La gestion de l’information administrative en Provence sous la seconde maison d’Anjou (1382-1481) : quelques pistes de recherche
p. 327-337
Texte intégral
1Cet article est le fruit de premières réflexions et de sondages effectués dans les archives dans le cadre d’un nouveau projet de recherche sur l’appareil administratif de la seconde maison d’Anjou dans le comté de Provence. Ne seront donc présentées que des pistes de recherche et les premières hypothèses de travail.
2À partir de 1382, suite à l’adoption de Louis Ier d’Anjou par la reine Jeanne deux ans plus tôt, une nouvelle dynastie règne sur le comté. La transition ne se fit pas sans heurts. Elle donna lieu à l’opposition de la plupart des villes provençales, lesquelles réunies au sein de l’Union d’Aix optèrent pour Charles de Duras. Cependant, grâce à l’action énergique de la reine Marie de Blois, tout le comté fit progressivement allégeance aux nouveaux souverains. Ce fut chose faite en 1387. Cette dynastie régna un siècle durant sur la Provence, jusqu’à son intégration au royaume de France en 14811 Des souverains français étaient dorénavant à la tête du comté : des souverains, maîtres d’un ensemble disparate allant de l’Anjou au royaume de Naples, jusqu’à l’hypothétique royaume de Jérusalem.
3Les impacts de l’arrivée de cette nouvelle dynastie sont à la base de ce projet. La plupart des historiens ayant travaillé sur l’État provençal du xve siècle ont l’impression, sans pour autant qu’une étude d’envergure n’ait pu réellement le démontrer, que s’opèrent alors des changements importants dans le fonctionnement, voire dans la nature même de l’État. Le bel ordonnancement administratif du temps des rois Charles II et Robert et dans une moindre mesure du temps de la reine Jeanne, fruit d’une évolution biséculaire, semble se transformer, presque se rompre.
4Pour appréhender ce phénomène, notre réflexion s’organisera autour de deux grands axes. Une première partie traitera du monde des offices sous la seconde maison d’Anjou et de l’apparition de nouveaux rapports entre le souverain et ses officiers. Une deuxième insistera sur les incidences de l’arrivée de cette nouvelle dynastie sur le système d’information en examinant l’utilisation de documents ayant pour fonction la collecte, la transmission et la conservation de l’information administrative à l’échelon local.
Les fruits de la conquête
5Le contexte historique spécifique à ce qu’il faut bien appeler la conquête du comté est certainement le point de départ d’une transformation des rapports entre le souverain et ses officiers.
6Dans le contexte difficile du changement de dynastie, Marie de Blois dut créer à partir de peu une clientèle provençale. C’est elle qui, au milieu de la guerre de l’Union d’Aix, édifia la principauté en construisant un réseau de fidélités personnelles. Grâce à un petit noyau initial de fidèles, elle rallia progressivement tous les opposants par « l’attrait de l’argent, de “rémission” et de privilèges »2. Au début, elle put bénéficier des biens confisqués aux rebelles, mais par la suite, le domaine royal – terres et droits comtaux – dut être aliéné, hypothéquant ainsi pour longtemps une bonne part des ressources économiques et fiscales du comté3.
7C’est là le véritable point de départ du développement de liens personnels au sein de l’État. L’intervention de la seconde maison d’Anjou en Provence, la présence, nouvelle, des souverains dans le comté, accentuèrent au sein de la fonction publique la dimension personnelle du service et par extension le développement de réseaux de clientèle. Beaucoup de ces premiers bénéficiaires connurent par la suite de longues et brillantes carrières. De véritables dynasties d’officiers se mirent en place, des réseaux de clientèle s’élaborèrent. Pensons à la famille des Jarente qui dut sa fortune à la fidélité sans faille du notaire Guigonet Jarente à la reine Marie de Blois. Il se vit remercier par l’octroi de plusieurs seigneuries situées en haute Provence. Puis, tout au long du xve siècle, ses descendants occupèrent des postes importants à la cour centrale4.
