Chapitre 4. Hybridations
p. 95-114
Texte intégral
1Si les trajectoires politiques des scoutismes catholique et laïc sont différentes – le premier demeurant fermement conservateur alors que le second évolue tardivement vers l’anticolonialisme –, les pratiques des deux mouvements sont proches et doivent être analysées selon un double point de vue. D’une part, il s’agit de comprendre pourquoi ces activités ont exercé un tel pouvoir de fascination et créé un tel enthousiasme chez les enfants et adolescents, qui gardent jusqu’à aujourd’hui un souvenir ému de leur expérience ; d’autre part de saisir ce qui dans les pratiques en AOF peut correspondre à une « africanisation » de celles-ci1.
2Les pratiques des scoutismes catholique et laïc en AOF renvoient, immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, aux activités déjà développées en métropole. Le lecteur pourra juger cette disposition peu importante, voire triviale. Or, il n’en est rien. En effet, le cœur de la méthode scoute est constitué par ces activités, qui en font toute l’originalité. Nous devons ici faire un bref retour à la généalogie de la « forme » des pratiques scoutes, puisque ce sont bien d’elles dont il est question ici, pour mieux comprendre comment cette forme est susceptible d’agir sur les pratiquants, dans le contexte de l’AOF de l’après-guerre. L’inventeur du scoutisme, Lord Baden-Powell (1857-1941), est un officier colonial qui a participé à de nombreuses campagnes impériales et s’est illustré durant la guerre des Boers. C’est à cette occasion qu’il organise une nouvelle section de l’armée, chargée de la reconnaissance, et composé d’éclaireurs (scouts) pour la plupart recrutés chez les Boers. De retour en Angleterre en 1900, Baden-Powell veut réformer les « Boy’s Brigade » pour une préparation militaire moderne et créer en 1907 un nouveau mouvement de jeunesse, les scouts, qui connaîtra un succès fulgurant, enrôlant plus de 300 000 jeunes en quelques années. La pédagogie de Baden-Powell repose sur deux principes essentiels : d’abord la libre adhésion des enfants qui, au cours d’une cérémonie rituelle, jurent, sur les commandements du scoutisme, d’être fidèles à la doctrine. Cette libre adhésion est l’une des conditions du succès de l’entreprise, puisqu’elle permet aux enfants de reconnaître dans les activités scoutes une part de liberté inédite par rapport aux contraintes familiales, scolaires et souvent extrascolaires. Le second principe qui fonde la nouveauté du scoutisme est de proposer aux enfants des activités de plein air sur le mode de l’aventure au loin, qu’il s’agisse d’aventures coloniales ou de voyages dans les confins.
3La pédagogie du scoutisme repose donc sur l’ambition de former une nouvelle élite britannique, à partir de ces activités de plein air, qui constituent la forme des activités physiques du scoutisme. Cette forme est conçue par l’inventeur du scoutisme pour conforter les positions impériales de l’Angleterre et préparer la défense des marches de l’empire, tout en stimulant l’esprit d’aventure, propre à favoriser l’initiative économique individuelle et la prise de risque2. L’acquisition de ces dispositions s’opère par la mise en œuvre d’un nouveau rapport à l’espace tissé par les jeux et les excursions, qui sont l’occasion d’une projection vers le dehors, de la découverte de nouveaux espaces, et qui permettent aussi de distinguer métaphoriquement des frontières (que l’on doit délimiter, défendre ou attaquer), dispositifs qui renvoient évidemment à la projection impériale (Baden-Powell lui-même ne faisait nullement mystère des visées coloniales de sa pédagogie). L’espace du plein air est aussi un espace changeant propice à l’aventure rêvée, puisque la nature se révèle toujours renouvelée (climat, relief, végétation…) et inattendue. L’affrontement ludique avec la nature est l’occasion de former les « hommes de caractère et d’initiatives » qui seront à même de préserver la grandeur impériale de l’Angleterre. La dimension de la mise à l’épreuve (notamment l’excursion individuelle) et de la prise de risque par l’aventure acceptée (et même désirée) doit également favoriser, toujours par le jeu, les dispositions individuelles qui ont permis à l’Angleterre de devenir la première puissance économique mondiale. Il s’agit bien ici de se préparer à « entrer dans le grand jeu » qu’est la concurrence économique et coloniale mondiale, de construire des dispositions inclinant à la prise de risque, au pari et au coup de dé. Mais le scoutisme est aussi le lieu où s’expérimente une forme d’ambivalence et de vertige identitaire, non seulement par l’identification de chaque enfant à un animal totem, mais aussi parce que le scoutisme érige en modèle le « sauvage » (africain puis indien d’Amérique), pour ses qualités physiques, sensorielles et même cognitives, ce qui, au début du xxe siècle dans une Angleterre impériale très généralement persuadée de la supériorité de la race blanche3, relève au minimum de l’anachronisme et plutôt de la transgression.
4Cette spécificité du scoutisme mériterait vraiment une analyse plus approfondie, qui ne peut être engagée ici… On songe aux « devenirs animaux » analysés par Gilles Deleuze et Félix Guattari4 : ce que recèlent ces devenirs comme investissements psychiques vécus, comme lignes de fuite possiblement parcourues, bref comme expérimentation du multiple. Quoi qu’il en soit, la capacité des pratiques et de l’imaginaire scouts à faire vaciller les repères des enfants favorise l’entre-deux identitaire et culturel et donc l’hybridation entre les éléments de culture africaine et ceux de culture occidentale. Le scoutisme contribue ainsi à la construction d’une économie psychique inédite, par les dispositions qu’il crée vis-à-vis de l’espace, de la projection, de la frontière, de la conquête, du risque et de l’ambivalence identitaire. Le scoutisme crée aussi d’autres dispositions – telles par exemple la hiérarchisation, l’obéissance, l’acquisition de techniques – mieux connues et mieux analysées5. À partir de ces dispositions et cette économie psychique, naît, comme le souligne Daniel Denis un homo imperialis6. Comment la transposition de ces pratiques spécifiquement créées pour transformer les élites britanniques opère-t-elle en AOF ? Il est nécessaire, afin d’envisager la réponse à cette question, de revenir au plus près des pratiques. À partir des témoignages recueillis, nous pouvons dessiner le paysage des pratiques des scoutismes catholiques et laïcs, presque identiques, si l’on exclut les rites confessionnels propres aux Scouts de France.
Des pratiques « indigénisées » ?
