De l’Encyclopédie de Hegel à la création par les hégéliens de nouvelles disciplines scientifiques
p. 229-248
Note de l’auteur
Des ébauches de cet article furent présentées au Centre de philosophie classique allemande à l’université de la Ruhr à Bochum en 2017, puis au congrès « Etica, Politica, Storia Universale » qui s’est tenu à l’université d’Urbino en 2018, et enfin à une journée d’études à l’université Bordeaux-Montaigne en 2019. Je remercie respectivement Birgit Sandkaulen, Giacomo Rinaldi et Christophe Bouton pour les invitations à ces manifestations, ainsi que les participants pour leurs remarques constructives, qui m’ont aidé à améliorer ces premiers projets. Certains des matériaux utilisés dans cet article ont été publiés dans une étude en anglais intitulée « Philosophy in the Wake of Hegel », dans G. Claeys (dir.), The Cambridge Companion to Nineteenth-Century Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2019, p. 51-71.
Texte intégral
1Le but de cet article est de montrer de quelle manière certains des disciples de Hegel contribuèrent à une transformation des contours de la philosophie : ils ont développé de nouvelles disciplines à partir de l’Encyclopédie des sciences philosophiques de leur maître, et celles-ci se sont vite émancipées du cadre encyclopédique auquel elles étaient confinées jusque-là.
2Cette question, qui porte d’abord sur l’histoire de la philosophie au xixe siècle, est de portée bien plus vaste, pour deux raisons essentielles :
- Hegel citait volontiers le dictum biblique selon lequel l’arbre se reconnaîtra à ses fruits (NT, Matthieu 7, 15-20) – il le fait par exemple dans la préface à la troisième édition (1830) de son Encyclopédie1. L’attitude et le comportement de ses disciples peuvent donc être considérés comme un terrain d’essai permettant d’évaluer la pensée même de Hegel – terrain que Hegel lui-même aurait certainement accepté, car s’il tenait les simples intentions en piètre estime, il croyait en revanche que les conséquences et résultats offrent un authentique test des principes.
- La question historique, celle de savoir comment les disciples de Hegel ont développé de nouvelles disciplines, est intimement liée à une question systématique plus ardue, qui concerne le rapport entre la philosophie spéculative et les sciences empiriques. Pour engager la réflexion sur cette question, je me permettrai une anecdote. Dans les années 1980, le regretté Günther Holzboog (1927-2006), alors directeur d’une maison d’édition philosophique renommée, Frommann-Holzboog, me raconta qu’il s’apprêtait à créer une nouvelle collection, intitulée « Spekulation und Erfahrung » (Spéculation et expérience), dédiée à l’idéalisme allemand2. Je l’ai félicité de cette initiative, mais lui ai aussi fait remarquer que le titre de la collection, pour être hégélien, devrait être inversé : plutôt que d’annoncer une « spéculation la tête dans les nuages », qui serait ensuite vérifiée, voire corrigée à l’aide de l’expérience, il faudrait plutôt affirmer que c’est l’expérience qui nourrit la spéculation. L’anecdote mérite d’être méditée.
1831 et après
3Lorsque, en novembre 1831, Hegel mourut de façon brutale et inattendue, il régnait sur la philosophie – et non pas seulement dans les territoires de langue allemande, Prusse en tête. Sa pensée inspirait bien des lecteurs, de Naples à la Finlande, de la Russie et la Pologne à la France… et au-delà. Mais beaucoup étaient aussi conscients de ce qu’un point culminant avait été atteint. « Notre révolution philosophique est terminée. Hegel a refermé son vaste cycle », s’écria Heinrich Heine dans son Histoire de la religion et de la philosophie en Allemagne (1834)3, reprenant par là l’appréciation que son vieil ami Eduard Gans avait exprimée dans sa notice nécrologique, rédigée peu après la mort du philosophe :
Hegel laisse derrière lui une foule de disciples pleins d’esprit, mais pas de successeur ; car la philosophie a momentanément achevé son cycle4.
4Pourtant, même si Gans ou Heine pourraient être considérés comme de premiers hégéliens de gauche5, ni l’un ni l’autre n’avaient remis en cause la conviction largement répandue à l’époque selon laquelle la « philosophie hégélienne incarnait la vérité6 ».
5David Friedrich Strauss7, qui allait bientôt révolutionner la théologie protestante par son ouvrage pionnier, Das Leben Jesu (1835-1836)8, avait tout exprès fait le voyage jusqu’à Berlin en 1831 pour écouter les cours de Hegel. Il ne put en suivre que quelques-uns avant le décès du philosophe, mais cette perte dramatique renforça son intention d’approfondir ses connaissances de la philosophie hégélienne. « Hegel est décédé, mais ici il n’est pas en danger d’extinction9. » Par « ici », Strauss n’évoque pas seulement la ville de Berlin, mais aussi le milieu intellectuel et institutionnel dans lequel l’étude de la philosophie hégélienne était poursuivie par toute une école d’étudiants dévoués, un « cercle d’amis du défunt10 ». Sans surprise, c’est vers eux que Strauss se tourna après le décès du philosophe pour compléter sa formation hégélienne. Il suivit les cours d’Eduard Gans, Philipp Konrad Marheineke, Leopold von Henning et Karl Ludwig Michelet, tous les quatre proches de Hegel – mais aussi ceux de Friedrich Schleiermacher, certes ennemi de Hegel, mais incontournable en théologie. Un peu plus tard, Strauss participa activement aux débats et querelles que l’histoire des idées a souvent décrits comme ayant consisté en un clivage de l’école hégélienne en des ailes « gauche et droite », ou « vieux et jeunes ».
