Chapitre 7. L’Ordnungsphilosophie face au « chaos spirituel » de l’Europe : vivre d’un « parfum de vase vide »
p. 157-170
Texte intégral
Tout ce qui est ancien semble usé ou dévalorisé, tout est devenu mou et spongieux, l’absolu s’est fait relatif et la base solide des normes, des principes et des croyances paraît sapée, pourrie ; l’esprit sceptique et le « soupçon idéologique total » (H. Plessner) ont tout corrodé. « L’haleine chaude et inquiétante du fœhn », que déjà Nietzsche avait sentie, a accompli son œuvre. « Nous vivons du parfum d’un vase vide », avait dit Renan à la fin de sa vie. Mais qu’est-ce qui devra remplir ce vide ?
Wilhelm Ropke, La crise de notre temps, trad. par H. Faesi et C. Reichard, Neuchâtel, La Baconnière, 1945 [1942], p. 14-15.
1En citant Renan, Ropke installe le décor du drame qui se j oue, selon lui, depuis près d’un siècle dans l’Europe « relativiste » et « agnostique » de Voltaire et Rousseau. Le vase renvoie à l’économie spirituelle de la communauté humaine, celle qui aurait été sacrifiée sur l’autel du rationalisme et de la lutte des classes. Le parfum se réfère, quant à lui, aux normes et aux valeurs intemporelles du christianisme, en l’occurrence « la culture d’une libre-personnalité, [l’] équilibre entre l’indépendance et la discipline qui conviennent à l’homme et à la société [...] délivrée du péché originel de la violence et de l’exploitation1 ». Haine de la modernité mais désir de dépasser un nostalgisme morbide, retour à la personne humaine libérée d’un sociologisme myope, défense de l’ordre, de l’autorité et des hiérarchies naturelles entre fonctions complémentaires, la philosophie de Ropke résonne étonnamment avec celle de certains « non-conformistes » français. Bien qu’aucune communauté discursive n’ait encore été attestée entre l’École de Fribourg et les acteurs du réseau Esprit-Ordre nouveau, plusieurs indices nous permettent d’élaborer l’hypothèse d’un « air de famille » entre la philosophie réactionnaire des uns et la doctrine conservatrice des autres. Premièrement, comme le rappelle Veronika Heyde, Emmanuel Mounier est « très apprécié des milieux intellectuels helvétiques éclairés, mais aussi des intellectuels et hommes politiques réfugiés dans la Confédération2 ». Il n’est donc pas impossible que Ropke ait été familiarisé avec les idées de Mounier quand il arrive en Suisse en 1937. En outre, il est intéressant de constater que Ropke recourt à plusieurs reprises au terme Personlichkeitskultur3 dans Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart ; ce qui pourrait faire écho au « personnalisme » de Mounier. Enfin, l’historien Bernhard Loffler évoque l’influence de la doctrine personnaliste sur les penseurs de l’économie sociale de marché, au premier rang desquels Alfred Müller-Armack et Wilhelm Ropke4. De fait, comme le suppose d’ailleurs le traducteur de Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, comment ne pas voir dans les mots de Ropke la réappropriation du diagnostic de Mounier ? Citons, en français, cet extrait de La crise de notre temps :
[La société] s’est décomposée en masses d’individus abstraits, aussi isolés et solitaires en leur qualité d’hommes qu’entassés comme des termites, en tant que porteurs de fonctions sociales.
2Opposons-lui à présent cet extrait du Manifeste au service du personnalisme dans lequel Mounier dépeint « les masses » :
[Une] société sans visage, faite d’hommes sans visage où flotte, parmi des individus sans caractère, les idées générales et les opinions vagues, le monde des positions neutres et de la connaissance objective. C’est de ce monde règne de « l’on dit » et de « l’on fait » que relèvent les masses, [ces] agglomérats humains.
3Que ce soit donc dans un retour modernisé à la personne au travers du « personnalisme » ou de la Personlichkeitskultur ou dans une condamnation de la prolétarisation de la société européenne celle des « masses » et de la Vermassung-, la résonance entre les pensées « non conformiste » et « ordolibérale » semble claire.
4Si cette hypothèse nous paraît stimulante, c’est qu’elle apporte du grain à moudre à l’idée selon laquelle l’économie sociale de marché se serait imposée comme une doctrine synthétique, à la fois novatrice et presque2 déjà consensuelle. Reprenant, relayant et informant le personnalisme français des années 1930, la philosophie ordolibérale actualiserait le diagnostic de Mounier et l’intégrerait à sa propre vision du monde, formant ainsi une nouvelle communauté intellectuelle au moment du traité de Paris, et plus encore de la négociation du traité de Rome. Cette permanence idéologique permettrait en outre de comprendre comment les deux généalogies se sont rejointes, notamment autour du concept de subsidiarité, à partir des années 1960-1970, quand bien même les ordolibéraux allemands s’opposaient initialement au planisme d’une partie de la généalogie française.
