Conclusion
p. 439-443
Texte intégral
1Dans son organisation subtile et séduisante, le présent colloque, franchement international, a voulu explorer, principalement mais non exclusivement autour et à partir des différents types et niveaux de pouvoirs, formels ou informels, les mots clefs de communication et surtout d’information : il a fait choix, en l’occurrence, d’un thème porteur, propre à retenir l’attention de la communauté des médiévistes spécialisés dans la période xiiie-xve siècle. Il serait intéressant de savoir comment les historiens de la première modernité voient le problème, dès lors que l’imprimerie fut amenée à y jouer un rôle croissant et dès lors que prit son essor, comme en France, la poste publique.
2Différents termes empruntés ou non à la langue du temps ont été cités ou cernés : avis, nouvelle, affichage, publication et « publieur », cri et crieur (ce dernier pouvant être qualifié de « maître de l’espace public »), message, messagerie, messager, courrier, renseignement, espionnage, correspondances, héraut d’armes...
3Surtout à partir du xve siècle, quantité de ces professionnels de l’information et de la communication sont pour l’historien soucieux de prosopographie un peu plus que des noms : on peut parfois suivre le déroulement de leur carrière et connaître leurs origines familiales, sociales et géographiques. Certains d’entre eux étaient titulaires d’un véritable office, ce qui leur assurait sinon des revenus importants du moins un authentique statut. Des signes distinctifs permettaient de les repérer au premier coup d’œil (en Allemagne, la pique, la boîte à message, songeons aussi aux tabards des hérauts d’armes). Pratiquement en toute saison, des messagers se déplaçaient à pied, d’autres à cheval. De toute façon, le métier était rude, parfois dangereux. Un modèle planait : celui des anges, et notamment de l’archange Gabriel (référence à l’Annonciation). Dans les meilleurs des cas, on peut repérer des circuits, cartographier des déplacements.
4Au cours du colloque, l’accent a été mis, de façon significative, sur le xve siècle, en raison, bien sûr, de l’abondance croissante des sources mais aussi, peut-être, en raison du rôle croissant de l’information dans les préoccupations des gouvernants comme des gouvernés.
5L’information a été comparée à une marchandise, destinée à circuler, comme toute marchandise. Maîtriser l’information était source de profit (ainsi pour les hommes d’affaires) et de pouvoir.
6À l’intérieur de l’Occident, quantité de pays et de régions – il faut s’en réjouir – ont été abordés ou envisagés : Angleterre, Écosse, Italie, Castille, Empire, Scandinavie, anciens Pays-Bas, et, dans les limites de la France actuelle, Provence, Normandie, Dauphiné, Bretagne, Toulouse, Saint-Quentin, Paris.
7De façon générale, ont été privilégiées les sources écrites, à caractère public sinon officiel. Le problème de la langue de l’information a été posé : c’est sans surprise qu’on constate le large recours aux langues vulgaires ; toutefois, il convient de souligner la résistance du latin, en raison de son caractère international et aussi de son prestige culturel. Les chancelleries persistaient à y recourir, au cas par cas, une semblable pratique était supposée renforcer leur identité et leur dignité. Subsidiairement, les œuvres d’art n’ont pas été oubliées, ne serait-ce qu’à travers l’exemple du vitrail, conçu comme la « mise en forme » accessible à la masse des fidèles d’un message politique et surtout religieux. La question de l’oralité a été abordée par quantité de communications : concrètement, qui comprenait quoi, qui entendait quoi ?
8Les pouvoirs étaient visiblement là pour recueillir l’information, à des fins politiques et aussi judiciaires, aussi rapidement, amplement et fidèlement que possible. On songe ici au rôle des enquêteurs, des espions, des ambassadeurs mais aussi des femmes, des moines, des sycophantes, à l’écoute, censément pour le bien public, de tout ce qui se passait. Cette masse d’informations, dûment recueillies, donna naissance au besoin à de copieux dossiers, à d’épais registres. Elles devaient circuler à bon escient, notamment au sein de l’administration, en vue d’une meilleure « police ».
