Chapitre V. Charme campagnard et très grande ville
p. 233-309
Texte intégral
1L’attrait exercé par Paris sur les écrivains et les artistes est très puissant dès l’aube du xxe siècle. Pour des raisons multiples, Paris, ville des élites, attire les lettrés de la province et de l’étranger, les artistes en quête de renouveau ou de reconnaissance, les hommes épris de liberté. Au xixe siècle, Vienne avait pu jouer ce rôle de capitale intellectuelle1. Au xxe siècle, Paris occupe une place de premier ordre disputée quelquefois par Berlin et New-York, qui exerce une puissante attraction sur les élites internationales.
1. LA QUESTION DES SOURCES
2Les œuvres littéraires qui mentionnent Paris, prennent Paris pour objet ou ont Paris pour décor sont évidemment innombrables. L’examen des titres des ouvrages les plus connus démontre, à travers la répétition du mot « Paris »2, cette attirance. Le mythe Parisien associé à la Belle Époque et aux années folles est encore très vivant dans l’entre-deux-guerres, malgré certains signes annonciateurs de crise.
3Une distinction importante doit être établie entre le fait d’écrire « de » Paris (Paris est alors terre d’inspiration) et celui d’écrire « sur » Paris. Cette différence est exprimée clairement par Hemingway dans Paris est une fête3 : « [...] Peut-être, loin de Paris, pourrais-je écrire sur Paris, comme je pouvais écrire à Paris sur le Michigan [...] »4.
4Nous avons opéré un tri parmi les ouvrages ayant Paris pour décor ou pour sujet. Il nous est apparu qu’il existait pour les contemporains des auteurs spécialistes reconnus, dont le nom se trouvait attaché à un arrondissement, un quartier, un aspect de la capitale ; ainsi de Carco et Mac Orlan pour Montmartre, ou de Robert Garric pour Belleville... Leurs ouvrages servent de référence pour la description de lieux déterminés. Nous avons d’autre part pris comme critère l’existence de galaxies, de réseaux autour de figures reconnues des différents milieux intellectuels de la capitale : autour de Jean Cocteau et du Tout-Paris, des surréalistes, des milieux de la droite extrémiste, des intellectuels de Montparnasse, de Montmartre, des milieux odéoniens, des écrivains américains, ou russes, des écrivains exilés à Paris, des écrivains ayant reçu des grands prix (prix Goncourt, prix Renaudot, prix populiste...). Nous nous interrogerons sur les images de Paris telles qu’elles s’attachent à un milieu donné, à une vision politique, à une lecture littéraire ou philosophique. L’ensemble de ces appartenances se fond dans une identité parisienne qui peut être partagée par des Français, natifs de Paris ou non, et des étrangers.
5Enfin, nous avons à chaque fois établi une distinction entre souvenirs et œuvre d’imagination. Cependant cette séparation se révèle quelquefois arbitraire. De nombreuses œuvres romanesques fourmillent de références autobiographiques que nous n’avons pu éliminer de l’analyse. De nombreux mémoires et souvenirs sont en fait des œuvres imaginaires. L’effet de réel peut se révéler trompeur. L’analyse de Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline menée par Henri Godard met en évidence les pièges des « illusions réalistes » entretenues par Céline5.
2. LES QUARTIERS PREFERES DES INTELLECTUELS
6Pour les hommes de lettres, Paris est la ville de leur travaux et de leurs amis. Ces deux dimensions semblent étroitement associées dans la vie des intellectuels du moment, donnant au travail intellectuel une insertion dans une dimension collective de plaisir, une impression de sociabilité heureuse. Pour Maurice Sachs, « Il semble qu’à Paris, chaque état de la société, chaque classe, chaque chapelle d’esprit ait délégué quelques membres à une sorte « d’États Généraux », une Chambre du plaisir et du savoir »6.
2.1. Travaux et sociabilité
7La Rive gauche est depuis le Moyen-âge le haut lieu de l’intellectualité.
8Le Quartier latin7 avec ses grands lycées, Henri IV, Louis-le-Grand8, son université, la Sorbonne, ses institutions prestigieuses, ses grandes institutions, l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, le Collège de France, l’Institut, ses librairies, ses bureaux de rédaction ou d’édition reste le lieu de l’intellectualité, une sorte de port d’attache indispensable même à l’existence des autres lieux de regroupement des intellectuels.
9Une vie intellectuelle s’est développée autour de ces pôles Les bouquinistes la rendent accessible aux piétons ; les grands cafés littéraires, le Flore, les Deux Magots, la Brasserie Lipp, le Balzar après 1931, ou d’autres moins connus permettent son développement. Le périmètre du Quartier latin s’appuie sur la colline de la Montagne-Sainte-Geneviève, le jardin du Luxembourg, le quartier Odéon et la Place Saint-Germain-des-Prés.
10La première appartenance des intellectuels est celle qui les lie à la rive gauche et au Quartier latin, qui est traditionnellement le lieu de l’étude.
11Ernst-Robert Curtius9 cite André Suarès pour qui,
« la rive gauche, c’est la bonne rive... Je passe les ponts et les romps derrière moi. Voici que je retrouve la ville des livres et des maisons studieuses, des savants et des prêtres, et de l’amour pensif qui défend les lieux sacrés de l’occident contre les Barbares : Sainte-Geneviève sur sa colline penche un visage de reine toujours jeune sur le miroir de la Seine. Là, du moins, entre Notre-Dame et le Parnasse, il est encore un air respirable pour les hautes pensées... »10.
12Raymond-Laurent, ancien normalien de la rue d’Ulm et Président du Conseil municipal de Paris affirme en 1937 dans Paris :
« Le Quartier latin demeure le royaume intellectuel par excellence... Par le rayonnement de l’Université de Paris, le Quartier latin a conservé comme au Moyen-âge un caractère international. Toutes les races se croisent au Boulevard Saint-Michel, car c’est du monde entier que l’on vient entendre les maîtres de la Sorbonne, suivre les cours des Facultés, les leçons des grands cliniciens dans les hôpitaux, travailler dans les laboratoires, consulter les collections des Bibliothèques et des Musées »11.
13L’extrême droite parisienne considère que le Quartier latin est non seulement un lieu de travail mais aussi une terre partisane. Elle contribue ainsi à donner du quartier une image politique. La rue y est son domaine. Pour Brasillach, normalien, amoureux de Paris12, membre d’« Action Française » et familier des promenades qui le conduisent du Quartier latin, dans le 13e, dans le 20e, dans les quartiers populaires jusqu’à Romainville, le Quartier latin est le quartier de « nos travaux »13 (alors que les Champs-Elysées, les théâtres sont « quartiers de nos plaisirs »), une sorte de port d’attache qu’il appelle une « patrie » dont il marque le territoire : « Mais notre patrie restait toujours le Quartier latin, notre jardin le Luxembourg, nos cafés les étroites salles du Boulevard Saint-Michel, et nous allions dans les petits cinémas à 3 F de l’avenue des Gobelins, revoir les vieux Buster Keaton, les vieux Harold Lloyd dont nous étions friands... »14.
14Dans ces différentes citations le périmètre du Quartier latin de l’entre-deux-guerres est le même que celui étudié par Jean-Claude Caron pour le Quartier latin du xixe siècle avec la place de la Sorbonne comme centre, au nord-est la place Maubert, au sud-est la place du Panthéon, au nord-ouest la place Saint-André-des-Arts et la place de l’Odéon et au sud-ouest le Luxembourg15. Le Quartier latin est une sorte de port d’attache à partir duquel rayonnent les élites intellectuelles.
15Léon Daudet rend hommage à son esprit : il est le repaire favori de la jeunesse d’« Action Française »,
« mélange d’atmosphère et de labeur, de compréhension, d’équité et aussi de jeunesse, d’entrain, d’amour... et de blague insouciante qui faisait et qui fait encore le charme du Quartier latin. [...] De mon temps, il était républicain et il fut antiboulangiste. Aujourd’hui il est royaliste et le quartier ne jure que par Maurras »16.
16Pourtant, comme le montre Jean-François Sirinelli, l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm semble plutôt pencher à gauche17.
17Le Quartier latin occupe une place importante dans la partie « Paris » des Beaux-Quartiers de Louis Aragon. Le « quartier des écoles »18 aussi nommé « le Quartier »|19, est celui où vit Edmond, le fils de Barbentane et le frère d’Armand. Pauvre, en comparaison des Beaux-Quartiers, il est un lieu de vie classique pour un étudiant en médecine qui partage normalement sa vie entre l’hôpital, l’étude, le Bouillon Chartier, et sa chambre d’hôtel20.
18Au Quartier latin, les librairies d’Adrienne Monnier au 7 rue de l’Odéon, « La Maison des Amis des Livres »21, et en face, celle de Sylvia Beach, au 12 rue de l’Odéon (la librairie Shakespeare and Co.) sont des foyers de rencontre pour certains réseaux parisiens auxquels appartiennent Gide, V. Larbaud, L.-P. Fargue ainsi que James Joyce et certains Américains... Hemingway évoque dans Paris est une fête la bibliothèque-librairie de Sylvia Beach, 12 rue de l’Odéon qui : « mettait [...], dans cette rue froide, balayée par le vent, une note de chaleur et de gaieté, avec son grand poêle, en hiver, ses tables et ses étagères garnies de livres, sa devanture réservée aux nouveautés et, aux murs, les photographies d’écrivains célèbres, morts ou vivants »22.
19On reprend dans ces librairies la tradition des cabinets de lecture, on y prête et on y vend des livres23. On y fait connaissance. Les étudiants de la Sorbonne les fréquentent. Ce milieu est particulièrement ouvert aux femmes intellectuelles, l’ouvrage Femmes de la rive gauche24 de Shari Benstock en est une illustration. Ces femmes vivent regroupées au Quartier latin, sur la rive gauche, dans un étroit périmètre autour de l’Odéon, du quartier Saint-Germain-des-Prés. Elles « créèrent, explique Shari Benstock, des mondes de femmes au sein des murs de la cité, et c’est dans l’intimité de leur jardin et de leur bibliothèque que fut créée et nourrie la culture moderne »25.
20Parmi elles Adrienne Monnier26, Sylvia Beach27, Gertrude Stein, Alice B. Toklas, Janet Flanner, Djuna Barnes, Jean Rhys ont joué un rôle d’animatrices, dont elles étaient conscientes. La librairie d’Adrienne Monnier au 7 rue de l’Odéon ouvrit en novembre 1915 : elle restera ouverte jusqu’à 1951 : « dans le noble quartier de l’étude [...] La rive gauche m’appelait et m’appelle encore, elle ne cesse de m’appeler et de me retenir. Je n’imagine pas que je puisse jamais la quitter, pas plus qu’un organe ne peut quitter la place qui lui est assignée dans le corps »28.
21Adrienne Monnier s’identifie à cette zone du Quartier latin et parle du moment où elle se fit « odéonienne »29, de la séduction qu’opérait sa librairie auprès des autres femmes... Adrienne Monnier parle du métier de libraire, véritable travail pour une femme, quand on comprend qu’il ne s’agit pas de faire salon30.
22Un peu marginale dans ce milieu, Jean Rhys a donné à un recueil de nouvelles écrit à cette époque, le titre générique de Rive gauche31. Pour elle, la rive gauche est un lieu pour les êtres en marge de la culture, les déracinés, les déshérités. Dans la préface au recueil l’écrivain américain, Ford Madox Fox notait avec une certaine tristesse :
« [...] Il me faut souligner la profonde connaissance que possède Jean Rhys de la vie sur la rive gauche - de la vie sur toutes les rives gauches du monde. Car quelque chose de profondément triste - et de très difficile à supporter ! s’attache à presque tous les sens du mot gauche. La main gauche est moins habile que la droite ; et chaque ville possède sa rive gauche. Londres autour de Bloomsbury ; New-York autour de Greenwich Village, Vienne également... »
23La rive gauche est une partie privilégiée de Paris pour les intellectuels américains32.
24Un peu plus loin, Saint-Germain-des-Prés est un lieu de rencontre pour les intellectuels en vogue, les milieux artistiques et ceux de la politique.
25Moins touristique que Montparnasse, la Place Saint-Germain-des-Prés est un lieu de rendez-vous des intellectuels.
« La place Saint-Germain [écrit Léon-Paul Fargue], qui ne figure pas dans le laïus adressé aux Yougoslaves et aux Écossais par le speaker du car de « Paris la nuit », est pourtant un des endroits de la capitale où l’on se sent le plus « à la page », le plus près de l’actualité vraie, des hommes qui connaissent les dessous du pays, du monde et de l’Art »33.
26Saint-Germain-des-Prés est le quartier de l’église, à proximité des Universités, des maisons d’édition et des cafés littéraires. Il s’en dégage une atmosphère favorable à la culture et aux gens cultivés.
27Le quartier Saint-Germain rassemble aux côtés des écrivains et des peintres, des hommes du monde politique : « l’art et la politique s’y donnent la main »34, « trois cafés [de Saint-Germain-des-Prés] sont aussi célèbres que des institutions d’État : les Deux-Magots, le Café de Flore et la Brasserie Lipp (tenue par un Auvergnat) »35.
28De réputation mondiale, ils attirent une riche clientèle américaine ou allemande, assurée de trouver là les plus grands intellectuels parisiens. Chacun de ces cafés a un caractère spécifique.
29Les Deux Magots36 sont fréquentés par les surréalistes, Jean Giraudoux, Derain, Jean Cassou, Léo Larguier... Le Café de Flore est un des « berceaux de l’Action Française et des Soirées de Paris d’Apollinaire »37. Fargue, lui, a pris l’habitude d’aller chez Lipp « comme à un club ». Pourtant, dit-il, « il n’en est pas » (il se sent plus proche de son 10e natal), mais il peut y rencontrer des personnalités aussi variées que d’Espezel, Rivet, Massis, Thibaud, Monzie, Bérard, Derain, Gide, Léon Blum... Les milieux de la littérature, du théâtre et de la politique y sont fortement représentés :
« [...] Lipp devait beaucoup à la Nouvelle Revue Française, à Grasset, à Rieder, au Divan, à la Revue Universelle, à l’ancienne Revue Critique, au Théâtre du Vieux-Colombier, à Voilà et à Marianne, à la Conférence Molé, au Sénat, à l’Association des Lauréats de la Fondation Blumenthal, au Front Populaire, aux libraires, aux bouquinistes et aux hôteliers intellectuels de ce quartier unique... »38.
30Montparnasse a joué un rôle suffisamment important dans la vie intellectuelle, et par son renom international pour que ces années aient pu être baptisées les « années Montparnasse ». L’accord existe généralement sur la date de 1910 à laquelle s’est opéré un transfert des intellectuels et artistes de Montmartre vers Montparnasse. Le mouvement a été initié par la migration des peintres - et de Picasso, en particulier. Les artistes ont été suivis par les milieux bohème, avant-gardistes dans tous les domaines de la pensée et de l’art, et enfin par les révolutionnaires exilés. Montparnasse a très vite gagné une renommée internationale qui a provoqué la cohabitation de deux milieux celui des vrais intellectuels et artistes, et celui de ceux qui recherchent leur compagnie. Léon-Paul Fargue synthétise très bien cette évolution dans une description des différents milieux qui font Montparnasse.
« C’est... en 1910 que les peintres de Montmartre, après avoir décidé une mobilisation générale des palettes, empli les bidons, graissé les armes, descendirent sur la rive gauche et s’installèrent autour du café du Dôme... Montmartre ne devait pas tarder à mourir en accouchant du cubisme... Et quand Picasso arriva en 1911, précédé du Douanier, suivi de Vlaminck, de Pascin ou de Measlas Golberg, Montparnasse devint aussitôt une grande gare internationale, une Mecque, une Rome, un Nombril du Monde, un de ces ports pour toutes embarcations, une Cité-Paradis, un Enfer, un point névralgique et une île flottante... Mais il était écrit dans la destinée de cette république de la fantaisie que Montparnasse devait être envahi deux fois. Lorsque le monde eut appris que le meilleur de l’Art, que l’élite de la poésie obscure, géométrique, nuancée, farcie, hermaphrodite et même banale, que l’état-major de la Bohème, de la noce, du pré-gangstérisme, de l’avant-jazz, du terrorisme russe, du Marxisme international, de la Chanson Populaire, de la science amusante, et du laisser-aller se trouvait sur une bande de terre allant de la gare Montparnasse au carrefour Raspail-Montparnasse, le monde envoya ses carènes, ses yachts et ses autos-chenilles à l’assaut de cette forteresse parisienne où les insurgés, les combattants, les indigènes et les explorateurs communiaient dans la même joie »39.
31La « révolution artistique » et la « révolution sociale » ont contribué à peupler Montparnasse. Fargue rapporte à ce sujet une anecdote bien significative : « Un jeune gérant du quartier dit un jour à Sem, qui se trouvait là à son corps défendant :
32- si nous n’étions pas des ingrats, nous devrions élever ici, entre autobus et kiosques, des statues de Lénine, de Mussolini, d’Hitler et autres. Ce sont ces messieurs qui fournissent ou renouvellent notre clientèle »40.
33Nous devons ici nous interroger sur les raisons qui motivent ce déplacement des élites artistiques vers Montmartre au début du siècle, vers Montparnasse entre 1910 et 1929, puis vers Saint-Germain-des-Prés après la deuxième guerre mondiale. Chaque époque a sa dominante : Montmartre évoque la parole libre des cabarets, les peintres et le crime ; Montparnasse la force de l’art international ; Saint-Germain-des-Prés l’engagement politique et la bohème. Il semble qu’à chaque déplacement une élite investisse un lieu qui d’une certaine manière symbolise son époque, le lieu se démocratise, devient « à la mode » ; l’élite se déplace alors vers un autre lieu.
34Pour cette raison Léon-Paul Fargue oppose « deux Montparnasse » :
« Il y a deux Montparnasse. Celui qui se livre sans discrétion, sans retenue, celui de la rue. Celui du Carrefour Montparnasse-Raspail, où s’étale tout le déchet - et parfois l’élite - de l’Europe intellectuelle et artistique... Tel poète obscur, tel peintre qui veut réussir à Bucarest ou à Séville, doit nécessairement, dans l’état actuel du Vieux Continent, avoir fait un peu de service militaire à la Rotonde ou à la Coupole, deux académies de trottoir où s’enseigne la vie de bohème, le mépris du bourgeois, l’humour et la soûlographie. La crise a porté un assez sérieux coup à Montparnasse »41.
35Montparnasse42 fonctionne comme un territoire un peu autonome dans Paris, très marqué par son appartenance à la Rive Gauche et sa proximité du Quartier latin43. Le champ lexical utilisé pour le désigner renvoie à une idée de territoire séparé : « territoire un peu à part » dans les Guides Bleus, Montparnasse a une « capitale » selon Léon-Paul Fargue : il s’agit du café de la Rotonde. La Rotonde et la Coupole sont présentées par Léon-Paul Fargue comme des « Académies de trottoir ». Maurice Sachs dit que « [Montparnasse] est une courte province de Paris qui amuse comme un voyage à l’étranger »44. Kiki est élue « reine » de Montparnasse. Henri Broca lance le 15 février 1929 un journal le Paris-Montparnasse. Un tel esprit de séparation d’un territoire auquel on s’identifie était déjà présent chez les artistes de Montmartre45.
36Les intellectuels et artistes qui vivent à Montparnasse se sentent « à l’endroit de la planète où il faut être ». Ainsi, le catalogue d’une exposition de peinture organisée par le Café du Parnasse, 103 boulevard du Montparnasse, porte au dos un globe terrestre « Paris Montparnasse », avec l’inscription : « Le carrefour du Montparnasse est le centre du monde »46.
37Les écrivains et les artistes, peintres, sculpteurs... y entretiennent des échanges réguliers. Plusieurs groupes fréquentent Montparnasse : les intellectuels américains de la « génération perdue » (selon l’expression attribuée à Gertrude Stein), le groupe surréaliste47, les peintres de « l’école de Paris », Picasso et ses amis, Foujita, Modigliani et bien d’autres.
38Les ateliers des artistes sont concentrés dans un étroit périmètre48. La communauté des peintres de La Ruche vit non loin de Montparnasse, au passage Dantzig. Les peintres, souvent peu argentés ont une certaine vie communautaire ; ils mangent ensemble dans des cantines comme la Cantine Vassilieff.
39Les cafés jouent ici aussi un rôle très important dans la vie quotidienne de tous. Ils sont internationalement connus : La Closerie des Lilas est parmi les plus anciens. Dans les années d’après-guerre, les plus fréquentés sont la Rotonde, le Dôme, le Select, la Coupole49 qui ouvre à partir de 1927. Chaque café a une population particulière et une image qui lui est propre aux yeux des intellectuels et artistes comme aux yeux de l’ensemble de la population. La Closerie des Lilas a une image très intellectuelle. Le Dôme50 est fréquenté par les vrais artistes, les révolutionnaires, la Rotonde est le plus touristique des cafés. Cependant la plupart des habitants de Montparnasse circulent d’un café à un autre.
40Hemingway51 considère que la Closerie des Lilas est un des « meilleurs cafés de Paris »52. Il diffère des cafés du carrefour Montparnasse - Raspail que beaucoup de gens « fréquentent pour être vus53. » Moins couru par les poètes qu’avant la Grande Guerre, il accueille toutefois Biaise Cendrars, des Américains comme Ford Madox Ford, Hemingway lui-même et tout un public cultivé, décoré des palmes académiques, invalides de la dernière guerre... Cette population plaît à Hemingway, plus que celle d’Américains écrivains amateurs d’alcool comme Ford. La Closerie des Lilas, pour Hemingway, s’associe à l’histoire incarnée par la statue toute proche du maréchal Ney54.
41Hemingway oppose le Dôme et la Rotonde. Le Dôme est pour lui peuplé de gens authentiques, de vrais travailleurs, peintres, modèles, écrivains, alors que la Rotonde a un côté touristique et surfait.
« Je passai [dit-il] devant la collection d’habitués de la Rotonde, avec un grand mépris pour le vice et l’instinct grégaire, et traversai le boulevard en direction du Dôme. Le Dôme était plein, lui aussi, mais les consommateurs étaient des gens qui avaient passé la journée à travailler.
Il y avait des modèles qui avaient posé, et des peintres qui avaient travaillé jusqu’à ce que la lumière vînt à leur manquer ; il y avait des écrivains qui avaient achevé leur journée de travail, pour le meilleur et pour le pire, et il y avait aussi des buveurs et des phénomènes dont quelques-uns m’étaient connus et dont certains étaient de simples figurants »55.
42En général Hemingway parle depuis la rive gauche. On a d’ailleurs pu opposer à cet égard, quelquefois de façon manichéenne, le Paris de Hemingway, à celui de Fitzgerald. Le soleil se lève aussi (publié en 1926) est un roman capital pour la connaissance des Américains de Paris et de leur esprit56. Son narrateur, Jack Barnes s’identifie à Hemingway. Quand Jack Barnes fixe rendez-vous à Brett, et qu’il dit « sur l’autre rive alors », il s’agit forcément de la rive droite.
43Hemingway souligne aussi l’identification que la population parisienne établit entre Montparnasse et le café de la Rotonde qui semble le symboliser : « Quel que soit le café de Montparnasse où vous demandiez à un chauffeur de la rive droite de vous conduire, il vous conduira toujours à la Rotonde. Dans dix ans, ce sera probablement au Dôme »57.
44Il préfère, dans l’ensemble ne pas se mêler aux endroits trop fréquentés par la masse des Américains de Paris et recherche des lieux plus authentiques comme les bords de Seine ou la place de la Contrescarpe. Cette opposition entre les personnages du touriste américain et de l’artiste est fréquente dans la littérature des Américains expatriés de la génération 1920-1930. Jean Méral en relève plusieurs exemples58.
45Dans Le soleil se lève aussi, Jack Barnes va dîner dans un restaurant « bondé d’américains » : « Quelqu’un l’avait mentionné dans la liste de l’American Women Club comme un restaurant curieux de Paris, ignoré jusqu’à ce jour des Américains. Il nous fallut, par suite, attendre 45 minutes avant d’avoir une table... »59.
46Vue par Fitzgerald, la rive gauche, Montparnasse semblent bien « provinciaux » pour un Américain habitué jusqu’à 1929 au moins, au luxe des Grands hôtels comme le Ritz, place Vendôme.
47La nouvelle de Fitzgerald, Babylone Revisited (1931)60 confirme et nuance l’opposition rive droite/rive gauche. La rive droite est du côté du Ritz place Vendôme, du « vrai » Paris, Paris by night, du faste de Paris avant 1929, de Montmartre et de ses plaisirs, mais aussi de l’Opéra, de la Concorde. Charlie Wales quand il revient à Paris en 1931 (il a, en effet, quitté Paris après la crise de 1929) effectue une sorte de pèlerinage dans le Paris des Américains riches d’avant la crise. Il va au Ritz. « [En taxi, il traverse la Seine] si conforme aux règles de la logique » ; « [...] et Charlie reconnut soudain l’atmosphère provinciale si particulière de la rive gauche... ».
48et il ajoute : « [...] quand son taxi revint sur la rive gauche et qu’à nouveau Charlie se retrouva en province [...] »61.
49L’opposition rive droite/rive gauche renvoie à une opposition « logique » Paris/province. Charlie, revenant après la crise de 1929, se montre nostalgique d’un Paris qu’il n’a pourtant pas connu : celui de la rive gauche, des « dîners de cinq plats pour 4 F 50, dix-huit cents vin compris »62 et il comprend après avoir rendu visite à Montmartre avec « tout cet attirail du vice, de la débauche » ; « ce que signifiait le verbe « dissipation » : se dissiper, s’évanouir dans l’air, transformer quelque chose de réel en néant complet »63.
50Fitzgerald exprime une condamnation morale de cette « dissipation ». Il se demande s’il n’y a pas quelque chose de plus authentique dans ces joies du Paris-rive gauche et une certaine vanité dans les plaisirs de « Babylone » auquel le Paris Rive droite d’avant la crise s’identifie...
51Montparnasse est une zone très internationale, « cosmopolite », dit-on. Ce fait est l’objet d’opinions contradictoires autant de la part de ceux qui fréquentent Montparnasse que de l’ensemble de la population. Simenon, par exemple attribue une proportion de 80 % d’étrangers parmi les consommateurs « des quatre grands cafés qui s’alignent à proximité du Boulevard Raspail »64.
52Simone de Beauvoir apprécie la diversité des personnages et la richesse des rencontres que l’on peut faire à Montparnasse. Elle et Sartre passaient une assez grande partie de leur temps dans les cafés de Montparnasse où il leur arrivait d’écrire, de rencontrer des amis et où ils prenaient leurs repas. S. de Beauvoir raconte dans La force de l’âge, qui sont ses mémoires de la période 1929-1939 :
« les réunions qui se tenaient le soir, dans le café-tabac qui fait l’angle du boulevard Raspail et de l’avenue Edgar Quinet : j’y allais souvent, il y avait le peintre Robert Delaunay et sa femme Sonia qui faisait du dessin de tissu, Cossio qui ne peignait que de petits bateaux, le musicien d’avant-garde Varèse, le poète chilien Vincent Huidobro ; parfois Biaise Cendrars faisait une apparition : dès qu’il ouvrait la bouche, tout le monde s’exclamait. Les soirées se passaient à vitupérer contre la bêtise humaine, contre la pourriture de la société, contre l’art et la littérature en vogue »65.
53Montparnasse est un forum qui réunit des corps de métiers différents, des nationalités différentes. On remarquera le sentiment d’appartenir à une élite qui s’exprime chez Simone de Beauvoir.
54Henry Miller séjourne à Paris entre 1930 et 193966. Dans Tropique du Cancer67, il dit sa lassitude du Paris touristique pour ensuite s’exclamer sur un ton lyrique : « Paris ! C’est-à-dire le café Select, le Dôme, le marché aux Puces, 1 American Express. Paris ! »68.
55Comme dans d’autres passages de son œuvre, il semble obnubilé par la présence des Juifs à Montparnasse :
« Presque tout Montparnasse est juif ou semi-juif ce qui est pire... C’est une avalanche de Juifs. J’écris ces lignes pour mon ami Carl dont le père est juif. Il est important de comprendre tout ça.
Entre tous, la plus charmante de la race est Tania. Et pour l’amour d’elle, je me ferais juif aussi. Pourquoi pas ? Je parle déjà comme un Juif. Et je suis aussi laid qu’un Juif. En outre, qui donc déteste les Juifs plus qu’un Juif ? »69.
56Son ami Van Norden (juif lui-même) parle : « des petits youpins qui portent bouc et redingote, des petits merdeux de Juifs qui tournent autour du Dôme, merde alors, ils me débectent ! On dirait qu’ils parlent comme des manuels ! »70.
57Montparnasse a donc été un lieu de rencontre de créateurs de différents domaines artistiques extraordinairement attractif et répulsif tout à la fois. C’est un lieu de travail, de réflexion, de rencontres et un lieu de plaisir où l’on circule entre des personnages, des ateliers et des cafés.
58Les intellectuels de la rive droite et des beaux quartiers ont une vie relativement séparée de celle de la rive gauche. Ce sont des intellectuels plus riches qui vivent entre le 7e arrondissement, le 8e, le 16e, Auteuil, Passy. Nous pouvons donner quelques exemples caractéristiques : Cocteau, après une enfance au Boulevard des Invalides, vit rue d’Anjou dans le 8e arrondissement, puis après 1928 chez Coco Chanel dans une chambre qu’elle lui prête rue du Faubourg Saint-Honoré et où il peut librement entretenir des relations homosexuelles. Maurice Sachs71, après avoir habité dans sa jeunesse au 58 rue de la Faisanderie dans le 16ème arrondissement, eut plusieurs adresses, souvent dans des hôtels. Mauriac habite rue de la Pompe, puis rue Vaneau. Morand partage son existence entre Londres, Venise et Paris72. Le comte Etienne de Beaumont demeure rue Duroc ; les Jouvenel avenue Suchet...73 Léon-Paul Fargue qui partage quelquefois la vie des intellectuels de la rive droite vit dans un hôtel, Le Palace, au coin du boulevard Saint-Germain et de la rue du Four74. Il existe entre Saint-Germain-des-Prés et la rive droite des liens privilégiés qui remontent à ceux qu’entretenait la noblesse du Faubourg Saint-Germain avec la rive droite.
59Les appartements jouent ici un grand rôle. Les réceptions dans les salons mondains sont très fréquentes. On y dîne, on y discute, on y lit des textes dans des soirées où sont réunis certains survivants d’une grande noblesse-mécène, de grands littérateurs comme Barrès, Morand, Valéry, Proust, Cocteau, Mauriac... et de jeunes artistes qui aspirent à la réussite. Les soirées réunissent littérateurs, musiciens et politiciens.
