Alexandre VI (1494-1503)
Premier pape des guerres d’Italie
p. 233-256
Note de l’éditeur
Ce texte est la version française d’un autre paru en italien, Benjamin Deruelle, « Alessandro vi primo Papa delle Guerre d’Italia (1494-1503) », Schifanoia, A cura dell’Istituto di studi rinascimentali di Ferrara, Marco Bertozzi (dir.), L’inquieto Rinascimento di Lucrezia Borgia, 60-61, 2021, p. 37-50.
Texte intégral
Alexandre VI ne fit jamais que tromper ; il ne pensait pas à autre chose, et il en eut toujours l’occasion et le moyen. Il n’y eut jamais d’homme qui affirmât une chose avec plus d’assurance, qui appuyât sa parole sur plus de serments, et qui les tint avec moins de scrupule : ses tromperies cependant lui réussirent toujours, parce qu’il en connaissait parfaitement l’art1.
1Ces mots de Machiavel soulignent toute l’ambiguïté de la figure d’Alexandre VI, marque de sa duplicité et de sa versatilité pour certains, de son intelligence politique pour d’autres2. Malgré de multiples contestations, l’image de celui qui naquit Rodrigo de Borja, comme celle d’un homme guidé exclusivement par le népotisme, se perpétue grâce à deux idées reçues. La première suppose que l’avancement de la famille Borgia était inconciliable avec la défense des intérêts de l’Église ; la seconde que l’engagement de la papauté dans les conflits temporels s’opposait à l’accomplissement de sa mission spirituel3.
2Bien que discrètes sur la politique du pape Borgia, les sources diplomatiques et narratives de langue française soulignent pourtant plus volontiers la difficile condition de ce pape qui, le premier, fut confronté aux guerres d’Italie. Alexandre VI eut en effet la responsabilité d’établir une politique susceptible d’assurer son autorité sur les factions romaines et les États pontificaux, tout en résistant aux assauts des autres puissances italiennes et européennes. Dès l’origine de ces conflits en effet, les enjeux locaux, péninsulaires et continentaux s’entremêlèrent alors que les appels aux étrangers se multipliaient4, et que la théocratie pontificale se renforçait5.
3Balbutiante, maladroite parfois, la politique d’Alexandre Borgia ne manquait pourtant pas de rationalité au regard de la position particulière qui était la sienne. Souverain pontife, il était responsable de la défense de l’autonomie et de la liberté de l’Église face aux puissances temporelles. Chef d’État, il devait garantir l’intégrité du patrimoine de Saint-Pierre et son autorité contre ses adversaires, ainsi que contre les vassaux et les cités pontificales avides d’indépendance. Il dirigeait toutefois également une famille aristocratique. Lui incombait donc, plus qu’à tout autre, la conservation et l’extension des domaines, titres et dignités de son clan.
4L’action du patriarche pouvait-elle cependant échapper à la pragmatique nécessité d’agencer sans cesse ses obligations religieuses, politiques et familiales ? Ses alliances changeantes et son gouvernement par le secret, le mensonge et la manipulation ne résultaient-ils que de volte-face opportunistes déterminées par ses intérêts personnels ? Pouvait-il seulement se soustraire au hasard des événements et à la froide réalité de la guerre ? Alors que la légende noire du pape Borgia s’impose encore comme un obstacle à la compréhension de son action politique, nous souhaitons montrer qu’elle suit également la ligne cohérente de l’articulation, autant que faire se pouvait, de la défense des intérêts et des prérogatives pontificales, de la conservation d’un équilibre péninsulaire favorable à l’Église, et de la promotion de sa famille. Ses hésitations et ses revirements témoignent en effet plus certainement des contraintes conjoncturelles et structurelles pesant sur le pape, ainsi que de l’évolution rapide et imprévisible de la situation, plutôt que d’un irrépressible népotisme. Entre la descente de Charles VIII et l’expulsion des Français du royaume de Naples en 1503, elles déterminent en grande partie la manière dont Alexandre Borgia interagit avec les souverains français lors de la crise de l’investiture napolitaine, de l’accord de Rome avec Charles VIII, et de l’avènement de Louis XII.
Les faiblesses de la papauté en 1494
5Malgré sa reconsidération historiographique depuis le début du xxe siècle, la politique d’Alexandre VI reste encore bien souvent perçue comme le fruit de la versatilité, de l’inconstance et des intérêts dynastiques du pape Borgia. Ses revirements révèlent cependant tout autant les tensions travaillant son action et les contraintes liées à sa position sur l’échiquier européen que son népotisme. En 1494, la papauté demeure en effet minée par l’agitation de la noblesse romaine et des factions urbaines, ainsi que par la division des États de l’Église. Pour maintenir leur influence ou pour conserver leur autonomie face à l’affirmation du pouvoir pontifical, les familles, les cités et les seigneuries vassales de l’Église n’hésitaient pas à prendre les armes, à mener leur propre politique ou à s’allier à des puissances étrangères. Cette tension entre les intérêts particuliers et le bien commun fut un paramètre essentiel de l’action du Saint-Père au moment de l’ouverture des guerres d’Italie.
6Les rivalités et les haines anciennes entre grandes familles faisaient régner l’insécurité et l’instabilité à Rome et dans les États du pape6. Cette situation n’échappait pas aux chroniqueurs français, bien qu’ils ne saisissent pas toujours toutes les subtilités de la politique romaine. Pour Philippe de Commynes, la « partialité (querelle de partis) » entre les Colonna et les Orsini troublait « toute la terre de l’Église7 ». Ces querelles intestines minaient l’autorité du souverain pontife, et favorisaient les alliances avec les puissances étrangères. Depuis longtemps en effet, les barons romains louaient leur bras aux autres États de la péninsule et au-delà des monts. Inquiets de la volonté d’Alexandre VI de domestiquer ses impétueux vassaux, les Orsini avaient ainsi rejoint le parti de Ferrante Ier de Naples. Virginio Orsini commandait désormais les armées napolitaines qui, grâce à ses terres en Toscane et dans le Latium, pouvaient circuler jusqu’en Romagne, et exercer ainsi une pression constante sur les États pontificaux.
7Philippe de Commynes sait par ailleurs que le ressentiment entre les lignages romains détermine en partie leurs alliances politiques et militaires. Le rapprochement des Colonna et du roi de France, à la fin de l’année 1494, repose pour lui sur leur aversion des Orsini. À ces querelles familiales s’ajoutait le vieil antagonisme entre guelfes et gibelins. S’il avait perdu de son intensité, et si la complexité des alliances et la diversité des acteurs expliquent tout autant l’adhésion ou l’opposition au parti du pape, l’appartenance à l’une des deux factions structurait encore la politique locale et alimentait toujours les inimitiés8. Lorsqu’en 1495, les Colonna s’éloignent de Charles VIII pour rejoindre Ferrante Ier, Commynes ne s’en étonne guère. N’étaient-ils pas « de toute ancienneté […] partisans de la maison d’Arragon et aultres ennemys du roy de France, pour ce qu’ilz estoient Gibelins, et les Ursins partisans de France, comme les Florentins, pour estre de la part de Guelfe9 » ?
