Chapitre 5. « La publicité est l’âme du commerce »
p. 197-233
Texte intégral
1Depuis l’Ancien Régime, « refusée par les métiers jurés, l’annonce marchande fut abandonnée aux gens de théâtre, aux charlatans qui en usèrent et abusèrent, l’enveloppant d’un discrédit durable, et aux marchands de nouveautés1 ». L’historien Gilles Feyel met ici en évidence le lien originel qui unit la publicité –sous sa forme primitive d’annonce dans la presse– et la vente de nouveautés. À la fin du xixe siècle, les grands magasins populaires qui vendent à crédit s’inscrivent dans la continuité de ces pratiques et font très largement appel à la promotion publicitaire : Georges Dufayel déclare en 1912 que « la publicité est l’âme du commerce. Elle est pour le négociant, ce que la semence est pour le laboureur2 ». L’étude de ces pratiques commerciales permet d’observer des formes précoces de réclame qui se développent dès les années 1890-1900 et donc de nuancer le constat selon lequel la France serait un pays qui aurait eu recours tardivement à la promotion publicitaire3.
2L’histoire de la publicité en France se partage entre des études centrées sur la profession de publicitaire et sur les stratégies de vente4, et une historiographie plus large, celle des grands magasins qui fait une large place aux formes de la promotion, plutôt dans une perspective d’histoire culturelle5. La capitale française a été largement étudiée, à travers les grands magasins de vente au comptant classiques, ceux que l’on désigne encore aujourd’hui comme « les grands magasins » : le Bon Marché, le Bazar de l’Hôtel de Ville, le Printemps, la Samaritaine, les Galeries Lafayette ou encore la Belle Jardinière6. Cette abondante bibliographie fournit des points de comparaison et des cadres généraux d’interprétation, mais elle ignore presque complètement les magasins de crédit7 et laisse généralement de côté l’histoire des clients. Or, l’ouvrage classique de Richard Hoggart, La culture du pauvre, a largement démontré que les messages publicitaires sont reçus différemment selon les classes sociales8. On peut dès lors s’interroger sur la spécificité du message des grands magasins de crédit au regard de leur clientèle très largement populaire.
3Sortir d’une approche qui se résume au message n’est pourtant pas évident, au vu des sources disponibles. Lorsque l’enquête ethnographique telle que pratiquée par Richard Hoggart n’est plus possible en raison de l’éloignement temporel, on peut tout de même proposer une méthode pour approcher la clientèle et l’effet qu’ont sur elle les messages publicitaires. Il s’agit de réaliser une histoire matérielle de la publicité, attachée à restituer d’abord les lieux (les bâtiments comme l’environnement urbain) ainsi que la matérialité des supports (affiches, tracts, presse, chromolithographies). Les sources ne manquent pas pour ce projet, même si elles sont disparates, des permis de construire, pour retrouver le plan des bâtiments, aux photographies de Paris, pour reconstituer les murs d’affiches, en passant par les fonds de documents publicitaires.
4Le succès des grands magasins populaires est dû à la performance de leur système de crédit, mais également à leur utilisation précoce de la publicité. Ils empruntent les méthodes développées par grands magasins classiques pour toucher une clientèle bourgeoise et les transposent pour conquérir les classes populaires, leur offrant également des bâtiments grandioses et des temps forts de consommation. Le stigmate du crédit et de la clientèle populaire donne cependant une inflexion particulière aux documents et aux messages publicitaires : ces commerces cherchent à légitimer cette pratique discriminée qu’est le crédit, en le présentant comme un moyen de promotion sociale.
Vendre la nouveauté
5L’entreprise des Grands Magasins Dufayel, déjà évoquée au chapitre précédent, est baptisée d’un nom commercial éminemment paradoxal lors qu’on y songe : le Palais de la Nouveauté. Cette expression évoque la célébration de la nouveauté et le flux incessant de la mode ; mais le lieu de cette célébration est un palais, monument stable, identifiable dans le paysage urbain et destiné à durer, et qui doit pourtant devenir l’écrin de l’éternel renouvellement. Ce nom d’enseigne résume à lui seul le dilemme commercial des grands magasins : les produits qui composent leur catalogue ont en réalité un renouvellement assez limité, mais ces objets doivent être présentés comme toujours nouveaux. La solution à ce paradoxe se trouve dans un ensemble de dispositifs spatiaux et temporels qui combinent stabilité (de la localisation et du stock) et renouvellement (de la scénographie et des événements commerciaux). Pour séduire la clientèle, les magasins populaires s’appliquent tout d’abord à créer un espace original, profus, puissamment attractif, qui transporte la clientèle dans un ailleurs marchand où ses repères habituels n’ont plus cours. Le Palais de la Nouveauté est un modèle de cette « architecture publicitaire », si souvent décrite pour les grands magasins du centre de Paris : l’immense édifice est un de ces palais de féerie, où la vente d’objets se dilue dans un décor luxueux qui regorge d’innombrables attractions. Les grands magasins s’attachent ensuite à scander la vie quotidienne de leurs clients, à imposer un rythme à la consommation, marqué par un éternel renouvellement, qui investit toutes les échelles temporelles : celles de la journée, de la semaine et de l’année. Combiner une étude matérielle et symbolique de l’espace et du temps permet de retracer les conditions de l’acte d’achat pour des classes populaires dont la mobilité et l’emploi du temps sont relativement contraints, surtout si on les compare au temps libre des membres de la bourgeoisie. L’installation des grands magasins de crédit dans les quartiers défavorisés, avec des horaires adaptés, permet à leur clientèle d’accéder à un nouvel univers de consommation.
Le Palais de la Nouveauté : l’espace au service de la consommation
6Dans sa série d’articles sur les Grands Magasins Dufayel, Francis Delaisi décrit ironiquement mais précisément l’organisation de l’espace de vente et les différentes attractions du Palais de la Nouveauté :
Ainsi s’élevèrent rue de Clignancourt et boulevard Barbès, ces grands magasins dont le dôme prétentieux annonce au loin la puissance et le mauvais goût du maître. Là, sur des kilo mètres de galeries s’alignent les objets les plus divers : meubles de tous styles et sans style, de la quincaillerie et des bijoux, des bicyclettes et des pianos, des photographies et des casseroles, tout ce qui peut servir à la ménagère, mettre un peu de confort dans l’intérieur de l’employé ou flatter la vanité du petit bourgeois qui veut paraître plus qu’il n’est et achète à crédit. Pour capter cette clientèle désœuvrée, dont la grande distraction est de courir les magasins, Dufayel a disposé un peu partout des « attractions ». Dans le quartier de la literie, un cinématographe attire les enfants qui amènent leurs mères. Au milieu des meubles chics, un orchestre de jeunes femmes –fausses tziganes habillées de rouge– charme les petites bourgeoises qui viennent là prendre le thé en papotant de leurs achats et de leurs amants. Un peu partout des gramophones font nasiller nos meilleurs chanteurs de l’Opéra et du caf’-conc’. Et cette colossale boutique apparaît au populaire comme un palais de féerie. Tout en flânant à travers tant d’objets, la ménagère sent naître en son cœur des désirs imprévus9.
7Ce texte de dénonciation fait montre d’un mépris de classe –celui de l’intellectuel militant envers la petite bourgeoisie– et de genre, à l’encontre des femmes influençables qui se laissent convaincre trop facilement par les tentations du grand magasin. On y voit cependant bien comment la disposition des lieux est un puissant élément de séduction des consommateurs : il s’agit d’attirer la clientèle par des bâtiments grandioses et de faire de l’intérieur, bien plus qu’un magasin, un espace de loisir et de flânerie, au milieu d’une accumulation d’objets que le client finit par désirer. Comme l’écrit Hrant Pasdermadjian, un de ses premiers historiens : « Le grand magasin est devenu peu à peu un véritable centre d’attraction, une espèce d’exposition publique permanente10. » Cette « architecture publicitaire11 » a été largement étudiée pour la plupart des grands magasins bourgeois du centrede Paris et ses ressorts sont désormais bien connus : la monumentalité des édifices, leur relatif isolement du tissu urbain, l’utilisation de matériaux et de techniques modernes12. Les synthèses ignorent néanmoins presque complètement l’existence des magasins de crédit, alors que le Palais de la Nouveauté applique parfaitement ces principes.
8Le long processus de construction du bâtiment commence lorsque en 1869 Jacques Crespin achète les terrains correspondant aux numéros 11, 13 et 15 du boulevard Ornano, qui devient ensuite le boulevard Barbès. Entre 1872 et 1874, il confie la réalisation des premiers bâtiments à l’architecte Alfred Le Bègue et à son fils Stéphan, anciens élèves des Beaux-Arts, qui réalisent une façade en pierre de taille pour le magasin, marquée du monogramme C, entouré de cornes d’abondance et surmonté du buste du propriétaire13. Les trois immeubles construits sont mixtes, composés d’une surface de vente d’environ 5 000m2 au rez-de-chaussée et à l’entresol, et d’appartements à louer dans les étages. Sa fortune croissant, Jacques Crespin devient peu à peu propriétaire, dans les années 1870 et 1880, de tous les immeubles et terrains situés dans un vaste quadrilatère compris entre le boulevard Barbès et les rues Christiani, de Clignancourt et de la Nation (actuelle rue de Sofia). Georges Dufayel, son successeur, continue sur la même voie, mais confie la direction des travaux à un nouveau maître d’œuvre, Gustave Rives. Ce dernier occupe ce poste jusque dans les années 1910 et, à la mort de Dufayel, devient le principal héritier de sa fortune.
9On est frappé à la lecture des archives par les perpétuels travaux et modifications qui affectent le Palais de la Nouveauté : entre 1880 et 1892, c’est la quasi-totalité des immeubles de la rue de Clignancourt et de la rue Christiani qui sont rénovés, processus qui culmine avec la construction d’un immeuble à rotonde avec coupole à l’angle des deux voies. Entre 1891 et 1896, Gustave Rives réalise son projet d’entrée monumentale au 24, rue Clignancourt. En 1904, pour remplacer les écuries et remises de voitures de la rue de la Nation, de très grandes annexes sont aménagées rue Belhomme : ces locaux abritent en outre des ateliers ainsi que des réserves et sont reliés aux magasins par des tunnels14. Enfin, en 1910, Gustave Rives édifie une nouvelle rotonde à l’angle de la rue Christiani et du boulevard Barbès, agrémentée de colonnes corinthiennes, de pilastres en forme de graine et d’un dôme monumental. Ces agrandissements successifs transforment les 5 000m2 originels en un immense bâtiment de 38 000m2, composé de multiples halls, galeries, salles et salons. Cette dynamique d’expansion perpétuelle est commune à tous les grands magasins parisiens pour lesquels, selon la formule de Gustave Laguionie, le directeur du Printemps en 1905, « ne pas grandir, c’est diminuer15 ». Ces agrandissements constants, réalisés sans que jamais ne cesse l’activité de vente, sont partie prenante de la définition architecturale du grand magasin : « Il se transforme, il abat des murs, il supprime des cours, il se surélève, il passe sous les rues, il détourne des égouts16. » En effet, l’espace même est devenu un argument de vente : pour continuer à attirer, le Palais de la Nouveauté doit perpétuellement modifier ses bâtiments, signe de sa vigueur économique et de sa capacité de réinvention. Le patrimoine immobilier ainsi constitué est d’une valeur considérable : en 1917, l’ensemble est évalué à 15,3 millions de francs17.
10L’édifice des Grands Magasins Dufayel atteste une recherche de monumentalité. Comme le note Julien Bastoen, « l’architecture des grands magasins n’était pas, à l’origine, monumentale. Installés dans des immeubles banals, sans caractère architectural ou décoratif spécifique, ils se démarquaient seulement par leurs enseignes et leurs aménagements intérieurs18 ». Ils se mettent peu à peu à utiliser des motifs architecturaux –les rotondes d’angle et les pavillons– destinés à s’imposer dans le paysage urbain et à les signaler comme édifices remarquables, rompant l’alignement de la rue et des toits. Ces deux éléments sont largement utilisés par les architectes du Palais de la Nouveauté.
