Chapitre IV. La ville lumière s’expose aux regards du monde
p. 111-229
Texte intégral
1Comme Londres, Berlin, New-York, Vienne, à différentes époques, Paris se présente dans l’entre-deux-guerres comme une capitale de rang mondial. Elle a une image de « Capitale Universelle »1. « Paris » est un instrument du rayonnement international de la France, un des attributs de la grandeur française.
2La France est devenue depuis 1889, la première puissance touristique du monde. Chaque année deux millions de touristes sont attirés par les palaces français, les souvenirs de la Grande Guerre, les Expositions Internationales. Ce tourisme sera atteint de plein fouet par la crise économique internationale de 19292.
3Une véritable politique culturelle de la France se met en place qui valorise ce que l’on ressent comme un « atout français »3. Elle met en avant une image de Paris et de la France, de ce qu’il « faut » voir de beau, d’intéressant, de pittoresque, d’édifiant, de grandiose, d’évocateur... Paris apparaît comme une « ville-miroir »4. Paris se mire littéralement dans les yeux de milliers d’artistes, d’écrivains, de populations en tous genres qui le dépeignent, l’écrivent, le disent.
4Les guides de tourisme consacrés à Paris se présentent comme une architecture réfléchie de l’image de Paris5. Les grandes expositions s. internationales et universelles sont également un élément de la politique culturelle de la France, une image construite à l’intention de ceux qui viennent voir Paris. Il y a un plaisir à voir Paris et Paris a plaisir à être vue.
5Certains intellectuels publient des « portraits » de villes, sortes de guides qui « promènent » leur lecteur au travers de Paris. Ce genre littéraire est assez apprécié dans l’entre-deux-guerres de même que les nombreuses « enquêtes » menées auprès du public sur les « attributs » de Paris, ses qualités, ses quartiers, ses monuments...
6La Tour Eiffel des artistes, des peintres et des « Articles de Paris » nous a semblé particulièrement indiquée pour analyser l’évolution du regard sur un monument qui a fini par s’identifier à Paris. Nous confronterons ces différentes images entre elles. Puis, nous poserons la question de la réception des images de Paris au travers de quelques écrits d’étrangers de Paris, sur la capitale française.
1. QUE FAUT-IL VOIR A PARIS ? PARIS DANS LES GUIDES DE TOURISME DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES
7Dès le xixe siècle le tourisme est organisé, constitué véritablement en profession avec des agences nationales et internationales, une littérature très perfectionnée et presque déjà une véritable politique. Ses caractères se transforment. Le début du siècle marque la fin d’une époque de la mondanité ; dès la deuxième moitié du xixe siècle, le tourisme s’est étendu aux classes moyennes6. André Siegfried dans L’âge du tourisme, parle à ce propos du « rôle magnifique d’animateur joué par le Touring Club depuis 1890, sans oublier l’Alpine Club (1857), le Club Alpin (1875), l’Automobile Club (1895), l’Office National du Tourisme (1908), le Commissariat général du Tourisme (1935), les nombreux syndicats d’initiative locaux [...] »7
8Les Guides de tourisme représentent entre-deux-guerres un genre très développé à la méthodologie longuement réfléchie. En 1924, Maurice Dumolin, historien du Vieux Paris, et auteur lui-même d’un Guide pratique à travers le Vieux Paris8 plusieurs fois réédité, publie des Notes sur les vieux guides de Paris9 dans lesquelles il retrace l’histoire des guides consacrés à Paris et réfléchit sur leur contenu. Selon Maurice Dumolin le premier guide connu de Paris est la Fleur des Antiquités de Paris de Gilles Corrozet dans l’édition de 1533-1534. Entre l’édition de 1532 qui, selon M. Dumolin s’apparentait plus à un « éloge » qu’à un « guide » et celle de 1533, une modification importante intervient. Le guide de 1532 se signale en effet par un « résumé de l’histoire de Paris en donnant à propos de chaque souverain les fondations d’églises ou de couvents qui lui sont dues », alors que l’on trouve dans l’édition de 1533-1534 : « un chapitre additionnel qui modifie l’esprit du petit livre : une liste des rues classées par quartiers, une liste des églises, et une liste des collèges de Paris. Cette fois, c’est bien un « Guide » que Corrozet a voulu faire, guide encore rudimentaire et très mal commode, mais guide véritable ».
9Le guide se caractérise donc par son aspect systématique et ses listes aisément consultables par le voyageur.
10Maurice Dumolin relève chez Germain Brice10 dans la Description nouvelle de ce qu’il y a de plus remarquable dans la ville de Paris le « sens de ce qui peut intéresser le grand public et un goût réel dans les questions d’art ». Brice choisit des « itinéraires » qui montrent à l’étranger ce qui est le plus « intéressant » dans Paris. Maurice Dumolin remarque également l’introduction de gravures dans les guides à partir de 1706. Certains guides révèlent leur souci de fournir des informations pratiques sur le choix des logements, la façon de se conduire en différentes situations, des plans organisés par quartiers. En définitive un guide pour Maurice Dumolin se compose de renseignements pratiques, de notes historiques, de descriptions des monuments, ainsi que de leur classement à l’aide d’index, d’itinéraires organisés avec des regroupements de quartiers. Il est illustré de gravures. Enfin, Maurice Dumolin souligne l’importance du choix du « point de départ » des itinéraires.
11Dans sa préface au Guide Bleu de 1921, « Avant de visiter Paris », G. Lenôtre expose la généalogie de ces guides. Il la fait remonter à Adolphe Joanne qui, en 1865, fut « l’initiateur et le premier rédacteur ». Mais, dit-il, Joanne lui-même a « mis à profit le savoir de ses devanciers » parmi lesquels il nomme Jean de Garlande vers 1090, le Voyage à Paris d’Antoine de Rombise en 1635... Dans l’entre-deux-guerres la méthodologie du guide de tourisme est parfaitement élaborée et s’inscrit dans une tradition ancienne. Les rédacteurs de guides participent de la mise au point d’un véritable genre littéraire.
12On peut distinguer plusieurs catégories de guides touristiques dans la période que nous étudions ; d’une part les grandes collections Guides Bleus chez Hachette11, Guides Rouges12 (Michelin), Guides Larousse13, Guides Albin Michel14, Guides à travers le vieux Paris (Champion), Guides allemands Bœdeker15, Guides anglais Dent16 qui sont des guides généralistes, dominent la production des guides. On trouve des Guides pour automobilistes17, pour cyclistes18, pour utilisateurs du métro19, des indicateurs de rues comme le Plan Taride...
13Certains guides sont purement conjoncturels, liés à un événement culturel, en particulier à une exposition internationale20. D’autres correspondent aux besoins de publics particuliers, par exemple les milieux du « Tout-Paris »21 ou le public chrétien populaire22, les Hollandais23, les Anglais24, les Américains à Paris... Certains se spécialisent dans le domaine culturel, d’autres dans celui des plaisirs25, ou encore d’un plaisir plus particulier comme la gastronomie26...
14Nous ne possédons pas d’informations systématiques sur les guides de tourisme de l’entre-deux-guerres. Mais on peut affirmer que la production globale de guides consacrés à Paris est moindre que celle du xixe siècle. Chaque exposition internationale ou universelle est l’occasion de publier non seulement des guides de l’exposition mais aussi des guides de Paris. La production de guides ne semble pas ralentie lors de la crise économique de 1929, qui pourtant atteint gravement le tourisme.
15Le fait le plus notable est le rôle joué par les grandes collections de guides maintenant en place, collections dans lesquelles Paris joue un rôle de première importance. La plus grande autorité dans ce domaine est déjà celle des Guides Bleus dont les Guides-Diamant donnent une version abrégée pratique, de poche. Les Guides Bleus sont réédités et mis à jour de façon régulière, en 1916, 1921, 1929, 1934, 1937, 1939. Le prix d’un volume des Guides Bleus en 1921, qui est de 25 fr., représente le prix d’un repas dans un très bon restaurant parisien. Ils visent un public « bourgeois » et relativement aisé. Les Guides Bleus sont traduits en Anglais. A titre de comparaison, on peut donner le prix du Guide Dent qui est de bien plus petit format et qui coûte 4 fr. pouvant donc être acheté par un plus large public.
16« Paris », les « Environs de Paris » représentent chacun un volume au même titre qu’une région de France comme les Vosges. Pour le lecteur cultivé, le Guide Baedeker fait autorité, aux côtés du Guide Bleu. Au point que Léon-Paul Fargue, connu pour son Piéton de Paris était surnommé le « Baedeker » de Paris. Pour notre période nous avons pu consulter les éditions françaises de 1923, 1931, 1937 des Guides Baedeker.
17Les Guides Bleus de l’entre-deux-guerres27 sont rédigés par des universitaires, des spécialistes de l’histoire parisienne, des conservateurs de musée. Ainsi G. Lenôtre28 de l’Académie française rédige les introductions successives des Guides Bleus dont les auteurs sont respectivement conservateurs de musées, au Louvre, à Carnavalet, au Musée de Cluny et dans les principaux musées de Paris, conservateurs des grandes Bibliothèques, ou universitaires spécialistes d’histoire comme Jean Bonnerot, Guyot, professeurs à la Sorbonne, de théâtre parisien comme d’Espézel. Dans l’ensemble, les rédacteurs sont plutôt des historiens, des membres de grandes institutions, dont l’orientation politique est généralement à droite et à l’extrême droite. Les Guides Bleus prétendent à la qualité de véritables ouvrages de lecture, du niveau des meilleures bibliothèques. Ils sont d’ailleurs une référence pour les autres guides qui prennent quelquefois soin de préciser qu’ils ne sont pas des ouvrages de bibliothèques mais qu’ils sont simplement « pratiques ». Les guides d’introduction à la « vie » du « Tout Paris » sont également rédigés par des membres de l’Académie française, des écrivains connus, reconnus comme spécialistes de l’aspect traité. On confie la rédaction du Paris-guide29 de 1925 à Gabriel Hanotaux de l’Académie française pour l’introduction, le chapitre consacré au « Paris mondain » au Comte Robert de Vogue, celui sur Montmartre à André Warnod... La rue de la Paix est décrite par Fernand Laudet de l’Institut, les promenades de Paris par J. C. N. Forestier, conservateur des promenades de Paris, le théâtre par Maurice Donnay de l’Académie française...
18Mais de nombreux guides ont des auteurs anonymes. Ils sont alors écrits par des connaisseurs de tel ou tel aspect (les spectacles, la gastronomie, les plaisirs...), par des « amoureux » de Paris, par des « vieux Parisiens », ce qui les authentifie d’autant. Le Guide Larousse par exemple ne donne aucun nom d’auteur. Seules sont signées par G. Krull, A. Kertesz, Cl. Delius... les nombreuses photographies qui illustrent l’ouvrage.
19Il faut commenter également la place qu’occupe « Paris » dans la collection des Guides Rouges Michelin qui sortent après 1900. Dans le Guide France, Paris n’occupe pas une place spécifique ; il n’est qu’une étape touristique dans des voyages en France. Dans le Guide Rouge de 1920, seul est mentionné l’itinéraire qui permet de sortir de Paris. Puis Paris devient de plus en plus, pour le touriste qui circule en automobile, une étape où il séjourne à l’hôtel et prend un repas, si possible gastronomique, si bien qu’à partir de 1922 le Guide France publie des listes d’hôtels et de restaurants classés par zones et des itinéraires de circulation, ainsi que des règles de conduite automobile dans Paris. En 1933 les restaurants se voient attribuer des « Étoiles de Bonne Table ». Alors que des plaquettes régionales existaient depuis 1926 pour les grandes régions de France, ce n’est qu’en 1946 que sort la première plaquette « Paris », qui porte une Tour Eiffel sur la couverture. Paris pour les Guides Michelin ne fait pas partie des grandes régions touristiques de France. Ceci est confirmé par la Carte des Régions touristiques que publient les Guides Michelin en 1922. La carte classe « région touristique » les environs de Paris et l’axe de la Seine, mais pas la ville de Paris elle-même. C’est d’abord comme capitale gastronomique que Paris entre dans le tourisme des Guides Michelin. En 1937 à l’occasion de la Grande Exposition Universelle les Guides Michelin publient un guide A l’occasion de l’Exposition 1937 : Paris et ses environs30 qui permet une visite « rapide des principaux monuments et musées parisiens ».
20Les Guides Michelin, comme les Guides B. P. s’adressent en priorité à des automobilistes qui ne font qu’une étape de voyage à Paris ; ils ont donc un propos très différent de celui des Guides Bleus ou Baedeker, qui s’intéressent en premier lieu au Paris historique et monumental, et s’adressent au voyageur qui arrive à Paris par le chemin de fer, qu’il soit français ou étranger. Après une courte introduction, le Guide Bleu donne des « Renseignements pratiques » sur l’arrivée à Paris par les gares. Les informations concernant le tourisme automobile ne s’adressent pour lui qu’aux étrangers31.
21Les Guides de tourisme consacrés à Paris présentent un intérêt à plusieurs niveaux : ils offrent une connaissance pratique élémentaire de la ville : ses hôtels et ses restaurants, leurs adresses, leurs catégories, les moyens de transport utilisés pour arriver à Paris et circuler dans Paris, les spectacles et attractions ; des cartes permettent de faire la géographie du tourisme, des distractions parisiennes. A un autre niveau, ils organisent en itinéraires par zones et quartiers l’espace parisien qu’ils donnent à lire selon des lignes de parcours. Ils révèlent certains aspects de la vie parisienne. Ils dessinent une image bien souvent mythologique de Paris au travers des siècles. Ils donnent un éclairage sur les politiques culturelles dominantes à un moment donné.
22Dans l’ensemble, les guides généralistes se composent d’une courte préface, de « renseignements pratiques » qui se situent soit en tête du volume comme dans les Guides Bleus32, soit en fin de volume comme dans le Guide Dent ou le Guide Larousse33. En général on trouve une notice historique qui s’achève le plus souvent sur la fin de la grande Guerre, quelquefois sur la destruction des fortifications de Paris ; celle-ci est parfois suivie d’une présentation géographique et économique. Puis vient le guide à proprement parler qui s’organise selon des itinéraires. Les modifications d’itinéraires au travers des différentes éditions d’un même guide sont souvent significatives d’un changement dans l’importance conférée à un lieu. Les itinéraires rapides « pour voyageurs pressés », « qui ne disposent que de 1, 2, ou 3 jours » mettent immédiatement l’accent sur ce qui est jugé essentiel34. Les monuments sont, dans les Guides Bleus en particulier assortis d’une à trois étoiles qui signalent leur intérêt esthétique, urbanistique... Le guide est quelquefois complété de plans d’assemblage qui permettent de retrouver les adresses indiquées.
23Les renseignements pratiques sont très développés dans les grandes collections. Ils concernent les transports, le logement, les restaurants, et les lieux de distractions du touriste. Ils permettent aussi de retrouver facilement les consulats, ambassades...
24Les guides de l’entre-deux-guerres proposent des promenades pour piétons mais il est important de noter qu’ils privilégient le métro moyen de transport le plus « pratique » et le plus économique pour se rendre d’un point à un autre. Ils fournissent des plans de métro. Les Guides Bleus donnent un plan de métro au tout début du volume. On constate en comparant les cartes à différentes époques la densifïcation très nette du réseau. L’état de développement du réseau est quelquefois un moyen pour dater le guide lui-même. Le métro est ouvert de 5 heures 30 à 0 heure 45. Il y a deux classes35, 10 lignes numérotées de 1 à 10. La première ligne a été inaugurée en 1900. Jusqu’à 1929 en plus des dix lignes, existent trois lignes, le « Nord-Sud » A, B, C,36. L’unification des deux réseaux dans la Société des Transports en commun de la Région parisienne (S.T.C.R.P.) intervient en 192937. On circule également dans Paris grâce aux tramways qui disparaissent progressivement38, au réseau d’autobus, aux bateaux sur la Seine, aux voitures de place et au Chemin de fer de petite Ceinture qui fait le tour de Paris à l’intérieur de la ligne des fortifications.
25Les « renseignements pratiques » permettent indirectement de cerner les catégories sociales des touristes auxquels s’adressent les guides. A côté du tourisme de grand luxe qui s’adresse à de riches étrangers, Américains ou Anglais qui séjournent dans les Grands hôtels du centre, de l’ouest, et qui s’est développé dans les vingt dernières années du xixe siècle, il y a un tourisme en expansion en direction des classes moyennes à qui l’on propose un séjour dans le quartier de l’Opéra, sur les grands boulevards et parfois dans certains quartiers populaires39. Le Quartier Latin recèle de nombreux hôtels susceptibles d’attirer une clientèle intellectuelle provinciale ou étrangère. Enfin il est toujours possible de se loger aux abords des gares.
26Parmi les 1 500 hôtels que compte la capitale, le touriste peut faire son choix entre plusieurs catégories d’hôtels classés selon leur degré de confort ou même de luxe. Les grands hôtels qui existent depuis le début du siècle40 se situent autour de la Concorde, et dans le quartier des Champs-Elysées ; juste derrière vient le quartier de l’Opéra et du Palais Royal. Enfin, des hôtels de bon niveau, moins luxueux cependant, se situent sur les Boulevards et au Quartier Latin. Le Guide Dent 1938 attribue des « étoiles » à ces catégories : entre 1 et 3 étoiles pour les plus grands hôtels. Les prix varient de 6 à 12 fr. pour une chambre « propre » sur les Grands Boulevards, de 15 à 30 fr. pour un hôtel « de tout premier ordre, de premier et de deuxième ordre »41 dans le périmètre délimité par la place de la Concorde, l’Opéra, la Madeleine, le Palais-Royal. Les prix des hôtels de grand luxe ne sont pas précisément mentionnés.
27Les hôtels de très grand luxe sont en fait à quelques exceptions près, les mêmes depuis la fin du xixe siècle : le Crillon, 10 place de la Concorde42, le Ritz, place Vendôme43, le Meurice, 228 rue de Rivoli44, le Georges V45, le Plaza-Athénée, 25 avenue Montaigne, le Prince de Galles, avenue Georges V. Les hôtels de luxe délimitent une aire du luxe ; ils se situent dans une zone très étroite, autour des places royales, et de l’Étoile. Sur la Rive Gauche le seul hôtel 3 étoiles indiqué est l’Hôtel du Palais d’Orsay, 9 quai d’Orsay46. Chaque hôtel, comme chaque restaurant ou café a une réputation qui lui est propre. Le touriste en séjour de longue durée à Paris peut aussi résider dans une pension de famille pour un tarif de 10 à 20 fr. par jour.
28Après les hôtels les guides répertorient les restaurants selon des critères voisins. Paris et la France plus généralement sont réputés pour leur gastronomie. L’Avertissement du Guide du Gourmand à Paris précise : « On s’est aperçu que le « bien manger » est une des grâces traditionnelles de ce pays, au même titre que la musique de son langage, la parure diverse de ses horizons, la douceur de son ciel »47.
29Paris, affirme le Guide Bleu,
« est non seulement la ville où se peuvent goûter les cuisines du monde entier, mais c’est surtout la capitale de la cuisine française. Depuis quelques années particulièrement il y a un vrai réveil de la gastronomie parisienne. Des associations se sont fondées, une section gastronomique existe au Salon d’automne, une Académie des gastronomes s’est fondée enfin la littérature s’en est mêlée »48.
30Et il semble bien que cette évolution de la gastronomie soit à mettre en rapport avec le développement du régionalisme. On trouve à Paris en effet différentes spécialités régionales (toutes les provinces sont représentées49) mais aussi étrangères (grecques, chinoises50, russes, italiennes, marocaines)... Le guide How to enjoy Paris, qui prétend initier ses lecteurs à ce qu’il y a de meilleur dans la « vie parisienne », consacre huit pages aux vins français51. Tous les guides donnent les adresses des « restaurants de grand luxe » comme Le Café de Paris, Drouant, le Fouquet’s, Lapérouse, Lame, la Tour d’Argent... Beaucoup se situent dans le quartier de l’Opéra, de la Madeleine et des Champs-Élysées. On peut y dîner pour un prix de 25 à 40 fr. Les Guides Bleus donnent de nombreuses adresses de restaurants répartis dans tout Paris en distinguant ceux dont le prix se situe « au-dessus de 25 fr. » et ceux « au-dessous de 25 fr. ». Les guides signalent aussi pour les voyageurs les moins fortunés les établissements de bouillon (Duval, Chartier) qui sont des restaurants d’employés, répartis dans les différents quartiers où l’on peut dîner pour des sommes moindres.
31Paris est également réputé pour ses grands cafés, ses brasseries et ses bars (au nombre de 1 000 environ). Parmi les plus cités, il faut mentionner les cafés des Grands Boulevards, de la Paix, le Glacier Napolitain, les cafés des Champs-Élysées, le Marignan, le Fouquet’s, le Triomphe, ceux du Boulevard Saint-Michel (Le Cluny, le Mahieu, le Balzar, le Flore, les Deux-Magots), et de Montparnasse (le Dôme, la Rotonde, la Coupole après 1927). Quelquefois on prend la précaution d’indiquer que la mauvaise réputation de tel ou tel établissement n’est pas méritée. A côté des cafés, on cite les brasseries où l’on sert la bière (Zimmer, Lipp, Wepler) et les bars. Les guides mentionnent en général les spécialités et les usages à respecter dans ces établissements : ils parlent des terrasses des établissements, de leur caractère, littéraire par exemple (comme la brasserie Lipp), de l’usage du pourboire...
32Les guides répertorient par ailleurs les adresses et les tarifs des théâtres, bars, cabarets, dancings, bals les plus réputés, cinémas et musées.
33La plupart des théâtres et cafés-concerts se situent à l’intérieur de la ligne des boulevards, sur la rive droite. Citons parmi les plus connus : les théâtres nationaux : le Théâtre français, l’Odéon « second théâtre français », les théâtres des Boulevards (Théâtre Antoine, Étoile, Gymnase, Renaissance, Marigny, Mathurins, etc.) dont l’implantation date du xixe siècle et aussi le théâtre du Châtelet, le Sarah-Bernhardt, les théâtres que l’on peut qualifier d’avant-garde : l’Atelier (Dullin), l’Athénée (Louis Jouvet), la Comédie des Champs-Élysées, le théâtre Pigalle... Il y a enfin les music-halls très prisés par les étrangers et les parisiens : le Casino de Paris, les Folies-Bergères, le théâtre Marigny, l’Alhambra, l’Alcazar, etc.
34Les cinémas deviennent de plus en plus nombreux tout au long de l’entre-deux-guerres ; ils sont répartis dans tout Paris : en général un film passe d’abord dans les grands établissements des Boulevards (comme le Rex qui date de 1931, les salles Gaumont) ou des Champs-Elysées (comme le Cinéma des Champs-Elysées, le Balzac..) puis est repris dans les salles de quartiers. On trouve des studios d’avant-garde comme le « Studio 28 », mais aussi beaucoup de salles plus traditionnelles. Les cinémas, divertissement plus démocratique que le théâtre, d’ailleurs souvent décrié par la haute aristocratie et le tout-Paris mondain, sont également représentés dans tous les arrondissements parisiens. Mais il faut remarquer que les guides les plus culturels ou les plus mondains ne fournissent pas les adresses des cinémas qu’ils méprisent le plus souvent.
