Chapitre 6. À quelle idée de peuple l’appel au peuple de la voie « démocratique » s’adresse-t-il ?
p. 133-147
Texte intégral
1D’abord prosopopique, le « peuple européen » se transforme bientôt en puissance acclamative. En incarnant l’espoir du fédéralisme européen, le peuple est peu à peu assimilé à l’opinion publique : il permet de mesurer le pouls de la « propagande » fédéraliste davantage qu’il ne la façonne ou ne la recompose. De sorte que si le peuple devient effectivement le principal sujet politique du mouvement fédéraliste, il convient tout au moins de déplier l’ambivalence de cette position. Si, dans les textes, le peuple apparaît comme le sujet des actions à accomplir, s’il est même supposé en être l’acteur, du moins n’en est-il que très rarement l’auteur. Il est appelé à jouer un rôle, mais il ne l’initie pas. Il en est l’avenir, la concrétisation, mais il n’en est pas l’origine. D’une certaine manière, il donne la représentation qui a été écrite pour lui ; il s’identifie à ce rôle qui est supposé partir de lui tout en lui demeurant hétéronome. Si bien qu’il devient, à son tour, le sujet de sa propre représentation. Le peuple joue le peuple, tel qu’il a été « écrit » par son avant-garde. Reste alors à déterminer la part de liberté, c’est-à-dire d’interprétation, qui est laissée au peuple-acteur. S’il n’est pas à l’origine de la pièce qui a été écrite pour lui, en son nom, profitet-il d’une marge d’interprétation suffisante pour lui permettre d’en redevenir l’auteur in fine ?
2Dans un premier temps, nous déplierons le paradoxe qui veut que le peuple soit à la fois « visible partout » et « présent nulle part » dans les écrits des fédéralistes italiens. Puis, nous verrons en quoi la singularisation du « peuple européen » en « demos total » s’accompagne de la mystification d’un peuple qui n’existe plus qu’en tant que seul « peuple révolutionnaire ». Le caractère « plein » de la totalité populaire dissimule l’évidement du peuple en tant qu’agencement complexe et chaotique. Enfin, nous conclurons ce chapitre sur le rôle que jouent les auteurs du « peuple européen » : s’ils sont « sans pouvoir et sans mandat », font-ils, pour autant, encore partie du peuple des « n’importe qui » ? En expliquant au peuple européen ce qu’il doit être, ou en lui révélant ce qu’il est réellement, le militant fédéraliste ne maintient-il pas le peuple dans un incontournable statut de mineur ? Pour mieux s’émanciper du servage statonational, le peuple doit-il (temporairement) donner la main à son libérateur, à savoir « l’avant-garde » fédéraliste ?
« Visible partout, présent nulle part »
3Dans une lettre qu’il adresse à Louise Collet en 1852, Gustave Flaubert écrit que « l’auteur [...] doit être [...] présent partout et visible nulle part1 ». Cette tension entre « présence » et « visibilité » témoigne de l’écart qui réside entre l’« être-là » du créateur et la représentation sensible de la créature. L’auteur présente ce que le personnage représente. À ce titre, le personnage dit « je » et apparaît donc sensiblement dans le texte, de manière à être « visible », quand l’auteur se contente de dire et d’être au travers du verbe. Cet écart entre présence et visibilité, à première vue contre-intuitif, constitue, selon nous, un excellent point de départ pour comprendre ce qui se joue dans la représentation du peuple européen façonnée par la voie fédérale italienne. Seulement, la tension paraît ici inversée : si le peuple européen est « visible partout », il semble, en revanche, « présent nulle part ». Non seulement, il n’existe pas d’archives prouvant la mobilisation effective du peuple en faveur de la fédération européenne il est, à ce titre, significatif que les « cahiers de revendications » du peuple aient tous été rédigés par les militants et les élites du mouvement -, mais, de surcroît, la rigidité avec laquelle les fédéralistes en appellent à la participation du « peuple européen » illustre le transfert d’une convocation du peuple sensible vers la représentation de celui-ci au travers d’une mobilisation de l’opinion publique. Si bien que le peuple n’est plus que l’image de lui-même ; une image à exploiter politiquement, en tant que support de propagande.
Les noms du « peuple européen »
4En italien comme en français, le terme « peuple » (ou « popolo ») est employé comme un hyperonyme commode pour se référer à diverses situations et différentes réalités. S’il ne nous est pas possible de déplier ici toutes les significations et les ambivalences du « peuple2 », observons toutefois celles qui affleurent au fil de la littérature fédéraliste italienne. Au moins trois « peuples » se disputent la position de sujet de la démocratie européenne. Au peuple-laos, qui se subjectivise dans la prosopopée constitutionnaliste de Rollier et sur lequel nous reviendrons au point suivant -, s’ajoutent un peuple-demos et un peuple-plethos. Le peuple-demos est le plus visible dans la mesure où il est présenté comme le protagoniste de la révolution fédéraliste ; c’est le peuple civique, composé de « citoyens européens », indifférent aux divisions ethniques ou nationales qui traversent l’Europe. Ce peuple-demos est maximaliste, englobant et volontariste ; s’il peut être conjugué au singulier, c’est qu’il intègre tous les individus qui croient dans leur destin européen. À ce titre, il se compose autant des « Européens moyens » que des militants de « l’avant-garde fédéraliste ».