8La soif d’indépendance des seigneurs locaux aggravait encore la division des États du pape. De nombreux territoires s’étaient affranchis de sa tutelle ou aspiraient à s’en défaire. Leurs liens avec les grandes familles de la péninsule leur permettaient, bien avant l’arrivée des Français, de mener une politique autonome. C’était notamment le cas de Catherine Sforza, nièce de Ludovic le More, à Imola ou de Giovanni II Bentivolglio, époux de Ginevra Sforza, à Bologne. En 1494, nombreuses furent également les cités du milanais et de Toscane à rejoindre Charles VIII. Elles espéraient ainsi éviter le pillage et les massacres réservés aux ennemis du roi de France, et trouver sous sa protection le moyen d’affirmer leurs libertés contre l’autorité des cités concurrentes ou du pape. À Sienne et à Pise, le patronage royal protégeait de la rivale florentine. Le 9 novembre 1494, les Pisans supplièrent Charles VIII de les « begnignement recepvoir a sa clemence et misericrode […], a cause que les florentins leurs tenoyent tros grande rigueur, tant que ilz estoient sans liberté10 ». Plusieurs villes de Romagne et du Latium n’agirent pas différemment à l’arrivée des Français.
9En outre, l’autorité du pape souffrait de la division des États italiens. La paix de Lodi (1454) était constamment contestée par d’anciennes tensions et par l’expansionnisme des puissances italiennes auquel les terres de Saint-Pierre n’échappaient pas. Venise convoitait les villes de la côte Adriatique ; le royaume de Naples les régions au sud de Rome. Pour contenir les ambitions temporelles de la papauté et marquer leur influence sur sa capitale, certains attisaient les rancœurs et l’hostilité des factions romaines. Laurent de Médicis y intervenait directement avec le soutien de la famille de sa femme, Clarisse Orsini. En 1486, il s’était engagé auprès de Ferrante Ier et contre Innocent VIII qui appuyait la révolte des barons napolitains. Inquiet de la puissance milanaise, le Florentin poursuivit ce rapprochement11. Le roi de Naples y était d’autant plus favorable que Ludovic Sforza s’appropriait le pouvoir au détriment de son neveu, Gian Galeazzo, duc de Milan et époux d’Isabelle d’Aragon, sa petite-fille. Lorsque la tension se fit plus pressante, Ludovic Sforza proposa son aide au projet napolitain de Charles VIII. Le cardinal Ascanio Sforza, son frère, recruta les Colonna qui livrèrent au roi de France Ostie, centre névralgique de l’approvisionnement maritime romain. Alexandre VI intervenait, lui-même, dans la politique de ses voisins et brandissait parfois la menace étrangère. N’avait-il pas encouragé le Très Chrétien à revendiquer la couronne de Naples ?
10L’alliance des ennemis d’Alexandre VI avec une puissance étrangère était d’autant plus dangereuse que l’affermissement du pouvoir pontifical entretenait les tensions péninsulaires. Depuis la fin du grand schisme en effet, les papes n’avaient cessé de vouloir restaurer l’autorité temporelle et spirituelle de l’Église12. La centralisation, la rationalisation et la spécialisation de l’administration pontificale s’étaient faites au profit de leurs proches et au détriment de l’aristocratie italienne. Eugène IV avait nommé son neveu, Pietro Barbo (futur Paul II), cardinal-neveu, lui manageant ainsi une place de choix pour la succession à la tiare pontificale. Calixte III avait, lui, institué Rodrigo Borgia notaire apostolique puis vice-chancelier de l’Église, faisant ainsi de lui le cardinal le plus puissant de Rome13.
11Profitant des scandales entourant le nouveau pape, ceux qui s’estimaient lésés par son mode de gouvernement réveillèrent le conciliarisme14. Ils soulignaient le simonisme de son élection, sa tyrannie, ainsi que ses manquements à la fonction et à la dignité pontificale. Ils agitaient la menace d’un concile qui pourrait le destituer et engager la réforme de l’Église. Bien qu’associée encore à des aspirations spirituelles, cette idéologie servait également les ambitions de quelques prélats et grandes familles comme les Orsini, les Colonna et les Savelli. Cette menace représentait en outre une grave atteinte à l’autorité du Saint-Père auquel revenait, en théorie, la convocation d’une telle assemblée. Plus tard, les rois de France, de même que les souverains espagnols et l’empereur, y recoururent pour pousser Alexandre VI à négocier15.
12Le parti du concile se nourrissait également de l’atmosphère prophétique dans laquelle se prépara l’expédition française. À Florence, Savonarole exhortait les autorités temporelles et spirituelles à le convoquer. Il s’adressait non seulement aux cardinaux comme Giulio Della Rovere, ennemi intime du pape, ou le napolitain Carafa, mais aussi à Charles VIII16 : « Le roy, disait-il, était eleu de Dieu pour réformer l’Église par force et chastiers les tyrans17. » D’autres témoins, comme lui, expliquèrent le succès foudroyant de la campagne française par la volonté divine de punir les princes italiens « et par eulx donner exemple a tous roys et princes de bien vivre et selon ses commendemens18. » Les textes légitimant les prétentions françaises sur Naples et justifiant l’intervention dans la péninsule ne manquèrent pas de reprendre les prophéties de la fin du xve siècle et les arguments du dominicain. La haine que lui vouait le pape, tout autant que la crainte qu’il lui inspirait, explique la manière dont, une fois libéré des Français, Alexandre VI traita le cas de Savonarole19.
13La question de la destitution pontificale s’est posée à au moins six reprises au début des guerres d’Italie20. En février 1493, avant même son entrée en Italie, Charles VIII fut sollicité par les souverains espagnols. Ils appelaient à une ambassade commune qui aurait rappelé au pape ses devoirs pour faire suite aux « plaintes, remontrance et advertissement qui faiz […] ont esté de plusieurs lieux touchant le fait de nostre Sainct Pere le pape et du Sainct Siege apostolique21 ». La confusion des ministères temporel et spirituel dénoncée par les réformateurs catholiques, et plus tard par les protestants comme par l’historiographie n’est pourtant dépourvue ni de calcul politiques ni de jugements de valeur22. Car malgré le relatif silence des sources de langue française, leurs auteurs ne manquent pas de souligner la traitrise de l’investiture napolitaine, le parjure de l’accord de Rome et l’ambition masquée derrière l’alliance avec Louis XII. Néanmoins si la convoitise et le népotisme n’en furent pas absents, la politique du pape était aussi conduite par la pragmatique de la guerre, tout comme par un souci de défendre les intérêts, libertés et patrimoine de l’Église.
L’investiture napolitaine : une traitrise ?
14Au regard des pressions et des menaces qui pesèrent sur Alexandre VI, ses décisions témoignent de sa cohérence et de sa capacité à s’adapter aux évolutions rapides du contexte. Les logiques politiques, diplomatiques et familiales s’y entremêlent sans cesse, s’exprimant toutefois différemment selon la « qualité » des temps. La part imprévisible des circonstances explique, en partie du moins, les hésitations et les revirements de la diplomatie apostolique23.
15Jusqu’à la mort de Ferrante d’Aragon, le 25 janvier 1494, le pape avait réussi à ménager ses relations avec le duché de Milan et les royaumes de France et de Naples. Pour atténuer la pression napolitaine, il s’était rapproché des Milanais en février 149324. Dès cette date, Alexandre Borgia avait par ailleurs envoyé le cardinal Savelli auprès de Charles VIII pour réclamer son aide. Afin d’attirer l’attention du souverain, Savelli devait laisser entendre que le Saint-Père pourrait soutenir ses prétentions napolitaines. Dès lors écrit Robert Gaguin, le roi de France « ne peut estre diverti de son opinion, […] especiallement par lenhortement du pape alexandre sixiesme, et de loys force25 ». Quelques semaines plus tard cependant – le 16 août 1493 –, Alexandre VI signait un traité qui dissipait la querelle avec les Orsini.