35Paris est également célèbre pour ses nombreux Bals au nombre de 689 selon les Guides Bleus, chacun ayant une clientèle particulière. Les Guides Bleus évoquent aussi la mode de la Danse qui fait fureur à Paris et Les Guides Bœdeker détaillent les caractères des bals : le Bal Bullier est un « bal d’étudiants », l’Élysée-Montmartre, le Moulin de la Galette, les « Bals-Musette » de la rue de Lappe sont « populaires », « Le Bal colonial, 33 rue Blomet [...] où fréquentent les nègres, est devenu dernièrement une attraction pour les étrangers »52. Enfin les renseignements pratiques fournissent souvent un calendrier parisien des principales fêtes, foires, salons et réjouissances53.
36On trouve aussi les informations pratiques sur les principaux musées, leurs jours et heures d’ouverture. Le calendrier des Grands Salons d’Art est détaillé : Salon d’Automne, Salon de la Société des Artistes Indépendants, Salon des Tuileries..., Expositions de la Société Nationale des Beaux-Arts et de la Société des Artistes français...
37Les renseignements pratiques des guides nous permettent donc d’accéder de façon directe à un certain nombre d’informations de la vie quotidienne parisienne. Ils permettent également de délimiter des zones du luxe parisien, et des zones des plaisirs parisiens. Les principales activités culturelles sont répertoriées avec une très grande précision.
1.1. Lignes de lecture et de circulation dans l’espace parisien
38L’espace parisien peut se lire dans plusieurs dimensions, à la façon de Jules Romains qui retrouvait des lignes dans Paris, ou bien à celle de Walter Benjamin qui mêlait l’approche surréaliste et la lecture hébraïque.
39Les Hommes de bonne volonté, comme l’explique Marcel Roncayolo mettent en scène des « trajectoires » qui permettent de saisir l’unité de la ville54.
« [...] Paris s’ouvrait comme une main chargée de pouvoirs, traversée d’influences contraires, sillonnée de lignes secrètes que le regard des visiteurs, du haut des monuments, n’avait pas aperçues, qui ne figuraient sur aucun plan, qu’aucun voyageur des trains ne verrait mentionnées sur son guide, mais qui commandaient même de loin les attractions, les répulsions, et selon lesquelles se faisaient à chaque minute toutes sortes de choix individuels et de clivages de destinées.
Chacune commençait sur quelque point de la périphérie, ou un peu plus à l’intérieur ; se poursuivait vers le dedans, à sa façon ; s’insinuait entre les quartiers ou les coupait en deux ; faisait des anses et des boucles, s’arborisait, croisait d’autres lignes, semblait les épouser un moment ; allait mourir à l’autre bout de Paris, ou revenait au contraire se clore sur elle-même.
Il y avait la ligne de la richesse qui courait comme une frontière mouvante et douteuse, souvent avancée ou reculée, sans cesse longée ou traversée par un va-et-vient de neutres et de transfuges, entre les deux moitiés de Paris dont chacune s’oriente vers son pôle propre : le pôle de la richesse qui depuis un siècle remonte lentement de la Madeleine vers l’Étoile ; le pôle de la pauvreté, dont les pâles effluves, les aurores vertes et glacées oscillaient alors de la rue Rébeval à la rue Julien-Lacroix. Il y avait la ligne des affaires qui ressemblait à une poche contournée, à un estomac de ruminant accroché à l’enceinte du Nord-Est, et pendant jusqu’au contact du fleuve. C’est dans cette poche que les forces du trafic et de la spéculation venaient se tasser, se chauffer, fermenter l’une contre l’autre. Il y avait la ligne de l’amour charnel, qui ne séparait pas, comme la ligne de la richesse, deux moitiés de Paris de signe contraire ; qui ne dessinait pas, non plus, comme la ligne des affaires, les contours et les renflements d’un sac. Elle formait plutôt une sorte de traînée ; elle marquait le chemin phosphorescent de l’amour charnel à travers Paris, avec des ramifications, çà et là, des aigrettes ou de larges épanchements stagnants. Elle ressemblait à une voie lactée.
Il y avait la ligne du travail, la ligne de la pensée, la ligne du plaisir... Mais il suffit d’avoir deviné dans le crépuscule un peu de ces tracés mystérieux. Ils se révéleront mieux plus tard, pour des yeux entraînés à les déchiffrer »55.
40Quant à Walter Benjamin il suggère une façon de lire un plan parisien qui apporte la connaissance du singulier et du général :
« Celui qui doit dans une ville étrangère, à un coin de rue et par mauvais temps, manier un de ces grands plans en papier, qui s’enflent à chaque coup de vent comme une voile, se déchirent à tous les angles et ne sont plus bientôt qu’un petit tas de feuilles sales qui vous torturent apprend par l’étude du plan Taride ce que peut être le plan d’une ville. Et ce qu’est une ville. Car des quartiers entiers révèlent leurs secrets par les noms de leurs rues. Près de la grande place devant la gare Saint-Lazare on a la moitié de la France et la moitié de l’Europe autour de soi... On peut ainsi morceau après morceau, suivre les rues sur la carte, on peut même aller « de rue en rue, de maison en maison »... »56.
41A l’image de ces deux conceptions de la capitale, les guides offrent toute une palette d’« itinéraires » et de « promenades » dans Paris (de 4 pour le guide des Équipes sociales à 23 itinéraires pour le Guide Bleu de 1937). On peut visiter Paris en 3, 8, 15, 21 jours selon son souhait.
42Le nombre des « itinéraires » dans Paris57 est de plus en plus important dans les éditions successives des Guides Bleus. Les itinéraires privilégient certains quartiers. Ils offrent une manière de lire la ville différente selon qu’ils s’intéressent plus spécialement à l’histoire du vieux Paris, au Paris monumental ou au Paris des plaisirs.
De Paris au Grand Paris
43La lecture des éditions successives des guides permet de situer ace précision le moment à partir duquel ils intègrent dans leur conception la dimension du « Grand Paris ». Jusqu’à 1930, tous les guides distinguent « Paris » et les « environs de Paris » : on entend en général par là Versailles, Fontainebleau, Saint-Denis.
44En 1930 le guide Larousses58 constate que « les fortifications ayant disparu, il est probable que d’ici peu d’années les limites de Paris seront celles du département de la Seine ».
45Cette évolution n’échappe pas au guide des Équipes sociales qui constate que : « ...autour du centre urbain proprement dit que prolongent des faubourgs, jetés comme les bras d’une pieuvre, d’autres villes sont apparues. Toutes petites d’abord, elles grandissent très vite pour perdre leur individualité, rejointes par l’avancée de la ville qui les dépasse bientôt... »59.
46Le guide des Équipes sociales parle alors d’une « agglomération de plus de 5 000 000 d’habitants »60.
47Mais il faut surtout s’attacher à l’évolution très significative des Guides Bleus. Nous avons pu comparer les éditions du Guide-Joanne de 1916, puis des Guides Bleus, 1921, 1929, 1934, 1937, 1939. Jusqu’à 1934 le guide se borne à constater les transformations du Paris moderne. Paris a annexé la zone : les fortifications de Thiers sont en cours de démolition depuis avril 1919. Des parties de territoire comprises dans l’ancienne zone militaire ont été annexées à Paris après le décret de 3 avril 1925 :
« Ainsi la capitale ronge Boulogne, Issy, Vanves, Malakoff, Gentilly comme elle dévora successivement les « faubourgs » immédiats puis Chaillot, Montmartre, Passy ou Charonne... Le recensement de 1926 montre que la population est aspirée par les espaces libres, où s’élevaient naguère les fortifications. Bourg-la-Reine, Antony, Sceaux ne seront plus bientôt que des quartiers de Paris »61.
48L’édition 1934 du guide reprendra ces propos. Mais, en 1928 et en 1936, les Guides Bleus publient aussi un guide des Environs de Paris spécialement consacré à la promenade automobile (sans exclure les promenades piétonne et cycliste) en Ile de France. Le contenu de ce guide sera incorporé dans l’édition 1937 du Guide Paris. Celui-ci n’est pas la simple addition du Guide Paris et du Guide Environs de Paris. Il développe un intérêt spécifique pour la banlieue parisienne.
49En 1937 le guide enregistre la métamorphose du « plus grand Paris ». La préface, rédigée par G. Lenôtre affirme que « Paris ne peut plus être limité à ses vingt arrondissements », que « les communes suburbaines, dont la plupart ont elles-mêmes le chiffre de population d’une grande ville, font aujourd’hui partie intégrante de l’agglomération parisienne ». Le guide conseille maintenant au touriste de ne pas négliger « la banlieue immédiate, trop dédaignée jusqu’ici ». Il conseille de visiter dans le Grand Paris, non seulement les monuments tels que le Château de Vincennes ou la basilique de Saint-Denis, mais aussi les réalisations d’urbanisme, les constructions modernes, les créations techniques dont beaucoup, dit-il, sont « mises en valeur pour la première fois ».
50Le titre du guide se modifie également. En 1921 il était Paris et ses environs, puis dans les éditions suivantes, on a pris soin de nommer ces environs : Versailles, Saint-Germain, Saint-Denis, Chantilly, Fontainebleau. En 1928-1929 et 1934-1936 on a d’un côté Paris-Versailles-Saint-Germain-Saint-Denis-Fontainebleau, de l’autre côté un guide Environs de Paris. En 1937 le titre général du volume unique est Paris. La page de garde fournit une carte du département de la Seine qui illustre « [...] les limites du guide dont la dernière partie s’intitule le Grand Paris. Celui-ci comprend outre les 80 communes du département de la Seine, 4 communes de la Seine-et-Oise : Le Raincy, à l’est, et surtout Meudon, Sèvres et Saint-Cloud, à l’ouest, qu’on ne saurait séparer de l’agglomération parisienne »62.
51En définitive le Guide Bleu rejoint la définition du Grand Paris, telle qu’elle est formulée par la loi de 1932 qui définit l’agglomération parisienne. Il l’enregistre relativement rapidement. On peut même dire qu’il s’aligne sur le point de vue des administrateurs du Grand Paris. En effet on peut lire dans ce guide qu’après une forte croissance, « la crue de la population parisienne semble presque arrêtée »63 en raison d’une part de la crise, mais aussi de la mise en place de la décentralisation vers la province, et de la politique d’aménagement, de la mise en place du plan en banlieue. Les rédacteurs du Guide Bleu insistent encore sur la nécessité d’organiser « rationnellement l’extension de la ville ».
52Les guides mettent en évidence la logique du développement historique de la croissance parisienne. Les enceintes successives de Paris ont marqué de façon durable l’espace parisien. Les guides matérialisent les phases de croissance en distinguant les époques par les différentes enceintes. En particulier ils rendent compte dans les notices historiques de la configuration de Paris avec son « cœur historique », la Cité qui dès la période gallo-romaine était protégée des envahisseurs par un rempart. Celui-ci fut consolidé par le roi Charles le Chauve (823-877) qui voulait protéger Paris des envahisseurs normands.
53Paris affronte plusieurs sièges. Le règne de Philippe Auguste se signale par la construction de la « troisième enceinte » de Paris de 1190 à 1210 sur la rive droite, de 1211 à 1220 sur la rive gauche64. L’enceinte de Charles V (1365-1383) est une consolidation de la quatrième enceinte, que l’on doit à Etienne Marcel. L’espace parisien comprend dès cette époque trois dimensions qui sont l’expression de son histoire spécifique : la Cité, cœur historique, la Ville, centre des affaires, et l’Université, centre de la culture : « Dès cette époque, il y a comme trois villes dans une seule : dans l’île, la Cité, le cœur d’où rayonnèrent primitivement toutes les forces ; au Nord la Ville proprement dite, groupée autour de l’Hôtel de Ville, nouveau centre de vie ; au Sud sur la rive gauche, l’Université »65.
54Les guides rappellent que la cinquième enceinte de Paris, rempart bastionné date de Louis XIII suit la rue Royale et le tracé des Boulevards depuis la Madeleine jusqu’à la place de la Bastille. Sous Louis XIV, on démolit les tours et les murs de la ville. Une ligne de boulevards suit alors le tracé des remparts de la rive droite ; au sud des boulevards sont plantés en 1704 sur un tracé qui va au-delà de l’ancienne enceinte. La sixième enceinte de Paris construite sous Louis XVI n’est plus une enceinte militaire, mais un mur fiscal destiné à « protéger le fisc contre les fraudeurs »66.
55Contre toute attente, les Guides Bleus ne donnent pas à la dernière enceinte parisienne de 1840 - l’enceinte de Thiers - une place aussi importante que celle qui est conférée à l’enceinte de Philippe Auguste, ou à celle de Charles V. Dans l’histoire monumentale parisienne qui intéresse les Guides Bleus, une époque nouvelle s’ouvre avec la Révolution française : « A partir de cette époque, l’histoire des monuments de Paris, se confond avec l’histoire des monuments contemporains »67.
56Selon le guide, l’enceinte de 1840 ne modifie pas la ville en profondeur. On la mentionne sans insistance ; elle est bien moins importante pour Paris que les transformations du Second Empire. « Par une loi votée en 1840, Paris fut transformé en ville de guerre et entourée d’une enceinte fortifiée »68.
57L’édition 1937 est un peu plus précise car entre-temps on a démoli l’enceinte, ce qui explique qu’on s’y intéresse davantage : « La ville fut protégée contre une attaque extérieure par une enceinte fortifiée de 34 km de développement, entourée d’un fossé et couverte par 17 forts avancés. C’est la fameuse enceinte de Thiers aujourd’hui presque partout démolie elle-même »69.
58On a alors conscience de vivre un « moment historique de Paris », « un de ceux où la ville éclatant dans ses murs, doit porter plus loin ses limites »70
59La ville semble donc croître avec logique, dans la continuité d’un destin.
Axes de circulation
60Le touriste à Paris circule selon deux logiques : ou il veut embrasser la ville dans sa totalité pour en avoir une perception globale, ou un intérêt spécifique guide ses pas. Du premier mode de circulation se dégage une logique urbaine, une organisation de l’espace. Le deuxième mode permet de voir comment s’élabore telle ou telle qualité prêtée à Paris : par exemple Paris comme ville des plaisirs, Paris comme ville de la culture, etc. Nous commencerons par l’examen des guides qui font un parcours complet dans la ville.
61Dans ces guides, le touriste est invité à prendre la mesure de l’espace parisien par une « course d’orientation » dans la ville. Le Guide Bleu propose une carte d’orientation qui met en évidence les principaux axes de circulation.
62Il donne dans ses éditions successives un « plan de direction dans Paris » qui permet de comprendre la logique de la circulation dans la ville. Des grandes lignes facilitent l’orientation : d’une part l’axe est-ouest de la Seine, d’autre part deux « arcs de cercle qui englobent le berceau et le cœur de Paris », suivent au nord la ligne des Grands Boulevards prolongés par la rue Royale et au sud les boulevards Henri IV et Saint-Germain.
« La division essentielle, c’est la Seine. Et l’on voit... que la ville est divisée en deux parties presque égales par une voie en ligne droite, à peu près parallèle à la Seine, et suivie en souterrain par le Métropolitain, cette voie porte les noms de rue du Faubourg Saint-Antoine, rue de Rivoli, avenue des Champs-Elysées et avenue de la Grande-Armée »71.
63Un deuxième anneau suit la ligne des boulevards extérieurs, ancienne limite de l’octroi jusqu’en 1860, date de l’annexion des anciennes communes de la périphérie.
64Le Guide B. P.72, particulièrement attentif aux problèmes de circulation automobile dans Paris souligne le rôle des boulevards pour la circulation dans la ville : « Boulevards intérieurs, boulevards extérieurs, jonction de la ville primitive avec ses faubourgs des xvie et xviie siècles vont être générateurs de la voirie à notre époque ».
65La ligne des fortifications n’est pas considérée comme un axe de circulation intéressant73. Il faut au contraire remarquer que les barrières d’octroi constituent jusqu’en 1943 un obstacle à la libre circulation comme le fait d’ailleurs observer le Guide B .P :
« Après de nombreuses vicissitudes, les automobiles, grâce aux démarches de l’Automobile-Club de France et de l’Ile de France, se trouvent aujourd’hui en présence d’une simplification des formalités qu’ils sont tenus d’accomplir à l’entrée ou à la sortie des barrières de l’octroi. Toute automobile ayant dans son réservoir ou dans des bidons de secours, de l’huile et de l’essence est tenue d’en faire la déclaration à l’entrée et d’en acquitter le montant des droits »74.
66L’axe est-ouest et les arcs de cercle des boulevards sont coupés perpendiculairement par un axe nord-sud représenté par le boulevard Sébastopol, le boulevard du Palais et le boulevard Saint-Michel. L’espace parisien se développe donc entre ces différentes lignes. On doit souligner que les Guides Bleus nous présentent l’axe est-ouest qui structure une opposition politique et sociale très forte comme un axe naturel, celui de la Seine.
67Le Guide B. P. explique d’ailleurs clairement que « Cette géographie de Paris n’est pas seulement physique ; elle est quelque peu politique... »75. La plupart des guides admettent le rôle primordial de la Seine dans l’organisation de l’espace parisien. Les guides séparent donc bien souvent leurs itinéraires en deux parties suivant le « côté de l’eau » ?76 : rive droite -rive gauche. Ainsi le Guide Bleu 1921 (511 pages) présente dans une grande première partie la rive droite en plus de 200 pages, puis la rive gauche en 100 pages et les environs de Paris en 100 pages également : l’importance des parties démontre le poids accordé à la rive droite. Notons que les éditions 1929, 1934, 1937 abandonnent ce plan : on privilégiera d’autres « découpages » en particulier celui entre Paris et le grand Paris en 1937. Cependant le premier itinéraire recommandé dans l’édition 1937 est « La Seine : généralités ; quais, ponts, ports » puis viennent deux itinéraires consacrés aux « Iles de la Seine »77. Les visites du Guide Larousse, du Guide B. P. celles des Guides Bœdeker s’organisent aussi en fonction de la différence entre rive droite et rive gauche.
68Assurément, la rive droite semble aux écrivains des guides beaucoup plus importante et intéressante que la rive gauche : « La rive droite est la partie la plus importante de Paris, celle où l’animation est la plus considérable »78. De l’avis général, la rive droite concentre la « vie » de Paris. Le Guide Dent79 oppose rive droite et rive gauche : la rive droite est le quartier des affaires, de la vie, du modernisme, la rive gauche représente l’intelligence et le refuge du passé, en particulier d’une classe finissante, l’aristocratie : « Partagés par la Seine en deux groupes principaux, nombre de ses habitants sont persuadés qu’ils se sentiraient tout dépaysés s’ils devaient aller vivre sur la rive opposée à la leur »80.
69Le Paris de la rive droite paraît beaucoup plus grand que l’autre, avec ses boulevards, le centre du gros commerce, ses nombreux ateliers, ses riches quartiers modernes ; il semble, à son habitant, avoir beaucoup plus de vie et de mouvement que le Paris de la rive gauche qui lui, est resté le quartier des Écoles, l’ancien Quartier Latin, ainsi que le refuge de la vieille aristocratie, l’ancien faubourg St Germain »81.
70Le Guide Bœdeker introduit la visite de Paris par celle de la Rive droite,
« la plus importante de Paris, où la vie de la capitale bat son plein...C’est là que sont les Boulevards, les Champs-Elysées, le Palais du Louvre [...] l’Hôtel de Ville, plusieurs belles églises, l’Opéra et d’autres grands théâtres, le Palais-Royal, la Bibliothèque Nationale, les Archives, la Bourse, les Halles Centrales, le Conservatoire des Arts et Métiers, et enfin le cimetière du Père-Lachaise »82.
71Même analyse dans le Guide des Plaisirs83 qui ajoute la dimension des plaisirs à celle des affaires caractéristique de la rive droite :
« Rive droite, rive gauche... Deux mondes bien différents, deux continents opposés, que l’étranger explorera sur les deux rives du fleuve, si proches, pourtant ! La rive droite de la Seine comprend le monde des affaires, celui de la finance, le grand monde, le demi-monde, celui où l’on s’amuse, enfin toute la vie même de Paris ».
72La séparation, voire l’opposition entre rive droite et rive gauche était beaucoup plus marquée que de nos jours : les guides de tourisme la conservent mieux que d’autres sources dans ce premier tiers du xxe siècle84. La disparition progressive de la partition rive droite-rive gauche dans les itinéraires de tourisme, comme d’ailleurs dans d’autres sources correspond à une appréhension de la ville qui se modifie par le mode de transport utilisé. On parle certainement plus couramment de rive droite et de rive gauche quand on franchit les ponts de Paris à pied. La circulation par le métro ou l’automobile transforme la perception de la ville.
Le centre
73La notion de centre urbain se décline dans plusieurs aspects : celui de centre historique, celui de centre vital, celui de « centre » en quelque sorte par excellence. Le centre historique, appelé aussi « cœur », « berceau » de la Cité est le point de départ des itinéraires qui privilégient les arrondissements historiques de Paris en tant qu’ils détiennent potentiellement jusqu’à Philippe Auguste, l’esprit sacré de la ville : le Palais et Notre-Dame, le cœur politique et religieux, l’impression du destin de la ville.
74Ainsi le Guide pratique à travers le vieux Paris85 s’intéresse en priorité aux sept premiers arrondissements et précise son absence d’intérêt pour les quartiers non-historiques86 et périphériques comme pour l’ensemble de l’œuvre haussmannienne : « A côté des sept premiers arrondissements où presque toutes les rues sont intéressantes, les autres paraîtront peut-être bien vides »87.
75Le « cœur de Paris » battait là, dans la Cité : « jusqu’au milieu du xixe siècle, et c’est le second Empire qui de 1860 à 1870, donna à l’île, par ses coupes sombres, sa morne physionomie actuelle »88.
76Le Guide Dent entame sa première promenade par la Cité : « Rendez-vous à la place du Châtelet. Devant vous se trouve le Pont-au-Change ; en face, de l’autre côté de la Seine, c’est l’île de la Cité, le berceau de Paris, la Lutèce de nos ancêtres gaulois »89.
77D’autres guides parlent du centre de la vie, du mouvement qui se situe alors sur la rive droite, autour du Palais Royal ; ainsi le Guide Bleu 1921, dans son plan d’orientation donne la place de l’Opéra comme centre du mouvement de Paris, ce qui est conforme aux visées haussmanniennes sur Paris :
« Si l’on considère Paris comme une vaste circonférence, le point central devra être placé au Palais Royal ; le centre du mouvement qui n’en est pas très éloigné, se trouve à la place de l’Opéra, et si l’on veut un peu l’agrandir, sur la ligne des boulevards, depuis la place de la Madeleine, jusqu’à la rue du faubourg Montmartre »90.
78Mais le véritable point de départ - et de retour, bien souvent - des itinéraires, est la place de la Concorde qui initie un parcours dans l’ouest parisien et les beaux quartiers. Le Guide B. P. 1925 fait démarrer et finir ses promenades en automobile à la place de la Concorde. Après une photographie « La place de la Concorde : l’Obélisque », il débute ainsi :
« C’est la Place de la Concorde que nous allons choisir comme point de départ et terminus de nos deux promenades dans Paris. Popularisée par sa grandeur et son ordonnance dans toutes les parties du monde, l’ancienne place Louis XV, qui fut témoin de la fin tragique de Louis XVI et de la Reine Marie-Antoinette ajoute encore au spectacle qu’elle donne aux visiteurs l’évocation de ses souvenirs historiques ».