60Cependant les contemporains sont conscients de vivre la fin d’une époque et la disparition de ces grands salons. Maurice Sachs le déplore :
« De même qu’il n’y a presque plus de grandes demeures, il n’y a pour ainsi dire plus de maisons-clefs, de ces maisons où il suffisait à un étranger, à un provincial, à un jeune artiste d’être vu pour que toutes les portes lui fussent ouvertes... » et il précise « Les dernières grandes demeures comme celles de la vicomtesse de Noailles, de la duchesse de Camastra, de la Comtesse Emmanuel de la Rochefoucauld [...], de lady Mendl, de la princesse de la Tour d’Auvergne [...], de la Comtesse Grefrulhe, de la comtesse Etienne de Beaumont, de la princesse Edmond de Polignac, de l’Hon.(sic) Mrs Reginald Fellowes, ne seront peut-être pas remplacées. Ce luxe immense n’attire plus »75.
61De ce monde on peut pratiquement délimiter les contours avec précision. On y « appartient », on décide « d’en être ». Ceci nous renvoie à l’étude du Tout-Paris, que nous aborderons plus loin.
62Ici, comme sur la rive gauche, certains cafés sont plus prisés, comme le Café de la Paix, proche de l’Opéra ou les cafés des Champs-Elysées, le Fouquet’s en particulier où les hommes76 s’échangent des tuyaux sur les courses ou la Bourse. Les intellectuels mondains répartissent leurs rendez-vous entre les grands cafés du Boulevard Saint-Germain et ceux des Champs-Elysées. François Mauriac dans les années 20 peut se rendre aux Deux-Magots, comme au Fouquet’s. Il apprécie la poésie des bars des Champs-Elysées :
« [...] dès que je me fus installé rue Vaneau, je ne fréquentai plus que les « bars à la mode », et surtout celui dont j’ai gardé un souvenir enchanté, dans les caves du Palace des Champs-Elysées... Les divans y étaient profonds. Au bar, s’abreuvaient des cocottes empanachées comme on n’en voit plus, avec leurs protubérances offertes et balancées, et cet œil commercial qui, par bonheur pour ma vertu, me glaçait le sang. D’autres, d’aspect plus bourgeois, fréquentaient le Fouquet’s, très petit bar, alors... comme j’aimais ses banquettes de cuir fatiguées et derrière la grande glace, le glissement des visages et des voitures sur les Champs-Elysées [...] »77.
63Mais l’endroit vraiment le plus important pour la sociabilité du Tout-Paris est la fameuse boîte dite du Bœuf sur le toit78 où l’on se rend entre 10 heures du soir et 1 heure du matin. Pour Maurice Sachs, elle caractérise même une époque79, celle de la prospérité retrouvée. Le Bœuf sur le toit eut plusieurs adresses dans le temps. Son ancêtre est le Gaya, rue Duphot. Il est alors fréquenté par Cocteau, Radiguet80, l’avant-garde esthétique. En 1921, il déménage près de chez Cocteau, 28 rue Boissy d’Anglas. A ce moment c’est, dit Léon-Paul Fargue, une sorte d’« académie du snobisme » où l’on voit « le Bottin Mondain, le Sport, l’Annuaire des Artistes, la Banque, le Chantage qui se font risette »81 ... Rue de Penthièvre en 1925. Tout le monde va au Bœuf à cette époque : Sacha Guitry, Zadkine, Kessel, des ministres, des escrocs... Les années 30 connaissent encore un changement d’adresse (à l’hôtel Georges V en 1934) et marquent un changement de caractère, une démocratisation, l’apparition d’une nouvelle clientèle de gigolos et d’employés de commerce, de snobs qui correspond assez bien à l’évolution de l’ensemble du secteur des Champs-Elysées82.
64L’emploi du temps de François Mauriac relevé dans son Agenda83 en janvier 1925 nous semble caractéristique de la vie de travail, de relations et de plaisir que menait un intellectuel bourgeois, entre la rive droite, les salons mondains, les cafés littéraires autour d’un réseau de personnes assez clairement circonscrit :
« Emploi du temps de François Mauriac durant le mois de Janvier 1925 :
1er dîner Mühfeld avec Capiello
2 souper Blanche84
3 déjeuner Boni de Castellane
4 musique Murat ; dîner D. Guérin ; Athénée
5 5 heures : Malraux
6 souper Germain
7 musique Polignac
8 (Jeune homme85)
9 interview pour Province ; conclusion Jeune homme
10 6 heures : Lady Colfax à l’hôtel France et Choiseul
11 6 heures : Marthe de Fels
12 aux « Deux-Magots », Malraux
13 Martin-Chauffier ; 5 heures : Lady Colfax
14 Valéry 11h15 ; princesse Bibesco déjeuner
15 goûter Fouquet’s ; dîner Bourdet
16 déjeuner M. de Fels
17 dîner La Rochefoucauld
18 Mme Henri Lerolle
19 princesse Bibesco
20 Beaumont. 9 heures : Massis
21 Soudzo
22 musique Boni de Castellane
23 déjeuner Martin du Gard ; dîner Bourdet
24 Fouquet’s ; dîner Mühfeld
25 midi Jaloux Mme de Trévise
26 Bibesco ; dîner J. Truelle
27 déjeuner Castellane, La Rochefoucauld
28 dîner Bourdet
29 déjeuner Blanche
30 dîner Gay-Lussac
31 Le Trouhadec saisi par la débauche
65En définitive entre les intellectuels de la rive droite et de la rive gauche, le Quartier latin et Saint-Germain-des-Prés apparaissent comme des points d’intersection. La vie menée par les intellectuels des deux secteurs présente des caractéristiques communes : le travail intellectuel, les réseaux d’amis, les cafés, la rencontre entre les arts mais il existe une grande différence entre ceux qui pénètrent dans les milieux de la noblesse et du Tout-Paris et les autres, entre les intellectuels argentés et ceux plus proches d’une certaine Bohème.
2. 2. Enfance, Pays, Citoyenneté
66Les intellectuels développent à l’égard de Paris un sentiment d’appartenance qui s’exprime de différentes façons selon les sensibilités personnelles, politiques, nationales. Ils peuvent parler comme le fait Daniel Halévy des « pays parisiens » ; ils expriment quelquefois leur attachement à Paris comme lieu de leur « naissance » et ce sentiment rejoint le sentiment du terroir ; ils désignent Paris comme leur « cité » au sens grec du terme.
67Le mot « pays » est fréquemment utilisé dans le sens que lui a donné Daniel Halévy qui est un sens proche du mot « patrie ». Il a une dimension affective, évoque le rapport du paysan et de sa terre86, il s’adresse à des « amis provinciaux » qui pensent - contrairement à lui -que « [...] Nous [i.e. les parisiens] n’avons pas [...] ce qu’ils appellent un pays, un véritable pays natal ; votre ville, murmurent-ils est à tous »87.
68L’Ile de France se compose de plusieurs « pays ». A Paris même il est possible de fréquenter des « pays familiers », comme de se « dépayser » :
« Une heure sur les impériales des lents tramways de ce temps-là il n’en fallait pas plus : on débarque, je foulais le sol d’un pays aussi différent de mes pays familiers que si j’avais franchi mille lieues ou reculé vers le passé de quatre à cinq siècles. Où étais-je ? Dans les faubourgs, la banlieue populaire, à Montreuil-sous-bois, à la Villette ou à Belleville »88.
69En opposition, la ceinture rouge de Paris ne présente pas, malgré son attachement au « pays ouvrier » la même cohésion aux yeux de Daniel Halévy.
70Léon-Paul Fargue parle du 10e arrondissement de Paris et du Quartier de la Chapelle dans une acceptation très voisine, déjà nostalgique, très affective.
71Le Piéton de Paris de Fargue se présente comme un « plan de Paris » pour amoureux de Paris ; il débute par un chapitre intitulé « Mon quartier » ; celui-ci s’étend de la gare du Nord et de la gare de l’Est à la Chapelle. Fargue y est, dit-il « presque né »89. Contrairement à ce que peuvent penser « les Parisiens de Saint-Philippe-du-Roule ou de la rue de Varenne », « La Chapelle n’est ni un quartier de crimes, ni un quartier de punaises »90. C’est, « un pays plutôt qu’un arrondissement, formé par des canaux, des usines, les Buttes-Chaumont, le port de la Villette, cher aux vieux aquarellistes »91.
72Paris vécu92 de Léon Daudet commence par le récit de ses souvenirs, et l’évocation de son « village » d’enfance, le Marais. « Je suis né au Marais et j’y ai passé mon enfance heureuse, lumineuse, sans un pli, où je n’aperçois aucune mauvaise pensée, ni même un trouble, aucune inquiétude, aucune contrainte, si ce n’est quand mon père, jeune marié, et qui avait gardé des habitudes de café, rentrait en retard pour le dîner »93.
73Cependant, Daudet, quoiqu’il affirme qu’il a cessé d’être antisémite éprouve à l’égard du quartier qu’il qualifie de « ghetto à la Rembrandt » un sentiment ambivalent :
« Je m’arrête devant les couloirs étroits, où sont accumulés des étoffes huileuses, des cuirs nauséabonds, des babouches d’un rouge ou d’un jaune vif, des paquets de mains-éponges de Beyrouth ou de Jérusalem, tout un bric-à-brac oriental, des affiches en langue hébraïque annonçant des spectacles, des conférences sociales et socialistes, des séances de prestidigitation »94.
74Le ghetto juif du Marais est assimilé par Léon Daudet au socialisme haï.
75Il nous semble intéressant de retrouver une façon d’habiter le quartier et la ville aussi intime chez l’historienne juive Annie Kriegel qui, dans ses Mémoires, Ce que j’ai cru comprendre, décrit ce même quartier du Marais pendant les années 1930, comme un lieu d’« enracinement familial » dont elle maîtrise les repères : « enracinement familial dans cette partie de Paris qui correspond aux IIIe, IVe, Xe, XIe arrondissements et qui avait été le premier lieu de concentration des Juifs alsaciens-lorrains à leur arrivée dans la capitale au cours des années 40-60 du siècle dernier »95.
76Elle vécut avec sa famille dans un H.B.M. (Habitation à Bon Marché) rue de Picardie (près du Carreau du Temple). Son « territoire enfantin » était borné par la Place de la Bastille à un bout, la rue des Vinaigriers (dans le 10e arrondissement) à l’autre et :
« Au cœur de ce territoire, l’artère maîtresse pour moi, c’était l’étroite rue de Sévigné. J’y ai appris à observer la division spatiale du savoir, à repérer les lignes d’une cartographie sociale. Le trottoir de gauche [...], était le trottoir de l’école communale [...]. Tandis que le trottoir de droite [...] était celui du lycée Victor Hugo. [...] D’un trottoir à l’autre les traversées étaient rares »96.
77Ce sentiment d’appartenance permet par la suite un élargissement dans une communauté parisienne et française. Nous en avons relevé un exemple dans les récits de Mouloudji. Celui-ci, de père Kabyle et de mère bretonne, vécut une enfance très pauvre dans le quartier La Chapelle. Il rencontre très jeune des hommes de théâtre comme Charles Dullin. Mouloudji déclare très nettement qu’« il se sentait de Paris », qu’il s’associait au Français, langue qu’il aimait, à la culture française et à une possible ascension sociale :
« Dans mon enfance, parmi les gosses du quartier, il y en avait des tas aux noms grinçants. On les appelait youpins, polaques, youdes. Les gens disaient qu’ils venaient de Dieu sait où...
Fils de Kabyle, et de Bretonne, quelquefois j’avais été traité de « petit bicot » ; je m’en fichais. J’étais du pays qui me donnait à manger, m’apprenait sa langue et m’offrait son savoir. Je me sentais de Paris »97.
78Une des particularités de Paris est l’amour que ces élites intellectuelles lui portent et le sentiment d’appartenance à la « Cité » parisienne qu’ils expriment. Sartre l’écrit de façon explicite, dans les Carnets de la Drôle de guerre, écrits entre septembre 1939 et mars 1940 : « [...] Ma permission a consommé la rupture avec mon passé. J’y gagne du recul et je pourrai dire - demain peut-être - ce que Paris fut pour moi. Je me rends compte que si je ne fus pas patriote, du moins je fus communard et régionaliste. Paris, c’était mon village, comme dit la chanson. Citoyen de Paris, j’eusse été chauvin »98.
79Il nous semble frappant que des sentiments voisins puissent s’exprimer chez l’auteur de La Nausée et chez l’homme de la rue.
80Walter Benjamin cite parmi les « Déclarations d’amour des poètes et des artistes à la capitale du monde » la Princesse Bibesco, princesse roumaine, auteur de Catherine-Paris, roman autobiographique écrit en 1927 dont un des chapitres porte pour titre « Mais on n’épouse pas une ville »99.
81Cependant nous ne devons pas perdre de vue que pour des raisons variées, certains auteurs peuvent au contraire transformer la terre parisienne en terre étrangère. Fitzgerald, par exemple parle des transformations de l’hôtel du Ritz, place Vendôme, avant et après la crise économique de 1929. Celui-ci était, dit-il, avant 1929 un « fief américain »100. « Ce n’était plus un fief américain, [Charlie Wales] ne s’y sentait plus réellement chez lui. La pièce était redevenue territoire français »101.
2. 3. Promenades et lieux de plaisir
82Les intellectuels qui vivent à Paris célèbrent volontiers les attraits culturels, artistiques et les nombreux plaisirs que recèle Paris. Tous profitent pleinement des richesses culturelles de la capitale et les mêlent dans leurs œuvres et dans leurs écrits aux plaisirs parisiens. Il nous faut d’autre part remarquer que sur ce terrain, les intellectuels aiment se mêler au peuple, que ces plaisirs ne se situent pas dans un monde clos, mais qu’au contraire ils semblent être l’occasion de quitter un milieu parfois étroit.
83Dans les Mémoires d’écrivains, Paris apparaît comme capitale des Lettres, proche des plus grands artistes, bénéficiant de leur proximité. Jean Cocteau, par exemple, souligne la « richesse de spectacles majeurs et mineurs » que l’on peut voir à Paris, et il vante [la] « prodigalité folle d’une ville de génie [...] »102. Il entretient autour de lui une « bande », des « disciples » qui répandent dans Paris ses jugements sur les spectacles103.
84Le Tout-Paris est très assidu aux spectacles de théâtres et de ballets. La « saison de Paris » dure jusqu’à l’été ; les intellectuels migrent ensuite vers le midi de la France ; dans la chronique du New-Yorker, Janet Flanner répertorie les spectacles les plus fréquentés par le Paris mondain. Elle utilise comme source le journal de théâtre Comœdia qui couvrait tous les aspects du spectacle de la scène parisienne, de la Comédie Française aux Folies-Bergères. Les spectacles occupent une part importante de l’emploi du temps des écrivains.
85François et Jeanne Mauriac se rendent au théâtre trois à quatre fois par semaine. Mauriac écrit même à partir de 1921 une chronique de l’actualité théâtrale pour la Revue hebdomadaire. On est frappé par l’extrême variété des spectacles auxquels il assiste, des plus classiques aux plus novateurs104.
86Le public mondain fréquente les spectacles de ballets mais Janet Flanner note sa sévérité devant ce qui n’est plus véritablement de « l’Art Moderne » : les ballets sont maintenant légèrement passés de mode :
« Les Ballets de Diaghilev ont présenté leurs trois nouveautés annuelles et certains vieux morceaux de gloire au Théâtre Sarah-Bernhardt. Parmi les intellectuels qui acclamèrent à juste titre la troupe deux décennies plus tôt - durant les émeutes survenues lors de la création d’œuvres iconoclastes telles que le Sacre du Printemps - on a noté récemment, et peut-être à juste titre, une tendance au ricanement à ses dépens. Le ballet n’est plus ce qu’il était mais les ricaneurs non plus [...] »105.
87Simone de Beauvoir et Sartre, très réceptifs à l’ensemble de la création littéraire et artistique106 sont plus sélectifs dans leurs goûts. Simone de Beauvoir affirme que la « médiocrité » les rebutait, et qu’« ils n’ [...] allaient pas souvent [au théâtre] »107. Ils allèrent cependant voir en octobre 1930 l’Opéra de quat’sous de Brecht, au théâtre Montparnasse, spectacle qui les « charma ». Ils s’intéressèrent particulièrement au théâtre de Dullin, l’Atelier et suivirent de près les répétitions de Richard III108.
88Le cinéma se répand et crée une certaine division entre les anciens et les modernes. Sartre place le cinéma « aussi haut que la littérature », et cette prédilection contribuait à le classer parmi les modernes alors que dans l’ensemble ses goûts esthétiques étaient assez classiques109. Simone de Beauvoir et lui se rendent au Studio 28, et y découvrent avec bonheur Le chien andalou de Bunuel.
89Maurice Sachs souligne l’importance grandissante110 du cinéma en même temps que les modalités de son extension111. Robert Brasillach raconte dans ses mémoires ce qu’a représenté pour lui la « découverte » du cinéma. Il distingue deux phases, l’une hollywoodienne112, l’autre marquée par les films de René Clair, et en particulier Sous les toits de Paris113 en 1930 qui a transformé le regard porté sur la ville, les promenades qu’il faisait dans Paris. Certaines salles de cinéma sont consacrées, ainsi : « Les Ursulines, le Ciné-Latin, le Vieux-Colombier, tels ont été les temples du Cinéma à cette époque »114.
90Les intellectuels côtoient le peuple dans des petites « salles à vingt sous »115.
91Les spectacles de music-hall et de cirque emportent l’adhésion générale. Dans tous les milieux intellectuels on est séduits par Joséphine Baker, Mistinguett, la Revue Nègre.
92Malgré sa réprobation, Léon Daudet parle avec une certaine admiration des Folies-Bergères116 telles qu’il les a connues dans sa jeunesse ; il les qualifie de « monument du plaisir parisien » qu’il a pu fréquenter quand il était étudiant, mais dont l’évolution libertine lui déplaît. Il nous fournit ici une analyse de l’atmosphère de plaisir caractéristique des années folles et de l’après-guerre :
« Quant aux Folies-Bergères, c’est un monument du plaisir parisien, une institution galante et cocasse, qu’on a essayé d’imiter, de copier, qui n’a jamais été égalée. Il n’y faut pas conduire les jeunes-filles, ni même les très jeunes-gens. Les ballets y ont passé des costumes les plus luxueux à la nudité la plus complète, cela à la suite de la guerre, où l’esprit de vie, accablé par des images de souffrances et de mort, a cherché sa revanche et consolation du côté de la beauté féminine »117.
93La vie des intellectuels parisiens de tous les milieux, de toutes les tendances politiques revêt une apparence de gaieté : Darius Milhaud, par exemple raconte les samedis soirs du « Groupe des Six » passés en compagnie de Paul Morand, Lucien Daudet, Radiguet, Marie Laurencin et d’autres. Après un dîner au restaurant, ils profitaient des joies de la Foire de Montmartre, assistaient aux spectacles des Fratellini au cirque Medrano, boulevard Rochechouart dignes, dit Milhaud de la Commedia dell’arte, puis finissaient la soirée chez Milhaud.
94Les intellectuels aiment, comme l’ensemble de leurs contemporains, la danse. Ils adoptent un certain nombre de plaisirs populaires comme le bal-musette118où ils vont quelque peu déguisés pour s’encanailler119.
95Les restaurants parisiens font leur bonheur. La cuisine revêt une double dimension culturelle et ludique. Les lettres que Sartre adresse au Castor (Simone de Beauvoir) sont agrémentées de la composition des menus qu’il apprécie beaucoup120. Léon Daudet, gastronome averti, consacre plusieurs pages de Paris vécu à des descriptions de boutiques d’alimentation parisiennes spécialisées121, de récits des repas pris aux Halles, la nuit...
96Parmi les lieux du plaisir, Montmartre occupe une place tout à fait particulière dans sa double dimension, très importante pour les intellectuels, de lieu tranquillement populaire, dépositaire de l’esprit parisien et de lieu du plaisir.
97Montmartre représente une référence. A la fin du xixe siècle, Montmartre a connu une époque de gloire avec ses cabarets122, ses ateliers de peintres, la bohème parisienne123, la présence de peintres célèbres comme Cézanne, Renoir, Picasso124ou d’écrivains comme A. Salmon, M. Jacob, Apollinaire, Reverdy.
98Cependant, certains intellectuels lui vouent une grande estime, voire un culte. On célèbre le centenaire de la naissance de Murger (1922) au cimetière de Montmartre. L’anarchiste Jules Depaquit institue la « Commune libre de Montmartre », véritable sécession de Montmartre d’avec l’État français...
99Montmartre, malgré une certaine désaffection continue d’exercer une profonde attraction sur les intellectuels. Fargue classe Montmartre parmi les « forteresses du monde occidental » : « Un grand romancier disait un jour que les quartiers forteresses du monde occidental étaient le Vatican, le Parlement anglais, le Grand État-major allemand, l’Académie française. Il oubliait Montmartre, cinquième forteresse, plus imprenable peut-être que les autres, et qui survivra aux chambardements »125.
100Léon-Paul Fargue affirme qu’il préfère Montmartre à Montparnasse : « même depuis que Montmartre est devenu un repaire de danseurs, de bricoleurs frivoles et bien vêtus, et de gens du monde « qui font la nuit comme on fait de la peinture ». Montmartre a pour moi plus d’humanité, plus de poésie, plus de classe, et comme dit l’autre, on s’y défend encore, ce qui signifie que l’on y est encore chez soi »126.
101Pourtant Montmartre s’est en grande partie transformé. Fargue voit bien que les cafés de Montmartre « sont morts », victimes de « la guerre du ciment, du jazz, du haut-parleur ». Mais de façon un peu nostalgique Fargue retrouve « un petit bistrot, un « Bois et Charbons » où le bonheur et le pittoresque se conçoivent encore » où l’on « conserve » à l’égard du client « une bonhomie qui n’est plus admise ailleurs chez les émancipés de la ville moderne ».
102Il recherche dans Montmartre le souvenir d’une époque antérieure, d’une convivialité disparue selon lui. Il se remémore l’histoire des rues Saint-Vincent et Saint-Rustique ou des Saules ; il vante les charmes parisiens de la rue Lepic127. Cette approche quelque peu passéiste le conduit à une mise en cause de la modernité.
103Depuis le départ de Picasso, Montmartre a en grande partie été détrôné aux yeux des intellectuels par Montparnasse ; cependant la crise de 1931 amorce un déclin de Montparnasse au profit d’une redécouverte de Montmartre : celle-ci est l’expression d’une époque de crise sujette aux retours en arrière.
104Dans Les hommes de bonne volonté, Jules Romains estime que la place du Tertre en 1933, si elle est « moins pure » qu’auparavant conserve cependant « un charme poignant ». Il synthétise ici un état d’esprit largement répandu sur Montmartre :
« - Cet endroit était tout de même plus pur jadis, fit Jerphanion. Tu te rappelles ?
- Oui... Il continue à me plaire. Je sais bien qu’il redevient un peu trop à la mode, même chez les gens chics, pour qui la Butte était vieux jeu. Il paraît que c’est une conséquence de la crise. Certains soirs, au crépuscule puis à la lumière, c’est d’une vivacité charmante... Tu sais, les endroits d’amusement, à toutes les époques, ont toujours semblé un peu frelatés pour les gens qui avaient le goût sévère. Et puis, plus tard, dans la perspective, ils prennent un charme poignant... »128.
105Outre le « charme », les visiteurs viennent à Montmartre pour trouver la gaieté, ce qu’exprime Céline : « Dès la rue Lepic on commence à rencontrer des gens qui viennent chercher de la gaieté en haut de la ville [...] »129.
106Montmartre est devenu très touristique. Le commerce s’est emparé des rites Montmartrois, maintenant connus dans toute la France. Tout un folklore entourait la prétendue séparation de la « Commune libre de Montmartre » d’avec l’État français animée par la figure anarchisante de Jules Depaquit. Le centenaire de la naissance de Murger, auteur de Scènes de la vie de Bohème (1849) fut célébré en 1922 au cimetière de Montmartre.
107Cependant, comme le fait remarquer Louis Chevalier, il faut distinguer dans Montmartre le « haut » et le « bas ». « Mon Montmartre du plaisir, dit Louis Chevalier, c’est celui du bas »130.
108Miller, Céline ont contribué à répandre l’image de Montmartre comme lieu du plaisir et du sexe. Louis Chevalier nous commente ces visions :
« Le plaisir et le monde du sexe, Miller, comme Céline d’ailleurs le situent très exactement sur le boulevard de Clichy, entre le carrefour de l’avenue de Clichy et de la place Clichy marqué par la Brasserie Wepler et, à l’autre bout, la place Pigalle, et plus que sur la place Blanche, c’est du côté de la place Clichy que se situe, dans ces années, le point fort du plaisir, au terme d’une évolution que nous avons vu commencer, plus d’un demi-siècle avant, sur le boulevard Rochechouart... »131.
109Louis Chevalier fait ici référence à un épisode de Tropique du Cancer de Henry Miller : « En arrivant près de la place Clichy vers le soir, je passe près de la petite grue à la jambe de bois qui se tient en face du Gaumont Palace tous les jours de l’année »132.
110Dans son Journal, Anaïs Nin reprend l’épisode, lui donne sens et commentaire :
« Nous nous dirigions vers la Place Clichy, Fred, Henry et moi. Henry me fait prendre conscience de la rue, des gens. Il renifle la rue, il observe. Il me montre la putain à la jambe de bois qui se tient près du Gaumont Palace. Il me montre les rues étroites et tortueuses, bordées de petits hôtels et les putains debout sur le seuil, sous une lumière rouge. Nous nous arrêtons dans plusieurs cafés, des cafés à la Francis Carco, où les maquereaux jouent aux cartes en surveillant leurs femmes sur le trottoir »133.
111Céline relève la présence de deux prostituées, habituées de la rue des Dames, près de la place Clichy : « Vous remarquerez qu’il y a toujours deux prostituées en attente au coin de la rue des Dames. Elles tiennent ces quelques heures épuisées qui séparent le fond du jour du petit matin. Grâce à elles la vie continue à travers les ombres [...] »134.
112Cette dualité du haut et du bas de Montmartre, ce contraste entre le Vieux-Montmartre, le Montmartre du Sacré-Cœur d’une part et celui du plaisir et du crime d’autre part se retrouve dans l’image ambivalente transmise par Léon Daudet. Après avoir précisé : « il y a plus de 25 ans que je ne vais plus à Montmartre le soir »135, il ajoute que, Montmartre est devenu selon lui :
113« un cloaque infect, une cité de la bestialité la plus repoussante, du poison chronique et des coups à faire »136, qui représente, selon lui une menace pour Paris. Il repousse dans Montmartre le « vice », la « débauche », l’association du « plaisir et du crime », alors que, de la même manière que Léon-Paul Fargue, il peut retrouver dans Montmartre des « échappées de lumière, des aspects de douceur provinciale, d’intimité, de jardinets à amoureux candides »137.
114Mais Léon Daudet réserve une place particulière au Sacré-Cœur de Montmartre qui le fascine et l’attire : « L’idée de Sacré-Cœur était une idée étonnante et féconde, et ceux qui la proposèrent et la firent aboutir étaient inspirés [...]. Ces lieux ensanglantés, puis sanctifiés, exerçaient sur moi une attraction passionnée »138.
115En homme de l’extrême-droite, Daudet repousse et associe le plaisir, le crime, la révolution contre lesquels il met en avant la passion chrétienne. On retrouve ces facettes de l’image parisienne qui s’opposent de façon quasi dialectique139. L’image donnée du Sacré-Cœur rédempteur des fautes commises par les Communards, correspond aux positions royalistes et catholiques de l’homme d’« Action Française ». Le « charme » de Paris appartient ici, pour Léon Daudet aux valeurs nationales.
116Chez Carco, Mac Orlan, et Kessel le sortilège, l’envoûtement créé par Montmartre tient aux dimensions du plaisir, du crime et de la nuit.
117Les deux écrivains dont le nom s’associe au plus près à la mythologie de Montmartre sont Carco et Mac Orlan. L’approche de Carco et celle de Mac Orlan sont différentes.
118Carco était né à Nouméa ; c’était un fils de bonne famille, en contradiction avec son père, homme dur et moralisateur. Son intérêt pour Montmartre, la bohème et la pègre, cache, semble-t-il un certain esprit de contradiction vis-à-vis de sa famille... Carco était un ami d’Utrillo. Il publia Instincts en 1911, puis Jésus-la-Caille en 1914, description assez fine et bien documentée du milieu de la pègre. Dans le commentaire qu’il publie pour le recueil de photos de René-Jacques intitulé Envoûtement de Paris140, il explique sa démarche et sa méthode de travail : « On m’a longtemps pris pour l’historiographe du milieu, et je me suis d’ailleurs, assez étourdiment prêté à cette légende en pensant que l’heure viendrait où l’on me laisserait en paix avec ces demoiselles et leurs chevaliers servants. Toutefois c’est à eux que je dois une certaine connaissance de Paris »141.
119Son projet était de consacrer un roman à chaque quartier de Paris et de procéder par enquête. Ainsi pour écrire Rue Pigalle, alors qu’il habite à Montmartre, il choisit un hôtel qui est un bon observatoire :
« Mais comme les fenêtres de mon logis n’ouvraient pas sur les bars et les restaurants de nuit que je me proposais de dépeindre, je m’étais installé dans une maison meublée où je n’avais qu’à m’embusquer le soir, derrière les persiennes, pour récolter des sensations. C’est de cet observatoire que j’ai recueilli les propos qu’à la porte d’une boîte, les chauffeurs de taxis échangeaient au passage des filles »142.
120Dans la presse de l’époque Carco, avait mauvaise réputation : on affirmait que dans les prisons on protestait de l’argent que Carco se faisait sur le dos des prisonniers.
121Comme le remarque Louis Chevalier, Carco et Mac Orlan n’avaient pas le même goût pour la crapule. Tous deux avaient vécu leur jeunesse à Montmartre vers 1900. Mais Mac Orlan avait plus que Carco, le goût et la passion de l’aventure, la plus belle aventure étant pour lui celle de la mer.
122Dans Rue Pigalle143, Carco nous dépeint Montmartre, qui appartient au milieu et aux touristes. Montmartre est investi la nuit par les « provinciaux en goguette », les « étrangers avec leurs femmes », les « gigolos », les « noceurs en habit »144. Toute une faune de Russes, d’Espagnols, de danseurs, de musiciens y vit et y passe ses nuits. La description de Carco ressemble à cet égard à celle que nous pouvons lire chez Kessel145 pour qui « Les cafés du faubourg Montmartre grouillaient d’un monde interlope : Levantins, pédérastes, marchand de drogue. Des cohortes de petites prostituées anémiques et aux lèvres sanglantes, aux yeux meurtris, semblaient pousser du pavé gluant »146.
123Carco écrit dans la langue même du milieu et de la pègre : « J’y raconterai d’où qu’est venue la poisse et comment qu’on est toutes, ou à peu près, sans un »147.