5L’« africanisation des pratiques » est une question essentielle. Qu’entend-on par là ? L’« africanisation des pratiques » désigne l’adaptation de pratiques importées aux « mœurs » et aux « coutumes » africaines, soit leur créolisation, leur hybridation. L’africanisation des pratiques permettrait ainsi de relativiser, voire de nier l’acculturation des élites « indigènes » par les pratiques et l’idéologie scoutes. Par ailleurs, l’africanisation des pratiques constitue un analyseur du rapport des scouts aux sociétés africaines et aux Africains. De ce point de vue, il faut distinguer les discours sur l’adaptation des pratiques et la réalité de celle-ci. Dans les discours, la volonté d’une africanisation est précoce puisque, dès 1946, un appel est lancé pour adapter les pratiques des scouts catholiques à l’environnement africain, qui concerne prioritairement l’adaptation aux conditions climatiques et matérielles locales7. Pour l’AOF, les premières réflexions sur l’adaptation aux cultures et aux modes de vie des sociétés africaines sont décelables au tout début des années 1950 chez les scouts catholiques. Pour ceux-ci, l’idée centrale est alors, en tenant compte de ces différences raciales et culturelles, de valoriser les « qualités propres » des Africains afin de rendre les pratiques scoutes attrayantes et de permettre un accès progressif aux valeurs morales et spirituelles du scoutisme catholique, comme à la modernité8. Les spécificités culturelles des sociétés africaines, les « qualités propres » des Africains – le Noir posséderait des caractères distinctifs au sein de l’espèce humaine… –, sont mises en exergue pour mieux les utiliser dans l’objectif de la transformation de « l’homme africain ». Chez les Éclaireurs, animés par les valeurs de l’universalisme laïc, on ne trouve pas cette distinction raciale présente chez les scouts catholiques.
6Mais chez les SDF, ce différentialisme est aussi à l’origine d’une réflexion sur les sociétés africaines, décelable dans le journal des Guides d’AOF et d’AEF, La Pirogue, affirmant que la « tâche d’un mouvement de jeunesse comme le nôtre ne se conçoit que dans le respect de la mentalité des peuples que l’on veut transformer9 ». Mais ce respect ne peut se concevoir que dans la mesure où il ne fait pas un obstacle à l’inculcation des valeurs véhiculées par le scoutisme. L’objectif, chez les scouts catholiques comme laïcs, est toujours la transformation de l’Africain et des sociétés africaines, position qui est réaffirmée en 1959 : « Routiers et chefs doivent se soucier de retrouver, de moderniser, de christianiser toutes ces bonnes traditions : ce qui manquait à cette vieille Afrique pour se développer, c’était le contact avec les autres humains10. » D’où, chez les SDF, une position quelque peu schizophrénique, qui postule au respect formel des traditions et désire dans le même mouvement leur transformation, ou leur annihilation.
7Les thèmes de la mythologie scoute sont préservés dans les périodiques destinés à l’outre-mer : l’histoire de Mowgli, mais également les récits historiques d’édification, tels la vie du chevalier Bayard ou de saint François d’Assise pour les scouts catholiques, les grands « bâtisseurs d’empire » pour les scouts laïcs. À travers ces récits, les scouts catholiques cherchent à faire apprécier les valeurs du renoncement moral et de l’élévation spirituelle. Chez ces derniers, les pratiques religieuses participent de cette volonté de « redressement » qu’on retrouve chez les scouts laïcs sous la forme d’une éducation à la modernité. Chez les scouts catholiques, les activités liturgiques allient ainsi l’enseignement chrétien aux charmes du plein air : des messes sont célébrées en pleine nature, les prières rythment les activités dans la savane ou la forêt. L’objectif de telles pratiques est de permettre aux adeptes de comprendre que le monde qui les entoure est l’œuvre de Dieu, de saisir la beauté de la nature comme l’expression du divin, et de corriger ainsi chez les Africains un aveuglement spirituel les empêchant d’accéder à la « vraie foi11 ».
8Aussi, dans les deux mouvements, l’adaptation des pratiques est-elle limitée, et seulement dans la mesure où elle ne remet pas en cause la forme des pratiques (ce que les scouts nomment le « respect de la méthode »). La volonté d’africaniser le scoutisme catholique s’institutionnalise en 1957, date de l’autonomisation théorique du mouvement par la création des Scouts d’AOF, dont les statuts stipulent qu’« il paraît indispensable de promouvoir par l’intermédiaire du scoutisme les authentiques valeurs africaines et de les développer ». Mais cette africanisation des pratiques est essentiellement déclarative et reste en suspens au moins jusqu’en 1958. À cette date, La Pirogue soutient que les pratiques doivent être transformées « dans le sens d’une adaptation aux villages de brousse […], il faut trouver les moyens d’expression adaptés : chants, danses, mimes12 » ; de même Jean Lagarde, alors Commissaire national, remarque qu’« il est évident que, dans certains territoires d’outre-mer, pour les Raiders [troupes « d’élites » du scoutisme, fondées en 1947, s’inspirant des techniques des commandos britanniques13] plus encore que pour les classes et les brevets ordinaires, une sérieuse adaptation est à faire14 ».
9Dans les deux mouvements, des efforts ponctuels pour adapter le scoutisme au terrain africain sont réalisés. Ainsi, chez les scouts catholiques, plusieurs manuels scouts sont-ils publiés dans des langues véhiculaires au cours des années 1950 et l’utilisation des langues locales est tolérée lors des activités (ce qui constitue une différence fondamentale avec les éclaireurs). Enfin, chez les scouts catholiques, des chants et des danses africains ont été progressivement introduits dans les veillées et les épreuves permettant d’accéder aux échelons supérieurs de la hiérarchie scoute15.
Les limites d’une adaptation
10Dans les deux mouvements, l’africanisation des pratiques se traduit par la valorisation des cultures locales (même si le statut du terme « légende » n’est pas équivalent à celui d’« Histoire » ou que le concept de « race » renvoie chez les SDF à une représentation différentialiste et hiérarchisante), mais aussi par la rénovation de nombreux aspects pratiques. On observe également que l’africanisation s’accompagne de préoccupations civiques, un des axes centraux de l’éducation scoute (aider les vieillards, respecter les malades et les enfants…), de même qu’est encouragée la rationalisation de la vision du monde (expliquer pourquoi la lune apparaît puis disparaît…), et l’apprentissage de techniques importées (taper à la machine, présenter une lettre…).
11Ces modifications sont importantes, et correspondent à une « indigénisation » des pratiques que l’on retrouve par ailleurs dans presque toutes les autres colonies16. Mais il faut nous attarder sur la forme, qui, elle, est scrupuleusement réservée, puisqu’elle est constitutive de la méthode scoute, colonne vertébrale du mouvement comme la condition de son internationalisation. La préservation de la méthode est d’ailleurs un impératif catégorique de toutes les déclinaisons du scoutisme partout dans le monde durant les années 1950. Si on se place sur un plan métapolitique, les adaptations du scoutisme catholique et laïc sont des concessions limitées mais nécessaires à la rupture avec l’ordre des sociétés rurales et l’accès sans douleur aux normes et schémas socioculturels (et religieux pour les SDF) de la métropole. Ces adaptations sont également, dans le contexte local, une condition sine qua non pour conquérir de nouveaux adeptes africains. Mais la forme des pratiques elle-même reste inchangée, et continue de jouer un rôle essentiel dans le processus d’hybridation asymétrique des élites « indigènes ». Ainsi, par les pratiques s’énonce la perspective de l’autonomisation individuelle par la confrontation avec une aventure soigneusement balisée, la transformation de la perception de l’espace comme lieu de découvertes et surtout de conquête, l’inculcation de nouvelles normes sociales par une vie en communauté hiérarchisée dans laquelle le mérite individuel et l’amour de Dieu sont les vertus cardinales, l’expérimentation d’un nouvel espace de liberté (liberté d’action, mais aussi de parole) et la confrontation à des techniques occidentales. Les pratiques – prises ici comme des pratiques sociales mettant en jeu la mise en mouvement du corps comme lieu d’incorporation de normes17 – structurent un espace radicalement nouveau dans lequel la rupture avec les sociétés rurales se joue.