16La disparition de Ferrante d’Aragon au début de l’année suivante signifiait également celle d’un des plus farouches opposants d’Alexandre VI. Le pape allait pourtant devoir prendre ouvertement parti dans sa succession. La qualité de fief pontifical du royaume de Naples lui imposait en effet de trancher la querelle entre le fils de Ferrante, Alphonse de Calabre, et Charles VIII qui se para du titre de roi de Sicile et de Jérusalem dès le mois de mars 1494. Ce choix était d’autant plus délicat qu’aucune des deux options n’était satisfaisante. Si Borgia prenait le parti du roi de France, Alphonse pourrait renouer avec la politique hostile de son père en s’appuyant sur les barons romains. Rompre avec la politique de ses prédécesseurs ne manquerait pas, d’ailleurs, de détériorer des relations déjà compliquées avec les souverains de Castille et d’Aragon26. À l’inverse, embrasser le parti napolitain lui aliénerait les Milanais, l’exposerait aux représailles françaises et à la menace d’un concile27.
17Sa décision s’élabora tout au long de l’hiver 1494. Au début du mois de février, ses émissaires proposaient à Pierre de Médicis la constitution d’une ligue à laquelle Venise et Milan ne devaient pas manquer d’adhérer. Le 28 du même mois, il refusa de recevoir les ambassadeurs français venus réclamer l’investiture napolitaine. Quelques jours plus tard, dans une bulle adressée au roi de France, il s’étonnait de le voir prêt à s’en prendre à une puissance chrétienne. Il offrait néanmoins son arbitrage, laissant ouverte la voie de la négociation28. La réponse menaçante de Charles VIII, le 9 mars, le poussa vers les Aragonais. Dans une seconde bulle datée du 22 mars, Alexandre VI se déclarait tenu par la décision d’Innocent VIII d’investir la dynastie aragonaise et ne parlait plus des droits du roi. Le 18 avril, malgré les protestations des ambassadeurs français qui en appelaient au concile, il prenait le parti d’Alphonse de Calabre, qui fut couronné le 2 mai.
18Il est indéniable que les alliances milanaise et napolitaine contribuèrent à l’ascension des Borgia. Les unions de Lucrèce et de Gioffre leur apportèrent les attaches territoriales qui leur manquaient en Italie et les inscrivirent au rang des plus importants lignages de la péninsule. Elles ne furent pourtant pas uniquement l’instrument du prestige et de la richesse familiale. Le pape était en effet resté sourd aux offres de Charles VIII qui lui avait proposé les « plus riches établissements pour ses fils » s’il le rejoignait29. Le népotisme n’avait donc pas été le seul moteur de son action. Les mariages qui couronnèrent les traités de 1493 et de 1494 n’étaient en outre pas dépourvus d’intérêts pour l’Église. L’union de Lucrèce et de Giovanni Sforza (le 12 juin 1493) créait les conditions d’un rapprochement durable avec Milan. Celui-ci était d’autant plus essentiel que les menaces de Ferrante Ier et de Virginio Orsini se précisaient. Il permettait également au pape d’affermir un peu plus son autorité en Romagne. Giovanni Sforza était en effet vicaire de l’Église pour Pesaro. Le mariage de Gioffre et Sancha d’Aragon, un an plus tard, apporta au dernier fils d’Alexandre VI la principauté de Squillace en Calabre, le comté de Cariati en Campanie et le titre de protonotaire du royaume de Naples. Son frère aîné, Giovanni, fut pourvu de titres et de propriétés en Basilicate, en Campanie et en Sicile30. Les Borgia s’implantaient ainsi à Naples et obtenaient un droit de regard sur les affaires du royaume.
19Prises isolément, ces deux alliances restauraient un équilibre des forces italiennes favorable à la papauté et sauvegardaient l’intégrité des États pontificaux. Ensemble, elles replaçaient le pape au-dessus des querelles partisanes tout en réaffirmant la liberté et la souveraineté de l’Église sur la scène internationale. Toutes deux furent donc l’occasion d’unions matrimoniales qui assuraient tout autant la politique d’Alexandre VI que l’ascension de ses enfants. L’ambassade de Savelli auprès de Charles VIII en février 1493 s’explique, elle, par le contexte. Aucun accord n’avait encore été signé avec Ferrante Ier ou les Orsini. Le pape souhaitait pourtant sans doute davantage faire peser la menace d’une intervention étrangère que la susciter réellement. C’est en tout cas l’opinion de Sigismondo Conti : « non già che sperasse nella venuta del re, ma per trarre profitto del terrore del nome francese, com aveano praticato parecchi altri pontefici e massime il sagacissimo Paolo ii »31. Les sources françaises confirment l’incrédulité des États italiens, car le roi de France « n’estoit pourveu ne de sens ne d’argent, ne de aultre chose necessaire a telle emprise […]32 », et parce que la plupart des princes et des bons capitaines s’opposaient à l’aventure italienne33.
20L’incertitude dans laquelle le plongea la mort de Ferrante Ier explique l’attitude du pape Borgia au début de l’année 1494. Elle relève probablement tout autant du refus de prendre parti que de la duplicité. En janvier 1494, il refusait également de remplir les obligations du traité conclu avec le souverain napolitain. La correspondance entre Ludovic et Ascanio Sforza révèle que le roi de Naples était alors persuadé qu’Alexandre VI était gagné aux Français. Ce dernier adoptait pourtant une attitude semblable avec les deux protagonistes. Il temporisait et évitait de s’enfermer dans un système d’alliance univoque. Il défendait ainsi l’autorité et l’autonomie de l’Église, qui reposait notamment sur la fonction pacificatrice du souverain pontife, sur la « neutralité pontificale », et sur les efforts développés pour réconcilier les princes chrétiens, et donc ultimement sur le refus de prendre parti34. Au début de l’année 1494, les missions temporelles et spirituelles du pape Borgia entraient en conflit. Ne pouvant plus se soustraire à sa fonction de souverain temporel, il choisit l’alliance la moins embarrassante et céda aux pressions d’un voisin direct, plutôt qu’à celles d’un prince dont la venue restait hypothétique.
Le parjure de l’accord de Rome ?
21Si la décision fut tardive, les ambiguïtés et les promesses voilées d’Alexandre VI avaient contribué à convaincre Charles VIII35. Arrivé à Turin le 5 septembre 1494, il entrait dans la capitale romaine le 31 décembre. Quinze jours plus tard, il signait un accord avec le pape. Tout au long de son voyage, le roi lui avait réclamé le libre passage et des vivres pour ses troupes, l’investiture du royaume de Naples et son soutien pour la croisade qui devaient suivre la conquête napolitaine. L’entente du 15 janvier 1495 lui donnait satisfaction sur sa première requête. Alexandre Borgia lui cédait par ailleurs les places fortes de Viterbe et Spolète et les ports de Civitavecchia et de Terracina jusqu’à la fin de son entreprise. Il lui livrait, en outre, le frère de Bayezid II, Djem qui servirait le projet contre les Ottomans, et lui remettait son fils, César, en garantie de l’exécution de leur accord. En retour, le roi l’assurait de son « obéissance filiale36 ».
22Pour les observateurs de l’époque, cette alliance soldait la querelle entre les deux souverains. Au milieu du xvie siècle, Honorat de Valbelle, bourgeois de Marseille, rapporte encore que le roi Charles entreprit sa conquête facilement après « avoir fait paix avec le pape Alexandre VI et avec sa bénédiction37 ». Pourtant, l’urgence de la situation et la défense des États pontificaux expliquent, une nouvelle fois, tout autant que l’intérêt et l’opportunisme, l’attitude du Saint-Père. La signature de l’accord se fit sous la pression des Français et comme une dernière extrémité. Lorsque Charles VIII pénétra à Rome, en effet, la position du souverain pontife était catastrophique. Le roi avait traversé la péninsule avec une incroyable facilité et était entré dans la ville la lance sur la cuisse. Philippe de Commynes rapporte les mots désormais célèbres du chef de l’Église pour qualifier l’épopée : les « Françoys, se serait-il exclamé, y sont alléz avec des esperons de boys, et de la craye en la main des fourriers pour marquer leur logis, sans aultre peyne38 ».