5Mais ce peuple-demos n’est englobant que si l’on accepte de se prêter au jeu de la propagande fédéraliste. Si l’on analyse plus rigoureusement les textes d’Albertini et de Spinelli, notamment, on remarque qu’un « peuple du peuple » semble se dissocier du peuple-demos des citoyens européens. Dans les mots de Spinelli, ce peuple s’informe dans la figure de « l’homme de la rue », c’est-à-dire de l’individu lambda, cet « Européen moyen », représentatif d’une certaine « classe », minoritaire en capacité d’action, mais majoritaire en nombre. Or, de ce peuple-plethos, de cette multitude instable et émotionnelle, le peuple-demos des citoyens européens ne saurait être la version synecdotique. Le peuple-demos européen est la version augmentée, instruite et politiquement consciente du peuple-plethos de « l’homme de la rue3 ». Comme l’écrit Spinelli :
Une telle force [capable de renverser le modèle statonational] ne pourra être constituée par le peuple européen tout entier [...]. La force politique européenne ne sera donc formée que par la partie du peuple européen qui aura surmonté les entraves psychologiques posées par le système de la vie politique nationale4.
6À cet effet, si les militants fédéralistes cette pointe avancée de la révolution « postnationale » font évidemment partie de la sphère du peupledemos européen, ils se tiennent en revanche à l’écart du peuple-plethos. Cette dissociation stratégique nourrit amplement la rhétorique militante de Spinelli : lorsqu’il déclare, par exemple, que seul « le peuple européen » est véritablement en mesure de constituer la fédération européenne, ou qu’il convie le « peuple européen » à « établir lui-même sa propre constitution par les méthodes de la démocratie européenne »5, il se réfère au peuple-demos, c’est-à-dire à la masse du peuple-plethos augmenté par l’avant-garde des militants ; a contrario, lorsqu’il déplore que le peuple européen ne comprenne pas toujours l’urgence de l’intégration fédérale, ou qu’il ne soit pas capable de se rendre compte, par lui-même, de sa force, il fait référence au peuple de « l’homme de la rue ». D’où la nécessité de travailler l’homonymie du concept de peuple dans ces textes qui visent autant à penser la démocratie européenne qu’à persuader un public toujours potentiellement électeur.
De la mobilisation de l’homme de la rue à la formation de l’opinion publique
7Si le peuple-plethos est composé d’hommes de la rue à la fois indispensables à la constitution du peuple-demos européen et incapables de prendre conscience, d’eux-mêmes, de leur puissance révolutionnaire -, comment faire en sorte de mobiliser et de canaliser ces « Européens moyens » au profit du combat fédéraliste ? Puisque les j ournaux semblent particulièrement influents dans la construction de l’opinion publique, les fédéralistes fondent peu à peu Europa Federata, Il Federalista, Domani d’Europa et 1l Popolo. Ces publications s’accompagnent souvent de formules d’autorité par exemple, Domani d’Europa se place sous la figure tutélaire de Carlo Cattaneo : « Nous n’aurons pas la paix tant que nous n’aurons pas les États-Unis d’Europe » (1848) et d’interpellations directes à destination du lecteur ; toujours dans Domani d’Europa, Albertini titre l’un de ses articles avec la formule suivante : « Vous êtes les premiers Européens de l’histoire européenne. » À ces traces écrites de démagogie s’ajoutent de nombreuses photos illustrant des hommes manifestant dans la rue pour la cause fédéraliste. Ces initiatives visent clairement à toucher le grand public et à obtenir son soutien massif.
8Comme l’écrit Spinelli, pour gagner l’adhésion du peuple-plethos, il est indispensable de « susciter et d’inspirer un fort mouvement d’opinion6 ». Il écrit d’ailleurs, à propos du Congrès du peuple européen, qu’il entretiendra « le dynamisme de l’opinion publique7 ». Mais le peuple est-il seulement soluble dans les sondages d’opinion ? Le peuple s’incarne-t-il dans l’opinion publique ou bien celle-ci n’est-elle que la représentation d’une position construite d’« en haut » afin que le peuple s’identifie au reflet teinté que les élites lui renvoient de lui-même ? À première vue, pour Spinelli, le positionnement politique de « l’homme de la rue » et l’opinion publique ne sont que les deux faces d’une même pièce ; si les instruments permettant d’évaluer l’opinion publique concluent à une perception positive de l’Europe par le peuple-plethos, cela prouve que celui-ci lui est favorable :
Nos peuples ne sont plus aujourd’hui nationalistes. [...] On peut donner plusieurs preuves directes et indirectes de cet état d’esprit. [...] Chaque fois qu’on interroge à ce sujet l’homme de la rue, à travers des référendums privés, des pétitions, des sondages d’opinion publique, la réponse est nettement favorable dans n’importe quel pays démocratique de l’Europe continentale8.