12Cette rupture est inséparable du projet du scoutisme de former une élite intermédiaire assimilée, sans remettre en question l’ordre colonial. Cette élite est forgée par les pratiques du scoutisme, mais également par l’imprégnation des schémas socioculturels dont il est porteur, comme par l’imprégnation, chez les SDF, des valeurs religieuses qui conditionnent son élévation spirituelle. Il s’agit ainsi d’un projet pourrait-on dire total de régénérescence de l’Africain, de la création d’un « homme nouveau18 » qui sera à même, à l’avenir, de prendre d’« importantes responsabilités19 ». Dans le cadre de la formation de cette nouvelle élite autochtone, la pratique du football prend une place tout à fait originale par rapport aux autres mouvements de jeunesse et s’articule étroitement aux autres pratiques scoutes.
Les pratiques scoutes, une rupture avec les sociétés rurales
13Comme en métropole, les scouts se retrouvent une à deux fois par semaine selon les groupes et le dynamisme des animateurs, et organisent une à deux fois par mois des sorties qui peuvent durer tout le week-end20. Ces sorties sont l’occasion d’organiser des excursions et de pratiquer le campisme, d’organiser des feux de camp, des jeux autour des feux et des jeux de nuit.
14L’excursion et le campisme doivent confronter le scout à une réalité nouvelle, celle de la vie en dehors du contexte scolaire ou familial et concrétiser, par la pratique, l’autonomie et la responsabilité individuelle. On retrouve en AOF les visées pédagogiques promues par les SDF et les EDF en métropole et, dans ce cadre, le scoutisme exerce un rapprochement avec la nature par la pratique du plein air, se substituant aux pratiques des classes d’âges21. Ici comme ailleurs, le simulacre d’aventures en pleine nature, aux frontières de la fiction et du réel, dessine l’espace pédagogique propre du scoutisme, autorisant l’inculcation subtile de règles et de normes qui balisent l’apprentissage de l’initiative et de la responsabilité. Les jeux de pleine nature sont également utilisés, comme en métropole, même si les conditions spécifiques de l’AOF – conditions climatiques difficiles, terrains parfois dangereux qui sont dès lors évités – limitent à la fois les possibilités horaires et spatiales de ces jeux. Mais nous retrouvons les jeux d’exploration, de défense des frontières (en général deux équipes participent, l’une devant découvrir et défendre un territoire, l’autre tenter d’y pénétrer), l’excitation de la découverte et le balisage de l’espace. Comme en métropole, l’usage de l’animal totem est généralisé, de même que les figures d’édification, lesquelles empruntent aux exemples des grands « bâtisseurs d’empire ». Partie intégrante de la pédagogie scoute, les jeux pratiqués se révèlent une médiation essentielle dans la transmission de savoirs pratiques mais aussi d’une vision du monde. L’encadrement des enfants, entre la scolarisation et leur participation au mouvement, apparaît particulièrement serré, accentuant la rupture avec les sociétés rurales. On peut séparer ces activités ludiques entre les jeux sportifs et les activités manuelles et culturelles.
15Les sports modernes n’ont pas été utilisés par les EDF d’AOF, là aussi dans la droite ligne de l’idéologie antisportive qui gouverne alors les conceptions pédagogiques des Éclaireurs en métropole. À l’inverse, les scouts catholiques, devant l’extraordinaire essor du football au cours des années 1950, vont adopter une attitude pragmatique. Dès 1948, constatant l’engouement des jeunes dakarois pour le football et l’extension de la pratique à l’ensemble des scolaires, Jean Forget préconise son introduction22. Le football est, en quelque sorte, un « produit d’appel » pour élargir le recrutement et séduire les jeunes Africains. Les scouts catholiques peuvent s’appuyer sur les missions catholiques, qui ont participé activement à la diffusion du football durant l’entre-deux-guerres23, et la Jeunesse ouvrière chrétienne, émergente24.
16À l’inverse de la gymnastique, conçue comme un exercice hygiéniste destiné à fortifier méthodiquement les corps, le football est perçu comme une activité ludique, qui récompense les efforts de la journée. Les modalités de pratiques répondent à la fois aux conditions de jeux, à la formation de l’encadrement et à la disponibilité des pratiquants : ainsi, presque aucun des canons de la discipline – temps de jeu, nombre de joueurs, dimensions du terrain (les scouts n’utilisent pas les rares terrains existants) – n’est respecté. Le matériel est également sommaire, et rares sont les troupes qui peuvent disposer d’un ballon en cuir. Les règles, relativement simples à assimiler, sont par contre respectées, l’aumônier faisant bien souvent fonction d’arbitre.
17Ces modalités de pratiques recouvrent largement celles de l’extension informelle du football dans l’Afrique de l’Ouest des années 1950 et l’adoption de la pratique par les scouts catholiques révèle une intelligence du social qui fait dans ce domaine défaut aux Éclaireurs de France, pourtant informés par plusieurs rapports de districts de la concurrence démobilisatrice du football. Les scouts catholiques participent ainsi à la diffusion du football, au même titre que les associations de jeunesse, et contribuent à l’enracinement dans la jeunesse d’une activité d’origine métropolitaine. Quant à la créolisation du football dans les différentes aires de son expansion, nous soutenons qu’elle ne concerne, comme nous l’avons expliqué auparavant, que les formes molles de la pratique, soit les artefacts contextuels qui la singularisent (spectateurs, insertion dans un calendrier local, manière de se vêtir, etc.), les significations investies par les acteurs dans le jeu (qui peuvent être extrêmement différentes d’une aire à l’autre), et les manières de jouer (le style du jeu : plus ou moins collectif ou individuel, brutal ou euphémisé, défensif ou offensif, etc.).
Puissance de la forme sportive
18Reste que la forme du jeu, muette et quasiment intangible, demeure. Et celle-ci est loin d’être neutre : on retrouve dans le football et conformément aux vœux de ses premiers promoteurs comme aux conditions sociohistoriques de son émergence dans l’Angleterre du xixe siècle, l’essentiel des schèmes qui constituent la modernité occidentale telle qu’elle se précise alors. Tout d’abord le football est une compétition interindividuelle qui implique une évaluation et un classement entre les acteurs et, par conséquent, la promotion – même symbolique –, des meilleurs. Dans cette perspective, le football répond aux exigences du Struggle for life, exigence en l’occurrence très liée à l’esprit de compétition du capitalisme marchand britannique du milieu du xixe siècle. C’est pourquoi les Muscular Christians voyaient dans le football (et le sport de compétition d’une manière générale) le moyen de former les élites britanniques aux nouvelles conditions de la concurrence mondiale et de préserver l’avance économique et coloniale de ces dernières sur les autres nations, tout en moralisant les mœurs en renforçant les corps25. Cette compétition, cependant, se déroule dans le cadre d’une lutte réglée par les dispositions normatives précises qui se sont accumulées dans la seconde partie du xixe siècle.