79Le visiteur du Guide Bleu91 commence ses investigations qui se poursuivront dans un voyage qui peut aller de huit à vingt-et-un jours, par un premier itinéraire « Place de l’Opéra - Rue de la Paix - Place Vendôme -Avenue de l’Opéra - Rue de Rivoli - Tuileries - Place de la Concorde - Rue Saint-Honoré », soit un trajet dans l’ouest haussmannisé luxueux dominé par trois places de la rive droite : l’Opéra, la Concorde, la Place Vendôme. Le deuxième itinéraire proposé repart de la Concorde à l’Étoile et traverse les Champs-Elysées ; le Guide Larousse 1930 propose des « itinéraires-types pour avoir une vue d’ensemble de la ville », ils commencent et s’achèvent à « Madeleine, rue Royale, place de la Concorde »92. Le premier quadrilatère (parmi six autres) visité par le Guide Larousse 1930 est délimité ainsi : « Opéra, Madeleine, Plaine-Monceau, Ternes, Champs-Élysées, Bois de Boulogne, Passy, Auteuil ».
80Les Guides Bœdeker expliquent que « aujourd’hui, la Cité n’est plus le Centre de Paris »93, et que « Le nouveau venu qui veut avoir dès l’abord une idée grandiose de Paris et de ses beautés incomparables, ne saurait mieux faire que de commencer par une promenade entre le Louvre et la place de la Concorde »94.
Est et ouest
81Les guides épousent l’idée du déplacement du centre de la ville vers l’ouest tout en la remettant quelque peu en cause ; ce thème était en effet très répandu au xixe siècle et dans la littérature des guides du XIXe. G. Lenôtre, dans sa préface au Guide Bleu de 1929 remarque que
« si une certaine « poussée » se produit vers l’ouest - déplaçant de plus en plus par là le quartier du chef de l’État, au cours de l’histoire, ou les magasins et les appartements les plus luxueux d’aujourd’hui - la vraie orientation de la population parisienne tend vers le sud. Le recensement de 1926 montre que la population est aspirée par les espaces libres, où s’élevaient naguère les fortifications »95
82Le thème de la « poussée vers l’ouest » était très fréquent au xixe siècle96. Le Guide Bleu, on l’a vu, parle autant de « poussée vers l’ouest » que de poussée vers le sud ; le Guide pratique à travers le vieux Paris remet en question cette
« prétendue loi mystérieuse qui pousse les grandes villes à se développer vers l’ouest, suivant la marche du soleil, loi dont Paris serait l’exemple le plus typique. On serait sans doute bien embarrassé pour en démontrer la généralité, et, pour Paris même, on se borne au mouvement qui se manifeste depuis 80 ans, à la suite de causes bien définies. On oublie que, pour un contemporain de Charles V ou de Henri IV, la loi présumée eût été inverse....
La croissance de Paris est conforme à ces instincts urbains. Si l’on résume les fluctuations de la grande ville, on constate que, éclose dans la Cité (forteresse naturelle et clef du passage) - elle déborde d’abord au Sud à l’époque gallo-romaine (seule région habitable et côté d’où vient la civilisation) - rentre dans l’île à la fin du iiie siècle (sous le danger des invasions) - repart vers le Nord au Xe (défrichement des marais, foire du Lendit) - puis vers le Sud au XIIe (exode des écoliers). La nouvelle poussée vers le Nord et l’Est qui se produit de Philippe Auguste à Charles V (halles, nouvelles enceintes, logis St-Paul, Temple) - reflue vers l’Ouest sous François Ier et Henri II (Louvre, Tuileries, abandon des Tournelles) - revient vers l’Est sous Henri IV et Louis XIII (Place Royale, Arsenal, Marais, île Saint-Louis) - se reporte vers l’Ouest sous Louis XIV (retour au Louvre, Palais-Royal, Cours-la-Reine) - et sous Louis XV (faubourg St-Honoré, École Militaire) - rétrograde vers le Nord et l’Est sous Louis XVI et Napoléon (vogue des boulevards, rôle des quartiers populaires) - pour s’orienter de nouveau vers l’Ouest depuis le milieu du xixe siècle (plans Haussmann et Alphand) - en attendant que de nouvelles forces attractives, modifiant la valeur des terres, les courants économiques ou le confort de l’habitat, l’entraînent dans une autre direction »97.
83Nous avons cependant retrouvé le thème général de la marche des grandes villes vers l’ouest dans le guide How to enjoy Paris qui consacre un chapitre à « Paris marches westward » :
« Just as New-York has moved on up Fifth Avenue and housed some of her most famous shops in the ancient « brown stone fronts » that savor of such names as the Astors, the Vanderbilts and the Knicker-bockers; just as Chicago has extended a long arm up the fashionable North Shore beyond the Lake front residences of the Potter-Palmes, the Me Cormicks and the Mac Veighs, so has Paris stretched her artistic finger tips and made a sudden and expressive gesture toward the avenue des Champs-Elysées, which has now become the axis of modem development, that previously gravitated around the Place Vendôme. The attraction of the Arc de Triomphe as well as the grandeur of the avenues opened by the architects of Louis XIV and of Napoléon, has contributed to the inevitable movement toward The west »98.
84A l’avenir, selon ce guide, Paris aura deux centres : l’Opéra et l’Étoile. Dans cette pensée du centre de Paris, Paris s’identifie d’une certaine façon à la France, et on taxe par conséquent de « provinciales », de « pays à part » les zones excentrées comme Passy ou Montparnasse.
85Les guides, dans leur ensemble, manifestent très peu d’intérêt pour l’est parisien, pour les quartiers périphériques, comme pour le Paris populaire. Le 19e arrondissement ne vaut que par les Buttes-Chaumont, le 20e n’a d’intérêt que par le cimetière du Père Lachaise. Quant à Montmartre, il présente un intérêt complexe avec ses deux dimensions, celle du plaisir et celle de la religion.
86En trois semaines passées à Paris, le visiteur du Guide Bleu 1921 ne connaîtra des quartiers périphériques de Paris que la Manufacture des Gobelins (13e arrondissement), Montmartre (18e), le Parc des Buttes-Chaumont (19e), le cimetière du Père-Lachaise (20e). Par contre il ira dans les « Environs de Paris », jusqu’à Sèvres, Versailles, Vincennes, Fontainebleau, Saint-Germain-en-Laye et Chantilly. En 1937, le Guide Bleu propose 23 itinéraires autour de la Seine, des quartiers du Paris traditionnel (centre, rive gauche et rive droite) et des quartiers « moins anciens et même nouveaux » de l’ouest : les Champs-Élysées, Passy-Auteuil, le Parc Monceau. Le Guide Bleu 1937 « pousse » jusqu’aux quartiers « populaires » de la Villette, La Chapelle, Belleville, Ménilmontant.
« La promenade [sur la partie est des Boulevards] est secondaire aujourd’hui, où « l’Est » parisien n’a plus, dans son ensemble qu’un aspect commerçant et ouvrier. Cette partie des boulevards contraste avec l’élégance de la partie ouest. Mais l’itinéraire passe par la délicieuse halte des Buttes-Chaumont et conduit à la plus illustre des nécropoles parisiennes : le Père-Lachaise »99.
87Le Guide Larousse 1930 promène son visiteur dans les musées parisiens (Trocadéro, Grand Palais, Petit Palais, Luxembourg, Louvre), dans le Centre, Rive droite, Rive gauche, à Montmartre, à Montparnasse, mais il semble ignorer les quartiers périphériques populaires. Un plan de Paris reproduit en fin de volume situe les « principaux » monuments et centres d’intérêts fort rares dans l’est où l’on recommande la Bastille et le Père-Lachaise. Il joint à ses itinéraires des photographies « caractéristiques » de Paris au xxe siècle : les Bouquinistes permettent d’illustrer le « Paris pittoresque » ; on voit aussi une terrasse de café place de l’Opéra, une photo de Germaine Krull des grands Boulevards et des photos de Paris la nuit : la place Blanche à Montmartre et les Grands Boulevards au carrefour Haussmann le soir ; rien sur Montparnasse, remarquons-le.
88Les guides anglais Dent Paris pour tous100 manifestent un intérêt peu habituel pour le peuple de Paris et ses lieux de vie ; ceci les conduit à une description sociale du contraste entre l’est et l’ouest parisiens. Ils proposent 12 « promenades » au « visiteur pressé » qui s’intéresse à « la ville et à son peuple ». Leurs centres d’intérêts semblent très intellectuels, ils témoignent d’un intérêt peu courant pour l’ensemble de l’histoire parisienne, révolution comprise. Ils conduisent le visiteur du « Berceau de Paris », la Cité, au Paris Universitaire, le Quartier Latin, puis au Luxembourg, à Saint-Germain, au Louvre, au Palais Royal, et aux Halles101 ; ils poursuivent la visite dans le Marais et le quartier du Temple, de plus en plus loin du centre et aboutissent aux Grands Boulevards. Des quartiers périphériques ils retiennent les Champs-Élysées, les Gobelins, le Père-Lachaise, les Buttes-Chaumont « parc le plus pittoresque de Paris » et mentionnent Belleville pour dire que le quartier porte mal son nom qui « paraît plutôt ironique pour ce quartier pauvre et populeux ». La promenade parisienne s’achève sur Montmartre. L’opposition entre l’ouest et l’est est même cartographiée dans une carte du « Paris sociologique » par le Guide Dent dans les deux éditions que nous avons consultées.
89Le Guide Diamant suggère dix promenades pour visiter « tout ce qu’il faut avoir vu ». La première promenade part du « Centre entre les Boulevards et la Seine », la deuxième est consacrée au Louvre, la troisième va du Louvre au Bois de Boulogne, la quatrième couvre les grands boulevards et Montmartre, la cinquième parcourt le Marais, la septième la Cité et l’île Saint-Louis, la neuvième le Quartier Latin. Pour l’est et le sud-est où l’on précise qu’il s’agit des Buttes-Chaumont, du Père Lachaise, de Vincennes et de Picpus, on ne compte que deux promenades la sixième et la huitième.
90Seul, le Guide des Équipes Sociales, après une exploration des différentes époques architecturales de Paris conduit son visiteur de la Bastille au Musée des Colonies, porte Dorée, au Zoo du Bois de Vincennes tout en suggérant au passage la visite de l’église du Saint-Esprit, construite par Paul Tournon rue Cannebière102. On retrouve là la préoccupation d’un christianisme missionnaire intéressé à l’implantation dans l’est parisien. Mais cet intérêt est exceptionnel.
91Les itinéraires reflètent donc les préoccupations de leurs auteurs qui intègrent le point de vue du tiers-lecteur auquel ils s’adressent.
92La ligne qui oppose est et ouest de Paris est très marquée. Tous les guides parlent de façon explicite de l’opposition entre l’ouest et l’est de Paris. On bâtit le portrait de l’ouest et bien souvent on lui oppose l’est. On peut schématiser cette opposition.
93Le Guide Bleu 1937 présente les Champs-Élysées et le quartier de l’Étoile comme « les quartiers les plus luxueux de Paris, l’ouest aristocratique et international, né autour des Champs-Élysées, impérieusement dominé par la glorieuse stature de l’Arc de l’Étoile »103.
94Notons l’emploi des qualifications de prestige : impérieux, glorieux. L’Arc de Triomphe donne son caractère à l’ensemble de la zone qu’il influence. Le guide constate que le monde des affaires se déplace vers cette région de l’ouest « où l’on trouve organisations de tourisme, grands cafés, cinémas ». Il prévoit que cette « poussée commerciale vers un quartier purement aristocratique encore avant la guerre ne peut que s’accentuer » avec la nécessité de « desservir sur place la très riche clientèle française et surtout étrangère »104.
95Il apparaît que les visites qui commencent par la Cité sont plus tournées vers la compréhension de l’histoire parisienne et de la dimension culturelle parisienne alors que le point de départ autour de l’Opéra et de la Concorde indique un parti pris, un jugement qui valorise l’ouest triomphal, luxueux, national, l’espace des lieux du pouvoir. Remarquons toutefois que ni le Palais de l’Élysée, ni le Palais-Bourbon ne suscitent beaucoup d’intérêt touristique.
96De la lecture des guides et des itinéraires se dégage une vue de Paris par grandes zones ainsi qu’une image globale.
97Chaque zone, chaque itinéraire sont « polarisés » par un monument ou un musée qui confère ses qualités au lieu : le destin de la ville s’incarne dans les péripéties rencontrées par chacun de ses monuments. En deuxième lieu sont évoquées les activités spécifiques de chaque zone. Quant aux populations qui y vivent ou y travaillent elles semblent venir habiter un espace déjà marqué symboliquement et politiquement.
98L’Arc de Triomphe de l’Étoile, Notre-Dame, le Louvre incarnent dans leur histoire la Nation, la Religion et la Culture indissolublement liées. A un autre niveau la Tour Eiffel représente maintenant un monument qui a su se réconcilier avec la nation, signe de hardiesse, de modernité, de communication, nouveau symbole des lumières.
99Les places parisiennes sont des espaces de structuration symbolique. Places royales et places républicaines revêtent un sens spécifique.
100Les guides généralistes mettent en évidence la fonction symbolique des monuments et statues dans l’espace parisien pris dans son ensemble. S’ils prétendent montrer toute la ville, et « tout ce qu’il faut avoir vu », l’étude montre cependant qu’ils privilégient les monuments de prestige national, la dimension culturelle, les monuments chrétiens. Les guides du « Vieux Paris » ne s’intéressent qu’au passé monumental, à la Cité antique et médiévale, ante-haussmannienne. Alors que ces deux catégories de guides relèguent, tout en l’évoquant, la dimension du plaisir dans la ville à l’arrière-plan, certains guides ne sont qu’une introduction aux plaisirs parisiens.
1. 2. Les attributs de Paris
Le patrimoine national
101Les quartiers parisiens sont « animés » par les monuments. Ils prennent sens par eux105. Les Guides Bleus classent par étoiles les principaux monuments, de zéro étoile (mais une mention en caractères gras) à deux étoiles pour les plus « intéressants ». Le classement et la hiérarchie monumentale varient entre 1916 et 1939. Dans le Guide Bleu 1921 seuls la place de la Concorde, le Louvre, et Notre-Dame méritent deux étoiles. De façon remarquable, on y ajoute en 1937 la Sainte-Chapelle, les Invalides, l’Arc de Triomphe et la Tour Eiffel. Ces monuments sont qualifiés par les Guides Bleus de « monuments les plus beaux du monde ». Dans le Guide Bleu 1937106, sur 545 pages, 33 pages sont consacrées à « Notre-Dame et les principaux édifices religieux », 106 pages au « Louvre et aux principaux musées », 22 aux bibliothèques, 14 aux « grands cimetières ».
102La place de la Concorde, le Louvre et Notre-Dame renvoient à l’histoire religieuse, sacrée, du pouvoir. Ces lieux associent la Culture, l’art gothique et l’histoire de Paris et de la France.
103La place de la Concorde, dit le Guide Bleu de 1921 est
« une des plus vastes et des plus belles places du monde, datant, dans sa forme actuelle de 1854. Au xviiie siècle, elle était encore hors de la ville. De 1763 à 1792 on y vit une statue en bronze de Louis XV... En 1792, la statue fut enlevée et la place devint place de la Révolution. Louis XVI y fut guillotiné le 21 janvier 1793... Jusqu’en mai 1795, près de 3 000 personnes y subirent le même sort... En 1795, on donna à la place le nom de Place de la Concorde ; elle fut ensuite nommée place Louis XV, puis place Louis XVI, et redevint place de la Concorde »107.
104Le guide décrit l’ensemble de la place et en particulier les huit pavillons en pierre construits au xviiie siècle par Gabriel sur lesquels sont placées les statues des grandes villes de France : Lyon, Marseille, Bordeaux, Nantes, Rouen, Brest, Lille, Strasbourg. Il évoque en particulier Lille et Strasbourg (par Pradier) devant lesquelles se sont déroulées pendant la guerre « de grandes manifestations patriotiques »108. Le Guide Bleu 1937 parle d’un « véritable pèlerinage patriotique » qui s’est déroulé entre 1871 et 1914109. Son commentaire, légèrement différent précise que la place lut « le principal théâtre des manifestations du 6 février 1934 »110.
105Notre-Dame porte deux étoiles dès 1921 dans les Guides Bleus. Située sur l’île-vaisseau de la Cité, chef-d’œuvre de l’art gothique, elle est à la fois « cathédrale de la capitale » et « paroisse de l’histoire de France », « l’un des plus parfaits chefs-d’œuvre de l’art, célèbre universellement »111.
106Le Guide Bleu souligne son importance historique : la chronologie de Notre-Dame est ponctuée par le retour de Tunis du cercueil de Saint-Louis, le retour à Paris recouvré d’Henri IV le 22 mars 1594, le mariage de Louis XIV, le sacre de Napoléon (le 2 décembre 1804), le mariage de Napoléon III (30 janvier 1853). L’architecture de Notre-Dame révèle une unité de conception ; celle-ci renvoie au dessein divin, royal, puis impérial. La façade principale semble « conçue d’un seul jet et par un seul artiste »112.
107Ce destin se poursuit après la Première Guerre Mondiale. Les guides soulignent en effet que Notre-Dame, que les obus allemands n’ont pas atteinte, a « repris sa place » : « Depuis la guerre, la vieille église semble avoir plus que jamais repris sa place, avec les funérailles nationales de Maurice Barrés (1923), de Foch (1929), de Joffre (1931), de Raymond Poincaré (1934) »113.
108Les guides confirment l’importance d’un itinéraire sacré, national qui se formalise après la fin de la Première Guerre Mondiale, Arc de Triomphe -Notre-Dame - Invalides.
109Le Louvre est « l’un des plus beaux palais du monde et le plus vaste des édifices parisiens ». Cette valeur universelle tient à la fois aux « souvenirs historiques qu’il évoque » et aux « chefs d’œuvre qu’il renferme »114. Château royal, le Louvre devint sous la République et l’Empire un Musée « des œuvres appartenant à la nation ou cédées à la France par les traités »115. En 1932, le Louvre est réorganisé : le Musée du Luxembourg redevient musée des peintres vivants ; le Louvre reçoit les œuvres antérieures et en particulier à partir de 1929, celles des Impressionnistes.
110Les guides mentionnent que des conférences sont organisées en anglais, italien et espagnol pour les nombreux visiteurs étrangers116. Ils détaillent l’ensemble des collections et donnent la préférence aux Antiquités grecques et romaines, aux sculptures du Moyen Age et de la Renaissance, à la Galerie d’Apollon...117. Les Guides-Diamant donnent d’ailleurs une liste de ce qu’il faut avoir vu au Louvre.
111La valeur nationale conférée par la Première Guerre Mondiale à l’Arc de Triomphe et à la Tour Eiffel fait accéder l’ensemble de ces monuments (qui n’avaient qu’une étoile en 1921) à une valeur universelle. L’image essentielle de Paris s’enrichit de trois monuments, deux monuments impériaux à haute valeur nationale, un monument républicain érigé dans l’ouest parisien pour le centenaire de la Révolution française et à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1889. Quelle est la logique de cette transformation de valeur dans l’image monumentale des Guides Bleus ?
112L’Arc de Triomphe de l’Étoile reçoit une étoile dans le Guide Bleu 1921 et deux étoiles dans le Guide Bleu 1937. En 1921, le Guide Bleu explique « Au centre (de la place de l’Étoile) se dresse *l’Arc de Triomphe, le plus grand monument de ce genre... »118.
113Le Guide Bleu 1937 décrit l’Arc de Triomphe de l’Étoile en ces termes :
« Toute l’avenue et le parcours entier, même si l’on vient du Carrousel, semblent créés pour conduire à la place de l’Étoile ou plutôt à l’**Arc de Triomphe, dont la masse énorme commande tout l’horizon [...]. C’est lui qui est à l’origine de tout le quartier, beaucoup plus encore que les monuments de la place Vendôme ou de la place des Victoires. C’est à cause de lui qu’un parti pris de majesté n’a cessé non plus de présider à l’ornement urbain de toute la région... »119.
114Dans ce commentaire l’Arc de Triomphe organise d’abord symboliquement le quartier des Champs Élysées.
115Le guide retrace l’histoire de l’Arc de Triomphe. L’idée en remonte à 1806... Chalgrin en fit les plans ; il fut achevé en 1836. Il évoque la translation des cendres de Napoléon 1er, les funérailles de Victor Hugo et insiste sur les événements récents : « Pour la première fois depuis l’origine, l’Arc de Triomphe joua « le rôle glorieux qui était originairement le sien » (M. Poète) lorsque, le 14 juillet 1919, les délégations des armées victorieuses défilèrent solennellement sous l’immense voûte »120.
116Le guide mentionne ensuite la Tombe du Soldat Inconnu qui repose sous la voûte depuis le 11 novembre 1920, les funérailles de Foch (24 mars 1929), celles du Maréchal Joffre le 6 janvier 1931. L’Arc, selon le Guide Bleu 1937, a maintenant « un caractère quasi religieux ». Dans notre premier chapitre nous avons commenté effectivement ce rôle désormais religieux pris par l’Arc de Triomphe après le 14 juillet 1919. L’intérêt plus grand pour l’Arc de Triomphe en 1937 qu’en 1921, dans le Guide Bleu est donc lié à ses préoccupations patriotiques et politiques, qui l’emportent sur les préoccupations d’ordre esthétique. Le quartier des Champs-Élysées et de l’Étoile fait l’objet d’un itinéraire dans le Guide Bleu 1937 qui parcourt « Les quartiers les plus luxueux de Paris, « l’ouest » aristocratique et international, né autour des Champs-Elysées, impérieusement dominé par la glorieuse stature de l’Arc de l’Étoile »121.
117Mais le quartier connaît une évolution, il se démocratise, perd son caractère exclusivement aristocratique pour devenir un quartier des affaires, du luxe, de l’automobile, du tourisme. Boutiques, cinémas et cafés accueillent la riche clientèle étrangère122. Le guide donne d’ailleurs avec une grande précision les adresses de chacun des cafés, organismes, cinémas...
118Entre 1910 et 1925, de nouvelles populations plus bourgeoises ont pris goût à la promenade sur les Champs, comme le note avec dégoût le guide mondain, Paris-Guide 1925 :
« Jadis, je veux dire, il y a quinze ans, on ne rencontrait sur les Champs-Élysées que des gens élégants dont tout le souci était de plaire. On se promenait. Aujourd’hui, le peuple est roi. Des milliers de midinettes, d’employés, de rustres envahissent les trottoirs de leur laideur, de leur tumulte, et de leur vulgarité. Et le dimanche ! Ne parlons pas du dimanche, des bourgeois en famille, qui se pressent aux vitrines pour contempler les automobiles qu’ils ne posséderont jamais, ou qui sait ? Qu’ils posséderont peut-être. Ce n’est que vers sept heures du soir, sur le côté droit, à la sortie des dancings, qu’on risque encore de rencontrer quelque femme élégante. Et voyez comme tout change ; avant la guerre, le côté élégant, était « exclusivement » le côté gauche, le côté de l’ombre, aujourd’hui l’élégance a traversé la rue »123.
119Les Invalides passent aussi de 1 à 2 étoiles. En 1921 le commentaire souligne que l’Esplanade des Invalides a « malheureusement, par suite de la création d’une gare souterraine, entre le quai et la rue de l’Université, perdu sa belle ordonnance »124. Le Dôme des Invalides (1 étoile) construit par Hardouin-Mansart est « le plus beau monument religieux qui ait été construit en France depuis la Renaissance »125. Le Tombeau de Napoléon (1 étoile) est sobrement décrit. En 1937, l’Esplanade, le Dôme, le Tombeau méritent deux étoiles :
« L’Esplanade des Invalides, dont le Plan fut dressé par Robert de Cotte, est une magnifique introduction d’espace au monument du Côté Nord...