9Il existerait une transparence parfaite entre le peuple dont la diversité est ici insignifiante et « son » expression. Non seulement le peuple serait réductible à un bloc numérique, mais, de surcroît, il exprimerait directement son positionnement au travers des réponses qu’il propose aux questionnements que d’autres suscitent en lui et pour lui. Cela étant, on peut également faire le pari que Spinelli ne voit pas tant dans l’opinion publique le reflet fidèle du peuple tel qu’il est, que l’image à laquelle on attend qu’il se conforme. La science de l’opinion publique obéirait, dès lors, moins à une volonté de vérité qu’à une approche stratégique de la praxis politique9.
« Procurer au fédéralisme une audience à exploiter à des fins politiques »
10Rappelons que tous les écrits militants des fédéralistes italiens du Manifeste de Ventotene aux libelles accompagnant le Congrès du peuple européen se présentent eux-mêmes comme des textes de « propagande ». Si le terme peut surprendre aujourd’hui, il s’inscrit dans un contexte idéologique singulier pour lequel l’action militante vise prioritairement à manipuler les signes afin de modifier l’attitude de l’adversaire en économisant la manipulation des armes. Il s’agit de diffuser « ce qui doit être propagé » pour que le message politique touche et rallie une audience la plus large possible, l’objectif étant de remporter le combat des idées sans recourir à la coercition physique. Dans ce contexte, chaque positionnement politique est considéré sous l’angle de la propagande : les écrits fédéralistes dénoncent autant la « propagande nationaliste » qu’ils revendiquent la nécessité de mettre en place une « propagande fédéraliste » efficace. La propagande doit permettre de renverser le rapport de force en pariant sur l’usage rationalisé de la prédication et la puissance du nombre inhérent à la démocratie. Dans un premier temps, la démocratie vaut moins pour elle-même qu’en tant que structure dans laquelle le kratos obéit à un principe quantitatif. D’où la nécessité d’influencer le peuple de la rue, ou mieux de « construire » son identité en passant par les outils mis en place par la démocratie.
11Considéré comme une matière mobile et manipulable, le peuple de la démocratie doit être séduit par l’éducation, l’émotion ou l’intérêt. Comme le mentionne la « fiche » d’Il Federalista sur le « Recensement volontaire du peuple fédéral » : « Une grande partie de la population est pour l’Europe, ou le devient facilement si l’on pose le problème10. » La fiche va même plus loin puisqu’elle présente le peuple comme un organe politique « à exploiter » :
De cette manière on peut créer un lien organique entre les fédéralistes, la population de la ville et ses milieux sociaux, en d’autres termes procurer au fédéralisme une audience à exploiter à des fins politiques par l’institution et le renforcement des Comités du Front démocratique pour une Europe fédérale [...] ; par des prises de position politiques qui seront finalement écoutées et publiées par les journaux, etc.11.
12Dans une approche qui n’est pas sans rappeler « l’autre théorie de la démocratie » que propose Schumpeter dans Capitalisme, socialisme et démocratie (1942)12, le peuple est considéré comme un consommateur de démocratie : non seulement il s’agit d’obtenir et de fabriquer son consentement afin de remporter son soutien moral, électoral et financier, mais de surcroît, si la propagande doit passer par une utilisation marketing de la démocratie (invention de slogans complaisants, diffusion d’insignes et de vignettes pour les voitures), cela s’inscrit dans une stratégie de hiérarchisation des fins ; la constitution d’une Fédération européenne soutenue par un peuple fidèle étant l’objectif ultime. Notons alors le cynisme d’une propagande fédéraliste qui, au nom de la démocratie, va jusqu’à conclure que c’est « peut-être [...] la première fois dans l’histoire qu’une propagande politique est payée par ceux à qui elle est destinée [le peuple] et non par ceux qui la font [les militants fédéralistes]13 ».
Du « demos total » au laos messianique
13Le deuxième point qu’il convient d’aborder concerne la singularisation des « peuples européens » en « peuple européen ». Si, dans les années 1940, les résistants recourent encore majoritairement au pluriel, on a vu que l’expression avait progressivement évolué sous la plume de Spinelli aux lendemains de l’échec de la CED. Mais ces deux « peuples » recouvrent-ils la même réalité ? En quel sens les « peuples européens » sont-ils irréductibles au même, alors que le transfert d’un type de peuple vers un autre a pu s’accompagner d’une singularisation ? Et en quoi celle-ci interroge-t-elle la manière dont est appelée à se subjectiviser la démocratie ?
14Si les peuples européens sont perçus en termes de peuple-ethnos, c’est-à-dire en tant que peuples nationaux, irréductibles à une seule et même « nation » européenne, le peuple européen de Spinelli est pensé sur le modèle du peuple-demos, c’est-à-dire du peuple civique, pourvu de droits universels et nourri d’aspirations internationalistes. L’un évolue dans une dynamique centripète, l’autre dans une dynamique centrifuge. L’un s’unit, s’allie ou s’associe à un autre peuple ; l’autre fusionne et se fond dans un autre peuple. Cela étant, si de l’extérieur, le peuple-demos peut sembler plus unanime que le peupleethnos, celui-ci n’est singulier que dans la mesure où il est suffisamment plastique pour s’adapter aux tensions et aux divisions internes à sa constitution. Or, envisager, comme le font Spinelli ou Rollier, un peuple-demos européen absolument consensuel revient à l’idéaliser, c’est-à-dire à le figer dans le carcan d’une idée. Du « demos total14 » au laos mythique, il n’y a plus alors qu’un pas qu’il nous faut à présent franchir.