8Perçus comme une récompense, les offices étaient de plus en plus considérés comme la propriété de leurs détenteurs. Il s’ensuivit le développement de la vénalité privée des offices, phénomène documenté par Marcelle-Renée Reynaud pour les offices de la cour centrale5, mais certainement tout aussi présent dans l’appareil administratif local. Les premières plaintes des états de Provence s’élevèrent lors de l’assemblée de 13916, quelques années après l’installation de la seconde maison d’Anjou. Par la suite, la vénalité fut un motif de récriminations régulières de la part des états de Provence. Il n’est guère de session où ne s’élèvent des plaintes à cet égard. Ainsi, aux réunions de 1399, 1419, 1420, 1432, 1437, 1469, 1470 et 14737, les députés réclamèrent la fin de la vente des offices, demandes toujours acceptées par le souverain ou son représentant, mais qui restèrent lettres mortes.
9Les mandats des officiers locaux dépassaient également souvent la durée réglementaire d’un an (pour les juges, viguiers et bailes) ou de deux ans (pour les clavaires), et ce, en dépit, encore une fois, des protestations répétées des états qui tenaient à une stricte limite de la durée des offices locaux8. Les souverains eux-mêmes prorogeaient les mandats des officiers. Ainsi, en 1411, la reine Yolande prolongea de six mois le séjour du viguier d’Aix9 et à deux reprises, pour un total d’une année, celui du juge10. Nicolas Aliberti, clavaire de Draguignan, rédigeait en 1399 son sixième compte11, tandis que Pons Raybaudi, notaire de Guillaume, fut vice-clavaire d’Aix12 au moins neuf années consécutives, de 145513 à 146414.
10Enfin, la non-résidence des officiers conjuguée à l’engagement de substituts était, selon les états, une autre plaie qu’il fallait absolument combattre. Cela semble être, il est vrai, une pratique courante à cause du cumul des offices. Beaucoup de grands officiers, de conseillers ou de gens de l’hôtel étaient nommés à des offices locaux qu’ils n’avaient aucunement l’intention d’occuper. Les secrétaires du roi se virent ainsi souvent confier une claverie. Jean Johannis obtint la claverie de Marseille en 1435 et Michel Grascinelli celle de Sisteron en 143015 Autre exemple, en 1411, la reine Yolande permit au juge d’Aix de se faire remplacer par un substitut car, exerçant en même temps dans la judicature d’Avignon, il ne pouvait occuper les deux offices à la fois16 Cela obligeait donc les officiers à engager des substituts ou parfois à vendre leurs offices, ce que l’on voit se produire même dans la capitale du comté, comme le montre l’exemple de noble Antoine de Comps, viguier d’Aix, lequel certifie, en 1460, avoir bien résidé à Aix pendant la durée de son office, mais par procuration. C’est son frère Michel de Porta, alias de Comps, qui a résidé à Aix pour lui, avec le titre de vice-viguier17. René, quant à lui, permit à son conseiller, le jurisperitus Nicolas de Angerrelis, d’occuper pendant deux années consécutives le poste de juge ordinaire d’Aix en lui accordant le droit d’exercer par l’intermédiaire d’un juge substitut18.
11Dans l’ordre administratif voulu par Charles II et appliqué par ses successeurs, ces pratiques avaient peu de place, comme le montre l’étude prosopographique que j’ai réalisée pour la Provence du xive siècle19. Le xve siècle paraît donc être le temps de nouveaux rapports entre souverains et officiers et entre officiers eux-mêmes. Un petit groupe de personnes accaparaient les principales charges publiques grâce aux liens privilégiés qu’elles entretenaient avec la personne du souverain, liens basés sur une fidélité personnelle où l’argent occupait une place centrale. Argent prêté parfois au souverain, ce qui faisait des officiers les créanciers du prince, mais également argent redistribué sous forme d’offices20, dans un système où transparaît l’échange de dons21. Les officiers, agents locaux de l’État, étaient en nombre croissant membres des clientèles des grands personnages entourant le souverain. L’appareil administratif était ainsi de plus en plus traversé par des liens de dépendance personnelle qui court-circuitaient les hiérarchies traditionnelles.
Incidences sur le système d’information administratif
12L’appareil administratif ne subit pas une métamorphose brutale à l’arrivée de la seconde maison d’Anjou. Comme tout appareil administratif, il avait fait preuve d’une certaine inertie. Autant il avait résisté aux troubles politiques du règne de la reine Jeanne, autant les habitudes administratives eurent la vie longue dans ce nouveau contexte.