19Ces dispositions, outre qu’elles déterminent les conditions spatiales, temporelles et, plus généralement, réglementaires, du jeu, ont pour objectif et conséquence d’imposer des comportements de jeu conformes aux prescriptions et limitations définies par les règles. Norbert Elias et Eric Dunning, et après eux Allen Guttmann26, ont magistralement démontré comment ces normes poursuivent un travail de régulation et de complexification des mœurs dont le corps est la cible, et qui a pour objet d’une part de réguler et d’euphémiser la violence (à l’intérieur d’un cadre réglementaire resserré) ; d’autre part d’imposer le respect de lois civiles, incarnées métaphoriquement par l’arbitre. Ces dispositifs ne peuvent cependant rendre compte des innovations portées par le football, et plus généralement par les sports modernes. Le football ouvre, en effet, dans ce cadre propre à l’universalisation, une scène où se jouent des métaphores culturelles d’une très grande puissance. Celle, d’abord, d’un espace proprement mérito-démocratique : que le meilleur gagne ! Cet axiome, devenu depuis l’un des leitmotivs des institutions sportives, a une signification sociale implicite : le sport sera l’espace dans lequel les inversions et les transgressions sociales seront possibles (et elles le seront, effectivement). Quels que soient la naissance, la fortune, le rang, seuls les meilleurs seront reconnus. Dans le cas du football, cette possibilité de transgression se double de la possibilité d’intervertir les rôles dans l’espace du jeu, en étant successivement arrière, ailier, gardien… Soulignons encore que la plus anodine partie de football, même jouée dans des conditions réglementaires approximatives, garantit d’être différente de n’importe quelle autre. Elle offre nombre d’aléas, de rebondissements, de suspens toujours renouvelé, dans une narration de l’incertitude. C’est là la condition où s’inventent la créativité, la ruse, la force des « meilleurs ».
20Aussi le football (et plus généralement le sport), activité le plus souvent considérée comme « anodine » par les historiens qui n’en comprennent pas la portée, ou considérée du point de vue de ses incidences sur le plan politique (comme lieu de sociabilité de la contestation politique par exemple), tisse au contraire une métaphore d’une très grande puissance et portée, pratique et symbolique, qui permet de rompre avec les pesanteurs des sociétés gérontocratiques et/ou castées africaines. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici de dispositifs pernicieux, ni même pleinement pensés par les initiateurs européens de la pratique comme un instrument de « civilisation » mais, le plus souvent, comme un innocent moment de délassement et, dans le cas des Scouts de France (puis d’AOF à partir de 1958), comme d’un moyen d’attirer de jeunes Africains, la popularité du football étant en plein essor au cours des années 1950. Il est symptomatique, à cet égard, qu’aucun des témoins que nous avons interrogés, Africain ou Européen, n’ait fait spontanément le lien entre la pratique d’un sport ou d’activités scoutes et le processus de formation des nouvelles élites d’AOF, et, plus encore, comme un moyen d’acculturer ces élites, alors qu’ils reconnaissent spontanément ce rôle à l’école, à la lecture, au théâtre européen ou au cinéma. Les dispositifs corporels sont en effet muets, les intentions et les discours de leurs inventeurs (qui, eux, ne cachaient nullement leurs desseins pédagogiques, sociaux et moraux27), ont disparu. Nul besoin de répéter inlassablement ces discours, le pouvoir des pratiques se suffit à lui-même. Ces dispositifs corporels, non discursifs, ne sont donc pas des dispositifs de pouvoir, ils sont autre chose, des formes de transmission, d’assimilation, et, dans le cas qui nous occupe, participent silencieusement à l’hybridation asymétrique que nous avons définie en introduction. Leur pouvoir tient à leur mutité, mais aussi, décisivement, au désir des acteurs (ici, des enfants et des adolescents) « d’en être ». Ainsi, l’incorporation de valeurs et de schémas socioculturels importés par la forme des pratiques, combinée à la volonté prosélyte du mouvement, dessine la perspective d’une transformation sociale et culturelle radicale des sociétés locales.
21Si les scouts laïcs n’ont pas opté pour le football, les deux mouvements ont adopté la gymnastique, pratiquée depuis l’origine du scoutisme – suivant les prescriptions de Baden-Powell –, le matin après le réveil et avant l’installation et la revue du matériel du camp et les multiples petites corvées qui vont rythmer la vie en communauté (trouver du bois, installer et faire la cuisine, nettoyer le camp, etc.), elle en constitue le versant disciplinaire et militarisé. La « méthode Hébert » est également pratiquée : elle comprend des séries d’exercices inspirés de la gymnastique française28. Les pédagogies du corps mobilisées par les scouts sont donc diverses.
22Les scouts laïcs et catholiques ont ainsi en commun l’idéal d’un corps vigoureux, soumis à une discipline si possible quotidienne et préparé à s’adapter aux situations les plus diverses. La pratique de l’hébertisme recoupe les préoccupations hygiénistes et de disciplinarisation en vigueur en métropole, accentuées par les considérations sur la santé et l’hygiène des Africains29, considérées comme largement déficientes30. Certains jeux de plein air s’apparentent à l’athlétisme (mais pratiqués toujours sur des « terrains variés »), comme les courses de 40 ou de 50 m, ou le saut en hauteur, d’autres résolument détachés de toute référence aux sports, tels le lancer de balle ou la balle au prisonnier, constituent les principales activités physiques ludiques des Éclaireurs de France, mais aussi des Scouts de France.
L’incorporation de la méritocratie
23Ces pratiques s’inscrivent dans la promotion de deux valeurs fondamentales du scoutisme : celle d’une discipline librement acceptée par les enfants et celle de l’émulation. C’est évident, pour les scouts catholiques, concernant le football, mais c’est aussi le cas pour les autres pratiques physiques. L’émulation est matérialisée par l’exercice ludique de la compétition à l’intérieur des troupes, mais également entre les troupes, des jeux étant organisés lors des camps. Ces jeux renvoient de manière euphémisée – car l’enjeu est toujours symbolique – à l’idée de la progression individuelle, de la juste reconnaissance des mérites de chacun et ainsi à la valeur de la promotion individuelle dans un univers de concurrence permanente. La grande habileté pédagogique de cette émulation réside dans son caractère métaphorique. La primauté accordée aux aspects ludiques sur la victoire elle-même, l’apparence quasiment parodique de jeux dans lesquels l’enjeu symbolique lui-même (la reconnaissance du vainqueur) n’a théoriquement pas pour motif la promotion des plus forts au sein d’un groupe qui doit avant tout être organiquement soudé par la fraternité, déterminent une intériorisation de la règle de l’émulation d’autant plus efficace qu’elle est souterraine. Les jeux de plein air, comme les sports, constituent ainsi un espace au sein duquel s’affirment les valeurs de la modernité mérito-démocratique, qui valorise l’autonomie et les qualités d’initiative des individus. Or, ces valeurs ont des conséquences très importantes dans le cadre des sociétés d’AOF, puisqu’elles renvoient à la métaphore d’un nouvel ordre social dans lequel l’hérédité (le lignage), la position professionnelle (les castes), l’appartenance ethnique ou les convictions religieuses sont relativisées au profit de la promotion du mérite personnel, dans un cadre où la hiérarchie elle-même est déterminée par ces mérites (l’acquisition des « brevets », les épreuves réussies – telle l’exploration –, la droiture et l’« esprit scout »…).