124Il prétend décrire avec fidélité la pègre de Montmartre :
125Le maquereau de Valentine, Léon, se fait « poirer » avec 45 g. de cocaïne sur lui. Il est arrêté et pendant son séjour en prison, Valentine rencontre Tonton de Montmartre. Valentine tombe dans sa dépendance, elle prend de la cocaïne, verse tout son argent à Tonton. L’ensemble se passe dans un hôtel de Pigalle sous le « regard de trois poupées mannequins » que l’on aperçoit par la fenêtre de la chambre d’hôtel, déformée par les effets de la drogue. L’affaire finit mal. Léon sort de prison rejette Valentine qui meurt étranglée par Léon sous le regard des trois poupées.
126En 1929, Mac Orlan publie Villes mémoires148. La table des matières de l’ouvrage met en parallèle, comme têtes de chapitres : Rouen, Montmartre, Brest, Londres, Villes Rhénanes, Rome. Montmartre y est mis sur le même plan que des métropoles ou des villes du voyage et de l’aventure dont Mac Orlan était familier depuis son enfance.
127Mac Orlan se souvient du Montmartre de 1900, de sa vie de bohème, du Lapin Agile149 au temps ou il n’était qu’une simple « guinguette de quartier », « à la fois familiale et un peu canaille ». « Les vergers de Montmartre nourrissaient à cette époque plus de bandits que de pommes »150. A cette époque il fit la connaissance de ceux qui sont devenus ses amis : Roland Dorgelès, Francis Carco, Daragnes, André Warnod.
128Son roman, Quai des Brumes151 est en grande partie autobiographique. Il met en scène Jean Rabe, un intellectuel, un soldat, un allemand Michel Kraus, le patron du Lapin Agile Frédéric, et Nelly, une prostituée qui passent une inquiétante soirée au Lapin Agile. La nuit de Montmartre près de la rue Saint-Vincent, du cimetière Saint-Vincent, du « maquis » de Montmartre, avec ses maisons en bois, recouvre des crimes comme celui du boucher Zabel : « Le sang « fournit » beaucoup. Un petit crime dans Paris, un pauvre homme, une pauvre fille, égorgés, éventrés ou découpés et la ville est éclaboussée de sang »152.
129Nelly est une fille de la rue, capable de faire tuer (par un Corse) « sur le traditionnel gazon des fortifications »153 ceux qu’elle veut écarter. Nelly est une prostituée qui s’identifie à Paris.
130« Elle règne dans le dancing telle la divinité de la rue, mais de la rue enrichie par les prodigalités les plus folles de tous les échappés du massacre »154.
131L’ambiance qui se dégage du Quai des Brumes de Mac Orlan, est violente ; Mac Orlan éclabousse de sang l’ensemble de ceux qui vivent à Montmartre. Nous sommes près des marges de Paris. Les personnages sont ceux du sexe, du crime et de la bestialité. L’ensemble finit dans la musique des années folles avec jazz et orchestre nègre. Le personnage de prostituée de Nelly (comme celui de Georgette dans les Nuits de Paris de Soupault) renvoie au mythe littéraire de la capitale identifiée, la nuit, à une prostituée.
132Kessel présente Montmartre comme un « symbole du sortilège nocturne ». Il déploie une certaine mythologie moderne de Montmartre dont il se veut observateur quotidien. Les lumières de la Place Blanche et de la Place Pigalle résonnent la nuit tels des « fanaux d’appels pour l’Univers entier ». Il présente toute une population noctambule et marginale : « Musiciens, chasseurs, boxeurs, souteneurs, marchands de drogue, déclassés, je les ai connus tour à tour »155.
133Montmartre est peuplé d’un « monde interlope », d’anciens tchékistes, de massacreurs de la bande de Makhno, d’Argentins, de Cosaques, d’hommes dont « l’existence se déroule dans les cafés, sur le champs de course à travers les rues et les places de Montmartre... »156 et même des gardes du corps de Doriot...
134Kessel contribue à faire connaître le milieu des Russes de Paris présents dans ses Nuits de Prince157 comme dans ces Nuits de Montmartre qui mettent en scène une jeune femme russe dont on se demande si elle est « journaliste ? Droguée ? Employée à la Tchéka et condamnée par elle ? »158.
135Montmartre revêt une grande importance dans les quartiers que fréquentent ou que dépeignent les intellectuels. L’image de Montmartre n’est pas unique. Elle est dominée par celle du plaisir et du crime qui « profitent » l’un de l’autre. Il y a un mystère de Montmartre qui fait partie de la mythologie parisienne. Montmartre continue à plaire même si l’on sait que l’on risque d’y rencontrer la vulgarité et la platitude des touristes.
136Enfin Montmartre semble avoir conservé pour les intellectuels des traces de son histoire, autour du Lapin Agile, des petites rues Saint-Vincent, des Saules... De plus, Montmartre reste un quartier populaire avec sa rue Lepic, ses marchandes des quatre-saisons... Montmartre, pour les intellectuels, apparaît plus authentique que Montparnasse.
137Au travers de Montmartre, nous trouvons deux modes de pensées, de sensibilité chez les intellectuels. Montmartre recèle une structure profonde de ce qui caractérise Paris : un esprit et un « charme » parisiens, la liberté des mœurs et quelquefois la transgression d’interdits qui caractérise le peuple des barrières. Montmartre a été la contrée des artistes, du Lapin Agile, des cabarets, des cafés et de la parole libre. Il est devenu une contrée cosmopolite, marginale que les touristes viennent voir car Montmartre est célèbre dans le monde entier pour son charme, pour la vue qu’il offre sur Paris, pour ses lieux des plaisirs comme le Moulin Rouge ou le cirque Médrano. Aux yeux d’un homme d’extrême-droite comme Léon Daudet, Montmartre et le Sacré-Cœur symbolisent au contraire, l’esprit de licence et le souvenir de la Commune qu’il assimile volontiers au monde criminel.
2. 4. Les quartiers populaires
138Certains hommes de lettres passent leur vie et situent leurs écrits dans un champ étroit représenté par le Quartier latin, les lieux de sociabilité traditionnels des intellectuels. Un couple comme Sartre et Simone de Beauvoir, par exemple, manifeste une certaine méconnaissance du Paris populaire qu’ils peuvent croiser dans les bals de la rue de Lappe, mais qui se trouve rarement sur leur chemin. En fait pour eux le Front Populaire sera le moment de la rencontre avec les foules populaires.
139La préférence affichée par certains intellectuels pour les quartiers populaires est, cependant remarquable. Cette préférence ne s’explique pas forcément par les mêmes raisons. Elle traduit une volonté de sortir des parcours classiques et des sentiers battus. Dans une ville où le centre se dépeuple, les quartiers populaires apparaissent comme les refuges du charme, du pittoresque et de la vie. Nous pensons également que l’intérêt porté aux quartiers populaires à droite et à gauche repose sur des approches différentes. Le peuple de Paris est un vecteur du sentiment national pour la droite. A gauche, le peuple opprimé est l’objet de la sympathie.
140Galtier-Boissière, directeur du Crapouillot, prend ses journées de repos à Belleville :
« Lorsque je voulais prendre une journée de repos, j’allais me promener dans le quartier de Belleville-Villette [...]. Je connais par cœur le rue de Belleville [...]. La rue de Belleville, réplique rive droite de la fameuse rue de la Gaîté à Montparnasse, grouille du matin au soir. Le jour, la chaussée est embouteillée par les files de voitures des marchandes des quatre-saisons dont les vendeurs au verbe impératif apostrophent le passant et perpétuent la tradition des cris du vieux Paris. Les boutiques regorgent de denrées : c’est le contraire des magasins des beaux quartiers où le bon ton consiste à ne mettre en montre qu’un unique objet [...] »159.
141Gertrude Stein expliquait que l’attrait de Paris, pour les intellectuels étrangers résidait précisément dans ce mélange de « très grande ville et de charme campagnard presque idyllique »160. Entre 1900 et 1930, la plupart des étrangers qui vivaient à Paris demeuraient rarement dans des « quartiers pittoresques » ou tout au moins dans de vieilles demeures. Mais maintenant, affirmait-elle, une fois le caractère du xxe siècle confirmé, « [...] nous avons besoin du pittoresque, de la magnificence, nous avons besoin de l’air et de l’espace qu’on ne trouve que dans les vieux quartiers. C’est Picasso qui disait l’autre jour, lorsqu’il fut question de démolir les quartiers insalubres de Paris, mais ce n’est que dans les quartiers insalubres qu’il y a du soleil, de l’air et de l’espace »161.
142Les intellectuels de la droite extrémiste comme Robert Brasillach, Léon Daudet, Lucien Rebatet affirment leur goût pour les quartiers populaires français, dépositaires d’un esprit national et provincial traditionnel. Ils y trouvent du « charme », de la « vie », une allusion aux villages et aux provinces françaises, certainement aux sources mêmes de l’esprit national français à leurs yeux.
143Brasillach prend plaisir à des rencontres d’amis près de la place de la République. Il raconte qu’il aime « connaître les grands quartiers populaires de Paris pour lesquels j’avais beaucoup d’amour »162.
144Ayant emménagé dans le 15ème arrondissement, il dit combien il a appris « à beaucoup aimer ce quartier populaire et aéré, aux maisons sans beauté, mais animé d’une vie, familière, et ouvert, pour qui savait regarder, au plus charmant pittoresque »163.
145Brasillach apprécie la rencontre de tradition et de modernisme caractéristique du Paris de l’entre-deux-guerres. Il retrouve les traces de l’ancien village de Vaugirard, de la vieille bourgade campagnarde mêlées aux formes des temps modernes : « Par là-dessus, les temps modernes ont jeté leurs formes »164.
146Ce que Paris a de plus plaisant, pour lui comme pour la plupart de ces intellectuels, ce sont « ses petites gens ingénieux et malins, ses marchands des quatre-saisons, ses artisans provinciaux, ses marchands de « couleurs » où l’on trouve toute chose pensable et non pensable, et la vie provinciale des quartiers un peu éloignés »165.
147A certains égards, l’ambiance du Paris vécu de Léon Daudet, est comparable : la rue de Ménilmontant selon Daudet est « aussi éblouissante que le plus incandescent des Turner, que le plus embrasé des Poussin [avec ses] villageois transplantés qui ont ici des habitudes, achats, patiences et tournaillements de leurs bourgades et patelins... »166.
148Cependant Daudet déteste tout ce qui peut évoquer le peuple révolutionnaire et il découvre à regret chez les pauvres de Paris rue de la
149Roquette une atmosphère tendue, « criarde », « râleuse », de « malaise social »167.
150Dans le quartier Ménilmontant « La rue des Partants, la rue des Cendriers, valent le jus, pour le gluant, le puant et le morne »168.
151Nous trouvons une ambivalence haineuse dans les descriptions de Léon Daudet.
152L’intérêt des surréalistes pour les quartiers populaires est d’un ordre différent.
153M.-C. Bancquart insiste sur la préférence que les surréalistes exprimaient pour « le Paris de l’énergie collective, contre le Paris de l’histoire et de la réflexion »169. Elle oppose le Paris de Jules Romains qui révèle la force de la foule au Paris des surréalistes qui est l’expression de l’inconscient collectif de la foule. Elle cite à l’appui de son analyse, l’enquête que publiait le 1er avril 1922, la revue Littérature ; celle-ci contenait une liste de « préférences que les écrivains portent à certaines choses qui nous entourent ». A la question qui portait sur les quartiers de Paris, Aragon répondait « le carrefour Belleville-Oberkampf », Breton « la porte Saint-Denis », Péret « le Boulevard de Sébastopol », Soupault « la Chaussée d’Antin ».
154Les surréalistes ont eu une prédilection pour le quartier des Halles, le quartier des Affaires, celui des journaux (rue du Croissant...), le nord populaire, les passages de Paris. Les surréalistes prisent les lieux où la foule circule (le métro, le café, les grands boulevards), les lieux insolites (les Puces de Saint-Ouen), les passages qu’ils voient comme un refuge de l’urbanité, d’une époque antérieure à l’haussmannisation, à l’américanisme, un lieu d’accès au merveilleux.
155André Breton, par exemple, écrit dans Nadja :
« On peut, en attendant, être sûr de me rencontrer dans Paris, de ne pas passer plus de trois jours sans me voir aller et venir, vers la fin de l’après-midi, boulevard Bonne-Nouvelle, entre l’imprimerie du Matin et le boulevard de Strasbourg [...]. Je ne vois guère sur ce rapide parcours, ce qui pourrait, même à mon insu, constituer pour moi un pôle d’attraction ; ni dans l’espace, ni dans le temps. Non : pas même la très belle et très inutile Porte St-Denis »170.
156Dès 1919, ils se retranchaient - du moins en avaient-ils l’intention-des quartiers habituels des intellectuels et élisaient comme lieu de réunion du groupe le Café Certa, dans le passage de l’Opéra.
« C’est ce lieu où vers la fin de 1919, un après-midi André Breton et moi décidâmes de réunir désormais nos amis, par haine de Montparnasse et de Montmartre, par goût aussi de l’équivoque des passages, et séduits sans doute par un décor inaccoutumé qui devait nous devenir si familier. C’est ce lieu qui fut le siège principal des assises de DADA... »171.
157Le Paysan de Paris raconte la destruction de ce passage de l’Opéra. Mais les surréalistes recherchent toujours d’autres lieux de réunion plus excentriques comme le restaurant le Paradis, boulevard de Clichy, Le Globe à la Porte Saint-Denis (6-8 boulevard de Strasbourg), le Cyrano place Blanche, non loin du domicile de Breton, 42 rue Fontaine172. Les cafés sont pour eux des lieux privilégiés d’observation.
158Chez Eugène Dabit l’attention portée aux quartiers populaires n’est pas liée au cadre parisien, à la ville que Dabit trouve « laide », « dure », « bruyante », « presque monstrueuse »173. Dabit s’intéresse au peuple, à la « foule » à laquelle il accorde une « attention spirituelle » : il souhaite la « tirer de l’oubli ». En dehors de toute pensée de la lutte des classes, il poursuit un objectif qu’il affirme être « en dehors de tout parti, de toute école »174.
159Dabit était originaire d’une famille populaire de Mers-les-bains. Après une enfance dans le 18e arrondissement, il devint apprenti ferronnier d’art puis mécanicien à la compagnie Nord-Sud. Il s’essaye à la peinture, puis à l’écriture. Il rencontre Gide en 1927, Roger Martin-du-Gard en 1928, Céline en 1933.
160Hôtel du Nord175 se situe dans le 10e arrondissement, au 102 Quai de Jemmapes, près du canal Saint-Martin. A travers la vie de l’Hôtel du Nord, Dabit présente la monotonie de la vie des locataires de l’hôtel, la pauvreté des filles que leur amant abandonne, la tuberculose très proche et associée à la misère.
161Dabit reçut le prix populiste pour Hôtel du Nord en 1931 et se rangea par la suite dans l’extrême-gauche littéraire. Pourtant, il refusait l’étiquette « populiste »176. Dabit a voulu dire la vie qu’il a vécue aux côtés de ces hommes anonymes du peuple de Paris, dans un récit à caractère autobiographique, Atmosphère de Paris (1931) qui éclaire son approche :
« Le destin m’a fait longtemps vivre et travailler à l’Hôtel du Nord. J’y ai vu arriver un à un les personnages de mon livre, je les ai vus partir, et plus jamais je ne les ai rencontrés. Rien de plus émouvant, de plus désespérant aussi que leur existence, sans poésie ni révolte, ni rêve. Des hommes confiants dont certains venus de la campagne, pauvre chair broyée sous la meule des villes »177.
162La ville (Paris) détruit ceux qui immigrent vers elle. Dabit exprime son affection pour la foule anonyme de la grande ville. Le peuple vit une vie difficile, qu’il subit, en dehors de toute révolte.
163Dabit écrivit d’autres romans contemporains d’Hôtel du Nord : Petit-Louis en 1930, Villa Oasis en 1932, Faubourgs de Paris en 1933. Ces écrits englobent l’espace de banlieue limitrophe de Paris.
2. 5. La banlieue en opposition à Paris
164Très peu d’hommes de lettres de l’époque vivent en banlieue, aiment la banlieue à moins que par banlieue on entende aussi les banlieues résidentielles et bourgeoises comme Auteuil, Neuilly, et Passy ; comme nous l’avons évoqué dans notre chapitre « Paris en France » l’acception du mot banlieue comme banlieue résidentielle et bourgeoise tend à disparaître. Après la première guerre mondiale Radiguet l’utilise encore pour désigner Neuilly : « L’année qui suivit l’armistice, la mode fut de danser en banlieue »178.
165La majorité des écrits utilisent le mot banlieue en l’associant à banlieue industrielle, dans une connotation négative. Le linguiste Alain Rey donne deux citations d’écrivains de l’entre-deux-guerres retenues dans le Grand Robert qui confirment cette évolution :
166De Gide, dans Paludes : « La banlieue, tout ce qu’on trouve entre deux villes [...]. Maisons dominées, espacées, quelque chose de plus laid encore de la ville en traînasse ».
167De Georges Duhamel, dans Vue de la Terre Promise : « banlieue, pays des petites maisons, des petits rêves et des ambitions malingres »179.
168En avril 1932, l’écrivain américain Henry Miller s’installe à Clichy où, comme il l’écrit il passera des années paisibles180. Lui-même explique qu’habiter Clichy est à ses yeux une solution de fortune. Il adresse à son ami Emil une lettre datée d’avril 1932, dans laquelle il donne en en-tête son adresse (« 4 avenue Anatole-France, Clichy (Seine) » tout en précisant « Ne mets pas Paris, c’est en dehors de la ville »181. Son commentaire révèle le peu de goût qu’il a pour ce lieu : « C’est un nouvel immeuble d’appartements modernes, dans une rue qui, en dépit de son nom qui sonne bien, ressemble plutôt à une rue de New-York dans un nouveau quartier juif [...]. Si j’avais le choix, je préférerais un vieil hôtel de luxe ou un atelier »182.
169Miller aime marcher jusqu’à la Place Clichy où il situe ses œuvres. Il décrit à Emil le contraste entre Paris, la ville dans laquelle les traces de l’histoire sont présentes et la banlieue aux allures modernes sans intérêt :
[Paris] « C’est une ville ancienne mais elle ne donne pas d’angoisse. Les toits sont tellement merveilleux - tous ces sacrés tuyaux de cheminées, noirs, les baies vitrées en pente des ateliers, les murs avec encore les traces d’appartements qui n’existent plus, les ponts, chacun comme un poème - et les statues : même hideuses tu es obligé de les aimer, de les admirer, elles font partie de tout ce qu’englobe ton regard »183.
170Comme le démontre Jean-Pierre Morel, après la première guerre mondiale, plusieurs romans184 prennent en compte la totalité de l’agglomération urbaine, de l’articulation entre ville et banlieue. Jusqu’à 1914, la banlieue n’était représentée que comme une marge indistincte, un seuil185. Paris dans la littérature avait la zone pour frontière.
171Nous pouvons esquisser à la suite d’Alain Meyer une chronologie des étapes de la perception de l’espace littéraire entre 1919 et la fin des années 30. Alain Meyer étudie « L’espace littéraire parisien en crise »186. Selon lui, sur le long terme, entre 1789 et 1930, Paris assimile un espace de plus en plus vaste. La période des années folles, entre 1919 et 1926, marque un repli sur le centre traditionnel de la ville (les salons, les lieux de la vie nocturne de la rive droite et de Montparnasse, les abords du Luxembourg et de Saint-Sulpice187) si l’on met de côté les écrits des surréalistes, le Paris populaire est presque exclu.
172Entre 1926 et 1932 les récits s’orientent du centre vers la périphérie parisienne qui rentre en force, agressive. Les années 1926-1928 sont des années-charnières : Soupault dans les Nuits de Paris188, Breton dans Nadja189 racontent des expéditions en banlieue dont ils reviennent effrayés. La banlieue est menace aux portes de Paris.
173Puis, la banlieue surgit et s’impose, avec Voyage au bout de la nuit (1932). Le roman de Céline marque incontestablement une mutation. Louis Destouches, Céline, auteur du Voyage au bout de la nuit reçoit en 1932 le prix Renaudot (après avoir espéré le prix Goncourt) pour ce roman qui présente certains aspects autobiographiques.
174Après avoir vécu rue Lepic, il s’était installé à Clichy, où il avait travaillé en tant que médecin au dispensaire. Selon le témoignage de sa compagne de l’époque, Elisabeth Craig : « Il avait travaillé dans ce dispensaire, et j’ai l’impression que c’est toute la misère et toutes les maladies qu’il a vues là qui l’ont transformé »190.
175Céline était pénétré de l’idée que, quels que soient la réalité des moments agréables qu’il passait avec son amie, c’était « la misère de ces taudis qui était réelle »191.
176La banlieue parisienne apparaît comme un espace de relégation, très éloigné du périmètre de la vie intellectuelle. Les critiques littéraires reprennent les étapes du Voyage de Bardamu, héros du roman marqué par la guerre, les colonies, l’Amérique, Toulouse, la banlieue de Paris. Ils se plaisent d’autant plus à répéter derrière Céline, que ce « Voyage » est totalement « imaginaire »192 qu’ils sont en général impressionnés par l’accumulation des éléments d’horreur dans les 623 pages du roman dont l’épaisseur même se révèle accablante. La banlieue pénètre de façon morbide marquée par l’hypocrisie, l’injustice, la pauvreté, la déchéance.
177L’accueil qui lui fut réservé atteste la compréhension par son public de la nouveauté que représentait l’irruption dans le monde littéraire de l’espace banlieusard. La plupart des intellectuels de l’époque réservèrent un écho très important au livre, qui marqua pour eux un tournant dans la littérature, comme en témoignent les 70 critiques de Voyage au bout de la nuit réunies par André Derval193.
178Désormais on peut regarder Paris depuis la banlieue194.
179Les Chroniques de Billancourt écrites entre 1928 et 1940 par Nina Berberova195 et publiées dans le quotidien libéral russe de Milioukov, les Dernières Nouvelles sont l’illustration de cette perception de Paris depuis la banlieue et en particulier depuis les usines Renault devenues depuis la révolution russe un des hauts lieux de l’émigration russe à Paris196. Plusieurs chroniques mentionnent Billancourt en précisant qu’il se situe à proximité d’une capitale de rang mondial, « près » de la capitale. Si Paris est du côté du plaisir, des arts, du monde féminin, Billancourt peuplé d’émigrés russes bénéficie de sa proximité tout en étant marqué par le travail de l’usine, le chômage en tant de crise. Billancourt est un monde d’hommes de la métallurgie alors que Paris est une ville de femmes, faite pour les femmes.
180La fin des années 30 marque un repli nostalgique des écrivains sur le Vieux Paris. La capitale est de nouveau décomposée en villages.
181Selon l’analyse d’Alain Meyer, « le centre redevient le lieu des révolutions ou des attentes de guerre chez Aragon et Martin du Gard, des complots chez Nizan et Abellio, celui de la fraternité chez Guilloux. Léon-Paul Fargue ou Jean Follain [...] s’accrochent aux restes d’un Paris en désuétude [...] »197.
182La banlieue ne fait pas partie du champ classique des travaux et de la vie intellectuelle. Nous avons pu suivre le déplacement du regard des intellectuels du centre de Paris vers la périphérie puis la banlieue. Mais autant ils apprécient la vie populaire réfugiée dans les quartiers populaires, autant la monotonie et l’âpreté des paysages industriels gris, monotones les rebutent. Nous pouvons constater, comme nous l’avions déjà fait dans notre étude des guides de tourisme que la banlieue se soude véritablement à Paris autour de 1932, de façon contemporaine de la promulgation de la loi qui porte création de la région parisienne.
183A ce stade les intellectuels se partagent en deux groupes, ceux qui restent enfermés dans un Paris traditionnel qui leur autorise une sociabilité féconde au plan artistique et ceux qui poussent leurs regards au-delà de l’ancienne ligne des fortifications. Cette ouverture sur le Grand Paris désigne véritablement un geste moderne qui explique l’événement créé par l’œuvre de Céline.
3. UNE VILLE DE PIETONS
184Paris reste pour les hommes de lettres de l’entre-deux-guerres une ville que l’on découvre essentiellement par la marche. Même Miller et Céline qui habitent en banlieue marchent de la banlieue vers Paris. Chacun a ses itinéraires favoris qui reflètent son appréhension du monde moderne comme ses choix politiques.
185Le parcours systématique que Léon-Paul Fargue, surnommé le « Bædeker de Paris », accomplit dans Paris correspond à l’itinéraire parfait et familier d’un intellectuel de la bonne société parisienne. Son Piéton de Paris se définit comme un « voyage sentimental et pittoresque dans un Paris qui n’est plus »198.
186Confronté à la ville moderne, à la démocratisation, Fargue jette un regard nostalgique sur les pays parisiens. Sa recherche évoque celle du photographe Atget en quête de lieux-documents. L’itinéraire de Fargue part de son quartier d’enfance, le 10ème arrondissement. Il visite des lieux traditionnels des plaisirs (Montmartre, le Bœuf sur le Toit, la rue de Lappe), les quartiers de l’ouest et du centre élégant (Champs-Elysées, Saint-Germain, les grands hôtels), des quartiers intellectuels (Montparnasse, Saint-Germain), des quartiers à caractère historique comme le Marais. Les lieux parcourus par Fargue correspondent au réseau de relations d’un Parisien de la haute société.
187Léon Daudet organise Paris vécu en deux parties Rive droite et Rive gauche199. Sa marche dans Paris reflète sa personnalité et ses options politiques. Elle est l’occasion de se rappeler la vie joyeuse de l’étudiant en médecine Daudet qui, en son temps appréciait les plaisirs de Montmartre et de la rue de la Gaîté. Député de Paris depuis le 16 novembre 1919, journaliste à l’Action française, il fréquente volontiers les quartiers des grands boulevards, l’ouest haussmannisé. Les Champs-Elysées lui remémorent la victoire de novembre 1918200. Il est familier comme l’ensemble de l’Action française, du Quartier Latin. Nous avons précédemment remarqué son goût pour les quartiers populaires français, alors que les arrondissements comme le 18ème201 l’horrifient. Montmartre et Montparnasse, comme lieux des plaisirs202 et de la bohème provoquent ses critiques. A Montmartre comme « lieu dit de plaisir, en fait de navrance, de paresse, de crevaison, de poisons chroniques et de maladies honteuses »,203 il oppose le Sacré-Cœur, lieu du rachat des fautes révolutionnaires : « L’idée du Sacré-Cœur était une idée étonnante et féconde, et ceux qui la proposèrent et la firent aboutir étaient inspirés [...]. Ces lieux ensanglantés, puis sanctifiés, exerçaient sur moi une attraction passionnée »204.
188Dans le Voyage au bout de la nuit, Bardamu traverse la banlieue et Paris à pied à une seule exception le retour final de Bardamu vers sa banlieue, en taxi205. Céline insiste toujours sur les lignes de séparation de l’espace urbain. Il oppose la ville et la campagne206, Paris et la banlieue207, la rive droite et la rive gauche, l’est et l’ouest208 ; il dépeint les barrières, les frontières au sein de la ville que ce soit les barrières d’octroi209 ou la ligne de la zone210.
189Cette perception de l’espace urbain comme un espace de séparation contraste avec celle développée par Jules Romains qui, tout en lisant la ville selon des « lignes de lecture » propose une image globale de Paris qui correspond à son désir d’embrasser la forme de la ville dans son ensemble. Il a nommé cette conception l’« unanimisme » : « [...] je crois fermement que les rapports de sentiments entre un homme et sa ville, que la pensée totale, les larges mouvements de conscience, les ardeurs colossales des groupes humains sont capables de créer un lyrisme très pénétrant ou un superbe cycle épique. Je crois qu’il y a place dans l’art pour un « unanimisme » »211.
190Jules Romains, s’intéressant aux transformations urbaines dans la durée, dans un cycle qui part du 6 octobre 1908 et court jusqu’au 7 octobre 1933, comprend que la ville ne sera bientôt plus celle des piétons de Paris mais qu’elle devient celle de la foule qui se rend au travail et traverse de part en part l’agglomération dont le centre actif se déplace vers l’ouest :
« Paris descend au travail. Son mouvement est un peu le même qu’il y a vingt-cinq ans, un peu autre. Comme le centre a bougé vers l’ouest, beaucoup d’itinéraires, à partir des quartiers périphériques et des faubourgs se sont inclinés aussi du côté du couchant. Mais surtout ce remuement matinal a gagné en ampleur et en complication. Les banlieues se sont peuplées, étendues. Les points de départ se distribuent dans tous les secteurs d’un vaste territoire. Il ne s’agit plus du ruissellement quasi naturel d’une grande ville vers sa cuvette centrale. Par centaines de milliers, ces déplacements d’hommes et de femmes, du logis au lieu du travail, sont devenus des voyages laborieux, concertés par une longue réflexion, améliorés par l’expérience, servis par des moyens dont l’ajustement réclame de l’étude, de la promptitude, de la chance. Des centres de travail ont apparu ou démesurément grossi là où régnait jadis de l’habitation éparse, du terrain vague, du jardin maraîcher. Ils attirent à eux de nombreux mouvements nés tout au loin. Le quai de Javel, Billancourt, vont chercher dans leur lit des gens de Belleville, de la Plaine-Saint-Denis, du Kremlin-Bicêtre. Les moyens de transport ont suivi, ou parfois précédé et orienté, ce développement abstrait. Le piéton qui descend, d’un pas juste un peu pressé, une rue de Montmartre ou de Ménilmontant, en lisant son journal, avec un coup d’œil de temps en temps à une horloge n’est pas encore une survivance. Mais il prend déjà quelque chose d’anachronique et de privilégié »212.
191Les surréalistes, quant à eux, ont proposé à leurs lecteurs toutes sortes de marches dans Paris. Leur contact avec la ville reste très classique, voire conservateur. La marche constitue pour eux une voie d’accès à l’essentiel, une expérience. Ils refusent le rapport inhérent à la description, le réalisme et expriment leur goût pour l’errance. Derrière les apparences, ils cherchent à déceler ce qui se cache. Ils sont à l’affût du « hasard » qui est, selon eux une notion importante, parallèle à l’expérience de l’écriture automatique. Elle se rapporte à des coïncidences de faits et de signes qui présentent une logique et une cohérence incitant à les percevoir comme un message. André Breton systématisera la notion de « hasard objectif » dans l’Amour fou (1937).
192L’exemple-type de la promenade au hasard dans Paris est le Paysan de Paris d’Aragon, texte de référence pour les surréalistes : « Par la marche, le paysan accède au merveilleux quotidien »213.
193Le paysan de Paris déclare : « J’aime à me laisser traverser par les vents et la pluie : le hasard voilà toute mon expérience »214.
194Se promenant dans Paris, au hasard, André Breton rencontre Nadja215. Breton, rue Lafayette, « poursuit sa route sans but dans la direction de l’Opéra »216 : « [Nadja] se rend, prétend-elle, chez un coiffeur du boulevard Magenta (je dis prétend-elle, parce que, sur l’instant, j’en doute, et qu’elle devait reconnaître par la suite qu’elle allait sans but aucun) [...] »217.