L’impression de grandeur est demeurée telle, qu’on comprend à peine aujourd’hui les protestations qui se sont élevées naguère contre la création de la Gare des Invalides : la majesté de l’ordonnance nous paraît encore évidente ».
120Deux étoiles aussi en 1937 pour le Tombeau de Napoléon dont on avoue que : « Monument somptueux, [il] vaut beaucoup plus par son importance de souvenir que par son mérite architectural. Barrés lui a consacré un chapitre célèbre des Déracinés »126.
121Nous nous reporterons ici à notre premier chapitre qui a mis en évidence la mise en place d’un parcours des funérailles nationales après la première guerre mondiale de l’Arc de triomphe, à Notre-Dame, aux Invalides.
122Quant à la Tour Eiffel elle accède véritablement à la reconnaissance durant ces années. En 1921 l’itinéraire du Guide Bleu autour du quartier des Invalides et du Champ de Mars se contentait d’« apercevoir de loin » la Tour Eiffel : « Les quartiers à l’ouest du faubourg Saint-Germain sont dominés par le dôme des Invalides et la Tour Eiffel qu’on aperçoit de loin »127.
123En 1937 la Tour Eiffel a pris de la visibilité : « L’itinéraire part des Invalides, mène au Tombeau de Napoléon, passe par l’École Militaire et se termine au quartier nouveau du Champ de Mars, avec ses larges espaces d’où surgit la Tour Eiffel »128.
124En 1921, la Tour Eiffel se révèle intéressante (1 étoile) par sa hauteur (« c’est le monument le plus élevé du monde »), on la compare à d’autres monuments. On en recommande l’ascension uniquement par beau temps. C’est une attraction, classée comme telle dans les guides, aux côtés de Luna-Park et du Musée Grévin.
125En 1937 elle n’est plus le monument le plus élevé du monde (le guide cite l’Empire State et Chrysler Buildings à New-York, 375 et 313 m) ; pourtant la notice descriptive et historique est plus détaillée ; elle est maintenant reçue dans le monde des artistes. Elle symbolise dans le monde entier la communication :
« Toute la région est dominée par la Tour Eiffel, qui lance ses hardis 300 m à la pointe Nord du Champ de Mars [...]. C’est la construction de Paris la plus universellement reconnue...
La Tour Eiffel a été, pendant longtemps, fort critiquée du point de vue esthétique : Huysmans l’appelait un chandelier creux, Verlaine faisait un détour pour en éviter l’horreur. Mais elle s’est incorporée, peu à peu au paysage parisien au point d’en être inséparable. Puis dans les derniers temps, son esthétique a conquis bien des artistes. Et surtout, peut-être, le monde des ondes, la T.S.F., l’électricité, lui ont conféré une poésie étrange, bien moderne : comme dit un écrivain d’aujourd’hui, Mac Orlan, « elle a été reçue dans le monde lyrique »129.
126En nous aidant du texte de Mac Orlan évoqué par le guide, nous pouvons affirmer que la guerre a permis de réconcilier la Tour Eiffel avec Paris et avec le goût esthétique. Le Guide Bleu de 1937 partage ce changement dans la perception esthétique de la Tour Eiffel130. Cette évolution était amorcée dès 1910. La Tour Eiffel donne au xxe siècle son caractère.
127L’étude comparative des Guides Bleus permet donc de mieux cerner ce qu’ils mettent en relief : aux côtés du centre politique de Paris, du premier des musées, et de la cathédrale de Paris, monuments qui symbolisaient déjà Paris et la France avant 1914, ils placent maintenant au premier plan les monuments qui glorifient la nation dans sa tradition impériale et glorieuse -l’Arc de Triomphe et les Invalides - ; ils font entrer la Tour Eiffel dans ce paysage non pas par effraction mais par un souci d’ouverture à la modernité, rendu possible par la fonction patriotique de la Tour pendant la Grande Guerre.
128Derrière cette première ligne de monuments, les plus remarquables, un ensemble d’autres monuments reçoivent une étoile. On y trouve beaucoup d’églises, de musées, de cimetières. Roland Barthes faisait remarquer dans Mythologies : « Le Guide Bleu en est resté à une mythologie bourgeoise partiellement périmée, celle qui postulait l’Art (religieux) comme valeur fondamentale de la culture, mais ne considérait ses « richesses » et ses « trésors » que comme un emmagasinement réconfortant de marchandises (création des musées) »131.
129Les Guides Bleus classent avec une étoile la plupart des églises132, des musées133, des cimetières134 ; une étoile aussi pour les parcs135 de Paris, la manufacture des Gobelins ainsi que pour les Grands Boulevards. Dominent donc le goût et le respect de l’art dans les musées, de l’art gothique, et de la religion. La place de la Bastille et le Panthéon passent de zéro à une étoile entre 1921 et 1937. La Place Vendôme rendue célèbre internationalement par son luxe, la présence du Ritz et des banques américaines gagne aussi une étoile entre 1921 et 1937.
130Montmartre représente une aire sacrée et religieuse dans Paris. Respectivement la Butte Montmartre, la basilique du Sacré Cœur, et le cimetière sont marqués d’une étoile tandis que le Montmartre des plaisirs est décrié. Sur la Butte « sacrée » de Montmartre, dont on évoque l’histoire et les traditions (celle en particulier selon laquelle Saint Denis et ses compagnons auraient été décapités sur la colline de Montmartre), se dresse la basilique du Sacré-Cœur, consacrée le 16 octobre 1919. On ne la vante pas véritablement pour son style : c’est une « vaste basilique moderne du style romano-byzantin » ; on explique la souscription lancée pour sa construction, et les enjeux qu’elle a pu représenter : « Le Sacré-Cœur, œuvre fort discutée par les artistes et les esthéticiens, a pris très vite une place de premier plan dans la piété parisienne »136. Cependant les Guides Bleus vantent plus la vue du haut du Sacré-Cœur que l’édifice lui-même, et ils trouvent plus de qualités à d’autres églises parisiennes comme Saint-Eustache137, ou encore Saint-Pierre de Montmartre138.
131Montmartre est évoqué dans ses différentes dimensions :
« Le seul nom de Montmartre évoque pour les uns le libre pays des artistes, pour d’autres un lieu de plaisirs nocturnes, cependant que la colline est aussi pour certains, un haut centre de piété, un de ces « lieux où souffle l’esprit », comme dit Barrès... Enfin est-il besoin d’ajouter que le nom de Montmartre, représente une sorte de capitale de la « fête » internationale, beaucoup plus localisée, en réalité sur la pente S. vers la place Pigalle particulièrement [...] qu’à la butte elle-même et qui dans les dernières années d’ailleurs s’est quelque peu disséminée à travers la ville, vers Montparnasse surtout »139.
132Mais le Montmartre des « gens qui s’amusent » est relégué à l’arrière-plan des préoccupations culturelles et religieuses. On parle avec mépris de « cabarets soi-disant artistiques »...
133Le sort fait à la Bastille et au Panthéon nous donne ici l’occasion de revenir sur celui qui est réservé aux monuments républicains. On peut dire qu’ils ne prennent sens que lorsqu’ils acquièrent une valeur religieuse, souvent liée à la mort et à la commémoration : c’est le cas du Panthéon, comme du Mur des Fédérés au cimetière du Père Lachaise140.
134Le Panthéon est d’abord décrit comme « ancienne église Sainte-Geneviève » dans l’édition 1921, « édifice grandiose en forme de croix grecque » dans l’édition 1937.
« En 1791, la Constituante décida qu’il serait consacré, sous le nom de Panthéon à recevoir les restes des grands citoyens et fit placer l’inscription : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Rendu au culte en 1806, il redevint Panthéon après 1830, Sainte-Geneviève en 1852 ; enfin il a repris depuis 1885, à l’occasion des funérailles de Victor Hugo, la destination et le nom que lui avait donnés la Constituante. Depuis la guerre, les cérémonies officielles s’y sont multipliées (translation du cœur de Gambetta, des cendres de Jaurès, obsèques nationales de Paul Doumer, de P. Painlevé, de Poincaré) »141.
135Les guides évoquent les souvenirs historiques de la prise de la Bastille. La Colonne de Juillet est décrite mais ne mérite pas de jugement esthétique :
« Élevée de 1831 à 1840 par Alavoine et Duc, à la mémoire des victimes des combats de juillet 1830 et février 1848... Au-dessus du soubassement, un socle carré dont les faces sont ornées de 24 médaillons symboliques en bronze ; sur la face Ouest, un lion en bronze par Barye, symbolise le mois de juillet ; sur la face Est, les armes de Paris. Au coin, des coqs gaulois. Le fût de la colonne, en bronze est divisé en cinq tambours portant en lettres d’or les noms des victimes ; au sommet, le génie de la Liberté, en bronze doré, d’après Dumont. Un escalier de 238 marches mène à la galerie supérieure, d’où la vue est très belle... »142.
136La place de la Nation est traitée en trois lignes, et n’a pas d’étoile même si le bronze de Dalou est « beau » : « La place de la Nation, l’une des plus monumentales de Paris, est décorée au centre d’un bassin avec le beau groupe en bronze de Dalou « Le triomphe de la République » (1899) »143.
137La description de la place de la République et du Monument des frères Morice (1883) est très brève : « Statue en bronze, de 9 m 50, sur un piédestal en pierre de 15 m 50 de haut, orné de statues et de bas-reliefs en bronze par Dalou, relatifs à l’histoire de la République »144.
138Quant aux quartiers qui entourent ces trois places, on peut dire que leur personnalité se situe à l’extrême opposé des quartiers ouest : ce sont des quartiers « populeux », « grouillants », « encombrés »...
139En dehors des musées, places et églises, les guides signalent en caractères gras, et sans étoile, un certain nombre de monuments caractéristiques de Paris : les Gares, les Ponts, le Jardin des Plantes, les égouts, les catacombes, la Tour Saint-Jacques....
140Les statues parisiennes représentent un autre type de « marquage » de l’espace symbolique parisien. Les Guides Bleus, sont très attentifs à la statuaire parisienne. Dans le Guide Bleu 1921, 90 statues sont répertoriées, indexées, souvent décrites. Les Guides Bleus ne sont apparemment pas sensibles aux très nombreuses critiques de la statuomanie dont, pourtant d’autres guides se font les échos145. Les jugements émis sur les statues reflètent pourtant les valeurs plus nationales que républicaines des Guides Bleus. Ceux-ci considèrent plus volontiers qu’un monument aux morts est « beau », alors que un monument républicain comme le monument à Gambetta, qualifié fréquemment de « laid » suscite un véritable mouvement d’opinion hostile146.
141Les catégories esthétiques reflètent des jugements de valeur sur la personne ou l’objet statufié, ceci dans les Guides Bleus mais aussi dans de nombreuses autres sources que nous avons étudiées On parle de la « belle statue équestre d’Henri IV »147, du monument aux morts du 9e arrondissement qui est « un beau bronze de Sicard (1932) »148 du « laid » monument de Gambetta (1888) par Boileau architecte, et Aubé statuaire, en face de l’Arc de Triomphe du Carrousel149. La statue de Danton par Auguste Paris, au Carrefour de l’Odéon est « tumultueuse »150 Statues et monuments parisiens relèvent donc, on le voit des mêmes logiques et reflètent les valeurs politiques et esthétiques des auteurs des guides.
142Les Guides Bleus mentionnent également certains monuments d’architecture moderne. Sans aller jusqu’à vanter des constructions avant-gardistes comme celles de Le Corbusier ou de Pierre Chareau, ils s’intéressent à l’art religieux moderne, mais aussi à certaines constructions d’immeubles, de théâtres, de cinémas, ou encore aux Habitations à Bon Marché.
143Ainsi sont signalés dans le Guide Bleu 1937 les constructions d’églises nouvelles, liées au mouvement des « Chantiers du Cardinal » lancés par le Cardinal Verdier : Saint-Christophe de Javel, 28 rue Saint-Christophe (15e) qui a été construite entre 1928 et 1934 en ciment armé par Ch. H. Besnard151, Saint-Léon au boulevard de Grenelle construite aussi en béton armé entre 1925 et 1934 avec un revêtement de brique. Ces églises récemment construites sont donc l’occasion pour le Guide Bleu de s’intéresser aux quartiers périphériques.
144De même, la Mosquée, « véritable cité musulmane au cœur de Paris »152 construite de 1923 à 1927 sous la direction des architectes Heubès, Fournez, Mantout dans le style hispano-mauresque, est minutieusement décrite.
145Le théâtre des Champs-Élysée153 (1911-1913) rencontre l’assentiment général par l’alliance qu’il réalise entre classicisme et modernisme ; il « témoigne d’un remarquable effort de décoration moderne et d’adresse technique » ; il est pratiquement un monument consensuel, qui reflète un certain « bon goût ».
146On cite certaines réalisations d’immeubles modernes comme la Cité Mallet-Stevens « aux tendances architecturales les plus modernes » dans le quartier d’Auteuil, la rue Vavin et ses « curieuses maisons à terrasses par Sauvage (1926)154
147Les constructions d’immeubles modernes sur l’emplacement des anciennes fortifications sont signalées comme au boulevard Lefebvre, à la porte de Clichy, « des immeubles modernes ont poussé à la place des fortifications, qui, dans cet endroit, ont subsisté jusqu’en 1934... »155.
148La Cité Universitaire156 construite depuis 1925 est considérée comme
« fort intéressante pour le touriste... comme une exposition d’architecture internationale, depuis les toits extrême-orientaux de la Maison des étudiants japonais décorée par Foujita, jusqu’au fronton ionique de la Fondation hellénique, et la Maison élevée dans la tradition belge par Guéritte, au cube ultramoderne de Le Corbusier pour la Fondation suisse ».
149De nombreuses constructions sont mentionnées : le cinéma Paramount (1927) au boulevard des Capucines, le siège social du Crédit Commercial depuis 1922 dans l’ancien Élysées-Palace, le théâtre-cinéma de l’Alhambra par G. Gumpel (architecte) de 1932 « l’un des plus vastes et les mieux équipés de Paris », le musée de la France d’Outre-mer157 élevé par les architectes Laprade et Jaussely pour l’exposition coloniale de 1931...
150Il est également attentif aux réalisations urbanistiques du grand Paris comme celles des cités-jardins de Suresnes.158 Les Guides Bleus construisent une histoire nationale de Paris. Ils privilégient une image de Paris comme sanctuaire du patrimoine national de la France. Leurs valeurs qui mettent au premier plan la nation, la religion et la culture débouchent sur une mise en perspective de l’espace parisien dominé par l’Arc de Triomphe, Notre-Dame, Le Louvre. On pourrait presque dire que l’union sacrée se concrétise par l’entrée dans le paysage national de la Tour Eiffel, monument républicain.
Paris, ville de la Culture
151Paris est avant tout cité de l’Histoire. Certains guides privilégient une approche chronologique, conduisant le visiteur de siècles en siècles.
152Cette idée prend différentes formes. Le Guide pratique à travers le vieux Paris donne une vision détaillée du centre historique de Paris. Il privilégie les quartiers du Marais et le Quartier Latin, à partir des métros Châtelet, Bastille et Saint-Michel. Pour lui, l’œuvre d’Haussmann ne se justifie que par des « nécessités stratégiques ». Elle a été le moyen de « parer aux insurrections par de larges percées dans le dédale des quartiers populeux. Le vieux Paris sort atrocement mutilé par cette crise d’assainissement »159.
153Son approche est très précise. Chaque rue est détaillée par numéros ; les maisons dont l’architecture vaut la peine d’être signalée sont indiquées. On explique l’histoire des noms des rues... Ce guide est comparable, dans sa démarche au Dictionnaire des rues de Paris de J. Hillairet. Il décrit avec minutie les places royales, essentielles pour sa vision d’une lignée historique. « Malgré les mutilations de ses façades, elle [la Place des Vosges] présente encore un ensemble architectural absolument unique dans son élégante sobriété ; si les vues anciennes montrent que le square actuel nuit à son effet décoratif, du moins ne l’a-t’on pas affublée d’un mouvement hors de proportion, comme on a fait à la place Vendôme ».
154Ce guide juge l’esthétique des places royales. Pour la Place Vendôme,
« Elle a le grave défaut de ne pas être à l’échelle de son cadre et de détruire l’harmonie de la place que l’ancienne statue de Louis XIV respectait mieux.
Suivant un dicton du xviie siècle, « Henri IV était sur le Pont-Neuf avec son peuple, Louis XIII à la Place Royale avec les gens de qualité, Louis XIV à la place des Victoires avec les maltôtiers ». Ce dicton pouvait également s’appliquer à la Place Vendôme, car dès le début elle fut occupée par les gros financiers, enrichis dans les fermes ou les fournitures aux armées »160.
155Dans une optique pédagogique le Guide des équipes sociales (1937) conduit en 4 itinéraires, le visiteur, probablement ouvrier et catholique, du Paris gallo-romain (itinéraire 1) au Paris des Rois (itinéraire 2), au Paris du xviie siècle, de la révolution et de l’Empire (itinéraire 3), au Paris d’Haussmann et au Paris moderne (itinéraire 4). Le militant ouvrier passera une partie non négligeable de son temps dans l’est parisien, à la Bastille, à l’église du Saint-Esprit (rue Cannebière, près de la place Daumesnil) et au Musée des Colonies161.
156Les Guides Larousse, 200 vues de Paris développent aussi une approche historique de la ville dont les principaux lieux et monuments sont présentés chronologiquement, mais ils associent l’attribut culturel et celui des plaisirs : sur 270 pages, 156 présentent l’évolution de Paris à travers les siècles, au travers de ses monuments, illustrés par des photographies. La hiérarchie monumentale est semblable à celle des Guides Bleus. Par exemple la place de la Concorde est illustrée de deux photographies... On montre le théâtre de Champs-Elysées. Les illustrations portent aussi sur le Paris des plaisirs : Paris la nuit, les cafés, les Grands Boulevards, les bouquinistes, la place Blanche. Ici la dimension des plaisirs coexiste avec celle de la culture.
157Les Guides étrangers comme Bœdeker et Dent sont plus sensibles à la dimension française de l’histoire de Paris. Les guides Bœdeker présentent un résumé chronologique de l’histoire de France : « L’histoire de Paris est si étroitement liée à celle de la France que le voyageur nous saura gré de lui donner ici un résumé chronologique des événements les plus importants mentionnés dans notre description de la ville »162.
158Le Guide présente un « aperçu chronologique » de l’histoire de France qui entrecroise histoire parisienne et nationale.
159Pour les Guides étrangers de Paris, plus que pour les Guides Bleus qui la mentionnent sans insistance et préfèrent montrer un peuple maintenant assagi, cette histoire est largement celle des révolutions. Les Guides Bleus tentent d’atténuer cette image, de donner celle d’une ville porteuse d’idéal, dont les habitants sont travailleurs et tranquilles plutôt que celle d’une ville coléreuse et secouée de spasmes :
« Paris a eu des crises de colère, d’enthousiasme, de révolte, d’engouement, de faiblesse ; des ardeurs triomphales, des désastres inouïs ; mais de chacune de ces convulsions, le monde attentif et parfois épouvanté espère toujours quelque avantage, sachant bien que la grande ville reine, follement éprise du mieux et du meilleur, est si constante, malgré les apparences trompeuses, dans la propagation de son idéal, qu’elle en rêve l’expansion sur toute la terre, et s’érige d’autant en défenseur de toutes les nobles causes et en apôtre de tous les progrès »163.
160Paris incarne un idéal de justice pour le monde. Tel est le sens à tirer de son histoire révolutionnaire qui quelquefois, pourtant a suscité l’épouvante (la Terreur). Les Guides Bleus rassurent leurs lecteurs et leur expliquent que le rêve que tout Parisien caresse est de « se bâtir une modeste maison, dans quelque endroit fallacieusement champêtre, le plus près possible des Barrières et d’où il pourra apercevoir la Tour Eiffel, et le Dôme des Invalides, points de vue qui lui donneront l’illusion de n’avoir pas quitté le cher et bien aimé Paris où il a tant peiné »164.
161Le Guide Bœdeker esquisse dans son exposé sur la Bastille une histoire des révolutions de 1789, 1848 et 1871 :
« L’ancienne Bastille défendait l’entrée de la ville à l’Est et tenait en respect le quartier populeux de Saint-Antoine. La Bastille fut attaquée le 14 juillet 1789 par une foule en armes, renforcée de quelques compagnies des régiments gagnés à la révolution, principalement de celui des gardes. Ayant coupé les chaînes du pont-levis les assiégeants envahirent la première cour [...].
La place de la Bastille joua aussi un rôle en 1848 et en 1871. En 1848, les insurgés avaient dressé leur plus forte barricade à l’entrée du faubourg Saint-Antoine [...]. En mai 1871, sous la Commune, la place, entourée de barricades gigantesques, fut un des derniers retranchements des insurgés »165.
162Les Guides anglais Dent semblent encore plus sensibilisés à l’histoire révolutionnaire dont leur vision de Paris est imprégnée :
« Tout le monde connaît l’histoire de la Bastille, cette forteresse bâtie par Charles V et devenant bientôt une prison d’État, son rôle sous la Fronde le jour de la bataille du Faubourg St-Antoine lorsque Mademoiselle de Montpensier fait tirer le canon de la forteresse sur les troupes royales et toutes les histoires terribles que les générations se transmettent sur les souffrances des prisonniers, racontars sans doute parfois exacts auxquels l’aspect sévère de l’édifice prête vraisemblance et qui peu à peu dans l’esprit de la population avoisinante font de la massive prison le symbole concret et écrasant du régime absolu, la désignant à la fureur du peuple lorsque enfin celui-ci se soulève [...] »166.
163Paris est ville de la culture, mais elle apparaît sous un jour différent selon la place donnée au Quartier Latin et à Montparnasse par les différents guides. Ainsi dans les Guides Bleus, le Quartier Latin fait l’objet d’un itinéraire, mais son importance semble moindre que celle des musées qui sont le lieu de la culture même. Le Quartier Latin, la Sorbonne sont plus intéressants comme monuments, que pour la vie intellectuelle qu’ils peuvent animer.
164Un certain nombre de guides à l’usage des étrangers cultivés insistent sur la réputation internationale de Paris comme ville intellectuelle, des cours donnés en Sorbonne que tout étranger à Paris peut aller écouter167, cours publics, dont la Semaine à Paris donne la liste hebdomadaire des grandes institutions, l’Institut, le Collège de France, l’Académie française qui représentent le cadre culturel de Paris... L’étranger cultivé circulera dans les milieux littéraires et artistiques : il est invité à fréquenter les Salons d’arts168, les expositions, à se lier aux milieux littéraires, de l’Académie française, de l’Académie Goncourt. Il connaîtra les maisons d’édition, les grandes revues, la N.R.F. (Nouvelle Revue Française), Clarté, Europe169 ira dans les lieux fréquentés par l’élite intellectuelle parisienne, comme le « Bœuf sur le toit »...
165Le domaine culturel est celui où les guides perçoivent avec le plus d’acuité la centralisation parisienne. Les Guides Bleus notent à ce propos que, dans ce domaine, la centralisation est extrême : « Il serait superflu d’insister sur le rôle national et même international de Paris comme capitale intellectuelle. En fait, et malgré les essais régionalistes, la concentration demeure extrême »170.