5Afin de déconstruire l’idéologie de l’ordolibéralisme ropkien notamment et d’analyser ses éventuelles résonances avec le personnalisme de Mounier, nous commencerons par étudier comment la Personlichkeitskultur se propose de répondre au « chaos spirituel » qui atomise l’Europe. Pour ce faire, nous reviendrons sur les racines chrétiennes de l’ordolibéralisme en travaillant les effets de citation entre l’archive de la pensée ordolibérale et le Quadragesimo anno de Pie XI. À partir de là, nous montrerons comment le principe de subsidiarité, explicité dans l’encyclique papale, a opéré un « consensus par recoupement3 » entre les généalogies française et allemande à la suite du traité de Rome. Puis, nous reviendrons sur l’horizon moral de l’économie sociale de marché. Il s’agira alors de voir qu’entre « eudémonisme social » et « laissez-faire » manchestérien, l’ordolibéralisme a préparé les conditions de possibilité d’un paternalisme socio-économique compatible avec le marché4.
La Personlichkeitskultur : une réponse à « l’effritement moral et spirituel » de la culture occidentale
6En 1938, Ropke et Rüstow coécrivent un « Mémorandum » à l’occasion de la conférence qu’ils donnent devant la Commission internationale de coopération intellectuelle à Paris. Quelques jours seulement séparent cette conférence du colloque Walter Lippmann et l’essentiel des critiques adressées au libéralisme manchestérien y est déjà esquissé. Dans ce texte significativement intégré au fonds « Spinelli » des Archives historiques de la CE est notamment remise en cause la prédominance de la science économique pour expliquer les problèmes contemporains. Ce scientisme « positiviste » serait en effet incapable de comprendre5 la « crise organique » que traverse la société occidentale faute d’une analyse globale du fonctionnement de l’économie humaine. Parce que cette « économie » mobilise autant des croyances que des faits et autant des relations que des lois, il serait nécessaire de procéder à une synthèse des sciences sociales au sein de laquelle l’économie n’occuperait plus une position surplombante. Dans cette nouvelle vision « compréhensive » de l’économie humaine, la religion sert autant de soubassement moral que de grille d’interprétation sociologique :
L’élaboration de cette alternative dans tous ses détails et ses ramifications est une tâche formidable où les études sur les forces spirituelles (religion, idéologies) joueront un rôle important si l’on veut obtenir des résultats concrets6.
7Ainsi Ropke et Rüstow avancent-ils dans leur « Mémorandum » que la désintégration de la société européenne tient moins au salaire insuffisant des travailleurs ou à une absence de protection sociale qu’à « la dévitalisation de leur existence7 ». Dans cette vision, qui converge avec « la “philosophie de la vie” dont Rudolf Eucken [père de Walter Eucken et prix Nobel de littérature en 1908] fut un héraut majeur8 », la « civilisation de la masse » est accusée d’« absorbe[r] l’individu et ce, non au nom d’une destinée spirituelle, mais en vue de l’accumulation des biens terrestres »9. Seule une analyse sociologique permettrait dès lors de comprendre les causes et les conséquences de la déchristianisation et, plus généralement, de la « déspiritualisation » qui a mené à une perte de dignité de la vie collective humaine. Au cœur du diagnostic élaboré par les penseurs du retour à l’ordre se trouve outre le socialisme et le rationalisme, mamelles inséparables du matérialisme le rôle de l’État, à la fois hypertrophié dans son domaine d’action et atrophié dans sa figure d’ordre10. Cette conception résonne tout particulièrement avec le contenu de Quadragesimo anno (1931), à laquelle les « non-conformistes » du réseau Esprit font également référence. Il s’agit alors de voir comment le principe de subsidiarité s’impose progressivement dans l’idéologie conservatrice et chrétienne-démocrate, tant française qu’allemande.