23Bien que le pape ait douté de la participation du roi à l’entreprise, il s’était cherché des alliés. Si, outre Naples, il pouvait compter sur Florence, Venise gardait ses distances et Milan lui restait hostile. Sa position mal assurée le poussa sans doute également à en « appeler au Turc ». Le 14 mai, il adressa une première lettre à Bayezid II. Le 28 juin, alors que les préparatifs français battaient leur plein, il dépêcha Giorgio Bucciardo pour négocier secrètement le soutien de la Grande Porte39. La découverte et la publication des lettres de réponses du sultan soulevèrent l’indignation dans la péninsule. Elles contribuèrent aussi à renforcer ceux qui réclamaient la destitution du pape et lui interdirent dorénavant de s’opposer ouvertement au projet de croisade de Charles VIII.
24La situation du pontife en Italie se dégradait, par ailleurs, de jour en jour. Ses alliés défaillaient ou rejoignaient le parti du roi, y compris certaines cités des États pontificaux. Le 8 décembre, Charles VIII fut reçu à Acquapendente et logé en l’hôtel du Saint-Père. Le surlendemain il fut acclamé à Viterbe. Le 19 décembre, il entrait à Bracciano, offerte par Virginio Orsini qui, conscient des faiblesses napolitaines, se ménageait déjà les bonnes grâces du Français40. Malgré l’excommunication de cette famille rétive, le roi de France se trouvait désormais à moins de cinquante kilomètres de Rome. Or, ses relations avec Alexandre VI s’étaient dégradées et ses menaces multipliées. Le 15 octobre, il informa le pape qu’en « mectant camp contre lesdicts Colonnoys » – ils venaient de s’emparer d’Ostie pour lui –, il déclarait son hostilité41. Un mois et demi plus tard, il lui offrit de traiter de la paix, « combien, [qu’il estima] qu’il n’en soit aucunement besoing42 ». Borgia persista néanmoins dans son alliance napolitaine. Le 10 décembre, il accueillit l’armée du duc de Calabre à Rome et fit arrêter les partisans du roi, notamment Ascanio Sforza et Prospero Colonna. Deux jours après, Charles VIII écrivait au duc de Ferrare qu’il considérait désormais le pape comme « [s]on ennemy43 ».
25Quand Alexandre VI se résolut à négocier, le comte de Ligny, le seigneur d’Alègre et les Colonna étaient aux portes de Rome. Les batteries françaises avaient déjà fait tomber vingt brasses de la muraille « par la ou l’on debvoit entrer44 ». L’affaire était pourtant loin d’être réglée. Charles VIII pénétrait dans la cité en armes comme « aient [ayant] auctorité de faire par tout a son plaisir45 », si bien que le pape s’enferma au Castel Sant’ Angelo « pour des raisons de sécurité46 ». Dans la cour du palais Saint‑Marc, où s’installa le souverain français, l’artillerie fut dressée, à la grande frayeur des Romains47. Deux fourches patibulaires furent également élevées au Campo de’ Fiori et à la Piazza Giudea. André de la Vigne et Octavien de Saint Gelais y voient le signe de l’instauration de la souveraineté française sur la ville48. Le roi cherchait cependant sans doute plutôt à maintenir la discipline de ses hommes49. Il n’en était pas moins conscient de la position de force qu’était désormais la sienne. Les plus farouches opposants du pape l’encourageaient toujours à le destituer, et par deux fois les batteries furent avancées contre le Castel Sant’ Angelo sans que l’ordre d’ouvrir le feu ne soit donné50. Il décrivait lui-même à Pierre de Bourbon, régent en France, comment la crainte poussait le Saint-Père à négocier51.
26L’accord du 15 janvier apparaît pourtant souvent comme un succès de la diplomatie pontificale. Alexandre VI avait échappé au concile, conservé l’intégrité de ses États et les libertés de l’Église. Le succès était aussi symbolique. Le pape avait reçu le roi seulement le lendemain de la signature de leur entente. Dans les jardins de Saint-Pierre, le Très Chrétien s’était agenouillé deux fois avant que le pontife ne feigne de le remarquer52. Le dimanche 18 janvier, le Saint-Père lui fit contempler le visage du Christ sur le voile de Véronique et, deux jours plus tard, le fer de la Sainte Lance. Le 20 janvier, il confessa le roi qui toucha ensuite les écrouelles, puis célébra en grande pompe une messe en compagnie de cinq cardinaux, trente archevêques, et trente abbés. Après avoir exhibé le fameux voile à l’assistance qui criait « misericorde », le Saint-Père fut porté en chaire devant Saint-Pierre et y donna « sa planiere benediction au pardon general quil avoit octroye au roy de France53 ». L’autorité pontificale semblait donc restaurée, et à tel point qu’Alexandre VI demanda à Bernardino di Betto (Pinturicchio) de peindre la scène de la génuflexion du roi dans le Castel Sant’ Angelo.
27Charles VIII n’était cependant pas dupe. Avant même d’entreprendre cette campagne, il connaissait les manœuvres du pape auprès de l’empereur, du souverain aragonais et de la République de Venise, pour lui faire abandonner son projet54. Au stade de dégradation où en était arrivée leurs relations au mois de janvier 1495, le souverain cherchait d’abord à assurer la sécurité et l’approvisionnement de ses troupes pour pouvoir poursuivre son expédition. Le 12 janvier, il informait ainsi le duc de Bourbon qu’au regard des « praticques […] conduite secretement » et du soutien apporté par le pape à ses adversaires, il était « conseillié surtout envers luy asseurer [son] passaige et [son] cas55. » Une fois dans Rome, ces conseillers lui recommandèrent de se défier d’Alexandre VI. Ludovic Sforza l’exhorta « sur toutes choses prandre [s]es seuretez de nostre Saint Pere avant que passer outre, et, ce fait, ne [s]’arrester à nulle praticque56 ». Le 17 janvier, il écrivait cependant au régent pour se réjouir de ce que « tous differens sont entre nous pacifiez57 ». Ce fut aussi l’image que les historiographes diffusèrent sur l’issue de la rencontre avec le Saint-Père58. La situation était pourtant plus complexe et les nouvelles envoyées en France servaient également à rassurer Bourbon, qui s’était opposé à l’expédition italienne59.
28Au-delà des différends qui l’opposaient à Alexandre VI, l’attitude du roi s’explique sans doute également par sa dévotion et son respect pour la fonction pontificale. Lorsqu’en février 1494, les souverains espagnols l’invitèrent à joindre ses récriminations aux leurs, Charles VIII reconnut la légitimité de ces reproches, tout en déplorant cependant « que les choses soient si publiquement conduictes en ceste estat ». Et s’il confirma son intention de dépêcher un ambassadeur, c’était « pour faire sans scandale les admonestemens et remonstrances fraternelles secretement à nostre Sainct Pere60 ». Le roi pouvait enfin avoir intérêt à feindre et à ménager le pontife. S’il ne se faisait plus d’illusion sur l’investiture napolitaine, l’alliance l’empêcherait peut-être de rejoindre ses ennemis61. Face à l’hostilité manifeste du pape, il avait réclamé, dès octobre 1494, qu’« à tout le moins [il se] monstre […] neutre, comme la raison le veult62. » Alors qu’il avait longuement recherché son soutien, Charles VIII le rappelait désormais à sa nécessaire neutralité.
L’ambition masquée de l’alliance avec Louis XII ?