11Attardons-nous par exemple sur le pavillon de plan carré, coiffé d’un dôme à la française qui sert de nouvelle entrée monumentale au magasin à partir de 1895 (fig.9). Ce bâtiment, par sa taille et son volume, indique une volonté manifeste de marquer l’espace urbain et le quartier de la Goutte-d’Or. Comme le montre la gravure reproduite, la porte est surmontée d’un dôme qui domine largement les constructions environnantes. L’ensemble culmine à 140 mètres et s’élève donc plus haut que le sol de la butte Montmartre (130,5 mètres), le principal point de repère visuel du quartier. Les prospectus précisent qu’on aperçoit le dôme « de la place de la République, sur tout le parcours du Boulevard Magenta et de biens des points, à Paris et dans la banlieue19 ». En outre, le toit est équipé d’un phare « d’une puissance de dix millions de bougies, donnant un faisceau de lumière d’une intensité inouïe qui projette ses éclats dans un rayon de plus de 17 kilo mètres20 ». Tout est donc pensé dans ce bâtiment pour dominer l’espace parisien : érection verticale et rayonnement se combinent pour laisser leur empreinte dans l’espace du quartier et, plus largement, de la ville.
12Une fois le seuil franchi, l’éternelle nouveauté prônée par Dufayel se reflète dans la modernité architecturale et technique. Le Palais de la Nouveauté, comme la tour Eiffel ou le Bon Marché, est le fruit d’une avant-garde architecturale qui utilise massivement le fer et le verre. Gustave Rives a d’ailleurs laissé la structure métallique du dôme de l’entrée apparente. D’un point de vue technique, toutes les innovations sont utilisées dès leur apparition. En 1891, l’ensemble du magasin est éclairé à l’électricité21, car Georges Dufayel « a voulu montrer le premier ce que l’on pouvait obtenir avec la lumière électrique habilement répartie et il a fait faire dans ses vastes magasins du boulevard Barbès, une installation modèle22 ». 2900 lampes à incandescence et 140 lampes à arc sont disséminées dans le magasin, soit l’équivalent de 70 000 bougies, le tout alimenté grâce à une usine installée dans une dépendance ! L’espace est également chauffé grâce à un nouveau procédé, l’aéro-calorifère23. Le portail d’entrée est constitué d’une « grille monumentale tout en fer forgé, qui manœuvrée par deux moteurs hydrauliques et électriques, disparaît à volonté dans le sol24 ». Enfin, les ascenseurs de l’entrée principale permettent d’accéder aux studios de photographie installés sous le dôme. Cette modernité architecturale et technique est un élément de publicité pour Dufayel, qui la met systématiquement en avant dans les catalogues et les brochures. Cet engagement lui vaut d’ailleurs des chroniques régulières dans La construction moderne, hebdomadaire consacré aux innovations en ce domaine.
13L’espace intérieur s’organise autour de plusieurs éléments archétypaux de l’architecture des grands magasins. Le hall central, entouré de galeries latérales, est un incontournable. Dans le cas du Palais de la Nouveauté, il est construit dans le prolongement des magasins originels et traverse quasiment le pâté de maison, du boulevard Barbès à la rue de Clignancourt. Ce hall, long de 58 mètres, large de 14 mètres et haut de 14 mètres également, est très abondamment décoré de colonnes, de statues imposantes, de balcons aux ferronneries profuses et de lustres majestueux (fig.10).
14L’autre passage obligé de l’architecture des grands magasins est l’existence d’un escalier d’honneur, sur le modèle de l’Opéra Garnier. Le Bon Marché inaugure en 1874 un escalier tournant à trois volées, et toutes les variantes possibles sont ensuite déclinées par ses concurrents. Chez Dufayel, l’architecte choisit une version à quadruple révolution, ce qui en fait une prouesse technique, puisqu’il franchit un espace de 14 mètres sans point d’appui intermédiaire. Placé au croisement des différentes galeries, il crée un point de ralliement des regards, et « le rituel de montée de l’escalier principal, devient, au même titre que la sortie des usagers des ascenseurs, un spectacle incontournable25 ». Outre le hall central et l’escalier d’honneur, l’architecture des grands magasins est caractérisée par le faste de la décoration : fresques, vitraux, lustres, statues, colonnes, pavage, tout concourt à « faire naître dans l’esprit du visiteur une association entre la profusion d’objets et l’opulence de l’architecture26 ». Comme le note Charles Couture à propos du Palais de la Nouveauté, pour « attirer le public dans les magasins par la curiosité, le plus grand luxe a été déployé. Dans les magasins, le bronze, le marbre et la dorure ont été prodigués. Peintures et sculptures sont signées des maîtres les plus en vue27 ». Les marchandises ne sont finalement que le prolongement de ce luxe architectural, leur accumulation s’ajoute à l’opulence du décor dans une mise en scène de l’abondance propre à séduire la clientèle populaire. La décoration semble particulièrement luxuriante dans le cas de Dufayel. Bernard Marrey juge que « la construction était bien conçue mais la décoration était lourde et ostentatoire. C’est que Dufayel visait bas ». Cette accusation de mauvais goût, récurrente à propos de ces magasins, permet de stigmatiser le propriétaire comme sa clientèle et leur goût populaire pour l’abondance et l’encombrement28.
15Malgré son imposante présence urbaine, le magasin est relativement peu ouvert sur la ville, comme l’attestent l’étroitesse des vitrines et l’éclairage majoritairement vertical de l’intérieur, par le biais de verrières. Là encore, c’est une disposition caractéristique des grands magasins : « La création d’un milieu enveloppant le client, d’un univers autosuffisant et architectural plutôt qu’urbain, l’intérieur qui tend à intégrer le plus grand nombre de fonctions –non seulement la vente, mais les moments de repos de l’acheteur, l’attente, la lecture– amène à la suppression des références à l’extérieur29. » Cette clôture architecturale a pour fonction de mieux ouvrir sur un monde intérieur dédié autant à la vente qu’au divertissement. En ce domaine, les Grands Magasins Dufayel mettent en place un dispositif inégalé qui les apparente aux parcs d’attractions naissants et ils font pleinement partie de cettemise en spectacle de la vie quotidienne dans la capitale décrite par l’historienne Vanessa Schwartz30. Une fois dans le magasin, une multitude de lieux de détente ou de curiosité s’offrent au visiteur : le palmarium qui rassemble des plantes exotiques, le salon de lecture où tous les journaux sont à disposition, la salle de théâtre, de 3 500places, dans laquelle jouent régulièrement de grandes vedettes parisiennes. La « salle des attractions » est équipée dès 1896 d’un cinématographe Lumière et devient l’un des premiers lieux de projection réguliers de la capitale. Le succès est au rendez-vous : de 1896 à 1908, le cinéma des Grands Magasins Dufayel est dans le trio de tête des salles de projection de la capitale31. C’est là que le très jeune Jean Renoir, dont les parents habitent à Montmartre, voit ses premiers films, amené par sa gouvernante Gabrielle. Deux autres espaces pourraient presque être rapprochés d’un projet d’éducation populaire à la consommation : la « galerie des styles » s’apparente à un musée de l’art de l’ameublement, qui met en scène les évolutions du style gothique à l’art moderne, tandis que la salle des maquettes présente des reconstitutions miniaturisées de palais et hôtels des siècles passés. Signalons enfin l’existence d’une piste d’essai pour les vélocipèdes, dont l’attrait se développe dans les classes populaires : il s’agit d’un lieu pour essayer les modèles et éventuellement apprendre à s’en servir. Comme le résume la conclusion de la brochure publicitaire intitulée Une visite aux Grands Magasins Dufayel :
Ces attractions, jointes au plaisir que chacun éprouve à admirer les superbes constructions et l’immense choix des articles des grands magasins Dufayel, font de ceux-ci une sorte de grand square couvert où clients et visiteurs peuvent passer une agréable après-midi. Aussi peut-on affirmer sans exagération qu’ils sont en même temps une des curiosités de Paris et une des promenades préférées du public32.
16La confusion est ici exemplaire entre la finalité commerciale du lieu et son caractère touristique : le magasin cherche à devenir une attraction, dans une logique de spectacle de curiosités. On retrouve le dispositif popularisé par les expositions universelles où se mêlent curiosités, marchandises, expositions, spectacles, attractions, événements et fêtes, dans un éclectisme architectural et géographique. Au Palais de la Nouveauté, tous les espaces non dédiés à la vente peuvent également se visiter : les bureaux des employés sont accessibles sur simple demande et tous les jeudis, adultes et enfants peuvent se rendre aux écuries pour admirer les 150 chevaux qui servent aux livraisons à domicile. Une carte postale confirme la réalisation partielle de cet objectif : des habitants de Calais venus visiter la capitale passent par le Palais de la Nouveauté devant lequel ils se font photographier, pour partie en tenue traditionnelle. Faute de sources, on ne peut interroger plus avant ce phénomène, mais il est probable qu’il reste limité aux classes populaires ou à la petite bourgeoisie. En effet, la proximité immédiate du quartier de la Goutte d’Or, espace de prostitution33 peint par Zola dans L’Assommoir comme un haut lieu de l’alcoolisme du prolétariat, devait être un repoussoir puissant, capable de dissuader la bonne société parisienne. En revanche, la construction et l’ancrage dans ce quartier mal famé –ici au sens littéral de ce qui a mauvaise réputation– d’un tel édifice monumental sont un signal puissant envoyé à la clientèle populaire : l’inscription au cœur du tissu urbain et social d’un temple du luxe démocratique proclame la fierté des propriétaires et, par ricochet, dote les habitants d’un monument local dont ils peuvent être fiers.
Le temps, une stratégie commerciale
17Pour séduire les clients, les grands magasins doivent également s’adapter au temps quotidien des classes populaires. Dans les monographies de l’école leplaysienne, on relève par exemple que l’ébéniste de haut luxe du faubourg Saint-Antoine travaille de 7 heures à 19 heures tandis que le cantonnier-poseur de voies des chemins de fer du Nord, domicilié dans le XVIIIearrondissement, finit son travail un peu plus tôt, à 17 heures pendant les quatre mois d’hiver et à 18 heures le reste de l’année34. Les semaines de travail de 60 à 72 heures ne laissent que peu de place pour des courses quotidiennes, sauf chez l’épicier du quartier qui reste souvent ouvert tard le soir, parfois jusqu’à 22 heures35. L’ouverture des magasins le dimanche est donc une nécessité36, d’autant que la généralisation de la paie du samedi favorise la consommation dominicale.
18Les grands magasins de crédit s’adaptent parfaitement au rythme de leur clientèle populaire. En 1902, les Grands Magasins Dufayel « sont ouverts au public de 8 heures du matin à 7 heures du soir, en semaine, et de 8 heures du matin à midi, le dimanche et les jours fériés. Toutefois, ils n’ouvrent pas le 1erjanvier, le Dimanche de Pâques, le Dimanche de la Pentecôte et le 14juillet37 ». Aux Enfants de la Chapelle pratique des horaires encore plus extensifs, « ouverts, en semaine de 8 heures du matin à 7 heures et demie du soir et les dimanches jusqu’à 4 heures et demie du soir38 ». Au vu du rythme de vie général du xixe siècle, ces commerces pratiquent une ouverture tardive : la plupart des familles décrites dans les monographies leplaysiennes dînent à 18 heures en hiver et à 19 heures en été. C’est surtout grâce à l’ouverture dominicale que les grands magasins cherchent à attirer les ouvriers et les employés dans leurs locaux. Le Palais de la Nouveauté joue ici à plein de l’ambiguïté entre espace commercial et espace récréatif pour attirer les ouvriers en leur proposant une sortie du dimanche qui peut subrepticement les mener à acheter à crédit –une séance de cinéma est par exemple proposée tous les dimanches matin. Ces commerces profitent également du développement des transports qui fait du dimanche le jour où la clientèle de banlieue se rend en ville pour flâner sur les Grands Boulevards et se divertir, éventuellement en se rendant dans un grand magasin.
