Les archives de la RATP, l’ethnologie, et les étudiants en histoire
p. 11-13
Texte intégral
1L’univers de la RATP, et plus généralement celui des transports urbains, constituent des objets d’étude idéaux pour l’ethnologie qui se donne pour mission d’étudier « ce qui fait qu’un groupe humain agit dans un certain temps et dans un certain lieu comme un tout » (André Leroi-Gourhan, 1965).
2La RATP, par son projet même (liaison des différents points du territoire, facilitation des accès d’un point à un autre, réduction des conséquences de l’éloignement), par l’organisation de son fonctionnement (organisation en réseau du service, relations entre les différentes implantations, histoire et caractéristiques du recrutement des agents), enfin par les différents types de représentations suscitées (diffusion des couleurs et des objets emblématiques dans le public, image des différentes catégories du personnel, fonctions sociales informelles des lieux et des véhicules de la RATP, décor et source d’inspiration de la création artistique, de Raymond Queneau à Serge Gainsbourg et Roman Polanski), assume une formidable entreprise d’intégration spatiale et sociale en même temps qu’elle porte une dynamique culturelle fondamentale. Cette société d’entreprise anciennement ancrée dans la société urbaine reflète celle-ci tout autant qu’elle intervient dans son fonctionnement, de façon compréhensive, mais aussi dans le conflit, tant il est vrai en citant Marc Bloch « qu’une société n’est pas une figure de géométrie ».
3Le fonctionnement des transports urbains et particulièrement de ceux de la région parisienne exprime ces processus d’interactions et offrent quantités de sujets d’étude à l’ethnologie, à la recherche des trames matérielles, sensibles, psychologiques, symboliques qui caractérisent la cohésion et les frontières des groupes, indicateurs des valeurs communes et des lignes de fracture. Dans le temps de la journée, dans les rencontres des hommes, des images, des modèles sociaux, les transports en commun jouent un rôle prépondérant. Il n’est pas d’étude ethnologique de Paris qui ne doive faire place pour l’ethnomusicologic, aux musiciens du métro, pour les images de la rue aux publicités des stations d’autobus ou des quais du métropolitain... La force intégrative de la société de la RATP se lit jusque dans la proportion significative d’enfants, de petits-enfants d’agents, d’agents eux-mêmes qui ont consacré à l’histoire de la RATP les travaux universitaires qui constituent la matière de cette journée.
4Dès ses origines, le Musée national des Arts et Traditions populaires a été sensible à l’importance culturelle des transports urbains, et abrite, par exemple, dans ses collections d’objets vingt-cinq « échantillons de céramique du métropolitain » et six pièces d’uniforme d’agents accompagnées des outils du receveur (collecte 1972), la photothèque conserve depuis 1937 les clichés des activités de l’Amicale populaire du métro de Choisy pendant les journées de Juin 1936.
5Pour l’ethnologie encore, l’apport des archives, l’inscription dans l’histoire des faits observés va de soi. Parmi les innombrables colloques qui ont été consacrés aux relations entre l’histoire et l’ethnologie, je rappellerai la participation des fondateurs de l’École des Annales au colloque d’ethnologie de l’Exposition de 1937, plus tard dans les années 1950, le colloque « Ethnologie et histoire » animé par le doyen de Boüard, initiateur en France de l’archéologie médiévale, aujourd’hui la présence tutélaire du Professeur Maurice Agulhon au sein des plus hautes instances de la Société d’ethnologie française.
6Sur le terrain, les leçons de l’histoire s’imposent dans les fonctions, les lieux (aujourd’hui la succession du dépôt d’Aubervilliers au dépôt du Hainaut n’est évoquée que dans un roman Série noire de Daniel Piccouly, Les Larmes du chef), et, on le constate, dans les représentations enfin de cette entreprise. Il s’y intègre les expériences accumulées, les solidarités, les tensions et les responsabilités assumées, les réponses à la conjoncture et les anticipations des périodes à venir.
7Les premiers travaux universitaires d’étudiants de maîtrise d’histoire se sont fondés sur des ensembles d’archives dont l’existence et la consistance étaient connues d’expérience, à moins qu’à force d’ingéniosité, de travail et de chance, ces étudiants n’aient constitué eux-mêmes leur corpus d’étude en établissant la liaison entre les différents lieux de conservation des archives de l’entreprise.
8La mise en place par Henri Zuber de la mission Archives de la RATP, aujourd’hui l’unité « Mémoire de l’entreprise - Information documentaire », l’installation de l’équipe de ses adjoints, en ces temps héroïques, Claude Berton, Joëlle Tissanié-Noir, Nicole Palusseau, M. Barbezat, avant que l’équipe de Catherine Mérot ne s’étoffe à partir de ce premier groupe fondateur, a entraîné le repérage de fonds d’archives cohérents ce qui, joint à l’alchimie de l’accueil et du soutien réservé aux étudiants, a permis que soient soutenus presqu’une vingtaine de diplômes de maîtrise d’histoire et que soient menées à bien les thèses d’Élise Feller et de Sheila Hallsted-Baumert.
9La rationalisation de la gestion des archives de l’entreprise, en généralisant l’accès à des sources spécifiées quant à leur origine et leur fonction, a encore permis d’analyser la dynamique de phénomènes sociaux (Élise Feller, « Vieillir à la RATP »), de décrire et d’élucider des représentations mythiques (Robert Kosmann, « Les mouvements sociaux au dépôt de Championnet »), d’éclairer et d’interpréter des phénomènes discrets ou difficilement déchiffrables (Véronique Protais, malheureusement absente de ce colloque, « La gestion du personnel prisonnier de guerre 1940-1944 »), la précision de données impressionnistes (Valérie Antelmi, « Les incidents du métro pendant la guerre ») ou la mise en évidence de dynamiques sociales peu étudiées à l’époque, concernant le mouvement mutualiste ou la permanence des œuvres sociales antérieures à l’instauration de la législation sur les comités d’entreprise (Isabelle Pruvot). En même temps, le traitement des grands sujets relatifs à l’histoire des métiers, des mouvements sociaux, à la traversée du dernier conflit mondial, s’est trouvé facilité et les études se sont multipliées.
10Aux premiers effets de la réussite de cette première campagne de sauvegarde et de mise en valeur des archives de la RATP, s’est ajoutée la découverte de l’importance, quantitative et qualitative, d’archives complémentaires relevant d’institutions partenaires de l’entreprise. La publication du Guide des sources de l’histoire des transports publics urbains à Paris et en Île-de-France. xixe-xxe siècles donne l’exemple de la richesse des Archives de Paris.
11Nouvelle mise en ordre, nouvelles découvertes, nouvelles perspectives pour la recherche. On rêve d’autres programmes d’étude qui s’attacheraient à l’histoire des publics de la RATP, aux « coutumes » d’entreprise... On se languit d’attendre la publication d’un autre guide qui donnerait l’inventaire des « archives sensibles » que constituent les fonds cinématographiques et photographiques, celles qui rendent compte des choix des graphismes signalétiques, des inventaires de collections d’uniformes...
12Un univers d’informations à étudier, une autre façon de comprendre la Ville. Les étudiants et les chercheurs seront nombreux à prendre le chemin de la belle et accueillante médiathèque de Bercy.
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