29Le reflux des troupes françaises, la mort de Charles VIII et la nécessité dans laquelle se trouva Louis XII d’obtenir la dissolution de son mariage auraient subitement converti le pape au parti français en 1498. Indéniablement, le rapprochement avec le royaume de France a profité à Alexandre Borgia et à son fils, César. Ayant délaissé la pourpre, celui-ci reçut le duché de Valentinois, un mariage dans la famille royale de Navarre (mai 1499), une pension de 20 000 livres, et le commandement d’une des prestigieuses compagnies d’ordonnance63. En abandonnant le Milanais et en prenant ses distances avec Naples, le souverain pontife gagnait également un allié nécessaire à l’affirmation de son pouvoir dans sa lutte contre les vassaux de l’Église. Comme la rupture de 1494, la réconciliation du lys et de la tiare se fit cependant sans précipitation et avec prudence.
30Dès 1496 et donc avant la disparition de Charles VIII, l’évolution du contexte politique poussa le pape à adapter sa diplomatie. Malgré son échec et la division de ses conseillers, le roi gardait « en son cœur tousjours le retour en Itallye64 ». Au début de l’année 1498, la situation lui souriait à nouveau. Dans la péninsule, il pouvait compter sur le soutien du marquis de Mantoue, des Orsini, des Vitelli et des Della Rovere65. Les Vénitiens semblaient ouverts à la négociation, tout comme Florence, Ferrare, Mantoue, la Savoie et les Cantons suisses66. Ses relations s’étaient par ailleurs apaisées avec les souverains espagnols, dont le rôle avait été déterminant dans la ligue de Venise et l’expulsion des Français du royaume de Naples. La coalition anti-française s’était démantelée depuis la signature de la trêve séparée avec Ferdinand d’Aragon, qui proposait désormais qu’ils « retournassent [tous deux] en leur premiere amytié et ancienne, et eulx deux, à butin, [emprissent] (entreprissent) toute la conquête d’Ytallie67 ».
31À l’inverse, la situation du pape restait fragile. Après le départ de Charles VIII, il avait confirmé son engagement dans la ligue de Venise et menacé de l’excommunier s’il revenait en Italie dans un bref du 5 août 149668. Savonarole prêchait toujours contre lui à Florence et le roi de France demanda à la Sorbonne en janvier 1497 s’il pouvait convoquer un concile de sa propre initiative. Malgré la bulle Inter caetera du 4 mai 1494 et l’octroi, en décembre 1496, du titre de « rois Très Catholiques », Ferdinand II se méfiait du rapprochement de la papauté et de Naples69. Cette alliance devenait encombrante alors que le roi d’Aragon s’accordait avec Charles VIII et affirmait ses prétentions napolitaines. Conscient de ses faiblesses, Alexandre VI « estoit en grand praticque de touts poinctz » pour se réconcilier avec le Très Chrétien comme l’affirme Philippe de Commynes qui porta un « messaige secret […] en la chambre du roy peu avant sa mort70. »
32La disparition inopinée de Charles VIII et l’exécution de Savonarole modifièrent opportunément le rapport de force. Une nouvelle fois, le Saint-Père sut saisir la fortune. Rien n’était pourtant encore écrit. Avant d’entreprendre la reconquête de Milan, Louis XII souhaitait régler l’épineuse question de son divorce avec Jeanne de France et de son remariage avec Anne de Bretagne. Or, l’autorisation du pape était indispensable. Datées du 4 juin 1498, les instructions originelles d’Alexandre VI à ses ambassadeurs ne faisaient aucune concession au nouveau roi. Au contraire, il y désavouait ses revendications italiennes, y réitérait son attachement à la stabilité de la péninsule, et l’avertissait sur ses alliances avec les barons romains71. Il rédigea cependant un second jeu d’instructions le 14 juin. Seuls quelques détails les différencient des premières mais leur portée en est cependant considérablement modifiée. Le pape s’y déclarait en effet prêt à prendre ses distances avec la ligue de Venise, et ouvrait la voie à un examen des droits français, à condition toutefois que la paix soit respectée.
33Comment expliquer cette révision prudente de la position du Pape ? La date exacte à laquelle Alexandre VI apprit la décision de divorcer du roi de France reste inconnue72. Les négociations demeurèrent en effet secrètes, car un autre négoce se tenait. Lucrèce, dont le premier mariage avait été annulé en 1497, devait épouser le fils naturel d’Alphonse II, Alphonse d’Aragon, le 20 juin 1498. La poursuite des préparatifs pendant les tractations avec Louis XII montre que l’accord français était loin d’être assuré ou que le pape n’était pas encore résolu à rompre avec les Napolitains. Cette prudence témoigne peut-être également de la préoccupation du grand pontife de ménager les principes de la politique menée depuis le début des guerres d’Italie. La double alliance permettait en effet de garantir la sécurité des États de l’Église. Il pourrait ainsi d’une part s’associer au roi de France, soucieux de faire valoir ses droits milanais et à qui tout semblait devoir sourire, et d’autre part demeurer proche de son voisin du sud en doublant l’union de Gioffre et Sancha d’un nouveau mariage. Il préservait en outre l’équilibre politique et militaire de la péninsule, ainsi que le principe de neutralité pontificale. Si le fonds de sa pensée reste insondable, le pape conciliait une fois encore les intérêts temporels et spirituels de l’Église, et l’avancement de sa famille.
34L’accord entre la France et le Saint-Siège prévoyait un duché et un mariage princier pour César, ainsi que le soutien de Louis XII dans le rétablissement de la puissance pontificale en Romagne73. Les campagnes du nouveau duc de Valentinois firent cependant apparaître les contradictions des politiques monarchiques et pontificales dès la fin du printemps 150174. La restauration de l’autorité du pape s’était faite au détriment de seigneurs qui étaient non seulement ses vassaux, mais des hommes et des cités sous la protection du roi, voire des alliés de longue date. En juillet 1502, Louis XII reçut à Asti puis Milan une série de plaintes sur les ambitions et les agissements du duc de Valentinois. Aux voix des ennemis des Borgia se mêlèrent celles de seigneurs locaux venus chercher la protection du Très Chrétien – tels le gouverneur de Bologne, Bentivoglio, ou le duc d’Urbino, Guidobaldo da Montefletro –, d’alliés fidèles, comme les marquis de Montferrat et de Saluces, et des représentants de Florence et de Venise.
35Louis XII n’était pas insensible à ces plaintes. L’alliance avec le pape risquait de lui coûter ses soutiens italiens. S’il envoya un fort détachement de l’armée, commandé par Louis de la Trémoille, pour faire cesser les troubles à la mi-juillet 150275, son attitude resta ambiguë. Lorsque les tensions avaient surgi, il avait poussé Ercole d’Este à accepter l’union de son fils, Alphonse, avec Lucrèce Borgia76. Alexandre Borgia y trouva opportunément l’occasion de poursuivre ses conquêtes77, de se rapprocher des familles de Ferrare, Mantoue et Urbino et de renforcer son alliance française. Ercole d’Este consentit à cette alliance parce que le roi de France était soucieux de conserver le soutien du pape, affirme Francesco Guicciardini, et parce qu’il craignait l’ambitieux César78. Cette union lui apportait néanmoins une dot considérable, constituée notamment des villes de Cento et de Pieve di Cento, ainsi que de l’investiture pontificale et héréditaire du duché de Ferrare, jusque-là nominative et donc, en théorie du moins, intransmissible.