19La loi du 13juillet 1906, qui impose le repos dominical, met un terme à ces possibilités. Ce texte résulte de la conjonction de plusieurs facteurs, notamment les grèves d’employés de commerce au début des années 1900 et les préoccupations hygiénistes à propos du repos des travailleurs. La dimension morale est également très forte, qui cherche à encadrer le temps libre des classes populaires, idéalement consacré au jardinage, à la promenade de plein air ou –rêvent les catholiques– à la messe du dimanche39. La fréquentation dominicale par les classes populaires de grands magasins vendant à crédit était certainement frappée par la réprobation morale des élites. Les enseignes s’adaptent néanmoins rapidement : Aux Enfants de la Chapelle compense la fermeture dominicale en ouvrant jusqu’à 20 heures en semaine et jusqu’à 21 heures le samedi, tandis que les Grands Magasins Dufayel continuent de livrer le dimanche, comme tous les grands magasins classiques.
20Au-delà de ce temps quotidien, les grands magasins de crédit s’emparent des nouvelles méthodes commerciales et cherchent à rythmer l’année, pour attirer cycliquement la clientèle dans des locaux qu’elle connaît déjà. Le premier et le plus connu de ces procédés est le recours à la « vente-réclame », régulièrement utilisée par Aux Classes laborieuses. Cet événement prend trois formes principales : en début de saison, surtout dans l’habillement, il s’agit de présenter les produits nouveaux, justifiant ainsi l’appellation « magasin de nouveautés ». En 1902, les clientes du magasin reçoivent par exemple un bristol, accompagné d’un coupon de réduction, ainsi libellé :
Madame,
Nous avons l’honneur de vous informer que notre Exposition de Toilettes et dernières Nouveautés d’Été aura lieu les lundi 5, mardi 6 et mercredi 7 mai. Nous espérons que vous voudrez bien nous honorer de votre visite et vous prions d’agréer, Madame, nos respectueuses salutations.
La Direction40.
21La présentation de la saison est assimilée, par le style employé et jusque dans la matérialité du bristol, à un événement mondain de la haute société parisienne, auquel la cliente est conviée presque par faveur. Deuxième type de vente-réclame, à la fin de la saison, le grand magasin organise quelques jours de soldes. Cette opération est rendue nécessaire par l’organisation économique des grands magasins : les soldes servent à débarrasser les magasins de pièces de faible marge et à écouler le stock pour faire de la place aux objets de la saison suivante. La publicité insiste alors sur l’ampleur des rabais consentis : une brochure de juillet 1905 annonce ainsi la « Grande Mise en Vente annuelle des Soldes d’Eté Après Inventaire avec un Rabais de 40 % » d’Aux Classes laborieuses en insistant sur les « véritables occasions », « uniques », « sans précédent » et autres « lots extraordinaires41 ». Le prospectus prend soin de préciser : « pour éviter la foule, venir de préférence le matin », annonce qui, en postulant l’affluence, joue sur le désir d’imitation de sa clientèle. Les étrennes du mois de décembre et la vente de « blanc » sont enfin des passages obligés. La fin de l’année est évidemment, et jusqu’à aujourd’hui, la période de plus forte vente des grands magasins et les catalogues mettent en garde leurs clients : « VU L’ENCOMBREMENT DES CHEMINS DE FER à l’approche du Nouvel An, nous ne pouvons garantir, pour le 1erjanvier, la livraison des commandes qui nous parviendraient après le 24décembre42. » À cette occasion, les magasins populaires éditent des catalogues spéciaux de jouets et étrennes, accompagnés généralement de l’exposition d’objets dans les vitrines, destinées à attirer parents et enfants. Pour élargir encore la vente-réclame du mois de décembre, les catalogues proposent également sous le nom « étrennes utiles » la plupart des objets classiques de leur catalogue. Enfin, au mois de janvier, intervient la vente de « blanc », c’est-à-dire du linge de maison et du linge de corps qui a pour but de stimuler les ventes dans les mois creux d’après les fêtes. La description célèbre qu’en fait Émile Zola dans Au bonheur des dames a contribué à faire de cet événement un classique43.
22Si l’utilisation par Aux Classes laborieuses du procédé de la vente-réclame apparaît clairement à la lecture des catalogues, on n’en trouve pas de traces pour les Grands Magasins Dufayel. En effet, ce grand magasin est dédié à l’ameublement, ce qui rend beaucoup plus difficile la présentation de « nouveautés » plusieurs fois par an, pratique qui caractérise plutôt les commerces d’habillement et de tissu. En outre, les très nombreux espaces récréatifs qui abritent régulièrement des animations à l’intérieur du Palais de la Nouveauté rendent moins nécessaire l’organisation cyclique de ces événements. Les concerts remplacent en partie l’existence des ventes promotionnelles. Comme le précise une brochure, « l’excellente Harmonie Dufayel, composée de 104 exécutants, tous employés de l’Administration […] a joué très souvent dans les Fêtes de Bienfaisance, les Expositions, les jardins des Tuileries et du palais Royal et donne fréquemment dans la Salle des Fêtes des Magasins, des concerts qui sont très suivis44 ». Les airs joués par l’Harmonie en décembre 1903 montrent que ces séances s’adressent clairement à un public populaire : les polkas et les marches se succèdent et le concert s’achève par le refrain populaire « Viens Poupoule ». D’autres représentations s’adressent à un public plus distingué : les magasins font appel à des chanteurs et chanteuses de l’Opéra et on peut entendre Wagner, Lully, Mendelssohn ou Verdi45. L’année est également rythmée par le gala annuel du personnel, ouvert au public, « une fête brillante qui se termine par le tirage d’une loterie où figure comme gros lot une maison de campagne meublée » gagnée par un des employés de la maison. Cette soirée relatée par toute la presse fait figure de réel événement publicitaire, mettant en scène le personnage de patron philanthrope qu’incarne Georges Dufayel.
23Les grands magasins trouvent également chaque année le moyen de participer aux célébrations nationales, qui sont à la fois des fêtes populaires et des moments de communion patriotique. Un exemple frappant en est donné par le fanion ci-dessus (fig.11), réalisé par le grand magasin de crédit populaire Aux grands magasins de la Gare du Nord. Sur un petit drapeau tricolore en papier de soie sont imprimés un condensé des principales informations publicitaires du magasin : l’adresse, la possibilité du crédit et les principaux articles proposés.
24On imagine bien un tel objet agité par les spectateurs du défilé du 14Juillet ou sur le bord de la route du Tour de France, grandes fêtes auxquelles se pressent les ouvriers et les employés. Autre exemple de publicité patriotique, les Grandes Galeries de la Roquette fêtent le 11 novembre, « glorieux anniversaire de l’armistice », en organisant une exposition générale au cours de laquelle « une prime de 5 francs en marchandises [est] offerte à tout acheteur de 50 francs et au-dessus, pendant tout le mois de novembre seulement », tandis qu’« en souvenir de cette date mémorable, tout acheteur emport[e] la “glace mystérieuse46” ». En prenant part à ces événements nationaux, les grands magasins reprennent des procédés inaugurés par la grande presse, qui organise sa promotion en participant à des événements publics, voire en les organisant elle-même, comme le Tour deFrance47.
25Pourtant, les grands magasins populaires échouent à s’inscrire dans la temporalité la plus symbolique, celle de la postérité, comme le révèle leur absence aux expositions universelles, grands événements commerciaux qui scandent le temps du siècle et de la modernité. Les grands magasins classiques investissent pleinement l’Exposition de 1900 : le Bon Marché et le Printemps font même construire chacun un pavillon pour y exposer avec faste leurs marchandises48. Les grands magasins populaires y remportent seulement quelques médailles, et Georges Dufayel essaie, sans y parvenir réellement, d’y représenter son grand magasin. Il est exposant et juré de la classe 110, intitulée « Initiative publique ou privée en vue du bien-être des citoyens », qui appartient au groupe 16 organisé autour du thème de l’économie sociale. Le Palais de la Nouveauté exposeseulement des tableaux graphiques et des albums de vues photographiques49. Les guides écrits à l’occasion de cet événement permettent d’ailleurs de distinguer la place respective des magasins bourgeois et populaires. Le Guide pratique du visiteur de Paris et de l’Exposition d’Hachette en 1900 décrit à la fois les attractions de l’exposition et les « principales curiosités de Paris ». À la rubrique « Grands magasins », le Bon Marché et le Louvre sont à l’honneur, décrits comme de « véritables villes marchandes dans la grande ville universelle, des agglomérations de boutiques, une véritable foire couverte et perpétuelle où l’on trouve tout, depuis le tapis de Perse jusqu’au cent d’épingles à un sou50 ». Les autres magasins au comptant sont rapidement cités dans cette rubrique, mais pas le Palais de la Nouveauté, auquel le guide ne consacre que quelques mots à propos de ses « coupoles dorées51 ». Cette brochure permet de relativiser l’importance de Dufayel, ou du moins sa capacité à s’imposer comme grand magasin en dehors des quartiers et de la clientèle populaires. Cette entreprise a la même difficulté à s’inscrire dans le temps du siècle et il est significatif de constater le peu de postérité qu’elle a connu, surtout si on met cet oubli en regard de son importance spatiale et économique. Aujourd’hui encore, la mémoire du Palais de la Nouveauté est essentiellement locale, entretenue par des collectionneurs et des associations patrimoniales de quartier52.
26L’étude des bâtiments et des opérations promotionnelles des grands magasins populaires permet d’ancrer l’analyse de la publicité dans un espace et un temps matériels et concrets, en même temps que symboliques. Les palais de féerie si souvent décrits de manière lyrique par l’historiographie des grands magasins ont un coût très important que ne peuvent se permettre tous les magasins de vente à crédit, même si cela n’entrave pas leur prospérité. Attirer de nouveaux clients et faire revenir les anciens par les agrandissements perpétuels ou par l’organisation de ventes promotionnelles est une des dimensions importantes de la stratégie publicitaire de ces commerces. Néanmoins, comme la vente à crédit s’organise également à domicile par le biais des abonneurs, la publicité ne peut se limiter aux bâtiments commerciaux : elle envahit la ville et même le pays par le biais de nombreux imprimés, qui développent un discours alternatif sur le crédit pour conquérir de nouveaux clients.
Séduire le peuple, de nouvelles armes publicitaires
27Pour séduire leurs clients à la Belle Époque, les entreprises ont à leur disposition de nombreux types de publicité qui ne jouent pas sur les mêmes ressorts, ne présentent pas les mêmes contraintes et ne visent pas les mêmes publics. Or, ces imprimés et ces images sont souvent pris uniquement comme une source de l’histoire des représentations, qui dans la lignée des cultural studies, cherche surtout à reconstituer le message publicitaire53, sans préoccupation réelle de la nature des documents, ni de leurs conditions de production, de visibilité ou de lecture. Roger Chartier, spécialiste de la bibliographie matérielle notait pourtant qu’« il n’est pas de texte hors le support qui le donne à lire, pas de compréhension d’un écrit qui ne dépende des formes dans lesquelles il atteint son lecteur54 ».
28Cette perspective d’analyse peut parfaitement être appliquée à la masse de documents publicitaires produits par les grands magasins populaires, catalogues, affiches, encarts dans la presse, brochures, tracts ou encore chromolithographies. En prenant en compte le type de papier, la mise en page, le format des documents, le public visé, cette étude matérielle confirme que les grands magasins de crédit s’adressent en priorité aux catégories populaires. On peut en parallèle esquisser rapidement la structuration progressive d’un secteur économique entre imprimeurs, entrepreneurs de presse, affichistes et afficheurs, facteurs à domicile. Cela permet de comprendre la force de pénétration et la très large diffusion du message publicitaire, à la fois sur les murs de la capitale et aux domiciles des clients. Une fois ce cadrage général effectué, il est possible de se pencher sur le message délivré à la clientèle. Outre la promotion de leurs produits, tous les grands magasins populaires se rejoignent dans la défense et la légitimation du crédit.