9Les pouvoirs prenaient soin de retenir pour eux-mêmes cette information, de la filtrer (en effet un de leurs objectifs était de conserver le secret, ainsi en matière financière et militaire). Ils prenaient soin aussi de la diffuser, si elle leur était profitable, en direction de l’opinion publique, laquelle, à la fin du Moyen Âge tout comme maintenant, n’était pas une donnée brute mais, en partie au moins, une construction.
10Entre le faire et le dire, le lien était organique, comme le montre l’exemple des Weistümer, dont la proclamation en présence des communautés villageoises et de leurs chefs était une manifestation privilégiée du pouvoir seigneurial.
11Pour « réformer » à bon escient, les pouvoirs devaient s’informer, recueillir des témoignages oraux, éventuellement les orienter, et aussi fouiller dans les archives.
12Il est évident, même si la documentation n’est pas des plus explicites sur ce point, que les ordonnances nouvelles devaient être promulguées dès lors que, selon un axiome du droit écrit, nul n’était censé ignorer la loi, ou le droit (« que nul n’en puisse prétendre ignorance », même si la rigueur de la formule était à chaque instant atténuée en fonction de considérations pratiques). La classe politique devait être mieux informée que les « simples gens », les milieux urbains que le plat pays, et, en France, Paris plus que les autres villes de province. De toute façon, un certain délai était admis, voire prévu. De même, toute décision de justice avait à être rendue publique, pour qu’on pût l’exécuter, ce qui posait parfois des problèmes délicats, ainsi quand le parlement de Paris prononçait un arrêt concernant la Flandre. Parmi les ordonnances qu’il était indispensable de faire connaître rapidement et universellement, il y a bien sûr les ordonnances monétaires, fixant, parfois pour un court laps de temps, voire au jour le jour, le cours des monnaies. D’une manière générale, toute vie économique, tout échange commercial supposait de l’information, quant au marché de l’argent, quant à la situation financière des parties prenantes, etc. N’oublions pas que la fin du Moyen Âge voit la naissance des mercuriales.
13Il semble que souvent n’étaient portés à la connaissance du public que des résumés où seules les dispositions essentielles étaient retenues : il suffisait par exemple qu’une paix fût connue, sans qu’il fût possible ou nécessaire d’entrer dans le détail. Parmi les rituels de l’information en vigueur à l’époque, figure la publication des joutes, des pas d’armes, des tournois, à l’intention en priorité du milieu nobiliaire.
14Relativement bien documenté, l’exemple classique de Jeanne d’Arc offre un condensé des problèmes liés à l’information et à la communication, dès lors que son action fut étroitement liée au faire-savoir, dès lors aussi que ses procès, notamment celui de Rouen, reposèrent sur des informations recueillies un peu partout (et sans doute aussi des dénonciations). Indépendamment de la circulation des rumeurs plus ou moins incontrôlées, tantôt défavorables, tantôt favorables à la Pucelle, il y eut un effort assez sensible, quoique disparate, de la part de Charles VII et de son entourage pour faire savoir, à l’issue de l’interrogatoire de Poitiers, qu’on pouvait, voire qu’on devait se fier en elle, sous peine d’ingratitude envers la Providence. Un souci identique se constate, dont les comptabilités municipales ont gardé la trace, en vue d’informer les populations, dans l’enthousiasme et dans l’espérance, de la levée du siège d’Orléans et du sacre de Reims. En revanche, l’échec sous les murs de Paris ne dut donner lieu à aucune publicité officielle au sein du royaume de Bourges, ni non plus les événements qui se succédèrent, désastreux pour la cause des Valois (toutefois nous voyons Regnault de Chartres réconforter les habitants de Reims en soutenant que la prise de la Pucelle n’était pas si grave et qu’on lui avait déjà trouvé un remplaçant). Du moins, le relais fut pris par la France bourguignonne : la capture de Jeanne d’Arc sous les murs de Compiègne fut signalée en France (Saint-Quentin) et hors de France (Savoie) par le duc Philippe de Bourgogne. A Londres, un observateur transcrivit la lettre en question dans le registre où il consignait les événements de ce genre. L’évêque Cauchon, pour son « beau procès », recueillit manifestement toutes sortes d’informations, qui guidèrent les interrogatoires. En un sens d’ailleurs, tout procès de l’époque est constitué d’une succession d’informations. Et la condamnation de Jeanne d’Arc fut aussitôt suivie par un dispositif cohérent, en latin comme en français, en direction des pouvoirs temporels (l’empereur, les rois, les princes), de l’Église et de l’opinion publique (par exemple parisienne), destiné à propager à travers le royaume de France et même la chrétienté la version officielle du procès, où étaient consignés les aveux successifs de Jeanne d’Arc, y compris à la veille de son martyre.