6Je reviendrai plus en détail sur la question de savoir comment une école hégélienne se constitua, se développa et se divisa, mais dirai dès le départ pourquoi je pense que la philosophie de Hegel était particulièrement apte à faire école. Le fait est intimement lié à la conception très large que Hegel avait eue de la philosophie : il avait intégré dans son système encyclopédique un grand nombre de domaines qui étaient déjà ou allaient rapidement devenir des disciplines distinctes. Comme le suggère le titre complet de son livre – Encyclopédie des sciences philosophiques [en aperçu – « im Grundrisse »] –, Hegel cherche à donner une présentation systématique de toutes les sciences philosophiques. Mais compte tenu de la richesse écrasante des matériaux, il ne pouvait qu’en donner un aperçu, ce qui laissait à ses disciples l’opportunité (on pourrait aussi dire que c’était une lourde obligation à remplir) de tirer les conséquences de l’aperçu pour une ou plusieurs discipline(s), dont l’un ou l’autre s’apprêtait à devenir spécialiste. Karl Rosenkranz avait déjà articulé la thèse dès 1844 dans sa biographie de Hegel : dans ce travail fondamental et pionnier, il écrivait dans l’un des chapitres de la fin de l’ouvrage – la thèse est donc un peu cachée – que l’école hégélienne serait apparue à l’époque comme une conséquence naturelle et spontanée de l’Encyclopédie. Rosenkranz, qui faisait partie du cercle rapproché autour de Hegel (même s’il n’était pas “disciple” au sens strict du terme), était évidemment très bien informé et connaissait personnellement les chercheurs qu’il mentionne. On pourrait même considérer sa thèse comme une réflexion sur son propre travail et développement, ce que l’on montrera un peu plus loin. Les raisons qu’il fournit afin d’expliquer pourquoi la philosophie de Hegel était particulièrement apte à créer une « école » culminent dans le passage suivant, qui mérite d’être cité longuement :
[Le système hégélien] offrait, pour finir, à travers l’universalité de ses aspects encyclopédiques, des points de contact avec toutes les orientations particulières de la science. L’élève renonçait-il à pouvoir opérer quelque modification de principe, il lui restait néanmoins la possibilité de faire ses preuves en appréhendant et en approfondissant spéculativement une matière particulière, pour bien mériter de son développement et servir ainsi la promotion de la philosophie elle-même. Le théologien, le juriste, le naturaliste, le linguiste, le politiste, l’historien, l’esthéticien, tous étaient appelés à collaborer au grand œuvre. Le maître avait besoin des compagnons, et les compagnons avaient la perspective de devenir eux-mêmes des maîtres dans leur spécialité. Cette active ferveur philosophique, qui, entre autres chez Marheineke, Vatke, Gans, Hotho, Michelet […] [Rosenkranz donne encore d’autres noms, mais de personnes moins connues], s’investit avec un esprit de conquête dans les sciences spéciales, eut pour conséquence d’introduire en celles-ci des transformations significatives, qui ne sont encore en aucune manière achevées11.
7Dans l’article qui suit, après avoir offert quelques remarques sur ce que veut dire « école hégélienne », nous nous proposons d’examiner cette thèse à l’aide de quelques exemples significatifs – trois disciplines, différentes et complémentaires : histoire comparative du droit, histoire de l’art et histoire littéraire – associés à des hégéliens éminents : Gans, Hotho et Rosenkranz lui-même. À la fin de l’article, une attention particulière sera accordée à l’« une des sciences qui sont nées à l’époque récente », l’économie politique, et à son rapport à la philosophie (voir l’emblématique § 189 des Principes de la philosophie du droit12).
L’école hégélienne
8Une « école hégélienne » existait déjà du vivant du philosophe : le fait ne peut être mis en doute. Plusieurs de ses élèves et amis étaient déjà devenus professeurs lorsqu’il décéda, et transmettaient donc sa philosophie à la génération suivante, en utilisant souvent ses livres comme manuels : Eduard Gans, Leopold von Henning, Hermann Friedrich Wilhelm Hinrichs, Heinrich Gustav Hotho, Philipp Konrad Marheineke, Karl Ludwig Michelet, Karl Rosenkranz, Wilhelm Vatke. L’aperçu de la formation et du développement de cette école dans l’édition de 1923 de la grande Histoire de la philosophie établie par Friedrich Ueberweg (1826-1871) donne même plus de soixante noms de philosophes appartenant à l’école ou qui « furent influencés de façon significative par elle13 ». On trouve aussi chez les hégéliens une tendance appuyée à défendre, voire à faire l’apologie du fondateur Hegel, ce qui est toujours caractéristique d’une « école ». Lorsqu’en 1833 Gans publie son édition des Principes de la philosophie du droit, sa préface révèle déjà clairement cette tendance apologétique14. Cette pratique se propage ensuite presque jusqu’à la fin du xixe siècle : les disciples continuèrent à publier des textes apologétiques – parfois même avec le terme « apologie » dans le titre15. Lorsque leur maître était attaqué, ses anciens étudiants furent toujours prêts à répondre.
9La création d’institutions est un autre critère qui permet de parler d’une « école ». Tout comme ce courant majeur de la recherche historique française que fut « l’école des Annales » s’organisa autour de la revue Annales d’histoire économique et sociale, fondée en 1929 par Lucien Febvre et Marc Bloch, l’école hégélienne eut elle aussi sa revue, les Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik [Annales pour la critique scientifique], qui exauçait un vœu de longue date de Hegel et resta la revue hégélienne pendant vingt ans (1827-1846)16.
10La première édition des œuvres de Hegel, portée par un « cercle d’amis du défunt » et déjà évoquée ci-dessus17, peut aussi être considérée comme une sorte de base institutionnelle de l’école. L’édition ne republia pas seulement les livres de Hegel imprimés de son vivant, mais créa en quelque sorte le corpus hégélien que nous connaissons depuis lors, en publiant les vastes cycles de cours du philosophe, inédits jusque-là. Pour l’école hégélienne, cette édition remplira une double fonction. À l’intérieur de l’école d’abord, ce travail d’environ quinze ans accompli par des éditeurs réunis autour des textes et manuscrits de Hegel fut un formidable moyen de cohésion. Vers l’extérieur ensuite, le travail commun et son résultat très honorable donnèrent l’image d’une école soudée. Mais l’édition du « cercle d’amis du défunt » avait aussi des inconvénients. En transformant en livres les diverses sources utilisées pour les cours, les disciples de Hegel étaient tentés d’exagérer et de canoniser le côté systématique de la pensée de Hegel, de l’enfermer dans un système clos. Les éditions plus récentes des cours de Hegel18 montrent bien, au contraire, à quel point le philosophe fut prêt à expérimenter, pour ne pas dire jouer, avec le matériel tout au long des années et dans ses différents cours, changeant non seulement de nombreux détails mais la structure même de ses cours, alors que certains des éditeurs du xixe siècle avaient lissé les différences et tensions, et donné un semblant de système rigide et fermé auquel Hegel n’a pas adhéré. L’exemple type de ces difficultés est l’édition des cours sur l’esthétique par Heinrich G. Hotho19. L’édition de Hotho peut d’un côté être considérée comme une réussite, parce qu’elle a transformé des disjecta membra poetae (les notes de Hegel, limitées, désordonnées et surchargées d’ajouts ultérieurs ; notes d’une variété d’étudiants, plus ou moins doués, qui suivirent le cours en différentes années) en un livre organisé et bien écrit, qui a eu un grand succès. Mais, d’un autre côté, le travail de Hotho fut sévèrement critiqué, non pas seulement en raison des libertés qu’il avait prises avec les manuscrits à sa disposition, mais aussi parce qu’il avait introduit de son propre chef des changements et des modifications20. Le litige ne peut pas être tranché ici, il faut en fin de compte le voir comme une question de perspective : certains lecteurs apprécieront surtout un livre bien rédigé, même sans les subtilités d’un appareil critique, d’autres chercheront plutôt ce que Hegel a dit précisément, lors de telle ou telle année.
