Introduction de la troisième partie
p. 221-222
Texte intégral
1Les Grecs ne quittent pas une structure sociétale, le plus souvent en crise, pour ne rien trouver à l’autre bout du chemin. Les territoires qu’ils abordent ont depuis longtemps défini des bases sociales de fonctionnement qui confèrent aux sociétés anglaise, bourguignonne et française, malgré les changements et le pluralisme culturel qui les traversent elles aussi, une cohérence à laquelle les Grecs ne sont pas nécessairement préparés. Or, l’enjeu majeur pour ces populations consiste en une tension constante entre une intégration pleine et entière aux sociétés qu’elles rencontrent et au contraire un refus de la part de celles-ci qui peut s’exprimer par un nouveau départ. Entre ces deux extrêmes, une voie médiane est souvent adoptée et consiste en l’organisation des Grecs en structures internes plus ou moins complexes dans le cadre plus large des sociétés d’Occident. Comme lorsqu’il s’agissait d’identifier ces Grecs et de les faire correspondre à des modèles types, ici les Hellènes s’insèrent dans des jeux d’échelles que l’historiographie a longtemps laissé de côté.
2Nous tenterons de donner une cohérence à ce petit jeu de matriochkas en jouant constamment avec les échelles d’analyse. Les vicissitudes de la conservation documentaire laissent parfois quelques opportunités qui bénéficient à notre réflexion. Ainsi, la préservation de registres de paiements de taxes imposées aux étrangers de Londres pour la période 1440-1485 offre la matière nécessaire à une micro-analyse de l’organisation urbaine de la population grecque. La comparaison avec les situations connues en Italie ou avec les observations à plus grande échelle nourrit la progression de notre récit. Les comportements des Grecs selon ces mêmes échelles seront passés au crible : un Grec marchand opérant sur les docks de Londres se comporte-t-il de la même façon qu’un courtisan au service d’un nouveau maître occidental, qu’il soit roi ou duc ? Ce jeu à plusieurs niveaux est une opportunité de mettre au jour la plupart des liens sociaux entretenus par les Grecs, qu’il s’agisse de ceux qu’ils ont conservés de leur passé ou de ceux qu’ils ont su recréer dans les nouvelles sociétés qu’ils intègrent.
3Cette seconde partie est conçue comme un moment de bascule dans notre démonstration. En effet, grâce aux deux chapitres qui vont suivre, nous mettrons en évidence une progression depuis un centre constitué par l’analyse sociologique des Grecs en tant que groupes humains concrets vers la mise au jour de Grecs fictifs résultant de la production de récits et objets d’images plus ou moins réalistes et certainement constamment réactivées dans la littérature concernée. Or, un passage obligé est de mettre en mouvement ces individus, de les mettre aux prises avec leurs réalités sociales propres avant de les confronter aux sociétés qui les rencontrent et qui s’expriment en premier lieu dans les cercles les plus proches du pouvoir. Le chapitre 5 s’attachera à aborder le fonctionnement interne de ces Grecs venus de si loin en se posant avant tout la question de l’existence réelle de comportements sociétaux grecs au nord des Alpes. Les formes observées de l’organisation des Grecs une fois arrivés en Angleterre ou en France ouvriront sans nul doute la voie à la comparaison et au débat avec les grandes questions historiographiques qui animent encore aujourd’hui la science historique des migrations – diasporas, communautés, etc. En appliquant sans restriction notre nouvel outil d’analyse scalaire, nous pourrons passer au crible les différents modes de vie mis en place par les Grecs ainsi que les degrés de sociabilités atteints par ceux-ci. Le chapitre 6 découlera logiquement de ces observations en changeant légèrement le cadre d’analyse. Il s’agira alors de confronter ces sociabilités grecques aux principaux interlocuteurs que ces derniers ont eus lors de leurs passages en Occident, à savoir les membres des sociétés politiques de la plupart des États d’Europe occidentale. Certes, notre cadre nous limite principalement aux trois espaces politiques anglais, bourguignon et français, mais nous ne nous priverons pas une fois encore du bien du comparatisme avec d’autres situations observées ailleurs. Ainsi, les Grecs ne font pas que se déplacer d’un cadre géographique à un autre : ils doivent chercher à intégrer ces espaces politiques, à s’en faire apprécier afin qu’on se les attache. Les Grecs de cette époque charnière deviennent un enjeu politique, un outil de pouvoir que des princes en quête de prestige ne peuvent négliger. L’intégration des Grecs aux sociétés politiques d’Occident déborde ainsi du simple cadre anthropologique adopté jusqu’ici pour aborder un terrain où réalité et fiction sont deux facettes d’un même outil discursif et idéologique.
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