24L’émulation répond à trois schémas socioculturels. D’une part, elle recoupe étroitement les valeurs de l’école (laïque ou catholique), qui postule l’égalité de tous devant les savoirs qu’elle transmet. La promotion sociale est ainsi le fruit non de la reproduction sociale et de la sélection par le milieu, mais de l’effort et des mérites de chacun. Ce postulat est renforcé à la fois par la nature du recrutement (les scolaires) et des activités scoutes conçues comme des activités extrascolaires de l’école, et bien sûr par l’encadrement, constitué en très grande majorité pour les Éclaireurs de France par des instituteurs et des enseignants du secondaire, eux-mêmes profondément imprégnés des valeurs de l’institution, et pour les scouts catholiques, par les missionnaires, les prêtres et les enseignants des écoles catholiques. D’autre part, l’émulation correspond à l’introduction d’une dynamique consubstantielle à l’objectif central du scoutisme laïc et catholique (en métropole comme en Afrique), la formation d’une élite. Celle-ci ne peut émerger qu’à la condition qu’elle soit confrontée aux rudesses de la vie d’éclaireur, mais également en préparant cette élite à affronter la concurrence sociale qui ne manquera pas de faire obstacle à sa progression.
25La pédagogie de l’émulation répond ainsi aux contraintes et aux impératifs des sociétés européennes, structurées autour de l’idéologie mérito-démocratique, qui fait de la libre concurrence idéalisée des personnes dans le champ social l’un de ses principes essentiels. En contexte colonial, seul le secteur moderne, – l’administration, l’économie monétarisée –, peut répondre à une telle définition. La pédagogie de l’émulation inscrit ainsi – dans et par les jeux, dans et par les corps –, la promotion d’une nouvelle élite scolarisée, gagnée aux idéaux de fluidité sociale et de promotion par le mérite. Ce processus d’hybridation asymétrique est d’autant plus subtil qu’il engage la participation volontaire et enthousiaste des acteurs.
26La configuration est comparable pour les activités manuelles, qui proposent d’acquérir la maîtrise d’un certain nombre de techniques d’importation. Elles induisent également une transgression très importante vis-à-vis de certaines sociétés rurales, et notamment les sociétés de castes. Pour les Éclaireurs de France, Bernard Dumont rapporte ainsi qu’au Mali en 1955 :
De petites révolutions sociales étaient provoquées par les travaux. Ainsi, des enfants qui n’étaient pas tisserands tissaient. Ceci me paraît particulièrement important dans le cadre d’une société castée comme celle du Mali. C’est un geste grave, dans son sens non péjoratif. Il y a là une transgression sociale, peut-être plus importante que la pédagogie elle-même31.
27La perspective du libre accès aux techniques et savoirs proposés par le scoutisme fonctionne ainsi comme une remise en cause de l’ordre des sociétés rurales, même si dans le cas des responsables scouts il ne s’agit pas d’une pratique délibérée de rupture, mais plutôt le signe d’une méconnaissance des règles sociales de ces sociétés. La nature même de certaines activités (cinéma, photographie, reliure…) découle du choix de proposer un accès indiscriminé aux techniques enseignées et la maîtrise de pratiques relevant de la modernité urbaine. La perspective centrale développée par l’ensemble de ces pratiques est celle de la mobilité et du libre choix de l’individu, et prolonge l’idéologie mérito-démocratique d’émulation, valeur fondamentale du mouvement.
28Cet accès à la mobilité sociale – objectivement favorisé par les transformations rapides de la société coloniale et l’essor encore limité de la scolarisation – est renforcé par le soutien scolaire pratiqué par les EDF, les SDF et l’EROM, dans l’objectif de former une nouvelle élite. Ces pratiques répondent au même schéma d’analyse que les pratiques du scoutisme laïc : un accès indiscriminé aux techniques enseignées, la maîtrise de pratiques relevant de la modernité urbaine (photographie, cinéma, reliure), l’apprentissage de l’autonomie individuelle et de l’initiative, la promotion individuelle par le soutien scolaire.
29La ritualisation de la vie quotidienne contribue également à l’intériorisation de ces nouvelles valeurs sociales. À cet égard, le patriotisme, valeur d’institution du scoutisme, joue un rôle non négligeable dans la pénétration de schémas politiques d’origine métropolitains. Ainsi, la levée des couleurs, empruntée au scoutisme métropolitain, doit inculquer la reconnaissance et l’amour de la patrie. On peut interpréter l’hommage au drapeau français, en vigueur jusqu’en 1957 chez les EDF (cette règle connut des dérogations avant cette date au Sénégal), comme un acte de reconnaissance envers l’Union française et la France, et l’abandon de cet hommage après cette date signe l’autonomisation politique du scoutisme laïc, le scoutisme catholique demeurant politiquement conservateur.
Apprendre le nationalisme
30L’hommage au drapeau, quel qu’il soit, signe l’intériorisation du concept de nation, une adhésion à l’idée d’un État-nation, modèle de référence métropolitain qui est également au cœur des apprentissages scolaires32. Dans cette perspective, cette cérémonie quotidienne participe à l’extension chez les jeunes élites d’un modèle de référence d’importation, particulièrement chez les EDF. Chez ces derniers, le geste de déférence à la nation contribue à un processus d’hybridation culturelle qui se concrétise par les perspectives d’avenir des territoires de la fédération. Car le contenu du concept de nation fait ici référence aux particularités de la construction nationale française, axée sur la centralisation des pouvoirs et l’imposition d’un hégémonisme culturel fondé sur les valeurs universalistes de la révolution française pour les EDF, sur un humanisme chrétien conservateur chez les SDF. L’arrière-plan idéologique des valeurs des éclaireurs, partagé à des degrés divers par les scouts catholiques mais ici accentué par la référence à la laïcité, correspond étroitement à ce modèle, les particularités culturelles (à l’intérieur des territoires et de la fédération), les langues et les systèmes religieux devant s’effacer devant une égalité de principe de tous les éclaireurs, sanctionnée par l’adhésion aux règles et aux activités du mouvement. En ce sens, les valeurs des scouts laïcs forment un « ethos », concrétisé par des pratiques qui font vivre ces valeurs dans le corps même des enfants. Le scoutisme constitue ainsi l’un des creusets d’une acculturation réciproque des élites33.