13Cependant, avec les nouveaux rapports qui s’installaient dans les hiérarchies du pouvoir, des changements affectèrent les réseaux par lesquels transitait l’information administrative. Ces réseaux, mis en place sous la première maison d’Anjou dans la seconde moitié du xiiie siècle et utilisés efficacement au cours du siècle suivant, reposaient en grande partie sur la production régulière de documents assurant la conservation et la transmission de l’information administrative22.
Les états des droits ou états des affaires pendantes
14Pour notre propos, les états des droits comtaux sont sans aucun doute les documents les plus importants. Ceux-ci ayant fait l’objet de l’un de mes précédents articles23, je ne reviendrai pas sur leur forme et contenu. Rappelons seulement qu’ils avaient pour fonction de renseigner le nouveau clavaire de tous les droits, biens et revenus perçus au nom du comte dans un espace donné, sans omettre les changements intervenus durant le mandat de l’ancien clavaire. Ils représentent donc une volonté de mettre sur pied un instrument normalisé permettant d’assurer le suivi de toutes les affaires d’une viguerie ou baillie24.
15L’état des droits d’Apt en 1409 et celui de Barjols en 1421 respectent la tradition. Ils sont tous deux rédigés sur le modèle mis en place au xive siècle. Les droits comtaux ainsi que les registres entreposés dans les coffres de la cour y sont méticuleusement décrits avec la date des parlements tenus par les juges et le nom de ces derniers.
16Cependant, un décompte minutieux du nombre d’états des droits qui nous sont parvenus donne un premier indice des transformations affectant le système de gestion de l’information administrative. Ces documents, éléments essentiels de la continuité administrative, nous sont parvenus en nombre beaucoup moins important sous la seconde maison d’Anjou. Les règnes du roi Robert et de la reine Jeanne nous ont laissé une centaine d’états des droits, alors que les cent années de la seconde maison d’Anjou ne nous ont fait parvenir que trente-huit de ces documents, une diminution de l’ordre des deux tiers.
17Il est pour l’instant délicat d’interpréter ces chiffres. Nous ne pouvons pas d’emblée en conclure une désaffection des clavaires envers la production de ce document, ni même un laisser-aller administratif. En fait, puisque le clavaire ne produisait un état des droits que lors de sa sortie de charge, cela peut simplement refléter le fait que ces officiers restaient beaucoup plus longtemps en poste qu’auparavant.
18Cependant, une telle diminution ne peut être attribuable à ce seul facteur. Des informations éparses laissent percevoir une certaine négligence dans la tenue de ces documents. En 1403, le clavaire de Draguignan, quittant son office, produisit comme à l’accoutumée un état des droits. Pour réaliser ce document, il avoue avoir dû se rendre dans les archives royales d’Aix pour aller consulter un ancien état des droits pouvant lui servir de modèle25. Il y avait pourtant bien un état des droits dans les archives de la cour, tel qu’il apparaît dans la liste que ce même clavaire a dressé des registres, mais qui datait des années 1358-136026. Le clavaire a probablement dû le considérer comme trop ancien pour être d’une quelconque utilité. Il avait également à sa disposition un exemplaire de la vaste enquête réalisée par Leopard de Fulgino dans les années 1331-133327. La vétusté de cette enquête devait encore davantage la disqualifier. Mais pourquoi alors les conservait-on ?
19Autre exemple, en 1460, le vice-clavaire d’Aix fut obligé d’aller faire des recherches dans les archives royales pour connaître le montant des gages versés annuellement au geôlier de la cour lorsque vint le moment de le payer28. Il aurait pourtant dû avoir à sa disposition un état des droits l’informant de ce salaire. Qu’il n’y ait point d’état des droits utilisable dans les cours royales de Draguignan et Aix, ou du moins que le clavaire ne soit plus à même d’obtenir dans sa circonscription l’information nécessaire à son travail est symptomatique d’un certain laisser-aller dans la production de ce type de documents ou du moins dans la constitution et l’entretien d’archives locales.