Démocratie ou république : l’illusion d’un peuple de citoyens unis par-delà les divisions du peuple-ethnos
15Le transfert d’un peuple européen composé d’ethnoï pluriels à un peuple européen constitué à partir d’un seul demos15 constituant est explicité par Spinelli. Selon lui, le « peuple européen » désigne
non une communauté ethnique, car le peuple européen reste composé de nations différentes, mais une communauté de citoyens jouissant des même[s] droits démocratiques et obéissant aux mêmes lois. Le peuple européen n’est pas physiquement une entité différente des citoyens des nations européennes ; il est composé des mêmes personnes ; mais cellesci sont organisées dans des institutions européennes, et deviennent par conséquent capables de développer une volonté politique commune1617.
16À la « communauté ethnique », nécessairement plurielle, Spinelli oppose la « communauté de citoyens » dont la singularisation émerge de sa capacité à « développer une volonté politique commune ». Au peuple bigarré de la communauté ethnique, l’Italien confronte un demos uni par une même volonté générale, un demos totalisant qui n’est pas sans rappeler le peuple que Rousseau opposait déjà à l’okhlos17. De sorte que si le peuple-ethnos répond à une réalité naturelle et héritée, le peuple-demos répond à un volontarisme actif, capable de créer une communauté d’autant plus solide qu’elle repose sur un contrat voulu et accepté par tous. À partir de ce moment, il devient possible de parler d’un seul et même « peuple européen » dans la mesure où les distinctions prépolitiques sont reléguées et confinées au domaine privé, au profit d’une communauté politique dont la souveraineté repose précisément sur la volonté de parler d’une seule voix. Mais si la citoyenneté unit effectivement des individus en une seule et même communauté politique, cette fusion des différences en vox populi appartient-elle encore au domaine de la démocratie ? De la même manière que les Founding Fathers ont longtemps été considérés comme les théoriciens de la démocratie moderne alors qu’ils œuvraient davantage en faveur d’une constitution aristrocratique des États unis d’Amérique18 -, ne sommes-nous pas abusés par les allusions que les fédéralistes italiens font à propos de la démocratie ? Comment une « Constitution européenne » pourrait-elle naître de ce « bazar de Constitutions » qui caractérise, selon Platon19, le régime démocratique ?
17En forçant la suture du demos européen, les fédéralistes soumettent la discontinuité du tissu populaire en un tout homogène, forgé de manière hétéronome par la représentation et l’illusion d’une opinion publique autoréférentielle. Ce commun n’est certes pas biologique ni même culturel mais sa vocation à la totalité n’est est pas moins problématique pour la démocratie.
18Non seulement, l’« autre », c’est-à-dire celui qui ne partage pas l’idéologie de la cause fédéraliste, se voit exclu du processus constituant étant entendu que le « peuple européen » est (uniquement) représenté par la volonté commune de ceux qui se battent pour l’Europe ; mais de surcroît, ce commun univoque tend à réduire le multiple sous la loi de l’un en faisant de l’Europe démocratique le laboratoire, non plus du « tous uns », mais bien du « tous Un ». En paraphrasant Arendt, on pourrait avancer que si le peuple européen « ne veut pas20 », c’est qu’il est, par essence, constitué d’une pluralité libre qu’aucune Constitution ne saurait ordonner sans la violence inaugurale d’une propagande révolutionnaire. Comme le résume Étienne Tassin qui rend pourtant hommage à la démarche des fédéralistes résistants dans certains de ses écrits21 :
L’Europe nous invite à penser un mode du politique dans lequel « le peuple ne veut pas ». Ce qui signifie qu’il n’est pas sujet (assujetti), pas souverain, pas même « constituant » au sens usuel du terme. Ce qu’Arendt nous invite à penser, et qu’elle esquisse dans son Essai sur la révolution, c’est un peuple qui n’est pas sujet parce que pluriel et pas souverain parce que libre (ni maître ni serviteur). Le mot peuple en vient ainsi à désigner une pluralité libre agissant et non un sujet souverain voulant. Soit, pour être explicite : une pluralité et non un sujet, une pluralité libre et non pas souveraine, une pluralité libre agissant et non pas voulant. Avec l’expérience historique d’une Union européenne cosmopolitique, il nous revient de penser sous le nom de « peuple », [...] non plus le sujet d’une volonté autonome mais le réseau d’interactions conflictuelles d’une pluralité22.
19Ainsi, en voyant dans « le peuple européen » l’incarnation d’une « volonté politique commune », et dans le Congrès du peuple européen « le forum d’élaboration de la volonté [ici singulière et unanime] des Européens »23, Spinelli ferait du demos constituant de l’Europe un « sujet souverain voulant », pour reprendre la formule de Tassin. Ce faisant, le « peuple européen » n’est plus « le réseau d’interactions conflictuelles d’une pluralité », mais bien le tissu continu d’une unité consensuelle rassemblée par et dans une vision et un destin communs.