195« Nous voici au hasard de nos pas, rue du Faubourg Poissonnière »218.
196Et encore, « nous entrons dans le premier café venu »219.
197Philippe Soupault définit le hasard selon les mêmes principes dans les Nuits de Paris. Le hasard est : « un personnage puissant et cependant très proche, qui prenait l’aspect de milliers d’êtres humains », « [...] je conclus que Paris, ma ville était une de ses demeures favorites »220.
198Au fil de la promenade, les rencontres se font au hasard, matérialisant les désirs inconscients, le regard se pose au hasard, des analogies se révèlent...
199La capitale se découvre encore mieux dans les marches nocturnes. La ville apparaît différente la nuit. Le thème des « nuits de Paris » est devenu dans l’entre-deux-guerres un mythe littéraire familier. La nuit met en valeur l’image monumentale de Paris. Les activités nocturnes mettent en valeur d’autres facettes de l’image de la capitale221.
200La nuit renvoie aux plaisirs nocturnes de la capitale évoqués par Kessel, Miller, mais aussi par la plupart des intellectuels. Le roman policier de P. Soupault, Les dernières nuits de Paris (1928)222 se présente comme une promenade nocturne dans Paris au travers de laquelle le lecteur peut accéder au « secret inviolable de Paris ». Paris, dit le narrateur, « joue le premier rôle sans le savoir »223. La Tour Eiffel alors qu’elle apparaît, le jour, si on la « considère à ses pieds » « métallique et architecturale », mais si on l’« aperçoit de loin » elle devient « symbolique » et prend la nuit, un « aspect passionné » ; elle perd, « entourée d’étoiles son air familier et bonasse que les premières années du xxe siècle lui ont imposé »224.
201Paris-la nuit s’identifie à une femme, Georgette, une prostituée : « Georgette elle-même devenait une ville »225 dit P. Soupault.
202Cette assimilation de Paris à une femme de mauvaise vie était fréquente dans la littérature de l’entre-deux-guerres. Nous l’avons déjà rencontrée chez Mac Orlan. Ernest Hemingway, William Carlos Williams et Djuna Barnes226 ont associé la ville à une femme à la fois séduisante et troublante, une lady of the night (fille de la nuit) dont « l’ambiance nocturne semblait leur permettre la découverte d’eux-mêmes »227. Carolyn Burke, dans l’étude qu’elle a consacrée à l’image nocturne de Paris chez les écrivains américains montre comment chaque écrivain investit cette image de Paris, femme de mœurs faciles, d’un contenu qui met en jeu leur propre rapport à la sexualité, à la créativité, et à leur quête de l’inconscient au travers de la marche dans Paris.
203Les hommes de lettres apprécient ces marches dans Paris qui sont pour eux un instrument de découverte de la capitale et d’eux-mêmes. Mais, jusqu’aux années 30, nous pouvons remarquer que l’espace littéraire, s’il tend à englober un espace de plus en plus vaste, reste le plus souvent limité à la Ville de Paris et à une dimension accessible aux piétons. Seuls quelques écrivains comme Céline, Jules Romains ou Raymond Queneau plus sensibles au monde moderne, évoquent les déplacements des banlieusards228.
4. LES PARISIENS
204Une fois examiné l’espace parisien tel qu’il est habité et décrit par les hommes de lettres, nous nous interrogerons ici sur les descriptions des populations parisiennes en faisant référence aux propos tenus par Louis Chevalier qui constate la progressive disparition de la référence aux « Parisiens » dans les documents de l’entre-deux-guerres, alors même que les romans, chansons, œuvres littéraires continuent de les évoquer :
« Si nous trouvons encore de nombreuses références au genre de vie « parisien », au type « parisien », à l’ouvrier « parisien » dans les grandes entreprises romanesques de l’entre-deux-guerres, il n’en est plus de même dans la plupart des documents contemporains, dans ceux du moins qui méritent intérêt. Dorénavant, choses et gens s’inscrivent dans le cadre « parisien », mais ne sont que rarement qualifiés de « parisiens ». Parisien le décor, mais non les personnages, comme si les allusions aux caractères inimitables de la population de la capitale, si fréquentes au début du xxe siècle encore, n’emportaient plus la conviction. Le parisien est aussi souvent décrit et bien plus souvent que le provincial [...] mais il n’est plus un être à part, original et irremplaçable : simplement un individu qui habite Paris et qui de ce fait, et de ce fait seul, a une manière de vivre différente de celle que l’on observe ailleurs »229.
205Plus que le « peuple de Paris », ce sont « les Parisiens » que dépeignent les écrivains de l’entre-deux-guerres. Etre Parisien de naissance confère une certaine dignité à telle enseigne que Léon -Paul Fargue affirme qu’il est « presque né » dans le quartier de la Chapelle, que Léon Daudet observe « je suis né dans le Marais et j’y ai passé une enfance heureuse » ; quant à Eugène Dabit, il affirme qu’il est né à Paris (alors qu’il est né à Mers-les-Bains !). Dans les Hommes de Bonne Volonté, Jallez est « Parisien de Paris ». Le Parisien développe et réactive, surtout après la période de repli qu’a constituée la grande guerre, un complexe de supériorité vis-à-vis des gens de provinces aux yeux desquels il devient le « parigot » qui « parle argot », « rouspète à propos de tout » et est « convaincu de sa supériorité de citadin sur les campagnards »230.
206Il y a une glorification continue de la notion de Parisianité que Valéry Larbaud, lui-même originaire de Vichy, explique par un transfert qui s’est effectué de l’exaltation des faubourgs et du peuple, caractéristique du xixe siècle, à celle des Parisiens : V. Larbaud dénonce ce qui s’apparente à une sorte de nationalisme.
207« D’une part, il y a « nous », les Parisiens de Paris, et d’autre part les demi-civilisés et les quart-de-civilisés, les petsouilles et les macaques : provinciaux étrangers »231.
208Surtout Valéry Larbaud considère que cette exaltation de la Parisianité « remontait des profondeurs populaires. [...] Ce mépris, cette incompréhension militante à l’égard de tout ce qui n’était pas Nous étaient sortis des faubourgs, s’étaient généralisés, et on les retrouvait avec stupéfaction aux différents étages de la hiérarchie citadine »232.
209Chacun projette sur le Parisien son idéal du Français. Pour Léon-Paul Fargue « Le Parisien est avant tout un Français et c’est pourquoi l’on ne peut tenir pour Parisiens certains métèques illustres »233 ; les écrivains retrouvent les « vrais Parisiens » dans toutes les couches de la société et convoquent volontiers les figures de l’ouvrier de Paris, du bon Français, de la midinette, du « peuple des faubourgs »234.
210Paris est présentée tour à tour comme une très grande ville, obsédante par son nombre qui draine vers elle et fabrique l’élite d’un peuple unique et comme une ville qui abrite 20 villes qui sont autant de « petites patries ». L’unité de la capitale est une dimension de sa puissance, de sa capacité à figurer l’élite. La diversité fait partie de son charme, de son pittoresque. Les deux images coexistent sans que l’on puisse dire laquelle l’emporte sur l’autre. Pour Valéry, dans Regards sur le monde actuel (1927), Paris se distingue des autres métropoles par sa capacité à concentrer l’élite du peuple :
« C’est qu’il n’[...] est point [de ville] où, depuis des siècles, l’élite, en tous genres, d’un peuple ait été si jalousement concentrée ; où toute valeur ait du venir se faire reconnaître, subir l’épreuve des comparaisons, affronter la critique, la jalousie, la concurrence, la raillerie, et le dédain. Il n’est point d’autre ville où l’unité d’un peuple ait été élaborée et consommée par une suite aussi remarquable et aussi diverse de circonstances et le concours d’hommes si différents par le génie et les méthodes »235.
211En définitive chaque Parisien est amené à figurer une élite dans son domaine, que ce soit le travail manuel, artisanal, le travail intellectuel, la mode...
4.1. Les Beaux Quartiers
212Les « Beaux Quartiers » de Paris rassemblent une population aux contours moins bien délimités que ceux du « Tout-Paris » qui est le seul milieu Parisien dont on puisse aussi aisément donner les noms, décrire les visages, représenter les usages.
213Aragon dessine les contours de la « ville aisée » qui enserre le Bois de Boulogne, Neuilly, couvre le quartier Marbeuf, les Champs-Elysées, le parc Monceau, le quartier Pereire et se prolonge jusqu’à la Madeleine236. Il associe l’« ouest paisible » bien entretenu à une atmosphère où se mêlent la joie et la richesse : « [...] Sur l’autre rive débutent les beaux quartiers. Ouest paisible, coupé d’arbres, aux édifices bien peignés et clairs dont les volets de fer laissent passer à leurs fentes supérieures la joie et la chaleur, la sécurité, la richesse[...] »237.
214Il évoque les mœurs libertines, les salons mondains proches des milieux politiques, les prie-Dieu, les objets qui signalent le luxe facile, les loisirs bourgeois comme le bowling de la porte Maillot, le restaurant La Cascade au Bois de Boulogne, ou les courses. Edmond jeune étudiant en médecine pénètre dans ce milieu dont il apprend progressivement les usages en compagnie de sa maîtresse, Carlotta238. Ce monde des Beaux-Quartiers s’oppose dans ses usages à ceux des ouvriers comme à celui de la province. Il y vit un ensemble fini de personnes qu’Aragon désigne par le terme : le « Tout-Paris »239. Celui-ci rassemble des personnalités connues, reconnues, et argentées : « [...] La fièvre de Paris avait enveloppé Edmond, de ce Paris, brûlant, brillant, interdit à sa pauvreté d’étudiant. Il hésitait à reconnaître dix têtes cent fois vues sur les journaux, dans les caricatures [...] »240.
215Grâce au Bottin Mondain créé en 1897, il est facile de retrouver ces noms qui mêlent les puissances de l’argent, des arts et de la politique241. La confrontation des écrits de Maurice Sachs, de Cocteau, de Darius Milhaud, de l’abbé Mugnier, du couturier Poiret permet de dresser une sorte de liste des noms du Tout-Paris dont l’index qui se trouve à la fin de la Décade de l’Illusion242 pourrait constituer un bon exemple.
216Les écrits autobiographiques de Cocteau, de Maurice Sachs et de Léon-Paul Fargue permettent l’analyse de la vie de ce milieu qui se présente comme un univers fermé et qui pressent, dans les années 1930-1935 que son heure de gloire est terminée. Cette progressive disparition est à mettre en relation avec l’affaiblissement du rôle de la noblesse, composante sociologique essentielle de ce milieu. Léon-Paul Fargue constate, dans le Piéton de Paris, la fin de cette époque où la vie mondaine du Tout-Paris occupait le devant de la scène : « On ne saurait nier que la rue de la Paix, le café de Paris, l’hippodrome de Longchamp, les hôtels de la rue de Varenne, les ambassades, les cercles de la rue du faubourg Saint-Honoré aient été, pendant plus de trente ans les courbes d’un point de mire comme il n’en existera plus »243.
217Le journal de l’abbé Mugnier244, est également une bonne source de renseignements sur la vie quotidienne des mondains de Paris. Maurice Sachs, racontant la première annuelle des ballets de Diaghilev, définit ce qu’il faut entendre par le « tout-Paris » ; écrite avec une minuscule l’expression signifie « tout ce qui compte à Paris » :
« Avant qu’on lève le premier rideau, [...] on se montrait les personnes qui venaient occuper leurs places. Il y en avait de tous les milieux, de la meilleure société, de la pire et de ce curieux assemblage de vanités qu’on appelle le tout-Paris où trônent les bourgeois parvenus, les artistes du boulevard, les avocats et les médecins avancés, enfin tout ce qu’un peu de fortune ou de talent a suffisamment élevé au-dessus de l’anonymat sans toutefois les hausser au premier rang »245.
218Dans le milieu spécifique et fermé du Tout-Paris il existe un plaisir narcissique à dresser les listes nominales de ceux qui en sont. Maurice Sachs se complaît à dépeindre chacun des personnages ; il fournit ainsi une liste d’écrivains, d’artistes, de chanteurs, d’hommes politiques, de couturiers, de musiciens, et de nobles mécènes qui constituait le « Tout-Paris » des années folles et de l’époque de la prospérité ; cette très longue citation fera percevoir à quel point le Tout-Paris, se connaît, se reconnaît, s’identifie :
« Je revois très bien Raymond Radiguet immobile, la tête toute droite, son monocle, son air obstiné et secret que lui donnait le whisky, Jean Hugo toujours souriant (on est toujours sûr de son indifférence, disait une dame), avec deux yeux en boule qui regardaient (ce n’est pas ce que font tous les yeux), la mèche de Picasso, la manche vide de Cendrars [...] une grande quantité de mains qui appartenaient toutes au comte Etienne de Beaumont, le pied de Lifar sous la table, la bonne grosse figure de Jean Borlin, la petite moustache de Drian, et la grande moustache militaire du Maréchal Lyautey, les deux joues de Fargue un jour barbues, un jour pas, la verrue et la cape d’André Gide, le battement de paupières, l’œil étonné d’Yvonne Printemps, la petite cravate bleue de Gaston Gallimard, l’hermine d’Yvonne George, les cheveux frisés d’Arthur Rubinstein, la frange de Missia Sert, le sourcil unique de Chanel, le grand-duc Dimitri qui n’était que jambes et bras, la barbiche de Satie, le petit ventre d’Auric qui commençait à s’arrondir, le sourire massif de Derain et son bras qu’il vous tend comme une trompe et parfois j’entends se répéter en moi, parmi cent rumeurs du passé, cette voix de Waldemar George qui lui sort par les oreilles comme du coton, le fracas, le tonnerre, la fureur, les mots épais et l’affection soudaine que manifestait Florent Fels, l’indolence aimable, la voix au bout des lèvres de Robert Trébor, l’accent passionné, la voix éparse, la douleur contenue et prête à déferler de Lucienne Boggaert, le rythme coupant sur lequel parle Marcel Herrant, la voix ondulée du comte Jean de Segonzac, entre des voix lourdes, des voix basses, des voix d’eau chaude, des voix glacées, des voix pédantes, bonhommes, camarades, arrivées, étonnées, suffisantes, sourdes, le ton aventurier, gaillard, assuré, satisfait de Simenon, la fatigue des veilles, de la fumée, des boissons qui envahit peu à peu le monologue fluent, poétique et las de Fargue, l’amertume purulente qui tombe goutte à goutte des lèvres de Marcel Jouhandeau, le ton pieux, égrillard et compassé de Paul Bourget venu se documenter pour écrire le Danseur mondain, la harangue pâteuse, trouble, vague, la fatigue bavarde de Claude Farrère, les silences de Marcel Aymé, la voix emphatique, caverneuse et gonflée de José-Maria Sert, l’optimisme bien nourri, la voix prometteuse de Ramon Fernandez, l’accent anglais héréditaire du vicomte Charles de Noailles, l’enthousiasme, les éclats, le ravissement continu de Melle Le Chevrel, le ton alternativement chanté, puis vif, mielleux, dévot et plein d’une vaniteuse humilité de Max Jacob, l’entêtement bourru, la manière explicative, la voix paysanne et brûlante de Chanel, l’accent grave, l’accent définitif de Pierre Reverdy, la voix fusante d’André Fraigneau, et le récit en sourires et silences dont Emmanuel Boudot-Lamotte ne dit que la moitié, la voix rancunière, haineuse, puis la façon bonhomme, le rire engageant, puis mauvais, la plaisanterie courte mais coupante comme un coup de fouet de Picasso, la voix ronde, amicale, le rire court, aimable et beurré de Georges Auric, la voix de Francis Poulenc qui lui sort du nez, cette voix un peu brisée par l’âge mais toute jeune cependant et d’un tendre enfant de Stephen Hudson, la voix basse, presque perdue, puis retrouvée, remontante et bien assaisonnée de Paul Claudel, où se relèvent de phrase en phrase les troupes graves et ordonnées d’un vocabulaire en somptueux uniforme de parade, le rire gras, bavard, incompréhensible et barbu de Tristan Bernard, la voix tiède de Jacques-Emile Blanche et par-dessus toutes ce bruit de vitres brisées que faisait la voix enchantante de Cocteau, qui résonnait par-dessus les tables [...] »246.
219Cette époque s’achève pour Sachs en 1927-1928 quand il voit disparaître les grands salons mondains, les « maisons-clefs »247.
220Victor Margueritte, dans La Garçonne fait la description du Tout-Paris après la première guerre mondiale comme d’un milieu mondain, imbu de lui-même, hypocrite et profiteur, auquel Monique Lherbier - la garçonne - en quête d’une autre morale manifeste son opposition en menant une vie libre de plaisir et de débauche face à un milieu bien-pensant dont les ventes de bienfaisance sont une des activités favorites248.
221Ces quelques exemples montrent que les Beaux-Quartiers et le Tout-Paris représentent une zone et une population de Paris qu’il est aisé de délimiter, de décrire, d’observer. Elle est un sujet favori des hommes de lettres qui vivent à Paris dans la décennie postérieure à la première guerre mondiale.
4. 2. Le peuple parisien
222Les contours du Paris populaire et de sa population semblent plus difficiles à appréhender, à délimiter géographiquement et socialement que ceux des Beaux Quartiers. Dans les années Folles, il est beaucoup plus fréquent que les écrivains prennent pour sujet les Beaux Quartiers, plutôt que le peuple parisien. De nombreux écrits consacrés à Paris ne s’intéressent qu’au décor parisien. Certains auteurs américains restent confinés dans un milieu étroit ; les membres du Tout-Paris sortent rarement de leur milieu ; les surréalistes s’intéressent plus à la foule de la grande ville qu’au peuple proprement dit. Les visions du peuple de Paris sont souvent révélatrices des pensées politiques de leurs auteurs.
223« Le populaire » hante les écrits d’écrivains comme Carco ou Mac Orlan attachés à dépeindre le fantastique social, mais ce n’est qu’après 1928, que l’on trouve chez un certain nombre d’écrivains une volonté de placer le peuple de Paris au centre de leurs écrits.
224A l’extrême droite Léon Daudet, Brasillach, Jean Valdour249 transforment le peuple parisien en conservateur de l’esprit national. A ce titre il possède des traits caractéristiques de la société française. Pour Léon Daudet, Paris recèle une « aristocratie ouvrière » dépositaire confirmée de l’esprit parisien, de la culture et de l’esprit politique, d’un véritable savoir-faire ouvrier, qui se distingue de la population des faubourgs ouvriers souvent plus sujette, selon Daudet à des manipulations politiques : il faut donc entendre par là que cette population exprime plus souvent des convictions politiques de gauche. Cette aristocratie ouvrière parisienne intègre les principaux attributs de la ville de Paris qui sont la dimension culturelle, associée à celle du politique, et celle du travail comme savoir-faire. Daudet trouve des « spécimens » de cette population ouvrière dans les hôpitaux, chez les « typos » de son journal250, chez les infirmiers, les chauffeurs, les garçons de restaurant, les marchands de vin et dans d’autres professions.
« Il y a [dit Daudet] une élite ouvrière, notamment à Paris, passionnée par les choses de l’esprit et les discussions théoriques et politiques, en même temps qu’habile en sa technique, et que je considère comme une véritable aristocratie [...]. Un ouvrier de Paris à l’esprit ouvert est plus intéressant, à mon avis qu’un bourgeois de même niveau intellectuel, parce qu’il n’est pas gâté par la convention, l’apprêt, le chiqué, le vernis d’académie, de faculté, de salon »251.
225A la différence de l’élite ouvrière, l’ouvrier parisien est pour Daudet plus vulnérable parce que moins attaché que les paysans aux solides valeurs de l’épargne et très accessible aux discours démocratiques : « [...] Malheureusement il n’a pas, comme le paysan, la possibilité de l’épargne, il est ostentatoire et généreux. Tout le problème pour lui est là. Enfin la démocratie a fait de lui une dupe, alternativement irritée et résignée, un escabeau pour politiciens, en proie à un continuel malaise et qui même bien doué voit l’avenir de sa famille incertain »252.
226Les faubourgs sont peuplés de provinciaux fraîchement transplantés et d’authentiques Parisiens dont la langue est le « parigot » qui se signale par « l’accent, la syntaxe, les intonations, les ellipses, les abréviations [...]. Le parigot est à l’argot ce que l’idiome est au dialecte, et les inflexions traînantes, et comme négligentes de la voix, dues pour une part à la localisation angulo-labiale de la cigarette, en font partie »253.
227Dans chaque faubourg, Daudet retrouve des personnages typiques et bien français qui sont le « pochard », la « ménagère », le « Bohème »254. Il circonscrit les quartiers juifs du Marais, les quartiers arabes du 18e arrondissement dont il offre des descriptions violentes.
228Daudet est sensible aux séparations sociales dans la ville ; dans sa pensée d’homme de droite elles s’associent à un possible danger social. Nous le percevons dans la description de la rue de la Roquette : « [...] Bon nombre de mannequins de petit style, de petites ouvrières et de dactylos, ont ici leur taudis fixe, auprès du papa poivrot et ratiocineur, de maman la râleuse et des gosses criards. Des autos de luxe passent, montant vers la nécropole. L’ambiance est de gêne et de malaise social, mais on sent qu’elle deviendrait aisément d’émeute »255.
229Dans une vision comparable Robert Brasillach évoque les personnages mythologiques du Paris populaire du 15e arrondissement : « le vieux petit boulanger », « la teinturière », « la concierge », « la femme de ménage », « l’Italien marchand de jambon »256. Il dépeint avec hargne ce qu’il nomme les trois « ghettos juifs » de Paris : le Marais, Montmartre et les Beaux Quartiers. « [...] [le Marais où] Les ghettos de l’Europe Centrale avaient déversé leurs Juifs à chapeau de fourrure, leur crasse, leur patois, leurs commerces, leurs boucheries Kasher, leurs restaurants à quarante sous, pour un rapide décrassage avant les ghettos commerçants du faubourg Montmartre, les ghettos luxueux de l’avenue du Bois et de Passy »257.
230D’après ces exemples, il nous semble important de relever le goût manifesté par l’extrême droite intellectuelle pour un certain esprit parisien dans lequel elle retrouve des vertus provinciales et françaises, qu’elle oppose aux caractères des quartiers de Paris peuplés de juifs ou d’étrangers.
231Le peuple des quartiers de l’est parisien et de Belleville en particulier est au centre des préoccupations et de l’intérêt des intellectuels membres des Équipes sociales animées par Robert Garric. Celui-ci est un Normalien, originaire d’Aurillac, devenu professeur de l’École Normale libre Sainte-Marie de Neuilly. Mobilisé en 1917, l’expérience de la Grande Guerre et de la fraternité des tranchées est pour lui fondatrice. En 1919, il fonde les Équipes sociales, sortes d’universités populaires catholiques, qui vont durer de 1919 à 1939258. Ces équipes sont composées d’intellectuels, Polytechniciens, Normaliens..., qui se tournent vers le peuple qu’elles cherchent à rencontrer et qu’elles considèrent comme le dépositaire de l’esprit chrétien et fraternel, tel qu’il s’est manifesté dans la « fraternité des tranchées ».
232Robert Garric lui-même s’est installé à Belleville entre, 1924 et 1928. Il souhaitait aller à la rencontre du peuple grâce à ces Équipes sociales dont il a développé le projet à la Fondation Thiers entre 1926 et 1927259. Parmi les membres des Équipes sociales, on trouve des hommes comme Fontanet, Leprince-Ringuet. Leur propos était de rencontrer le peuple, de le connaître, de l’aider à se cultiver.
233Garric expose une partie de son expérience dans Belleville, scènes de la vie populaire260. Les équipes sociales avaient un local basé au 162 rue de Belleville (d’ailleurs resté dispensaire des Équipes sociales) dans le 20e arrondissement. Garric lui-même anime des « cercles d’études » où l’on lit Chateaubriand, Lacordaire, Michelet. Les Equipes sociales invitent à des débats, sans aucun esprit de sectarisme puisque peuvent y assister des personnalités aussi différentes que Paul Vaillant-Couturier ou le maréchal Lyautey, c’est à dire les personnalités parisiennes enclines à une activité militante ou missionnaire dans l’est parisien.
234A Belleville, R. Garric rencontre le peuple « coléreux » mais digne dans sa pauvreté, qui aime s’amuser, qui a soif de culture. « Le peuple, ce peuple de Belleville et de France, est, dit-il, essentiellement chrétien »261.
235Belleville est donné en exemple, en tant que dépositaire d’une vertu spécifique du peuple chrétien et du peuple de France. Ses habitants portent témoignage de son histoire. Ainsi le personnage de Madame Marchandot, vieille Bellevilloise, dont les parents sont nés à Belleville permet de se remémorer le vieux Belleville, « où l’on était en village »262 : quand « Paris était loin, on montait à Belleville pour festoyer »263.
236Selon Robert Garric, Belleville participe de l’intellectualité du peuple chrétien et du peuple de France qui anime « jusqu’au dernier de ses manœuvres », tel est au fond, l’objet de la foi spécifique et de l’optimisme de Garric. Il croit en un peuple intelligent et chrétien et s’interroge :
« Y a-t-il dans l’air de cette grande cité quelque fièvre intellectuelle, qui gagne jusqu’au dernier de ses manœuvres ? Tout est-il donc si touchant pour l’intelligence que l’on ne puisse s’empêcher de penser ? La Concorde et les Champs-Elysées, le Louvre et les quais de la Seine composent-ils un tel prestige que le plus jeune y soit sensible et y sente une indication à rêver ? »264.
237Paris est pour Garric une ville du Livre265 qui communique au peuple un désir d’intellectualité. Il en appelle donc à la venue des artistes à Belleville : « J’attends la venue des artistes. Allons Copeau, Dullin, Gémier, Jouvet, quand viendrez-vous à Belleville ? Quand apporterez-vous à ce peuple avide de beau et dont on fausse le goût, quelques-unes de ces grandes œuvres où vient se rafraîchir l’humanité ? »266.
238Dabit et Garric représentent la misère populaire ; Léon Daudet oppose un peuple parisien et français au populaire étranger ; Céline restitue les « ombres mauvaises du petit peuple de Paris »267.
239Ramon Fernandez, dans la critique qu’il rédige pour le journal de gauche, Marianne, le 16 novembre 1932 explique comment Céline fait surgir
« Tous les faits divers que nous parcourons dans notre journal, d’un œil engourdi par l’habitude [...] : Vieille mère dont on complote de se débarrasser, fillette battue pour exciter la lubricité de ses parents, avortements, dispensaires louches, crimes médités, crimes réussis, crimes ratés, rien n’y manque. Et tout cela dans une atmosphère d’haleines fétides, d’odeurs fécales, de suintements, d’urine moisie, à décourager le plus enthousiaste des naturalistes [...] »268.
240Eugène Dabit est un des rares écrivains parisiens qui vit dans le peuple et dépeint les effets de la crise économique de 1931-1935 sur la vie quotidienne des travailleurs. Il mesure d’ailleurs l’écart entre la vie intellectuelle les « conversations profondes, les bavardages »269 avec des intellectuels, des artistes ou des bourgeois et l’atmosphère tragique de la crise telle que la vivent les locataires de l’Hôtel du Nord : « De mois en mois à l’Hôtel du Nord - comme dans tous les hôtels des faubourgs - la vie est devenue plus difficile. Les étrangers, les premiers, sont partis : Italiens, Polonais, Arméniens ; ensuite, des provinciaux qui ont regagné leur ville ou leur village et qu’on ne reverra plus »270.
241Chez Eugène Dabit, que les critiques de l’époque rapprochaient fréquemment de Céline, et qui a, d’ailleurs joué un rôle dans l’élaboration du Voyage au bout de la nuit, le peuple de Paris prend une dimension positive. Eugène Dabit avait le projet de composer un roman, Capitale qui serait une histoire de Paris entre 1900 et 1940 à partir de plusieurs textes écrits entre 1931 et 1935271. Dans ces textes il tente de raconter la vie anonyme et difficile des hommes du peuple qu’il côtoie tous les jours, dans le métro, à l’Hôtel du Nord, dans les bals de Belleville... Le Métro est l’occasion d’évoquer l’atmosphère des foules parisiennes, « la fatigue, la maladie, la vanité, la bêtise » [...], les « regards mauvais », les odeurs « des Halles, des parfums bon marché, du désinfectant, et la sueur et la crasse [...] »272.
242Aragon quant à lui, oppose les mœurs populaires à celles des Beaux Quartiers, celles des Parisiens à celles des provinciaux. Le peuple de Paris se trouve au-delà de la zone, dans la banlieue rouge. Cependant Armand, le frère d’Edmond découvre dans la nuit les métiers nocturnes des Parisiens, au cœur de traditions bien enracinées. Les travailleurs des Halles sont longuement décrits : « [...] Il en sortit un groupe de consommateurs à décrocher l’enseigne : bouchers vêtus de blanc et maculés d’un sang brunâtre, parlant fort, au-dessus de leurs épaules surhumaines. Des types en casquettes se hâtaient en tout sens. [...] Le groupe des bouchers vira de bord, de petits coltineurs hâves lâchèrent leurs diables chargés de boîtes et de navets »273.
243Comme Léon Daudet, Aragon convoque les « typos », mais leurs penchants politiques ne sont pas pour plaire à l’écrivain communiste : « Le quartier du Croissant sent le papier mouillé, l’encre, les vieux vêtements, et non plus, le fromage et les abattis [...] »274
244« [Les « typos »] ont à la bouche l’imprécation, l’obscénité, la plaisanterie. Ils ont au cœur la rage du travail nocturne. Parmi eux, les idéologies baroques croissent comme la mauvaise herbe, et leur quartier, à travers les senteurs de l’encre et du papier, respire l’odeur de l’anarchie »275.
245Les Hommes de Bonne volonté de Jules Romains offrent à la fois l’idée d’une tradition parisienne représentée par des « types » et des trajectoires sociales, et celle d’une grande ville que l’on peut embrasser dans son ensemble, et qui respecte l’anonymat des foules.
246Méditant sur Paris, Jerphanion provincial originaire du Puy, évoque en pensée Jallez qu’il admire : « Et Jallez est le plus fort de tous. Que peuvent-ils lui contester ? Reçu avec éclat ; Parisien de Paris ; quand il veut, une conversation étincelante ; une culture qui les assoit ; dont on ne sent jamais les sources ; et tout ce qu’on devine derrière, qu’il garde soigneusement pour lui »276.
247Jerphanion, quant à lui se vit comme un « Parisien récent, peu au fait des ressources de la ville et gauche dans sa façon d’en user »277.