166L’Introduction à la vie de Paris171, « guide initiateur du génie de Paris sur les variétés de ses ressources intellectuelles » parle d’une « parisite aiguë et générale » et s’interroge sur les raisons « d’une telle attraction souveraine » ; il explique que l’importance de Paris s’est accrue pendant la Première Guerre Mondiale grâce à la signature du traité de Versailles, à la venue des Américains, et à celle des « débris de l’aristocratie russe » ; Paris a pour lui, la « pureté de son ciel », la « gaieté et la bonne humeur de ses habitants », la « vivacité de son esprit », la « grandeur de ses avenues », ses nombreux « contrastes entre ancien et moderne »...
167« Paris est un creuset. Le génie de Paris, c’est une fusion de l’esprit du monde en perpétuel devenir »172.
Art, plaisirs
168Si pour les Guides Bleus, Paris est avant tout le centre de la culture religieuse et nationale, lieu de conservation, pour les Guides Bœdeker, Paris est avant tout « centre de la vie intellectuelle et artistique de la France »173. La place de l’« Art à Paris » est particulièrement bien mise en évidence et associe les différentes composantes de l’Art depuis les temps les plus anciens jusqu’aux dernières avancées de l’art moderne très bien présentées. Le Louvre auquel les Guides Bœdeker consacrent 100 pages sur 521, dans l’édition de 1931, est « le plus important des édifices de Paris »174. Les Guides Bœdeker retracent une histoire de l’art à Paris en mettant en valeur les apports des provinces comme les influences étrangères, dans un pays centralisé comme la France, Les Guides Bleus ne s’ouvraient que timidement à l’art moderne, les Guides Bœdeker considèrent quant à eux l’art moderne comme « l’art en train de se faire » ; ils soulignent l’influence allemande qui s’est manifestée après 1910, la force des courants non-officiels, la pénétration du « moderne jusque dans l’architecture et les rues de Paris »175 ; ils donnent en fin de volume une table des artistes (même contemporains) dont on fournit le métier, les dates de naissance et éventuellement de mort, la nationalité.
169La réputation artistique internationale de Montparnasse est traitée de façon contradictoire. Le Guide Bleu se méfie quelque peu du caractère d’avant-garde, cosmopolite et un peu marginal de Montparnasse qui réunit les arts et les plaisirs et invite par conséquent à la comparaison avec Montmartre. Pourtant il ne peut pas ignorer l’intérêt des touristes étrangers pour ses contrées :
« Le (boulevard Montparnasse) est le centre d’un pays un peu à part, comme Montmartre... De nos jours, le quartier de Montparnasse est un centre d’artistes, de groupements « d’avant-garde », de bohème cosmopolite, où l’on ne trouve pas seulement la peinture ni le talent. La capitale de cette ville dans la ville est surtout au carrefour du boulevard Raspail et du boulevard Montparnasse, où l’on voit les brasseries de la Coupole, du Dôme et de La Rotonde, dont les salles, le soir offrent un visage très pittoresque, évoqué par Jean Giraudoux dans Siegfried et le Limousin. C’est ici qu’avant la guerre, Lénine et ses compagnons se rencontraient. Montparnasse est de plus en plus région de « boîtes de nuit » et concurrence Montmartre »176.
170Les défauts de Montparnasse sont pour d’autres des qualités. Dans les milieux internationaux du Tout-Paris mondain : on cite volontiers, les noms des artistes qui fréquentent, « toutes nationalités confondues », les cafés de Montparnasse comme René Hasanberg, Kisling, Brunelleschi, Paul Fort, Jean Moreas, Picasso, André Derain, Vlaminck, Foujita, Joyce, Jack London, Ezra Pound, T.-S. Elliott, Guy Charles Cros, André Salmon177. On vante les charmes bien français des cafés : le « café-crème, le café-nature, les croissants » (en français, dans le texte anglais).
171Entre culture et plaisirs parisiens l’association est étroite pour le touriste à Paris. On la retrouve dans la plupart des guides étrangers. Si l’on met à part les Guides Bleus qui tiennent un discours de l’ordre moral et souhaitent distinguer Paris comme ville de la culture et Paris comme ville des plaisirs, dans l’ensemble, les guides aiment à promener leurs lecteurs à la découverte, des musées et des plaisirs de Paris.
172Le Guide Bleu, dans ses différentes éditions dénonce l’erreur de
« ceux qui viennent à Paris dans le seul but de goûter aux distractions que toute grande ville propose à qui veut les payer et qui sont bien résolus à ne point quitter le boulevard, tant que durera leur séjour...
Beaucoup se contentent de cette parade, et ce sont précisément ceux-là qui, rentrés chez eux dans un ennui accru par l’acuité des souvenirs... professent que Paris est la ville la plus corrompue de la terre : parce qu’ils n’ont vu que les tripots et les guinguettes, ils la traitent volontiers de Babylone moderne et de maison de Satan »178.
173Le Guide Dent au contraire, souligne que Paris est restée après 1914, « capitale des arts, des sciences et aussi des plaisirs »179. Selon les zones que les guides privilégient dans Paris, l’image de la ville se transforme. Montmartre est à cet égard un enjeu de première importance car il allie dans un quartier qui reste tranquillement populaire, des caractères qui peuvent sembler antithétiques aux yeux de certains : la piété, l’art et le plaisir. Les promenades proposées par les Guides Dent s’achèvent d’ailleurs sur Montmartre dont ils ont présenté la double dimension, l’art étant ici intégré aux plaisirs parisiens :
« Et enfin le terrain où vous êtes, sacré aux dieux païens, puis devenu chrétien par son baptême de sang, le sang de Saint Denis et de ses compagnons - Montmartre, Mont de Mars, Mont des Martyrs, voué à la foi, voué aux plaisirs, trouvant place sous cette double dédicace pour un monde laborieux et une foule d’artistes enthousiastes et actifs. Montmartre, la Butte Sacrée de l’esprit parisien »180.
174Mais les plaisirs parisiens sont de différentes natures. Ils vont de la flânerie à la visite de lieux typiques ou « pittoresques », jusqu’à la fête et même la prostitution. On peut à la suite du Guide des Plaisirs à Paris en dresser la liste :
175Le sous-titre de ce guide est « Paris le jour - Paris la nuit. Ce qu’il faut voir. Ce qu’il faut savoir. Comment on s’amuse. Où l’on s’amuse ».
176Paris y est alors « la ville du monde où les plaisirs sont les plus nombreux et les plus variés... la ville d’art par excellence »181. Ce guide, écrit nous dit-on par un « vieux Parisien », s’adresse en priorité aux étrangers curieux de « la vie à Paris ». Il leur propose de flâner sur les Grands Boulevards, chez les antiquaires, au Marché aux Puces, de goûter la cuisine parisienne « la première des cuisines », de faire la « tournée de Montmartre », des établissements de nuit et des lieux de plaisir mais aussi du « vieux Montmartre », de rencontrer les étudiants et les employés qui dansent au Bal Bullier ou au Jockey boulevard de Montparnasse, ou encore de faire la tournée de la rue de la Gaité (« Il faut y aller un samedi ou un dimanche soir, jour béni où les ouvriers ont touché leur galette »)182.
177Le guide entraîne son visiteur à faire la « tournée des Grands-Ducs »183 aux Halles, lieu dangereux, mystérieux, des « paradis sordides et dangereux du fort Montjol (lieu de prostitution), [il les conduit dans] les bals auvergnats de la rue de Lappe, les bals populaires de Belleville et de Ménilmontant où l’on parle l’argot parisien », et dans les bals d’artistes des « quat’zarts », lieux presque rassurants en comparaison de l’ambiance qui règne aux Halles.
178Le Guide des Plaisirs à Paris fait un tour d’horizon des plaisirs relativement systématique. A ses yeux il est important que Paris en recèle l’ensemble ; on peut d’ailleurs se demander ce qui unit ces différents plaisirs et quelle est leur articulation. Certains visiteurs préféreront tel ou tel plaisir. Il y a ceux de la flânerie, ceux de la culture des spectacles et de la danse, ceux de la cuisine, ceux du sexe, ceux de la nuit.
179Les lieux de la flânerie sont les Boulevards, les quais de la Seine avec les bouquinistes, les terrasses des cafés, le Marché aux Puces. Les Boulevards, où comme l’explique Louis Chevalier on jouit de la foule et du plaisir de la solitude dans la foule, au xixe siècle184 restent un des lieux actifs de la « vie parisienne » mais connaissent déjà un certain déclin et une transformation de leur image entre 1920 et 1940 ; les Guides Bleus les dépeignent en opposant partie ouest et partie est, qui d’ailleurs traditionnellement n’ont jamais eu le même caractère le boulevard du Temple surnommé « boulevard du crime » était réservé aux plaisirs populaires :
« Les Grands Boulevards, suite de larges artères allant de la place de la Concorde à la Bastille, s’étendent en forme de ligne courbe sur une longueur de 4 km et une largeur de 30 m. sur l’emplacement des anciens boulevards de l’enceinte fortifiée démolie sous Louis XIV. Ils offrent à l’étranger un coup d’œil intéressant ; bordés de magasins luxueux, de nombreux cafés et restaurants aux terrasses animées, traversés par des voies d’accès très fréquentées, ils sont le rendez-vous d’une foule de gens affairés aussi bien que de promeneurs et de badauds. On peut les diviser en deux parties : la partie ouest de la place de la Concorde à la Porte Saint-Martin ; la partie Est de la Porte Saint-Martin à la Bastille : la première est la plus intéressante. Après les avoir parcourus sur une certaine distance, on pourra prendre place à la terrasse d’un café »185.
180Comme la promenade des Champs-Elysées, celle des Boulevards s’est démocratisée, est devenue un loisir des « classes moyennes » perdant une partie de son caractère qui était de « voir » et d’« être vu » du beau monde, évolution qu’enregistre les Guides Dent entre l’édition de 1923 et celle de 1938 :
« « Les Grands Boulevards »186 [...]. These avenues have lost their standing as the promenade on which ail fashionable persons living in or passing through the city felt it their duty to be seen at least once a day. But they still attract the middle classes who stroll up and down here on a pleasant sunday or fête-day, gazing at the window-displays in the shops, many of which remain open, or sitting outside a café watching their fellows pass. On week-days the boulevards are crowded with employés from the hundred of commercial firms having their offices in the adjacent streets. Between six and seven in the evening the neighbourhoods of the Rue Montmartre and the Place de l’Opéra présent a picture of feverish animation »187.
181Le Guide Larousse illustre par des photographies les lieux de la flânerie parisienne.
182Aller au spectacle est un des grands plaisirs que propose Paris. Les guides donnent à voir une panoplie de spectacles pour spectateurs plus ou moins classiques, plus ou moins cultivés. Certains spectacles comme ceux des Théâtres dits de boulevards, ou ceux des music-halls, des cirques, peuvent s’adresser à différentes classes sociales, d’autres sont réservés au public cultivé. Les music-halls, mondialement réputés sont très appréciés des touristes étrangers. Ils représentent un divertissement assez onéreux, qui n’est pas à la portée de toutes les bourses188.
183Le Tout-Paris a ses propres plaisirs. La vie mondaine commence le 1er décembre. Elle a un calendrier très précis qui diffère pour la « saison d’hiver » et la « saison d’été » :
« Jusqu’au 1er décembre, la vie mondaine est presque nulle.
[A partir du 1er décembre,...] la mode veut qu’on se rende le lundi à l’Opéra, le mardi à la Comédie française [...] deux ou trois semaines sur la Côte d’Azur vers le 1er février [...] la saison de Paris recommence avec les premiers jours du printemps, les marronniers en fleur des Champs-Elysées en sont les signes précurseurs [...]. La saison brillante est à son apogée au mois de mai [...] Paris rayonne alors de toute sa splendeur ; c’est le rendez-vous du monde entier. La Princesse de Polignac donne des soirées de musique. En juin, les réunions de courses, à Longchamp et à Auteuil sont des manifestations d’élégance, illuminées des derniers modèles des grands couturiers [...].
[Juillet marque] le triomphe des fêtes de plein air, des dîners dans les restaurants du bois [...].
[La mi-juillet] l’exode vers les villes d’eau et les plages »189.
184Les riches étrangers vont danser dans des soirées mondaines Le Paris-Guide consacre un chapitre aux « Fêtes Mondaines » en soulignant que « jamais le goût du plaisir et de la danse ne fût plus impérieux »190. Les mondains participent aux fêtes des grands salons et cercles ; on donne des « bals de charité » comme le Bal franco-américain, le Bal de Charité russe, le Bal des Petits Lits Blancs, le Gala de la Croix-Rouge. La vie sociale n’est faite que de plaisirs : on fréquente les grands salons où se mêle une élite politique, artistique et sociale, qui goûte les plaisirs de la culture191. On se rend aussi quelquefois aux bals à la mode comme le Bal Nègre.
185La danse est très à la mode après la Grande guerre dans toutes les classes sociales. Les Guides Bleus estiment à 689 le nombre des bals parisiens. On danse aussi dans les nombreux cabarets artistiques comme Le Chat Noir, le Lapin Agile, Les Noctambules... Les bals populaires sont parfois fréquentés par des bourgeois. A Belleville et à Ménilmontant, il arrive même que les enfants se rendent aux bals avec leurs parents.
186A la charnière de l’art et du plaisir, la Mode est présente « des maisons du premier rang jusqu’à nombre de magasins »192 : « on a pu dire que si le nouveau méridien passe par Greenwich, le méridien de la mode passe toujours par la rue de la Paix »193.
187Le couturier Paul Poiret expliquait à ce sujet : « Il est possible que Paris soit la ville où fleurissent les fantaisies de la mode, précisément parce que Paris est la ville où se développe le plus librement la vie sensible et voluptueuse »194.
188Enfin Paris est célèbre pour ses plaisirs nocturnes. « Paris la nuit » est au programme de la plupart des touristes à Paris. Les Guides distinguent couramment « deux Montmartre » : celui de la Rue Pigalle, de la Place Blanche, des restaurants de nuit, des bars, et le Montmartre villageois de la Butte où se côtoient le peuple et les artistes195.
189Les Guides des plaisirs évoquent volontiers la « Tournée des Grands »196. Ducs Ici le plaisir voisine avec le crime, le Guide des grands Ducs en énumère les lieux : « les fortifs, Montparnasse, le quartier des sous-hommes [La Maub’], le Quartier latin, les Halles, le Chemin de Montmartre, Montmartre... »197. Le Guide des Plaisirs à Paris parle de l’atmosphère mystérieuse et dangereuse des Halles, de la prostitution près du métro Combat !198....
190L’image de Paris comme ville des plaisirs et de la flânerie ne doit point occulter celle de la ville du Travail et de la « population laborieuse ».
Ville du travail
191Les guides s’attachent, dans l’ensemble à montrer les Parisiens comme une population qui travaille, qui a un savoir-faire. Chaque zone, chaque quartier de Paris est marqué par un métier, un « art du faire ». Marcel Roncayolo a, à la suite d’Élisée Reclus, mis en évidence l’association dans la symbolique parisienne, entre travail, métier d’art et art199. Ainsi, le Guide Dent expose la spécialisation des différents quartiers :
« Parmi les différents quartiers qui se sont spécialisés dans certaines industries ou dans certains commerces, on peut nommer : le Faubourg Saint-Antoine, le grand centre de la fabrication du meuble,
la rue du Sentier et les rues voisines ainsi que les rues Vivienne et de Richelieu, pour les tissus en gros,
la rue Montmartre et les rues adjacentes pour la confection en gros pour dames - et la rue St-Martin pour la confection pour hommes,
la rue du Quatre Septembre et la rue Réaumur pour les soieries en gros et les fournisseurs pour modistes, la rue Saint-Denis pour la passementerie et la mercerie,
le quartier du Temple pour la maroquinerie et les articles de Paris, le Marais, dont les vieux hôtels abritent de nos jours de nombreux ateliers de bronze d’ameublement et d’articles de Paris, le Boulevard Richard-Lenoir et tous ses alentours pour les machines-outils, le sud-est de Paris pour les tanneries qui sont établies en bordure de la Bièvre [...]
le boulevard Poissonnière et le boulevard des Italiens ainsi que la rue et le faubourg Montmartre, la rue Drouot et la rue de Richelieu forment le centre du Paris journaliste [...] »200.
192La dimension du travail semble sous certains aspects se rattacher à celle de la culture. Nous devons remarquer qu’elle ne conduit pas à une évocation concrète des Parisiens au travail.
1. 3. Les Parisiens
193Ceux-ci sont très peu présents : si le décor est parisien, les personnages le sont très peu. « La Parisienne » a disparu des guides du xxe siècle. En dehors des guides de la vie mondaine, on ne trouve pas de noms de Parisiens contemporains. On souligne le caractère paisible de la population, on la trouve accueillante. On dresse un tableau social de la ville qui souligne le contraste et l’absence de circulation sociale. L’aristocratie vit près du boulevard Saint-Germain, ancien faubourg Saint-Germain dans de riches hôtels particuliers. Du faubourg Saint-Denis au faubourg Saint-Honoré et aux Champs-Elysées la population est très bourgeoise, elle vit dans de luxueux appartements, près de riches magasins. Dans les « plus beaux quartiers de Paris », les Champs-Élysées, l’Etoile, François Ier, le Trocadéro réside une population de bourgeois et de riches étrangers. A l’ouest et au nord de Paris, Auteuil, Passy, proches du Bois de Boulogne, Courcelles, Monceau, les Batignolles sont très recherchés pour leur calme bourgeois. A Montmartre habite une population d’artistes, d’employés et de petits rentiers. Belleville est aussi décrit comme un quartier de petits rentiers. Les ouvriers résident quant à eux dans le quartier La Chapelle, à Ménilmontant... Bercy est la ville des négociants en vins. Les enseignants et étudiants occupent le Quartier Latin. D’autres zones de la ville ne sont pas nommées. Nous les identifions en particulier comme « quartiers ouvriers, quartiers pauvres, quartiers misérables » sur la carte du « Paris sociologique du Guide Dent »201. Ce dernier, s’il insiste sur le « monde d’écart » entre des quartiers comme les Champs-Elysées et d’autres comme les Halles, note une légère transformation récente de quartiers autrefois misérables qui voient s’élever des constructions nouvelles.
194Enfin il souligne l’importance nouvelle prise dans Paris par le commerce qui, dit-il « a pénétré partout ».
1. 4. Allure et personnalité de la ville
195Le Guide Bœdeker est frappé par la « physionomie assez uniforme [de la ville] due à ce que la révolution de la fin du siècle dernier est venue mêler toutes les classes, mais surtout à cause des grands travaux de transformation qui s’y sont faits de nos jours »202.
196Admiratif de la pensée haussmannienne, il relève le « cachet grandiose de l’ensemble », s’intéresse aux voies magistrales comme au réseau d’égouts. Les rues de Paris sont très animées, bruyantes
197Le Guide Bleu note la transformation et la modernisation du décor urbain depuis la fin de la première guerre mondiale : « L’aspect même et le « décor » ont bien changé depuis la guerre. Non point que la victoire ait été marquée par quelque monument grandiose, mais la présentation commerciale, l’affiche, la devanture, l’exposition des objets, ont accompli des progrès qui en font une annexe brillante de l’art décoratif »203.
198Les constructions nouvelles en béton, même si elles ne sont pas encore très nombreuses révèlent « de nouvelles tendances architecturales » encore embryonnaires puisque, dit-il Paris ne semble pas avoir pleinement profité des possibilités ouvertes par la loi Loucheur, et su se doter d’un véritable plan d’extension204.
199Paris est une ville gaie. Elle représente la France, la puissance de la France : on parle d’elle comme d’une femme féminine, belle, gaie, qui a des « amoureux » et qui a su, guerrière, incarner la nation en 1914. Paris appelle la comparaison avec Marianne205. Il faut donc que Paris plaise aux étrangers, qu’ils aiment la ville, comme le souligne le Guide Bleu :
« La ville est ravissante par tous les temps, chaleurs torrides, giboulées froides, neiges boueuses, brumes sacrées. Quelle indulgence pour ses frasques, quel enthousiasme pour ses succès ! Quel bouillonnement de rage au souvenir des brûlots qui l’ont, par surprise, ou par force, rudoyée, violée et possédée ! Et aussi quel désir de la voir plaire aux étrangers amis ! Comme on la pare pour eux, comme on l’enguirlande ! Quelle hâte on a de savoir s’ils l’on trouvée belle ! »206
200On comprend ici comment Paris est un élément de la politique internationale de la France, un instrument de son rayonnement. La Haute couture est un outil de séduction pour la France.
201Le Guide Dent évoque l’image de la ville féminine et gaie qui pourtant révèle son patriotisme, son intégrité en 1914 : « Paris reste la capitale des arts, des sciences - et aussi des plaisirs. Sans doute, les Allemands, et beaucoup d’autres pensent-ils que si la ville est gaie, elle est efféminée, que le cœur du pays est corrompu »207.
202Paris est avant tout capitale de la culture, mais aussi capitale des plaisirs. La droite nationaliste après 1918 tend à occulter l’image de la ville des plaisirs au profit de celle de la ville de la Victoire, capitale universelle. Les Guides Bleus sont les fidèles interprètes de cette conception morale.
203Enfin l’ensemble des guides s’accorde à reconnaître le caractère universel de Paris. Paris, souligne l’historien G. Lenôtre, dans sa préface au Guide Bleu, est une « capitale intellectuelle [appelée à avoir] un rôle national et même international »208. La vocation universelle de Paris s’attache essentiellement à son caractère de « Ville-Lumière ». Sa « beauté » lui vient de son « esprit ». « C’est la ville lumineuse et vivante, ouverte à tous et fraternelle. C’est elle après Athènes et Rome, qui façonne depuis des siècles la pensée des hommes »209.
« Sa réputation intellectuelle commence dès le xiie siècle, quand la bourgeoisie naissante va écouter l’enseignement d’Abélard. Elle se développe avec la Renaissance. Les trois imprimeurs allemands, installés en 1470 à l’Université, témoigneront qu’elle est la Ville-Lumière et François 1er en attirant les lettres, les savants et les artistes fera de sa cour, le carrefour de l’Europe »210.
204Paris est « la ville où se forment le mieux le goût et l’intelligence »211. L’image de Ville-Lumière est associée aux fondements de la pensée philosophique. On force même quelquefois le trait de la comparaison avec Rome pour illustrer le grand destin de la ville : « Sur un plan en relief, on discernerait... sept collines comme à Rome : au sud, la Maison-Blanche, la Butte-aux-Cailles, et la Montagne Sainte-Geneviève, que couronne le Panthéon ; au nord rive droite les Buttes de Montmartre, de Belleville, les Buttes-Chaumont et de Ménilmontant »212.
205Les guides racontent l’histoire de Paris, sa topographie, son intelligence, qui prédestinent Paris à ce destin illustre. Tout monument tout quartier y est affecté d’un superlatif : le Louvre est « le plus grand, le plus fameux, le plus riche des palais de Paris »213 ; l’église Saint-Germain est « la plus ancienne de Paris » ; la Place de la Bastille est « le plus grand centre de l’industrie du meuble » ; le Père-Lachaise est une « vaste nécropole, le plus grand cimetière de Paris », etc.
206La vocation universelle de Paris comme ville de la culture est des droits de l’homme semble donc renforcée par son rôle de Capitale de la Victoire.