Les autres registres
20Les cours locales continuèrent à produire différents types de registres dont il est difficile d’établir une typologie. À en croire les inventaires dressés par les clavaires, il s’agit essentiellement de registres ayant trait à la justice. Ainsi, dans l’état des droits d’Apt de 1409, il y est fait le décompte de vingt-huit registres de condamnations et de lattes remontant, pour le plus ancien, à 138629. L’état des droits de Barjols, quelques années plus tard, en 1421, relève la présence dans les coffres de la cour de quinze registres de parchemins pour les condamnations, remontant jusqu’aux années 1380, et un seul de lattes30.
21Toutefois, nous avons quelques mentions d’autres registres tenus par les notaires de cour. En 1410, le clavaire de Draguignan a eu l’idée de noter précisément la quantité de papier qu’il confie à chaque notaire de cour et pour quel usage31. Nous avons ainsi la preuve de l’existence d’un registre des lattes (laterio faciendo de novo), d’un registre des affaires criminelles (pro matricula criminali faciendo) et d’un registre des lettres royaux (pro cartulario maiore litterarum). Le reste du papier est confié aux notaires soit pour des enquêtes particulières (pro processu contra aliquos homines de Celhianis), soit pour établir le procès-verbal d’affaires criminelles (l’expression n’est pas très claire : pro criminali extendendo, pro criminale faciendo).
22Par ailleurs, à Barjols en 1421, fait rarissime, le clavaire prit la peine de noter dans son état des droits les registres en cours de rédaction. À la lecture de ce document, il semble qu’étaient alors tenus un registre des affaires criminelles, un autre des causes civiles, un autre des contumaces, un autre des litterarum maiorum et enfin un dernier pour les rémissions où, précise le clavaire, sont inscrits trois lattes et une contumace32.
23Quel usage faisait-on de ces registres ? À aucun moment il n’est fait mention de leur présence dans les archives locales. Ils ne semblent donc pas être conservés. Seuls sont répertoriés dans les états des droits les registres de condamnations et de lattes. Posons l’hypothèse que, dans la pratique, n’étaient vraiment utiles que les documents ayant une finalité financière. Cela expliquerait que les registres de condamnation et de lattes aient été les seuls à être précieusement entreposés tant et aussi longtemps que toutes les amendes n’avaient pas été perçues. Jusqu’en 1420 au moins, il semble donc que les clavaires des différentes circonscriptions provençales aient fait méticuleusement tenir différents registres ayant surtout à faire avec les amendes de justice.
24Les habitudes du siècle précédent semblent donc être conservées, avec peut-être l’ajout d’une nouveauté, le registre des litterarum maiorum dont les états des droits du xive siècle n’ont pas laissé de trace. Toutefois, au cours du xive siècle, les états des droits faisaient, bon an mal an, mention de l’existence de cinquante à cent registres de condamnations entreposés dans les coffres de la cour. Sous la seconde maison d’Anjou, le nombre de registres subit une baisse notable. La cour royale de Draguignan, par exemple, ne conservait, en 1410, en tout et pour tout que huit registres de condamnations et de lattes33. On peut supposer que, dans ce domaine également, une certaine négligence dans la tenue des registres s’installa progressivement.
Les comptes des clavaires
25Le compte de clavaire est un document comptable que le clavaire devait présenter devant la chambre des comptes chaque année, quinze jours après la Toussaint. La tenue des comptes ne semble jamais avoir été remise en question. Au nombre de comptes qui nous sont parvenus, ils paraissent être produits au même rythme qu’auparavant. Il nous reste, pour la seconde maison d’Anjou, 134 comptes de clavaire, alors que les règnes du roi Robert et de la reine Jeanne nous en ont laissé une centaine.
26Quant à leur organisation interne, jusqu’aux années 1410, il n’y a pas de changements remarquables. Les mêmes postes sont présents et dans le même ordre que précédemment. C’est le cas du moins des vigueries d’Aix et de Draguignan. Cependant, des sondages dans les comptes de clavaire postérieurs aux années 1410 laissent apercevoir une désorganisation progressive des comptes. Ceux-ci sont en effet de plus en plus mal tenus, rédigés sans le soin qui caractérise les comptes du xive siècle.