La « science sociale catholique » et l’ordolibéralisme ropkien
8Quarante ans après l’encyclique de Léon XIII, Rerum novarum (1891), l’Église précise et actualise sa doctrine sociale dans un texte fondamental : le Quadragesimo anno (1931). Alors que la société européenne commence à peine à se remettre de la Grande Guerre, la crise financière de 1929 s’accompagne d’une crise socio-économique qui oblige à repenser l’organisation des rapports entre agents économiques. Dans ce contexte, l’Église reprend la doctrine sociale esquissée quarante ans plus tôt en faisant de la « prolétarisation » l’enjeu majeur de la crise. Elle est bientôt rejointe par une transnationalisation des réseaux chrétiens-démocrates qui aboutit à la fin des années 1940 à la création des Nouvelles Équipes internationales (NEI), un rassemblement de mouvements et de partis dont la jeune CDU favorables à la construction européenne et à la démocratie chrétienne11. Cette nébuleuse se forme progressivement dans les années 1930 tandis que personnalistes français et conservateurs chrétiens allemands adossent leur critique sociale à une crise de la spiritualité européenne. En témoigne, en France, le numéro d’Esprit consacré, en mars 1933, à la « rupture entre l’ordre chrétien et le désordre établi » et auquel collaborent, entre autres, Emmanuel Mounier, Denis de Rougemont et Alexandre Marc. Outre-Rhin, le pont entre la doctrine sociale de l’Église et sa réappropriation par les conservateurs chrétiens s’inscrit dans un réseau de relations amicales. Ainsi, le principal rédacteur du Quadragesimo anno n’est autre que le jésuite Oswald von Nell-Breuning, avec qui Ropke entretient une abondante correspondance12. Mais l’encyclique devient bientôt, en elle-même, une source d’inspiration pour Ropke qui y voit un appel univoque de l’Église à la « restauration d’une économie de marché raisonnable » :
Vous ai-je déjà dit, au fait, quelle joyeuse surprise j’ai eue en lisant récemment le « Quadragesimo anno » dans sa version originale, en latin ? [...] Maintenant, j’en sais plus, et vous devriez vous aussi jeter un coup d’œil à ce très beau document. Le programme de l’encyclique repose fondamentalement sur l’idée de « rédemption prolétarienne » [redemptio proletarium] et de restauration d’une économie de marché raisonnable, contre le pouvoir monopolistique [Monopolmacht]13.
9De fait, il suffit de comparer l’argumentation de Ropke avec la lettre de l’encyclique pour comprendre l’influence de la « science sociale catholique14 » sur l’idéologue du retour à l’ordre15. Premièrement, sur la forme, la démonstration de La crise de notre temps reprend la même structure logique que le Quadragesimo anno : aux facteurs socio-économiques de la crise répond une série de conséquences morales et spirituelles. Cette structure binaire est redoublée d’un traitement analytique opposant les « problèmes » aux « remèdes » (Quadragesimo anno) et le « diagnostic » à la « thérapeutique » (La crise de notre temps). Deuxièmement, sur le fond maintenant, Ropke emprunte à l’encyclique sa condamnation du libéralisme « historique16 » et sa critique de l’« ordre spontané » ; sa méfiance vis-à-vis d’une concurrence désintégratrice du corps social17 ; sa vision de la société comme une « institution organique18 » qui ne saurait souffrir d’opposition entre « ordre économique » et « ordre moral » ; sa conviction que la « justice sociale » ne peut se passer d’un retour à l’« ordre social » réconcilié avec l’autorité ; son appel à la constitution d’une « élite conductrice »19 ; et, enfin, sa défense d’un État fort mais aux compétences restreintes.
De l’équilibre entre homo religiosus et homo œconomicus : le principe de subsidiarité
10C’est précisément au niveau du rôle et de la juste place de l’État que les positions des personnalistes et des futurs ordolibéraux résonnent le plus avec la doctrine sociale de l’Église ; ce dont témoignera Jacques Delors dans ses Mémoires :
[L’origine du concept de subsidiarité] est dans l’héritage religieux.
On peut discuter pour savoir qui a tiré le premier, des catholiques ou des protestants. [...] Mais, trêve de discussion, la plupart des experts estiment que c’est dans les textes catholiques qu’on trouve la première référence à la subsidiarité en tant que principe devant s’appliquer à la société civile et à la société politique, à l’exclusion de l’organisation de l’Église catholique elle-même20.