Multiplier les supports : presse, catalogue et chromos
29La réclame des grands magasins de crédit passe majoritairement par la production d’imprimés et d’images, qui s’inscrivent dans la croissance de l’écrit au xixe siècle. On peut distinguer trois formes de document publicitaire : les catalogues de vente (ainsi que les brochures et les tracts), les annonces dans la presse et les affiches. Les deux premières sont utilisées depuis le milieu du xixe siècle et cherchent à pénétrer le domicile des clients, à s’inscrire dans leur quotidien. L’affiche, arrivée plus tardivement, marque au contraire le paysage urbain, saturant l’extérieur d’un message court et répété. En 1901, l’économiste Georges d’Avenel évalue à 100 millions de francs les dépenses des entreprises françaises pour leur réclame et il donne une estimation de la répartition et de l’importance réciproque de chacun de ces types de publicité : 40 millions sont dépensés dans les annonces de presse, 25 millions pour la conception et la pose d’affiches, 20 millions pour les catalogues et les prospectus envoyés à domicile et 15 millions pour les objets divers55.
30Depuis la révolution de la presse lancée par Émile de Girardin en 1836, le modèle de la presse populaire est fondé sur le recours à la publicité56. Dans la presse de masse de la Belle Époque, on constate une forte présence des annonces publicitaires : Le Petit Journal dédie 21,4 % de sa surface-papier aux annonces en 188557. Dès le début de la Troisième République, les journaux sont massivement lus par les classes populaires parisiennes et le placard publicitaire est un moyen efficace de toucher de potentiels clients. La publicité a, cependant, acquis une très mauvaise réputation et les annonces sont souvent déguisées en articles pour tromper le lecteur : le journaliste se travestit en enquêteur social, vantant la probité du magasin et les mérites du crédit. Un bon exemple de ce type de récit est donné dans un numéro du Panthéon de l’industriel du 17 novembre 1878 à propos d’Aux Classes laborieuses :
Nous connaissons des ennemis jurés de la vente à crédit qui ne se lassent pas de faire aux acheteurs cette recommandation : « Achetez au comptant. » Et ils appuient leurs conseils d’un très grand nombre de raisons, quelques-unes excellentes, absolument décisives, si seulement la formule ci-dessus pouvait être complétée comme il suit : « Achetez au comptant, sans argent » […]. M. Édouard Cohen, un homme dont les classes laborieuses ne devront pas oublier et n’oublieront pas le nom, vivement frappé de cette situation, s’est préoccupé d’en délivrer les travailleurs […]. M. Cohen (conception audacieuse et irréalisable en apparence) a cherché le moyen de livrer à crédit au prix du comptant, toutes les marchandises dont peuvent avoir besoin les travailleurs […] : étoffes pour robes, toiles, bonneterie, lingerie, costumes pour dames et enfants, literie, lampes, porcelaines, cristaux, glaces, miroiteries, voitures d’enfants,etc.,etc.58.
31Michael B. Miller a d’ailleurs retrouvé des documents dans les archives du Bon Marché qui prouvent que ces articles étaient le plus souvent écrits directement par les services des grands magasins59.
32Un autre exemple intéressant de publicité déguisée est celle que les Grands Magasins Dufayel font paraître dans L’Humanité. Jean Jaurès, dès son premier éditorial intitulé « Notre but », affirme sa volonté d’indépendance financière et s’élève contre la corruption de la presse : « Notre tentative serait vaine ou même dangereuse si l’entière indépendance du journal n’était point assurée et s’il pouvait être livré par des difficultés financières à des influences occultes […]. Aucun groupe d’intérêts ne peut directement ou indirectement peser sur la politique de L’Humanité60. » Or, parmi les 250 numéros parus la première année, 57 mentionnent les Grands Magasins Dufayel, soit un peu plus de 20 % de l’ensemble. Les entrefilets concernant Dufayel sont insérés en page trois du journal, au milieu de la rubrique des faits divers parisiens, avec des mentions comme « L’administration Dufayel vend par abonnement au même prix qu’au comptant dans plus de 600 magasins de Paris, banlieue et province61 ». Là encore, il ne s’agit pas d’une publicité explicite, mais bien d’une réclame déguisée en information. Le choix du quotidien socialiste n’est évidemment pas dû au hasard, lu qu’il est par une majorité d’ouvriers. Cette collaboration avec Dufayel est d’ailleurs reprochée à L’Humanité par son concurrent La Bataille syndicaliste, comme le note un rapport de police du 28juillet 1912 : « La Bataille lui reproche sa publicité commerciale, notamment les réclames en faveur de Dufayel et de Michelin62. » Le quotidien de la CGT dénonce dans un article intitulé « M. Dufayel et la presse » les rapports du commerçant avec le monde médiatique, car, écrit son journaliste, « les contrats de publicité, c’est la muselière dont on se sert pour faire taire la presse ». Il relate ensuite l’intervention de Georges Dufayel contre un grand quotidien, probablement L’Humanité, qui avait publié un roman-feuilleton moralisateur sur la chute d’une ouvrière, dépouillée parce qu’elle n’avait pas pu rembourser ses crédits chez Dufayel. Le commerçant aurait expliqué sa colère au journal en ces termes : « Je vous paye 20 000 francs par an pour faire de la publicité à ma maison. Ce n’est pas pour que vous disiez du mal de moi dans votre feuilleton. Si vous ne vous rétractez pas immédiatement ce que vous venez d’imprimer, je vous préviens que je ne renouvelle pas mon contrat à la fin de l’année63. »
33Les publicités officielles et officieuses se multiplient, mais c’est un autre grand média qui est devenu progressivement, à partir des années 1880, le principal concurrent de la presse pour la publicité des grands magasins : le catalogue. En 1911, selon la revue Atlas, spécialisée dans la publicité, les grands magasins dépensent 20 % de leur budget consacré à la publicité pour la presse, 20 % pour l’affiche et 60 % pour les catalogues64. Les magasins populaires éditent tous des catalogues, rarement conservés, et des séries n’ont pu être reconstituées que pour deux d’entre eux : Aux Classes laborieuses et le Palais de la Nouveauté65. Contrairement aux éditions luxueuses du Bon Marché ou du Printemps, ces recueils sont imprimés sur du papier très ordinaire. Derrière une première de couverture comportant une illustration en pleine page, l’organisation intérieure du catalogue mime celle des rayons, chacun étant résumé par quelques produits phares. Le client de Dufayel intéressé peut alors demander le catalogue spécial des articles de ménage (rayon A), des cycles (rayon M) ou de la bijouterie (rayon O). Les objets en vente sont dessinés les uns à côté des autres, et accompagnés de quelques lignes de description mentionnant la matière, la taille et le prix de la marchandise. L’accumulation des produits est mise en scène dans un esprit de bazar : les catalogues proposent une profusion d’objets, avec des variantes à l’infini de taille, de bois, de style. Les catalogues Dufayel ne rassemblent pas les meubles par thème ou par pièce : il n’y a pas, par exemple, de pages consacrées à la salle à manger, seulement une succession d’armoires, puis de chaises, puis de tables… On est ici très éloigné des catalogues du Bon Marché qui dépeignent des scènes de la vie quotidienne, dans lesquelles les objets vendus par le magasin semblent intervenir presque incidemment. Les catalogues de Dufayel et d’Aux Classes laborieuses se rapprochent bien davantage de ceux de la Manufacture française d’armes et cycles de Saint-Étienne : la présentation très détaillée cherche moins à séduire qu’à être utile à la vie quotidienne et à rendre possible un choix éclairé du consommateur.
34Les catalogues sont traditionnellement conçus comme le support de la vente par correspondance à une clientèle provinciale ou étrangère. Cela est évidemment le cas, mais il ne faut pas négliger leur importance pour la clientèle populaire parisienne, qui ne peut se déplacer pour tous ses achats à crédit. Les abonnés du XVe arrondissement de Paris sont à plus de 7 kilo mètres du Palais de la Nouveauté, soit plus d’une heure trente de trajet à pied, ce qui doit singulièrement réduire la fréquence des visites. Le catalogue sert donc de support au choix et fournit la matière des discussions entre clients et abonneurs, lors du démarchage à domicile. Pour les vêtements, une page précise très scrupuleusement comment doivent être prises les mesures et le choix des tissus est rendu possible par l’insertion d’échantillons dans le catalogue. Ces « coupons » sont très convoités par les clientes qui les récupèrent pour les réemployer dans leurs confections personnelles. Enfin, dernier indice de la modestie des destinataires, les catalogues de Dufayel ou d’Aux Classes laborieuses sont envoyés franco de port, c’est-à-dire gratuitement –alors que ceux du Bon Marché coûtent 1 à 2francs66. La contrepartie est que les documents du Palais de la Nouveauté sont de facture bien plus modeste avec un papier gris, au grammage léger et sans illustrations en couleur.
35Un dernier type de support publicitaire connaît un grand succès à la Belle Époque : les chromolithographies, abrégées en « chromos » dans le langage populaire. La chromolithographie désigne à la fois la technique de reproduction en couleur et l’image ainsi obtenue67. Comme le note Marc Martin, « ce petit support joue à la Belle Époque un rôle important et original » : « Cette petite image de quelques centi mètres carrés [utilise] le dessin, la couleur, le même procédé de fabrication que l’affiche, mais [est] fort différent[e] par son utilisation et par ses dimensions68. » Le recto est constitué d’une image en couleurs qui appartient à de grands répertoires récurrents : il peut s’agir de représentations d’enfants, de clowns, de paysages, de compositions florales, de costumes, d’événements historiques… Ce support s’inscrit dans la continuité de l’imagerie populaire qui a, depuis le xviiie siècle, pénétré les classes populaires urbaines et celles des campagnes par le biais des colporteurs69. Version commerciale des images d’Épinal, ces chromos sont imprimées par les grands magasins dans le sillage du BonMarché qui en publie une première série en 1853 sur les châteaux de France70. La clientèle visée est d’origine populaire, car, « avec ces vignettes qui s’adressent aux enfants, on veut inciter les parents à renouveler leurs achats jusqu’à réunir toutes celles d’une même série : c’est donc un moyen publicitaire adapté à une clientèle culturellement assez démunie chez qui le livre et l’image sont assez rares pour y être un objet de curiosité71 ». L’intérêt des classes populaires pour ces images en fait d’ailleurs un genre méprisé et considéré comme vulgaire, par la mise en jeu de mécanismes de distinction –à tel point que Le Petit Robert donne comme deuxième sens de « chromo » : « Image en couleur de mauvais goût. »
36Parmi les magasins de crédit, Aux Enfants de la Chapelle utilise particulièrement ce medium, avec au moins quarante-quatre images différentes répertoriées, appartenant à plusieurs séries identifiables72. Même au sein de l’univers des chromos, ceux utilisés par Aux Enfants de la Chapelle détonnent en raison de leur médiocre qualité graphique : le papier est de mauvaise qualité et l’impression est soit monochrome (rouge ou bleu), soit en bichromie (rouge et bleu). Si certaines séries, notamment celles des « mots d’enfants », sont assez consensuelles, par le thème comme par le traitement, la plupart des chromos relèvent d’un comique populaire fondé sur les effets visuels, les jeux de langage ainsi que sur les stéréotypes de race, de classe et de sexe. L’emploi fréquent de vocabulaire issu de l’argot parisien renforce le sentiment d’appartenance et d’identification pour la clientèle populaire : « bidoche » pour viande, « capiston » pour capitaine, « à l’œil » pour gratuit ou encore l’expression « Poupoule » pour désigner sa compagne. Ces chromos reprennent des thèmes et des figures majeurs de la culture populaire, notamment le sport et surtout les deux activités reines dans les classes laborieuses : le cyclisme et la boxe. Une vignette est particulièrement frappante, car elle joue sur un thème fondamental pour les classes populaires parisiennes des années 1910-1911 : la lutte contre la vie chère (fig.12).