11Il y eut cependant aussi des divergences parmi les élèves de Hegel, et même des dissensions, dès avant 1831. En janvier 1826, Gans écrivait déjà à Victor Cousin (1792-1867) que l’école hégélienne serait bientôt « divisée en deux branches, une libérale monarchique, l’autre ministérielle21 ». Hegel vivant, son charisme avait empêché les dissensions de dégénérer en antagonismes et, même après son décès, la cohésion de son école put se renforcer, d’abord par le choc de sa mort soudaine, le sentiment de gratitude étant fort parmi ses disciples et alors qu’un travail collectif les réunissait encore, autour de la revue de critique scientifique et de la première grande édition des œuvres du maître. Mais un peu plus tard, Hegel n’étant plus là pour surmonter les conflits, l’inévitable s’ensuivit : l’unité de son école fut vite brisée.
12Le topos d’une scission ou division de l’école hégélienne en deux (gauche et droite) ou trois (gauche, centre, droite) clans est devenu un lieu commun dans l’histoire des idées22. David F. Strauss fut celui qui prit en 1837 l’initiative d’appliquer à la classification des disciples de Hegel la terminologie gauche/centre/droit issue de la répartition des places dans la salle des séances à l’Assemblée nationale française, mais nombreux furent les lecteurs qui ne virent même pas ce que cette application avait eu pour lui d’ironique23. Ce n’est pas un hasard qu’elle ait été faite dans le contexte d’une discussion sur la christologie : dans les débats des hégéliens des années 1830, la religion occupa en effet une place centrale, certes suivie de près par la politique et ses querelles (notamment liées au projet constitutionnel) et les questions de société.
Eduard Gans : l’histoire du droit de succession
13Parmi les disciplines qui ont émergé à partir du système encyclopédique de Hegel, la première selon la chronologie se trouve dans un ouvrage de Gans, Le droit de succession dans le développement de l’histoire universelle. Un traité de l’histoire universelle du droit24. La publication de cette œuvre débuta alors que Hegel était encore en vie et pouvait commenter le projet (t. I, 1824 ; t. II, 1825). Le droit de succession pourrait sembler être un domaine mineur du droit civil, pratiqué par un petit nombre de spécialistes, mais c’était un sujet vital pour Gans et ses contemporains, en raison de son lien intrinsèque avec la propriété. Les règles de la succession concernent la transmission du patrimoine, de droits et d’obligations d’une génération à la suivante. Gans concevait l’étude du droit de succession comme une partie intégrante de la philosophie25 et il ne cacha pas son adhésion à la « dernière, profonde et moderne configuration de la philosophie [i. e. le système hégélien]26 ». C’est pourquoi il examine minutieusement et inlassablement dans son écrit les droits de succession des mondes indiens, chinois, juifs et musulmans, avant même de se tourner vers la Grèce et Rome. Cela constitue un peu aussi une provocation envers l’école historique du droit de Savigny, qui avait privilégié une seule tradition dans sa démarche, comme l’indique le titre de son grand œuvre : Histoire du droit romain au Moyen Âge27.
14Dans ses cours sur la philosophie de l’histoire Hegel avait suivi un parcours très similaire à celui de Gans, à travers les mêmes civilisations28. Il mentionne la publication récente de Gans dans une lettre, se montrant alors non seulement fier du succès de son disciple, mais soulignant aussi que Gans « a pris pour base [s]es cours sur l’histoire du monde29 ». Voilà qui montre aussi de quelle manière Hegel souhaitait que ses élèves emploient leurs talents, chacun dans sa spécialité, afin de combler les lacunes nécessairement demeurées ouvertes dans son Encyclopédie, qui n’est qu’un « aperçu » (Grundriss) du système des sciences.
15Gans ne fut pas le seul étudiant qui devait dans l’esprit de Hegel se tourner vers le traitement détaillé d’un sujet juridique. Karl Ludwig Michelet raconte dans son autobiographie comment Hegel l’orienta vers le droit lorsqu’il le sollicita pour diriger sa thèse30 et comment il en vint ainsi à rédiger son De doli et culpae in jure criminali notionibus31. Mais, contrairement à Michelet, qui, après sa thèse, se tourna vers d’autres sujets32, Gans resta fidèle au droit, obtenant une chaire à la faculté de droit de Berlin, où il devint même doyen. Il devint aussi – et le point est plus pertinent encore pour cet article – l’un des grands pionniers de l’histoire universelle du droit comparé. Il n’est pas exagéré de dire qu’il a véritablement créé cette discipline, qu’avaient seulement annoncée quelques déclarations programmatiques de Montesquieu, Anselm Feuerbach (le père du philosophe, un grand juriste) et Thibaut33. C’est de façon exemplaire que le programme fut réalisé, notamment dans le Droit de succession dans le développement de l’histoire universelle. Un tel accomplissement demeure redevable à Hegel : cela ne peut pas être remis en question, et Gans lui-même le reconnut souvent avec gratitude. Mais l’entreprise devait aussi, inévitablement, conduire Gans au-delà de Hegel. Ce fut d’abord, comme il le dit lui-même, la richesse des matériaux qui l’incita à s’éloigner graduellement de la structure systématique de la philosophie hégélienne34. Gans libéra aussi sa nouvelle discipline de la perspective rétrospective affirmée par Hegel – « la chouette de Minerve ne prend son envol qu’à l’irruption du crépuscule35 » – en l’ouvrant vers le futur36.
Hotho et l’histoire de l’art philosophique37
16Par les efforts qu’il fit afin d’établir une histoire hégélienne de l’art, Hotho entendait manifestement se hisser à la hauteur des réalisations de Gans en histoire du droit. Les deux hommes étaient des amis proches38. Même si les résultats de Hotho sont arrivés tardivement et demeurent quelque peu fragmentaires39, les ambitions qu’il nourrit pour sa discipline sont claires. Il les présente lui-même dès ses contributions aux Jahrbücher40. Dans l’un de ses premiers articles déjà, commentant une étude récente sur la justice dans son développement historique41, Hotho énonce pour l’école hégélienne la tâche consistant à promouvoir de nouvelles disciplines. Sa réflexion est proche de celle de Rosenkranz (citée ci-dessus, note 11) :
Descartes, Spinoza, Kant et Fichte exigèrent bien des fidèles [Bekenner], mais non pas, en réalité, des disciples collaborant avec eux. Au principe même de la philosophie contemporaine [sans doute une allusion au hégélianisme] se trouve au contraire [le fait de] ne pas pouvoir s’accomplir, pour ce qui concerne l’étendue et la multiplicité du matériau à dominer, sans l’aide de collaborateurs doués de diverses manières42.