11Nous avons vu, dans le deuxième chapitre, que Marc et Rougemont défendaient un fédéralisme communaliste capable de protéger l’autonomie de chaque groupement humain contre l’immixtion de l’« État-moloch ». S’agissant de Ropke, il considère que l’homme étant par nature un homo religiosus avant même d’être un homo œconomicus, il doit demeurer des espaces dans lesquels les pouvoirs publics ne sont pas autorisés à pénétrer. La prolétarisation de la société serait d’ailleurs l’une des conséquences de cette pénétration massive de l’État dans les professions et les foyers. Mais alors, comment comprendre que les penseurs français et allemands du retour à l’ordre en appellent à la fois à l’autorité de l’État pour pallier les insuffisances du libéralisme « historique » et à la stricte limitation de son domaine de compétence ? La relecture de l’encyclique s’avère ici déterminante pour comprendre la richesse et la postérité du principe de « subsidiarité21 » qui trouve dans la pensée thomiste son origine. Dans un passage consacré à « l’ordre social », le Quadragesimo anno pose « ce principe si grave de philosophie sociale » :
De même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes22.
12Puisque « l’objet naturel de toute intervention en matière sociale [doit être] d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber23 », la puissance publique ne peut continuer de s’ingérer de manière arbitraire dans le quotidien des groupements naturels (famille, profession, commune) sous peine de détruire « l’ordre social ». Cela ne signifie nullement pour autant que l’État doit occuper une place marginalisée, comme c’est le cas dans le libéralisme « historique ». Bien au contraire,
que l’autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l’excès son effort ; elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’elle seule peut les remplir : diriger, surveiller, stimuler, contenir24.
13Autrement dit, il s’agit de rendre à l’État ce qui appartient à l’État, à savoir le gouvernement de la communauté sociale nationale, non la règlementation des relations qui lie chacun de ses membres25. L’État doit assurer une conduite « paternelle » et « pastorale » de ses administrés en déléguant aux corps intermédiaires l’application des décisions publiques.
14Si Marc et Rougemont voient dans le principe de subsidiarité le pont entre le communalisme de Mounier et le fédéralisme, Ropke prépare quant à lui la réinterprétation de ce principe par les théoriciens de l’économie sociale de marché. De sorte qu’un « consensus par recoupement » se forme bientôt entre personnalistes, fédéralistes et ordolibéraux autour du concept de subsidiarité. Comme le résume Barroche :
Issu du catholicisme social tel qu’il s’est développé sur le continent dès le xixe siècle, diffusé par les publicistes allemands au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce principe [de subsidiarité] a tout naturellement trouvé à s’épanouir dans le processus de construction européenne, à la faveur d’un réinvestissement du terme par les élites européennes. La culture démocrate-chrétienne qui hérite en grande partie du catholicisme social du personnel politique communautaire
a notamment contribué à faire de ce mot une base de dialogue et de consensus culturel26.
15Si la remobilisation institutionnelle du concept de subsidiarité a permis au paternalisme issu de la doctrine sociale de l’Église de peser sur l’élaboration de l’économie sociale de marché27, en quoi l’équilibre entre « ordre social » et « ordre économique » a-t-il trouvé dans le marché son débouché naturel ? Dans quelle mesure cette transition entre État providentiel et État régulateur-assuranciel a-t-elle marqué l’économie sociale de la jeune Communauté européenne ?
L’économie sociale de marché et l’influence de la pensée ordolibérale allemande sur l’économie politique de la Communauté européenne
16Dans le projet avorté du traité établissant une Constitution pour l’Europe (2004), on pouvait lire à l’article I-3 que l’un des principaux objectifs de l’Union consistait à créer « une économie sociale de marché hautement compétitive28 ». Cette notion, qui figure également dans la version « Lisbonne » du TUE (2007), n’est pas mentionnée dans la version originale du TUE au moment du traité de Maastricht (1992). Pourtant, l’économie sociale de marché (ESM) est une notion qui remonte bien en deçà des années 2000. Pourquoi dès lors l’ajouter aux objectifs du traité constitutionnel ? Peut-être pourrions-nous voir dans cet acte la trace, l’archive du mouvement ordolibéral dans la constitutionnalisation de l’économie européenne puisque historiquement l’« économie sociale de marché » renvoie à l’un des principes contenus dans la « constitution économique » théorisée par l’École de Fribourg. Considérée par certains comme le symbole du Wirtschaftswunder allemand, l’ESM permettrait de recréer les conditions d’un « miracle économique » à l’échelle européenne. Pour autant, il convient de remettre cette expression dans son contexte afin de ne pas céder à l’illusion d’une nouveauté qui caractériserait l’union par le marché dans les années 2000. Si elle n’est pas nommée explicitement, la « politique sociale » de l’Union, qui se développe dès les années 1960, doit beaucoup aux principes contenus dans l’ESM. Il s’agit donc de bien cerner les justifications théoriques et les implications pratiques de cette notion.