36Si les plaintes des alliées du Pô étaient légitimes, celles des seigneurs de Romagne étaient toutefois plus difficiles à défendre. Ne tenaient-ils pas leur autorité du Saint-Père ? César Borgia le rappela à Louis XII en réponse de ses remontrances. Gonfalonier de l’Église, il agissait sur commandement express du pape pour la protection et la préservation du patrimoine de Saint-Pierre « comme chose a luy appartenant par droict propriétaire79. » Le roi ne lui avait-il pas d’ailleurs confié, en 1499, le soin de « conquester le conté d’Ymolle et la soubmectre au pape, a qui de droict elle appartenoit80 ». Ces arguments devaient porter auprès de celui dont l’intervention dans la péninsule reposait sur la défense de la légitime propriété. Il n’y avait cependant pas de choix simple. À la cour, la politique à suivre faisait débat, mais Louis XII pouvait-il prendre le risque de perdre le soutien d’Alexandre VI ? Celui-ci garantissait la libre circulation de ses troupes et apportait un appui financier et logistique d’autant plus indispensable à la guerre de Naples que se nouaient les premiers conflits avec Ferdinand d’Aragon.
37Pourtant, alors que Louis XII continuait de protéger son fils, et à peine un an après avoir annoncé son alliance avec les souverains français et espagnol pour lutter contre les Turcs et Federico Ier (juin 1501), le pape négociait secrètement avec Ferdinand d’Aragon. Était-ce simplement parce qu’il était « Espagnol et mauvaiz Françoys81 » ? La « qualité des temps » n’avait-elle pas une nouvelle fois imposée ce revirement ? L’ouverture de la guerre entre Louis XII et Ferdinand II, l’impossible conciliation de leurs prétentions napolitaines, et l’installation durable des Français dans le milanais ne l’y déterminaient-ils pas ? N’éviterait-il pas ainsi l’encerclement français qui soumettrait ses États aux allées-venues incessantes de leurs troupes et à une subordination de la politique pontificale à celle du roi de France ? La présence des Trastamare à Naples ne modérerait-elle pas les ambitions des Valois et l’équilibre de la péninsule italienne, comme cela avait été le cas au temps des Aragonais et des Sforza ?
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38La politique pontificale ne fut donc pas menée seulement par le profit personnel d’Alexandre VI qui était non seulement patriarche de la famille Borgia, mais aussi chef des États pontificaux et guide de la chrétienté. Si les choix qui furent les siens contribuèrent à l’avancement de son clan, ils n’étaient pas dépourvus de sens au regard des intérêts temporels et, autant que possible, spirituels de l’Église. Cela ne signifie pas que l’intérêt n’ait pas été l’un des moteurs de l’action pontificale, mais simplement qu’il ne fut jamais le seul.
39Pour le comprendre, il faut toutefois considérer que les logiques familiales, politiques et religieuses n’étaient ni antinomiques, ni incompatibles. Au contraire même, elles étaient inséparables dans le contexte de l’époque et s’entremêlaient sans cesse. Parfois, Alexandre VI réussit à les accorder, comme lorsque les unions matrimoniales de ses enfants vinrent sanctionner les alliances politiques, ou lorsque les pouvoirs spirituels du pape fournirent les armes de la lutte. D’autre fois, elles étaient irréconciliables, comme lors de l’appel au Turc ou de l’accord de Rome, quand les devoirs religieux et politique du Saint-Père entrèrent en contradiction.
40Les revirements de la politique d’Alexandre Borgia démontrent alors tout autant sa capacité à se mouvoir dans l’incertitude des guerres d’Italie qu’à saisir l’occasion quand elle se présentait. Le pape poursuivit ainsi en partie la politique menée par ses prédécesseurs depuis le milieu du xve siècle, et instaura des principes et des pratiques que suivirent ensuite ses successeurs. La dernière période de sa vie et de son pontificat témoigne cependant de son échec à faire de la papauté une force susceptible de rassembler ou de s’imposer aux souverains séculiers. Il ne fut en effet signataire ni du traité de Grenade, conclu en 1501 entre Louis XII et Ferdinand d’Aragon, ni de la paix de 1503. Toutefois, et alors que la figure et la politique guerrière de Jules II sont aujourd’hui mieux connues, celles du pape Borgia restent encore largement à étudier82. Le tableau de Tiziano Vecellio, présenté à l’exposition « De Titien à Rubens » au palais des doges de Venise du 5 septembre 2019 au 1er mars 202083, révèle pourtant la présence de la guerre, et de la croisade ici en l’occurrence, dans la mise en scène du pouvoir pontificale. Finalement, c’est le rôle de la guerre dans la construction de la souveraineté romaine, et la place du pontificat d’Alexandre VI dans ce processus, qu’il reste à interroger.
Notes de bas de page
1Nicolas Machiavel, Le prince, Paris, Union générale d’éditions, 1962, p. 70.
2Sur la politique et la diplomatie d’Alexandre VI voir : Gabriele Pepe, La politica dei Borgia, Naples, Riccardo Ricciardi, 1946 ; Michael Mallett, The Borgias, Londres, The Bodley Head, 1969. Voir aussi plus généralement : Charles Yriarte, César Borgia : sa vie, sa captivité, sa mort, Paris, Rothschild, 1889.
3Pour leur remise en cause voir notamment : Michele Monaco, « The Instructions of Alexander VI to his Ambassadors Sent to Louis XII in 1498 », Renaissance Studies, 2/2, 1988, p. 251-257 ; Jean-Marie Le Gall, Les guerres d’Italie (1494-1559). Une lecture religieuse, Genève, Droz, 2017.
4Christine Shaw, Michael Mallett, The Italian Wars, 1494-1559. War, State and Society in Early Modern Europe, Édimbourg, Pearson, 2012, p. 11. Le Saint-Empire et les royaumes de France et d’Aragon, comme l’Empire ottoman, étaient alors des acteurs anciens de la politique italienne. Voir : Christophe Masson, Des guerres en Italie avant les guerres d’Italie : les entreprises militaires françaises dans la péninsule à l’époque du Grand Schisme d’Occident, Rome, EFR, 2014 ; Matthias Schnettger, Marcello Verga (éd.), L’imperio e l’Italian nella prima etat moderna/Das Reich und Italien in der Frühen Neuziet, Bologne, Il Molino, 2006 ; Giovanni Ricci, Appello al Turco : i confini infranti del Rinascimento, Rome, Viella, 2011.
5Peter Partner, The Lands of St. Peter : the Papal State in the Middle Ages and the Early Renaissance, Londres, Eyre Methuen, 1972 ; Paolo Prodi, Il Sovrano pontefice : un corpo e due anime, la monarchia papale nella prima età moderna, Bologne, il Mulino, 1982.
6Raphaël Carrasco, La famille Borgia. Histoire et légende, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée (Voix du Sud), 2013, p. 143-163.
7Philippe de Commynes, Mémoires, éd. par Joël Blanchard, Genève, Librairie Droz, 2007, t. 1, p. 561.
8Letizia Arcangeli, « Appunti su guelfi e ghibellini in Lombardia nelle guerre d’Italia (1494-1530) », dans Marco Gentile (éd.), Guelfi e ghibellini nell’Italia del Rinascimento, Rome, Viella, 2005, p. 391-472.
9Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 562.
10Robert Gaguin, Pierre Desrey, Les Chroniques de France, Paris, Michel Le Noir, 1516, fol. ccviii v.
11Sur les relations entre Florence et le pape à la veille des guerres d’Italie : Christine Shaw, Michael Mallett, The Italian Wars, op. cit., p. 11.
12La lutte menée par Alexandre VI contre les cardinaux et les grands féodaux durant les guerres d’Italie poursuivait ainsi une politique de ses prédécesseurs. Carla Frova et Maria Grazia Nico Ottaviani, Alessandro VI e lo Stato della Chiesa, Rome, Ministero per i beni e attività culturali, 2003.
13Guy Le Thiec, Les Borgia, Paris, Tallandier, 2011, p. 42-45.