17Cette citation pourrait renforcer les efforts faits par Wolfgang Eßbach pour définir l’école hégélienne par, entre autres caractéristiques, les tâches qu’elle s’est elle-même fixées43. Selon Hotho, les disciples se sont tournés vers la philosophie de Hegel quand ils ont cherché des principes aptes à les aider dans l’élaboration de nouveaux champs de recherche. Dans cette perspective, Hotho privilégia l’Encyclopédie de Hegel plutôt que sa Phénoménologie de l’esprit, une œuvre qu’il disait « d’une époque dont les intérêts sont derrière nous », donc, en d’autres termes, dépassée.
18Hotho développa le projet de sa propre histoire de l’art au moment où une soi-disant « école berlinoise » d’histoire de l’art était populaire, autour de figures comme Aloys Hirt (1759-1837) et Carl Friedrich von Rumohr (1785-1843). Hotho n’ignorait pas leur travail, qu’il utilisa dans un souci de précision descriptive des œuvres d’art et de leur chronologie. Mais il vit les limites de leur approche, avec leurs qualités : il dénommait ces auteurs des « empiristes spirituels » (geistvolle Empiriker). Il voulut plutôt poursuivre la philosophie hégélienne de façon constructive, s’opposant à une démarche dogmatique et pseudo-hégélienne, qui subordonnerait les œuvres d’art à des catégories rigoureuses. Comme Gans, Hotho s’attacha à une enquête qu’il voulut philosophique44, mais qui tiendrait aussi compte de l’histoire universelle.
19Mais il ne fut pas un simple épigone, car il sut mettre l’accent sur des points qui lui sont propres. Pour lui, le standard ultime de jugement des productions artistiques ne demeure pas invariablement la Grèce ancienne, comme ce fut le cas chez Hegel. Certes, Hotho dénigra parfois l’art de son époque, mais la Grèce ne constitue plus le point culminant de son histoire, elle représente seulement une période parmi d’autres, et chacune a sa valeur propre. Hotho réévalua aussi la peinture chrétienne, à laquelle il consacra une étude détaillée et de grande envergure45.
Rosenkranz et l’histoire de la littérature
20Un troisième exemple que nous pourrions donner ici est celui de l’histoire de la littérature élaborée par Karl Rosenkranz. Les efforts soutenus que fit Rosenkranz dès le début des années 1830 afin d’élaborer une telle histoire trouvent leur point culminant dans ses analyses de Goethe, une grande monographie sur Diderot – la première en langue allemande (1866) – et toute une série de publications plus tardives46. Ses deux publications antérieures sur l’histoire de la poésie (la première publiée en 1830, quand Hegel était encore en vie ; la seconde peu de temps après sa mort) donnent une bonne idée de son approche et de ses intentions. Même si Hegel n’est pas mentionné explicitement dans le texte de 1830 – cela, ainsi que la concentration sur la poésie du Moyen Âge, peut expliquer pourquoi ce livre fut si bien accueilli par Ludwig Tieck et d’autres auteurs du mouvement romantique47 –, il est aisé d’en détecter l’inspiration hégélienne : dès sa préface, Rosenkranz souligne son intention de fournir « une histoire de la poésie d’un point de vue philosophique48 ». Le caractère hégélien de son entreprise est plus explicite dans les lignes qu’il consacre à une rétrospective sur la période d’élaboration de cette étude, par lesquelles il décrit sa perspective comme une « histoire de la conscience qui se reflète dans les productions poétiques du Moyen Âge49 » ; ajoutant un peu plus loin, comme si l’allusion à « l’histoire de la conscience » n’était pas encore suffisamment claire, qu’il était encore complètement sous l’impact (Befangenheit) de la Phénoménologie de Hegel lorsqu’il avait préparé ce livre. C’était de cette œuvre, en particulier du chapitre « La religion de l’art », plus que des cours sur l’esthétique que Rosenkranz avait pris ses principes et son fil conducteur50. Il se défend pourtant de la critique selon laquelle il aurait adhéré à un hégélianisme borné et scolastique, et nie plus particulièrement avoir soumis le matériel empirique de la poésie à un système rigide et clos, comme on le lui avait reproché51. Il est certes prêt à reconnaître que la Phénoménologie serait « biaisée et insuffisante » sur le Moyen Âge, et se dit prêt à « compléter et améliorer » ce traitement52. Son manuel de 1832/1833 se distingue par la prise en compte de l’histoire mondiale de la poésie (du monde oriental, via l’Antiquité grecque et romaine, jusqu’à la poésie européenne moderne), l’accent étant fortement et explicitement mis sur Hegel53.
21Rosenkranz alla plus loin que Hegel dans les efforts qu’il fit afin d’harmoniser les classifications esthétiques (selon les formes poétiques : épique, lyrique, dramatique), portant une attention plus minutieuse aux œuvres de poésie dans leur individualité. La richesse des œuvres analysées est remarquable. Ce sont probablement ces qualités de son ouvrage qui lui ont permis d’émanciper l’histoire de la littérature du système hégélien. Par ailleurs, il renforça aussi l’accent placé par Hegel sur le développement de la littérature, présentant notamment un schéma à la fin de son troisième et dernier volume54, à la suite d’un échange avec Hotho55. Cet échange entre Rosenkranz et Hotho montre que la création de nouvelles disciplines à partir de l’Encyclopédie de Hegel avait aussi constitué un projet collectif de l’école. La fière revendication que Rosenkranz articule dans une rétrospective autobiographique pour son manuel de l’histoire de la littérature semble donc bien justifiée : ce serait « la première réalisation complète, écrite selon des principes esthétiques et en tenant compte de l’histoire mondiale56 ».
L’économie politique : une science née à l’époque moderne
22Le cas de l’économie politique est plus complexe, mais probablement aussi d’une plus grande importance. Hegel lui-même avait célébré cette discipline, « une science qui fait honneur à la pensée57 », associant son émergence récente aux noms d’Adam Smith, Jean-Baptiste Say et David Ricardo – qui sont aujourd’hui encore considérés comme ses pères fondateurs. La qualité que Hegel appréciait le plus dans cette nouvelle science est qu’elle « trouve des lois [qui s’appliquent] à une masse de contingences ». Lorsqu’il la compare avec l’astronomie, « le système des planètes », qui « n’offre à l’œil que des mouvements irréguliers, mais dont les lois peuvent toutefois être connues58 », Hegel indique l’accomplissement spécifique de l’économie politique. L’usage que Hegel a fait des découvertes de l’économie politique dans son « système des besoins » (§ 189-208) et dans d’autres parties de son traitement de la « société civile » a souvent attiré l’intérêt de la recherche, dès Karl Marx et la préface à sa « Contribution à la critique de l’économie politique59 » par exemple, jusqu’à la recherche hégélienne récente60.