207Les guides de tourisme consacrés à Paris présentent une image globale de Paris, capitale Universelle, Ville-Lumière capitale de la Culture, de l’Art, des Plaisirs, du Travail. Ces attributs semblent s’enchaîner les uns aux autres. Les Guides Bleus présentent Paris comme le lieu de dépôt de la Culture nationale, chrétienne, instrument de la puissance de la France et mettent à distance Paris, comme ville des plaisirs. Les guides étrangers, en particulier ceux des grandes collections comme Bœdeker ou Dent, tout en ayant conscience de cette image de Paris aux yeux des Français privilégient Paris comme ville de l’Art et ville des plaisirs. Il y a donc un décalage entre l’image qu’une quasi-institution nationale comme les Guides Bleus veulent présenter, et celles que véhiculent et que viennent chercher à Paris les auteurs des guides étrangers. En arrière-plan de l’image de la culture et du plaisir, celle de Paris-Travail semble indispensable à une compréhension authentique de la Ville.
208Les Monuments parisiens communiquent une « image essentielle » de Paris articulée jusqu’à Haussmann autour de la Cité - Notre-Dame - le Louvre ; cette image après l’« assainissement » de la Cité réalisé par Haussmann s’est polarisée vers l’ouest triomphal et a pris pour éléments fondamentaux : la Place de la Concorde - Notre-Dame - le Louvre. Après 1918, l’Arc de Triomphe, les Invalides, la Tour Eiffel ont mission de signifier au monde que Paris est à la fois lieu de la gloire impériale, du souvenir religieux de la Guerre et de la modernité.
2. VOIR PARIS ET L’EXPO
209Les Expositions Internationales qui se tiennent à Paris dans l’entre-deux-guerres sont l’occasion pour des millions de touristes, français et étrangers de venir voir Paris et l’Exposition. Le xixe siècle214 a été en Europe le siècle des Expositions Universelles. Paris a accueilli ces grandes manifestations en 1855, 1867, 1878, 1889 et 1900.
210Les Expositions ont pour vocation de montrer au public des objets industriels, artistiques remarquables pour leur nouveauté, leur originalité, leur technicité... Elles sont des révélateurs des progrès accomplis dans les différents secteurs de l’activité humaine. Les objets exposés sont classés selon un ordre rationnel et pédagogique et dans la mesure où différents pays exposent, il est alors possible de comparer, d’évaluer la production de chacun d’eux. Les Expositions sont donc aussi une occasion de rencontre et de compétition entre nations. Si les nations exposent, elles s’exposent également : elles révèlent l’image qu’elles souhaitent donner d’elles-mêmes à un moment donné, à travers l’architecture de leurs bâtiments, leur disposition, leur style, leurs messages. Sans objectifs commerciaux reconnus, elles ont, selon le Bureau International des Expositions « un but principal d’enseignement pour le public, faisant l’inventaire des moyens dont dispose l’homme pour satisfaire les moyens d’une civilisation et faisant ressortir [...] les progrès réalisés ou les perspectives d’avenir »215.
211La revue L’Architecture d’aujourd’hui dans un numéro spécial consacré à l’exposition de 1937 donne une formule qui résume parfaitement les différents aspects d’une exposition internationale : « Oui, [écrit Maurice Barret] une exposition c’est publicité + affaires + éducation + amusement »216.
212Les Expositions Internationales ne diffèrent pas radicalement des Expositions Universelles. Elles sont, dit Raymond Isay217 un « membre détaché du rameau des anciennes expositions universelles ». Elles permettent « d’illustrer dans un cadre déterminé une activité définie »218. Paris accueille, dans l’entre-deux-guerres trois Expositions Internationales, en 1925, 1931, et 1937. Les Expositions de 1925 et 1931 sont consacrées à un thème particulier, respectivement : les « Arts Décoratifs et Industriels Modernes » en 1925, l’Empire Colonial en 1931 ; l’Exposition de 1937, exposition des « Arts et Techniques dans la Vie Moderne » se rapproche davantage du critère d’Exposition Universelle. Raymond Isay, par exemple l’intègre comme telle dans son Panorama des Expositions Universelles219.
213La notion même d’Exposition Universelle semble poser problème. D’une part les circonstances de la vie politique favorisent peu les grands rassemblements internationaux, d’autre part les critiques s’interrogent sur l’utilité et la faisabilité de telles manifestations au xxe siècle, à l’heure de la communication et de la mondialisation des échanges. Particulièrement sensible à ces questions du modernisme la revue L’Architecture d’aujourd’hui écrit :
« A leur début, [les expositions] avaient une raison vitale d’existence. C’était le seul moyen commercial d’échange et l’unique possibilité de connaître les progrès acquis dans chaque catégorie d’activité industrielle. Aujourd’hui, le marché mondial est un circuit largement ouvert. Les grands magasins, les bazars bien achalandés sont autant d’expositions quotidiennes. La presse et ses innombrables journaux, magazines et revues, la radio, le cinéma sont de puissants et instantanés moyens de diffusion aux quatre coins du monde, de tout ce qui est nouveautés et inventions. D’ailleurs l’existence contemporaine est devenue tellement complexe qu’il n’est plus possible pour une exposition de vouloir représenter l’activité universelle »220.
214De fait, 1937 est la dernière exposition internationale de ce type qui se soit tenue à Paris221. Nous l’avons donc intégrée à notre étude, en prenant en compte la date de sa conception, entre 1932 et 1934.
215Chaque exposition accueille des millions de visiteurs : 15 millions d’entrées pour l’Exposition de 1925, 33 millions en 1931, 34 millions en 1937222. Les organisateurs et financiers des Expositions (l’État et la Ville de Paris, en France) sont amenés à organiser dans Paris une « Ville dans la Ville »223, qui ne durera que le temps de l’Exposition, soit environ six mois. Les Expositions sont le reflet des représentations de la « ville » à un moment donné ; elles bâtissent aussi des villes idéales qui sont des créations éphémères. De plus, les Expositions suscitent des constructions destinées à durer, à enrichir le patrimoine, comme les musées. 1878 a laissé le premier Palais du Trocadéro ; 1889 la Tour Eiffel, 1900 le Grand et le Petit Palais. Quant à la première ligne de métro parisien elle a été construite à l’occasion de l’exposition de 1900. Cependant, certaines constructions destinées à être démontées une fois l’exposition terminée demeureront souvent après hésitations, et devant le succès public remporté, alors que des monuments destinés à durer n’eurent qu’une durée de vie limitée.
216Paris, en ce début du xxe siècle est considérée comme la « Ville des expositions » dont elle est à la fois le décor et le support. Entre toutes, l’Exposition de 1900 apparaît comme une référence. Elle hante les esprits de manière positive ou négative. 1900 symbolise d’abord le Triomphe de la République après l’Affaire Dreyfus, mais consacre également l’apogée de la France de la Belle Époque, une France réintégrée au sein des nations. Mais l’Exposition de 1900 a été beaucoup critiquée au nom de la « décentralisation »224. On mettait notamment en balance le coût d’une telle manifestation, le « gaspillage d’argent, d’espace et d’invention »225 avec son résultat somme toute éphémère. Après la Grande Guerre, les critiques mettent en cause le caractère artificiel des matériaux, le recours au stuc..., l’aspect factice des constructions226. 1900 devient pour beaucoup un exemple finalement à ne plus reproduire.
217Quand il écrit « 1900 », en 1931, Paul Morand se fait le porte-parole de ces critiques faites à l’exposition, « immense plaie sur le pauvre Paris qui attire les vilaines mouches de tous les pays du monde »227. « Partout triomphent l’anecdote, le trompe-l’œil, l’ornementation vaine, le musée de cire, l’allégorie, la page d’histoire »228. Pourtant, Paul Morand vante le dépaysement dans cette « Ville » créée par l’Exposition :» [...] Je passe mes journées dans cette ville arabe, nègre, polynésienne, qui va de la Tour Eiffel à Passy, douce colline Parisienne portant soudain sur son dos l’Afrique, l’Asie, l’univers immense dont je rêve [...] »229 « Derrière ce décor » pour Paul Morand, « le véritable clou de l’Exposition, [...] c’était [...] le wagon du trans-sibérien... »230.
218Notre propos n’est pas de décrire, de raconter chacune de ces Expositions. Nous voulons dégager les images de Paris qui étaient à l’œuvre lors de la conception des projets, de leur évolution, mais aussi étudier la façon dont les autorités ont utilisé le site Parisien pour offrir une image de Paris et de la France. Au travers de l’Exposition, les diverses qualités de Paris, ville de la Culture, de l’Art, des Plaisirs, du Travail sont utilisées, mises en valeur dans un contexte à chaque fois différent. Les Expositions sont des lieux de prédilection des imaginaires où les images du passé, du présent et du futur travaillent. Elles transforment de façon durable la Ville et ses représentations.
2.1. Les Expositions internationales de 1925, 1931, 1937
219Chaque exposition se réfère à celles qui l’ont précédée, et cherche à la dépasser. Elle est ainsi une analyse critique des réalisations antérieures. Les projets ne sont pas formulés en une seule fois. Ils évoluent dans leur contexte politique et économique.
220L’idée d’une Exposition des « Arts Décoratifs Modernes » était née en 1911, dans un contexte de rivalité avec les réalisations des artistes munichois au Salon d’Automne. Il s’agissait de renouer avec une tradition de suprématie de la France dans le domaine du goût dont Paris était l’expression. Un rapport présenté à la Chambre des députés le 1er juin 1911 sur la possibilité que se tienne à Paris une Exposition des Arts Décoratifs Modernes231 mettait en cause l’absence de création artistique depuis 40 ans, et déplorait que celle-ci soit remplacée par le commerce des copies, des imitations, produites en grand nombre232. Il souhaitait que soient exposés non seulement des objets de luxe mais surtout des objets quotidiens (verre, assiette, table d’écolier, bol...) « dessinés et ornés par des artistes »233.
221Le projet retardé par la première guerre mondiale revoit le jour dès juillet 1919 et aboutit en 1925. Plus que jamais dans l’atmosphère nationaliste de l’après-guerre, il s’agit de glorifier le goût français. Dans une Conférence présidée par le Commissaire Général de l’Exposition Fernand David, le Professeur H.-M. Magne explique « ce que sera l’exposition de 1925 »234 : la France handicapée par sa main d’œuvre restreinte, ses besoins en charbon, et en matières premières doit « compter sur la supériorité de ses objets fabriqués »235. Contre « l’engourdissement » du xixe siècle, engourdissement qui correspond à la « disparition de l’enseignement corporatif », il invite, dans la continuité de l’exposition de 1900 à développer l’« effort moderne de l’art français », [à] « confronter les tendances diverses de tous les principaux pays en vue de la réalisation de ce même idéal moderne pour permettre de comparer les qualités relatives des uns et des autres [...] »236.
222Il ajoute qu’« un seul emplacement était digne d’un tel programme : le cœur de Paris ». Le projet consistait à réunir artistes et industriels pour donner une véritable « leçon d’art pratique et vivant »237. Alors que les expositions précédentes n’étaient que de « vastes bazars mondiaux », Yvanhoe Rambosson, secrétaire général du comité général d’admission de l’exposition de 1925, présente celle-ci comme « une exposition de choix et de présentation », qui prend en compte l’évolution du goût public depuis 1900 et souhaite « organiser le cadre de la vie réelle », en montrant au public des objets modernes, bien conçus et simples :
« Le style d’aujourd’hui ne découle pas de fantaisies plus ou moins charmantes de l’imagination. Il asservit les formules à l’évolution même de la vie. Il cherche la beauté dans la simplicité et le luxe dans la qualité de la matière »238.
223L’idée d’une Exposition pour 1937 qui serait la continuation de celle de 1925239 est née peu de temps après l’Exposition de 1925 ; Fernand David, commissaire général de l’Exposition de 1925 la lança à la Chambre de Commerce de Paris. En juin 1930, la question gagne le Parlement. Un « Comité d’Étude de l’Exposition Internationale d’Art Moderne à Paris » se met en place en décembre 1931. Il réunit six sociétés professionnelles d’architectes et d’artistes de l’Union des Artistes Modernes invitées par la Société des Artistes Décorateurs à délibérer sur l’avenir à donner à l’Exposition de 1937. Le 10 septembre 1934, Edmond Labbé, futur commissaire de l’exposition baptisée « Exposition Internationale des Arts et Techniques appliqués à la Vie Moderne » publie son Programme. Il le reprend dans une conférence en 1937 et insiste sur la nécessité d’une exposition adaptée au monde industriel moderne :
« L’exposition réunira les œuvres originales des artisans, des artistes, des industriels. Elle se propose d’être créatrice, éducatrice, et même de provoquer des réalisations qui semblent, à l’heure actuelle, être du domaine de l’avenir. Elle s’efforcera de montrer que le souci d’art dans le détail de l’existence journalière peut procurer à chacun, quelle que soit sa condition sociale, une vie plus douce, qu’aucune incompatibilité n’existe entre le beau et l’utile, que l’art et les techniques doivent être indissolublement liés »f Conférence de Monsieur Edmond Labbé, « Arts et Techniques dans la vie moderne »240.
224Le souci pédagogique était tout aussi présent dans le projet d’Exposition Coloniale formulé avant la première guerre mondiale : il s’agissait de faire découvrir et connaître aux visiteurs français et étrangers les ressources économiques et culturelles de l’Empire colonial français au fondement de la puissance française. En avril 1930, le ministère des Colonies publia un ouvrage définissant les but et organisation de l’exposition241 : celle-ci visait à
« matérialiser sur le sol métropolitain la présence lointaine de toutes les parties de l’Empire » : « Elle sera une justification et une réponse. Il faudra bien qu’enfin le peuple de France sente en lui s’émouvoir un légitime sentiment d’orgueil et de foi »242.
225Dans son Panorama des Expositions Universelles, Raymond Isay explique le projet de l’Exposition Coloniale de 1931 qui fait connaître, enseigne, dépayse :
« [...] Le but est de mettre en lumière l’effort accompli au-delà des mers par la France de tous les temps ; de présenter à la métropole les territoires récemment entrés dans la communauté nationale : le Maroc, les pays de mandat ; de satisfaire à l’appétit universel de l’aventure, du pittoresque, du dépaysement, de l’exotisme ; d’exalter cette entité nouvelle, « la France des cinq parties du monde » ; d’enseigner enfin à tous et notamment à nos industriels et à nos artistes, quelles ressources illimitées leur offrait ce vaste domaine, réserve naturelle et réservoir humain »243.
226Chacun des projets d’exposition à Paris se transforme dans son contexte politique et traduit les préoccupations dominantes du moment. L’Exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de 1925 révèle en partie la place que la France entend se donner dans les rapports internationaux. Les artistes et industriels allemands n’avaient pas été invités. Les industries d’art et de luxe étaient considérées, au lendemain de la guerre comme un des éléments de la suprématie française auquel il convenait de faire de la « publicité »244. L’Exposition de 1925 permettait de célébrer la renaissance de l’Art décoratif français, du « goût national ». Elle renouait avec les conceptions du xixe siècle de la France comme berceau national des arts245. Art et luxe riment avec Paris. La vocation artistique et internationale de Paris se confirme après la Grande Guerre. Paris « naturalise », « nationalise », en quelque sorte les artistes venus du monde entier.
227Raymond Isay explique que : « L’exposition de 1925 fut donc, au cœur du Paris élégant, et six ans après la victoire, une nouvelle fête de la victoire, fête économique et artistique, fête de la richesse et de la beauté »246.
228L’Exposition de 1925 est un prolongement du 14 juillet 1919. En dépit des objectifs affichés de donner la priorité au lien entre art et vie quotidienne, elle se place du côté du luxe, de l’élégance du Tout-Paris dans la mesure où ils sont ressentis comme un des éléments d’une époque de gloire... Elle est dominée par l’atmosphère euphorique des « années folles ».
229L’Exposition de 1931 fut une tentative de montrer une France forte, alors que la France sortait affaiblie de la Grande Guerre. Dans le contexte de crise économique mondiale de l’année 1931, elle fut considérée comme un élément de lutte contre la crise, susceptible selon Raymond Isay de « retarder la crise »247. L’Empire se révélait un partenaire commercial de première importance pour la France ; de plus, l’Exposition permettait de créer des emplois, de stimuler le commerce, de développer le tourisme.
230L’Exposition de 1937 est en partie l’expression des multiples crises des années 30. « Au seuil de l’Exposition de 1937 », Raymond Isay rappelle que depuis six années,
« [...] le monde, l’Europe, la France ont été parcourus de violentes secousses, au cours desquelles se sont produits de profonds bouleversements. Il semble qu’aujourd’hui apparaissent les conséquences réelles de la guerre, déguisées tout d’abord par les survivances de l’ère antérieure et par l’euphorie déraisonnable des premières années de la paix. Il semble que l’on assiste, enfin, au laborieux, au douloureux enfantement du véritable vingtième siècle »248.
231Edmond Labbé, commissaire général de l’exposition de 1937, situe l’exposition dans un contexte de crise des valeurs. Il ouvre une conférence consacrée à l’exposition sur ces mots :
« Nous ne savons très bien que penser ni que faire [...]. Où est notre libre assurance du temps de la prospérité, où est le dogmatisme des techniciens de la rationalisation, des champions du machinisme, où est la surexcitation des financiers, l’audace des spéculateurs, où est l’intransigeance des pontifes de l’art moderne ? Toutes les valeurs sont mises en question »249.
232La crise favorise la xénophobie. Paris, est une ville traditionnellement accueillante pour les étrangers ; pourtant, note Labbé ceux-ci y perçoivent un climat qui leur est peu favorable, contraire aux traditions de la France et qui ne les encourage pas forcément à y séjourner250.
233Cette crise est en grande partie politique et internationale comme le démontre implicitement la place donnée aux pavillons des 44 nations étrangères dans l’axe central de l’exposition. Tous les contemporains garderont le souvenir des deux pavillons soviétique (conçu par Iofan) et allemand (œuvre d’Albert Speer) qui se faisaient face, de part et d’autre du pont d’Iéna élargi251 et qui constituaient une porte de l’Exposition, encadrée par l’aigle allemand d’un côté et un couple de travailleurs brandissant la faucille et le marteau de l’autre.
234Cette crise est aussi économique et l’on a même prétendu que le célèbre « retard » de l’exposition - inaugurée le 24 mai alors que Léon Blum avait espéré le 1er - tenait au fait que les ouvriers ne voulaient pas terminer l’exposition de crainte de se retrouver au chômage.
235Le cadre parisien est utilisé pour traduire le projet de l’Exposition auquel il confère une dimension internationale. Toutes les expositions, sauf celle de 1931 se sont déroulées, en dépit des opinions contraires, dans le centre et l’ouest parisiens considérés comme les sites les plus glorieux donc les plus susceptibles d’offrir un cadre idéal pour de telles manifestations. 1925 et 1937 ont utilisé l’axe de la Seine comme colonne vertébrale de l’Exposition : en particulier la voie d’eau est un moyen de transport privilégié.
236Le plan de l’Exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes se dispose entre deux grands axes qui se coupent à angle droit : « L’un partant des Champs-Elysées, traverse le Pont Alexandre et aboutit devant le Dôme des Invalides, l’autre formé par la Seine avec les deux voies qu’offrent les quais des deux rives »252.
237Dans la continuité du 14 juillet 1919, l’exposition privilégie la voie triomphale et le triangle militaire Champs-Elysées, Étoile, Invalides. Le Rapport Général de l’Exposition souligne l’importance de la perspective du Dôme des Invalides qui apparaît comme associé à l’image de cette exposition : « L’architecte en chef avait porté son principal effort sur l’Esplanade des Invalides. Deux obligations s’imposaient : respecter la perspective que domine le Dôme superbe et cependant éviter la monotonie d’une longue avenue régulière [...] »253.
238Les autorités de l’Exposition ne font que réaffirmer par leurs choix la suprématie de l’ouest parisien. Yvanhoe Rambosson, secrétaire général du Comité d’admission de l’Exposition de 1925, insiste sur le choix du site ; seul le « cœur de Paris » semble pouvoir assurer le succès d’une manifestation au rayonnement international :» [...] par l’étendue et la qualité des lieux occupés, sur le seul emplacement central susceptible de l’hospitaliser dans la capitale, on peut juger de l’importance que le gouvernement et la ville de Paris attachent à la leçon d’art pratique et vivant donnée là six mois durant »254.
239Pourtant, un tel choix avait suscité de nombreuses polémiques. Le centre de la ville était déjà fort encombré. Depuis l’exposition de 1900, les partisans d’autres localisations étaient nombreux. Ainsi le critique Gabriel Mourey regrettait-il les choix opérés par l’État qui avaient selon lui privilégié dans tous les domaines « l’esprit de routine ».
« Mais l’esprit de routine veillait [...] toutes les grandes expositions du xixe siècle s’étaient tenues là ; celles du xxe siècle, du xxie et du xxiie continueront de s’y tenir et de la même manière et selon les mêmes programmes de classification et d’architecture, dans les mêmes décors, dans le même esprit... [...]A une exposition de ce genre, à une exposition d’architecture et d’art décoratif moderne, il fallait un programme nouveau, un plan nouveau, un terrain nouveau, un esprit nouveau, disons moderne, quelque répugnance que l’on éprouve à employer ce mot tant galvaudé »255.
240Alors que l’Exposition des Arts Décoratifs n’était pas encore fermée, Alfred Agache, vice-président de la Société des Urbanistes français256 estimait que : « La grosse faute que l’on a commise envers l’urbanisme, ce fut d’installer, en plein centre de Paris, une manifestation de cette importance qui, au lieu de servir à l’embellissement et à l’aménagement futur de notre Capitale, par ce qui aurait pu subsister d’elle [...] ne laissera que cendre et poussière »257.
241L’originalité de l’exposition coloniale localisée dans l’est n’en est que plus manifeste.
242Malgré la présence dans la Commission préparatoire à l’exposition de 1937, présidée par Louis Bonnier258, de Henri Prost, proche de Lyautey et animateur du projet de plan d’aménagement de la Région Parisienne, le gouvernement choisit comme emplacement pour l’Exposition de 1937 les jardins du Trocadéro et le centre de Parisf259. Les projets les plus appréciés par le jury placent l’axe de l’Exposition sur la Voie Triomphale. Le projet de Beaudoin et Lods installait l’Exposition au Mont Valérien. Le projet Pierre Patout choisissait comme site les quartiers axés sur la Voie Triomphale, entre la Seine et le Rond-Point de la Défense260. Le gouvernement avait fini, en dépit des protestations des artistes, de celles du Musée Social, qui accusaient la future Exposition de ne pas tenir compte du plan d’extension de Paris, par céder aux pressions de groupes d’intérêt comme les commerçants favorables à une exposition dans le centre de Paris ; le conseil municipal de Paris prit la décision le 14 avril 1933. Les artistes auraient voulu laisser une « empreinte sur la cité à venir » selon l’expression utilisée par les architectes Beaudoin et Lods261. L’Exposition aurait dû, selon eux, être un moment d’expression de leur conception de l’Art moderne.
243L’écrivain Jean Giraudoux, créateur en mars 1928 avec Raoul Dautry d’une Ligue Urbaine destinée à défendre les droits urbains du citoyen, prenait position dans le journal Marianne en faveur de la création, à l’occasion de l’exposition de nouveaux quartiers suburbains, et critiquait ironiquement le choix du centre de Paris dans un texte « A propos de l’Exposition de 1937 ». Il mettait en évidence les motivations respectives du Gouvernement, de la Ville, des touristes.