31Chez les Éclaireurs de France, le partage de ces principes n’inhibe pas l’expression ponctuelle de sentiments xénophobes, particulièrement à l’encontre du centre sénégalais, soupçonné d’accaparer la majorité des subventions fédérales. Ainsi, en Côte d’Ivoire, Paul Achy, commissaire du district, envoie une lettre à René Dumeste en décembre 1954, dans laquelle il reproche « aux Sénégalais » de détourner les subventions. Contant par ailleurs une sombre affaire de tissus achetés par le « clan de Bamako » et revendus par un chef de troupe, il commente l’incident par un définitif « cela ne m’étonne guère, surtout d’un Dahoméen34 ». En 1955, lors de l’organisation d’un camp groupant éclaireurs ivoiriens et dahoméens et dirigé par Albert N’Diaye en Côte d’Ivoire, celui-ci, visiblement épuisé par les antagonismes des uns envers les autres, exprime sa lassitude à René Dumeste d’un expirant « je n’en peux plus35 ! ». Comme toujours avec les idéaux, leur application révèle un certain jeu avec le réel…
32S’entrechoquent ainsi au sein des Éclaireurs de France les manifestations concrètes des tensions régionalistes qui rythment par ailleurs la vie institutionnelle et politique de la fédération, et l’homogénéité théorique des Éclaireurs de France. Les tensions interrégionales qui agitent le mouvement au milieu des années 1950 sont donc toutes prêtes à devenir des cristallisations nationalistes. Ces nouvelles élites scolaires partagent pourtant, dans tous les pays de la fédération, une idéologie de la construction étatique qui s’appuie sur le référent métropolitain de l’État-nation : la construction nationale se réalise par le haut, à travers le développement des structures et des institutions étatiques et la mobilisation volontariste de l’exaltation patriotique.
33Il n’est pas indifférent, à cet égard, que les politiques postcoloniales reprennent partout le credo nationaliste36 : les tensions entre les nouvelles nations après 1960 sont, à cet égard, un effet de la concurrence mimétique. La référence au modèle français ne peut être analysée qu’en saisissant la formation des acteurs de cette construction. Jean-François Bayart invoque ainsi la transmission aux élites africaines, par le système scolaire des États indépendants, de quelques-uns des paradigmes qui caractérisent l’État français, prolongeant en cela ce que nous constatons pour le contexte colonial : la centralisation du pouvoir, la primauté de l’action publique dans l’homogénéisation volontariste des substrats culturels et linguistiques, l’héritage positiviste des Lumières incarné par la croyance dans un progrès matériel et intellectuel universel guidé par des valeurs universalistes, enfin l’identification de la nation à l’État37. La complexité de la situation des Éclaireurs de France, partagés entre l’égalitarisme des principes et de réels courants centrifuges d’origine nationale ou ethnique, renvoie à la complexité des processus de conquête du pouvoir dans les jeunes États indépendants, processus qui font largement appel aux antagonismes régionaux et à l’« ethnicisation » de l’électorat (et réciproquement, l’« ethnicisation des partis politiques »). On peut interpréter cette apparente contradiction comme faisant partie d’une généalogie de longue durée des sociétés africaines imprégnant la construction de l’État, mais aussi comme une manipulation pragmatique, dans le champ des rapports de force politiques, de l’ethnicité et du régionalisme. Entre ces deux hypothèses de multiples configurations sont possibles, qui ne remettent pas en question, à notre sens, le référent métropolitain dans la construction de l’État au sein des sociétés postcoloniales. Cette dialectique est préfigurée symptomatiquement au sein du mouvement éclaireur, qui renforce alors son aura sur les jeunes élites scolarisées, amenées à la modernité coloniale puis postcoloniale.
Transformer les sociétés africaines
34Car les deux mouvements visent la transformation des sociétés africaines. Chez les SDF, les responsables et les routiers du mouvement sont encouragés à propager la foi catholique en convertissant le maximum de villageois, dans le cadre de la participation à l’« éducation de base », dont les objectifs sont appropriés par les deux mouvements. Les scouts catholiques reprennent ainsi in extenso les directives de l’Unesco :
Toute éducation a pour but de permettre aux hommes et aux femmes de mener une vie plus pleine et plus heureuse. [Il s’agit] de rechercher des solutions par des méthodes collectives et pratiques : l’art de penser et de communiquer, l’enseignement ménager, l’éducation pour la santé, connaissance et intelligence du milieu physique et des phénomènes naturels, connaissance des autres parties du monde et des peuples, développement spirituel et moral. […] L’éducation de base […] est surtout un ensemble de méthodes et de techniques qui peuvent être informées par n’importe quel esprit : à nous d’y apporter un esprit chrétien38.
35La transformation sociale n’est dès lors plus différée par la formation d’une élite qui pourrait agir au terme de son éducation, mais elle doit s’effectuer immédiatement par l’implication des scouts dans ce processus. Cet « investissement humain » se matérialise par des actions concrètes, et bien que leur impact social soit, au vu du nombre de scouts, négligeable, tous les secteurs de la vie sociale et économique, plus spécifiquement dans les campagnes pour les scouts catholiques39, sont concernés par ces actions : modernisation de l’agriculture par l’introduction de nouveaux instruments aratoires et de nouvelles espèces animales40, cours d’alphabétisation, d’hygiène, d’enseignement ménager. Les guides catholiques se spécialisent plus particulièrement dans les cours d’éducation ménagère et d’hygiène, visant à combattre par ce moyen ce qui constitue une horreur absolue pour le scoutisme catholique : la polygamie. Cette focalisation sur l’évolution de la femme n’appartient cependant pas en propre aux scouts catholiques. Ceux-ci s’inscrivent dans un large courant, initié par les campagnes itinérantes des services sociaux de la fédération depuis le début des années 1950, repris par les actions des éclaireurs à partir de 1955 et encouragé par les organismes de coordination des mouvements de jeunesse. Ainsi, le Conseil fédéral de la jeunesse d’AOF (qui conteste pourtant rapidement le pouvoir colonial) consacre-t-il lors de sa fondation en 1955 l’une de ses motions à la promotion féminine en des termes (hygiène du foyer, éducation ménagère, rôle central de la femme en tant qu’épouse et mère) qui rejoignent le discours des éclaireurs et des scouts catholiques. De même, le congrès du Conseil de la jeunesse de l’Union française – au sein duquel les scouts de France exercent une influence déterminante –, tenu la même année, adopte une résolution parfaitement comparable41. Les limites de l’« émancipation » de la femme africaine résident évidemment dans le modèle européen de référence : celui d’une femme au foyer, bonne mère et bonne épouse, sachant avant tout tenir son ménage.
Émergence du développementalisme
36Le « service » est au principe de la pédagogie de scoutisme. Au-delà de la traditionnelle « bonne action » quotidienne, les EDF et les SDF organisent des actions de pédagogie sociale, comme en Côte d’Ivoire en 1955, où les EDF d’Abidjan promeuvent une « journée des lépreux » durant laquelle ils visitent les léproseries pour apporter un peu de chaleur humaine aux malades42 ou participent, tels les éclaireurs et scouts catholiques du Dahomey, à la quinzaine annuelle de lutte contre l’alcoolisme organisée par le Conseil de la jeunesse du Dahomey depuis 1951. À partir des années 1952-1953, les éclaireurs se vouent également à des actions consacrées à l’amélioration de l’environnement écologique et social. Ainsi, une « campagne de reboisement » (dont il est impossible d’estimer l’impact) est décrétée pour toute l’AOF en 195343. Dans une perspective similaire, les éclaireurs sont sensibilisés aux difficultés des ruraux, et, au Sénégal et au Soudan, à partir de 1953, des troupes éclaireurs aident à la récolte. Pour les districts du Soudan et du Sénégal, des actions ponctuelles – et là encore difficiles à évaluer – portant sur la réfection d’écoles, de dispensaires et de léproseries, le creusement de puits ont été entreprises par les éclaireurs, actions qui seront reprises et systématisées par les caravanes itinérantes de l’Équipe des relations avec l’outre-mer à partir de 1955. Bien que nous n’en ayons pas trouvé traces, il est très probable que les scouts catholiques aient entrepris de telles réalisations.