Démocratie ou « laocratie » : la constitution d’un peuple européen investi par une mission transcendante
20Avant d’affirmer que « le peuple ne veut pas », Arendt remonte à saint Paul et à la manière dont celui-ci voit dans le « peuple de Dieu » l’ensemble des hommes qui ont répondu par la foi et la volonté de croire à la prédication des apôtres. Ainsi saint Paul écrit-il dans l’épître aux Galates qu’« en [Abraham] seront bénies toutes les nations » (III, 8) puisque « ceux qui se réclament de la foi, ce sont eux les fils d’Abraham » (III, 7). Ce faisant, saint Paul substitue au peuple-ethnos de la nation un peuple englobant, uni pardelà les frontières dans sa volonté de croire. Ce peuple englobant ne prend ni le nom d’ethnos (puisqu’il est indifférent aux nations), ni le nom de demos (puisque s’il obéit à la Loi, il n’en est pas le dépositaire souverain). Comment donc nommer ce peuple uni dans sa seule volonté de s’unir et de croire en un principe transcendant et immatériel ?
21Ce peuple, Balibar propose de le nommer laos. En s’appuyant sur Homère pour qui le laos renvoie au peuple des guerriers ainsi que sur des sources hébraïques24 pour lesquelles le laos renvoie au « peuple élu de Dieu » par opposition aux autres peuples que les textes nomment ethnè -, le philosophe voit dans le laos le « peuple idéal investi d’une mission transcendante et identifié par cette mission25 ». Dans un autre texte, il y voit un peuple entendu « comme idéalité collective, investie d’une mission ou porteuse d’un destin26 ». Le peuple-laos est uni dans une idée collective qui le dépasse et dans laquelle il décide, volontairement, de croire par-delà ses appartenances héritées et ses identités culturelles. Aucune division ne le traverse puisqu’il n’existe que dans l’image qu’il se renvoie ou qu’on lui renvoie de lui-même. Contrairement au peuple-demos, qui repose tout au moins sur les droits et les devoirs concrets du citoyen, ce peuple est immatériel et symbolique.
22Si ce détour par le peuple mythique de la communauté unie dans la volonté de croire et le sentiment de partager un même destin nous semble intéressant, c’est qu’il nous permet de repenser les apories du peuple-demos tel que l’envisage notamment Spinelli. En effet, plutôt que de considérer que les fédéralistes ne développent qu’une vision exclusivement politique du « peuple européen », on peut se demander dans quelle mesure leur définition unanimiste du demos constituant de l’Europe ne dissimule pas une conception plus mystique bien que séculière du peuple européen27. En effet, c’est par leur volonté de croire dans l’idée fédérale en tant que mission rédemptrice de l’humanité que les individus nationaux sont appelés à se constituer en peuple européen. D’autant que cette volonté repose sur la croyance en un « destin commun de renaissance ou de décadence ». De sorte que la constitution du peuple européen semble répondre à une vision eschatologique de l’intégration communautaire. À tel point d’ailleurs que, pour les fédéralistes italiens, un seul acteur est encore en mesure de sauver l’humanité de sa « décadence » : le peuple européen en tant que communauté qui aura pris conscience d’ellemême. Seul rédempteur possible, le peuple européen apparaît comme une figure messianique appelée à révolutionner le cours « normal » des affaires publiques européennes. Ainsi le moment politique de l’intégration s’accompagne-t-il d’une conquête spirituelle du laos européen en tant que figure tutélaire de la paix et de la communion postconflictuelle. À ce titre, l’agonisme de la démocratie est contourné au profit de l’unité fondatrice de la « laocratie ».
L’avant-garde révolutionnaire et le peuple ignorant28
23En « laocratie », l’unité du peuple dépend de la position visionnaire de son guide. Le peuple est « un » en tant qu’il est unifié par le logos du leader qu’il soit militaire, intellectuel, religieux. D’où l’importance majeure dévolue à la pointe avancée du peuple qui, tout en étant issue de lui, s’en détache par ses qualités et ses dispositions extra-ordinaires. Non seulement le guide initie la révolution, mais il la perpétue au travers de sa capacité à mobiliser la masse du plethos ; il canalise la multitude en nombre et, ce faisant, traduit le futur dans l’actualité du présent. Contrairement à la démocratie où « n’importe qui » peut peser sur les affaires publiques dans la mesure où le peuple-demos repose sur une communauté de citoyens égaux -, la laocratie repose sur le modèle électif : seuls les meilleurs les plus instruits, les plus visionnaires, les plus mobilisateurs sont à même de diriger publiquement, à partir du mandat que leur aura donné le peuple-plethos, regroupé idéologiquement en peuple-laos.