244Pour le Gouvernement il s’agissait avant tout de donner une impulsion aux arts français de décoration, « en leur donnant une de ces occasions uniques, dénommées expositions, où ils pourront pousser à leur extrême leurs images et leurs réalisations »262.
245Il espérait aussi « [...] grâce au nombre de ses visiteurs français et étrangers favoriser le développement de notre industrie du luxe ».
246Pour la Ville, il s’agit avant tout d’une manifestation de tourisme et de commerce grâce à l’alliance réalisée entre forum des Arts et grande fête :
« [...] il s’agit pour elle avant tout d’une opération de propagande, destinée à favoriser et sa renommée de ville de tourisme et son commerce intérieur. Toutes les expositions deviennent à Paris des fêtes et des foires. Cette exposition de luxe sera une foire du luxe ; l’approche de Ruhlmann et l’intelligence de Le Corbusier ou de Sue seront facilitées au public par la série habituelle d’attractions, biguines, manèges et femmes-troncs »263.
247Mais, explique Giraudoux les visiteurs étrangers, provinciaux, parisiens même, ont aussi leur conception. L’intérêt de l’exposition réside pour eux dans « cette union entre les Arts Décoratifs et Paris » :
« Pour eux, ce n’est ni le mot exposition, ni les mots arts décoratifs qui priment dans le titre, c’est le mot Paris [...]. Ils se réjouissent à l’idée d’atteindre la cité de carton armé et de plâtre par cette avenue permanente de pierre qu’est Paris [...]. En un mot, l’attrait pour eux est ce jumelage passager d’une ville éphémère et d’une ville millénaire, de la cité la plus excentrique et la plus imaginaire avec la capitale du monde la plus réelle et le plus humainement assise »264.
248Giraudoux éclaire ici les motivations respectives du gouvernement, de la ville qui utilisent cet attrait exercé par Paris ville des arts, de l’innovation, et des plaisirs comme un élément de rayonnement national et international en matière de commerce, de tourisme. Il analyse la « greffe » particulière que représente une ville imaginaire dans une capitale réelle. Il refuse l’idée de Paris comme ville-décor, ville-musée dont se servent le gouvernement et la municipalité.
249Le ministre de l’Éducation Nationale, Anatole de Monzie265, mit sur pied un « Conseil Restreint » afin d’élaborer un plan pour l’Exposition. Ce fût le projet Perret, révélé à l’automne 1933 qui se « proposait de créer un « axe » suivant un ensemble d’avenues allant de la porte Dauphine à la porte d’Italie en passant par le Trocadéro et l’École Militaire. On allait créer les Champs-Elysées de la Rive Gauche »266. Le projet Perret était soutenu par le gouvernement, alors que la Ville était favorable au plan Gréber. Il refusait de prendre la Seine pour axe principal et aurait entraîné une restructuration complète de la ville.
250A la suite des événements du 6 février 1934 et de la chute du gouvernement Daladier, le gouvernement Doumergue commença par annuler l’Exposition. Pourtant la mobilisation des artistes et des industriels en sa faveur fut telle que l’État et la Ville finirent par signer une convention, le 15 mai 1934 alors que [...], souligne Danielo Udovicki « par une coïncidence, dont on ne saurait ignorer l’ironie, le plan Directeur de la Région de Paris fut officiellement déposé la veille de cet accord. Initiés presque au même moment, l’Exposition de 1937 et le Plan Régional, véhicules présumés de l’avenir de Paris, et voués de ce fait à se parfaire mutuellement avaient fini par s’ignorer tout à fait »267.
251Une fois de plus s’exprime l’opposition entre le particularisme étroitement Parisien du Conseil Municipal, lié aux intérêts particuliers de commerçants, et une vision d’avenir qui prend en compte l’évolution du Paris Nouveau. C’est le conservatisme qui a présidé au choix du site pour 1937, conservatisme dans lequel les autorités municipales jouent un rôle important. Le Cartel des gauches était étroitement associé à la mise sur pied de la Région Parisienne, mais sa politique n’a pas été menée jusqu’à son terme : le point de vue des artistes n’a par ailleurs pas été le mieux entendu.
2. 2. Ville éphémère, ville millénaire et ville du futur
252La réalisation des Expositions de Paris aboutit à la construction de deux villes, l’une destinée à durer 6 mois, puis à être littéralement démontée268, l’autre à prolonger dans Paris le moment de l’exposition par des constructions durables qui la symbolisent.
253Discours, revues, analyses utilisent de façon répétitive les expressions « ville dans la ville », « ville éphémère » en opposition à « ville durable », « cité de musées ». Ainsi le Guide de Paris et de l’Exposition, retraçant l’historique de l’Exposition de 1925, explique : « En quelques mois une véritable ville est sortie de terre, ville internationale, Babel aux aspects les plus variés, dans les constructions de laquelle se reflètent les goûts et les trouvailles des peuples »269.
254Les expositions sont peut-être une des dernières manifestations des utopies du xixe siècle. Les commentateurs insistent volontiers sur le rôle et la décoration des « portes » de la ville imaginaire. L’Exposition de 1925 comptait 17 portes, toutes décorées par des architectes270. Paul Léon dans le Rapport général de 1925 évoquait la possible contradiction entre espace fermé et modernité pour conclure à un simple parti-pris de raison : « A l’époque où les barrières tombent, où les échanges de toute sorte (sic) se multiplient, le mot « Porte Monumentale » n’éveille-t-il plus qu’une idée vague et contraire à l’esprit moderne ? A la vérité, il ne s’agissait pas de portes de villes, mais de portes d’exposition. Puisqu’une enceinte avait été tracée, il fallait bien créer des portes pour y entrer et en sortir »271.
255L’opposition entre construction éphémère et durable revêt un sens spécifique au lendemain de la Grande Guerre. L’éphémère renvoie à l’esprit de dépense, de consommation des années folles alors que les musées sont destinés à enrichir de façon durable le patrimoine national de Paris et de la France272. Gabriel Mourey y décelait en 1925 une certaine « immoralité ». De ce point de vue l’exposition de 1937 s’oppose à celle de 1925. Raymond Isay exprimait à ce sujet son point de vue : « Si, comme nous le croyons, il sied de juger les expositions moins d’après leurs éléments périssables que d’après les constructions qu’elles érigent pour servir et pour durer, notons que 1937, reprenant et élargissant le plan de 1878, dote dès maintenant Paris d’une véritable cité de Musées »273.
256L’exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes s’est déroulée entre avril et octobre 1925. Elle n’a suscité aucune construction permanente dans Paris. Pourtant elle bénéficie pleinement du décor parisien : les Invalides, le Grand-Palais, la Seine. Les objets exposés étaient classés en quatre groupes : 1. Architecture, 2. Mobilier, 3. Parure, 4. Arts du Théâtre, des Jardins, Enseignement274. Les organisateurs avaient souhaité l’union de l’art et de l’industrie dans une exposition de la modernité attachée à mettre en évidence le cadre de la vie réelle275, et ses objets quotidiens.
257Un des grands problèmes des expositions de 1925 et de 1937 fut la place réservée dans la conception de l’exposition à l’art moderne, et les définitions contradictoires qui en étaient données. Dans l’exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de 1925 l’opposition des points de vues des artistes et des industriels se transforma en conflit. Le débat s’articulait autour de deux conceptions de l’Exposition en 1925, l’une proche des points de vue de la Ville de Paris et des industriels faisait de l’exposition une nouvelle foire de Paris ; l’autre privilégiait les points de vues des artistes, devant ceux des industriels, et refusait de souscrire aux impératifs de rentabilité... S’ajoutait à cela le débat classique depuis le xixe siècle sur la nécessaire rencontre entre art et industrie dans une exposition d’art moderne : certains y voyaient la naissance du monde moderne276.
258On pouvait visiter l’exposition en la divisant en plusieurs secteurs comme le proposait le Guide de Paris et de l’exposition277. Chacun s’attachait à une zone bien marquée de Paris et mettait en évidence le rôle central de l’Esplanade des Invalides.
259Plusieurs ensembles se dégageaient et en particulier la section française et la section étrangère. 21 nations étrangères participaient et avaient confié la réalisation de leurs pavillons à plusieurs très grands architectes : Victor Horta avait réalisé le pavillon belge, Josef Hoffmann le pavillon autrichien (auquel l’allemand Peter Berhens collabora malgré l’interdiction faite à l’Allemagne d’exposer), J.-F. Staal le pavillon néerlandais ; quant aux italiens, ils avaient construit un mausolée dont l’architecte était Armando Brasini278.
260De la section française, émanait un parti-pris en faveur des industries du luxe : « Paris, affirmait le Guide de Paris et de l’Exposition, c’est la lumière, dit Victor Hugo. C’est aussi la capitale de l’élégance et de la mode »279.
261Le Pavillon de l’Élégance avait été aménagé par les grandes maisons de couture, Lanvin, Callot, Worth, Jenny et la maison de joaillerie Cartier. Le couturier Paul Poiret amarra trois péniches au bord de la Seine : Amour, Délices et Orgues. Elles étaient ornées de décorations réalisées par Raoul Dufy280. Les ponts de la Seine étaient également recouverts de boutiques très riches.
262Les vingt-cinq pièces de l’Ambassade française, situées près de l’Hôtel des Invalides, dans l’enceinte de la Cour des métiers révélaient une volonté de représenter la France dans le luxe et la grandeur. Le Hall était décoré par Mallet-Stevens ; la toile qu’il avait commandée à Robert Delaunay « La femme et la Tour » (voir reproduction) fit scandale et ne fut pas acceptée par le commissariat de l’exposition car on la jugea indigne de figurer à cet endroit281 ; le Bureau-bibliothèque en palissandre de l’architecte-décorateur moderne Pierre Chareau avait été réalisé sous le parrainage de la Société des Artistes-Décorateurs.
263De même l’Hôtel du Collectionneur de Ruhlmann, reconstitution d’un hôtel particulier du xviiie siècle attirait l’attention sur le luxe ostentatoire de l’exposition. Les pavillons des grands magasins282 situés à un emplacement prestigieux, à l’entrée de l’Esplanade des Invalides revêtaient un aspect très éclatant, justifié aux yeux des organisateurs par la nécessaire publicité283. Les ateliers des grands magasins produisaient des objets dont le modèle était réalisé par les artistes. Ils se rapprochèrent donc au plus près des objectifs initiaux de l’exposition en matière de goût et répandirent auprès du public une certaine idée de l’art décoratif...284
264Un autre élément remarquable de l’Exposition était la présence de la France régionale. Il révélait les problématiques nouvelles induites par la reconstruction des provinces françaises. Il conduisait à un questionnement sur la place de Paris dans cette France régionalisée. Sur le Cours-la-Reine, le Village français conçu par Adolphe Dervaux et réalisé par Charles Génuys se voulait exemplaire de la conciliation des traditions locales françaises en matière d’habitat, d’art..., et de modernisme notamment du fait de l’utilisation des nouveaux matériaux en particulier. Le Rapport de Paul Léon expliquait : « C’était comme une anthologie du village renouvelé ou plutôt comme une portion d’une bourgade assez riche, bâtie le long d’une rue étroite, au cours de ces dernières années. Le béton y faisait alliance avec un judicieux emploi des matériaux traditionnels »285.
265Le plan du village français mettait en évidence deux pavillons alsaciens la Maison d’Alsace, d’Eugène Haug et le pavillon de l’Art en Alsace de Théo Berst286 ainsi qu’une maison bretonne. La présence de l’Alsace dans cet après-guerre revêtait une importance symbolique ; quant aux deux pavillons, ils renvoyaient à deux conceptions de l’art régional, l’une rappelant des traditions disparues, l’autre signalant une tentative pour concilier régionalisme et modernité287. Le régionalisme s’inscrit essentiellement dans les dimensions économique et artistique mais il débouche sur une mise en cause politique du caractère excessif de la centralisation parisienne. Paul Léon en dégageait clairement le sens, révélant une transformation du rapport symbolique « Paris-province » et annonçant même l’avènement des Articles de France aux côtés des Articles de Paris :
« En 1900, Octave Mirbeau pouvait écrire que la province formait autour de Paris « un immense terrain vague ». Au contraire, la France née de l’après-guerre est à certains égards, une France régionale. Elle possède depuis 1919, ses Régions économiques. [...] Elle a ses régions artistiques : comités régionaux des Arts appliqués, Musées technologiques, écoles, chambres des métiers, société d’artisanat en sont les organes essentiels. Le néo-régionalisme crée des formes appropriées aux besoins du monde moderne, en usant des matériaux et des procédés locaux auxquels dans le passé, les monuments de chaque province ont dû leur accent particulier [...]. La participation provinciale trouvait sa place naturelle dans une Exposition d’Esprit Moderne. Près de l’article de Paris figurait l’article de France »288.
266Les quatre tours-restaurants de l’architecte Plumet représentaient un autre lieu d’expression du régionalisme par l’intermédiaire de la gastronomie. Elles n’étaient pas du goût de tous. La revue L’Art vivant les critiquait de façon mordante, regrettant que la proximité du Dôme des Invalides n’ait pas suscité une expression plus digne de la culture française289.
267H.-M. Magne, commissaire général adjoint de l’exposition, dans une conférence consacrée aux « Enseignements de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes », le 29 octobre 1925 opposait la « mode de Paris », « snob », « superficielle » et les traditions raisonnées d’une province ouverte au modernisme en qui il voyait se dessiner l’avenir :
« Si la province sait moderniser ses traditions locales comme elle en donne aujourd’hui plus qu’un ferme espoir, elle rendra le plus grand service à l’art français moderne parce qu’elle le gardera des outrances qu’excitent parfois dans la capitale le snobisme et la réclame, parce qu’elle le rendra varié au lieu de l’astreindre à une formule unique inspirée par la mode ce qui serait sa ruine ; il ne faut pas confondre le modernisme et la mode [...] »290.
268Paul Léon remettait ici en question ce que l’on peut appeler l’esprit de 1900, celui du Paris de la Belle Époque qui fait la mode et affirme sa suprématie sur l’ensemble de la province.
269Quant aux pavillons des Colonies françaises, ils prolongeaient dans le même esprit, avec un certain exotisme, ceux des provinces le long du Cours-la-Reine.
270Dans cette exposition d’Art moderne, la « cellule » - terme préféré par Le Corbusier à celui de pavillon291 - de l’Esprit Nouveau292 avait représenté un élément de débat très vif et alimentait la curiosité du public. Le Rapport général opposait le Village français proche des « petites patries » et la cellule dont on ne savait dans quel sol elle « enracinait ses poteaux ». Pour Paul Léon, « malgré son aspect étrange », « [...] elle était bien de ce monde, d’un monde industrialisé, non d’un utopique royaume »293.
271Le commissariat de l’exposition n’avait pas souhaité donner trop d’ampleur à ce type de discours qui heurtait bien des sensibilités : les anciens combattants, par exemple émirent de véhémentes protestations.
272La cellule située à l’arrière du Grand-Palais était conçue comme une unité d’un immeuble-villa construit en série, pour un « homme courant ». L’immeuble-villa comprendrait une centaine de villas identiques superposées sur cinq étages, chacune possédant une terrasse-jardin indépendante.
273Les autorités de l’exposition voulaient obtenir de Le Corbusier une « maison d’architecte ». Lui, revendiquait une maison pour tout-le-monde, « maison-outil », meublée non pas d’art décoratif qu’il détestait, mais de meubles standardisés294. Dans la cellule était exposé le Plan Voisin de Paris, déjà exposé au Salon d’automne de 1922 et le plan pour une ville de trois millions d’habitants, qui ne pouvait être que Paris pris comme archétype. Confronté à l’image de Paris donnée par les photographies aériennes de la Compagnie aérienne française qui révèlent « une ville aplatie et tassée »295, Le Corbusier confectionnait un diorama et en appelait à l’imagination dans « le but d’objectiver aux yeux cette nouveauté à laquelle notre esprit n’est pas préparé. Sur ce diorama dessiné rigoureusement, on voit le vieux Paris qui subsiste de Notre-Dame à l’Étoile, avec tous les monuments qui sont un héritage inaliénable. Derrière, on voit s’élever la nouvelle ville »296.
274De la ville ancienne subsisteraient les Invalides, les Tuileries, la Concorde, le Champ-de-Mars, l’Étoile. La nouvelle ville comprendrait une cité d’affaires et une cité de résidence. L’axe principal du nouveau tracé du centre de Paris allait d’est en ouest, de Vincennes à Levallois-Perret. Pour Le Corbusier il s’agissait de construire Paris, capitale du xxe siècle, une capitale dont il affirmait la mission de commandement et qui se situait dans la lignée de Louis XIV, de Napoléon, d’Haussmann : « Paris, capitale de France, doit, en ce siècle xxe, construire son poste de commandement »297.
275Nous reviendrons sur la façon dont s’articulent images du présent et images du futur ; mais nous devons mettre ici en évidence que Paris est pour Le Corbusier un exemple-type sur lequel réfléchir à l’avenir d’une ville moderne. La coexistence du Village français dont une partie prétend être adapté à la vie moderne, et de la cellule de l’Esprit nouveau met en évidence l’expression d’imaginaires contradictoires dans l’exposition.
276L’exposition de 1925 fut aussi une grande fête avec ses électrocars, ses jeux d’eau sur la Seine, ses fêtes nocturnes et sa féerie lumineuse la nuit298. La Tour Eiffel illuminée, était appelée à représenter la modernité dans une exposition qui s’ouvrait au moderne sans exagération ; elle restera dans les mémoires, illuminée, la nuit, de la publicité clignotante de Citroën, comme plusieurs témoignages nous la représentent. Maurice Sachs la dépeint, dans la Décade de l’Illusion :
« C’est à l’Exposition des Arts Décoratifs que se montra pour la première fois une publicité osée et d’ailleurs excellente, celle de Citroën sur la Tour Eiffel. Cette tour, née de la précédente Exposition, illumina la nouvelle. Depuis les gratte-ciel américains, on a oublié que la France construisit le plus haut édifice du monde en son temps »299.
277La Tour Eiffel illuminée impressionne aussi Robert Brasillach qui y voit « [l’inscription] dans la nuit [des] armoiries d’une grande Maison juive »300.
278Ces inscriptions de publicité sur la Tour Eiffel subsistèrent jusqu’à l’Exposition de 1937 et finirent par symboliser le modernisme de la Ville-Lumière.
279L’Exposition des Arts décoratifs et Industriels Modernes présentait donc Paris comme un décor. Installée dans l’ouest, elle utilisait l’Axe de la Seine à la fois dans son urbanisme, mais aussi comme voie de circulation pour les visiteurs qui circulaient joyeusement en péniches. Elle s’appuyait sur les atouts traditionnels de la puissance française. Paris était la ville de la mode, du goût, de la lumière, de la fête. Cependant cette suprématie et cette centralisation parisienne étaient en partie remises en cause par les différentes expressions régionalistes. Nous percevons ici un des grands débats qui va commencer d’agiter la société française après 1925 (qui d’une certaine manière clôt définitivement la Belle Époque, et met un terme aux illusions de reconstruction à l’identique de l’après-guerre) : l’entrée dans l’ère de la communication signifie-t-elle la disparition des traditions locales, l’avènement d’une ère des grandes métropoles, ou y-a-t-il un espace de conciliation entre tradition et modernité que la capitale elle-même doit favoriser ? L’Exposition permet aux visiteurs d’imaginer in-situ une transformation des équilibres régionaux antérieurs.
280L’Exposition des Arts et Techniques dans la vie Moderne s’est déroulée entre le 24 mai et le 27 novembre 1937, à la croisée de l’axe Trocadéro-Champ de Mars et de la Seine. A de nombreux égards l’articulation obtenue entre la ville éphémère et la capitale fut différente de celle des autres expositions. Entre temps, il est vrai, s’était déroulée l’Exposition Coloniale de 1931 qui avait, laissé une trace durable dans le paysage monumental avec le Musée des Colonies de Laprade, première construction de ce type depuis le Grand Palais.
281Une fois choisi le site de l’Exposition au Trocadéro, le gouvernement lança des concours pour son aménagement de décembre 1934 à mars 1935. Décision fut prise, après de nombreuses hésitations de « camoufler » le Trocadéro de Davioud, monument que l’on devait à l’Exposition de 1878 et que beaucoup trouvaient suranné ou laid301. Un débat s’engagea autour de projets sur le camouflage qui apparaissait comme une demi-mesure aux yeux des artistes et finit même par déclencher en 1936 une « pétition des artistes contre la reconstruction du Trocadéro »302. Il aboutit à l’édification du Palais de Chaillot dont la construction fut confiée en janvier 1935 aux architectes Jacques Carlu (nommé architecte en chef du Trocadéro), Louis-Hippolyte Boileau et Léon Azémas303.
282Carlu, Boileau et Azéma optèrent pour une « transformation organique du bâtiment » plutôt que pour un « camouflage »304. Leur construction souhaitait allier classicisme et modernité, ne pas privilégier ce qu’ils nommaient l’« effet basilique » (comme Montmartre) mais plutôt jouer l’« effet Capitole » dans un esprit de recherche de l’horizontalité des lignes caractéristique selon eux de la tradition monumentale parisienne et française entre autres celle de la place de la Concorde.
283L’idée d’une cité de musées était au cœur du projet de Perret de 1933. L’ensemble des projets par la suite la reprirent. Paris manquait d’un Musée des Artistes vivants305. Les toiles des Impressionnistes étaient au Louvre depuis 1927, mais le Musée du Luxembourg ne pouvait, faute de place accueillir les œuvres des artistes modernes. Dès 1929, le nouveau conservateur du Musée du Luxembourg, Louis Haute-cœur défendit l’idée d’un musée d’Art Moderne. Celui-ci situé quai de Tokyo formerait un double Musée de la Ville et de l’État, l’un réservé à l’urbanisme, à la muséographie, à la coopération intellectuelle mondiale, l’autre destiné à devenir le musée français d’art moderne. Tous deux sont reliés par un péristyle. En décembre 1934, Jean-Claude Dondel, A. Aubert, P. Viard et M. Dastugue reçurent le premier prix du concours pour le projet de Musée d’Art Moderne. Nombreuses étaient les contestations quant aux décisions du jury.
284Paris fut donc doté par cette exposition d’un ensemble de musées : Musée des Monuments français, Musée de l’Homme, Musée des arts populaires, Musée de la Marine, au Palais de Chaillot et les deux Musées d’Art Moderne au Quai de Tokyo. L’exposition disait Raymond Isay avait ainsi [apporté] « sa pierre neuve à ce palais toujours interrompu, toujours recommencé Paris »306.
285Pour ce qui concerne l’exposition proprement dite, nous suivrons la description des Guides Bœdeker :
« L’Exposition Internationale des Arts et Techniques s’étend sur les deux rives de la Seine, de la place de la Concorde au pont de Grenelle, et se prolonge en aval sur l’île des Cygnes, réservée aux Colonies françaises. Elle se développe aussi sur deux axes perpendiculaires au fleuve et occupe en amont l’esplanade des Invalides, réservée aux « attractions » et à la section des Transports, et le grand Palais, transformé en partie en « Palais de la Découverte » (scientifique) ; en aval, les jardins du Trocadéro et le Champ de Mars qui obtiennent la plupart des 42 États étrangers prenant part à l’Exposition, et vers la Tour Eiffel, les bâtiments consacrés à la diffusion artistique et technique (radiophonie, cinéma etc.), et à la Publicité. L’exposition se termine par le « pavillon de la Lumière » (électricité), en face de l’Ecole Militaire.