248Les ouvriers parisiens, auxquels Jules Romains consacre un chapitre du « 6 octobre » ont une allure qui leur est propre, des traditions professionnelles et idéologiques. Victor Miraud, ancien ouvrier peintre et fils de quarante-huitard représente le type parisien278 tel qu’on le retrouve dans la plupart des œuvres contemporaines à thème ouvrier :
« Victor Miraud, qui était de vieille souche parisienne, avait un visage, et toute une apparence physique, d’un type singulier, qu’on retrouve de temps en temps dans de vieux quartiers populaires, spécialement en haut de Belleville, à Ménilmontant, faubourg Saint-Antoine, ou sur la pente sud de la butte Montmartre, sans qu’on puisse deviner à quelle race ou mélange de races il doit son origine [...]. C’est la tête surtout qui est curieuse : assez grosse, plutôt cubique, la face plate et carrée [...] » et « La voix a le vieil accent parisien dont celui des faubourgs actuels est une forme dégénérée, avilie ; vieil accent où se traduisent à la fois la promptitude de l’esprit et la patience de l’humeur, une nuance de vanité protectrice, et la peur de s’en faire accroire »279.
249Quant à Roquin, Il représente l’ouvrier de métier, ébéniste du faubourg Saint-Antoine, confronté au goût moderne, au développement du machinisme qui transforme le métier parisien du meuble en « industrie du meuble ». Alors que Miraud et Roquin ont des convictions proches, Roquin éprouve plus de difficultés à s’adapter au monde moderne il se sent dépositaire nostalgique d’une histoire du meuble à Paris. Jules Romains nous fait ici comprendre à travers ces vies ouvrières les problèmes des ouvriers parisiens dépossédés d’une partie de leur histoire par la modernisation. L’engagement politique, les traditions républicaines et démocratiques apparaissent comme un moyen d’intégration des ouvriers dans la cité : « Déjà l’on disait l’industrie du meuble. Il [Roquin] comprenait bien que l’effet du machinisme n’est pas seulement de concentrer les capitaux ; mais qu’il concentre aussi le pouvoir créateur, la force de l’esprit »280.
250Le propre de la Grande Ville, telle qu’elle est présentée par Jules Romains, c’est de mêler à des types, des métiers, présents dans les rues, les maisons, la possibilité de l’anonymat. La rue est à la fois le lieu des métiers et celui où circule le passant anonyme pour la foule. « Rue des Amandiers », un passant traverse les boutiques des cordonniers, bistrots, fruitiers, marchands de salaisons d’Auvergne. Jules Romains montre comment la rue des grandes villes accompagne le passant qui éprouve le « sentiment si précieux de l’anonymat, qui est la grâce des grandes villes [...] », à l’opposé de la « curiosité provinciale »281.
251Les Parisiens tels que nous les trouvons décrits dans ces écrits de l’entre-deux-guerres représentent un monde en mutation. Plusieurs milieux s’y côtoient : le Tout-Paris, milieu qui mêle la noblesse les intellectuels les plus huppés, les grands noms, est un monde fermé sur lui-même qui prétend représenter Paris et l’époque, mais qui perçoit à quel point le Paris de la Belle Époque s’éloigne.
252Les Parisiens ne représentent pas un monde homogène mais nous y repérons des lignes de séparations sociales, des différences entre des milieux traditionnels dans leurs métiers, leurs activités et des milieux modernes.
253Le peuple semble souvent mal connu : les descriptions qui le concernent présentent des « personnages », des « types » plutôt que des êtres complexes. Seul Céline semble produire un effet de « réel ». Les regards sur le peuple de Paris révèlent à quel point dans cette ville, plus que dans une autre, la proximité de la Révolution transforme toute vision du peuple en enjeu idéologique. Peuple dépositaire de la tradition française dans les écrits de la droite politique et de l’extrême droite. Peuple aux traditions politiques affirmées chez Louis Aragon, peuple misérable et malheureux que Garric veut former et entraîner, peuple jouet du capitalisme chez Eugène Dabit.
254De nombreux écrits nous présentent Paris comme une ville émiettée en quartiers ayant chacun leur identité propre. Les quartiers peuplés de Juifs ou d’étrangers sont délimités avec précision. Peu d’écrits nous donnent une vision d’ensemble de la grande ville, de la circulation dans l’agglomération et des mouvements de la foule. A cet égard Jules Romains semble un des seuls écrivains qui nous fasse percevoir la dimension, le mouvement d’une agglomération moderne.
5. VILLE-AIMANT
255L’historien François Loyer remarquait qu’une des conséquences de l’action du Baron Haussmann sur l’urbanisme parisien était d’avoir fait de Paris une ville lisible. Paris était déjà la Ville du Livre, de la Culture, de la Sorbonne et des bibliothèques. Elle était la ville de l’Histoire, histoire accélérée, scandée par des révolutions, elle devient maintenant, de plus en plus aux yeux des hommes de lettres, une ville que l’on peut lire et déchiffrer comme un livre, dans laquelle se rencontrent les quêtes d’intellectuels venus du monde entier attirés par telle ou telle dimension de la capitale mondiale. La circulation de l’image parisienne dans le monde, tout en expliquant l’attrait qu’exerce la ville sur les élites du monde entier refaçonne l’image que les Parisiens se font et donnent d’eux-mêmes. Les hommes de lettres sont en situation : la vision de Paris se modifie dans le contexte politique de l’âge de la victoire, des joies débridées des années folles, des interrogations liées aux crises des années 30.
5.1. Les lectures de la ville
256« Paris » peut se lire selon plusieurs méthodes : nous avons évoqué précédemment, dans notre chapitre consacré aux Guides de tourisme les lectures de Paris par Jules Romains, comme celles qui se dégagent des itinéraires proposés par les guides
257De façon remarquable nous avons retrouvé chez plusieurs auteurs l’image de la ville qui se déchiffre comme les lignes de la main.
258Jules Romains utilise l’image de Paris qui, dit-il « s’ouvrait comme une main chargée de pouvoirs ». Les lignes-force sont la ligne de la richesse, la ligne des affaires, la ligne de l’amour charnel, la ligne du travail, celle de la pensée, celle du plaisir et d’autres encore qu’il faut « déchiffrer ». Avant Jules Romains, Joseph Delteil, dans les Chats de Paris comparait Paris à une main aux cinq doigts. Les doigts correspondent à des monuments, des zones, des attributs de Paris :
« Le pouce, c’est la Bourse ! Le poids, l’argent, la passion [...]. Un grand diable passait avec un fouet de flamme. C’était la Tour-Eiffel. La Tour Eiffel est l’index de Paris. L’index : ce qui montre, dirige et préfigure. Le symbole du destin. La barre. L’index empenné d’ondes, braqué sur l’avenir [...]. Le majeur, ne serait-ce pas le Palais-Bourbon - au moins par antinomie ? Cette bande de petits nageurs, à eux tous ils peuvent bien faire un majeur. D’ailleurs, les majeurs, ça n’a pas grande importance [...]. Voici Montmartre, notre annulaire annelé comme un ver luisant [...]. Le lieu où tout s’annelle, bien et mal, beau et laid. Le Sacré-Cœur avec la coco [...]. Auriculaire : cette terminologie va comme un gant aux boulevards. Grattez-vous l’oreille, chers messieurs blancs, l’oreille et tout le tralala. Les théâtres, ce soir, brillent de cérumen [...] »282.
259Nous remarquerons le parallélisme des interprétations, Joseph Delteil insistant davantage sur le rôle des monuments. Aragon évoque le Paris nocturne qui s’« ouvrait au provincial comme la main d’un inconnu »283.
260Le jeune Armand des Beaux-Quartiers se laisse mener dans la nuit du quartier des Écoles, jusqu’à la Seine, puis rive droite, passe par le théâtre Sarah Bernhardt, les Halles, la rue du Croissant.
261Lire les lignes permet aussi de prédire et de prévoir l’avenir de Paris dont beaucoup se demandent s’il sera comparable à celui de New-York. Paul Morand dresse un panorama de New-York et affirme : « Son aventure sera la nôtre »284.
262Il rapporte un échange avec Cocteau : « « En somme, me disait Cocteau, tu vas à New-York te faire lire dans la main ». C’est bien cela, et ensuite appliquer à l’Europe ce que j’ai vu, et ainsi prédire [...]. On oublie trop que New-York a été ce que sont, ce que furent Londres et Paris »285.
263Cette comparaison de Paris avec une « main » dont les lignes sont déchiffrables renvoie à l’idée d’un sens de la ville qu’il faut déchiffrer, et qui est inscrite dans son destin.
264Paris est pour les intellectuels une capitale de rang mondial, en premier lieu ville de la Culture et de l’Histoire. Elle est parée d’autres attributs qui renvoient à un sens universel. Pour cette raison elle est tour à tour nommée Jérusalem, Babel, Babylone.
265La qualité de Paris comme ville de la Culture et de l’Histoire apparaît dans les références littéraires au travers desquelles chacun perçoit Paris. Paris est associé à leurs auteurs préférés, à leur culture. Comme le met en évidence Walter Benjamin, « La ville se reflète dans mille yeux, mille objectifs. Car ce ne sont pas seulement le ciel et l’atmosphère, pas seulement les publicités lumineuses sur les boulevards du soir qui ont fait de Paris la « Ville-Lumière »... »286.
266Les références à Balzac, Hugo, Mürger, Zola, Drumont, Apollinaire, Charles-Louis Philippe, Carco, Mac Orlan, Dabit, Nguyen Trong Hiep, René Clair, constituent un véritable corpus. Nous en prendrons quelques exemples.
267Quand il était encore étudiant, Robert Brasillach avait écrit comme mémoire pour son Diplôme d’études supérieures un Paris de Balzac287. Il explique, dans Notre avant-guerre, comment, dans le milieu de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm à Paris, « Nous apprenions de René Clair à connaître Paris, comme nous l’apprenions de Baudelaire, de Balzac... Attentifs à ce que nous enseignaient les films de René Clair, nous regardions autour de nous les quartiers populaires, les petites figures simples et curieuses »288
268C’est à travers le passé que s’élabore le « goût de Brasillach pour la ville sacrée »289.
269L’introduction du piéton de Paris de Léon-Paul Fargue290 évoque Charles-Louis Philippe, l’auteur très apprécié de Bubu de Montparnasse291, histoire d’une prostituée, Berthe Meténier qui a fait la connaissance de Bubu-de-Montparnasse, qui a cédé à l’attrait de l’argent facile. Berthe rencontre par ailleurs l’amour de Pierre Hardy : « La figure de Bubu de Montparnasse le héros de mon pauvre grand Charles-Louis Philippe. Bubu était le marlou d’avant la guerre, relativement sage et presque sentimental. Il allait de temps en temps rendre visite à sa mère, qui était épicière avenue du Maine... »292.
270Ainsi les livres de Henry Miller293 et d’Anaïs Nin294 sont imprégnés de la vision du Paris des surréalistes comme de celle de Charles-Louis Philippe : « Henry [dit A. Nin,] se mit à parler de Bubu de Montparnasse, de sa propre vie à la Bubu, de sa vie de clochard, des putains qu’il avait connues, de la famine... »295.
271Il nous faut souligner cet intérêt manifesté par plusieurs écrivains pour Charles-Louis Philippe296. Ce dernier s’inscrit dans un courant de littérature populiste du début du siècle. Il participe du « Groupe de l’Enclos » qui se réunit autour de Léon Frapié. Ses romans à résonances autobiographiques présentent Paris comme un piège. Ils ouvrent à la compréhension de la pauvreté. Après la mort de Charles-Louis Philippe, il se développa une sorte de culte autour de sa personne, qui aboutit à la création en 1935 d’une « Association Internationale des amis de Charles-Louis Philippe », dans laquelle on retrouve Emile Guillaumin, Valéry Larbaud, Paul Claudel, Daniel Halévy, Jean Giraudoux, Gaston Gallimard...
272Walter Benjamin prend pour références : Maxime du Camp, Baudelaire, Nguyen-Trong-Hiep, la Princesse Bibesco, Mario de Bucovitch et Paul Morand.
273Les rues parisiennes sont chargées d’histoire, chacun évoquant les souvenirs historiques liés à sa propre tradition. Ainsi procède Léon Daudet :
« [...] La tragédie de cet infortuné Jaurès m’a fourni l’explication de toute la rue Montmartre, de même que l’assassinat d’Henri IV expliquait la rue de la Ferronnerie. Les voies et artères d’une ville comme Paris sont des préparations d’événement heureux ou terribles, de naissances d’hommes bienfaisants, ou funestes, d’insurrections, de meurtres, d’avortements, de savants, de soldats, ou de poètes de génie, et de bien d’autres circonstances rassurantes, réconfortantes, ou fatales, enfermées dans des bipèdes humains [...] »297.
274L’écrivain juif autrichien Stefan Zweig, qui se présente lui-même en « juif, écrivain, humaniste, pacifiste »298 raconte son premier séjour à Paris, baptisée « ville de l’éternelle jeunesse », et sa recherche de la Ville de l’Histoire et de la littérature étroitement imbriquées à ses yeux : « Avec mes sens en éveil, j’étais aussi en quête du Paris de Henri IV, de Napoléon, et de la Révolution, du Paris de Rétif de la Bretonne, et de Balzac, de Zola et Louis-Philippe, avec toutes ses rues, ses visages et ses événements »299.
275La perception de Paris pour les hommes de lettres passe bien souvent par leurs auteurs préférés.
5. 2. Le sens profond : histoire et modernité
276Plusieurs étrangers à Paris sont frappés, dans leur analyse par la personnalité parisienne contrastée qui mêle la dimension historique, culturelle et moderne.
277Le professeur allemand Ernst-Robert Curtius consacre un chapitre de 42 pages d’un livre qui en compte 331, à « Paris » dans son Essai sur la France300 publié en 1931. Ernst-Robert Curtius donne l’histoire de Paris comme « un chapitre d’histoire universelle ». Il s’attache à montrer comment Paris est une catégorie de « l’idée française de civilisation » qui s’est forgée dans l’histoire nationale inscrite dans la Terre de France, dans l’histoire de la chrétienté, dans l’idée de « mission nationale », universelle et civilisatrice propagée par la Révolution. Curtius veut écrire un livre d’initiation à la France afin de faire comprendre la civilisation française aux Allemands301. En France, explique Ernst-Robert Curtius « L’État, la nation, la culture, ces trois termes sont inséparables dans la conscience française »302. L’idée française de civilisation, selon Curtius,
« embrasse à la fois les formes les plus diverses de l’existence humaine. Elle continue en cela, l’idéal de culture antique. Elle en a l’envergure, qui s’étend des normes matérielles aux normes spirituelles, de la technique à la morale. On peut dire qu’en France la civilisation commence avec l’art culinaire. La gastronomie en fait partie. La mode aussi. La politesse également. Bref, toutes les manifestations de la vie empruntent un rayon à son auréole. Et ces manifestations ne sont pas seulement le privilège des classes cultivées, elles sont accessibles à tous [...] »303.
278Paris est une catégorie essentielle de la nation française. Cette nation est personnifiée. La France a su forger son propre mythe. Paris est le « cœur et le cerveau du pays, ce que l’on ne pourrait affirmer d’aucune autre capitale, pas même de Rome »304. Curtius dit son étonnement devant la « fusion étroite du passé le plus lointain et du présent le plus immédiat »305 qui en fait une ville très contrastée et qui conserve cependant « une unité d’atmosphère et de tonalité [...] »306.
279L’Essai sur la France de Curtius s’achève sur une réflexion quant aux « Caractères essentiels du génie français » qui passe par une personnification de la France et le développement d’un véritable culte de la culture française dont Paris est un élément fondamental. « Paris », est intégré physiquement au personnage de la France et s’adresse à la fois à l’intelligence et aux sentiments des Français307.
280La recherche qui s’exprime dans Paris, la ville dans le miroir renvoie à Walter Benjamin, juif allemand, influencé par la théorie marxiste et ami du spécialiste de Kabbale juive Gershom Scholem308. Benjamin tente d’élucider le lien entre deux dimensions historiques de Paris, capitale du xixe siècle : Paris, ville du capitalisme, de la marchandise et de la mode, et Paris, capitale des révoltes et des révolutions. Cette ambivalence même explique l’attraction exercée par Paris, comparée au Vésuve :
« Paris, est dans l’ordre social le pendant de ce qu’est le Vésuve dans l’ordre géographique. Un massif menaçant, dangereux, un foyer toujours actif de révolution, un Juin 1848 toujours actif. Mais, de même que les pentes du Vésuve sont devenues des vergers paradisiaques grâce aux coulées de lave qui les couvraient, de même l’art, la vie mondaine, la mode s’épanouissent comme nulle part ailleurs sur la lave des révolutions »309.
281« Paris, Capitale du xixe siècle » est marqué par l’apparition des passages, lieux d’exposition de la marchandise dans lesquels triomphe l’architecture du fer, par le goût pour les panoramas qui annoncent l’époque du film et du film sonore ; quant aux expositions universelles, elles représentent à la fois un triomphe de la marchandise mais aussi « [...] Elles inaugurent une fantasmagorie à laquelle l’homme se livre pour se laisser distraire. L’industrie du divertissement l’y aide en l’élevant au niveau de marchandise »310.
282Le règne de Louis-Philippe se signale par le triomphe de l’intérieur bourgeois, décoré, ornementé dans lequel l’art trouve un refuge. L’époque d’Haussmann est l’âge d’or de la spéculation. Le prolétariat est chassé de Paris :
« L’enchérissement des loyers, dit Benjamin, refoule le prolétariat dans les faubourgs. Ainsi les quartiers de Paris perdent leur physionomie propre. Naît la ceinture rouge [...]. [L’œuvre d’Haussmann] fait de Paris pour ses habitants une ville étrangère. Ils ne s’y sentent plus chez eux. Ils commencent à prendre conscience du caractère inhumain de la grande ville [...].
Le vrai but des travaux d’Haussmann était la protection de la ville contre la guerre civile »311.
283L’incendie de Paris sous la Commune, représente le triomphe de l’œuvre destructrice de Haussmann.
284Les passages, les panoramas, les Expositions, sont les éléments d’un rêve sur l’époque présente mais ils annoncent aussi, selon W. Benjamin, la fin prochaine du règne de la bourgeoisie.
285Selon nous, Walter Benjamin était très influencé par les modes d’interprétation des textes juifs, même si lui-même, comme le souligne Gershom Scholem ne connaissait pas l’hébreu (qu’il avait d’ailleurs le projet d’apprendre). On pourrait donc, avec audace tenter une interprétation de la lecture benjaminienne de Paris.
286Dans la tradition juive, quatre niveaux de lecture permettent d’accéder au sens profond d’un texte : le sens littéral, le sens allégorique, l’interprétation, le sens profond312. Les initiales de noms qui composent chaque désignation d’un niveau de sens composent le mot Pardès (le paradis, le fait d’accéder au sens de la Torah). L’intérêt manifesté par Walter Benjamin pour l’approche surréaliste du Paysan de Paris traduit cette volonté d’explorer un niveau d’interprétation, celui de l’allégorie.
287Benjamin, autour de 1926, suit de très près la démarche de Louis Aragon. Ce dernier considère que les passages parisiens, voués à la disparition depuis les travaux de Haussmann sont les « receleurs de plusieurs mythes modernes », les « sanctuaires d’un culte de l’éphémère »313. L’itinéraire du Paysan de Paris le conduit ensuite vers le
288Parc des Buttes-Chaumont, qui ouvrent le promeneur-citadin à la découverte d’une mythologie moderne dans un parc où peuvent s’exprimer les rêves de l’habitant des villes.
289Benjamin parle du passage de l’Opéra sur lequel s’est penché Aragon dans le Paysan de Paris (1926) :
« Le percement du boulevard Haussmann a fait disparaître ce passage auquel Louis Aragon a consacré 135 pages. L’addition de ces trois chiffres fait apparaître le nombre neuf, le nombre des muses qui ont servi de sages-femmes pour la naissance du petit surréalisme. Ces muses robustes s’appelaient : Ballhorn, Lénine, Luna, Freud, Mors, Marlitt et Citroën »314.
290Le langage même dans lequel s’exprime Benjamin montre l’influence exercée par les traditions juives qui ont coutume de décrypter un sens dans la logique numérologique. Le texte de Paris, la ville dans le miroir est un exemple d’interprétation d’une ville que la tradition lie au livre, donc au sens profond de l’humain : « Aucune ville n’est liée aussi intimement au livre que Paris. [...] Depuis des siècles le lierre des feuilles savantes s’est attaché sur les quais de la Seine : Paris est la grande salle de lecture d’une bibliothèque que traverse la Seine »315.
291Il ajoute d’ailleurs que cette influence du livre est de moins en moins perceptible lorsque l’on s’éloigne du centre urbain316. Ce lien avec le livre doit s’interpréter dans ses différents niveaux de sens. Au sens littéral, Paris est associé aux œuvres littéraires dont il est l’objet. A un deuxième niveau, par allusion la marche dans le passage de l’Opéra, celle des Buttes-Chaumont, les « noms des rues » de Paris communiquent le « secret » des quartiers. Comme l’Hébreu, la ville se lit dans le texte et dans les « blancs » du texte qu’il faut interpréter et qui permettent d’accéder au sens véritable : « Et les places vides à l’infini : ne sont-ce point des pages solennelles, des hors-textes dans les volumes de l’histoire mondiale ? L’année 1789 brille en chiffres rouges sur la place de Grève [...] »317.
292A travers sa recherche sur Paris, son histoire, celle de l’affrontement du capitalisme et de la révolution, Walter Benjamin trouve dans Paris, un lieu où réfléchir l’exil, l’histoire, l’avenir.
293Cette démarche d’Aragon, de Benjamin se prolonge dans celle de Roger Caillois qui considère Paris comme un « mythe moderne ».
294Dès le xixe siècle, « le décor urbain » est promu « à la qualité épique »318 ; dès que Paris est mis en scène, le ton s’élève : ceci tient à la fois au développement de la modernité, au « rôle joué par Paris pendant la Révolution »319, à celui de la centralisation administrative, de la diffusion d’une littérature qui prend Paris pour décor, dont Paris est le « personnage essentiel »320. Selon Caillois le roman policier « n’est pas concevable sans le décor urbain »321.
295Caillois développe ces idées dans « Paris, ville moderne »322, en 1937. La représentation de Paris agit puissamment sur les esprits, elle fait maintenant partie du paysage mental collectif et représente, selon lui, un parti pris d’adhésion à la modernité. La littérature contribue à la diffusion du mythe de Paris qui finit par envahir les édifices les plus fréquentés de la ville, Notre-Dame, le Louvre... On touche là aux pouvoirs nouveaux de la littérature :
« [...] Il existe [...] une représentation fantasmagorique de Paris, plus généralement de la grande ville, assez puissante sur les imaginations pour que jamais en pratique ne soit posée la question de son exactitude, créée de toutes pièces par le livre, assez répandue néanmoins pour faire maintenant partie de l’atmosphère mentale collective et posséder par suite une certaine force de contrainte. On reconnaît là les caractères de la représentation mythique »323.
« [...] Cette élection de la vie urbaine à la qualité de mythe signifie immédiatement pour les plus lucides un parti pris aigu de modernité »324.
296Caillois considère ce nouveau rôle de la littérature comme une véritable révolution de l’esprit. Il exprime avec une grande force et une grande clarté la force du mythe de Paris tel que le communiquent la littérature, la littérature policière. Pour nous, l’entre-deux-guerres correspond à un moment important de diffusion, de vulgarisation de ce mythe parisien dont il serait intéressant de mesurer l’étendue de la diffusion. Cependant l’examen des titres de romans, des listes de films325, des titres de chansons sont assurément un témoignage de la force de ce mythe.
297Gertrude Stein a aussi tenté d’expliquer pour quelles raisons les intellectuels et artistes du monde entier avaient convergé vers Paris où ils se sentaient une sorte d’obligation d’être. Elle voit la raison essentielle de ce mouvement dans le fait que Paris incarne le vingtième siècle et particulièrement l’articulation entre la tradition et la modernité :
« Maintenant, [écrit-elle dans Paris-France326] pour certaines raisons, sinon pour toutes, Paris était là où se trouvait le vingtième siècle. Il était important aussi que Paris fût là où les modes se créaient... C’est à Paris que les modes étaient créées et c’est toujours dans les grands moments, lorsque tout change, que les modes sont importantes, parce qu’elles projettent quelque chose en l’air ou font tomber ou tourner quelque chose qui n’a aucun rapport avec quoi que ce soit [...] »327.
« Paris était donc l’endroit où il fallait être »328.
298Le xxe siècle qui, par bien des côtés est américain a besoin de Paris :
« Il commence donc à être logique que le vingtième siècle, dont les machines, dont les crimes, dont la standardisation naquirent en Amérique, ait besoin de la toile de fond de Paris, cet endroit où la tradition était si forte que les Français pouvaient paraître modernes sans être différents, et où leur acceptation de la réalité est si grande que n’importe qui pourrait éprouver à leur contact l’émotion de l’irréalité »329.
299Avec des préoccupations différentes, les intellectuels insistent particulièrement sur ce double caractère de Paris, ville enracinée dans l’histoire et ville qui fait l’histoire, celle de la Révolution comme celle de l’art. Si tous s’accordent à reconnaître la place de Paris dans la culture mondiale l’interrogation porte sur le futur qui peut, selon les cas, s’incarner dans l’image de l’Amérique330, dans l’arrivée d’une nouvelle révolution ou au contraire dans un combat pour conserver les traditions de Paris et de la France.
300Paul Valéry, dans Regards sur le Monde actuel publié en 1931, écrit une « introduction aux images de la France »331 : il synthétise d’une certaine manière ces différentes approches ; il considère que « penser Paris, c’est penser l’être même ». Il insiste sur le caractère unique de Paris vis-à-vis des autres capitales de rang mondial (« Les NEW-YORK, les LONDRES, les PEKING »332) auxquelles on peut la comparer et que Valéry réunit sous le terme générique « Nos BABYLONES ». Parée de tous les attributs d’une capitale (« capitale politique, centre industriel, port de première importance, marché de toutes valeurs, paradis artificiel, sanctuaire de la culture »333), Paris peut représenter la France grâce à sa capacité à être un centre de confrontation, de communication, de compréhension et d’expression des multiples apports qui la constituent. Paris a donc, en plus de ses diverses qualités, celle de donner une image globale. Paris est, dit-il « un symbole de l’identité et de l’unité nationale en acte ». La « prééminence » de Paris s’est accrue au fil des siècles. Paris est la grande compensatrice des différences régionales et individuelles de la France. Depuis la Révolution française le besoin de centralisation, d’unification s’est considérablement accru. Paris, encore plus depuis le développement des communications (voies ferrées, télégraphes, presse, littérature) est devenu l’« organe central de confrontation et de combinaison, organe non seulement politique et administratif mais organe de jugement, d’élaboration et d’émission, et pôle directeur de la sensibilité générale du pays »334. P. Valéry appelle les historiens à concevoir Paris comme un « événement ». Paris est une figure moderne,
« C’est une production typique de la France...que cette grande cité à qui toute une grande nation délègue tous ses pouvoirs spirituels, par qui elle fait élaborer les conventions fondamentales en matière de goûts et de mœurs, et qui lui sert d’intermédiaire ou d’interprète, et de représentant à l’égard du reste du monde - comme elle sert au reste du monde à prendre une connaissance rapide, inexacte et délicieuse de l’ensemble de la France »335.
301Dans l’opposition qui existe entre l’universel et le particulier, Paris est du côté de l’universel. Paris est investi du pouvoir que lui délègue la nation qui a besoin, compte tenu de sa grande diversité, d’une fonction unificatrice et d’une représentation aux yeux du Monde qui, même si elle est légèrement faussée, par le fait même qu’elle ne montre pas le diversité, donne une image de la France. Paris est, selon Valéry, « la ville la plus complète qui soit au monde ». Elle est « à soi seule capitale politique, littéraire, scientifique, financière, commerciale, voluptuaire, et somptuaire d’un grand pays..., en représente toute l’histoire,... en absorbe et en concentre toute la substance pensante », tout le crédit, l’argent... Paris est une ville de l’esprit avant tout, « Paris fait songer à je ne sais quel grossissement d’un organe de l’esprit » tout en ayant quelquefois l’apparence d’« une ville de pur luxe et de mœurs faciles », mais il s’agit, dit Valéry d’une apparence que la Ville se donne par pudeur, pour préserver l’essentiel336. Paris exerce une énorme force d’attraction sur l’imaginaire collectif. C’est comme une « maison de jeux où toutes les chances sont possibles, où tout peut arriver ». Qui plus est, Paris, fort de son image politique, s’est fait métropole de diverses libertés et capitale de la sociabilité humaine, attirant à elle « la fleur et la lie de la race »337. On comprend ainsi le lien qui s’établit entre le politique et le culturel. La puissance de Paris lui vient du politique mais elle se manifeste dans la Culture, l’esprit, d’où sa capacité à faire et dire la mode.
5. 3. La ville -femme
302Ces qualités de Paris relèvent de deux principes, l’un masculin, l’autre féminin qui se combinent, s’articulent et s’opposent. Paris est tour à tour désigné par le masculin ou par le féminin. Ainsi, Paul Valéry qualifie Paris du féminin pour parler de « la Ville de Paris ». Mais quand il nous entretient de la capitale unificatrice et centralisatrice, il emploie le masculin. Paris est alors désigné comme « cet illustre Paris », « il est la ville la plus complète »338... Paris, selon Curtius, n’est comparable à aucune capitale contemporaine (Londres, Vienne, Berlin). Elle ne peut être comparée qu’à Rome car à Paris « comme à Rome l’on se sent vivre au centre d’un univers humain »339.Tout en étant frappé par la centralisation parisienne d’une ville qui est « cœur et cerveau » de la France, vers laquelle « Toutes les artères d’un vaste corps organisé [y] confluent »340, Curtius estime que la puissance de Paris n’est pas comme la puissance romaine une puissance de domination virile. Ce n’est pas, pourrait-on dire, une puissance impériale. C’est « une puissance de séduction féminine » :
« C’est [dit Curtius], l’esprit latin s’exprimant sous la forme du goût dans un univers déjà civilisé, et conquérant le monde, non par une volonté virile mais par une puissance de séduction féminine. Paris restera la métropole de la civilisation moderne aussi longtemps que la culture saura apprécier l’élégance, que l’énergie rejoindra les raffinements de la pensée, et que la gloire trouvera son complément dans le plaisir »341.
303Léon Daudet donne aussi une image de la puissance Parisienne en nommant Paris, « l’Urbs »342. Paris, pour Daudet « est femme ». Familière des expressions de beauté, d’esprit, de lumière. « C’est la ville aux commotions subites... »343.
304De tout ce qui précède se dégage cette image d’une suprématie Parisienne qui réside moins du côté des empires, que du côté de l’esprit et de ses principes féminins. Le plaisir est accolé à la culture. Quand on parle de Paris au masculin, on s’intéresse davantage à son pouvoir politique, à sa puissance d’empire ; le féminin renvoie aux attributs de culture, d’élégance, de raffinement, de pensée, à la royauté féminine. Nous pouvons probablement établir ici un rapport entre les représentations féminines de la République et les représentations de Paris comme une ville-femme.