27L’évolution semble être arrivée à son aboutissement sous le règne du roi René (1434-1480). L’analyse de plusieurs comptes, provenant pour la plupart d’Aix, capitale du comté, et datant du tournant des années 1460, démontre l’ampleur des changements.
28La date de clôture des comptes, immuable pendant un siècle et demi, passe de la Toussaint au 30 avril dans les années 1460. Le principe du compte unique est également battu en brèche. Le vice-clavaire d’Aix rédige chaque année deux comptes différents où figurent des recettes et dépenses distinctes, tandis que l’ordre des rubriques, immuable pendant plus d’un siècle, change d’un compte à l’autre sans raison apparente.
29Alors qu’il n’était pas rare au xive siècle que les comptes occupent plus de 200 folios, ils se réduisent maintenant à quelques dizaines. D’où provient cette brusque diminution ? Le secteur des recettes se limite à des listes très sèches de personnes ayant payé le fouage de Noël, l’albergue de la Saint-Michel ainsi que des amendes. Ces dernières, alors qu’elles faisaient auparavant l’objet d’assez longues descriptions où étaient indiqués le nom du juge, son parlement et le délit commis, ne donnent lieu maintenant qu’à la mention du nom du condamné et de l’amende payée. Quant aux dépenses, elles n’indiquent que les paiements des gages des officiers et les pensions versées au chapitre d’Aix et aux frères prêcheurs.
30Par ailleurs, les montants des recettes et des dépenses sont très bas pour une circonscription d’une telle importance. Ils ne vont guère au-delà de 400 livres coronats par année (le plus haut montant, datant de l’exercice 1461-1462, s’établit à 410 livres34) alors qu’ils dépassent aisément les 1 000 livres au xive siècle, et ce, même après la peste. Cette importante chute des revenus ordinaires d’une viguerie ne peut s’expliquer que par la crise. Elle est le reflet des nombreuses aliénations du domaine comtal opérées depuis le temps de la reine Marie, poursuivies par ses successeurs et accentuées encore sous le règne du roi René.
31Il s’ensuit que les revenus ordinaires des circonscriptions provençales passent au second rang dans les recettes de l’État. Ces revenus sont tellement bas que le clavaire n’a parfois pas assez d’argent pour payer les gages des officiers de la viguerie dans leur intégralité35, les dépenses dépassant le total des recettes. Les emprunts et l’impôt deviennent les principales sources de financement de l’État. L’information fiscale et financière circule dorénavant par d’autres canaux qui relèguent au second plan les circuits traditionnels.
32Le bon fonctionnement de cet appareil administratif local est aussi moins important qu’auparavant. La circulation et la conservation de l’information administrative ne sont plus aussi primordiales qu’elles l’étaient. Les dépenses se réduisent alors au minimum, se résumant au paiement des gages des officiers salariés. Les diete (remboursements de frais de voyage), si nombreux dans les comptes du xive siècle et qui reflétaient l’importance de l’activité administrative, ont pratiquement disparu. Il n’y a plus de paiements aux messagers, ni de paiements pour les voyages de juges ou de notaires allant enquêter aux quatre coins de leur circonscription. Même les achats de papier et de parchemin se réduisent comme peau de chagrin.
33Des changements parfois imperceptibles, mais certains, s’opèrent. Il faudra, dans des recherches ultérieures, les inscrire plus précisément dans la chronologie. Pour l’instant ils n’apparaissent réellement en pleine lumière que sous le règne du roi René36.
34Cette évolution peut être expliquée en partie par le tarissement des revenus ordinaires des vigueries et baillies provençales, suite à la crise du xive siècle. Elle est surtout la conséquence des nombreuses aliénations des droits et revenus comtaux opérées dans le but de constituer et de fidéliser une clientèle. Il ne s’agit pas d’affirmer que le système d’information se dégrade mais plutôt que les instruments mis en place à partir du xiiie siècle, qui avaient pour but principal de recueillir et de transmettre une information portant sur les droits et les revenus royaux, n’ayant plus la même utilité, ne sont plus tenus avec la même rigueur. Les seules sources de revenus gardant une certaine importance sont les amendes de justice. C’est pourquoi, tout au moins jusqu’aux années 1420, les registres de condamnations étaient encore présents en assez grand nombre dans les archives locales.