37Pour les EDF et l’EROM, ces différentes actions concrétisent le service comme valeur essentielle, tout en participant à l’évolution socio-économique de la fédération. Bien qu’éparses, et à l’initiative des districts, elles s’inscrivent ainsi dans le désir de participer à la modernisation de l’AOF. Ainsi, la pédagogie participative mise en place par les EDF et l’EROM cherche à inculquer les ferments d’une prise de conscience civique aux participants. La transformation des éclaireurs face à ces réalités sociales nouvelles doit déboucher sur la transformation de ces réalités sociales elles-mêmes. L’EROM et les Éclaireurs systématisent la « participation au développement », et rejoignent les perspectives métapolitiques observées chez les autres mouvements de jeunesse, faisant de la modernisation économique et de la transformation sociale de la fédération l’horizon historique de cette nouvelle élite scolarisée. Là aussi, le parallèle s’impose avec l’application des projets modernistes des autorités coloniales, mais aussi de l’action des autorités africaines mises en place après les réformes instaurées par la loi-cadre. La participation à l’évolution socio-économique est ainsi au principe de la fondation de l’EROM, autoreprésentée comme une organisation de promotion du progrès en AOF. Le projet de l’EROM est ainsi largement corrélé à sa génétique éclaireur et partage avec le mouvement l’ambition de contribuer à la formation d’une élite qui devienne actrice de l’extension de la modernité. L’EROM s’inscrit ainsi pleinement dans la dynamique sociopolitique caractérisée par le désir de la jeunesse urbaine scolarisée d’accéder aux postes de responsabilité44.
38Les éclaireurs et l’EROM sont ainsi parties prenantes de l’extension d’une vision développementaliste qui, après avoir été intégrée et en partie appliquée par les autorités coloniales avec la création du FIDES (Fonds d’investissement pour le développement économique et social), imprègne désormais l’ensemble des mouvements de la jeunesse scolarisée (la « conquête des âmes » en plus pour les scouts catholiques). Cette vision se fonde sur le postulat que l’amélioration sociale passe par l’extension des écoles, des dispensaires, des hôpitaux, l’utilisation rationnelle des ressources naturelles, enfin un schéma de développement qui emprunte l’essentiel de sa logique au modèle métropolitain, à savoir pour ce qui concerne les colonies subsahariennes, à un modèle saint-simonien. La suprême habileté du scoutisme est de faire prendre en charge cette transformation par les jeunes Africains eux-mêmes. On voit bien ici comment se formalisent, concrètement, les catégories d’entendement issues de la matrice coloniale européenne (le progrès, le développement, la rationalisation…), intégrées par des fractions des élites « indigènes », objet d’interminables discussions théoriques contemporaines au sein des postcolonial studies45…
39Par ailleurs, on ne peut qu’être frappé par la similitude de ces actions avec celles qui seront entreprises après 1968 et le drame de la famine au Bangladesh46, donnant naissance au vaste mouvement des ONG. Des recherches seraient à poursuivre pour approfondir d’éventuelles filiations avec l’action des mouvements de jeunesse durant la période coloniale : la dimension de missionnariat laïc et désintéressé des Éclaireurs et de l’EROM entretient clairement des affinités avec l’idéologie sous-jacente de la plupart des organismes humanitaires non confessionnels. Dans cette perspective, il n’est également pas indifférent que le gouvernement du Sénégal reprenne en 1959 le mot d’ordre de la participation des jeunes au reboisement. Il organise ainsi durant l’été 1959 un camp de reboisement rassemblant des élèves du cercle de Thiès, encadré par des techniciens agricoles et forestiers et des instituteurs. On peut voir dans cette initiative les prolégomènes de l’un des axes politiques et idéologiques de la plupart des jeunes États, la mobilisation par l’« investissement humain » de la jeunesse « au service du développement ». Cette dimension est directement liée à l’action des mouvements de jeunesse dans la période précédant l’indépendance, et particulièrement aux conceptions des éclaireurs en la matière47.
40On peut noter aussi qu’à la fin des années 1950, certaines colonies de vacances sont explicitement tournées vers cet apprentissage de l’« investissement humain » et de nouvelles valeurs sociales. Ainsi, en 1959, une colonie de vacances financée par le service social du Soudan a pour objectif de faire participer les enfants à un « chantier de reboisement » ; une seconde se donne pour tâche de mobiliser des élèves d’écoles rurales et de leur enseigner des techniques modernes d’agriculture ; enfin une troisième, composée uniquement de filles, doit favoriser la diffusion des principes essentiels d’hygiène et d’organisation d’une bonne ménagère. On retrouve ainsi simultanément l’orientation vers une participation active et précoce de la jeunesse au développement (il s’agit dans ces trois cas d’enfants âgés de 7 à 12 ans) et la « promotion » de la femme à travers l’enseignement de nouvelles valeurs et pratiques sociales (la polygamie, rarement évoquée dans les CEMEA, est cependant clairement visée)48.
41Ainsi se dévoile un double processus : la mutation naturelle des thèmes de la mission civilisatrice en volonté développementaliste « émancipatrice », et la formation d’une élite culturellement hybride, conquise à l’idéal de l’accession à la modernité. Les jalons du « désir d’Occident » des élites africaines – et des catastrophes socio-économiques postcoloniales qui s’ensuivront –, sont désormais posés.
Notes de bas de page
1 M. M’Baye, Ousmane Thiané Sar, op. cit., p. 71 et suiv.
2 C. Pociello, D. Denis (dir.), À l’école de l’aventure…, op. cit., p. 3-17.
3 Sadiah Qureshi, Peoples on Parade. Exhibitions, Empire, and Anthropology in Nineteenth-Century Britain, The University of Chicago Press, Chicago, 2011, partie 3 : « The Natural History of Race ».
4 Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et Schizophrénie, Minuit, Paris, 1980, p. 284-380.
5 C. Guérin, L’utopie Scouts de France. Histoire d’une identité collective, catholique et sociale (1920-1995), op. cit., p. 63 et suiv.
6D. Denis, « Naissance d’un “Homo imperialis” britannique… », art. cité ; N. Bancel, D. Denis, « Éduquer le corps. Comment devient-on Homo imperialis ? », art. cité.
7 [Anon.], Courrier de la France d’outre-mer, 4, janv. 1946.
8 [Anon.], L’ami des scouts et des guides, 17, été 1950.