305L’interprétation de la ville par les hommes de lettres correspond à leur quête philosophique, intellectuelle, existentielle. Paris est le support et le vecteur qui permet d’exprimer sa propre recherche. Massés à Paris, les intellectuels du monde entier tentent d’expliquer ce qu’il cherchent à Paris. Ils réfléchissent Paris, sa fonction unificatrice et ses aspects contradictoires. Se ressourçant dans la tradition historique et culturelle de la France, les intellectuels manifestent leur sensibilité aux vibrations, aux créations, aux ruptures engendrées par la modernité.
306Parmi les images dominantes de Paris, chez les intellectuels comme chez les simples gens, nous retrouvons celle de Paris comme ville du Plaisir, (« capitale de l’hédonisme » selon l’expression de Janet Flanner) ; ceci fait de Paris, associée, comme nous l’avons vu à la France personnifiée, une ville-femme, faite pour les femmes qui est aussi la ville de tous les plaisirs.
307Cette représentation évoque en premier lieu le Paris parcouru, décrit par Henry Miller dans Tropique du Cancer (1934). Paris (baptisé « Ninive ») attire à lui, explique Miller, dans une sorte de pèlerinage « Les torturés, les hallucinés, les grands maniaques de l’amour »344. Le rapport que Miller entretient avec la ville-femme est fait d’attirance et de dégoût : « Paris [dit Miller] est comme une prostituée. De loin, elle vous paraît ravissante, vous n’avez de cesse que vous la teniez entre vos bras. Au bout de cinq minutes, vous vous sentez vide, dégoûté de vous-même. Vous avez l’impression d’avoir été roulé »345.
308Aucun observateur ne peut négliger Paris comme ville de l’Amour, dans laquelle l’anonymat de la grande ville permet d’aimer librement. Joseph Delteil, provincial à Paris, ami de Robert Delaunay l’exprime avec force et netteté : « [...] Tout d’ailleurs à Paris, converge vers les jambes de femme, vers la femme. Voilà la seule ville au monde où le sens de la vie soit un sens d’amour. La cause finale de toutes choses à Paris, c’est l’amour [...]. Et c’est bien l’amour que viennent chercher à Paris les rastaquouères de l’univers, les provinciaux de tout acabit »346
309Nina Berberova montre comment la minorité de femmes (trente femmes pour mille hommes en moyenne) qui vit à Billancourt, près des ouvriers russes de la métallurgie préfère aller vers Paris, capitale des arts et des plaisirs, ville faite pour les femmes, où les femmes aiment vivre, où l’on trouve facilement une épouse : « [...] Les femmes ne s’éternisent pas à Billancourt, elles fuient vers Paris [...]. Paris est une aubaine pour les petites et les grandes femmes. A Paris, elles trouvent des emplois flatteurs. Paris est plein d’étrangers. Le soir, les rues y sont éclairées, la clientèle des cabarets est nombreuse et sobre, tandis que chez nous, Place Nationale, il arrive qu’on ne sache pas où s’asseoir »347.
310Cette image de Paris comme une ville féminine, gaie, agréable à vivre en particulier pour les femmes conduit à s’interroger sur la généalogie de cet attribut d’une part, et sur la façon dont se conjuguent les différents attributs de Paris. Nous nous étions d’ailleurs posés cette question dans l’étude consacrée aux guides du tourisme à Paris. Cette étude avait montré l’articulation entre la ville des arts, des plaisirs et de la mode.
311L’analyse de Carl E. Schorske, dans un article consacré à Freud s’intéresse à la « psychoarchéologie des villes »348 Sa méthode peut nous fournir quelques éléments d’analyse de Paris, comme ville du plaisir.
312Schorske montre comment pour Freud, Londres s’oppose à Paris. Londres est dans sa perspective, « La ville du moi où la culture entière soutenait l’indépendance et le contrôle de la personne » alors que « Paris était la ville du ça, où règnent les instincts fondamentaux Éros et Thanatos »349. Paris est pour lui tour à tour repoussante, attirante, ensorcelante. Quant à Rome, elle représente un « amalgame déroutant » dans lequel convergent « masculin et féminin, éthique et esthétique, en bref le monde du moi de Londres et le monde du ça de Paris »350.
313L’image de la ville-femme est étroitement reliée à celle de la France personnifiée en qui dominent soit l’identification à la nation, l’intelligence et la culture, les vertus révolutionnaires, les pulsions instinctives.
5. 4. La ville de l’accueil et de l’exil
314Paris attire à lui de nombreux étrangers qui viennent y travailler pour y obtenir une meilleure situation économique, ou parce qu’ils ne peuvent plus travailler dans leur pays. Les témoignages littéraires sur le travail des étrangers à Paris sont peu nombreux.
315Le livre de Jόlan Földes, La rue du Chat-qui-pêche a une portée symbolique. Jόlan Földes est une jeune hongroise qui a émigré d’abord à Vienne puis à Paris dans les années 20. Elle était étudiante mais, pour réussir à vivre elle dut exercer de nombreux métiers (ouvrière, employée de bureau, secrétaire à l’ambassade d’Égypte). Elle reçut en 1936 le Grand prix international du roman pour cet écrit qui met en scène une famille hongroise, la famille Barabas, qui côtoie, dans sa vie quotidienne un monde d’exilés (russe blanc, Lituanien rouge...) qui vit dans une rue de Paris.
316Jόlan Földes devint ainsi l’auteur hongrois le plus lu et le plus connu du monde351. Son roman s’inscrit dans une tradition hongroise, qui a souvent abordé le thème de la hontalanság (le déracinement). Il participe également d’une autre tradition de la littérature hongroise qui traite de « l’attrait exercé par Paris ». « Depuis que János Batsány, en 1789 incitait ses compatriotes à « tourner leurs regards vers Paris », cette ville n’a cessé de fasciner les écrivains hongrois » explique T. Szende dans la préface du livre.
317J. Földes place La rue du Chat-qui-pêche au quartier latin, près de la rue de la Huchette, « dans un quartier honorable et au cœur même de la ville »352. Elle met en évidence la distance entre Paris et le monde d’où sont issus ces émigrés (un Russe blanc, un Lithuanien rouge, une famille de Hongrois). A Paris, ceux-ci sont « à des milliers de kilomètres de tout ce qui a composé leur vie, leur pays, leur foyer »353.
318Paris comme « métropole » peut parfois rappeler Budapest à qui on la compare et on l’oppose fréquemment. C’est une ville où la rue se révèle quelquefois hostile pour les étrangers (par exemple après l’assassinat du Roi de Yougoslavie en 1934), quelquefois « cordiale ». Paris est une ville où il y a du travail, une ville « allègre » : « Paris est tellement plus gai que Budapest. La ville est pénétrée d’une espèce de joie facile, une joie sûre et familière. Budapest a quelque chose de fébrile dans le plaisir ; Paris est allègre »354.
319La joie de Paris est ici rattachée aux possibilités qu’offre la capitale, en particulier celle de travailler. Paris incarne la France démocratique, un pays qui permet de naturaliser ses enfants, qui ouvre ses écoles aux enfants du peuple : « Il [Le russe blanc Bardichinov] chanta les louanges du système scolaire français. Combien de ministres avaient commencé la vie, petites paysans pieds nus que leurs parents n’auraient jamais eu les moyens d’envoyer en classe ! »355.
320Mais la famille Barabas ne vise pas l’assimilation pure et simple ; son rapport à la France reste ambigu. Ainsi le père Barabas pense profiter de la situation : « Laissons l’Etat étranger élever les enfants, laissons les couvrir d’or ; à leur majorité, ils rentreront dans leur pays et seront de bons citoyens hongrois »356.
321Une partie de la famille Barabas retourne en Hongrie, mesure la distance entre les deux pays, et constate qu’à Budapest la démocratie est bien moins présente qu’à Paris. Paris offre aux enfants d’immigrés la possibilité de l’ascension sociale : une des filles de la famille Barabas, Jani, réussit à devenir ingénieur.
322Pour une famille hongroise populaire, l’image de Paris et de la France à travers Paris, est double : une ville démocratique, où l’étranger peut trouver du travail, élever ses enfants, assurer leur réussite par l’école, mais aussi une ville où le quotidien est dur pour l’étranger, où il reste un exilé. En dépit de cela, Paris reste attrayante.
323Les chroniques de Billancourt rédigées par Nina Berberova donnent une image proche. Paris est une ville rayonnante, qui permet de travailler, de s’amuser, mais elle est aussi celle de l’exil des russes blancs ; cet exil est encore plus durement ressenti avec l’arrivée de la crise économique de 1931 ; en temps de chômage, on peut tenter sa chance à Paris, ou se replier sur Billancourt :
« La situation de ceux qui avaient compté sur les autres avait empiré et ils avaient dû, ayant perdu leur emploi, se ruer sur Paris, ou, au contraire, rester cois chez eux, n’ayant soudain plus besoin de se rendre chez Gourevitch, le spécialiste des maladies vénériennes, ni chez Saussey, le dentiste, ni encore de solliciter des affaires auprès de Gnoutikov »357.
324Eugène Dabit, en 1934 dépeint, à partir de sa connaissance du quotidien de l’Hôtel du Nord, la situation des travailleurs immigrés à Paris, aujourd’hui devenus des chômeurs conduits à l’exil. « Durand », de son surnom358, est un Arménien venu du fond de la Turquie : « Chez lui, ils n’en veulent pas vu qu’il est Arménien. Il va partir en Amérique, au Péruguay (sic). Comme touriste. Parce que ça lui est défendu de travailler, là-bas aussi ils ont la crise [...] »359.
325Partout, conclut-il, « ils font la chasse aux malheureux »360.
326Pour les intellectuels étrangers réfugiés en France dans l’entre-deux-guerres, Paris est avant tout, la Ville des Droits de l’Homme, qui donne à chaque nationalité le sentiment de pouvoir être chez soi, dans la capitale, d’y mener une vie de liberté qui leur est refusée ailleurs. Ce sentiment n’exclut pourtant pas la dimension de l’exil. Stefan Zweig avait vécu en Autriche où il appréciait le génie de Vienne, où dominait un sentiment de liberté de vivre pour un Européen. Il émigré à Paris après 1933, ville qu’il a connue dès 1904. Paris, selon lui, permet aux nationalités les plus variées de vivre dans une atmosphère de liberté :
« Chinois et Scandinaves, Espagnols et Grecs, Brésiliens et Canadiens, tous se sentaient chez eux sur les rives de la Seine. Point de contrainte : on pouvait parler, penser, rire, gronder comme on le voulait, chacun vivait comme il lui plaisait, sociable ou solitaire, prodigue ou économe, dans le luxe ou dans la bohème ; il y avait place pour toutes les originalités, toutes les possibilités s’offraient [...] »361.
327Sa vision de Paris est idéalisée. La ville lui apparaît « inépuisable », accessible, sans frontières. Elle est unie, au point que Zweig n’y perçoit pas les frontières sociales. Il remarque de riches paysans normands qui se rendent sans gêne perceptible au restaurant chic, Larue, près de la Madeleine et souligne la dimension égalitaire : « Paris n’offrait qu’une juxtaposition de contrastes, point de haut ni de bas ; aucune frontière invisible ne séparait les artères luxueuses des passages crasseux, et partout régnaient la même animation et la même gaieté »362.
328Ses souvenirs évoquent avec nostalgie cette époque en contraste avec celle de l’occupation allemande à Paris qui est l’occasion, pour lui, de dire son attachement à la ville, aux Champs-Elysées de Napoléon comme aux citoyens de Paris363.
329Cet attachement à la ville des droits de l’homme, cette liberté que ressentent nombre d’étrangers à Paris irrite passablement, comme nous l’avons remarqué à plusieurs reprises, les intellectuels nationalistes. Ceux-ci, en effet comprennent comment Paris, leur capitale leur échappe et devient aux yeux du monde « une ville cosmopolite ». L’écrivain vaudois Ramuz le perçoit avec acuité depuis sa position de francophone et d’étranger qui lui permet d’être un fin observateur des transformations de Paris depuis la dernière guerre mondiale :
« [...] Paris est encore un résumé du monde, une ville nationale, mais une ville cosmopolite, et peut-être la seule différence qui soit devenue sensible, depuis le commencement du siècle et surtout depuis la guerre, est-elle que jusqu’alors l’élément cosmopolite y était subordonné à l’élément national dont il tirait ses leçons, alors qu’aujourd’hui, c’est dans une certaine mesure le phénomène inverse qui se produit. Bien entendu, dans son immense majorité, l’élément national, qui est l’élément travailleur, ignore-t’il cette mainmise ; mais par la presse, le théâtre, les expositions, toute une immense publicité dont il dispose, cet élément cosmopolite en est peu à peu venu à imposer au monde une image de Paris qui lui ressemble beaucoup plus qu’à Paris lui-même. On le voit bien à la résistance qui se fait sentir dans certains milieux contre « ce qui n’est pas français », en particulier certain art, sans parler de certaines théories et idéologies »364.
330Aux yeux de nombreux étrangers présents à Paris, la capitale cosmopolite permet de mieux comprendre sa propre culture. Ramuz en est un bon exemple : « C’est Paris lui-même qui m’a libéré de Paris. Il m’a appris dans sa propre langue à me servir (à essayer du moins de me servir) de ma propre langue »365.
331Paris est donc, comme nous l’avons observé, pour l’ensemble des étrangers à Paris une ville qui incarne une quête, un ancrage, un refuge, une liberté de vie. Elle permet d’avoir des attaches profondes, un enracinement dans un lieu à la fois physique et métaphysique. Paris permet d’accéder aux traditions historiques de la France, tout en s’ouvrant au monde moderne qui est représenté en ce début du xxe siècle par les mondes des banlieues urbaines, le caractère cosmopolite des villes à travers lequel on perçoit les dimensions internationales de la communication. Les plaisirs spécifiques de Paris représentent un terreau favorable à la création artistique.
332En fait nous pouvons observer plusieurs lignes de séparation, de clivages entre les intellectuels ; la droite et l’extrême-droite intellectuelle manifestent avec vigueur leur refus du cosmopolitisme ; elles sont rivées à des traditions historiques ancrées dans l’histoire monarchique et chrétienne de Paris et de la France. Le « bon peuple parisien » est, pour elles, proche des campagnes, des mœurs provinciales, des traditions françaises qu’il véhicule, conserve. Cette droite est moraliste, conservatrice et refuse le monde des plaisirs parisiens quand ils s’associent à la liberté des mœurs, à celle des artistes. Mais il faut remarquer ce populisme de la droite française qui, chez certains de ses représentants comme Garric, par exemple conduit à une attitude missionnaire vis-à-vis du peuple.
333La gauche intellectuelle semble presque devenue étrangère à Paris. Elle reste fidèle à un idéal révolutionnaire, mais elle semble ne plus habiter la ville. Les ouvriers, le peuple parisien lui semblent dépossédés, rejetés d’une ville qui leur est devenue étrangère parce que tentaculaire et qu’il faut maintenant reconquérir depuis la banlieue.
334Les représentations des étrangers présents à Paris, soit volontairement parce que Paris représente pour eux un lieu de création, un lieu d’identification, soit contraints par un exil forcé, semblent modeler l’image intellectuelle de la ville. On se demanderait presque si Paris, comme ville des droits de l’homme n’est pas davantage une représentation véhiculée de l’extérieur de la France plus encore que de l’intérieur, un modèle auquel maintenant la France est tenue.
5. 5. Temporalité
335Une chronologie de la vie des intellectuels et de leur mode de perception de la ville s’impose à la lecture des ouvrages ayant trait à Paris. Ces hommes de lettres distinguent dans leurs récits plusieurs époques qui caractérisent la ville ; le Paris de la Belle Époque dominé par 1900, le Paris de la Guerre, l’âge de la Victoire, pour les uns, les années folles pour les autres, les temps de crises.
336Dans le Tout-Paris, on est convaincu que l’on a vécu un cycle entre 1900 et 1930, qu’une certaine époque est maintenant terminée.
337Pour d’autres, ce qui domine c’est le contraste entre la modernisation, la démocratisation et l’ancien Paris qui disparaît. Là aussi, ce qui s’impose, c’est un sentiment de fin.
338Morand, Cocteau, Sachs, Léon-Paul Fargue s’accordent à démontrer la disparition du Paris de 1900, l’importance de la coupure établie par la Grande Guerre, la créativité des années 1919-1925 et l’amorce du déclin qui atteint Paris aux alentours de 1930.
339Morand, dans la préface, écrite en 1941, de son livre 7900 situe le début du « déclin » après 1930 : « C’est en 1930 que fut publiée la première édition de ce livre. Nous vivions alors une dernière décade heureuse ; notre déclin avait des tiédeurs de duvet et un capiteux parfum. Nous descendions vers 1939 comme 1900 descendait vers 1914, glissant dans l’abîme comme dans un plaisir »366.
340Le « Voyage à Paris » publié dans Le Crapouillot en mars 1931367reprend cette même chronologie. Pour Paul Morand, la Grande Guerre marque la césure fondamentale : « On peut vraiment dire que ce que la Révolution Française fut pour l’Ancien Régime, la Grande Guerre l’a été pour 1900 »368.
341Maurice Sachs considère que la période entre 1918 et 1929 constitue une unité, un Age de la Victoire, un temps de prospérité définitivement révolu, qu’il nomme la Décade de l’Illusion. Le sous-titre de son livre Au temps du Bœuf sur le Toit, est explicite : « Journal d’un jeune bourgeois à l’époque de la prospérité, 14 juillet 1919 - 30 octobre 1929 », du défilé de la Victoire, au krach de Wall-Street. Dès 1932, il écrit La Décade de l’Illusion dont il fixe les traits, nomme les lieux et les personnages qui sont ceux du Tout-Paris : « Ces journées sont mortes, ces temps ont passé. Ce qui fit Paris de 1918 à 1928 a pris place dans l’histoire. Paris pavoisa pendant 10 ans après l’Armistice. Je me souviens de cette décade comme d’un perpétuel 14 juillet »369.
342Cocteau, moins pessimiste que Sachs écrit des Portraits-Souvenirs dès 1935. Pour lui aussi un « âge est mort » :
« 1934-1935. Un rideau tombe, un rideau se lève. La vie est morte, vive la vie ! Un âge est mort que j’ai vécu à sa pointe, à contrecœur et de toutes mes forces, un nouvel âge commence que mes antennes m’annoncent, où j’entrevois de la noblesse et dont les signes me plaisent. Je profite d’une minute d’entracte pour me lever, me délasser, me retourner et promener ma lorgnette »370.
343Léon-Paul Fargue stigmatise, dans Le Piéton de Paris la disparition d’un monde réservé à une élite. Il s’attache à un Paris qui disparaît, sous la menace de la démocratisation de la société, de la modernisation. Il se fait même virulent pour dépeindre cette mutation : « Trop de gens ont voulu Paris, le cinéma s’y est mis, nous avons vu se ruer des troupes de Sarrasins à l’assaut de ce qui était autrefois réservé à quelques-uns [...] »371.
344Léon-Paul Fargue affirme qu’il ne regrette pas le Paris de 1900, mais s’interroge sur les valeurs de la « modernité ». Il se demande à la suite de personnages qu’il cite, si, au fond, la modernité n’est pas à l’origine « d’une guerre, des catastrophes journalières, du bruit »372 et remet en cause les prétendues vertus du progrès industriel.
345Pour Robert Brasillach, 1925 marque la fin d’une époque inventive, la « dernière saison inventive de l’après-guerre »373.
3461931, la crise, marquent une autre rupture. Robert Brasillach parle de génération de l’Exposition Coloniale. La crise économique marque les esprits. En 1929, Léon Daudet, dans Paris vécu vante le charme de Paris, mais considère que « [...] C’est une ville ardente et menacée » par les bombardements, les peuples voisins, l’immigration, le régime républicain374.
347Nina Berberova parle de la crise économique qui attaque les usines Renault et affirme : « [...] Ce sera bientôt la fin de Billancourt »375.
348En réalité, dès la fin des « années folles », et la sortie de l’après-guerre, les intellectuels sentent la fin d’une époque ; 1930 apparaît comme la fin d’une Belle Époque de Paris dont 1900 était la date-pivot. Avant que la crise ne se traduise sur le plan politique, elle est évidente entre 1926 et 1934 pour les intellectuels qui sentent Paris menacé par la démocratisation, l’ère des grandes masses, les échanges mondiaux...376. Paul Valéry clôt son chapitre sur la « fonction de Paris » par une note inquiète :
« L’accroissement de la crédulité dans le monde, qui est dû à la fatigue de l’idée nette, à l’accession de populations exotiques à la vie civilisée, menace ce qui distinguait l’esprit de Paris. Nous l’avons connu capitale de la qualité, et capitale de la critique. Tout fait craindre pour ces couronnes que des siècles de délicates expériences, d’éclaircissements et de choix avaient ouvrées »377.
349Pour Valéry, la capitale est entraînée dans le mouvement de décadence en Europe. L’inquiétude de Léon-Paul Fargue s’exprime sur un mode différent, plus existentiel. Léon-Paul Fargue parcourt Paris en « piéton » ; nostalgique, attentif à un Paris qui disparaît378, il s’insurge contre les Modernes, le triomphe des classes moyennes... Paris est pour lui menacé, sur une crête difficile dont son milieu a conscience.
350« Nous sentions, dit-il, que Paris était bien à l’extrême bord de la civilisation, qu’il terminait le monde moderne comme un bouquet termine quelque feu d’artifice, qu’il vibrait « au point de périr » eût dit Valéry »379.
351Même sentiment de perte chez Maurice Sachs qui baptise la décennie 1918-1928 la décade de l’illusion380. Paris, dit Sachs, a vécu un « perpétuel 14 juillet » depuis 1918. C’était « un âge tricolore », l’« œil du monde était fixé sur Paris ». Paris « féminin par instinct », « faisait la roue ». On venait du monde entier contempler ses monuments, ses créations en pèlerinage : « A Paris battait le pouls perceptible du monde... Paris était le lieu nécessaire, l’ample cité où le monde jetait ses trésors et, de toutes les villes, il me semble, celle où de 1918 à 1928 se concentraient les plus hauts intérêts de la pensée... Paris est mort en 1932 »381
352Paul Morand fut aussi sensible à cette perte de la puissance Parisienne. Quand Paris eut « perdu le contrôle moral du monde », après 1925, Paul Morand décida de quitter Paris, de s’« abandonner au seul souci de voyager »382. Paul Morand glorifie le Paris de 1900, auquel, faisant un retour en arrière sur une époque perdue, il a consacré un livre en 1931. Paris était au centre... « Morale mignonne du xixe siècle où le centre de l’univers était la terre, celui de la planète, l’Europe, avec Paris comme moyeu ; autant de noyaux faits pour soutenir la pulpe d’un fruit sans pareil offert par Dieu à l’Humanité : la France ».
353Eugène Dabit lui aussi s’insurge contre la modernité industrielle et scientifique tout en affirmant qu’il ne « cherche pas à retourner vers 1900 » : « Je ne cherche pas à retourner vers les taudis et les cavernes, ni à retrouver la petite vie heureuse de 1900. Mais s’écrabouiller dans une capitale, s’y crever à fabriquer des machines qui nous assassineront... Sauve qui peut ! [...] »383.
354Face à un constat de crise multiforme, nombreux sont les intellectuels qui s’interrogent sur ce qui fait, ce qui a fait la puissance de Paris. Ils expriment des craintes devant la perte de la prééminence parisienne. Paul Valéry « craint » que la prééminence séculaire de Paris ne soit mise en cause par le trouble des esprits, la modernisation, la mondialisation : « [...] Tout fait craindre pour ces couronnes que des siècles de délicates expériences, d’éclaircissement et de choix avaient ouvrées »384.
355C.-F. Ramuz montre comment Paris bénéficie d’un prestige historique, qui ne correspond peut-être pas à sa valeur présente, mais qui est rattaché à une image ancienne. Paris est, dit-il, usant d’une figure remarquable, une « ville sur tréteaux » :
« Paris a été comme surélevé de manière à être vu, non seulement de toute la France, mais du monde entier. Paris est devenu une espèce de théâtre où chacun parle et agit comme s’il était en scène, et c’est bien qu’il est regardé, puisque par ses journaux, son théâtre, sa littérature, et jusqu’à ses potins et à sa politique, Paris prend soin chaque jour d’occuper de lui l’univers. L’univers continue à s’y intéresser, moins peut-être à cause de l’intérêt réel de ce qui se passe à Paris, qu’à cause de tant de souvenirs qui datent du temps du Grand Roi quand Versailles s’imposait à toutes les cours européennes »385.
356Ramuz confirme que l’opinion s’est répandue dans l’entre-deux-guerres de la perte internationale de la suprématie parisienne. La place de Paris est disputée par New-York et même Londres. La gloire culturelle de Paris, sa capacité à reconnaître les élites est maintenant disputée :
« [...] Il ne manque pas en ce moment de pessimistes pour soutenir que le rôle que Paris jouait sur le plan international est de plus en plus menacé. Ils font valoir que les grandes « premières » n’ont plus lieu nécessairement à Paris, que les marchands de tableaux, par exemple, ont pour la plupart émigré à New-York, que la véritable « saison » c’est Londres désormais qui en a le privilège et les bénéfices, que Paris n’est plus seul à décerner à ceux qui sont l’objet de son choix une gloire, plus ou moins authentique et méritée, mais devant laquelle le monde s’incline ; que d’autres peuples se développent, que d’autres capitales grandissent chaque jour en étendue et en prestige, que Paris au total est en train de perdre, sans qu’il s’en doute, cette prééminence universelle à laquelle il s’était depuis si longtemps habitué [...]. Paris est la victime, disent-ils de l’habitude qu’il avait prise de sa grandeur, alors que la grandeur est une chose qu’il faut en quelque sorte sans cesse reconquérir. Paris, assurent-ils est en train d’être dépassé »386.
357Les hommes de lettres ont connu une époque de gloire, le Paris de la Belle Époque, le Paris 1900, image glorieuse à laquelle il était facile pour les Français de s’identifier, tandis que pour les étrangers cette image se révélait fort attirante. La guerre a perturbé la vision du monde de chacun. La France semble sortir victorieuse. Paris pourrait donc reprendre sa place, soutenir la compétition avec les autres capitales mondiales. Le Tout-Paris jouit frénétiquement de la culture et des plaisirs qu’offre la ville : ce sont les années folles pendant lesquelles le souvenir de la guerre travaille, pendant lesquelles on prend progressivement conscience des bouleversements induits par la guerre. D’autres pôles de vie culturelle sont constitués : les années folles sont dominées par Montparnasse et la présence des Américains à Paris.
358Les intellectuels se retrouvent devant une ville transformée. Certes Paris est toujours la ville de la culture et de l’histoire. Paris continue d’attirer les intellectuels du monde entier, mais il faut maintenant reconsidérer qui fait l’histoire, et affronter les exigences de la démocratisation de la culture, des loisirs. Le mythe de Paris, ville moderne connaît une apogée mais aussi une vulgarisation.
359Paris, ville des droits de l’homme recueille les exilés des dictatures. Ceux-ci lui sont reconnaissants mais leur présence dans la ville, leurs questions ne sont pas sans effet : ils regardent Paris de l’intérieur et de l’extérieur. La droite et l’extrême droite, mais aussi quelques transfuges venus d’ailleurs voudraient épurer Paris de tout ce qui n’est pas national. Plusieurs écrits relèvent avec malveillance la présence de zones peuplées d’étrangers, de Juifs...
360Autour de la ville croissent les banlieues que tous ne perçoivent pas avec la même sensibilité. Les intellectuels se partagent alors entre ceux qui vivent dans le quartier de leurs travaux, de leurs plaisirs, dans l’ouverture aux élites internationales reconnues, et ceux qui sentent les perturbations modernes, celles qui affectent l’ensemble des capitales du monde. Les grands clivages portent, à notre avis sur la place qui est reconnue à l’étranger dans la ville moderne et sur la manière dont on s’ouvre à l’ensemble parisien, ouest, est et banlieue. Certains intellectuels vivent en vase clos. D’autres reconnaissent la circulation, la dimension de l’agglomération, le monde nouveau qui se situe aux portes de Paris.
361Cette perception de la crise de Paris, des valeurs culturelles que la capitale véhicule, conduit à la recherche de solutions. Chez les politiques, à gauche, l’avenir est conçu dans la transformation de la société, dans la reconquête de Paris par ses banlieues pour les communistes, dans des réformes sociales, une amélioration de la gestion pour les socialistes et les radicaux. La droite, elle, veut ressaisir le prestige national de Paris et de la France.
362Cependant, un courant de pensée important s’affirme en faveur d’une réflexion globale sur l’urbanisme parisien. Depuis les travaux de Haussmann, aucune grande entreprise n’a été réalisée dans la capitale. Face à la crise que beaucoup perçoivent comme un appel à une mise en ordre de la ville, plusieurs intellectuels se tournent vers l’urbanisme afin d’inventer des solutions.
363Comme le souligne Gérard Monnier, les lettres françaises de Valéry à Giraudoux se tournent vers l’architecte, dans les années 20, vers l’urbaniste dans les années 30 qui sont investis d’une mission morale. En relation avec la Compagnie des Arts Français, fondée en 1919 par Louis Sue avec André Mare et André Véra, Paul Valéry écrit Eupalinos387, texte qui défend l’idée de la géométrie à la base des figures de l’architecture, mais aussi qui « qualifie l’architecte comme un intellectuel chargé d’une haute et générale mission morale »388. Quant à Giraudoux, il fonde avec Raoul Dautry une « Ligue Urbaine ». Giraudoux considère en effet que l’écrivain a une « position morale » qu’il doit occuper vis-à-vis du pays. Ceci le conduit à une dénonciation du rôle des pouvoirs publics et municipaux qui, dans leur action méconnaissent la nécessité de l’urbanisme, et en particulier de l’urbanisme parisien389.
364L’après-guerre est marqué à Paris par la démolition des fortifications qui libèrent un espace autour de la ville. Les banlieues se sont développées, ont pris de plus en plus d’importance. Il apparaît donc nécessaire de s’adapter à cette évolution, de la réfléchir, de penser le « Paris Nouveau », d’imaginer l’avenir en fonction du monde moderne et de l’articulation particulière entre l’histoire et la modernité qui est précisément l’invention de la France.
Notes de bas de page
1 Carl E. Schorske, Vienne fin de siècle, Politique et culture et Michael Pollak, Vienne 1900.
2 On se reportera, par exemple à la liste des ouvrages étudiés dans la catégorie littérature. Ralph Schor a fait des constatations parallèles. La remarque pourrait aisément s’étendre à la production filmique, ou aux titres de chansons.
3 Ernest Hemingway, Paris est une fête, p. 15. Le livre évoque une série de scènes parisiennes des années qui suivent la Grande Guerre. Paris est une fête est un ouvrage de souvenirs sur la jeunesse de l’auteur, qu’Hemingway écrivit en 1960, à partir de notes retrouvées dans de vieilles malles déposées dans les caves du Ritz, en 1927.