37Le chromo représente, sur un fond rouge, deux boxeurs en plein combat, dans la tenue classique de ce sport : chaussures souples, caleçon et gants. Le boxeur au premier plan porte un coup au visage du second dont la tête bascule en arrière. De l’impact du poing s’échappent les lignes qui symbolisent, par convention graphique, l’étourdissement ; le dessin prend toutefois le soin de détailler cette aura en faisant figurer 13 petites chandelles au bout de ces traits. La légende proclame : « Contre la vie chère : comment voir 36 chandelles, à l’œil, par la méthode Carpentier. » La première interprétation évidente est le recours à l’univers de la boxe pour symboliser le combat à mener contre l’augmentation des prix. Cette volonté agonistique est symbolisée par l’action en train de se dérouler, l’emploi du mot « lutte » et l’allusion à la « méthode Carpentier », évoquant Georges Carpentier, champion de France et d’Europe de boxe anglaise en 1911. Sur ce premier message se greffe un procédé d’humour visuel qui consiste à représenter de manière littérale une expression figurée : ici, « voir 36 chandelles », qui signifie « être étourdi par un coup ». Le syntagme « à l’œil » remplit au moins trois fonctions : il participe du même processus d’humour visuel puisque le deuxième boxeur est, sur l’image, frappé à l’œil. Il a une fonction de reconnaissance sociale pour les clients populaires puisque cette expression fait partie de l’argot parisien, dans lequel elle signifie « gratuitement ». Et, enfin, cette définition renvoie au thème général du chromo, à savoir qu’acheter Aux Enfants de la Chapelle n’ampute pas particulièrement de son pouvoir d’achat. Derrière une apparente simplicité, cette publicité entremêle un nombre important de procédés visuels et linguistiques, dans une intrication complexe qui envoie des signaux forts de reconnaissance à la clientèle populaire. Le message est pour autant immédiatement compréhensible : pour lutter contre l’augmentation des prix et la perte du pouvoir d’achat, il faut faire ses achats Aux Enfants de la Chapelle.
38Catalogues, entrefilets dans la presse quotidienne ou chromolithographies, la publicité des grands magasins de crédit passe en priorité par la production de toute une réclame imprimée, qui cherche à pénétrer les foyers populaires. À partir des années 1880, l’apparition d’un nouveau média –l’affiche– rend possible l’expansion de la publicité sur les murs de la ville, occasion rapidement saisie par Georges Dufayel avec l’Affichage national.
Envahir la ville : l’Affichage national
39La loi du 21juillet 1881 sur la liberté de la presse libère également l’affichage de toutes les anciennes réglementations municipales73. D’abord pensé pour l’affichage politique, ce texte a pour effet secondaire de favoriser l’explosion de l’affichage commercial. La chaîne de l’affiche est à l’origine dominée par les imprimeurs qui travaillent directement avec les annonceurs, c’est-à-dire les entreprises ayant recours à ce support. La pose des affiches est, elle, déléguée à un autre type d’entreprise : les afficheurs ou sociétés d’affichage, qui achètent les espaces muraux et emploient des équipes de colleurs. Ce secteur connaît un mouvement de concentration dès les années 1880 et « les anciennes sociétés d’affichage fusionnent pour laisser la place à trois grandes sociétés, autour desquelles travaillent encore quelques petites maisons spécialisées74 ». Parmi ces trois maisons, l’une se distingue par son importance : l’Affichage national. Elle est en fait issue de la société Hanser et Compagnie, fondée le 23décembre 1880 avec un petit capital de 1 000francs, pour l’« exploitation d’un établissement de publicité et d’affichage75 ». Jacques Crespin rachète cette entreprise en 1887 et, dès l’année suivante, il obtient, pour 30 000francs, l’adjudication du droit d’affichage de l’Exposition universelle de 1889 : il est le seul à pouvoir afficher sur les clôtures et palissades de l’exposition76. Le dossier d’adjudication montre bien que ce type de publicité en est à ses balbutiements, car malgré un appel d’offres public, la maison Crespin a été la seule candidate. Georges Dufayel donne ensuite sa véritable impulsion à l’entreprise :
L’affichage était encore à l’état rudimentaire […]. M. Dufayel a complètement bouleversé les vieilles méthodes mais il l’a fait avec sagacité. À une initiative hardie, il a joint une direction prudente secondée par d’énormes capitaux. Ce sont là des éléments de succès considérables77.
40Cet extrait met l’accent sur le rôle personnel de Georges Dufayel, mais l’Affichage national semble avoir été une branche relativement autonome de l’entreprise. Tout d’abord, son siège est installé au 3 puis au 8, rue Montesquieu, dans le Ierarrondissement, dans des locaux distincts du Palais de la Nouveauté. Ensuite, l’Affichage national bénéficie d’un directeur en propre. Dans les années 1890, ce poste est d’abord confié à Charles Margat, le frère d’un journaliste du Gaulois, ce qui souligne encore une fois les liens entre presse et publicité78. C’est sous sa direction qu’est menée en 1895 la campagne d’affichage pour la première venue dans la capitale de Buffalo Bill, « dont les affiches de 25 à 30 mètres carrés, dimensions inédites alors, firent dans Paris une énorme sensation79 ». À partir de 1905, Jacques Jumin, un ancien avocat, arrive à la tête de l’entreprise et il y reste jusqu’à la mort de Georges Dufayel, dont il est l’un des héritiers80. Malgré la forte concurrence existant dans ce secteur, l’Affichage national impulse, dès 1898, le rassemblement des sociétés d’affichage dans la Chambre syndicale des entrepreneurs d’affichage et distribution d’imprimés de France.
41Grâce à la solidité économique des administrations Dufayel, l’Affichage national peut devenir une entreprise puissante : en effet, le succès d’une société d’affichage se renforce à mesure qu’elle gagne de la surface d’exposition en ville. Mais ces surfaces coûtent cher, surtout lorsqu’elles sont la propriété de l’État ou de la municipalité qui les louent pour renflouer leurs caisses. En 1895, Dufayel obtient la concession de la publicité sur les murs et palissades de la Ville de Paris et de l’Assistance publique, pour les cadres, pignons et murs de soutènement. Il réussit à conserver cette adjudication très longtemps, même à prix d’or : en 1912, il paye 814 000 francs par an à la Ville de Paris pour cette concession81. En 1902, Dufayel est aussi concessionnaire de la « publicité diurne et nocturne sur les colonnes postales de Paris82 ». En sus des marchés publics, l’Affichage national innove en devenant la première entreprise qui met en œuvre « l’exploitation de la publicité sur les palissades élevées par ses soins devant des constructions ou des réfections de boutiques dans les meilleurs quartiers de Paris. Ce fut une révolution dans l’affichage car elle lui permit de conquérir en maître des voies où jusqu’alors il était pratiquement à peu près banni83 ». Le système est bien conçu puisque l’Affichage national paie la palissade, gratuite pour l’entrepreneur en bâtiments, et bénéficie ainsi d’un espace privé d’exposition. Dans un Paris post-haussmannien en perpétuels travaux, la surface exploitée peut être très importante et parfois durable. Une facture de 1913 entérine l’achat du droit d’affichage sur une palissade de 80 mètres de long sur 8 de haut, place Constantin-Pecqueur dans le XVIIIe arrondissement de Paris, pour sept mois84. Jules Arren rappelle qu’une palissade, installée en 1888, est restée en place plus de vingt ans devant l’église Saint-Eustache85. Tous ces espaces muraux sont mis en location par Dufayel, en « pose simple » ou en « pose réservée » pour des affiches en papier. La pose simple coûte beaucoup moins cher et peut se faire partout où il n’est pas défendu d’afficher. L’annonceur paie seulement pour le collage, mais prend le risque que son affiche soit immédiatement recouverte ou arrachée par des concurrents. La pose réservée a un prix beaucoup plus élevé car, pendant une durée déterminée, généralement un ou deux mois, des inspecteurs passent régulièrement pour s’assurer que les affiches sont visibles et pour les remplacer si besoin est. Encore plus durable, l’Affichage national, grâce à son contrat avec la Ville de Paris, propose de peindre les affiches sur les pignons ou les murs de soutènement : l’espace d’exposition est grand, visible de loin, hors d’atteinte des colleurs et résistant aux intempéries. Les magasins Dufayel utilisent d’ailleurs largement l’affichage pour leur propre compte ; ils sont finalement leur premier client, comme le montrent bien les cartes postales du Paris de la Belle Époque86.
42Grâce à la concession faite par l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, Dufayel dispose d’espaces muraux à l’intérieur ou à proximité immédiate des centres de soins (fig.13). Il mobilise ces surfaces, comme à Saint-Antoine, prioritairement pour sa propre réclame. On distingue au moins deux cadres peints sur le pignon, avec le nom de Dufayel et un slogan simple, « mobiliers par milliers », tandis qu’au-dessous se profile un mur d’affiches-papier. Cette localisation n’est pas choisie par hasard, puisque les hôpitaux sont à la Belle Époque largement utilisés par les classes populaires : les malades les distinguent peut-être de la fenêtre de leur chambre et les proches passent devant à chaque visite. Sur les affiches dominent les slogans courts, avec des informations essentielles : « vente par abonnement », « 700magasins partenaires ». Les photographies et les cartes postales montrent des Parisiens modestes, travailleurs ou consommateurs attablés à un café, avec des affiches Dufayel dans leur dos. Dans les quartiers populaires, les habitants passent devant ces affiches tous les jours, en vaquant à leurs occupations quotidiennes, au travail comme pendant leurs loisirs. Leur attention n’est bien entendue pas focalisée sur ces encarts, cette publicité fonctionne davantage sur le principe de l’enveloppement visuel et du martèlement. L’information essentielle est le nom de la marque, ici « Dufayel », qui s’étale en grosses lettres dans tout le paysage urbain, pour créer un effet de reconnaissance propre à gagner la confiance du client. La localisation dans la ville n’est d’ailleurs pas du tout laissée au hasard, comme le montrent les brochures que l’Affichage national destine à ses clients. En 1897, la première page de la brochure comporte un « tableau synoptique du recensement des habitants de Paris par arrondissement et avec le chiffre de loyer imposable87 ». Pour chaque arrondissement, ce document précise le nombre d’habitants payant un loyer de moins de 400francs, entre 401 et 1 200francs, de 1 200 à 2 400 francs et au-dessus de 2 400francs. Il s’agit en fait d’un résumé saisissant de la géographie sociale de la capitale, avec comme critère principal le montant du loyer, qui est tout à fait pertinent pour classer les habitants. Les annonceurs peuvent ainsi décider d’étaler leur réclame dans des quartiers bourgeois ou populaires.
43Ce développement de l’affiche ne va pas sans critiques ni résistances et le débat autour de ce médium est virulent, particulièrement dans les années 1900 et 191088. La loi du 29juillet 1881 a été pensée pour l’affichage politique, mais reste muette sur l’affichage commercial. Or, c’est bien ce dernier qui prend son essor et qui pose la question de la « frontière entre les libertés d’expression, de commerce et de propriété89 ». Le Parlement finit par trancher en faveur des groupes conservateurs et définit des espaces, en ville comme à la campagne, protégés de la réclame extérieure : la loi du 20avril 1910 interdit l’affichage sur les monuments historiques et les sites classés, tandis que la loi du 12juillet 1912 prévoit la création d’un timbre annuel spécial pour les panneaux « hors agglomération ». Au-delà de la protection du paysage, certains détracteurs de l’affiche cherchent également à protéger les passants de l’influence pernicieuse de cette publicité. Le catholique Georges Maze-Sencier exprime parfaitement ce sentiment :
L’affiche licencieuse, haineuse, inutile ou malsaine s’étale partout : les enfants les épèlent sans trop comprendre, jusqu’au jour où ils auront, eux aussi, trop bien compris. La foule, les masses populaires qui ont des simplicités puériles et enfantines parcourent elles aussi avec une passion inquiète et ardente les feuilles qui les attirent et qui leur font mal : le plus souvent, comme Méphistophélès au docteur Faust, elles leur chuchotent d’inquiétantes paroles et font miroiter à leur âme souffrante et désolée, des perspectives irréalisables, elles soulèvent les pires instincts de révolte, parlent de vices ou d’appétits à satisfaire, évoquent des visions qui troublent, énervent et finalement corrompent90.
