un Théodore actif entre 1429 et 1447 ; plusieurs moines entre le milieu du xive siècle et le xve siècle. PLP, no 5506 à 5516.
122« A maistre Robert secrétaire de monseigneur le Dauphin et Alexis conte de salubria grant connestable de Constantinoble la somme de trois cens livres de XLII monnaie de livre pour don a eulx fait par mondit seigneur pour les causes qui poursuivent […] Audit conte de Salubria pour lui aidier a deffraier des pays de mondit seigneur de (un mot) ou il est naguaire venu don a lui et pour cy retrouver VIxx l. A George d’Armegne chevalier aussi de Constantinoble pour semblable don XXXVI l. Et a damp Anthoine abbé de Sainte Marie de Sagitane oudit royalme de Constantinoble pour semblable don XXIIII l. Pour quatre pauvres par mandement de mondit seigneur ledit Cinquième jour daoust mil IIIIc cinquante cinq ». ADN B 2020, fol. 346r.
123BnF ms. fr. 5909, fol. 158. Répertoire prosopographique, no 46, 196 et 197.
124Thierry Ganchou, « Le prôtogéros de Constantinople Laskaris Kanabès (1454). À propos d’une institution ottomane méconnue », art. cité, p. 211.
125Ibid., p. 215.
126Ibid., p. 217.
127BnF ms. fr. 32511, fol. 190r-v.
128AN, Registres du Trésor des chartes, II, 182, p. xxxviii.
129Entre 1515 et 1538, Everard/Eberhard est impliqué dans les affaires de succession de Thomas puis de Robert Cutbert. PRO C 1/399/32. D’autres testaments l’impliquent à la même époque : celui de Thomas Assheburnham en juin 1523 ; celui de Richard Higons of Longedon dans le Shropshire en février 1534 ; PRO Prob 11/21, fol. 171r ; Prob 11/25, fol. 128 Dans le testament de Stephen Lound du 4 avril 1528, Everard apparaît aux côtés de William Goodriche, médecin et Edmund Hobson, chiffonnier, tous londoniens. Même si Everard agit à titre professionnel, quoique descendant d’ancêtres grecs et probablement germaniques, le scribe n’en reste pas moins en lien avec des locaux, notables ou marchands londoniens ; PRO Prob 11/23.
130AN MC/ET/XIX/172 ; AN MC/ET/XIX/158.
131AN MC/ET/III/305. L’inventaire après décès mentionne des meubles taillés, des tableaux, des bijoux, de la vaisselle d’argent. Un contrat de mariage est également mentionné, pièce fondamentale pour le bon déroulement de la succession de Jeanne de Vitry.
132Le 7 janvier 1555, un nouvel inventaire est effectué à la demande de Démétrios Paléologue (3), afin de dissiper les suspicions de détournements ; AN MC/ET/III/120. Le 27 juillet, les comptes des fermiers commis à l’administration des biens de Thibault de Vitry et de sa fille Jeanne, sont validés et confirment Démétrios dans ses fonctions ; AN MC/ET/XIX/198.
133AN J 96211, no 36. Une hypothèse est cependant possible. Ce Jean Laskaris est lié aux ambassadeurs ottomans puisqu’il s’assure de la bonne transmission de fonds alloués à ceuxci par la couronne de France. Il est même sensé délivrer des quittances à Démétrios. Jean fait vraisemblablement partie de l’expédition ottomane et sert d’interface avec la chancellerie française. Or, en 1536, à Venise, le chef de la délégation ottomane présente en Occident – et qui est très logiquement la même que celle qui se présente ensuite en France – est Yunus/Janus Bey, un Grec. Il est donc possible que ces deux personnages n’en fassent qu’un. Ce lien entre Yunus et Démétrios pourrait s’avérer une piste plausible afin d’expliquer le parcours de Démétrios depuis Constantinople jusqu’à Paris.
134Le récit de l’ambassade du baron de Saint-Blancard en 1537-1538 est à ce sujet éloquent. Alors que les contacts avec la Porte restent dans l’impasse, Démétrios, interprète du baron, disparaît et ne refait surface que plusieurs jours plus tard. Le Grec était passé par Péra pour saluer quelques connaissances et, par la même occasion, obtenir le moyen d’entrer en contact officiel avec la diplomatie ottomane ; BnF ms. fr. 12528, p. 340.
135Voir graphique 3.
136Voir graphique 2.
137Répertoire prosopographique, no 27.
138AN JJ 211 no 496.
139Répertoire prosopographique, no 185 à 188.
140Jean-Philippe Genet, E. Igor Mineo (dir.), Marquer la prééminence sociale, Rome, École française de Rome (Le pouvoir symbolique en Occident [1300-1640]), 2014.
141Boris Bove, « L’élite bourgeoise de Paris et l’expression de sa notabilité », dans ibid., p. 95-114; Gil Bertholeyns, « Gouverner par le vêtement : naissance d’une obsession politique », dans ibid., p. 215-232.
142Jean-François Chauvard, « Conclusion II », dans ibid., p. 383-390.
143Ibid., p. 385-386.
144Thierry Ganchou, « Le rachat des Notaras après la chute de Constantinople ou les relations “étrangères” de l’élite byzantine au xve siècle », art. cité.
145Boris Bove, « L’élite bourgeoise de Paris et l’expression de sa notabilité », art. cité, p. 98.
146Répertoire prosopographique, no 60.
147Répertoire prosopographique, no 161, 162, 168, 169 et 174. La rareté de la présence grecque en Cornouailles, très probable en ce milieu du xve siècle, justifie alors ce patronyme, issu d’un potentiel surnom populaire. Un autre moyen de distinguer une famille du reste des membres d’une société.
148Répertoire prosopographique, no 165.
149Répertoire prosopographique, no 104, 105, 115, 148, 149, 112, 95, 32, 146, 16, 158 et 224.
150Calendar of State Papers and Manuscript, Milan, vol. 1, no 240.
151Gil Bertholeyns, « Gouverner par le vêtement : naissance d’une obsession politique », art. cité, p. 219 ; Michèle Bubenicek, « Marquer la prééminence sociale dans la noblesse française médiévale. Du rôle du bijou et du vêtement à travers deux exemples genrés, au xive siècle », dans Jean-Philippe Genet, E. Igor Mineo (dir.), Marquer la prééminence sociale, op. cit., p. 115-127.
152Bulletin de la société nationale des antiquaires de France, p. 90 1897.
153Cabinet des titres, Orléans XII, 781, octobre-décembre 1475.
154Répertoire prosopographique, no 148.
155Répertoire prosopographique, no 310.
156Répertoire prosopographique, no 115, 101 et 59.
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