L’économie sociale de marché : un paternalisme économique à l’origine du Wirtschaftswunder allemand
17L’expression « économie sociale de marché (soziale Marktwirtschaft) » apparaît en Allemagne de l’Ouest aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Théorisée par l’économiste Alfred Müller-Armack29 et le juriste Hans Carl Nipperdey30, puis instituée par le ministre de l’Économie Ludwig Erhard31, l’ESM renvoie à un ordre économique dont l’objectif est de coordonner une économie ouverte à la concurrence, des incitations à la libre initiative et un soutien du progrès social garanti notamment par les performances de l’économie de marché32. Ainsi, plutôt que de voir dans l’État le grand ordonnateur du marché, il s’agit pour les ordolibéraux d’œuvrer à responsabiliser les acteurs impliqués dans la société économique de manière qu’ils se reposent moins sur les pouvoirs publics que sur leur capacité à s’ériger en « entrepreneurs d’eux-mêmes33 ». En ce sens l’économie de marché est dite « sociale » pour désigner le fait qu’elle est le fruit, le produit de la société, qu’elle s’élabore en quelque sorte au sein de la société.
18Deux principes découlent de cette « entrepreneurialisation » de la société : celui de la responsabilité individuelle chacun doit contribuer à la hauteur de ses fonctions, de ses capacités et de ses moyens à la prospérité de tous et celui de la subsidiarité : la puissance publique ne doit intervenir que lorsqu’une action ne peut être accomplie dans de meilleures conditions à un échelon inférieur. L’économie est donc présentée comme l’affaire de tous et non celle d’une oligarchie politique. Partant, l’État se garde de toute intervention qui dépasserait sa fonction de gardien de l’ordre constitutionnel ; il se contente de veiller à ce que la libre initiative ne contrevienne pas aux objectifs fixés par la constitution perçue comme émanation de l’intérêt général. Comme le résume Rüstow :
Un État fort et indépendant est la condition première dans tous les cas, mais l’intervention de celui-ci doit être restreinte à son strict et indispensable minimum ; et ne doit pas être en opposition au fonctionnement
du mécanisme de marché ou perturber la structure du marché ; il doit,
au contraire, les maintenir34.
19Par ailleurs, si cette économie produite par le social est dite « de marché », c’est qu’elle entend s’épanouir à partir d’interactions libres, c’est-à-dire non déterminées et non dirigées. Le marché est ici synonyme d’émulation : parce que les agents sont présupposés égaux, ils doivent pouvoir évoluer dans un espace qui n’entrave pas la compétition saine et naturelle, ce qui permet à chacun de développer sa « souveraineté économique ». Dans ce cadre, l’État n’est pas censé redistribuer les places et les richesses, ou corriger des inégalités temporaires, mais bien permettre à chacun de profiter des opportunités offertes par le marché dans des conditions similaires. Comme l’écrit Foucault, « il faut gouverner pour le marché, plutôt que gouverner à cause du marché35 ». L’État doit maintenir l’égalité à l’entrée du système d’où la lutte contre toute pratique anticoncurrentielle mais il se garde d’intervenir par la suite afin de ne pas déstabiliser les acteurs en présence.
20Alliant « interventionnisme libéral (liberalen Interventionismus)36 » et « humanisme économique37 », le modèle de l’ESM est généralement assimilé au « miracle économique » qu’a connu l’Allemagne de l’Ouest, au moment où Erhard concrétise cette approche au travers de mesures telles que la réforme monétaire de 1948, la libération progressive des prix, la privatisation d’entreprises publiques, l’introduction de la cogestion. Parce qu’elle permet d’optimiser la valeur marchande de la société tout en lui permettant de se prémunir contre les dérives du capitalisme « sauvage », l’ESM est perçue comme un compromis entre les revendications sociales, les motivations patronales et le dessaisissement de l’État dans les affaires économiques. C’est d’ailleurs en tant que modèle en apparence consensuel que l’ESM va progressivement être remobilisée dans le contexte supranational européen.
La « politique sociale » de la Communauté européenne : correctif ou complément à l’achèvement du marché communautaire européen ?