35Les députés des états affirmaient que la vénalité des offices et la non-résidence des officiers occasionnaient de grands dommages pour le pays. L’un de ces derniers était la présence, dans les différentes cours locales, d’officiers incompétents qui récupéraient l’argent investi sur le dos des administrés, faut-il prendre ces récriminations au pied de la lettre et, dans ce cas, cela explique-t-il également la négligence dans la tenue des registres et des comptes ?
36Le lien entre ces deux phénomènes est loin d’être clair et la documentation consultée, fragmentaire, ne nous permet pas d’avancer des réponses assurées. Des études semblables menées dans d’autres principautés territoriales n’abondent pas dans ce sens. Par exemple, pour la Bretagne ducale, Jean Kerhervé ne note pas de changements notables dans la tenue des comptes, même s’il remarque la même évolution dans le monde des offices37. Guido Castelnuovo souligne également que, pour la Savoie, « [...] fidélité personnelle et compétence professionnelle en premier lieu juridique, ne s’opposent pas, mais se complètent »38. Il reste cependant certain que l’efficacité du système mis en place à la fin du xiiie siècle reposait sur l’existence d’un personnel instruit et compétent, ce qui fut le cas sous les règnes de Robert et Jeanne, tel que j’ai pu le démontrer dans ma thèse. Les transformations affectant les offices sous la seconde maison d’Anjou, la probabilité d’une présence nouvelle d’un personnel d’origine française39, le tarissement des ressources ordinaires des vigueries et baillies de Provence constituent autant de facteurs pouvant expliquer que soient alors remis en question les circuits traditionnels par lesquels transitait l’information administrative.
Notes de bas de page
1 A. Venturini, « La guerre de l’Union d’Aix », dans 1388. La dédition de Nice à la Savoie, Actes du colloque international de Nice (septembre 1988), Paris, p. 35-141.
2 M.-R. Reynaud, Le temps des princes : Louis II et Louis III d’Anjou-Provence : 1384-1434, Lyon, 2000, p. 53.
3 Ead., Le temps des princes..., p. 56. À titre d’exemple, à Draguignan, les revenus de pratiquement tous les villages de la viguerie furent donnés à des particuliers ou à des communautés religieuses. Les revenus de l’albergue de Saint-Michel de Fréjus, Fayence, Seillans et Revest furent donnés au prieur de Grimaud ; l’albergue de Salon à Sarao Albe et à son fds le damoiseau Georges de Castellane, tandis que tous les biens et juridictions du Luc furent donnés au noble Bertrand de Castilhono. Le prieur de Grimaud bénéficia également d’une remise d’albergue pour Beaudron et Bagnols, ainsi que Giraud de Villeneuve, seigneur des Arcs et Taradeau, pour Taradeau, et le chevalier Élion de Villeneuve, seigneur des dits lieux, pour Montferrat et Les Esclans. Cf. Archives départementales des Bouches-du-Rhône [dorénavant ADBR], B 1871, fol. 258v-262v.
4 J.-L. Bonnaud, Les agents locaux de l’administration royale en Provence au xive siècle : catalogue et étude des carrières, thèse de doctorat, Université de Montréal, 1997, vol. 2, no 608 ; F. Cortez, Les grands officiers royaux de Provence au Moyen Âge, Aix-en-Provence, 1921, p. 253-255 ; M.-R. Reynaud, Le temps des princes..., op. cit., p. 53, 55, 158-159.
5 M.-R. Reynaud, Le temps des princes..., op. cit., p. 147.
6 V. L. Bourilly, R. Busquet et al., Les Bouches-du-Rhône. Encyclopédie départementale, t. 2. Antiquité et Moyen Âge, Paris-Marseille, 1924, p. 636.
7 G. Gouiran et M. Hébert, Potentia. Le livre des États de Provence (1390-1523), Paris, 1997 (Documents inédits de l’histoire de France, XCII), no 19, § 29 ; no 23, § 26 ; no 24, § 15 ; no 27, § 33 ; no 28, § 29 ; no 31, § 54 ; no 33, § 26 ; no 36, § 23.