23Même si cette ligne traditionnelle de recherche dépasse le cadre de cet article, il nous faut souligner que les disciples de Hegel avaient été très conscients de ce que les Principes de la philosophie du droit avaient accompli : une intégration de l’économie politique dans le système. Gans explique dans la préface à son édition de 1833 que « même la science de l’économie politique » avait trouvé « dans la société civile sa place et son traitement appropriés »61. Dans ses propres cours, désormais disponibles dans plusieurs éditions62, Gans alla plus loin encore dans la même direction en complétant les brèves indications de Hegel par un aperçu tripartite de l’histoire des idées économiques : 1) Jean-Baptiste Colbert et le système « mercantile » ; 2) le système « physiocratique » de François Quesnay ; 3) le « système industriel », qu’il qualifia de système « désormais dominant », « le seul vrai » système63, créé par Adam Smith et élaboré par Ricardo et Say. Gans s’identifie explicitement avec ce dernier et le considère capable d’une « perfection infinie64 ». Dans des cours plus tardifs, Gans intègre quelques auteurs allemands dans la troisième partie de sa présentation des idées économiques, notamment Karl Heinrich Rau (1792-1870)65 – selon Engels, Rau fut un des rares économistes, avec List, que Marx aurait vraiment étudié (à côté des grands auteurs français et anglais)66. Dans ce contexte, Gans fit aussi quelques brèves remarques au sujet des saint-simoniens67 – il retourna vers eux dans d’autres parties de ses cours et d’autres textes68.
24Il est important de percevoir que Gans ressentit le besoin de prolonger et d’approfondir la nouvelle science de l’économie politique et qu’il le fit en proposant un aperçu du développement des idées économiques. Gans reconnut aussi que l’économie politique avait forgé et imposé toute une nouvelle terminologie69. Si, pour son projet d’histoire universelle du droit de succession, il vit bien que, à la longue, cette discipline devrait se libérer du système hégélien, tel ne fut pas le cas pour lui de l’économie politique, laquelle trouve sa place appropriée dans le « système de besoins » développé dans les Principes de la philosophie du droit, et de façon plus succincte, dans l’Encyclopédie (§ 523-528).
25Mais pour Hegel lui-même, ce n’avait pas été le dernier mot. Après la publication de sa Philosophie du droit, Hegel semble avoir eu des doutes. Cela devient évident dans ses conférences ultérieures sur l’histoire de la philosophie70, où il thématise à différents endroits les contours changeants de la philosophie. Déjà quand il traite de Platon, il affirme que « le mot philosophie a eu à différentes époques des significations différentes71 », et parmi les exemples excentriques qu’il utilise pour illustrer cette remarque il se réfère aux Anglais, qui ont appelé les « sciences expérimentales philosophie72 ». Parlant de Newton, il revient sur l’envergure attribuée à la philosophie dans différents pays : « [L]es mathématiques et la physique sont appelées [chez les Anglais] philosophie newtonienne. Les lois de l’économie politique, des principes généraux comme aujourd’hui celui de la liberté du commerce, sont appelés chez eux principes philosophiques, philosophie73. »
26Hegel donne ensuite un exemple très récent (« il y a six mois ») de cet usage du terme « philosophie », celui d’un discours tenu en 1825 par l’homme d’État britannique George Canning74 – il avait trouvé cet exemple dans le journal anglais The Morning Chronicle, qu’il lisait régulièrement75. Aujourd’hui, même des restaurants annoncent leur « philosophie » sur leurs cartes et on y trouve, par exemple, l’indication qu’ils n’utilisent que des produits de la région, etc. Hegel exclut de tels usages du terme « philosophie ». Il est donc cohérent lorsque, traitant de la philosophie écossaise dans ses Leçons76, il applique cette exclusion : il ne présente pas les idées économiques d’Adam Smith, mais le mentionne seulement dans le contexte d’autres auteurs écossais (Francis Hutcheson, Adam Ferguson, Dugald Stewart) qui ont écrit sur la morale. « L’économiste Adam Smith est aussi philosophe en ce sens77 » : c’est évidemment une allusion à la Théorie des sentiments moraux (1759)78, même s’il n’y a pas là une preuve absolue de sa lecture intégrale du texte. Hegel semble avoir su qu’Adam Smith (tout comme Hutcheson et Ferguson) avait développé ses idées économiques à partir d’une chaire de philosophie morale (à Glasgow en l’occurrence) et avait initialement conçu celles-ci dans le cadre d’une branche de cette discipline. Bien entendu, par la suite, Smith a largement contribué à émanciper la science de l’économie politique (tout comme Ferguson celle de la sociologie). Mais Hegel écrit de l’autre côté de la rive ; il cherche à saisir les résultats de ces disciplines, dans sa synthèse philosophique, après qu’elles ont fait leur apparition comme champs de recherche distincts. L’économie politique, comme les autres sciences, sciences de la nature aussi bien que sciences humaines, lui apporte le matériel pour son entreprise philosophique, mais elle ne peut plus être considérée en elle-même comme une partie de la « philosophie ».
Notes de bas de page
1Ici comme par la suite, nous citons l’Encyclopédie des sciences philosophiques de Hegel d’après la magistrale traduction de Bernard Bourgeois en trois volumes : Paris, Vrin, 1970, 1988, 2004, ici t. I, p. 141.
2Cette collection débuta, en effet, en 1986 et, dès le premier volume, j’ai donné plusieurs articles. Voir N. Waszek, « Fox und Pitt. Spannungsfeld britischer Politik im Spiegel des Hegelschen Denkens », dans H.-C. Lucas, O. Pöggeler (dir.), Hegels Rechtsphilosophie im Zusammenhang der europäischen Verfassungsgeschichte, t. 1, Spekulation und Erfahrung, Stuttgart/Bad Cannstatt, Frommann-Holzboog, 1986, p. 111-128.
3H. Heine, Histoire de la religion et de la philosophie en Allemagne [publié d’abord, en 1834, sous forme d’articles dans la Revue des deux mondes], présentation, trad. et notes par Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Imprimerie Nationale, 1993, p. 202. L’original allemand peut être consulté dans l’édition critique de ses œuvres : DHA = Düsseldorfer Heine Ausgabe, éd. par Manfred Winfuhr, Hambourg, Hoffmann & Campe, 1973-1997, 16 vol., ici t. 8/1, p. 115.
4E. Gans, « Nekrolog », dans Allgemeine Preußische Staatszeitung, 333, 1er déc. 1831, p. 1752 – ce texte est plus aisément accessible dans Eduard Gans (1797-1839): Hegelianer – Jude – Europäer, édition, introduction et bibliographie par N. Waszek, Francfort, P. Lang, 1991, p. 102-106, ici p. 106 (sans autre indication, les traductions sont les miennes).