21Au moment des négociations du traité de Rome, la politique sociale n’est pas considérée comme un domaine relevant ou devant relever des compétences communautaires. De fait, si la CE se donne pour principale mission de bâtir un marché commun hautement compétitif, les politiques sociales sont davantage perçues comme de potentiels freins à la rationalisation économique du territoire. La question sociale demeure donc à la discrétion des États qui peuvent décider de rééquilibrer les inégalités produites par cette intégration mais a posteriori seulement ; en principe, la politique sociale est autorisée à compenser un dommage mais non à prévenir un risque ou justifier une intervention préventive en faveur de certains groupes sociaux supposés précaires. Mais progressivement, l’Europe sociale apparaît comme un moyen de répondre au « déficit démocratique » de l’Union européenne. Puisque l’intégration repose sur un marché et non sur un État, l’Union augmenterait sa légitimité en s’emparant des questions sociales qui touchent à la fois le travailleur et le consommateur. Nous sommes ici au cœur de la justification morale de cet intérêt croissant pour la justice sociale. Mais l’on ne saurait ignorer la greffe d’une justification plus proprement pragmatique : de plus vastes compétences en matière sociale permettraient à l’Union de donner aux enjeux sociaux la même compétitivité qu’aux enjeux strictement économiques du marché. Ainsi, en prévoyant, à la fin des années 1960, un mécanisme de compensation pour les agriculteurs contraints de céder leurs exploitations à la suite de la réforme de la Politique agricole commune, le plan Mansholt confère aux instances communautaires un droit de regard inédit sur la rationalisation de l’économie agricole38. En aval, une optimisation de la politique sociale stabilise le marché en le mettant à l’abri des assauts de la « guerre sociale » et de potentiels bouleversements politiques. Si bien que, loin de s’opposer, optimisation du marché et rationalisation de la question sociale semblent faire l’objet d’une attention conjointe de la part des instances communautaires.
22De fait, un certain nombre d’objectifs visant l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre européenne sont déjà mentionnés au moment de la déclaration Schuman et de l’instauration de la CECA39.
23Les compétences des instances européennes demeurent toutefois limitées en matière de législation sociale. En effet, en vertu du principe de subsidiarité, elles n’ont compétence à agir que dans des situations qui excèdent le cadre national. Concrètement, l’objectif d’amélioration des conditions de travail de la main-d’œuvre (visé à l’article 3 de la CECA) n’est fondé que dans le cas où un travailleur est concerné par au moins deux législations nationales différentes, soit parce qu’il est amené à traverser une frontière, soit parce qu’il travaille dans une entreprise multinationale. Or, jusqu’aux années 1970-1980, le travail est encore profondément enraciné dans le territoire national et les travailleurs demeurent peu mobiles ; ce qui restreint de facto le champ d’application d’une législation sociale supranationale. Certes les articles 117 à 122 du traité CEE invitent les États membres à coordonner leur politique sociale. De même, les articles 123 à 128 créent un Fonds social européen. Mais ces mesures ne sont que peu suivies d’effets concrets dans le quotidien de la main-d’œuvre.
24La situation évolue progressivement dans les années 1980 alors que l’emploi se raréfie et se mondialise. Dans un contexte où de plus en plus de travailleurs traversent les frontières pour s’adapter aux métamorphoses induites par l’achèvement du marché intérieur qui s’accompagne d’une spécialisation et d’une division du travail à l’échelle continentale -, une « Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs » est adoptée en 1989. Si bien que la question sociale en l’occurrence celle du travail commence à retenir l’attention de l’Union40 précisément au moment où celle-ci réoriente sa stratégie inclusive en faveur du marché. Ce qui fait dire à Stephan Leibfried et Paul Pierson qu’« on présente en général la politique sociale de l’UE comme un correctif à la construction du marché [alors qu’elle] s’est développée au sein même du programme de construction du marché41 ». L’Europe sociale serait donc en quelque sorte l’alibi de l’Europe-marché en ce sens qu’elle compenserait par la justice sociale les conséquences néfastes du parachèvement de l’ordre concurrentiel, tout en autorisant une remise en cause de certaines pratiques protectrices au nom du respect des règles propres au marché unique42.
25Ainsi l’objectif de plus en plus affiché de la lutte contre le chômage est-il équivoque. L’emploi est certes présenté comme un élément essentiel à la préservation de la justice sociale dont l’UE se veut désormais la gardienne (justification morale) mais sa raréfaction sert également de moyen de pression pour légitimer la rationalisation des politiques salariales nationales (justification pragmatique). Si le marché est présenté comme le meilleur moyen de défendre l’emploi un marché performant se concrétisant en principe par une création d’emplois -, la menace du chômage sert à son tour les intérêts du marché, celui-ci se trouvant alors en position de force pour monnayer la création d’emploi à une politique salariale moins contraignante. S’il est indéniable que la question sociale est entrée de plain-pied dans le champ d’intervention communautaire depuis la fin des années 1980, il n’en demeure pas moins périlleux d’y voir la preuve d’une réorientation communautaire en faveur d’une protection sociale valant seulement pour elle-même.