Le titre original de l’ouvrage, A Moveable Feast (Une fête mobile) suggère, selon des commentaires de Mary Hemingway, que Paris, fête perpétuelle de l’esprit et des sens est une fête « transportable », une fête dont on peut emmener le souvenir partout avec soi jusqu’à la fin de ses jours. Dans sa préface, Hemingway écrit : « Si le lecteur le souhaite, ce livre peut être tenu pour une œuvre d’imagination. Mais il est toujours possible qu’une œuvre d’imagination jette quelque lueur sur ce qui a été rapporté comme un fait » (op. cit., p. 5).
4 Ernest Hemingway, op. cit., p. 15.
5 Henri Godard commente Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, p. 40 : « Quant aux données de topographie parisienne, elles font l’objet de brouillages ponctuels destinés sans doute d’abord à permettre à l’écrivain de dénier les identifications qu’il favorise par ailleurs, mais qui ont aussi pour résultat d’interdire au lecteur familier des lieux toute illusion réaliste. C’est ainsi qu’après avoir tout fait pour suggérer que la Garenne-Rancy ne fait qu’un avec Clichy-la-Garenne, banlieue située au nord-ouest de Paris, Céline précise qu’on y accède par la porte Brancion, qui est au sud, et qu’après avoir fait semblant d’écarter l’identification de l’institut Bioduret avec l’institut Pasteur en le situant « derrière la Villette », Céline montre Parapine et Bardamu qui en sortent par la rue de Vaugirard, dans le quinzième arrondissement, en conformité avec la localisation réelle de l’Institut Pasteur ».
6 Maurice Sachs, La Décade de l’Illusion, p. 20.
7 Pour l’étude de la « Topographie de la Rive Gauche », on peut renvoyer à Herbert R. Lottmann, La Rive gauche.
8 Voir J.-F. Sirinelli, Génération intellectuelle. Khâgneux et Normaliens dans l’entre-deux-guerres, et C. Charle, Dictionnaire biographique des universitaires aux xixe et xxe siècles, vol. II.
9 Ernst-Robert Curtius, Essai sur la France.
E.R. Curtius est né à Thann en Alsace en 1886. Après des études à Strasbourg, Berlin, Heidelberg, il a favorisé dans les années 30 les échanges culturels et le rapprochement franco-allemand.
10 Ernst-Robert Curtius, op. cit., p. 280-281.
11 Raymond-Laurent, Paris, p. 41.
12 Robert Brasillach, Le Paris de Balzac, Préface de Maurice Bardèche. Le Diplôme Supérieur de Sorbonne de Robert Brasillach porte sur le Paris de Balzac. Il date de 1930. Brasillach en dit le texte dans une conférence de l’Institut d’Action Française qui se tenait dans une salle des Sociétés Savantes, rue Serpente.
13 Ibid., p. 180.
14 Ibid., p. 113.
15 Jean-Claude Caron, op. cit., p. 119.
16 Léon Daudet, Paris vécu, p. 913-1388 (Les souvenirs de Daudet datent de 1929, il les écrivit alors qu’il était en exil à Bruxelles, ibid., p. 1083).
17 Jean-François Sirinelli, « Le Quartier latin des années 20 », in Génération intellectuelle, Khâgneux et Normaliens dans l’entre-deux-guerres, p. 219-256.
Ibid., p. 256 : « Le Quartier latin penche donc incontestablement à droite : ce sont tour à tour les étudiants de l’Action française puis des Phalanges universitaires des jeunesses patriotes qui tiennent le haut du pavé, orchestrant les grandes fièvres qui secouent le quartier et veillant à contrôler la rue. Dans ce contexte, les organisations de gauche restent sur la défensive. A l’exception de Pierre-Henri Simon, aucune figure de premier plan, des organisations de droite et d’extrême-droite ne provient, apparemment, de la rue d’Ulm. A la LAURS ou aux Étudiants socialistes, au contraire, les normaliens ne semblent pas rares. Il y a donc forte présomption que les élèves de l’École normale supérieure penchent à gauche. Mais qu’en est-il donc dans la réalité ? Cette École est-elle effectivement une « citadelle républicaine » ? »
18 Ibid., p. 409.
19 « L’expression « Le quartier » caractérise le Quartier latin qui est le seul quartier que l’on nomme ainsi entre intellectuels », Louis Aragon, Les Beaux-Quartiers,. p. 419.
20 Ibid., p. 377.
21 Adrienne Monnier, La Maison des Amis des Livres in Rue de l’Odéon, p. 221-229.
22 E. Hemingway, Paris est une fête, p. 39.
23 Adrienne Monnier, Rue de l’Odéon.
24 Shari Benstock, Femmes de la rive gauche - Paris 1900-1940.
25 Ibid., chapitre 11, p. 436-437, « La perspective patriarcale. Paris est une femme. »
26 Adrienne Monnier est née à Paris en 1892, d’un père jurassien et d’une mère savoyarde. Elle collabore à la revue Commerce, crée sa propre revue en 1925, le Navire d’Argent, journal de culture générale (le texte d’ouverture, écrit par Valéry Larbaud est consacré à Paris pendant la première guerre mondiale). A. Monnier était secrétaire littéraire avant de devenir libraire. Elle vécut avec Sylvia Beach jusqu’à 1937, dans son appartement, 18 rue de l’Odéon.
27 Sylvia Beach est la fille d’un pasteur américain de l’Église Américaine de Paris. Sa famille s’établit à Paris en 1902. Elle-même ouvre la librairie Shakespeare and Company en 1919. En juillet 1942, elle est internée dans un camp du sud de la France.
28 Adrienne Monnier, op. cit., p. 38-39.
29 Ibid., p. 39.
30 « Que de jeunes filles, que de femmes m’ont enviée, ont rêvé de mon sort ! Quelques-unes ont tenté d’ouvrir boutique comme moi. Elles ont presque toutes été découragées au bout de peu de temps. Elles ont vu qu’il ne s’agissait pas simplement de faire salon, mais qu’il y avait un gros boulot, un tas de corvées dont certaines fort matérielles... », Adrienne Monnier, op. cit., p. 40.
31 Jean Rhys, The left Bank. Jean Rhys était une marginale qui n’arriva pas à s’intégrer, même dans la rive gauche.
« Rhys errait des journées entières dans des quartiers mornes et misérables, passait la nuit dans des hôtels à bon marché et se rendait chaque semaine à la prison de la Santé (où son mari Jean Lenglet était incarcéré pour trafics d’objets d’art d’origine douteuse) » [Shari Benstock, op. cit., p. 437-438].
32 200 intellectuels américains résident sur la rive gauche.
33 Léon-Paul Fargue, Le piéton de Paris, p. 148-149.
34 L.-P. Fargue, op. cit., p. 149.
35 Ibid., p 152.
36 A l’origine des Deux Magots, un magasin de nouveautés, puis des grands magasins (Voir Piedade da Silveira, Le magasin de nouveautés « Aux Deux Magots », CCM 1993). Le café des Deux Magots est annoncé pour la première fois dans le Bottin en 1891 ; en 1933 les habitués (dont Henri Philippon) décident de créer un prix littéraire des Deux-Magots. Ils composent un jury et attribuent le prix à Raymond Queneau pour le Chiendent.
37 Ibid, p. 150.
38 Ibid., p. 153.
39 Léon-Paul Fargue, « Montparnasse », in Paris 1937, p. 247.
40 Ibid., p. 160.
41 L.-P. Fargue, op. cit., p. 140.
42 Billy Kliiver et Julie Martin ont réuni un recueil de photographies de Montparnasse entre 1900 et 1930 : Kiki et Montparnasse - 1930. Ce recueil permet de percevoir au travers des photographies, le mélange, la rencontre, qui s’opérait entre les différents milieux qui se rencontraient à Montparnasse. Certaines photographies de groupes, dont l’époque était friande permettent d’identifier des réseaux intellectuels. En fin de volume, quatre plans permettent de situer les demeures d’un grand nombre d’artistes et écrivains, les principales boîtes, les hôtels...
Kiki est une femme adorée par Montparnasse. C’est une jeune fille débarquée de sa campagne bourguignonne qui se met à peindre, sert de modèle, est l’amante de Man Ray... Tout le monde connaît Kiki, la célèbre. Hemingway publie en 1929 des Souvenirs sur Kiki, qui marquent d’ailleurs la fin d’une certaine époque de Montparnasse. En 1929, de nombreux américains quittent Paris en raison de la crise économique qui pour beaucoup les prive de leurs ressources.
43 Jean-Marie Drot a réalisé une série d’émissions télévisées dans lesquelles se trouvent plusieurs entretiens de témoins importants de cette époque (André Salmón, Man Ray, Léon-Paul Fargue...) sur ces années Montparnasse. Un livre publié en 1995 en donne une présentation.
44 Maurice Sachs, Au temps du Bœuf sur le toit, p. 180.
45 Voir à ce sujet Jerrold Siegel, Paris bohème 1830-1930, p. 321.
46 Cité par Billy Klüver et Julie Martin, op. cit., p. 92.
47 Ils ont des locaux au 54 rue du Château.
48 Voir Billy Klüver et Julie Martin, op. cit., plans 1 à 4 en fin de volume.
49 La Coupole, inaugurée le 20 décembre 1927 est une « brasserie-galerie ». Son nom même révèle son ambition. Plusieurs artistes participèrent à sa décoration : parmi eux, Isaac Grunewald, Marie Vassilieff...
50 50. On parle de ses clients comme des « Dômiers ».. On parle de ses clients comme des « Dômiers ».
51 Son logement se situe au 113 rue Notre-Dame-des-Champs à ce moment. Il habitait auparavant au 74 rue du Cardinal Lemoine.
52 Hemingway, op. cit., p. 81.
53 Ibid.
54 Hemingway vient d’avoir une discussion avec son amie Gertrude Stein qui lui déclare cette phrase célèbre : « Vous autres, jeunes gens qui avez fait la guerre, vous êtes tous une génération perdue ». (Ibid., p. 35). Puis, dans la soirée Hemingway se rend à la Closerie des Lilas : « [...] j’arrivais à la hauteur de la Closerie des Lilas, la lumière se reflétait sur mon vieil ami, le maréchal Ney, statufié sabre au poing, et l’ombre des arbres jouait sur le bronze, et il était là tout seul sans personne derrière lui, avec le fiasco qu’il avait fait à Waterloo, et je pensai que toutes les générations sont toujours perdues par quelque chose et l’ont toujours été et le seront toujours et je m’arrêtai à la Closerie pour tenir compagnie à la statue et pris une bière bien fraîche avant de rentrer à la maison, dans l’appartement au-dessus de la scierie[...] ». (op. cit., p. 37). Le rapport qu’Hemingway entretient avec le café de la Closerie des Lilas, les personnages parisiens ou américains, le paysage historique parisien et français nous semble totalement caractéristique de la perception qu’un écrivain américain cultivé avait de Paris et de la France. S’y ajoute pour Hemingway un goût particulier pour un certain art de vivre français. Dans le chapitre intitulé « Avec Pascin au Dôme », Hemingway sort de chez lui, rue Notre-Dame-des-Champs, entre « par la porte de derrière, dans la boulangerie qui donne sur le boulevard Montparnasse » et traverse « la bonne odeur des fours à pain puis la boutique... », puis il s’arrête à la terrasse d’un restaurant « Le Nègre de Toulouse » qui affiche au menu « polycopié à l’encre violette », du cassoulet. « Le mot me fit venir l’eau à la bouche ».
Toutes ces notations montrent bien qu’Hemingway affectionne ces lieux autour de Montparnasse, l’odeur des boulangeries parisiennes si caractéristique, la cuisine française dont il associe les plaisirs à Paris.
55 Hemingway, op. cit., p. 102-103.
56 Ernest Hemingway, Le soleil se lève aussi, p. 43.
57 Ibid., p. 58.
58 « Entre les extrêmes, représentés par les Haddock qui « font » Paris en quatre jours et les ressortissants quasi-permanents de Montparnasse ou du seizième arrondissement, s’échelonne une multitude de catégories traversées par les ondes croisées d’un snobisme à la fois vertical et horizontal. Les artistes méprisent les touristes, et les anciens expatriés méprisent les nouveaux ». Pour Sinclair Lewis [Sinclair Lewis, Dodsworth, 1929], la hiérarchie s’établit ainsi : au-dessous des résidents alliés à la noblesse et de ceux qui ne le sont pas, se trouvent les Américains qui ont passé un an à Paris, ceux qui y ont passé trois mois, deux semaines, trois jours, une demi-journée et ceux qui viennent d’arriver » note Jean Méral, op. cit., p. 180. Fran Dodsworth, un des auteurs étudiés, a honte de se laisser voir en touriste, avec un Bædeker à la main, ou à la terrasse d’un café.
59 Hemingway, Le soleil se lève aussi, p. 92.
60 Fitzgerald, Absolution le Premier Mai (May Day) Retour à Babylone (Babylone Revisited).
Charlie Wales revient chercher sa petite fille chez les Peters (famille de sa femme) qui l’ont gardée depuis la mort de sa femme. Avant 1930, à Paris Charlie avait mené une vie de débauche, d’alcool, rendant sa femme malheureuse. Aujourd’hui il veut changer de vie. Mme Peters ne lui a pas pardonné la mort de sa femme et refuse dans un premier temps de lui rendre sa fille. Charlie effectue un retour critique dans les lieux parisiens qu’il a fréquentés avant 1929.
61 Fitzgerald, op. cit., p. 233.
62 Fitzgerald, op. cit., p. 233.
63 Ibid., p. 239.
64 Simenon, Maigret, La tête d’un homme, p. 61.
65 Simone de Beauvoir, op. cit., p. 64.
66 Henry Miller (1891-1980) était le fils d’Américains d’origine allemande. Quand il s’installe à Paris en 1930 il a déjà écrit plusieurs romans qu’il n’a pas réussi à publier. Il venait de rompre avec sa femme June-Mona ; grâce à l’appui d’Anaïs Nin, il s’installa à Montparnasse, passait du temps au bar de la Coupole, à errer dans les rues de Montmartre... Il réussit à publier Tropique du Cancer en 1934. Par la suite il s’installa en banlieue à Clichy et resta à Paris jusqu’en 1939.
67 Henry Miller, Tropique du Cancer.
68 Ibid., p. 43.
69 Ibid., p. 24.
70 Ibid., p. 193.
71 Henri Raczymov, Maurice Sachs.
72 Nous n’avons pas retrouvé dans les index des guides de l’époque l’avenue Floquet mentionnée par l’Abbé Mugnier, dans son journal, comme adresse des Morand.
73 Le journal de l’abbé Mugnier, 1879-1939 est une source très précieuse pour la connaissance des adresses des gens du Monde et du Tout-Paris ; l’abbé Mugnier était en effet le confesseur des gens du monde ; il allait quotidiennement déjeuner et dîner chez eux, donnait leur adresse, le nom des personnes invitées et souvent le contenu des conversations.
74 « [...] un des endroits de Paris les plus chargés de sens et de culture », affirme Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 226.
75 M. Sachs, op. cit., p. 106.
76 La distinction en cafés d’hommes et cafés où vont hommes et femmes est soulignée par Léon-Paul Fargue.
77 François Mauriac, La Rencontre avec Barrès, Oeuvres Complètes, Tome IV, p. 184.
78 Du nom du spectacle de music-hall créé par Darius Milhaud et Jean Cocteau en 1920.
79 Maurice Sachs, Au temps du Bœuf sur le toit. Le sous-titre est « Journal d’un jeune bourgeois à l’époque de la prospérité 14 Juillet 1919 - 30 octobre 1929 ».
80 Radiguet meurt en 1923.
81 Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 46.
« Le Roi Ferdinand de Roumanie étant à Paris, est conduit incognito au Bœuf sur le toit, par le Comte Étienne de Beaumont et la Comtesse Anna de Noailles » (Maurice Sachs, A u temps...p. 180).
82 Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 47-53.
83 Cité par Jean Lacouture, François Mauriac, vol I, p. 257.
84 Le peintre mondain Jacques-Emile Blanche était un grand ami de François Mauriac.
85 L’essai qu’il écrit alors.
86 Sur ce point certains rapprochements intéressants peuvent être faits avec les travaux de Pierre Barrai sur l’utilisation du mot « paysan » : Pierre Barrai, « Note historique sur l’emploi du mot paysan », Études rurales, Paris, n° 21, 1966, p. 72-80.
87 Daniel Halévy, Pays Parisiens.
88 Ibid., p. 153.
89 L.-P. Fargue, op. cit., p. 19. Son père s’y est installé alors qu’il avait 4 ans.
90 L.-P. Fargue, op. cit., p. 18.
91 Ibid. p. 20.
92 Léon Daudet, Paris vécu, p. 913-1388 ; les souvenirs de Daudet datent de 1929. Il les écrivit alors qu’il était en exil à Bruxelles. Léon Daudet habitait dans l’hôtel Lamoignon, au 24 rue Pavée. Il avait été lycéen à Charlemagne.
93 Ibid., p. 919.
94 Ibid., p. 931.
95 Annie Kriegel, op. cit., p. 63.
96 Annie Kriegel, op. cit., p. 67.
97 Mouloudji, Le petit invité, p. 152.
98 Jean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Sept. 1939 - Mars 1940, p. 460.
Ces phrases de Sartre évoquent, ainsi que nous l’avons traité dans le premier chapitre celles d’Albert Guérard « Tout homme a deux cités, la sienne et puis Paris », ou Joséphine Baker chantant, « J’ai deux amours, mon pays et Paris... »
99 Princesse Bibesco, Catherine - Paris, p. 46-57.
Marthe Bibesco est née à Bucarest en 1886, d’un père ancien élève du lycée Louis-le-Grand et d’une mère qui avait des visions...
100 Fitzgerald, op. cit., p. 23.
101 Ibid., p. 23.
102 Jean Cocteau, Portraits-souvenirs, p. 42.
103 Maurice Sachs, La décade de l’Illusion, p. 177. « Nous nous déplacions alors « en bande ». On était parfois une quinzaine qui allions ensemble au cinéma. Les disciples regardaient silencieusement. Ils craignaient trop de porter un jugement à faux et attendaient que Cocteau eût parlé. S’il aimait le film, nous portions à travers Paris une admiration ingénue et définitive. S’il le condamnait, le titre du spectacle prononcé portait sur nos visages une moue de répulsion ».
104 Jean Lacouture en énumère certains à titre d’exemples : la Puissance des ténèbres de Tolstoï chez Pitoëff, les Amants puérils de Crommelinck, L’Annonce faite à Marie, Ubu Roi, Saül d’André Gide, Pygmalion chez Dullin, un Feydeau, Là-haut de Maurice Yvain avec Maurice Chevalier...(Jean Lacouture, op. cit., p. 234).
105 Janet Flanner, op. cit., p. 95-96.
106 Dans cette période de leur vie au centre même de leurs intérêts : « Les livres, les spectacles comptaient beaucoup pour nous ; en revanche, les événements publics nous touchaient peu », écrit Simone de Beauvoir, op. cit., p. 60.
107 Ibid, p. 59.
108 Ibid, p. 142.
109 Ibid., p. 58.
110 Maurice Sachs, Au temps du Bœuf sur le toit, p. 41 « C’est inouï la place que prend ce qu’on commence à appeler le huitième art ; il y a onze salles à Paris ; c’est à croire qu’il y en aura bientôt plus que de théâtres [...] ».
111 La première salle créée fut le Colisée, 38 avenue des Champs-Elysées, que le beau monde fréquentait comme un théâtre. Puis les salles des boulevards dans lesquelles on projetait des films américains se multiplièrent après la guerre. Si l’on en croit Maurice Sachs, « La France n’eut guère de films à offrir à l’Amérique jusqu’à la venue de René Clair. C’est que René Clair fut le premier qui eut le courage d’être tout à fait français, de n’imiter rien d’Hollywood ». (Maurice Sachs, La Décade de l’Illusion, p. 42).
112 « C’était le temps où les femmes se tuaient pour Rudolph Valentino et toute la publicité d’Hollywood n’a sans doute jamais atteint à la folie collective que ce nom suscitait » (Brasillach, op. cit. p.63).
113 Sous les toits de Paris de René Clair, avec des décors de L. Meerson, une musique de Moretti et Bernard, est interprété par Albert Préjean, Pola Illery, Gaston Modot, Edmond Gréville, Paul Olivier, Jane Pierson, Aimos, Bill Bocket. Le film eut un succès très médiocre quand il fut présenté au Moulin Rouge en août 1930. Par contre il remporta un éclatant succès à l’étranger à New-York, Tokyo, Buenos-Aires. Sa popularité, explique Georges Sadoul, dans son Dictionnaire des films était due au caractère populaire de l’œuvre. Le cinéma international montrait des palaces, des salon, le petit peuple de Paris, les midinettes, les chanteurs en casquettes firent une forte impression auprès du public international. René Clair fut donc consacré par l’étranger ; en fait le Paris que l’on se représentait était plutôt un Paris 1900 que le Paris contemporain.
114 Brasillach, Notre avant-guerre, p. 64.
115 Ibid. « [...] Nous découvrions l’expressionnisme allemand, jusque dans la salle à vingt sous du Ciné-Sabin, près de la Bastille, avec ses bancs, ses images tremblantes, ses fumées, et son public populaire qui prenait tout ce macabre pour une farce. Caligari, Nosferatu, et les images polynésiennes qui furent alors à la mode, et les patientes œuvres du réalisme d’outre-Rhin, tout cela est inséparable pour moi de ces années magiques ». Les salles mentionnées par R. Brasillach sont des salles d’initiés, que nous appellerions aujourd’hui des salles d’art-et-d’essai.
116 Rue Richer.
117 Léon Daudet, Paris vécu, p. 965. Léon Daudet a fait des études de médecine. Il a 62 ans quand paraît Paris vécu. A la suite d’une condamnation pour diffamation, il vit à Bruxelles entre 1928 et 1930, date à laquelle il est autorisé à regagner Paris.
118 D. Milhaud, op. cit., p. 124. « Ils [Fernand Léger et Cendrars] fréquentaient beaucoup les bals musette [...]. Coiffés d’une casquette, un imperméable sur les épaules, après avoir dîné dans un petit restaurant de la rue de Belleville, célèbre pour ses tripes, nous nous acheminions vers la rue de Lappe ».
119 Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, p. 65 : « Nous allions danser dans des bals de la rue de Lappe ; nous enfarinions nos visages, nous ensanglantions nos lèvres et nous avions beaucoup de succès. Mon danseur favori était un garçon boucher qui, un soir, devant des cerises-à-l’eau-de-vie, insista pour me ramener chez lui [...] ».
120 Jean-Paul Sartre, Lettres au Castor et à quelques autres, p. 177 et suivantes.
1938 : « [...] Je suis à la Coupole et je viens de manger une belle côte de bœuf aux haricots verts et une tarte en lisant un roman policier ».
121 Léon Daudet, op. cit., p. 921-922.
« [A la rue Coquillière] se trouvent deux sites gastronomiques de Paris, ville moins gourmande que Lyon [...]. L’un de ces sites est Daudens - presque mon homonyme - qui vend des jambons, des truffes et autres produits de premier ordre, sans aucune erreur ni mistoufle possible, parce qu’il n’y a rien de second ordre dans sa boutique.
[...] vers les trois heures du matin, on se permettait un petit tour aux Halles, un verre de vin blanc et une omelette aux champignons dans un de ces caboulots des rues avoisinantes qui demeurent ouverts toute la nuit. Il y avait là des coltineurs, des grossistes, des apaches, de pauvres filles en savates et en paletots d’homme et des « originaux », des déclassés, venus du Quartier latin, de Montmartre, d’un peu partout ».
122 Le chat noir, 68 boulevard de Clichy (créé par Rodolphe Salis en 1884 ; le premier cabaret ferma en 1897), le Moulin de la Galette, 79 rue Lepic, le Moulin rouge, 90 Place Blanche.
123 Jerrold Siegel, Paris-bohème, 1830-1930.
124 Picasso vit à Paris depuis 1900. Il est installé au Bateau-Lavoir, 13 rue Ravignan. Selon Daniel-Henry Kahnweille, (Mes galeries et mes peintres, p. 54), le Bateau-Lavoir était une étrange bâtisse « en bois et en verre comme ces bateaux qui alors existaient où les ménagères venaient laver leur linge dans la Seine ».
125 Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 30.
126 Ibid., p. 45.
127 Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 167.
128 Jules Romains, Les hommes de bonne volonté, vol. 4, Françoise, Ch. XX « Place du Tertre. N’importe qui peut m’empêcher de dormir », p. 861.
129 Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 462.
130 Louis Chevalier, Montmartre du plaisir et du crime, p. 24.
131 L. Chevalier, op. cit., p. 449.
La brasserie Wepler, place Clichy est décrite avec précision par Léon-Paul Fargue (op. cit. p. 41). On y mange, on y boit, on y écoute des orchestres au répertoire sentimental, on y joue au billard. La population qui fréquente le Wepler est variée : « rentiers cossus, vieux garçons [...], boursiers de second rayon, fonctionnaires coloniaux, groupes d’habitués qui se réunissent pour ne rien dire, solitaires, voyageurs de commerce de bonne maison, quelques journalistes et quelques peintres [...] » (ibid., p. 41)
132 Henry Miller, Le Tropique du Cancer, p. 118.
133 L. Chevalier note [op. cit., p. 451] (avec un certain humour) que Céline présente toujours le corps malade :
« Il est bien évident que, si Céline avait repéré dans l’ombre du Gaumont la putain à la jambe de bois dont la seule vue dilate la rate de Miller, il n’eût pas manqué de lui reconnaître une bonne maladie vénérienne et de flairer dans sa jambe le sourd travail des vers... ».
134 L.-F. Céline, op. cit., p. 443.
135 Léon Daudet, op. cit., p. 1029.
136 Léon Daudet, op. cit., p. 955.
137 Ibid, p. 1023.
138 Ibid, p. 1038.
139 Dans la grande étude qu’il a consacrée au Sacré-Cœur, Jacques Benoist (op. cit., p. 851) classe en trois tendances les jugements concernant les rapports du Sacré-Cœur et de la Commune de l’entre-deux-guerres à 1968 :
« celle qui exalte toujours le caractère expiatoire du monument par rapport aux crimes de la Commune et lui en fait gloire, celle qui s’abstient complètement d’en parler, celle qui contestant le Sacré-Cœur au profit de la Commune manifeste ses réserves voire aspire à sa destruction pure et simple ».
140 Envoûtement de Paris, Texte de Francis Carco, 112 photos par René-Jacques.
141 Francis Carco, Envoûtement de Paris, p. 50.
142 Ibid, p. 69.
143 Francis Carco, Rue Pigalle.
144 Ibid., p. 14.
145 Kessel, Nuits de Montmartre. Publié sous forme de reportages dans Détective en 1928.
146 Kessel, op. cit., p. 27.
147 Carco, op. cit., p. 19.
148 Mac Orlan Villes-Mémoires, « Montmartre », p. 59 à 129, écrit par Mac Orlan en novembre 1927.
149 Le Lapin Agile, 22 rue des Saules, au coin de la rue Saint-Vincent et de la rue des Saules était encore au début du siècle un café de quartier où se réunissaient les peintres de Montmartre : Picasso, Utrillo, Modigliani. Il porte ce nom car le peintre caricaturiste André Gill y avait peint une enseigne représentant un lapin sautant d’une casserole, d’où l’appellation : « Lapin à Gill ».
150 Mac Orlan, op. cit., p. 103.
151 Mac Orlan, Quai des Brumes.
152 Ibid., p. 70.
153 Ibid., p. 132.
154 Mac Orlan, op. cit., p. 146.
155 J. Kessel, Nuits de Montmartre, p. 13.
156 Ibid, p. 109.
157 J. Kessel, Nuits de Prince.
158 J. Kessel, Nuits de Montmartre, p. 36.
159 Galtier-Boissière, Mémoires d’un Parisien, p. 628-629.
160 Cité par Humphrey Carpenter, op. cit., p. 192.
161 Gertrude Stein, Paris-France, p. 24.
162 Robert Brasillach, Notre avant-guerre, p. 40.
163 Ibid., p. 178-179.
164 Ibid., p. 179.
165 Ibid., p. 180.
166 Ibid., p. 180.
167 Ibid., p. 935.
168 Ibid., p. 943.
169 M.-C. Bancquart, op. cit.
170 André Breton, Nadja, p. 36.
171 L. Aragon, Le Paysan de Paris, p. 92.
172 Toutefois certains surréalistes (Prévert, Marcel Duhamel, Aragon...) habitent au 54 rue du Château, non loin de Montparnasse.
173 Eugène Dabit, « Atmosphère de Paris », p. 23 in Ville-lumière.
174 Ibid., p. 24.
175 E. Dabit, L’Hôtel du Nord. La première version date de 1927. Il parut dans sa version définitive le 10 décembre 1929 et se plaça dans un mouvement international de littérature prolétarienne.
Toute tonalité antisémite n’est pas absente chez Dabit. « Hôtel du Nord » était le nom de l’établissement tenu par les parents de Dabit depuis 1923. Dabit y vécut en 1931.
176 Voir Jungle n° 12, sur les pas fauves de vivre, Dossier Eugène Dabit.
Le « populisme » était un mouvement lancé en août 1929 par un article de Léon Lemonnier dans l’Œuvre. Il se présentait comme une réaction contre « la littérature snob » et soutenait « que le peuple offre une matière romanesque à peu près neuve ».
177 E. Dabit, Ville-Lumière, « Atmosphère de Paris », p. 20.
178 Radiguet, Le bal du comte d’Orgel, cité par Alain Rey Vous avez dit banlieue ?, p. 235.
179 Alain Rey, op. cit., p. 235.
180 Son roman Jours tranquilles à Clichy se rapporte à cette époque. Il fut achevé en mai 1940 mais ne parut qu’en 1956. Marchant vers la place Clichy, Miller explore l’espace de Clichy à Aubervilliers qui lui rappelle Broadway : « De Clichy à Aubervilliers, il y a toute une série de cafés, de restaurants, de théâtres, de cinémas, de chemiseries, d’hôtels et de bordels ». (p. 9).
181 Henry Miller, Lettres à Emil, p. 177.
182 Ibid., p. 177.
183 Ibid. p. 182. Nous remarquons que Henry Miller, comme Hemingway précédemment, est sensible à la présence des statues parisiennes qui renvoient à Paris comme ville de l’Histoire par opposition aux immeubles modernes sans esprit de la banlieue. Cette perception s’oppose à celle des intellectuels français ironiques à l’égard de la statuomanie.
184 Voir par exemple « Le chiendent » de Raymond Queneau : Etienne, l’un des personnages du chiendent, travaille à Paris, vit à Obonne et va manger des frites à Blagny.
185 Jean-Pierre Morel, « A travers les banlieues passe le ciment en fleurs », in « Banlieue rouge, 1920-1960 », Autrement, n° 18, octobre 1992, p. 222-241.
186 Alain Meyer, « L’espace parisien littéraire en crise », in La Ville, Histoires et Mythes, Textes rassemblés et présentés par Marie-Claire Bancquart, Institut de Français de l’Université de in Paris X-Nanterre, 1979-1981, p. 117-142.