44Ce passage met en lumière l’immense pouvoir prêté à l’affiche par ses détracteurs et la conception paternaliste des classes populaires, comparées à des enfants dépourvus d’esprit critique. L’auteur prête aux consommateurs modestes des réflexes pavloviens : la publicité déclencherait en eux une pulsion d’achat, et en ouvrant des « perspectives irréalisables » précipiteraient les ouvriers dans le gouffre de la dette ou dans la révolte contre leur pauvreté. Comme certains députés lors du vote de la loi sur la saisie-arrêt, l’auteur appelle finalement à une protection de l’ouvrier contre lui-même et à une mise sous tutelle. Le crédit et la publicité sont englobés dans une dénonciation commune, car ces deux pratiques commerciales viennent finalement mettre sous les yeux des classes populaires et à portée de leur bourse des objets nouveaux, toujours considérés comme de « faux désirs » par les élites. Conscients de cette stigmatisation, les grands magasins populaires se saisissent de la publicité pour tenter d’imposer un autre discours sur le crédit.
Légitimer le crédit, solution de la question sociale
45Qu’il s’agisse d’affiches, de catalogues, de chromos, d’architecture des magasins ou de calendrier commercial, toute la publicité des grands magasins de crédit converge vers un but principal : attirer les clients pour leur vendre le maximum de marchandises. Une grande partie de la documentation est consacrée à la présentation des objets vendus et à l’explicitation des conditions du crédit. Dans un contexte de forte concurrence, les magasins insistent sur les deux éléments qui peuvent varier dans la vente à tempérament : le montant du premier acompte et la durée du crédit, la combinaison la plus attractive étant évidemment l’avance d’une somme minime couplée à un très long crédit (qui assure de plus petites traites). Aux Classes laborieuses propose un crédit de 12 à 15mois, tandis qu’Aux Enfants de la Chapelle se vante d’accepter des remboursements pendant 15 à 30mois. Au-delà de ces éléments très concrets, les grands magasins populaires élaborent également une représentation cohérente du crédit à la consommation comme solution à la question sociale.
46Georges Dufayel est probablement l’homme d’affaires qui a développé le discours le plus argumenté sur le crédit à la consommation, en s’attaquant frontalement à la stigmatisation dont cette pratique faisait l’objet et en construisant une représentation concurrente, aux accents socialiste et philanthropique. Tout d’abord, la devise de son entreprise, rappelée dans toute la documentation publicitaire et gravée sur les murs du Palais de la Nouveauté, est « bien faire et laisser dire ». En choisissant ce slogan, Georges Dufayel suppose donc qu’il y a des médisances, mais il évite habilement de rappeler les arguments de ses adversaires. Pour s’opposer à la condamnation du crédit à la consommation, il le met en parallèle avec d’autres formes de prêt qui jouissent d’une meilleure image. Il écrit ainsi dans le texte de présentation de la vente à l’abonnement :
Tous ceux qui ne possèdent que des revenus à échéances fixes et qui, sans ces facilités, seraient obligés d’attendre de longs mois pour réaliser leurs désirs, trouvent, dans cette manière de procéder, le moyen pratique d’y arriver sans grever leur budget. En réalité, toutes les classes de la société ne se servent-elles pas du crédit ? Le commerçant ne souscrit-il pas des traites au fabricant qui lui fournit des marchandises ? Le propriétaire d’un terrain, afin de construire plus tôt, plus grandement et plus luxueusement n’emprunte-t-il pas souvent au Crédit Foncier ? L’État lui-même, les départements, les villes, les compagnies de chemins de fer contractent des emprunts91.
47Le texte juxtapose le crédit public, le crédit commercial, le crédit foncier et le crédit à la consommation, lequel occuperait finalement une position floue, entre crédit commercial et crédit privé. En incluant la vente à l’abonnement dans le paysage plus large de l’investissement économique, Georges Dufayel cherche à banaliser cette pratique commerciale et à en atténuer le stigmate. Le propriétaire du Palais de la Nouveauté s’en prend à l’argument majeur de la dénonciation du crédit à la consommation : l’accusation d’usure portée à l’encontre des créditeurs. De catalogues en carnets de crédit, il est continuellement répété que l’achat se fait « sans payer plus cher qu’au comptant » et que « Georges Dufayel ne fait rien payer pour les avances qu’il fait. Il devient ainsi le banquier gratuit de ses clients, puisqu’il n’exige d’eux, ni billets à ordre, ni frais, ni intérêts d’aucune sorte92 ». Dans ce dernier argument, on perçoit de discrets accents socialistes, comme un écho étouffé du débat sur la gratuité du crédit qui a eu lieu en 1849 entre Frédéric Bastiat et Pierre-Joseph Proudhon dans les colonnes de La Voix du peuple. Georges Dufayel s’inscrit dans la lignée des propositions proudhoniennes en se réclamant d’une gratuité du crédit, et se positionne par rapport à « la ligne de front du siècle entre libéralisme et socialisme, entre défense de la propriété et dénonciation de la spoliation du travail [qui] passe bel et bien ici, au cœur de ce débat sur la gratuité du crédit93 ». La mobilisation de références socialistes est également sensible lorsque, « un jour, du haut de la tribune installée dans sa salle des Fêtes, au moment où l’on mettait en loterie une de ces maisons de campagne […], Georges Dufayel prononça cette phrase fameuse (que lui avait soufflée Waldeck-Rousseau) : “Il faut que le capital travaille et que le travail possède”94 ». Cette formule se présente quasiment comme une réponse à la dénonciation de Ferdinand Buisson qui déplore, en 1910, que « le capitalisme et le salariat divisent la société en deux classes de fait, ceux qui possèdent sans travailler, et ceux qui travaillent sans posséder95 ». Le système de vente à l’abonnement de Georges Dufayel rencontre d’ailleurs un écho positif auprès du mouvement ouvrier et, en 1914, La Revue socialiste qualifie son taux d’intérêt d’« honnête courtage96 ». Ces emprunts au langage du mouvement ouvrier lui valent toutefois les sarcasmes de journal Fantasio qui, dans un portrait ironique, se moque de Georges Dufayel en le désignant, par antiphrase, comme un « socialiste admirable » : « Les moindres petits bougres aussi se trouvent endettés. Monsieur Dufayel, socialiste admirable, a mis la “dette” à la portée de toutes les bourses97. »
48Le dessinateur libertaire Grandjouan dénonce également le discours social de Georges Dufayel en le portraiturant en ogre ou en « gros », dans la lignée des caricatures de Louis-Philippe en Gargantua par Honoré Daumier (fig. 14). Le patron des grands magasins, devenu énorme, s’appuie de ses mains gigantesques sur une foule anonyme, pour faire cracher à chacun une pièce, symbolisant probablement le franc minimal donné chaque semaine aux abonneurs.
49Sans scrupule quant à la cohérence idéologique de son propos, le propriétaire des grands magasins mobilise également un ensemble d’arguments à la généalogie bien différente, qui rattachent le crédit à la consommation à destination des classes populaires à une action philanthropique et paternaliste. Dans Le Cri de Paris, il explique au journaliste venu l’interroger :
J’encourage les petits inventeurs. Vous avez là un des secrets de ma force. Je dis bien : de ma force. Elle est faite de bienveillance, de générosité intelligente envers les humbles. Ils ont en moi un protecteur, ils le savent et ils m’en sont reconnaissants. Leur gratitude voyez-vous, c’est ma meilleure récompense. Qu’est-ce que cette vente à crédit sur laquelle j’ai édifié ma notoriété universelle, sinon un moyen détourné, une manière généreuse de secourir les humbles et d’accroître leur bien-être ? […] À ce commerce, président un esprit d’humanité, une pensée fraternelle qui l’ennoblissent pour ainsi dire et en font une œuvre de solidarité sociale. Il ne faut pas regarder aux bénéfices, notables certes, je ne le nie pas, que peut me valoir la vente par payements mensuels. Non, non, il faut regarder plus haut. L’argent n’est rien dans l’affaire. C’est un détail secondaire. Ce qu’il faut considérer, c’est le mobile qui m’a fait créer cette industrie. Qu’est-ce que j’ai voulu ? Dispenser un peu de bonheur aux classes laborieuses. Leur donner un foyer, un intérieur, où ils aient leurs meubles à eux, leurs ustensiles de ménage à eux, leur vaisselle à eux. Sans vaines paroles, sans promesses dans un avenir meilleur, j’ai résolu pour ma part et par mon seul effort la question sociale98.
50Dans cette profession de foi, Georges Dufayel apparente son action au patronage et à la philanthropie, en se présentant comme un bienfaiteur exerçant une générosité privée. La référence à la « question sociale » est particulièrement intéressante, puisqu’il s’agit d’une expression qui désigne le problème de l’intégration des ouvriers dans la société française99. Le commerçant défend ici l’idée que, par le biais du crédit, les ouvriers peuvent acheter des objets nouveaux et apprécier le sentiment de confort qui en découle. L’accès à la propriété, même s’il s’agit seulement de celle de biens mobiliers, est donc un vecteur de pacification des « classes dangereuses ». La mention des vaines « promesses dans un avenir meilleur » est une prise de distance à peine voilée avec le discours socialiste, qu’il mobilise pourtant à la même époque dans d’autres écrits.
51Enfin, dans un retournement spectaculaire des arguments qui stigmatisent le crédit, Georges Dufayel va jusqu’à décrire la vente à l’abonnement comme une pratique qui permet de moraliser le rapport à l’argent des classes populaires : « Le côté moralisateur du système de vente n’est pas moins incontestable. [Les clients] veulent dans ce but [obtenir un crédit] travailler le plus possible pour se procurer tel meuble utile ou tel objet de fantaisie longtemps désiré100. » Loin de la vision de l’endettement menant à la ruine des ménages modestes, le crédit est présenté comme un cercle vertueux, comme un aiguillon du travailleur, dès lors disposé à s’investir dans son emploi pour gagner davantage. Cette idée est matérialisée dans les bâtiments mêmes du Palais de la Nouveauté.
52Dès l’entrée, les clients sont accueillis par une sculpture en bronze d’Alexandre Falguière, fondue par Barbedienne (fig.15). Disposée à gauche de la porte monumentale de la rue de Clignancourt, elle est intitulée : « Grâce à l’économie et au travail, on peut arriver à l’aisance ». On y voit un ouvrier en costume de travail, manches de chemise relevées et tablier en cuir, déposant une pièce dans la main tendue d’une déesse bienveillante, figurant à la fois le principe d’économie et le grand magasin de crédit. Grâce à cette pratique d’épargne, le travailleur peut écraser la misère, hideuse vieille femme grimaçante et décharnée, maintenue à terre par le pied de l’ouvrier. On ne saurait faire plus clair comme représentation des vertus moralisatrices du crédit, définitivement assimilé à une pratique d’épargne. Cette métaphore est filée à l’intérieur du dôme principal par la disposition de quatre vitraux monumentaux dans l’escalier central figurant l’Épargne, la Confiance, le Travail et l’Abondance, les quatre vertus cardinales de la morale du crédit prônée par les Grands Magasins Dufayel.
53Les mêmes arguments sont mobilisés par les autres magasins populaires, notamment dans des affiches qui en proposent des raccourcis saisissants. Ces images montrent, avec des variantes, les bienfaits du crédit sur l’organisation sociale, en figurant des familles modestes, heureuses et souriantes, grâce à l’abonnement. Le Bon Génie met en scène une famille ouvrière vêtue avec soin, dans laquelle le père et la mère entourent leur enfant qui glisse une pièce dans une tirelire, figurant la transmission au sein de la cellule familiale des pratiques d’épargne, via l’abonnement. Les trois personnages sont placés sous la protection d’un génie ailé, personnification du nom de l’enseigne, qui tient une banderole où figurent les mots « travail, épargne, économie », censés résumer les valeurs de l’entreprise101.