Notes de bas de page
1Wilhelm Ropke, La crise de notre temps, op. cit., p. 36.Veronika Heyde, De l’Esprit de la Résistance jusqu’à l’idée de l’Europe. Projets européens et américains pour l’Europe de l’après-guerre (1940-1950), Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2010, p. 133. Voir, par exemple, Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, Erlenbach-Zurich, E. Rentsch, 1945, p. 41-42. Bernhard Loffler, « Religioses Weltbild und Wirtschaftsordnung. Zum Einfluss christlicher Werte auf die Soziale Marktwirtschaft », dans Hans Zehetmair (dir.), Politik aus christlicher Verantwortung, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2007, p. 110-124.
2À ceci près qu’au début des années 1950 une partie de l’École française du néolibéralisme s’oppose encore aux thèses ordolibérales venues d’outre-Rhin. Sur ce point, je renvoie à Hugo Canihac, « (Néo-)libéralisme contre (néo-)libéralisme ? », art. cité.
3Julien Barroche, « La subsidiarité. Le principe et l’application », Etudes, 408/6, 2008, p. 777788, ici p. 783.
4Si notre angle d’analyse n’est pas ici celui de la diplomatie, il convient tout de même de replacer l’entreprise idéologique de l’ordolibéralisme, d’influence chrétienne-démocrate, dans le contexte d’une défiance vis-à-vis du socialisme et d’une résistance à la pénétration de l’influence soviétique en Europe. L’élaboration théorique et pratique d’une économie sociale de marché répond donc au moins autant à un objectif politique que socio-économique : l’« Internationale noire » de « l’Europe vaticane » doit prendre en charge une partie de la résistance qu’il s’agit d’opposer à l’Internationale rouge de l’Empire soviétique. Sur ce point, je renvoie notamment à Piotr H. Kosicki, « Image et réalité : la mythologisation française de la démocratie chrétienne de l’après-guerre », Chrétiens et sociétés, 12, 2005, p. 109-128.
5Sur la différence entre « expliquer » les phénomènes naturels et « comprendre » les phénomènes culturels, je renvoie à Paul Ricœur, « Expliquer et comprendre. Sur quelques connexions remarquables entre la théorie du texte, la théorie de l’action et la théorie de l’histoire », Revue philosophique de Louvain, 25, 1977, p. 126-147.
6Mémorandum des professeurs W. Ropke et A. Rüstow, conférence de la Commission internationale de coopération intellectuelle, Paris, août 1938, Archives historiques de l’Union européenne (AHUE), AS-3.
7Ibid.
8Gilles Campagnolo, « Les trois sources philosophiques de la réflexion ordolibérale », dans Patricia Commun, L’ordolibéralisme allemand. Aux sources de l’économie sociale de marché, Cergy-Pontoise, Cirac/CICC, p. 133-148, ici p. 147.
9Ibid., p. 142.
10Ce que pointait déjà Rudolf Eucken, selon qui l’État a « par nature une tendance à traiter toute activité spirituelle comme un simple moyen d’arriver à ses fins et [à reconnaître] aux autres domaines de la vie aucune autonomie [de sorte que] la grandeur politique peut aller avec la stérilité spirituelle » (Geistige Stromungen der Gegenwart, Leipzig, Veit & Comp., 1904, p. 390 et suiv.).
11Sur les origines chrétiennes-démocrates de la construction européenne, je renvoie notamment à Wolfram Kaiser, Christian Democracy and the Origins of European Union, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.
12Wilhelm Ropke, Briefe 1934-1966. Der innere Kompass, Erlenbach-Zurich, E. Rentsch, 1976.
13Id., « Briefe vom 13.5.1943 an Rüstow », dans ibid., p. 69, je traduis.
14Quadragesimo anno, 21. Pour une version française de l’encyclique, voir le site de la Doctrine sociale catholique, https://www.doctrine-sociale-catholique.fr.
15Et ce quand bien même Ropke descend d’une longue lignée de pasteurs luthériens.
16Si Ropke taxe le libéralisme « historique » de « dogmatique », il ne considère pas moins le « vrai » libéralisme, c’est-à-dire le libéralisme « millénaire », comme l’application politique de l’esprit du christianisme : « Un bon chrétien est un libéral qui s’ignore », argue ainsi Ropke.
17« Que la concurrence fût un danger moral et sociologique à limiter et à surveiller afin de prévenir tout empoisonnement du corps social, voilà une vérité qui reste cachée à ce libéralisme historique et surtout à celui du xixe » (Wilhelm Ropke, La crise de notre temps, op. cit., p. 64).