15On serait donc en présence de sociétés qui, notamment dans leur dimension politique, ne vivaient pas repliées sur elles-mêmes. Vers 1500, un pouvoir, quel qu’il fût, était soucieux d’avoir des informateurs et des informations et de faire savoir, au mieux de ses intérêts, ses décisions, ses réussites, éventuellement ses projets. Dans ce processus, les informations de caractère familial, telles les naissances, occupent une place de choix. Sans doute peut-on penser (mais comment quantifier tout cela ?) qu’avant même le recours à l’imprimerie, l’information, à la base aussi bien qu’au sommet, était plus dense, plus efficace, sinon toujours de meilleur aloi, en 1450 qu’en 1250. Les « progrès » de l’information, via toute une variété de réseaux et de canaux, font bel et bien partie de l’essor de l’État dit moderne, notamment sous la forme des enquêtes de terrain qui se multiplièrent en vue d’une action politique mieux fondée et dès lors plus efficace. On pourrait envisager sous cet angle le règne de Louis XI.
16Mais sans doute y avait-il des régions ou des milieux à l’écart, et à l’inverse des régions ou des milieux où se concentrait l’information. Les cours royales et princières (y compris, bien sûr, la curie romaine), les foires, les milieux d’affaires, les principaux monastères, les habitants des grandes métropoles appartenaient à la deuxième catégorie. En revanche, comment ne pas admettre que des campagnes reculées bénéficiaient de peu de données dans ce domaine, étaient informées avec retard et constituaient en même temps des zones d’ombre où les agents du pouvoir pénétraient difficilement ? Quel était le rôle exact du prône dominical dans le processus d’information des chrétiens, au niveau paroissial ?
17Mais peut-être le plus difficile est-il de préciser la place exacte qu’occupait l’information, du haut en bas, de bas en haut, et aussi latéralement, dans l’esprit des gens de pouvoir. Des signes existent en bon nombre pour montrer qu’ils n’étaient pas indifférents à ce problème : toutefois, on éprouve parfois le sentiment que, même en tenant compte de la modicité des moyens techniques et financiers à leur disposition (relativement aux budgets des villes, l’information, sous toutes ses formes, coûtait cher), les maîtres du jeu politique auraient pu aller sensiblement plus loin dans cette direction. On est en présence ici ou là de véritables campagnes d’information, ou de désinformation (ainsi lors de la rivalité des Armagnacs et des Bourguignons), mais parfois aussi d’une certaine inertie, d’une relative indifférence. Une quête des données propres à l’information dans l’ensemble de la documentation de la fin du Moyen Âge procure une moisson assez abondante, mais ne risque-t-on pas d’être victime d’une illusion d’optique ? Un roi comme Charles VII a-t-il suffisamment informé ses sujets, a-t-il été lui-même suffisamment informé de leurs réactions ? Les contemporains, Jean Juvénal des Ursins et quelques autres, se sont, semble-t-il, posé la question.
18C’est à bon droit que nos sociétés contemporaines peuvent être qualifiées de sociétés de l’information, dominées voire tyrannisées par l’information (au point même que celle-ci devienne parfois inaudible). Constatons qu’il y avait une bonne dose d’information dans les sociétés d’il y a un demi-millénaire et plus – le présent colloque en a porté éloquemment le témoignage, en forme de bilan et de perspective – mais peut-on déjà les qualifier de sociétés de l’information, même si, en tant que sociétés chrétiennes, elles étaient par définition sensibilisées à l’importance décisive du Message, de la Nouvelle ?
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