54La représentation la plus explicite de ces vertus du crédit pour intégrer les classes populaires et promouvoir un idéal bourgeois est celle que fournit une affiche d’Aux Classes laborieuses en 1892 (fig.16). Elle juxtapose deux représentations de la même famille, dans un avant/après saisissant. Avant l’abonnement, le père, l’air accablé, est assis à une table en bois blanc, devant une cruche de vin qui suggère discrètement l’alcoolisme du prolétariat. La mère, mal coiffée, vêtue d’un chemisier déchiré, lui tend une assiette maigrement garnie, tandis qu’une fillette s’accroche à ses jupes, dans un geste craintif. La scène baigne dans un éclairage blafard et la famille est entourée par les ténèbres de la misère, matérielle et morale, contre lesquelles la bougie ne parvient pas à lutter. Après l’abonnement, la même famille est désormais installée dans un espace bien éclairé par de grandes baies vitrées et une lampe à pétrole, décoré de plantes vertes. Les parents et l’enfant sont élégamment vêtus et discutent en souriant. Ils sont installés dans un intérieur bourgeois et l’affiche met en scène le mode de vie auquel les acheteurs à crédit peuvent prétendre plutôt que des produits particuliers. On retrouve l’esthétique très convenue des publicités pour les romans-feuilletons moralisateurs, notamment dans le choix des couleurs et la police du texte. L’image développe une rhétorique du cliché immédiatement compréhensible et pourrait tout aussi bien être le support d’une campagne contre l’alcoolisme. Cette pédagogie morale du crédit reprend l’esthétique du moralisme bourgeois, mais opère un retournement saisissant : elle utilise ces codes pour vanter le crédit à la consommation, unanimement perçu comme une menace par les réformateurs sociaux. L’abonnement est donc in fine présenté comme un canal de la bienfaisance, de la pacification sociale et de l’« élévation des mœurs », comme on disait dans le discours réformateur de l’époque.
55Cette offensive des grands magasins de vente à l’abonnement pour légitimer le crédit est toutefois vouée à l’échec, la stigmatisation de cette pratique commerciale étant trop puissante et trop ancienne pour que ce message parvienne à s’imposer. Cette défaite se lit par exemple dans le dossier de candidature de Georges Dufayel à la Légion d’honneur. En demandant cette récompense, le propriétaire des grands magasins est à la recherche d’une reconnaissance politique et honorifique, qui vaille à la fois pour lui et pour son entreprise. Il obtient le grade de chevalier en 1897, après sa participation à l’Exposition universelle de Bruxelles. En 1902, l’entrepreneur sollicite une promotion comme officier et le dossier de proposition, conservé aux Archives nationales, révèle les tensions que suscite cette requête102. En effet, s’il obtient le grade d’officier, grâce à sa participation à l’Exposition de 1900 et à ses appuis politiques, le texte du décret qui annonce sa nomination au Journal officiel est modifié au dernier moment. Dans le premier projet de décret, rédigé par ses soins, Georges Dufayel se présente ainsi : « Propriétaire des Grands Magasins Dufayel, a organisé d’importants services de vente par abonnement et de publicité. A créé des institutions philanthropiques en faveur de son personnel. » Ce court paragraphe est barré et remplacé par un autre rédigé comme suit : « Propriétaire de grands magasins de marchandises diverses, occupant un très nombreux personnel pour lequel il crée des institutions de prévoyance. » La première formulation mettait en avant le crédit et la publicité, en les présentant comme des motifs d’obtention de la Légion d’honneur, et donc comme de « bonnes œuvres », des institutions de prévoyance, méritant la reconnaissance de la nation. Mais la stigmatisation est trop forte et Georges Dufayel doit se contenter d’un exposé des motifs qui se recentre sur un paternalisme classique : le texte insiste sur son rôle de patron auprès de ses employés et efface son engagement auprès des clients. L’échec de cette légitimation se confirme lorsque Georges Dufayel sollicite le grade supérieur de commandeur de la Légion d’honneur qu’il n’obtiendra jamais. Une lettre, conservée dans le dossier d’archives, explique très clairement que ce refus est dû à la nature de ses activités commerciales. Rédigée sur du papier à en-tête du Sénat et signée d’un nom illisible, elle barre la route des honneurs au commerçant en ces termes :
Mon cher ministre et ami,
Nous venons d’apprendre qu’il est fait des démarches fort actives et chaleureuses provenant de gros personnages intéressés au sujet de la candidature a la cravate de Commandeur de Mr G. Dufayel. Déjà officier c’est énorme et fait crier.
Cette nomination si elle venait a se produire occasionnerait certainement un tollé général dans tous les mondes et particulièrement dans les milieux ouvriers car le personnage malgré sa grosse situation due a sa vie privée si immorale et a ses hautes relations louches, jouit du mépris général.
Ne pas donner de suite a une candidature scandaleuse.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre et cher Collègue, l’assurance de mes meilleurs sentiments103
56Depuis le scandale des décorations en 1887, très peu de grands patrons obtiennent un grade supérieur à celui d’officier de la Légion d’honneur, sauf s’ils ont été président de chambre de commerce. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que la demande de Georges Dufayel n’aboutisse pas, mais les arguments employés par la lettre anonyme montrent bien un échec relatif de l’offensive discursive qui vise à présenter le crédit comme une solution à la question sociale. Les résistances sont très fortes et, jusqu’à aujourd’hui, ce discours ne s’est d’ailleurs pas imposé.
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57Une fraction de plus en plus importante des classes populaires parisiennes accède à la consommation grâce au système de la vente à l’abonnement qui se développe dans la capitale à partir des années 1880. Les membres des classes populaires se tournent avec enthousiasme vers le crédit à la consommation, car leurs nouveaux désirs sont encouragés par un ensemble de dispositifs d’incitation à l’achat, que le recours à la méthode de la bibliographie matérielle a permis d’explorer. Le développement de l’achat à crédit fonctionne en symbiose avec l’expansion de la publicitéet les commerçants s’inspirent des méthodes commerciales bien éprouvées des « cathédrales de la consommation », ces grands magasins du centre de Paris destinés aux classes bourgeoises. Les entreprises les plus solides, comme les Grands Magasins Dufayel ou Aux Classes laborieuses, investissent dans la construction de bâtiments grandioses qui participent de la mise en spectacle visuelle de la consommation et font de l’achat un divertissement parmi d’autres. Plus fondamentalement, tous ces commerces adaptent leur réclame et leur organisation à leur clientèle populaire : leurs horaires d’ouverture sont décidés en fonction de ceux des travailleurs et les codes graphiques des affiches et des chromos reprennent ceux de l’édition populaire, inspirés du roman-feuilleton ou des Pieds nickelés. Enfin, ces grands magasins, dans le sillage de Georges Dufayel, développent un argumentaire qui vise à légitimer la pratique du crédit, stigmatisée par la morale courante, et à la présenter comme une voie d’ascension sociale à moindre coût.
58L’histoire de la consommation jusqu’ici reconstituée s’est attachée à décrire le système industriel et commercial qui se met peu à peu en place dans la capitale : des biens nouveaux sont produits en masse, vendus à prix fixe et achetés par une fraction croissante des classes populaires grâce au crédit et à la publicité. On pourrait dire que l’on se situe fictivement –ou théoriquement– dans une économie d’après le « Grand Partage104 », c’est-à-dire d’après la marchandisation du travail, qui retrace « l’histoire en marche vers le capitalisme105 ». Il faut pourtant se garder d’écrire une histoire téléologique se résumant à présenter l’entrée glorieuse des ménages modestes dans la consommation et se focalisant uniquement sur les nouveautés, selon un penchant classique de l’historiographie. La « modernité » commerciale proposée par les grands magasins de crédit et reposant sur le prix fixe n’épuise pas la sphère de l’échange pour les classes populaires parisiennes. L’achat de neuf, à crédit ou au comptant, vanté par la publicité, ne représente qu’une partie, peut-être minoritaire, de la « vie sociale des objets106 ». Après ce moment inaugural, la marchandise commence une longue circulation, faite de multiples échanges, de propriétaires successifs et d’usages variés.
59Dans ce circuit, apparaissent des pratiques populaires anciennes, dissidentes ou simplement différentes qui dessinent un rapport différent au monde des objets. Elles se révèlent dans l’étude des transactions au sens le plus large, dans les manières de se procurer les objets ou de les échanger. Il s’agit donc dans les deux derniers chapitres d’envisager la circulation des objets dans les classes populaires, du moment de leur achat jusqu’à leur usure complète, en passant par leur possible mise en gage au Mont-de-piété. Ce déplacement du regard complexifie la définition de la consommation, qui, dès lors, ne se réduit plus à l’acte d’achat d’objets neufs, mais englobe la totalité de la vie sociale des choses, longue existence dans laquelle leur valeur devient incertaine.
Notes de bas de page
1Gilles Feyel, « Presse et publicité en France (xviiie et xixe siècles) », Revue historique, 628, 2003, p. 839.
2ADP, 12 AZ/190, carnet Kohler, p. 40.
3Marie-Emmanuelle Chessel, Histoire de la consommation, Paris, La Découverte, 2012.
4Marc Martin, Trois siècles de publicité en France, Paris, Odile Jacob, 1992 ; Id., Les pionniers de la publicité. Aventures et aventuriers de la publicité en France (1836-1939), Paris, Nouveau Monde, 2012 ; Id., Histoire de la publicité en France, Nanterre, Presses universitaires Paris-Ouest, 2012 ; Marie-Emmanuelle Chessel, La publicité. Naissance d’une profession, 1900-1940, Paris, CNRS Éditions, 1998 ; Gilles Feyel, « Presse et publicité en France (xviiie et xixe siècles) », art. cité.
5Geoffrey Crossick, Serge Jaumain (dir.), Cathedrals of Consumption. The European Department Store, 1850-1939, Aldershot, Ashgate, 1999; Rosalind Williams, Dream Worlds. Mass Consumption in Late Nineteenth Century France, Berkeley, University of California Press, 1982; Rachel Bowlby, Just Looking. Consumer Culture in Dreiser, Gissing and Zola, NewYork, Methuen, 1985; Erika Rappaport, Shopping for Pleasure. Women in the Making of London’s West End, Princeton, Princeton University Press, 2000; Lisa Tiersten, Marianne in the Market. Envisioning Consumer Society in Fin-de-Siècle France, Berkeley, University of California Press, 2001.
6Michael B. Miller, Au Bon Marché : 1869-1920, le consommateur apprivoisé, Paris, Armand Colin, 1987 [1981] ; François Faraut, Histoire de « La Belle jardinière », Paris, Belin, 1987 ; Bernard Marrey, Les grands magasins. Des origines à 1939, Paris, Picard, 1979 ; Béatrice De Andia, Caroline François (dir.), Les cathédrales du commerce parisien, grands magasins et enseignes, Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 2006.
7Geoffrey Crossick et Serge Jaumain notent à propos de cette lacune : « [Les magasins] Lewis à Liverpool qui se nommaient eux-mêmes “les amis du peuple” ou la chaîne française Dufayel avec son système extensif de crédit qui atteignait les quartiers populaires urbains sont des exemples du recours des classes populaires aux grands magasins qui demeurent virtuellement ignorés par les historiens » (notre traduction). Geoffrey Crossick, Serge Jaumain (dir.), Cathedrals of Consumption, op. cit., p. 27.
8Richard Hoggart, La culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Éditions de Minuit, 1970 [1957].
9La Bataille syndicaliste, 4décembre 1911.
10Hrant Pasdermadjian, Le grand magasin. Son origine, son évolution, son avenir, Paris, Dunod, 1949, p. 22.
11Julien Bastoen, « L’architecture commerciale monumentale », dans Béatrice De Andia, Caroline François (dir.), Les cathédrales du commerce parisien, grands magasins et enseignes, op. cit., p. 96.
12Bernard Marrey, Les grands magasins, op. cit. ; Michael B. Miller, Au Bon Marché : 1869-1920, le consommateur apprivoisé, op. cit. ; Béatrice De Andia, Caroline François (dir.), Les cathédrales du commerce parisien, grands magasins et enseignes, op. cit.
13La construction moderne, 6mars 1892 ; Bruno Centorame, « Les Grands Magasins Crespin-Dufayel », dans Béatrice De Andia, Caroline François (dir.), Les cathédrales du commerce parisien, grands magasins et enseignes, op. cit., p. 81-84.
14Collection Tzenkoff, carnet de crédit Rocques, 1904.
15Cité dans Rafaël Serrano Saseta, « L’architecture moderne des grands magasins », dans Béatrice De Andia, Caroline François (dir.), Les cathédrales du commerce parisien, grands magasins et enseignes, op. cit., p. 91.