18Raphaël Fèvre, « Du libéralisme historique à la crise sociale du xxe siècle. La lecture de Wilhelm Ropke », Revue économique, 66/5, 2015, p. 901-931, ici p. 908.
19Wilhelm Ropke, Explication économique du monde moderne (Die Lehre von der Wirtschaft), Paris, Librairie de Médicis, 1940 [1937], p. 285.
20Jacques Delors, Mémoires, Paris, Plon, 2004, p. 383.
21Quadragesimo anno, 88.
22Ibid.., 86.
23Ibid., 87.
24Ibid., 88.
25Comme le précise Julien Barroche (« La subsidiarité. Le principe d’application », art. cité) à propos de la doctrine mise à l’honneur par Léon XIII dans Rerum novarum : « L’État doit laisser vivre les corps intermédiaires à l’œuvre dans la densité sociale et respecter le domaine propre des personnes » (p. 779).
26Julien Barroche, « La subsidiarité chez Jacques Delors. Du socialisme chrétien au fédéralisme européen », Politique européenne, 23/3, 2007, p. 153-177, ici p. 164.
27Patrick M. Boarman, Der Christ and die Soziale Marktwirtschaft, Stuttgart, Kohlhammer, 1955.
28« Traité établissant une constitution pour l’Europe », partie 1, titre 1, « Définition et objectifs de l’Union », article I-3, « Les objectifs de l’Union », Conseil constitutionnel, http://www. conseil-constitutionnel.fr.
29Hans Willgerodt, « Alfred Müller-Armack der Schopfer des Begriffs “Soziale Marktwirtschaft” », Zeitschrift für Wirtschaftspolitik, 3, 2001, p. 253-277.
30Hans Carl Nipperdey, « Soziale Marktwirtschaft in der Verfassung der Bundesrepublik Deutschland », 1954.
31Patricia Commun, « La conversion de Ludwig Erhard à l’ordolibéralisme (1930-1950) », dans Patricia Commun (dir.), L’ordolibéralisme allemand, op. cit., p. 175-219.
32Hans Tietmeyer, Economie sociale de marché et stabilité monétaire, Paris, Economica, 1999.
33À ce sujet, voir la lecture que Michel Foucault propose des thèses ordolibérales et plus particulièrement de l’économie sociale de marché dans Naissance de la biopolitique : cours au Collège de France : 1978-1979, op. cit.
34Alexander Rüstow, « General Sociological Causes of the Economic Disintegration and Possibilities of Reconstruction Appendix », dans Wilhelm Ropke (dir.), International Economic Disintegration, Londres, W. Hodge, p. 267-283, ici p. 281.
35Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 124.
36Alexander Rüstow, « Liberal Intervention », dans Horst Friedrich Wünsche (dir.), Standard Texts on the Social Market Economy: Two Centuries of Discussion, Stuttgart, Gustav Fischer, 1982 [1932], p. 183-186.
37Gerd Habermann, « La “mesure humaine” ou l’“ordre naturel” : l’humanisme économique de Wilhelm Ropke et Alexandre Rüstow », dans Philippe Nemo, Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, PUF, p. 937-951.
38« Mémorandum [de la Commission européenne à destination du Conseil européen] sur la réforme de l’agriculture dans la CEE (21 décembre 1968) », p. 1-33. Source : CVCE.
39Dans la déclaration Schuman, il est écrit que « la mission impartie à la Haute Autorité commune sera d’assurer dans les délais les plus rapides [...] l’égalisation dans le progrès des conditions de vie de la main-d’œuvre [des] industries [du charbon et de l’acier] ». Cette mission est remobilisée à l’article 3 du traité CECA : les institutions communautaires entendant « promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre, permettant leur égalisation dans le progrès, dans chacune des industries dont elle a la charge ».
40Avec la signature du traité d’Amsterdam (1997), l’emploi devient pour la première fois une question dite d’« intérêt commun » (art. 109 O § 2).
41Stephan Leibfried et Paul Pierson (dir.), European Social Policy: Between Fragmentation and Integration, Washington D. C., Brookings Institution, 1995, p. 51.
42Les débats sur la « directive Bolkestein », qui ont animé l’opinion publique française au moment du référendum sur le projet de traité instituant une Constitution européenne, s’inscrivent parfaitement dans cette logique. Pour régulariser la situation des travailleurs communautaires amenés à exporter leurs services hors de leur pays d’origine, l’UE propose une directive censée protéger les droits du travailleur mobile mais perçue par de nombreux observateurs comme le cheval de Troie d’une mise en concurrence radicale des systèmes de protection sociale.
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