24De là émerge la frontière qui sépare symboliquement le militant fédéraliste de « l’homme de la rue » dans les écrits de Spinelli et d’Albertini. Ces deux figures sont également indispensables à la révolution fédéraliste, mais leurs fonctions, elles, ne sont pas réparties de manière égalitaire. D’autant que le militantisme fédéraliste se distingue des autres mouvements européistes en ce qu’il met l’accent sur une approche pédagogique visant à expliquer au peuple en quoi l’intégration est nécessaire. Ce faisant, il maintient une partie majoritaire du peuple à l’état d’apprenant, incapable de « voir ce qui est bon pour lui ».
L’homme de la rue et le militant
25En lisant attentivement le Manifeste de Ventotene, on aperçoit que les démocrates comme le « peuple » sont du côté de l’illusion ils « rêvent », « croient », « imaginent », « souhaitent », et perçoivent chaque chose au travers du « tumulte peu clair des passions » alors que le « véritable mouvement révolutionnaire » est lui du côté du « solide », de « la décision » et de « l’audace extrême ». Là où les « tendances démocrates » sont débordées par un peuple aux « millions de têtes », le mouvement révolutionnaire « canalise les forces populaires », leur donne un « but ». À cet effet, il est nécessaire de mobiliser rapidement « toutes les forces qui [sauront] donner naissance au nouvel organisme » : à savoir, les intellectuels, les jeunes, les hommes combattifs et plus globalement « ceux qui ont su discerner les motifs de la crise actuelle de la civilisation européenne et qui recueillent, de ce fait, l’hérédité de tous les mouvements d’élévation de l’humanité29 ». Il s’agit en définitive de construire le creuset au sein duquel viendront « se fondre les masses populaires » dans « l’attente d’être guidées »30. Le mouvement révolutionnaire se caractérise donc d’abord par sa fonction rectrice : il guide, encadre, dirige, canalise. Pour concrétiser cette fonction, le mouvement doit, toujours selon Spinelli, reposer sur une base militante, faute de quoi le mouvement s’essouffle ou s’aveugle. Dépassant le simple « petit propagandiste »,
les militants, dont toute organisation qui veut devenir une force politique a besoin, sont des hommes qui sont animés par la passion politique, par l’ambition de compter pour quelque chose parmi leurs contemporains, et qui ont décidé de faire coïncider cette passion et cette ambition avec la réalisation des buts de l’organisation dont ils font partie. [...] Les militants, ceux qui se sont engagés à fond, et ont misé leur avenir politique sur la réussite de leur action, sont le nerf de toute organisation31.
26Si un « noyau dur » de fédéralistes est indispensable au mouvement, c’est que lui seul est capable de prendre la tête de la révolution des esprits, sur laquelle repose l’intégration européenne. Le militant doit « susciter » la prise de conscience du peuple, il doit « lui donner une forme d’expression et d’organisation » et, enfin, « inspirer une volonté de lutte européenne »32. En somme, le militant doit transformer la puissance muette du peuple en logos, entendu à la fois comme discours (« forme d’expression ») et comme science (« forme d’organisation »). C’est dans ce cadre que Spinelli imagine le Congrès du peuple européen : hostile à la multiplication de comités citoyens réticulaires, il voit dans la représentation le moyen de mobiliser un nombre important de « simples adhérents », tout en conservant le principe électif, grâce auquel les « mieux-nés33 » expriment la volonté latente d’un peupleinfans qui, s’il est doué de parole, ne possède pas l’art du langage délibératif. À ce titre, le « peuple européen » est invité à « donner sa voix » à des militants qui sauront verbaliser, articuler et défendre ses intérêts. Si la conscience de l’« Européen moyen » est animée par un « sentiment de frustration »34, seul le militant saura traduire cette émotion en ligne de pression politique. Et ce d’autant plus qu’« enfermé dans une prison [statonationale] qui l’empêche de former et de manifester sa volonté35 », le peuple européen n’est pas encore capable de se libérer, de lui-même, de son ancien schéma de pensée ; il s’agit donc de préparer son émancipation aussi paradoxale que puisse être une émancipation hétéronome.
Du militantisme comme art de la pédagogie
27Si Spinelli voit dans la constitution d’une « avant-garde » l’avenir du mouvement fédéraliste, Albertini lui donne un cadre théorique en élaborant un véritable « art militant ». Pour lui, l’organisation du mouvement doit être parfaitement autonome du domaine politique et uniquement confiée à des militants qui y consacrent une part non négligeable de leur temps. Dans la mesure où cette « classe » de militants n’existe pas encore, Albertini profite de sa qualité d’enseignant pour puiser dans ses étudiants le creuset idéologique du mouvement. Ainsi organise-t-il, dès 1954, des discussions connues sous le nom de groupes d’experts : les fameuses « discussioni a pannelli36 ». L’un de ses étudiants, Giulio Guderzo, souligne d’ailleurs les qualités pédagogiques d’Albertini, sa façon d’être « leader en tant que maître37 », l’ampleur de ses connaissances, son éclectisme, mais aussi son ouverture socratique au dialogue38. Fort de cette expérience, Albertini crée bientôt un réseau d’écoles de cadres destinées à reproduire à l’échelle nationale ce qu’il était parvenu à réaliser à l’échelle locale. L’objectif étant de former des « cadres dirigeants qui soient en mesure d’orienter l’avant-garde consciente du peuple européen39 ». Si, pour Albertini, le fédéralisme définit sa propre idéologie, davantage encore que sa praxis politique, il est trop complexe pour être livré tel quel au peuple. Afin de mobiliser l’opinion publique, les militants doivent donc être en mesure de se faire pédagogues et d’expliquer à « l’Européen moyen » l’enjeu de l’intégration.