14Olivier de La Brosse, Le pape et le concile, la comparaison de leurs pouvoirs à la veille de la Réforme, Paris, Éditions du Cerf, 1965 ; Aldo Landi, Concilio e papato nel Rinascimento, 1449-1516 : un problema irrisolto, Turin, Claudiana, 1997.
15Jean-Louis Gazzaniga, « L’appel au concile dans la politique gallicane de la monarchie de Charles VII à Louis XII », dans Jean-Louis Gazzaniga (éd.), L’Église de France à la fin du Moyen Âge : pouvoirs et institutions, Goldbach, Keip (Bibliotheca eruditorum : internationale Bibliothek der Wissenschaften, 11), 1995, p. 15-53.
16Romeo De Maio, Savonarola e la Curia romana, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1969.
17Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 729-730. Ces explications furent reprises ensuite dans de nombreuses sources françaises ainsi que les Chroniques de France de Robert Gaguin et de ses continuateurs. Voir aussi : Le premier volume de la mer des histoires, […] puis la création du monde jusques en l’an mil cinq cens XLIII, Paris, Claude Langelier, 1543, fol. clxxiii v.
18Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 569.
19Nicolas Le Roux, Le crépuscule de la chevalerie, Seyssel, Champ Vallon, 2015, p. 175-177. Voir aussi : Alexandre Haran, Le lys et le globe. Messianisme dynastique et rêve impérial en France aux xvie et xviie siècles, Seyssel, Champ Vallon, 2000, p. 33 et suiv. ; Géraud Poumarède, Pour en finir avec la croisade. Mythes et réalités de la lutte contre les Turcs aux xvie et xviie siècles, Paris, PUF, 2004, p. 106.
20La menace fut encore brandie en avril 1494 après que le pape a rejoint le parti d’Alphonse II ; en janvier 1495, lorsque le roi entra dans Rome ; en janvier 1497, il consulta la faculté de théologie de la Sorbonne sur les modalités de convocation du concile ; en octobre 1501, quand Louis XII envoya le cardinal d’Amboise à Maximilien ; et en juillet 1502, quand il s’interrogeait sur la poursuite de son soutien à César Borgia. Mais ni Charles VIII ni Louis XII n’y eurent finalement recours. Voir notamment : Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 574 ; Ludwig von Pastor, Histoire des papes, Paris, Plon, 1898, t. 5, p. 33 ; Patrick Gilli, Alexandre VI et la France d’après les sources contemporaines : physionomie d’une relation diplomatique inconciliable, dans Maria Chiab (éd.), Roma di fronte all’Europa al tempo di Alessandro VI, Rome, Ministero per i beni e le attività culturali/Direzione generale per gli archivi, 2001, t. 1, p. 70 et 72 ; Jean d’Auton, Chronique de Louis XII, éd. par René de Maulde La Clavière, Paris, t. 2, 1891, p. 139, note 1, et p. 141, note 3.
21Lettre aux roi et reine d’Aragon et de Castille, Amboise, 13 février 1494 (n°749), dans Lettres de Charles VIII, roi de France, éd. par Paul Pélicier, Paris, Librairie Renouard, 1903, t. 4, p. 16-17. Sauf indication contraire, les lettres citées ci-après sont toutes extraites de ce recueil.
22Jean‑Marie Le Gall, Les guerres d’Italie, op. cit., p. 83.
23Jean-Louis Fournel, Jean-Claude Zancarini, La politique de l’expérience. Savonarole, Guicciardini et le républicanisme florentin, Alessandria/Lyon, Edizioni dell’Orso/École normale supérieure, 2002, p. 23 ; Jean-Claude Zancarini, « “Se pourvoir d’armes propres” : Machiavel, les “péchés des princes” et comment les racheter », Astérion, 6, 2009 [En ligne : http://asterion.revues.org/1475].
24Le pape initia une ligue anti-napolitaine réunissant Milan, Venise, Sienne, Ferrare et Mantoue le 25 avril.
25Robert Gaguin, Pierre Desrey, Les Chroniques de France, op. cit., fol. cciiii. L’entretien de l’ambassadeur de France, Perron de Baschi, avec Alexandre VI le 13 août 1493, fut encourageant bien que le pape n’y prit pas d’engagement. Henri-François Delaborde, « Un épisode des rapports d’Alexandre VI avec Charles VIII. La bulle pontificale trouvée sur le champ de bataille de Fornoue », Bibliothèque de l’École des chartes, 47, 1886, p. 517.
26Álvaro Fernández de Córdova Miralles, Alejandro vi y los Reyes Católicos, Relaciones político-eclesiásticas (1492-1503), Rome, Edizioni Università della Sancta Croce, 2005, p. 383-463.
27Patrick Gilli, Alexandre VI et la France d’après les sources contemporaines, op. cit., p. 59.
28Henri-François Delaborde, « Un épisode des rapports d’Alexandre VI avec Charles VIII », art. cit., p. 522.
29Ibid., p. 518.
30Le titre de duc de Gandia, la principauté de Tricarico et les comtés de Chiaramonte, Lauria et Carinola.
31Sigismondo dei Conti, Storia dei suoi tempi, Rome, Ministero di agricoltura, industria e commercio, 1883, t. 2, p. 60.
32Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 535.
33Le premier volume de la mer des histoires, op. cit., fol. clxxi ; Jean Bouchet, Annales d’Aquitaine, Poitiers, Enguilbert de Marnef, 1557, fol. 172. La décision du roi ne semble pas avoir elle-même été assurée. Il s’arrêta plusieurs jours à Lyon « non assez certain sil passeroit les montz », d’après Robert Gaguin et Pierre Desrey, Les Chroniques de France, op. cit., fol. cciiii.
34Jean-Marie Le Gall, Les guerres d’Italie, op. cit., p. 91.
35Lettre de Charles VIII à Ludovic Sforza, Montils-Lez-Tours, 8 février 1494 (n°745), dans Lettres de Charles VIII, op. cit., p. 10-12.
36Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 575. Alexandre VI fit aussi de Guillaume Briçonnet et de Philippe de Luxembourg des cardinaux.
37Honorat de Valbelle, Histoire journalière d’Honorat de Valbelle (1498-1539), éd. par Victor-Louis Bourilly, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1985, p. 4.
38Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 569.
39Giovanni Ricci, Appello al Turco, op. cit., p. 49-50.
40Robert Gaguin et Pierre Desrey, Les Chroniques de France, op. cit., fol. ccviii-ccx.
41Lettre au cardinal de Saint-Denis, Château de Pavie, 15 octobre 1494 (n°805), dans Lettres de Charles VIII, op. cit., p. 98.
42Lettre au pape Alexandre VI, Florence, 29 novembre 1494 (n°822), dans ibid., p. 121.
43Lettre au duc de Ferrare, Viterbe, 12 décembre 1494 (n°826), dans ibid., p. 126.
44Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 563-564. L’accord prévoyait notamment le libre passage des troupes du roi et un sauf-conduit pour celles d’Alphonse de Calabre. Robert Gaguin et Pierre Desrey, Les Chroniques de France, op. cit., fol. ccx.
45Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 564.
46Johannes Burckard, Dans le secret des Borgia. Journal du cérémoniaire du Vatican, 1492-1503, éd. par Vito Castiglione Minischetti et Ivan Cloulas, Paris, Tallandier, 2003, p. 163.
47Robert Gaguin et Pierre Desrey, Les Chroniques de France, op. cit., fol. ccx v.
48Patrick Gilli, Alexandre VI et la France d’après les sources contemporaines, op. cit., p. 65 ; et Ivan Cloulas, Charles VIII et les Borgia en 1494, dans Italie 1494, ed. par Adelin Charles Fiorato, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995, p. 43.
49Nombre de traités militaires recommandait de dresser des potences au milieu du camp pour cela.
50Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 564 et 574.
51Lettre au duc de Bourbonnais, Rome, 12 janvier 1495 (n°737), dans Lettres de Charles VIII, op. cit., p. 143.
52Johannes Burckard, Dans le secret des Borgia, op. cit., p. 165-166.
53Robert Gaguin et Pierre Desrey, Les Chroniques de France, op. cit., f. ccxi.
54Lettre à Ludovic Sforza, Lyon, 7 mars 1494 (n°756), dans Lettres de Charles VIII, op. cit., p. 25.
55Lettre au duc de Bourbonnais, Rome, 12 janvier 1495 (n°737), dans ibid., p. 144.
56Lettre au duc de Milan, Rome, 17 janvier 1495 (n°840), dans ibid., p. 149.
57Lettre au duc de Bourbonnais, Rome, 17 janvier 1495 (n°841), dans ibid., p. 151.
58Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 576 ; Robert Gaguin et Pierre Desrey, Les Chroniques de France, op. cit., fol. ccxi.
59Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 536.
60Lettre aux roi et reine d’Aragon et Castille, Amboise, 13 février 1494 (n°749), dans Lettres de Charles VIII, op. cit., p. 17.
61L’évêque Briçonnet écrivait à la reine Anne : « Le roy […] ne veult point entreprendre sa dépposicion, quelque chose qu’il luy fait adherer à son ennemy. », cité par Patrick Gilli, Alexandre VI et la France d’après les sources contemporaines, op. cit., p. 65-66. Jules Luette de La Pilorgerie, Campagne et bulletins de la grande armée d’Italie commandée par Charles VIII, 1494-1495, Nantes, Forest et Grimaud, 1866, p. 135.
62Lettre au cardinal de Saint-Denis, Château de Pavie, 15 octobre 1494 (n°805), dans Lettres de Charles VIII, op. cit., p. 98.
63Les cent lances qui lui sont confiées sont une marque de distinction en soi.
64Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 725. À deux reprises, il fut question de relancer la conquête. La première entreprise avorta lorsque le duc d’Orléans, qui devait conduire l’armée la fit échouer pour rester proche du roi « mal disposé de sa santé ». La seconde conduite par Giangiacomo Trivulzio, visait Gênes. La ville reçut toutefois le soutien du duc de Milan, de Venise, d’Alexandre VI et de Naples avant son arrivée.
65Ibid., p. 726.
66Robert Gaguin et Pierre Desrey, Les Chroniques de France, op. cit., fol. ccxxiiii. Le 9 février 1499 était signé avec eux le traité de Blois 1499, suivi en mars d’un autre avec les cantons Suisse.
67Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 716-719 et cit. p. 716. Cette proposition préfigurait le traité de Grenade, signé avec Ferdinand d’Aragon le 11 novembre 1500.
68Ludwig von Pastor, Histoire des papes, t. 5, p. 464 ; Yvonne Labande-Mailfert, Charles VIII et son milieu (1470-1498). La jeunesse et au pouvoir, Paris, Klincksiek, 1975, p. 426.
69Raphaël Carrasco, La famille Borgia, op. cit., p. 121-141.
70Philippe de Commynes, Mémoires, op. cit., p. 726. Sur la politique d’Alexandre VI vis-à-vis de Louis XII, voir les documents présentés par Léon-Gabriel Pélissier, « Sopra alcuni documenti relativi all’alleanza tra Alessandro VI e Luigi XII (1498-99) », Archivio della Società Romana di Storia Patria, 17, 1894, p. 303-373, et 18, 1895, p. 99-215 ; id., Louis XII et Ludovic Sforza (8 avril 1498-23 juillet 1500), Paris, Fontemoing, 1896, 2 vol. Voir aussi : « Instructions données par le pape Alexandre VI à son ambassadeur extraoridinaire auprès du roi de France en 1498 », dans Procédures politiques du règne de Louis XII, éd. par René Maulde de la Clavière, Paris, Imprimerie Nationale, 1885, p. 1106-1111.
71Michele Monaco, « The Instructions of Alexander VI to his Ambassadors », art. cit., p. 254‑255.
72René de la Clavière, Procédures politiques, op. cit., p. 812.
73Nicolas Le Roux, Le crépuscule de la chevalerie, op. cit., p. 212 ; Léon‑Gabriel Pélissier, « Sopra alcuni documenti », art. cit., 17, 1894, p. 303-373.
74Le 3 octobre, le cardinal d’Amboise fut envoyé auprès de Maximilien Ier pour obtenir la révocation de Ludovic Sforza et l’investiture milanaise pour son maître. Officieusement, il cherchait le soutien de l’empereur pour destituer le pape. Il est difficile de croire qu’il ait mener cette entreprise sans l’accord du roi. En juillet 1502, les cardinaux Giuliano Della Rovere, Raphaël Riario, Gian Battista Orsini, Sanseverino assuraient Louis XII de leur soutien pour l’élection de Georges d’Amboise. Jean d’Auton, Chronique de Louis XII, op. cit., t. 2, p. 139, note 1, p. 141, note 3, et t. 3, p. 15-16 et 27-28.
75700 hommes d’armes, 6000 Suisses et 17 pièces d’artillerie à en croire Jean d’Auton. Ibid., t. 3, p. 9 et 28.
76Le second époux de Lucrèce, Alphonse d’Aragon avait été assassiné, le 18 août 1500 par César Borgia. Cet acte scella la rupture avec Naples quelques semaines seulement avant la signature du traité de Grenade. Les conditions du nouveau mariage fut conclues le 21 décembre 1501.
77Ferrare se trouvait en effet dans une position stratégique dans la plaine du Pô entre Florence et Venise, et proche de Bologne.
78Francesco Guicciardini, Histoire d’Italie, 1492-1534, éd. par Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini, Paris, Robert Laffont, 1996, t. 1, p. 366-367.
79Jean d’Auton, Chronique de Louis XII, op. cit., t. 3, p. 18-19, cit. p. 31.
80Le 5 novembre, il se déclarait « protecteur de l’Église » et faisait du duc de Valentinois son lieutenant dans la reconquête du comté d’Imola. Ibid., t. 1, p. 119, note 1, cit. p. 120.
81Ibid., t. 2, p. 34.
82Giulio Nepi, Giovanna R. Terminiello, Giulio ii, papa, politico, mecenate. Atti del Convegno, Gênes, De Ferrari, 2005 ; Massimo Rospocher, Il papa guerriero. Giulio ii nello spazio pubblico europeo, Bologne, Il Mulino, 2015.
83Timothy de Paepe et al., Da Tiziano a Rubens capolavori da Anversa e da altre collezioni fiamminghe, s.l., Snoeck, 2019.
Auteur
Benjamin Deruelle est professeur d’histoire moderne à l’Université du Québec à Montréal et chercheur à l’Institut de Recherches Historiques du Septentrion (IRHIS UMR 8529 — CNRS-Université de Lille). Ses travaux portent sur l’histoire de l’État, de la guerre et des élites, ainsi que sur la culture et les pratiques martiales au tournant du Moyen Âge et de l’époque moderne. Il est notamment l’auteur de : De papier, de fer et de sang. Chevaliers et chevalerie à l’épreuve de la modernité (ca. 1460-ca. 1620), Paris, Publications de la Sorbonne, 2015 ; « Le temps des expériences, 1450-1650 » dans L’histoire militaire de la France, Paris, Perrin, 2018. Il a notamment contribué à : Mondes en guerre, Paris, Passés Composés, 2019. Il codirige aux éditions de la Sorbonne la série consacrée à la construction du militaire (Volumes parus en : 2013, 2017, 2020), ainsi que la collection War Studies aux Presses universitaires du Septentrion.
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