5La thèse selon laquelle le « jeune hégélianisme » avait commencé avec l’Histoire de Heine fut revendiquée par G. Höhn, Heine-Handbuch. Zeit – Person – Werk, 3e éd., Stuttgart, Weimar, Metzler, 2004, p. 350. J’ai moi-même examiné cette question pour Gans, mais suis arrivé à une conclusion nuancée, voir « War Eduard Gans (1797-1839) der erste Links- oder Junghegelianer? », dans M. Quante, A. Mohseni (dir.), Die linken Hegelianer. Studien zum Verhältnis von Religion und Politik im Vormärz, Paderborn, Fink, 2015, p. 29-51.
6Comme John E. Toews l’a résumé dans son livre, Hegelianism: the Path Toward Dialectical Humanism, 1805-1841, Cambridge, Cambridge University Press, 1980, p. 5.
7Voir N. Waszek, « David Friedrich Strauss in 1848. An Analysis of his “Theologico-Political Speeches” », dans D. Moggach, G. Stedman Jones (dir.), The 1848 Revolutions and European Political Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, p. 236-253.
8D. F. Strauss, Das Leben Jesu, kritisch bearbeitet, Tübingen, Osiander, 1835-1836, 2 vol. ; trad. fr. : Vie de Jésus, ou examen critique de son histoire, trad. de 3e éd. par É. Littré, Paris, Ladrange, 1839-1840, 2 vol.
9D. F. Strauss, « Lettre à Christian Märklin (1807-1849) », 15 nov. 1831, dans Ausgewählte Briefe von David Friedrich Strauss, éd. par E. Zeller, Bonn, Emil Strauss, 1895, p. 8 : « [H]ier ist Hegel zwar gestorben, aber nicht ausgestorben » (je donne l’allemand pour préserver le jeu de mots gestorben vs ausgestorben).
10Un groupe d’anciens étudiants et/ou amis du philosophe se constitua alors comme « association » afin de préparer une édition complète des œuvres, des conférences et d’autres manuscrits inédits de Hegel : la célèbre Freundesvereinsausgabe: Georg Wilhelm Friedrich Hegel’s Werke, Vollständige Ausgabe durch einen Verein von Freunden des Verewigten, Berlin, Duncker & Humblot, 1832-1845, 18 vol.
11K. Rosenkranz, Georg Wilhelm Friedrich Hegels Leben, Berlin, Duncker & Humblot, 1844, p. 381 et suiv. ; Vie de Hegel, trad. P. Osmo, Paris, Gallimard, 2004, p. 574 et suiv.
12Ici comme dans la suite nous citons d’après l’édition de Jean-François Kervégan : Principes de la philosophie du droit, Paris, PUF, 2013 [désormais citée PPD], p. 358.
13Friedrich Ueberwegs Grundriss der Geschichte der Philosophie, t. 4, Die deutsche Philosophie des xix. Jahrhunderts und der Gegenwart, Berlin, Mittler, 1923, p. 202-217.
14E. Gans, « Vorrede des Herausgebers », dans G. W. F. Hegel, Grundlinien der Philosophie des Rechts, 2e éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1833, p. v-xvii.
15J. Schaller, Die Philosophie unserer Zeit: zur Apologie und Erläuterung des Hegelschen Systems, Leipzig, Hinrichs, 1837 ; K. Rosenkranz, Apologie Hegels gegen Dr. R. Haym, Berlin, Duncker & Humblot, 1858.
16Voir le récit de l’époque d’E. Gans, « La fondation des “Annales de critique scientifique” » [1836], trad. M. Bienenstock, dans E. Gans, Chroniques françaises, Paris, Éditions du Cerf, 1993, p. 209-233, avec les appréciations modernes dans le recueil Die “Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik”: Hegels Berliner Gegenakademie, éd. C. Jamme, Stuttgart/Bad Cannstatt, Frommann-Holzboog, 1994.
17Cette association fut créée par Philipp Marheineke, Johannes Schulze, Eduard Gans, Leopold von Henning, Heinrich Gustav Hotho, Carl Ludwig Michelet et Friedrich Förster. Un peu plus tard, d’autres éditeurs scientifiques furent ajoutés : Ludwig Boumann, Karl Hegel (fils aîné du philosophe), Karl Rosenkranz et Bruno Bauer. Voir C. Jamme, « Editionspolitik. Zur “Freundesvereinsausgabe” der Werke G.W.F. Hegels », Zeitschrift für Philosophische Forschung, 38/1, 1984, p. 83-99.
18C’est l’un des mérites de Karl-Heinz Ilting (1925-1984) que d’avoir initié l’édition critique des notes d’auditeurs des cours de Hegel avec les quatre volumes sur la philosophie du droit : G. W. F. Hegel, Vorlesungen über Rechtsphilosophie 1818-1831, Stuttgart/Bad Cannstatt, Frommann-Holzboog, 1973-1974, 4 vol. Depuis, de nombreux autres volumes de notes de cours ont été publiés, notamment dans la série Vorlesungen. Ausgewählte Nachschriften und Manuskripte chez Meiner à Hambourg, 17 volumes entre 1983 et 2007.
19Georg Wilhelm Friedrich Hegel’s Vorlesungen über die Aesthetik, Berlin, Duncker & Humblot, 1835-1838, 3 vol. ; trad. fr. : Cours d’esthétique, trad. J.-P. Lefebvre et V. von Schenk, Paris, Aubier, 1995-1997, 3 vol..
20Notamment par Annemarie Gethmann-Siefert, voir par exemple son article : A. Gethmann-Siefert, « H.G. Hotho, Kunst als Bildungserlebnis und Kunsthistorie in systematischer Absicht – oder die entpolitisierte Version der ästhetischen Erziehung des Menschengeschlechts », dans A. Gethmann-Siefert, O. Pöggeler (dir.), Kunsterfahrung und Kulturpolitik im Berlin Hegels, Bonn, Bouvier, 1983, p. 229-262.
21Lettres d’Allemagne : Victor Cousin et les hégéliens, lettres rassemblées par M. Espagne et M. Werner, Tusson, Du Lérot, 1990, p. 61.
22Voir J. E. Toews, Hegelianism…, op. cit., p. 203-254 ; plus détaillé : H. Ottmann, Hegel im Spiegel der Interpretationen, Berlin/Boston, De Gruyter, 1977.
23D. F. Strauss, Streitschriften zur Vertheidigung meiner Schrift über das Leben Jesu und zur Charakteristik der gegenwärtigen Theologie, Tübingen, Osiander, 1837, t. 3, p. 95-126.
24E. Gans, Das Erbrecht in weltgeschichtlicher Entwicklung: Eine Abhandlung der Universalrechtsgeschichte, 4 vol., t. I, Berlin, Maurer, 1824 ; t. II, Berlin, Maurer, 1825 ; t. III, Stuttgart/Tübingen, Cotta, 1829 ; t. IV, Stuttgart/Tübingen, Cotta, 1835. Il existe une traduction d’époque partielle de cet ouvrage : Histoire du droit de succession en France, trad. L. de Loménie, précédée d’une notice sur la vie et les ouvrages d’E. Gans par M. Girardin, Paris, Moquet & Challamel, 1845.