28Or, en construisant la figure du militant sur le modèle du pédagogue, Albertini dresse une frontière infranchissable entre le savoir et le non-savoir40 ; une frontière qui est appelée à déterminer une forme de division du travail dans la pratique militante. Aux savants, l’élaboration théorique de l’idéologie ; aux militants, la diffusion médiatique et pédagogique de cette idéologie ; aux « simples adhérents » le droit d’élire leurs représentants et de soutenir massivement la cause fédéraliste. À tel point que subsiste dans le mouvement fédéraliste « révolutionnaire » une forme évidente de domination ; celle-ci ne passe certes plus par le pouvoir coercitif, mais par la perpétuation d’une forme de « métapolitique », suivant laquelle « la politique est fondée sur une vérité profonde de la société que les acteurs sociaux sont incapables de penser eux-mêmes41 ». L’« homme de la rue » serait donc nécessairement dans l’« illusion », quand le philosophe ou le théoricien fédéraliste serait dans un discours de « vérité » ; l’homme de la rue fuirait la réalité pour « rêver » sa libération, quand le théoricien se limiterait à l’austérité du « courage de la vérité ». Comme nous le verrons par la suite, cette conception d’une intégration européenne trop complexe pour être laissée aux commandes des « incompétents », n’est pas sans conséquence sur ce que d’aucuns nommeront quelques années plus tard le « déficit démocratique » de l’Europe.
Notes de bas de page
1Gustave Flaubert, Correspondance, vol. 2 (juillet 1851-décembre 1858), Paris, Gallimard, 1980, p. 204.
2Sur ce point, je renvoie notamment à Étienne Balibar, « Avant-propos. Son nom est légion », Tumultes, 40/1, 2013, p. 7-11 ; Thomas Berns, Louis Carré, « Présentation. Le nom de peuple, les noms du peuple », Tumultes, 40/1, 2013, p. 13-24 ; Giorgio Agamben, « Qu’est-ce qu’un peuple ? », dans Moyens sans fins : notes sur la politique, trad. par Danièle Vilain, Paris, Rivages, 2002 ; et, pour une approche légèrement différente, Pierre Rosanvallon, « Penser le populisme », dans Catherine Colliot-Thélène et Florent Guénard (dir.), Peuples et populisme, Paris, PUF, 2014, p. 5-26.
3Cette expression apparaît à plusieurs reprises dans la lettre qu’Altiero Spinelli adresse au Comité d’initiative pour le Congrès du peuple européen ; voir Altiero Spinelli, lettre no 1 « Aux membres du Comité d’Initiative de la lutte pour le peuple européen », citée supra.
4Altiero Spinelli, « Les raisons de notre lutte », art. cité, p. 9.
5Ibid., p. 10.
6Ibid.
7Ibid.
8Altiero Spinelli, lettre no 1 « Aux membres du Comité d’Initiative de la lutte pour le peuple européen », citée supra, p. 6.
9Sur ces questions voir Pierre Bourdieu, « L’opinion publique n’existe pas » dans Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1984 [1978], p. 222-235.
10Fiche « Le recensement volontaire du peuple fédéral européen », citée supra, je souligne.
11Ibid.
12Joseph A. Schumpeter, Capitalism, Socialism and Democracy, Londres/New York, Routledge, 2006.
13Fiche « Le recensement volontaire du peuple fédéral européen », citée supra.
14J’emprunte cette expression à Miguel Abensour qui l’emploie à son tour pour désigner la manière dont Karl Marx appréhende le sujet politique comme un tout dont l’unité est uniquement pensée en termes positifs, sans qu’elle soit jamais mise en tension avec le despotisme totalitaire. Voir Miguel Abensour, « Marx et le moment machiavélien. “Vraie démocratie” et modernité », dans Phénoménologie et politique. Mélanges offerts à Jacques Taminiaux, Bruxelles, Ousia, 1989, p. 17-114.
15« Appel aux citoyens d’Europe », dans Le congrès du peuple européen. Documents, op. cit., p. 3-10 : « Malgré les frontières et les nationalismes, héritiers d’une civilisation commune, liés à un destin commun de renaissance ou de la décadence, nous constituons bien un seul peuple. »
16Altiero Spinelli, « Les raisons de notre lutte », art. cité, p. 8.
17Voir Jean-Jacques Rousseau, Le contrat social, Paris, GF-Flammarion, 2012, p. 122 : c’est « en distinguant », que la « démocratie dégénère en Ochlocratie ».
18Voir Bernard Manin, Les principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p. 15 : alors qu’un « gouvernement organisé selon les principes représentatifs était [...] considéré, à la fin du xville siècle, comme radicalement différent de la démocratie, [il] passe aujourd’hui pour une de ses formes ».