8 M.-R. Reynaud, Le temps des princes..., op. cit.
9 ADBR, B 1613, fol. 63.
10 ADBR, B 1613, fol. 68 et 69.
11 ADBR, B 1870, fol. 109.
12 Même s’il porte le titre de vice-clavaire, il effectue toutes les tâches habituelles d’un clavaire. Jamais, durant ses mandats, il n’est fait mention de l’existence d’un clavaire.
13 ADBR, B 1617, fol. 1.
14 ADBR, B 1620, fol. 415.
15 M.-R. Reynaud, Le temps des princes..., op. cit., p. 148.
16 ADBR, B 1613, fol. 69v.
17 ADBR, B 1618, fol. 158.
18 ADBR, B 1618, fol. 110v.
19 J.-L. Bonnaud, Les agents locaux..., op. cit.
20 Guido Castelnuovo remarque le même phénomène pour la Savoie voisine : « La disponibilité financière apparaît comme l’une des toutes premières bases d’un recrutement qui reste pour l’essentiel interne à l’espace princier : les créanciers ducaux sont pour la plupart issus de la société politique régionale, ce sont des seigneurs ruraux et des notables urbains souvent déjà intégrés dans le tissu administratif savoyard », G. Castelnuovo, « Quels offices, quels officiers ? L’administration en Savoie au milieu du xve siècle », Études Savoisiennes, 2 (1992), p. 5-41, ici p. 7.
21 Voir les remarques de A. Guery, « Le roi dépensier. Le don, la contrainte et l’origine du système financier de la monarchie française d’Ancien Régime », Annales ESC, 1984, p. 1242, 1248, 1255, 1259, 1260.
22 J.-L. Bonnaud, « La transmission de l’information administrative en Provence au xive siècle : L’exemple de la viguerie de Forcalquier », Provence Historique, 1996, p. 211-228.
23 Ibid.
24 Voir à ce sujet l’article de Michel Hébert dans ce recueil.
25 ADBR, B 1871, fol. 250.
26 ADBR, B 1871, fol. 264.
27 Ibid.
28 ADBR, B 1618, fol. 166v.
29 ADBR, B 1695, fol. 41v-45v.
30 ADBR, B 1764, fol. 99-100.
31 ADBR, B 1873, fol. 123-125.
32 ADBR, B 1764, fol. 100.
33 ADBR. B 1873, fol. 297-297v. Je n’ai pas pu consulter d’états des droits plus tardifs. Il m’est donc pour l’instant impossible de vérifier si tous ces registres continuèrent d’être tenus par les différentes cours locales.
34 ADBR, B 1620, fol. 31 1v.
35 ADBR, B 1613, fol. 64.
36 Il reste par exemple à bien établir la chronologie de la mise en place de la vénalité des offices, des changements dans la tenue des comptes de clavaire et des états des droits.
37 J. Kerhervé, « Prosopographie des officiers de finances : l’exemple des trésoriers de l’Epargne bretons du xve siècle » dans Medieval lives and the historian : Studies in medieval prospography, N. Bulst et J.-P. Genet éd., Kalamazoo, 1986, p.267-289, ici p.276 ; J. Kerhervé, L’État breton aux 14e et 15e siècles. Les Ducs, l’Argent et les hommes, Paris, 1987.
38 G. Castelnuovo, « Physionomie administrative et statut social des officiers savoyards au bas Moyen Âge : entre le prince, la ville et la seigneurie (xive-xve siècle) », dans Les serviteurs de l’État au Moyen Âge – XXIXe congrès de la SHMESP (Pau, 1998), Paris, 1999, p. 181-191, ici p. 188.
39 Dès la fin du xive siècle, certains notaires de cour se présentent comme tabellions, terme jusqu’alors inconnu en Provence. Avons-nous affaire à des tabellions français arrivés en Provence dans les valises des souverains, comme semble l’indiquer le latin très approximatif de l’un d’entre eux, ou bien l’influence française se fait-elle sentir jusque dans la dénomination des notaires ? Dans les deux cas, cela ne fut certainement pas sans conséquences sur le système d’information administratif.
Auteur
Université du Québec à Montréal
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