25E. Gans, Das Erbrecht in weltgeschichtlicher Entwicklung…, op. cit., I, p. xxix : « Als Wissenschaft ist sie [i.e. die Rechtswissenschaft] nothwendig ein Teil der Philosophie ». Cette phrase de Gans correspond exactement à une formule de Hegel : « La science du droit est une partie de la philosophie » (G. W. F. Hegel, PPD, § 2, p. 138).
26E. Gans, Das Erbrecht in weltgeschichtlicher Entwicklung…, op. cit., I, p. xxix.
27F. C. von Savigny, Geschichte des römischen Rechts im Mittelalter, Heidelberg, Mohr, 1815-1831, 6 vol. ; trad. fr. C. Guénoux : Histoire du droit romain au Moyen Âge, Paris, Auguste Durand, 1839, 4 vol.
28G. W. F. Hegel, La philosophie de l’histoire, éd. M. Bienenstock (dir.), trad. M. Bienenstock et al., appareil critique N. Waszek, Paris, Librairie générale française, 2009.
29G. W. F. Hegel, « Lettre à K. J. H. Windischmann », 11 avril 1824, dans G. W. F. Hegel, Correspondance, trad. J. Carrère, Paris, Gallimard, 1962-1967, t. III, p. 41.
30K. L. Michelet, Wahrheit aus meinem Leben, Berlin, Nicolai, 1884, p. 76.
31K. L. Michelet, De doli et culpae in jure criminali notionibus : Dissertatio Inauguralis, Berolini, Petsch, 1824.
32Vers l’histoire de la philosophie, avec un intérêt soutenu pour Aristote, sur lequel il publia aussi en français : Examen critique de l’ouvrage d’Aristote intitulé Métaphysique, Paris, Mercklein, 1836 (ouvrage couronné par l’Académie des sciences morales et politiques de l’Institut royal de France, en l’année 1835).
33Gans cita Montesquieu, Feuerbach et Thibaut régulièrement. Feuerbach rédigea, juste avant sa mort, en 1833, une note dans laquelle il s’attendait à ce que Gans réalise ce qu’il n’avait pas pu achever dans ce domaine de son vivant (voir A. von Feuerbach, Kleine Schriften vermischten Inhalts, Nuremberg, Otto, 1833, p. 165).
34Dans une note autobiographique, écrite en 1835, publiée quelques années plus tard dans la revue Hallische Jahrbücher für deutsche Wissenschaft und Kunst, 3, 1840, p. 902.
35G. W. F. Hegel, PPD, p. 134.
36Voir H.-C. Lucas, « “Dieses Zukünftige wollen wir mit Ehrfurcht begrüßen”: Bemerkungen zur Historisierung und Liberalisierung von Hegels Rechts- und Staatsbegriff durch Eduard Gans », dans R. Blänkner, G. Göhler, N. Waszek (dir.), Eduard Gans (1797-1839): politischer Professor zwischen Restauration und Vormärz, Leipzig, Universitätsverlag, 2002, p. 105-136.
37Voir E. Ziemer, Heinrich Gustav Hotho (1802-1873): ein Berliner Kunsthistoriker, Kunstkritiker und Philosoph, Berlin, Reimer, 1994 ; Annalisa Bertolino, L’arte e la vita: storia della filosofia e teoria estetica in Heinrich Gustav Hotho, Gênes, Pantograf, 1996.
38En 1825, Gans et Hotho voyagèrent et séjournèrent ensemble à Paris. Ce fut une période très formatrice pour eux. Sur leur chemin de retour vers Berlin, ils s’arrêtèrent d’abord à Stuttgart, pour des affaires avec Cotta, à la tête d’un empire de la presse et de l’édition, puis à Weimar, pour être reçu par Goethe. Les deux hommes ont laissé des récits de leur voyage commun : H. G. Hotho, Vorstudien für Leben und Kunst, Stuttgart, Cotta, 1835, p. 177-222 ; E. Gans, « Paris en l’an 1825 », dans E. Gans, Chroniques…, op. cit., p. 109-138.
39Beaucoup de ses livres sont restés inachevés (d’autres volumes étaient annoncés, mais n’ont pas vu le jour) : Geschichte der deutschen und niederländischen Malerei, Berlin, Simion, 1842-1843, 2 vol. ; Die Malerschule Huberts van Eyck nebst deutschen Vorgängern und Zeitgenossen, Berlin, Veit & Co, 1855-1858, 2 vol. ; Geschichte der christlichen Malerei in ihrem Entwicklungsgang dargestellt, Stuttgart, Ebner & Seubert, 1867-1872, 3 vol.
40Dix contributions à la revue hégélienne entre 1827 et 1833 ; voir E. Ziemer, Heinrich Gustav Hotho…, op. cit., p. 372.
41Par un certain J[ohann] Saling, Die Gerechtigkeit in ihrer geistgeschichtlichen Entwickelung, Berlin, C.F. Plahn, 1827 ; le compte rendu de Hotho fut publié dans Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik, 31/34, 1828, p. 251-265.
42H. G. Hotho, Jahrbücher…, op. cit., p. 252.
43W. Eßbach, Die Junghegelianer: Soziologie einer Intellektuellengruppe, Munich, Fink, 1988, p. 116.
44Comme il l’explique dans un autre compte rendu, cette fois-ci d’un ouvrage d’A. Wendt, Über die Hauptperioden der schönen Kunst oder die Kunst im Laufe der Weltgeschichte, Leipzig, Barth, 1831, dans Jahrbücher…, 113, 1832, p. 902.
45H. G. Hotho, Geschichte der christlichen Malerei in ihrem Entwicklungsgang dargestellt, Stuttgart, Ebner & Seubert, 1867-1872, 3 vol.
46K. Rosenkranz, Geschichte der deutschen Poesie im Mittelalter, Halle, Anton & Gelbcke, 1830 ; Handbuch einer allgemeinen Geschichte der Poesie [I : Geschichte der orientalischen und der antiken Poesie ; II : Geschichte der neueren Lateinischen, der Französischen und Italienischen Poesie ; III : Geschichte der Spanischen, Portugiesischen, Englischen, Skandinavischen, Niederländischen, Deutschen und Slawischen Poesie], Halle, Eduard Anton, 1832-1833, 3 vol. ; Goethe und seine Werke, Königsberg, Bornträger, 1847, 2e éd. : 1856 ; Die Poesie und ihre Geschichte: eine Entwicklung der poetischen Ideale der Völker, Königsberg, Bornträger, 1855 ; Diderot’s Leben und Werke, Leipzig, Brockhaus, 1866, 2 vol. ; Neue Studien, Leipzig, Koschny, 1875-1878, 4 vol.