16Gabriel Cognacq, « Causerie sur les grands magasins », L’écho des Roches, été 1933, cité dans ibid.
17ADP, D31U3/1607, statuts de la société anonyme « Administrations et grands magasins Dufayel–Palais de la Nouveauté », 1917.
18Julien Bastoen, « L’architecture commerciale monumentale », art. cité, p. 95.
19Bibliothèque Forney, CC 1564, brochure Une visite aux grands magasins Dufayel, 1900, p. 10.
20Ibid., p. 20.
21Sur l’utilisation de l’électricité à des fins publicitaires, voir Stéphanie Le Gallic, Lumières publicitaires, Paris, Londres, New York, Paris, Éditions du CTHS, 2019.
22La construction moderne, 19mars 1892, p. 283.
23La construction moderne, 12mars 1892, p. 270-271.
24Bibliothèque Forney, CC 1564, brochure Une visite aux grands magasins Dufayel, 1900, p. 22.
25Julien Bastoen, « L’architecture commerciale monumentale », art. cité, p. 101.
26Ibid., p. 100.
27Charles Couture, Des différentes combinaisons de ventes à crédit, dans leur rapport avec la petite épargne, Paris, L. Larose, 1904, p. 78.
28Cette décoration exubérante marquée par la profusion est bien décrite par Richard Hoggart, La culture du pauvre, op. cit., p. 190-200.
29Rafaël Serrano Saseta, « L’architecture moderne des grands magasins », art. cité, p. 92.
30Vanessa Schwartz, Spectacular Realities. Early Mass Culture in Fin-de-Siècle Paris, Berkeley, University of California Press, 1998.
31Chiffres donnés chaque année dans Annuaire statistique de la ville de Paris, Paris, Masson, 1896-1908.
32Bibliothèque Forney, CC 1564, brochure Une visite aux Grands Magasins Dufayel, 1900, p. 38.
33Alexandre Frondizi, « Le scandale au quartier », Hypothèses, 16, 2013, p. 203-216.
34Pierre du Maroussem, « Ébéniste parisien de haut luxe », dans Les ouvriers des deux mondes, série2, t.4, Paris, Société d’économie sociale, 1895, p. 53-101 ; Clément-Eugène Louis, « Cantonnier-poseur de voie de chemin de fer du Nord à Paris », dans Les ouvriers des deux mondes, série3, t.1, Paris, Société d’économie sociale, 1900, p. 437-506.
35Alain Faure, « L’épicerie parisienne au xixe siècle ou la corporation éclatée », Le Mouvement social, 108, juillet-septembre 1979, p. 113-130.
36Robert Beck, « L’ouverture dominicale des boutiques au début du xxe siècle », dans Natacha Coquery (dir.), La boutique et la ville. Commerce, commerçants, espaces et clientèles, xvie-xxe siècles, Tours, Centre d’histoire de la ville moderne et contemporaine/Publications de l’université François-Rabelais, 2000, p. 63-84.
37Collection Gougeon, carnet de crédit Combes, 1902.
38Delcampe, chromolithographie d’Aux Enfants de la Chapelle, v. 1900.
39Robert Beck, « Esprit et genèse de la loi du 13juillet 1906 sur le repos hebdomadaire », Histoire, économie & société, 28/3, 2009, p. 5-15.
40BHVP, Documents éphémères, série 120, carton Aux Classes laborieuses, coupon 1902.
41BHVP, Documents éphémères, série 120, carton Aux Classes laborieuses, catalogue 1905.
42BHVP, Documents éphémères, série 120, carton Aux Classes laborieuses, catalogue d’étrennes 1911.
43Émile Zola, Au bonheur des dames, Paris, Gallimard, 1980 [1882], chap. 9, p. 279-319.
44Collection Gougeon, carnet de crédit Bourdron, 1898.
45BHVP, Documents éphémères, série120, cartons Dufayel, programme de concerts des magasins Dufayel, 1903 et 1908. Pour un point de comparaison, voir le programme musical des magasins du Bon Marché donné dans Jann Pasler, La République, la musique et le citoyen, Paris, Gallimard, 2015 [2009].
46ADP, D17Z/3, tract publicitaire.
47Benoît Lenoble, Le journal au temps du réclamisme. Presse, publicité et culture de masse en France, 1863-1930, thèse dirigée par Dominique Kalifa, université Paris1 Panthéon-Sorbonne, 2007.
48Michael B. Miller, Au Bon Marché : 1869-1920, le consommateur apprivoisé, op. cit., p. 161.
49Exposition universelle internationale de 1900 à Paris, Rapports du jury international, 4, Groupe XVI, troisième partie, classes 109 à 111, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 200.
50[Anon.], Paris Exposition 1900 : guide pratique du visiteur de Paris et de l’Exposition, Paris, Hachette, [s. d.], p. 25.
51Ibid., p. 39.
52Voir par exemple le site de Pascal Ferlicot, un collectionneur spécialisé dans les documents portant sur le quartier de la Goutte-d’Or : http://www.lagouttedor.net/, ou un article d’Annick Amar sur Georges Dufayel dans le mensuel local, Le 18e du mois, mars 2014.
53Victoria De Grazia, Ellen Furlough (dir.), The Sex of Things. Gender and Consumption in Historical Perspective, Berkeley, University of California Press, 1996; Jennifer Scanlon, The Gender and Consumer Culture Reader, New York, NewYork University Press, 2000.
54Roger Chartier, « Textes, imprimés, lectures », dans Martine Poulain (dir.), Pour une sociologie de la lecture. Lectures et lecteurs dans la France contemporaine, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 1988, p. 16.
55Georges d’Avenel, « La publicité », Revue des deux mondes, 71/1, février 1901, p. 631.
56Christophe Charle, Le siècle de la presse, 1830-1939, Paris, Seuil, 2004.
57Gilles Feyel, « Presse et publicité en France (xviiie et xixe siècles) », art. cité, p. 862.
58BHVP, Documents éphémères, série120, carton Aux Classes laborieuses, Le Panthéon de l’industriel, 17 novembre 1878.
59Michael B. Miller, Au Bon Marché : 1869-1920, le consommateur apprivoisé, op. cit., p. 202-207.
60L’Humanité, 18 avril 1904.
61L’Humanité, 1er août 1904.
62APP, BA 1601, rapport de police du 28juillet 1912.
63La Bataille syndicaliste, 17décembre 1911.
64Cité dans Marc Martin, Les pionniers de la publicité, op. cit., p. 93.
65Les principaux fonds de catalogues se trouvent à la Bibliothèque Forney et à la BHVP.
66Michael B. Miller, Au Bon Marché : 1869-1920, le consommateur apprivoisé, op. cit.
67Annie Duprat, « L’imagerie populaire du Grand Ouest », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 108/2, 2001, p. 45-66.
68Marc Martin, Trois siècles de publicité en France, op. cit., p. 115-116.
69Laurence Fontaine, Le voyage et la mémoire. Colporteurs de l’Oisans au xixe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1984.
70Michael B. Miller, Au Bon Marché : 1869-1920, le consommateur apprivoisé, op. cit., p. 163.
71Marc Martin, Trois siècles de publicité en France, op. cit., p. 116.
72Les séries ont été reconstituées à partir de plusieurs fonds : les Documents éphémères de la BHVP, le fonds Lazard des Archives de Paris (D17Z/3) et diverses collections privées. Pour une analyse détaillée de ces images : Anaïs Albert, « Devenir bourgeois ou rester prolétaire ? Une comparaison des stratégies publicitaires de deux grands magasins de vente à crédit parisiens à la Belle Époque : les Grands Magasins Dufayel et Aux Enfants de la Chapelle », dans Nicolas Marty, Antonio Escudero (dir.), Consommateurs et consommations, xviie-xxie siècles. Regards franco-espagnols, Perpignan/Alicante, Presses de l’université de Perpignan/Presses de l’université d’Alicante, 2015, p. 195-220.
73Marc Martin, Les pionniers de la publicité, op. cit., chap. 5, « La Belle Époque de l’affiche » ; Id., « De l’affiche à l’affichage (1860-1980). Sur une spécificité de la publicité française », Le temps des médias, 2, 2004, p. 59-74 ; Marie-Emmanuelle Chessel, La publicité. Naissance d’une profession, 1900-1940, Paris, CNRS Éditions, 1998, chap. 5, « L’affiche au cœur des débats ».
74Gilles Feyel, « Presse et publicité en France (xviiie et xixe siècles) », art. cité, p. 837-838. Il n’existe pas d’étude historique de ces sociétés d’affichage, seulement un ouvrage mémoriel : Avenir France, Un afficheur dans la ville. L’histoire d’Avenir, Paris, Clio Média, 1997.
75Archives commerciales de la France, janvier 1881, p. 122.
76AN, F12/3775, concession d’« affichage sur les clôtures » octroyée à Mme Veuve Crespin.
77Jules Arren, La publicité lucrative et raisonnée, Paris, Bibliothèque des ouvrages pratiques, 1909, p. 356-357.
78Le Gaulois, 7avril 1891. Charles Margat a d’abord été employé des chemins de fer de l’Ouest, ADI Ille-et-Vilaine, 10 NUM 35085/332, acte de mariage de Charles Margat et Anne Lebon, 24avril 1866.
79Jules Arren, La publicité lucrative et raisonnée, op. cit., p. 357.
80Il est le fils d’un boulanger (ADLot-et-Garonne, 4E57/14, acte de naissance de Jacques Amédée Jumin, 9septembre 1850). Il hérite en 1917 de 400 actions, d’une valeur de 20 000francs, des Grands Magasins Dufayel lorsque ceux-ci sont transformés en société anonyme. ADP, D31U3/1607, statuts de la société anonyme « Administrations et grands magasins Dufayel –Palais de la Nouveauté », 1917.
81ADP, 12 AZ/190, carnet Kohler, 1912.
82Collection Ferlicot, carnet de crédit Martin, 1902.
83Jules Arren, La publicité lucrative et raisonnée, op. cit., p. 358.
84Collection Tzenkoff, facture de l’Affichage national, 1913.
85Jules Arren, La publicité lucrative et raisonnée, op. cit., p. 359.
86Une vingtaine de cartes postales collectées sur le site Delcampe montrent affiches et peintures portant le nom de Dufayel.
87BHVP, Documents éphémères, série120, cartons Dufayel, Brochure de présentation de l’Affichage national, 1897.
88Marie-Emmanuelle Chessel, La publicité. Naissance d’une profession, 1900-1940, op. cit., chap. 5, « L’affiche au cœur des débats ».
89Ibid., p. 146.
90Georges Maze-Sencier, Les vies sociales, Paris, Marcel Rivière, 1913, p. 186-187.
91Collection Gougeon, carnet de crédit Maçon, 1907, p. 2.
92Collection Tzenkoff, carnet de crédit Rocques, 1904, p. 7.
93Christophe Reffait, « Avant-propos », Romantisme, 151, 2011, p. 7.
94La Bataille syndicaliste, 21décembre 1911.
95Ferdinand Buisson, « Proposition de loi du 22mars 1910 visant à instaurer l’égalité du droit à l’éducation », cité dans Éric Dubreucq, Une éducation républicaine. Marion, Buisson, Durkheim, Paris, Vrin, 2004, p. 139.
96La Revue socialiste, 352, 15avril 1914, p. 329.
97Collection Ferlicot, Fantasio, s. d.
98« Un mécène », Le Cri de Paris, 24septembre 1905.
99Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.
100BHVP, Documents éphémères, série120, cartons Dufayel, Brochure de présentation des magasins, v.1890.
101Affiche du Bon Génie, 1872.
102AN, F12/5134, dossier de proposition à la Légion d’honneur de Georges Dufayel.
103Ibid.
104La référence au « Grand Partage » vient de l’œuvre de Karl Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983 [1944]. Sur ce positionnement théorique et ses conséquences, voir Florence Weber, « Transactions marchandes, échanges rituels, relations personnelles. Une ethnographie économique après le Grand Partage », Genèses, 41, 2000, p. 85-107.
105Ibid., p. 92.
106Arjun Appadurai (dir.), The Social Life of Things: Commodities in Cultural Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 [1988].
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