9 [Anon.], La Pirogue, 4, sept. 1954, cité dans C.-É. Harang, Les Scouts de France et les Guides de France en Afrique noire et à Madagascar, 1945-1960, op. cit., p. 62.
10G. Kokandi, D. Tamelessio, « Âme africaine et vocation », Courrier de la communauté, 53-54, avr.-juill. 1959.
11 La Pirogue, 4, sept. 1954.
12 [Anon.], La Pirogue, 7, 1958.
13 Nicolas Bancel, « Face au désastre. L’imaginaire colonial des Raiders (1945-1956) », dans N. Bancel, D. Denis, Y. Fates (dir.), De l’Indochine à l’Algérie. La jeunesse en mouvements des deux côtés du miroir colonial, 1940-1962, op. cit.
14 Courrier de la France d’outre-mer, 47, févr.-mars 1958.
15 Ibid., cité dans C.-É. Harang, Les Scouts de France et les Guides de France en Afrique noire et à Madagascar, 1945-1960, op. cit., p. 63-64.
16 Brian Stoddart, « De l’Empire aux indépendances : vers un “nouvel ordre mondial” du cricket ? », et Quentin Deluermoz, « La fabrique “d’Empires inversés” ? Le judo à la conquête de l’Europe et du monde », dans P. Singaravélou, J. Sorez, L’Empire des sports…, op. cit., p. 83-104 et 117-138.
17 Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1978, « Les corps dociles ».
18 [Anon.], Courrier de la France d’outre-mer, Paris, 38, mars-avr. 1956.
19 [Anon.], Courrier de la France d’outre-mer, Paris, 38, mars-avr. 1956.
20 Témoignages de Mahamane Touré (16 avr. 1998), Bernard Dumont (13 mars 1998) et René Dumeste (6 août 1998).
21 Marc Abelès, Chantal Collard, Âge, pouvoir et société en Afrique noire, Karthala, Paris, 1985, p. 290-296 ; Denise Paulme, Classes d’âge et associations en Afrique de l’Ouest, Plon, Paris, 1972 ; Stéphan Dugast, « Lignages, classes d’âge, village. À propos de quelques sociétés lagunaires de Côte d’Ivoire », L’Homme, 134, 1995, p. 111-157.
22 Jean Forget, « Le scoutisme à Dakar », Horaf, 12, févr. 1948.
23B. Deville-Danthu, Le sport en noir et blanc…, op. cit., p. 58-60.
24R. Pasquier, La jeunesse ouvrière chrétienne en Afrique noire (1930-1950), op. cit.
25J. A. Mangan, Athletism in the Victorian and Edwardian Public School…, op. cit. ; W. L. Wee, « Christian Manliness and National Identity : the Problematic Construction of a Racially “Pure” Nation », dans Donald E. Hall (dir.), Muscular Christianity : Embodying the Victorian Age…, op. cit., p. 66-90.
26N. Elias, E. Dunning, Sport et civilisation, la violence maîtrisée, op. cit. ; A. Guttmann, From Ritual to Record. The Nature of Modern Sports, op. cit.
27D. Denis, « Le sport et le scoutisme, ruses de l’Histoire », art. cité, p. 195-209.
28 Jacques Defrance, « La méthode naturelle entre l’Amérique et les sauvages », Revue EPS, 266, 1997, p. 9-12 ; N. Bancel, D. Denis, « Éduquer le corps. Comment devient-on Homo imperialis ? », art. cité ; Gilles Bui-Xuân, Jacques Gleyse, De l’émergence de l’éducation physique, Georges Demenÿ et Georges Hébert : un modèle conatif appliqué au passé, Hatier, Paris, 2001, p. 7.
29B. Deville-Danthu, Le sport en noir et blanc…, op. cit., p. 17-22 et 227-230.
30 [Anon.], « Note sur l’hygiène », mai 1954, 2 p., archives privées René Dumeste.
31 Bernard Dumont, entretien du 14 mai 1998.
32 Yves Gaulupeau, « Les manuels scolaires par l’image : pour une approche sérielle des contenus », Histoire de l’éducation, 58, 1993, p. 103-136 ; Laurence De Cock, « Un siècle d’enseignement du “fait colonial” dans le secondaire de 1902 à nos jours », Histoire@Politique, 18, 2012, p. 179-198 ; pour une approche globale : Denise Bouche, L’Enseignement dans les territoires français de l’Afrique occidentale de 1817 à 1920. Mission civilisatrice ou formation d’une élite ?, Honoré Champion, Paris, 1975.
33 Pour reprendre l’idée de Jean-François Bayart d’une assimilation réciproque des élites, voir L’État en Afrique. La politique du ventre, op. cit., « L’assimilation réciproque des élites : l’hypothèse d’un scénario intermédiaire. »
34 Lettre de Paul Achy à René Dumeste, 10 déc. 1954, 3 p., archives privées René Dumeste.
35 René Dumeste, entretien du 6 août 1998.
36 Claire Nicolas, Sport, citoyenneté et genre en Afrique de l’Ouest, thèse en science politique/sciences du sport, université de Lausanne/Sciences Po Paris sous la direction de Nicolas Bancel et Richard Banégas, 2019, p. 402-450.
37 J.-F. Bayart, L’État en Afrique, op. cit., p. 139-146 et 193-208.
38 La Pirogue, 9, janv. 1956.
39 Témoignage de Madeleine Bonnamour (16 juill. 1998).
40 C.-É. Harang, Les Scouts de France et les Guides de France en Afrique noire et à Madagascar, 1945-1960, op. cit., p. 71.
41 Conseil de la jeunesse de l’Union française, « Conclusion de la commission féminine », La Pirogue, 8, sept. 1955.
42 Note de Paul Achy à René Dumeste, 12 mai 1956, 1 p., archives privées René Dumeste, entretien de René Dumeste, 6 août 1998.
43 [Anon.], « Note aux commissaires de province », archives privées René Dumeste.
44 Charles Boganski, « Caravane Afrique », Bulletin d’information des équipes relations avec l’outre-mer, 17, nov. 1960.
45 Vasant Kaiwar, L’Orient postcolonial. Sur la « provincialisation » de l’Europe et la théorie postcoloniale, Syllepse, Paris, 2013, p. 10 et suiv.
46 Nicolas Bancel, Corinne Iehl, « Partir “sans frontières” : l’humanitaire aujourd’hui », Agora, 11, 1998, p. 31-40 ; Philippe Ryfman, Une histoire de l’humanitaire, La Découverte, Paris, 2008, p. 43-63 ; Rony Brauman, L’action humanitaire, Flammarion, Paris, 2000, « Biafra : le conflit fondateur » ; Béatrice Pouligny, « L’humanitaire non gouvernemental face à la guerre. Évolutions et enjeux », dans Pierre Hassner (dir.), Guerres et sociétés. États et violence après la guerre froide, Karthala, Paris, 2003, p. 545-569.
47 EROM, « Caravane Afrique 1959, groupe colonies de vacances », 1959, 16 p., archives privées Seydou Ba, aimablement transmise par Serge Nédélec.
48 EROM, « Caravane Afrique 1959, groupe colonies de vacances », art. cité, p 6.
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