47Comme Rosenkranz le raconte dans un texte autobiographique : K. Rosenkranz, Von Magdeburg bis Königsberg, Berlin, Heimann, 1873, p. 426 et suiv.
48Id., Geschichte der deutschen Poesie im Mittelalter, op. cit., p. vi.
49Id., Von Magdeburg bis Königsberg, op. cit., p. 424.
50Ibid., p. 424 et voir Id., Hegel: Sendschreiben an den Hofrath und Professor Carl Friedrich Bachmann in Jena, Königsberg, Unzer, 1834, p. 122 et suiv.
51Id., Geschichte der deutschen Poesie im Mittelalter, op. cit., p. viii : « Von einem vor der Durchforschung des Gegebenen bereits fertigen System, dessen Formeln ich vielleicht nur mit besonderem Stoff von Außen her angefüllt hätte weiß ich nichts. »
52Id., Von Magdeburg bis Königsberg, op. cit., p. 424.
53Id., Handbuch einer allgemeinen Geschichte der Poesie, t. I, op. cit., p. 160, 234 ; t. II, op. cit., p. 228 ; t. III, op. cit., p. iii et suiv.
54Id., Handbuch…, t. III, op. cit., p. 397-434.
55Voir une remarque dans sa préface ; Id., Handbuch…, t. III, op. cit., p. xi ; voir E. Ziemer, Heinrich Gustav Hotho…, op. cit., p. 184 et suiv.
56K. Rosenkranz, Von Magdeburg bis Königsberg, op. cit., p. 475 et suiv. : « ein Werk, welches der erste vollständig durchgeführte Versuch auf diesem Felde nach festen ästhetischen Prinzipien und mit weltgeschichtlichem Sinn geschrieben war. »
57G. W. F. Hegel, PPD, § 189, Ad., p. 681.
58Ibid. et voir, dans le paragraphe même, p. 358 : « les principes simples de la Chose, l’entendement qui est efficient en elle et qui la gouverne ».
59« Les rapports matériels de la vie que Hegel, à l’exemple des Anglais et des Français du xviiie siècle, comprend sous le nom de “société civile” », trad. M. Bienenstock, citée d’après G. W. F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 606.
60G. Lukács, Le jeune Hegel. Sur les rapports de la dialectique et de l’économie (1948), trad. G. Haarscher et R. Legros, Paris, Gallimard, 1981, 2 vol. ; M. Riedel, « Die Rezeption der Nationalökonomie », dans Studien zu Hegels Rechtsphilosophie, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1969, p. 75-99 ; N. Waszek, The Scottish Enlightenment and Hegel’s Account of “Civil Society”, Dordrecht, Kluwer, 1988.
61E. Gans, « Préface », dans G. W. F. Hegel, Grundlinien der Philosophie des Rechts, 2e éd., Berlin, Duncker & Humblot, 1833, p. v-xvii, ici p. viii.
62E. Gans, Philosophische Schriften, éd. H. Schröder, Berlin, Aufbau, 1971 ; Naturrecht und Universalrechtsgeschichte, éd. M. Riedel, Stuttgart, Klett-Cotta, 1981 [désormais cité Naturrecht und Universalrechtsgeschichte 1981] ; Naturrecht und Universalrechtsgeschichte: Vorlesungen nach G. W. F. Hegel, éd. J. Braun, Tübingen, Mohr/Siebeck, 2005 [désormais cité Naturrecht und Universalrechtsgeschichte 2005].
63E. Gans, Naturrecht und Universalrechtsgeschichte 2005, op. cit., p. 165.
64Id., Naturrecht und Universalrechtsgeschichte 1981, p. 84 : « Wir bekennen uns zum Industriesystem von Adam Smith » ; E. Gans, Naturrecht und Universalrechtsgeschichte 2005, p. 166 : « [das] Industriesystem [ist] einer unendlichen Vervollkommnung fähig ».
65Id., Naturrecht und Universalrechtsgeschichte 2005, p. 165.
66Voir sa préface au deuxième volume du Capital (1885) ; K. Marx, Das Kapital, t. II, Der Zirkulationsprozess des Kapitals, éd. par F. Engels, Berlin, Dietz, 1963 [Marx-Engels-Werke, t. 24], p. 14.
67E. Gans, Naturrecht und Universalrechtsgeschichte 2005, op. cit., p. 166.
68Voir Id., Naturrecht und Universalrechtsgeschichte 1981, p. 51 et suiv. ; Id., Naturrecht und Universalrechtsgeschichte 2005, p. 58-63. Pour son traitement le plus détaillé, il faut regarder Id., Chroniques…, op. cit., p.164-170 ; voir N. Waszek, « Eduard Gans on Poverty and on the Constitutional Debate », dans D. Moggach (dir.), The New Hegelians: Politics and Philosophy in the Hegelian School, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 24-49, ici p. 35-41.
69E. Gans, Naturrecht und Universalrechtsgeschichte 2005, op. cit., p. 166.
70Là aussi, il conviendrait de comparer l’ancienne édition du « cercle des amis » : Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie, éd. K.L. Michelet, Berlin, Duncker & Humblot, 1833-1836, 3 vol., qui mélange les cours de différentes années, avec les volumes de la série Vorlesungen…, op. cit., ici t. 6-9, éd. P. Garniron et W. Jaeschke, Hambourg, Meiner, 1986-1996, qui se basent surtout sur les notes d’auditeurs du cours de 1825-1826. Le regretté Pierre Garniron († 2007) a aussi laissé une admirable édition française : Leçons sur l’histoire de la philosophie, Paris, Vrin, 1971-1991, 7 vol.
71G. W. F. Hegel, Leçons…, op. cit., t. 3, p. 410.
72Id., Vorlesungen, op. cit., t. 9, p. 127 et suiv. ; Leçons…, op. cit., t. 6, p. 1574.
73Id., Leçons…, ibid., p. 1574.
74George Canning (1770-1827) fut secrétaire d’État des Affaires étrangères.
75Que Hegel ait alors lu l’article en question – The Morning Chronicle, 14 février 1825, p. 3 – est documenté par un extrait de sa main qui s’est préservé, voir M. J. Petry, « Hegel and “The Morning Chronicle” », Hegel-Studien, 11, 1976, p. 11-80, ici p. 31 et suiv.
76G. W. F. Hegel, Vorlesungen…, t. 9, p. 144-148 ; Leçons…, op. cit., t. 6, p. 1693-1714.
77Id., Leçons…, op. cit., t. 6, p. 1707.
78A. Smith, Théorie des sentiments moraux, texte traduit, introduit et annoté par M. Biziou, C. Gautier et J.-F. Pradeau, Paris, PUF, 1999.
Auteur
Professeur en études germaniques à l’université Paris VIII, spécialiste de l’histoire des idées.
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