19Platon, La République, Livre VIII, 557d, trad. par G. Leroux, Paris, GF-Flammarion, 2002, p. 424.
20Hannah Arendt, De la révolution, op. cit. ; voir, sur ce point, les analyses d’Étienne Tassin, « Le peuple ne veut pas », dans Anne Kupiec, Martine Leibovici, Géraldine Muhlmann, Étienne Tassin (dir.), Hannah Arendt. Crises de l’Etat-nation, Paris, Sens & Tonka, 2007. Pour un développement de ce point dans le contexte européen, voir Étienne Tassin, « L’Europe cosmopolitique et la citoyenneté du monde », Raison publique. Ethique, politique et société, 7, Démocratie, la voie européenne, octobre 2007, p. 45-63.
21Je pense notamment à Étienne Tassin, « De l’Europe philosophique à l’Europe politique », art. cité.
22Étienne Tassin, « L’Europe cosmopolitique et la citoyenneté du monde », art. cité, p. 50-51.
23Altiero Spinelli, « Les raisons de notre lutte », art. cité, p. 10.
24Pour développer ce point, voir : Bruno Karsenti, Moïse et l’idée de peuple. La vérité historique selon Freud, Paris, Éditions du Cerf, 2012. Lire notamment le commentaire que l’auteur consacre au Contrat social au sujet du « législateur ».
25Étienne Balibar, « Avant-propos. Son nom est légion », art. cité, p. 9.
26Id., « Comment résoudre l’aporie du peuple européen ? », art. cité, p. 19.
27Aujourd’hui cette tendance est abordée par Paul Magnette qui développe dans L’Europe, l’État et la démocratie une vision mythique et unitaire du peuple. Voir Paul Magnette, L’Europe, l’État et la démocratie, Bruxelles, Complexes, 2000, notamment p. 157.
28Sur le rapport de la démocratie à « l’ignorance du peuple », je renvoie à Catherine ColliotThélène, « L’ignorance du peuple », dans Gérard Duprat (dir.), L’ignorance du peuple. Essais sur la démocratie, Paris, PUF, 1998.
29Rappelons à ce titre la proximité idéologique qu’Altiero Spinelli entretient alors avec la pensée de Lénine. Il suffira de lire cet extrait des Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique pour s’en convaincre : « En ces époques, le peuple est capable de faire des miracles, du point de vue étroit, petit-bourgeois, du progrès gradué. Mais il faut encore que les dirigeants des partis révolutionnaires sachent à ces moments-là formuler leurs tâches avec plus d’ampleur et de hardiesse ; il faut que leurs mots d’ordre devancent toujours l’initiative révolutionnaire des masses, lui servant de phare, montrant dans toute sa grandeur et [...] indiquant le chemin le plus court et le plus direct vers une victoire complète, absolue, décisive. » Voir Vladimir I. Lénine, Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique, Paris/Moscou, Éditions sociales/Éditions du progrès, 1971, p. 153.
30Toutes ces citations sont extraites du Manifeste de Ventotene, op. cit.
31Altiero Spinelli, « Les raisons de notre lutte », art. cité, p. 7.
32Ibid., p. 9.
33Précisons : si, officiellement, chaque citoyen européen en âge de voter est autorisé à se présenter à l’élection du Congrès du peuple européen, les « Documents de Salice » (1957) précisent explicitement que le militant doit pouvoir donner « son temps et ses moyens » à l’organisation. Il ne perçoit aucune rétribution ou indemnisation en retour. Cela exclut de facto tous les citoyens les plus modestes qui ne peuvent s’offrir le luxe d’une activité bénévole et dont le temps public est entièrement consacré au travail. Cet exemple illustre, parmi d’autres, l’interpénétration du démocratique et du démophobe (ici : le contournement de la pénétration plébéienne) au sein même de la voie fédéraliste démocratique italienne.
34Altiero Spinelli, lettre no 1 « Aux membres du Comité d’Initiative de la lutte pour le peuple européen », citée supra, p. 7.
35Alberto Cabella, lettre no 2 « Aux membres du Comité d’Initiative de la lutte pour le peuple européen », citée supra, p. 6.
36Mario Albertini, « Manuale del militante » (1956), La Linea politica. Il fine, il mezzo, le tappe future, vol. 2, dans Nicoletta Mosconi (dir.), Tuttigli scritti, Bologne, Il Mulino, 20062009, p. 413-444.
37Giulio Guderzo, « Mario Albertini dalla sinistra liberale all’impegno federalista (19461957) », Il Politico, 72/214, 2007, p. 201-218.
38Daniela Preda, « La génération de la guerre et les premières batailles pour l’unité européenne. Mario Albertini », dans Geneviève Duchenne, Michel Dumoulin (dir.), Générations de fédéralistes européens depuis le xixe siècle. Individus, groupes, espaces et réseaux, Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2012, p. 153-166, ici p. 162.
39Ibid., p. 164.
40À ce sujet, voir Jacques Rancière, La leçon d’Althusser, Paris, La Fabrique, 2011.
41Id., « Le maître ignorant. Entretien avec Jacques Rancière », Vacarme, 9, automne 1999, p. 4-8.
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