187 Ibid., p. 139.
188 Philippe Soupault, Les Nuits de Paris, p. 87 : la banlieue contraste avec la lumière de Paris qui s’identifie à une femme, Georgette ; elle est grise, triste, sale, industrielle : « Nous quittions peu à peu Paris. Déjà les quartiers traversés perdaient leur couleur parisienne, comme sur les cartes de géographie les continents qui touchent les régions polaires. Nous longions de hauts immeubles gris pâle armés de fenêtre, anonymes et muets. Les rues se croisaient sans joie, comme les allées d’une forêt sans soleil... Nous franchîmes bientôt les portes de Paris pour rentrer dans le pays des usines. Les rues étaient bordées de longs murs nus et sales et la nuit devenait toujours plus noire. Des affiches éclataient tout à coup au détour d’un boulevard. Dans le lointain, un café lumineux chantait [...] ».
p. 88 : « Je reconnus malgré la nuit cette lèpre huileuse et gigantesque qui semble vouloir attaquer la ville. Les maisons basses et inégales formaient comme des bulles sur un marais. Patrie des chiens errants, la banlieue étalait ses pustules, comme une prostituée sa vérole [...] ».
p. 89 : « L’aube s’annonçait et j’assistai au réveil de cette banlieue pitoyable comme un moribond pourrissant au bord de la Seine ».
189 André Breton, Nadja. Voir Alain Meyer, op. cit., p. 121 : « Nadja glisse des boulevards vers le Vésinet et St-Germain-en-Laye dans une dérive qui mettra à l’épreuve leur connivence. Ces incursions dans des espaces vacants, jusque-là méconnus de la littérature, constituent comme autant d’épreuves ».
190 Témoignage de Elisabeth Craig, dédicataire et compagne de Céline entre 1926 et 1933, datant de 1988 in Henri Godard, op. cit., p. 159.
191 Ibid., p. 159.
192 Ouverture de Voyage au bout de la nuit : « Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force... Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive [...] » (op. cit., p. 11).
193 70 Critiques de Voyage au bout de la nuit, 1932-1935, Textes réunis et présentés par André Derval. Les textes sont signés Altman, Maurois, Fernandez, Dabit, Nizan, Lévi-Strauss, Gorki, Trotsky etc. Ce recueil est fondamental dans l’analyse de la réception de l’ouvrage.
194 Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 333 : « [...] Plus loin, bien plus loin que les fortifications, des files et des rangées de lumignons dispersés sur tout le large de l’ombre comme des clous, pour tendre l’oubli sur la ville, et d’autres petites lumières encore qui scintillent parmi des vertes, qui clignent, des rouges, toujours des bateaux et des bateaux encore, toute une escadre venue là de partout pour attendre, tremblante, que s’ouvrent derrière la Tour les grandes portes de la Nuit [...] ».
195 Nina Berberova, Chroniques de Billancourt.
196 Dans la postface rédigée en 1967, Natacha Berberova explique qu’elle est venue vivre à Paris en 1925. Elle travaillait alors au journal Les Dernières nouvelles pour lequel elle rédigeait ces chroniques dont elle qualifie l’intérêt d’« historico-sociologique ». Selon elle, la banlieue s’identifie entièrement à Billancourt : « Au sud-ouest de Paris, il existait une banlieue qui avait pour nom Billancourt, et qui s’est peu à peu fondue dans la capitale » (op. cit., p. 236).
197 Ibid., p. 141.
198 Léon-Paul Fargue, Le piéton de Paris, p. 232.
199 Léon Daudet, Paris vécu, p. 917-1179. La rive droite est plus importante (p. 917-1067), que la rive gauche (p. 1067-1167). Il part de son village natal, le Marais, se rend au Père-Lachaise, puis sur les grands boulevards, de l’Opéra à l’Étoile et aux Champs-Elysées. Il pousse jusqu’à Montmartre et au Sacré-Cœur pour terminer son périple à la Cité. « La rive gauche » donne une grande importance au Quartier Latin, aux quais de la Seine (avec l’Académie Française et les bouquinistes). L’itinéraire rive gauche s’achève sur Montparnasse pour se diriger ensuite vers la Porte d’Orléans et Bourg-la-Reine où réside une partie de la famille de Daudet.
Nous avons déjà observé dans l’étude des guides de tourisme que la perception de Paris selon le côté de la Seine où l’on se trouve renvoie plus particulièrement au contact du piéton et de la ville. Le métro développe une autre perception de l’espace urbain.
200 Ibid., p. 1022-1023 : « Le 11 novembre 1918, ce fut l’armistice de la grande Guerre, attirée sur nous par le désarmement, l’incurie démocratique et l’aveuglement de tous les gouvernants de la République, auxquels cette terrible épreuve, du reste n’a pas servi. L’Action française prit place dans le vaste défilé, qui s’organisa de la place de l’Etoile aux Tuileries, au milieu d’un enthousiasme délirant. Il n’y en avait que pour Clemenceau, qui faillit être étouffé et écrasé, en se rendant à une estrade, sise place de la Concorde, non loin de la rue Saint-Florentin. Des petites boutiques aux couleurs alsaciennes, aux noms de villes et de bourgs d’Alsace, où l’on vendait des drapeaux et des cocardes, décoraient l’avenue redevenue glorieuse, que garnissaient, de chaque côté, des centaines et des centaines de canons et de caissons, pris aux Boches par l’armée Mangin. Des avions traversaient l’air, volant bas, au milieu d’acclamations, de chants, de fanfares. C’était le débordement de la joie, le déliement de l’angoisse, immense, aussi vaste que la nuit, et que l’océan. Tout avait la couleur, le goût, le tressaillement de l’aube. Un puissant espoir se levait au-dessus du charnier le plus pathétique de l’histoire moderne, charnier voulu PAR TOUTE L’ALLEMAGNE et par toutes les créatures de l’Allemagne, par malheur insuffisamment châtiées.
La France brillait, tel un beau fruit, au sommet de l’arbre dur de la dure victoire. Mais le ver, la République, restait dans le fruit. On allait le voir ».
201 Léon Daudet, op. cit., p. 952 : « Des sidis couverts d’ordures, de poux géants, et jaunes de chrome, de sanie, ballottent les bras vers Allah, d’un trottoir à l’autre. C’est un dépotoir de tous les stupres. Et quels relents, quel remugle, quelle panique de l’odorat ».
202 Parmi les plaisirs parisiens, seule la cuisine l’intéresse.
203 Léon Daudet, op. cit., p. 1023.
204 Ibid., p. 1038.
205 Céline, op. cit., p. 610.
206 La mère de Bardamu connaît les « misères des villes » mais non celles de la campagne (ibid., p. 126).
207 Parti du Raincy, il se rend à l’institut Bioduret à Paris, puis se prépare à regagner sa banlieue.
« Depuis ce matin même que j’étais parti de là-bas j’avais presque oublié déjà mes soucis ordinaires ; ils y étaient encore incrustés si fort dans Raincy qu’ils ne me suivaient pas. Ils y seraient peut-être morts mes soucis à l’abandon, comme Bébert, si je n’étais pas rentré. C’étaient des soucis de banlieue [...]. En m’approchant des quais, je devenais tout de même craintif. Je rôdais. Je ne pouvais me résoudre à franchir la Seine. Tout le monde n’est pas César ! De l’autre côté, sur l’autre rive, commençaient mes ennuis [...] » (ibid., p. 365).
208 « Les gens riches à Paris demeurent ensemble, leurs quartiers, en bloc, forment une tranche de gâteau urbain dont la pointe vient toucher au Louvre, cependant que le rebord arrondi s’arrête aux arbres entre le Pont d’Auteuil et la porte des Ternes. Voilà. C’est le bon morceau de la ville. Tout le reste n’est que peine et fumier » (Céline, op. cit., p. 100).
209 « Après le truc à éclipse du coin du boulevard, pour l’essence, c’était l’octroi et ses préposés verdoyants dans leur cage en verre » (ibid., p. 442).
210 Bardamu est nommé à la consultation du dispensaire de tuberculeux :
« Comme malades c’était plutôt des gens de la zone que j’avais, de cette espèce de village qui n’arrive jamais à se dégager tout à fait de la boue, coincé dans les ordures et bordé de sentiers où les petites filles trop éveillées et morveuses, le long des palissades, fuient l’école pour attraper d’un satyre à l’autre vingt sous, des frites et de la blennorragie » (ibid., p. 422).
211 Jules Romains, « les sentiments unanimes et la poésie » in Le Penseur, avril 1905.
212 Jules Romains, Les hommes de Bonne Volonté, Tome IV. in « Le 7 Octobre, Par un joli matin, Paris se rend au travail », p. 930.
213 Aragon, op. cit., p. 15.
214 Ibid., p. 109.
215 André Breton, Nadja.
216 Ibid., p. 69.
217 Ibid., p. 72.
218 Ibid., p. 80.
219 Ibid., p. 86.
220 P. Soupault, Les nuits de Paris, p. 131-132.
221 « La nuit », Sociétés et représentations, n° 4, mai 1997.
222 P. Soupault, Les dernières nuits de Paris.
223 Ibid., p. 50.
224 Ibid., p. 35.
225 P. Soupault, op. cit., p. 53.
226 Carolyn Burke, « Paris by night : l’image nocturne de Paris chez les écrivains américains » in A. Kaspi et A. Marès, Le Paris des étrangers, p. 271-286. Le roman étudié par C. Burke est Nightwood de Djuna Barnes publié en 1937.
227 Ibid, p. 271.
228 En ce qui concerne le Chiendent de Raymond Queneau, voir Jean-Pierre Morel « A travers les banlieues passe le ciment en fleurs » in « Banlieue rouge », Autrement, n° 18, octobre 1992, p. 229.
229 Louis Chevalier, Les Parisiens, p. 33.
230 Valéry Larbaud, op. cit., p. 274.
231 Valéry Larbaud Jaune bleu blanc, Paris de France, p. 16.
232 Ibid., p. 17.
233 Léon-Paul Fargue, Le piéton de Paris, p. 162-163.
234 Valéry Larbaud, op. cit., p. 273.
235 235. Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, « Présence de Paris », 1927, p. 152.
236 Louis Aragon, Les Beaux Quartiers, p. 263 :
« Puis c’est la ville aisée, aux rues sans âme, sans commerce, aux rues indistinguables, blanches, pareilles, toujours recommencées. Cela remonte vers le nord, cela redescend vers le sud, cela coule le long du Bois de Boulogne, cela se fend de quelques avenues, cela porte des squares comme des bouquets accrochés à une fourrure de haut prix. Cela gagne vers le cœur de la ville vers le quartier Marbeuf et les Champs-Elysées, cela se replie de la Madeleine sur le parc Monceau vers Pereire, et ce train de ceinture qui passe rarement par une large tranchée de la ville, cela enserre l’Étoile et se prolonge par Neuilly, plein d’hôtels particuliers, dont la nostalgique chevelure d’avenues, vient traîner jusqu’aux quais retrouvés de la Seine, et aux confins de la métallurgie de Levallois-Perret. Les beaux quartiers... Ils sont comme une échappée au mauvais rêve dans la pince noir de l’industrie [...] ».
237 Ibid., p. 263.
238 Edmond ne doit pas, dans ce milieu laisser voir ses origines provinciales. Ibid., p. 277 :
« Depuis qu’il était à Paris, Edmond avait appris à parler du bout des dents et en serrant les lèvres, comme toutes les personnes du midi qui ont de l’éducation ».
239 Aragon utilise, par exemple l’expression : « en bonne fortune au Tout-Paris » (op. cit., p. 295).
240 Ibid., p. 289.
241 Voir Anne Martin-Fugier, La vie élégante ou la formation du Tout-Paris 1815-1848. Anne Martin-Fugier cite la définition donnée par Le Siècle, le 2 septembre 1837 qui explique le Tout-Paris comme un « bataillon sacré » de quatre à cinq cents personnes, formé de « dandys, gens de lettres, merveilleuses, bas-bleus et célébrités de tous genres », qui se mobilise pour les solennités.
Voir aussi les pages consacrées par Louis Chevalier à l’étude du Tout-Paris, in Les Parisiens, p. 97-102.
242 Maurice Sachs, La décade de l’Illusion. L’index se trouve p. 237-248.
243 Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 232.
244 Journal de l’abbé Mugnier (1879-1939).
245 Maurice Sachs, Au temps du Bœuf sur le toit, p. 122.
246 Maurice Sachs, Au temps..., op. cit., p. 128-129.
247 Ibid, p. 106.
248 Victor Margueritte, La Garçonne. Ce livre connut un très grand succès de librairie puisqu’au bout de trois mois, il était tiré à 150 000 exemplaires.
249 Jean Valdour est médecin, juriste. Il était membre de 1’« Action Française ». Chaque année, il passait quelques mois à enquêter sur la vie des déshérités parisiens. Ses observations sont rassemblées dans les 18 volumes de Jacques Valdour, La vie ouvrière. Observations vécuess. Sur Paris et sa banlieue, on trouve en particulier : Ouvriers parisiens d’après-guerre ; Ateliers et taudis de la banlieue de Paris, ; De la Popinqu’à Ménilmuch’.
250 Léon Daudet, Paris vécu, in « Rive Droite »„ p. 925 : « Adolphe Delval était le chef de l’équipe de typos qui composaient notre quotidien au début. C’était un homme gros, jovial, parigot dans l’âme [...] ».
251 Léon Daudet, op. cit., p. 925.
252 Ibid., p. 948.
253 Ibid., p. 944. Léon Daudet fait référence au Dictionnaire de Henri Bauche, dont nous avons retrouvé les références : Le langage populaire. Grammaire, syntaxe et dictionnaire du français tel qu’on le parle dans le peuple de Paris avec tous les termes d’argot usuel, Paris, Payot, 1929 (première édition, 1920). Selon H. Bauche (p. 20), le langage populaire est « l’idiome parlé couramment et naturellement dans le peuple » alors que l’argot est une « langue artificielle faite afin de pouvoir se comprendre entre soi, et sans être compris des non-initiés ».
254 Léon Daudet, op. cit., p. 943.
255 Ibid., p. 935.
256 Robert Brasillach, Notre avant-guerre, p. 180.
257 Robert Brasillach, op. cit., p. 114.
258 Pendant la deuxième Guerre Mondiale, il est, aux côtés de Dautry à la direction des services sociaux des usines d’armement, puis à la tête du Secours National pendant toute l’occupation.
259 Les premières équipes sociales de jeunes gens ont vu le jour à Paris le 21 novembre 1921. Elles ont été complétées par les équipes sociales de jeunes filles en 1923. En 1922, Paris en compte 25 groupes, 60 en 1924.
260 Robert Garric, Belleville. Scènes de la vie populaire. L’édition originale est parue en 1928 sous la direction de Jean Guéhenno, chez Grasset.
261 Robert Garric, op. cit., p. 163.
262 Ibid, p. 38.
263 Ibid., p. 40.
264 Ibid., p. 100.
Dans la partie consacrée aux guides de tourisme, nous avions parlé du Guide des Équipes Sociales consacré à Paris. Ces propos de Garric éclairent le mode d’utilisation spécifique du Guide.
265 Cette idée de l’intellectualité du peuple que nous avons déjà trouvée dans le Paris vécu de Léon Daudet nous est aussi retransmise dans des mémoires récemment parues de Maurice Arnoult, bottier à Belleville qui a participé à des cercles d’études animés par des intellectuels, étudiants qui apprennent à lire aux étrangers et à ceux qui sont arrivés dans l’entre-deux-guerres. Maurice est ainsi devenu licencié en philosophie, tout en restant bottier : voir Michel Bloit Moi, Maurice, bottier à Belleville.
266 Robert Garric, op. cit., p. 68.
267 Ramon Fernandez in Marianne, 16 novembre 1932 cité par André Derval, op. cit., p. 33.
268 Ramon Fernandez, op. cit., p. 33. Ainsi la fête des Batignolles évoque les « petites bonnes de Bretagne [qui] toussent bien davantage que l’hiver dernier », les « gars d’Auvergne » qui « ne les fricotent qu’en capotes », la « marchande » du kiosque qui « gratte sa vieille conjonctivite ». (Céline, Voyage..., op. cit., p. 605).
269 Eugène Dabit, « A l’Hôtel du Nord », in Ville-Lumière, p. 35.
270 Ibid., p. 35.
271 Eugène Dabit, Ville-Lumière, Textes réunis par Pierre-Edmond Robert.
272 Ibid., p. 29.
273 Aragon, Les Beaux Quartiers, p. 413.
274 Ibid., p. 415.
275 Ibid., p. 416.
276 Jules Romains, « Les amours enfantines », Les hommes de bonne volonté, vol. I, 3, p. 318.
277 Jules Romains, « Éros de Paris », ibid., I, 4, p. 627.
278 Voir à ce sujet la leçon inaugurale au Collège de France de Louis Chevalier.
279 Jules Romains, « Le 6 octobre » in Les Hommes de bonne volonté, I, 1, p. 157.
280 Ibid., p. 165.
281 Jules Romains, « Éros de Paris », in Les Hommes de Bonne volonté, I, 4, p. 525.
282 Joseph Delteil, op. cit., p. 58-59.
283 Aragon, Les Beaux Quartiers, p. 409.
284 Paul Morand, New-York, p. 201.
285 Ibid.
286 Walter Benjamin, Sens unique - Paris, la ville dans le miroir.
287 Robert Brasillach, le Paris de Balzac, 1930, publié à l’Inedet en 1984.
288 Robert Brasillach, Notre avant-guerre. Une génération dans l’orage.
289 Ibid., p. 119.
290 Léon-Paul Fargue, Le piéton de Paris.
291 Charles-Louis Philippe, Bubu de Montparnasse.
292 Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 147.
293 Henry Miller, Le tropique du Cancer.
294 Anaïs Nin, Journal, 1931-1934.
295 Ibid., p. 230.
296 Charles-Louis Philippe (1874-1909) est né en 1874 d’un sabotier à Cérilly dans l’Allier. Il quitte le lycée de Montluçon pour Paris où il connaît la misère jusqu’à ce que Barrès lui trouve un emploi dans les services municipaux.
297 Léon Daudet, op. cit., p. 926.
298 Stefan Zweig, op. cit., p. 9.
299 Ibid., p. 471.
300 Ernst-Robert Curtius, Essai sur la France.
301 La place du chapitre « Paris », est, en soi intéressante. Liste des chapitres : « l’idée française de civilisation » ; « les données naturelles » ; « la littérature et la vie intellectuelle » ; « la religion » ; « Paris » ; « Caractères essentiels du Génie français ». Paris est ici une catégorie de la civilisation.
302 Ernst-Robert Curtius, op. cit., p. 52
303 Ibid., p. 58-59.
304 Ibid., p. 248.
305 Ibid., p. 249.
306 Ibid., p. 250. Curtius est frappé par le contraste entre la « félicité » des Champs-Elysées et l’atmosphère qui règne sous la voûte de l’Arc de Triomphe, entre les cabarets de Montmartre et la coupole du Sacré-Cœur...
307 Ibid., p. 330-331 : « Ce seul nom : « La France » permet déjà une personnification de la patrie, que le mot « Allemagne » n’autorise pas. La figure de la « Germania » n’est pas pour nous une chose vivante. Elle est une création artificielle. Tandis que « La France vit, dans la conscience française, sous les traits d’une femme héroïque ou charmante. Elle est une fiction à laquelle les usages de la langue et les effigies dont on décore les timbres-poste, les peintures et les monuments, ont fini par conférer un corps et une vie [...].
La France en tant que femme est capricieuse et coquette. Même ses sautes d’humeur sont exquises [...]. On l’a élevée au rang d’une déesse [...]. La France a su forger ce mythe d’elle-même ».
308 Voir Gershom Scholem, Walter Benjamin, Histoire d’une amitié. Gershom Scholem explique que [Paris] « prit [pour Benjamin] une place importante et permanente dans son cœur » (p. 148) « Le roman de Louis Aragon, Le paysan de Paris (1926) l’incita à commencer le travail envisagé sur les passages de Paris ; [...] il comptait écrire un essai d’une cinquantaine de pages imprimées, dans lequel il entendait - en se plaçant encore tout à fait en deçà du matérialisme dialectique - projeter sa vision historique et philosophique de Paris sur un plan qui devait refléter également sa propre expérience métaphysique, ou encore la dynamique de cette expérience, dans le contexte du processus de dissolution évoqué plus haut ». (Ibid., p. 158).
309 Walter Benjamin, Passages parisiens II, f°3, in Paris, Capitale du xixe siècle, p. 879.
310 Walter Benjamin, Paris, Capitale du xixe siècle, in Walter Benjamin, Essais 2, 1935-1940, p. 44.
311 Walter Benjamin, op. cit., p. 51.
312 G. G. Scholem, La Kabbale et sa symbolique, p. 70. Selon Gershom Scholem, Benjamin s’est nourri aux sources de la tradition hébraïque dont il souhaitait approfondir le sens.
313 Aragon, Le paysan de Paris, p. 21 : « Le grand instinct américain, importé dans la capitale par un préfet du second Empire qui tend à recouper au cordeau le plan de Paris, va bientôt rendre impossible le maintien de ces aquariums humains déjà morts à leur vie primitive, et qui méritent pourtant d’être regardés comme les receleurs de plusieurs mythes modernes, car c’est aujourd’hui que la pioche les menace qu’ils sont effectivement devenus les sanctuaires d’un culte de l’éphémère [...] ».
314 Walter Benjamin, Passages Parisiens, II, h°1, p. 880. Ballhorn est peut-être l’imprimeur Johann Ballhorn (1528-1603). Eugènie Marlitt (1825-1887) est un auteur de romans populaires. Benjamin cite sept muses.
315 Walter Benjamin, Paris. La ville dans le miroir, p. 286.
316 Ibid., p. 287, « Lorsque le spectre littéraire de la ville est diffracté par les facettes de l’entendement prismatique, les livres apparaissent de plus en plus rares à mesure qu’on va du centre vers les bords ».
317 Ibid., p. 287.
318 Roger Caillois, préface à Honoré de Balzac, A Paris !, p. 11.
319 Ibid., p. 11.
320 Caillois en donne plusieurs exemples : H. Lucas, Les prisons de Paris, 1842-1843 ; E. Sue, Les Mystères de Paris, 1844 ; Alexandre Dumas, Les Mohicans de Paris, 1862 etc. Roger Caillois (1913-1978) appartenait au groupe surréaliste. En 1934, une importante querelle l’oppose à Breton. En 1938, il crée avec Georges Bataille le Collège de Sociologie. Ses principales recherches portent sur l’imaginaire.
321 Roger Caillois, op. cit., p. 15.
322 Roger Caillois, « Paris, mythe moderne », Paris, 1er Mai 1937, N.R.F, p. 682-699.
323 Ibid., p. 684.
324 Ibid., p. 690.
325 Quelques titres de films de l’entre-deux-guerres : Allô, Berlin, ici Paris de Duvivier (1931) ; Ca...c’est Paris d’Antoine Mourre(1930) ; Cendrillon de Paris de Jean Hémard (1930) ; Enfants de Paris de Gaston Roudès (1936) ; Paris de Jean Choux (1937) ; Paris Port de Marcel Sauvage (1929) ; Le P’tit Parigot de René le Somptier ; Paris qui dort (1923) de René Clair ; Sous les toits de Paris de René Clair (1930), etc...
326 Gertrude Stein, Paris-France. Ce livre est un livre de souvenirs sur le séjour en France de Gertrude Stein qui vécut en France à partir de 1903. Elle reconnut immédiatement le talent de Picasso, qu’elle contribua à faire connaître. Elle est une figure marquante du Paris des femmes homosexuelles de l’entre-deux-guerres.
327 Ibid., p. 15.
328 Ibid., p. 18.
329 Ibid., p. 25.
330 Cette image de l’Amérique séduit Paul Morand, alors qu’elle horrifie d’autres intellectuels comme Georges Duhamel, quand il écrit en 1930, les Scènes de la vie future.
331 Paul Valéry, Regards sur le Monde actuel, chapitre : « Introduction aux images de la France », p. 103-144.
332 Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, p. 151.
333 Ibid., p. 152.
334 Ibid., p. 124.
335 Ibid., p. 126.
336 Ibid., p. 152.
337 Paul Valéry, op. cit., p. 153.
338 Ibid., p. 150.
339 Curtius, op. cit., p. 247.
340 Ibid., p. 248.
341 Ibid., p. 248.
342 Léon Daudet, op. cit.
343 Léon Daudet, op. cit., p. 1003.
344 Henry Miller, Tropique du Cancer, p. 258 : « Ce n’était plus un mystère maintenant de savoir pourquoi lui (Strindberg) et d’autres avaient fait leur pèlerinage à Paris. Je compris alors pourquoi Paris attire les torturés, les hallucinés, les grands maniaques de l’amour. Je compris alors pourquoi ici, au moyeu même de la roue, on peut embrasser les théories les plus fantastiques, les plus impossibles, sans les trouver le moins du monde étranges ; pourquoi ici on relit les livres de sa jeunesse et pourquoi les énigmes prennent un sens nouveau, un pour chaque cheveu blanc ».
345 Ibid., p. 293.
346 Joseph Delteil, Les Chats de Paris, p. 106-107.
347 Ibid., p. 135.
348 Carl E. Schorske, « Freud, La psychoarchéologie des villes », in Urbi, n° V, Avril 1982, p. XV-XXII.
349 Ibid., p. XVIII.
350 Ibid., p. XX.
351 Lire la préface que donne Tomas Szende à La rue du Chat-qui-pêche.
352 Jόlan Földes, op. cit., p. 19.
353 Ibid., p. 27.
354 Ibid., p. 112.
355 Jόlan Földes, op. cit., p. 45.
356 Ibid. p. 46.
357 N. Berberova, op. cit., p. 224.
358 Preuve de sa naturalisation à l’Hôtel du Nord...
359 Eugène Dabit, « Métro », 1934, in Ville Lumière, p. 34.
360 Ibid.
361 Stefan Zweig, op. cit., p. 165.
362 Ibid., p. 166.
363 Ibid., p. 163 : « Et maintenant c’est chose faite : le drapeau à croix gammée flotte sur la Tour Eiffel, les noires troupes d’assaut paradent insolemment sur les Champs-Elysées de Napoléon, et j’éprouve de loin comment, dans les maisons, les cœurs se serrent, quel regard humilié ont maintenant ces citoyens naguère si pleins de bonhomie, quand de leurs bistrots et cafés familiers résonnent lourdement les bottes à revers des conquérants ».
364 C.-F. Ramuz, Paris, p. 145. Ramuz (1878-1947) est arrivé à Paris en 1902 pour y faire son doctorat de lettres. Comme il l’explique dans ce « portrait » de Paris, Paris lui a permis de prendre conscience de sa qualité de vaudois. Il est maintenant reconnu dans son pays. Ramuz est célèbre pour sa coopération avec Stravinsky dans l’écriture de l’« Histoire du soldat » (1920).
Sur la question débattue dans l’entre-deux-guerres de l’existence d’un art national, on pourra se reporter à Annick Lantenois, « Le « retour à l’ordre » ou les avatars d’une formule », in Vingtième siècle, n° 45, janvier-mars 1995, p. 40-53.
365 C.-F. Ramuz, op. cit., p. 208.
366 Paul Morand, « Préface » à 1900.
367 « Voyage à Paris », Le Crapouillot, mars 1931. Ce numéro publie des entretiens avec Paul Morand, Paul Poiret, le patron des bars Dupont, Léon Daudet, Bernard Grasset.
368 Le Crapouillot, mars 1931, « Paris 1900-1930, entretien avec Paul Morand ».
369 Maurice Sachs, La Décade de l’Illusion, p. 17.
370 Jean Cocteau, Portraits-Souvenirs, p. 14.
371 Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 166.
Léon-Paul Fargue donne des exemples précis : « [...] Quoi qu’il en soit, tout cela se perd, et même la manière de s’en servir, ainsi qu’il est dit dans un petit poème anonyme. Paris file à toute allure vers un avenir plus sec et certainement moins nuancé. Déjà, le contraste entre la décoration « art nouveau » du Maxim’s et la physionomie des dîneurs apparaît à celui qui le veut bien. On n’y entend plus parler que de pactes, de plans (avez-vous remarqué, tout le monde a le sien) de records ; on explique la sexualité par la biologie, la biologie par la sauce mayonnaise... De ravissantes jeunes femmes ne sentent remuer en elles le cœur et le reste que dans la mesure où le parti politique auquel appartient le monsieur qui les a sorties est « intéressant ». [...] C’est peut-être l’esprit parisien de demain qui fait son apparition ». (Ibid., p. 168).
372 Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 169.
373 Robert Brasillach, Notre avant-guerre, p. 9.
374 Léon Daudet, Paris vécu, p. 918.
375 Nina Berberova, Chroniques de Billancourt, p. 225.
376 Nous étudierons les manifestations littéraires de cette crise dans le chapitre « La ville dans le regard des intellectuels ».
377 Paul Valéry, op. cit., p. 154.
378 Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 232 : « On ne saurait nier que la rue de la Paix, le café de Paris, l’hippodrome de Longchamp, les hôtels de la rue de Varenne, les ambassades, les cercles de la rue du faubourg Saint-Honoré aient été pendant les courbes d’un point de mire comme il n’en existera plus. Il me souvient d’avoir écrit [...] un article en l’honneur de Paris, où je disais en substance que les avions ennemis, en cas de guerre, seraient à coup sûr frappés par le murmure d’histoire, d’élégance, et d’amour qui se dégage de Paris [...] et qu’une présence providentielle, qu’une sorte de charme irrésistible leur commanderait de rebrousser chemin afin de laisser intacte sur le relief du monde une plante d’enchantements et de délices qui ne reprendrait pas de sitôt racine ».
379 Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 82.
380 Maurice Sachs, La décade de l’illusion (Journal achevé en 1932).
381 Ibid., p. 18-19.
382 Paul Morand, Venises, p. 103.
383 Eugène Dabit, « Boulevard Mortier », 1933, in Ville Lumière, p. 26.
384 Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, p. 154. Le lecteur trouvera l’intégralité de la citation de Paul Valéry dans le chapitre « Paris-puissance ».
385 C.-F. Ramuz, Paris, p. 88.
386 Ibid., p. 184-185.
387 Paul Valéry, Eupalinos. Eupalinos est une œuvre de commande. On y lit, p. 100 : « Or, de tous les actes, le plus complet est celui de construire ».
388 Gérard Monnier, « Un Retour à l’ordre : Architecture, géométrie, société », in Le Retour à l’ordre dans les arts plastiques et l’architecture, 1919-1925, Université de St-Etienne, p. 45-54.
389 Jean Giraudoux, « L’urbanisme et le rôle présent de l’écrivain », Conférence prononcée à l’occasion du dîner La Bonne Marmite, en mai 1935 in Jean Giraudoux, Pleins Pouvoirs, p. 21 : « Je voudrais [...] vous montrer sur votre ville même, sur Paris, les ravages causés par cette méconnaissance de l’urbanisme, qui est simplement la méconnaissance de notre passé et de notre avenir ».
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