L’entrée principale est sur la place du Trocadéro [...]. [Les jardins du Trocadéro] sont remarquables surtout par leurs jeux d’eau, dont les jets puissants sont illuminés la nuit. Les pavillons de l’Allemagne et de l’URSS sur la rive droite, ceux de la Belgique et de la Grande-Bretagne sur la rive gauche forment les têtes de pont du pont d’Iéna, compris tout entier dans l’Exposition.
En aval sur la rive gauche, s’étend, sur l’emplacement de l’ancienne gare du Champ de Mars, le Centre Régional, comprenant les pavillons des différentes provinces de France, avec leurs productions et spécialités ; en amont, [...] le Centre des Arts Appliqués et des Métiers [...]. A cette section succèdent vers le Pont de l’Aima , les pavillons du Thermalisme et du Tourisme. En amont du pont, la section des Jardins qui s’étend le long du Quai d’Orsay... »307
286L’Exposition comporte également trois annexes : l’annexe de la Porte Maillot, entre la Porte Maillot et la Porte Dauphine contient le Centre Rural, le Pavillon des Temps Nouveaux et le Pavillon de l’Art des Fêtes ; l’annexe de la porte de Saint-Cloud est consacrée aux sports ; l’annexe Kellermann formant un parc destiné à subsister en bordure du boulevard Kellermann du côté de Paris près de la Cité Universitaire, contient une auberge de la jeunesse et un club-bibliothèque des auberges de la jeunesse.
287Les objets exposés étaient classés, comme il est de tradition dans les expositions en groupes308. L’attention des visiteurs était attirée en premier lieu sur la représentation des nations étrangères et en particulier celles de l’Allemagne et de l’URSS. Nous ne pouvons que nous interroger sur la place faite à Paris, en France et au sein des grandes puissances de l’heure ; celles-ci exposaient très ouvertement leurs convictions. L’Allemagne avait rédigé directement ce texte vantant sa politique dans le Livre d’or officiel de l’Exposition :
« Or, il a suffi de quatre années pour que l’œuvre de redressement national-socialiste porte ses fruits ; 7 millions de chômeurs ont été réintégrés dans le circuit de la production, l’économie qui était désorganisée donne maintenant à plein rendement et, ce qui est plus important encore, un peuple désespéré a retrouvé son énergie, son ardente volonté de vie et de travail. La forte participation de l’Allemagne à l’Exposition Internationale est la meilleure preuve de cette renaissance »309.
288Le seul message qui s’y opposait frontalement était la toile de Guernica peinte par Picasso dans le pavillon de l’Espagne républicaine.
289Pour les contemporains l’exposition se présentait comme un grand désordre, un « fatras » disaient certains qui ne voyaient pas se dégager de l’ensemble un projet une image de la France, de Paris. Dans une étude sur les Imaginaires dans l’Exposition de 1937, Gérard Namer a montré que cette impression désordonnée relève de la coexistence et l’opposition de plusieurs imaginaires dans l’exposition de 1937 qui, dit-il se présente comme une « foire aux imaginaires »310.
290En effet, cette Exposition était une exposition des « Arts et Techniques dans la vie moderne » mais les différentes parties prenantes étaient loin de s’être mises d’accord sur ce qu’il fallait entendre par là. Le magazine Vu demandait en janvier 1937 : « Verrons-nous surgir à l’exposition un style 1937 ? » et il expliquait ainsi les différentes conceptions de l’expression « Arts et Techniques dans la vie moderne » :
« [...] on ne s’accorde pas sur le sens et la portée de ces mots. M. Dufrêne estime qu’il ne s’agit que des techniques mises au service des arts. M. Bluyen pense que ces techniques sont celles du savant, du simple fabricant, sans que l’art soit nécessairement considéré. M. Chrétien Lalanne croit qu’il ne peut y avoir de lien absolu entre l’Art et la Technique : il déplore que l’on veuille mettre sur le même pied les deux éléments. Au contraire, M. Le Corbusier trouve que tout artiste est un technicien... »311.
291L’exposition représente la sédimentation de plusieurs projets successifs. Elle relève de démarches parfois contradictoires. La conception de l’Exposition s’était en effet réalisée en plusieurs phases, entre 1929 et 1934. Chacune, correspond à des rapports de force politiques, qui se matérialisent dans un projet, traduction d’un imaginaire dont on retrouvera les traces dans les différents pavillons de l’Exposition. Au départ certains voulurent purement et simplement refaire l’exposition des arts décoratifs, inventer un « style 1937 » comme il y avait eu un « style 1925 ». Puis le Cartel des gauches imagina entre 1932 et 1934 une exposition de la coopération intellectuelle, consacrée à la paix, à la S.D.N. Cette idée se retrouve dans le pavillon de la Pensée et dans celui de la Paix. Dès 1929, les socialistes voulurent réaliser une exposition de la vie ouvrière et paysanne. Le Front populaire leur permit de réaliser, sous la direction de G. Monnet, un Centre Rural situé dans l’annexe de la Porte Maillot qui sera un peu leur enfant chéri
292Le Président du Conseil du Front Populaire, Léon Blum présentait l’Exposition comme une création de Paris et de la France ; il appelait ses concitoyens à être « fiers de présenter à l’univers l’œuvre, l’œuvre difficile et belle comme un poème que viennent de créer Paris et la France »312.
293De nombreux éléments de réflexion esquissés en 1925 s’expriment avec force et clarté dans l’Exposition de 1937 qui offre l’image d’une France régionalisée, provincialisée, artisanale d’un côté, celle d’une France moderne, inventive, rationaliste, de l’autre, tout ceci en présence des deux grands dont les pavillons constituent, ne l’oublions pas une des portes de l’exposition. Le Pavillon des Temps Nouveaux de Le Corbusier, véritable manifeste des Temps Modernes occupait une place excentrée dans l’annexe de la Porte Maillot après que l’on ait refusé à Le Corbusier son projet d’immeuble au bastion Kellermann.
294Dans une démarche tout à fait opposée, la ville de Paris vantait l’artisanat parisien et exprimait ses conceptions dans un centre artisanal et un Palais des Métiers dont l’idéologie anti-machiniste était manifeste.
295Mais l’idéologie officielle des organisateurs de l’Exposition était le régionalisme dont Labbé commissariat général et Charles-Brun commissaire général adjoint et responsable du Centre Régional se faisaient les ardents propagandistes. Pour eux le décor de l’exposition était parisien mais il fallait « montrer la France entière », faire ainsi comprendre que Paris ne représentait pas toute la France. Dans un article consacré à « Paris et l’Exposition des Arts et Techniques dans la vie moderne », Edmond Labbé vantait les mérites traditionnels parisiens tout en exprimant ses convictions régionalistes. Il semble presque qu’il utilise ce cadre pour faire passer une idéologie :
« Il importe que les touristes sachent bien qu’en 1937, c’est la France qui expose. Elle expose à Paris, mais comme le disait Camille Desmoulins dans son « Discours de la lanterne aux parisiens » : « Paris, ce n’est pas une ville qui appartienne en propre à ses habitants. Paris est plutôt la « patrie commune », la Mère-patrie de tous les Français »313.
296Ce régionalisme se voulait ouvert au modernisme. Il est difficile de dire si l’opinion publique a perçu profondément les buts des organisateurs qui voyaient dans le Centre Régional le « clou » de l’exposition.
297En dehors des pavillons allemands et soviétiques certains pavillons représentaient des « points forts ». Ce sont le Centre Régional, le Centre Rural, le Pavillon des Temps Nouveaux, le Palais de la Découverte. A cela il faut ajouter l’animation lumineuse et les jeux d’eau de l’exposition qui contribuaient largement à la création de son atmosphère.
298Le Centre Régional était une véritable Métonymie de la France314. Il était construit en bordure de la Seine, sur la rive opposée à la Colline de Chaillot. L’île des Cygnes abritait les Colonies et la Corse, les régions de littoral bordaient le fleuve. L’Ile de France - et non Paris - occupait une position centrale. Elle était représentée par un château dont les dépendances dessinaient une cour en « U ». L’historien Jean-Claude Vigato en donne le commentaire suivant :
« Le pavillon de l’Ile-de-France put ainsi exercer son magistère sur le Centre régional tout entier, reprenant une figure de style déjà expérimentée lors des expositions coloniales, où le classicisme du pavillon de la métropole s’opposait à l’exotisme des pavillons coloniaux et s’imposait comme le colonisateur aux colonisés »315.
299Les 17 pavillons qui avaient été mis au concours dans chaque région316 se voulaient à la fois traditionnels par les emprunts faits aux traditions locales d’architecture, de matériaux, d’artisanat, de folklore, de gastronomie, et modernes par l’interprétation de cette tradition par les architectes. L’impression générale n’était pas uniforme et ce régionalisme pouvait aussi bien être interprété par certains comme une expression des petites patries qui ouvrait à la compréhension de la grande que comme une rencontre nouvelle entre expression régionale et modernité (ce dernier parti-pris était, il faut le souligner le point de vue des organisateurs qui distinguaient vision provinciale et vision régionale).
300Certains commentateurs ont pu opposer les aspects traditionnels du Centre Régional à la vision moderne de la campagne qui se dégageaient du Centre Rural qui était une véritable création du Front Populaire. Implanté à l’annexe de la porte Maillot, un village moderne avait en effet été construit sous la direction d’André Leconte317.
301Le pavillon des Temps Nouveaux de Le Corbusier reprenait de nombreuses idées du Plan Voisin de 1922 et proposait un Plan de Paris 1937.
302Le Corbusier avait voulu construire un immeuble d’habitation en dur, au boulevard Kellermann, mais en 1935, le Conseil Municipal de Paris s’était réservé la possibilité d’en demander la démolition. Aussitôt l’exposition terminée Le Corbusier se résolut donc à construire avec une équipe d’architectes modernes dont Charlotte Perriand, Bossu, Chareau, Boyer..., un Pavillon des Temps Nouveaux dont le thème était « Des canons, des munitions ? Merci ! Des logis... »318. Il y dénonçait la « misère de Paris » envahi par « le chaos, le bruit, l’air vicié, la fébrilité » »319, les constructions contemporaines qui disait-il ne sont que des « taudis » pour riches ou pauvres (les H.B.M., véritable « taudis officiel ») et proposait de faire revivre Paris sous la forme d’une ville sans banlieue dans laquelle pourraient loger huit millions d’habitants, d’une ville aux espaces verts, joyeuse et polychrome, adaptée à la circulation automobile, et où les grandes fonctions urbaines, l’habitation, les loisirs, le travail, la circulation des piétons et des voitures soient véritablement prises en compte. Ce pavillon était certainement celui qui permettait le mieux une projection dans le futur qui pour Le Corbusier passe toujours au travers d’une vision de Paris.
303Sous la responsabilité du scientifique Jean Perrin, prix Nobel et sous-secrétaire d’État à la Recherche Scientifique, le Palais de la Découverte a d’abord été pensé en 1934 comme un « Palais de la Science », très vite baptisé « Palais de la Découverte » domicilié au Grand-Palais. Ce ne devait pas être un musée, mais un lieu provisoire où le public pouvait découvrir la science en train de se faire, et participer aux démonstrations320. Le succès remporté fut total : deux millions de visiteurs s’y pressèrent entre le 24 mai 1937 et le 30 octobre et découvrirent la grande machine électrostatique conçue par Frédéric Joliot-Curie, la « cage de Faraday »... En 1938 Jean Perrin se battit pour que ce nouveau « Louvre de la science » continue d’exister.
304L’Exposition avait sa part de rêve. Paris était plus que jamais capitale de la lumière et de la fête. En ces temps de crise, Labbé insistait pour que l’on ne donne pas au touriste l’impression qu’il était dans une ville triste :
« Dans le désert des temps difficiles que nous traversons, les Expositions sont des oasis. Pénétrés de l’exemple des fêtes de l’Exposition de 1889, où un demi-million de citoyens se pressaient autour des fontaines lumineuses et des massifs de verdure, éblouis encore par le succès des fêtes de l’Exposition Coloniale de 1931, qui constituèrent d’admirables visions de notre Empire d’Outre-Mer, nous voulons que notre Exposition soit une Exposition vivante, que les choses les plus familières y aient un aspect de fête et de charmes inattendus. Nous voulons que Paris qui a été de tout temps la ville du Plaisir, ait en 1937 ses fêtes, ses spectacles, ses illuminations, sa féerie de la Lumière ! »321
305Greber, architecte en chef avait beaucoup insisté pour qu’une attention particulière soit accordée à la verdure, pour qu’elle donne l’image d’une ville nouvelle parmi des jardins. Il avait rêvé, dit-il de « noyer l’exposition entière dans les fleurs et les jardins »322. Greber avait d’autre part décidé d’orchestrer dans les plus infimes détails les effets de son, de lumière et d’eau.
306La Tour Eiffel est baignée de couleurs : « Les quatre piliers de la voûte, composés de tubes multicolores aux couleurs franches et vives qui se reflètent dans une masse d’eau, constituent une espèce de lustre gigantesque... étrange bloc de matière incandescente »323.
307André Granet, célèbre pour ses décors éphémères « habille » la Tour. L’éclairage de la charpente métallique du dessous de la première plate-forme est obtenu par des tubes fluorescents bleu, rose et vert émeraude. Granet compare le dessous de la Tour à un « gigantesque vitrail ensoleillé ». Les établissements Ruggiéri installent une cabine au deuxième étage d’où l’on tire des feux d’artifice qui redessinent la tour en couleurs bleu-blanc-rouge.
308Surtout, les organisateurs avaient travaillé avec les artistes à des réalisations qui intégraient des programmes et des compositions musicales nouvelles dans les Fêtes de lumière et d’eau. Darius Milhaud fut particulièrement sensible à cette présence de l’art :
« L’art était bien représenté. De grands peintres français et étrangers avaient fait des panneaux, des fresques ; des sculpteurs avaient eu l’occasion de déployer leur talent, des architectes de démontrer leurs conceptions nouvelles. La Radio nationale avait un studio dont les murs en verre permettaient au public d’assister aux émissions. Ces séances étaient transmises par des haut-parleurs dans toute l’Exposition, la musique prenait sa place naturelle dans l’espace : un soir d’automne, j’entendis un Concerto de Mozart égrener ses notes pures, ses traits précis tombaient à nos pieds, comme les feuilles. Une autre fois, c’étaient les Nocturnes de Debussy qui s’incorporaient au clignement lumineux des eaux de la Seine qui s’écoulaient paisiblement. Mais le gouvernement fit davantage pour rendre la musique plus familière au public. Il commanda une vingtaine de partitions pour accompagner des fêtes de Lumière et d’Eau. Les architectes Beaudoin et Lods mirent au point un dispositif spécial qui permettaient d’actionner des jeux d’eaux en même temps que des pièces d’artifice, synchronisés à une seconde près. On me confia la Fête de la Lumière [...] »324.
309Les récits de visite à l’expo de 1937 révèlent des expressions contradictoires mais laissent à penser que les visiteurs aimaient cette diversité. Il est probable que certains s’étaient composés une visite et des itinéraires qui correspondent mieux que d’autres à leurs préférences.
310Nous avons relevé les parcours des films d’amateur conservés par la Vidéothèque de Paris : Le dernier conte de Shéhérazade325 de René le Somptier se présente comme un reportage romancé qui présente de nombreux pavillons mais s’attarde spécialement au Centre Rural, devant une Mairie ; il montre la foule très variée qui circule au pied de la Tour Eiffel, autour des compositions circulaires de Delaunay au pavillon de l’air ainsi qu’aux abords du Palais de la Découverte. Nous avons semble-t-il affaire ici à un cinéaste amateur intéressé par les éléments modernes de l’exposition.
311Un autre cinéaste, Ladislas Tellier326 réalise un film sur les aspects festifs de l’exposition : les jeux d’eau, les électrocars, les promenades en chameaux, le Lunapark, les promenades sur la Seine en péniches. Il apparaît ainsi que l’exposition l’attire en tant qu’elle est une fête.
312A quinze ans le jeune Paul Lemoine s’est rendu à plusieurs reprises327 et, avec un certain plaisir à l’exposition de 1937. Il évoque ses souvenirs les plus marquants en 1987. Nous reprendrons une partie de son témoignage dans lequel deux aspects nous semblent dominer : d’une part la perception des deux grandes puissances du moment - l’URSS et l’Allemagne - d’autre part la fascination exercée sur un jeune esprit par les aspects scientifiques et techniques les plus modernes328.
313Robert Brasillach, après une présentation élogieuse de l’exposition coloniale de 1931, commente également ses visites à l’exposition de 1937 ; il la critique en tant que réalisation du front populaire, qui dit-il a « encombré » le centre de Paris, mais l’apprécie aussi pour certains aspects particuliers :
« [...] Il y eut pourtant des réussites, faciles, gracieuses la nuit sur le fleuve, les jardins d’enfants pareils à des jouets, parfois une maison régionale, un palais de bois. C’est à cette occasion que disparut le vieux Palais du Trocadéro ventru entre ses deux tours [...]. On n’avait que camouflé à vrai dire, la bâtisse, pour la remplacer par une construction en demi-cercle, fâcheusement échancrée au milieu, ce qui laisse voir des constructions hideuses. Elle était ornée d’expressions mi-sibyllines, mi-ridicules, en lettres d’or, dont l’opinion commune rendait responsable Paul Valéry. Mais les escaliers de Chaillot ont de la grâce et de là-haut on apercevait la Vieille Tour devenue la Reine et le flambeau de cette Exposition nouvelle et Paris. Face à face, sur la place des pavillons étrangers, le pavillon soviétique surmonté d’un dessus de pendule géant, et le pavillon allemand orné d’un aigle. L’antagonisme faisait sourire, et les deux drapeaux rouges, l’un à croix gammée, l’autre à faucille et marteau.
Le soir, nous allions dîner chez les Norvégiens [...]. Et puis, cette foire éphémère nous aurait au moins apporté un présent merveilleux (le Front populaire n’y était certes pour rien) : l’Exposition d’Art français »329.
314Brasillach, en intellectuel, porte une attention particulière aux musées, à la culture artistique, et à l’harmonisation entre le paysage monumental parisien, et les créations liées à l’exposition ; notons qu’il s’intéresse aux maisons régionales ainsi qu’aux aspects festifs.
315Lucien Rebatet consacre plusieurs articles de Je suis partout à l’Exposition internationale de 1937 qui cristallise sa haine à l’encontre du Front populaire330. Il commence par dénoncer le retard de l’exposition qui a transformé Paris en « paysage de destruction » ; partout il reconnaît les agissements de « l’Hébreu de Matignon » (i.e. Léon Blum). En novembre 1937, dans la Revue universelle il tire le bilan de la manifestation et explique que cette « exposition de la décadence » est aussi l’augure de la « décadence des expositions »331. Lucien Rebatet pose en définitive le problème de l’adaptation des expositions universelles à une époque moderne de communication, de progrès technique, de « vitesse dans la locomotion, de cinéma, de télégraphie sans fil »332. Rebatet est moins intéressé par les réussites techniques que par la renaissance morale qu’il décèle dans le fascisme. C’est pourquoi le pavillon allemand le déçoit : « Notre déception, en pénétrant dans le pavillon allemand, est d’y rencontrer aussi peu l’hitlérisme parmi des moteurs, des disjoncteurs, des microscopes »333.
316Ces visites à l’Exposition, comme celles proposées par les guides de tourisme sont des itinéraires qui révèlent des choix et des parti-pris que Paris, en quelque sorte synthétise sans pour autant réduire les oppositions ; elles permettent de retrouver les grands attributs de Paris ville de la culture, du patrimoine national, de l’art, du plaisir, du travail. Elles sont des regards posés à un moment donné sur Paris et l’« Exposition de Paris » et mettent en évidence le lien étroit entre image de Paris et image de la France.
317Les Expositions Internationales ont été pour nous l’occasion de vérifier cette cartographie des attributs de Paris mise en évidence par l’étude des guides de tourisme de l’entre-deux-guerres. Les expositions sont d’ailleurs de grands moments de tourisme où l’on vient voir Paris et l’« Expo ». Elles découpent un secteur de Paris qu’elles privilégient, décorent, mettent en valeur, et elles lui prêtent une signification particulière. Paris est déjà une « ville-décor », une « ville-musée ».
3181925 se situe dans le secteur des Champs-Elysées, avec la perspective du Dôme des Invalides Paris fête une puissance apparemment retrouvée dans une atmosphère de luxe. Elle est ville de la mode, du luxe, capitale d’une France qui sait concilier tradition et modernisme sans archaïsme. L’atmosphère est encore celle de la fête des années folles mais déjà s’esquissent les véritables problèmes de la reconstruction française et des grands choix à opérer dans une France de plus en plus urbaine.
3191931 revêt une grande originalité par le choix du site dans l’est d’une part, qui s’est révélé un succès, et d’autre part par le thème de l’Empire utilisé dans un contexte de crise internationale. L’Exposition laisse à Paris un Musée et un zoo qui permettront une meilleure connaissance des richesses artistiques, économiques des colonies. Plus que d’autres, peut-être elle agit sur l’imaginaire et permet un lointain voyage. Elle place Paris dans le vaste monde.
3201937 est dominé par la crise internationale. La volonté de créer des enracinements durables apparaît plus significative en temps de crise. La place donnée à l’art moderne reste encore marginale. Paris brille cependant et apparaît dans l’ouverture à la découverte scientifique, à l’innovation technique comme un enjeu.
321D’exposition en exposition, la Tour Eiffel reçoit une véritable consécration. Son audace symbolise l’ouverture à l’Art Moderne, au Monde Moderne, en particulier au travers de la publicité.
322Dans chacune de ces expositions Paris est ville de la fête et des plaisirs mais ils sont de nature différente en 1925 et en 1937. En 1925, on fête la paix, la victoire et une certaine normalité parisienne retrouvée, en 1937, on ne doit pas se laisser envahir par la crise. On trouve aussi dans les divertissements une certaine atmosphère bon enfant caractéristique du front populaire.
323Ces expositions laissent des traces. De même qu’elles s’inscrivent dans le paysage parisien, de même elles sont des « marqueurs » de générations. Elles caractérisent des générations comme le pointe Robert Brasillach. On parle de génération de l’Exposition des Arts Décoratifs, de génération de l’Exposition Coloniale...334
324Sur un autre plan, elles ont contribué à la remise en question des liens et des rapports entre Paris et la province. Elles aboutissent donc à une critique des excès de la centralisation parisienne et à une confrontation des points de vue sur le rôle de la capitale dans une France moderne régionalisée.
325Elles ont façonné le goût de l’époque et l’allure générale de la capitale. Ainsi, selon Maurice Sachs, c’est après l’Exposition des Arts Décoratifs que l’on découvrit la force de « l’école cubiste » et du modernisme sans, d’ailleurs que Picasso y soit pour quelque chose :
326« Toujours est-il que la bombe « cubiste » éclata avec une force inimaginable. Et du jour au lendemain les grandes artères de Paris se transformèrent. Là où l’on montrait des chaussures dans des cadres Louis XVI, on les offrit sur des étagères déséquilibrées. Tous les magasins changèrent d’aspect. On y pénétra par des cubes. Les rues se rajeunirent à l’envi, le nickel remplaça le bois et une austérité qui essayait d’être riche, une simplicité affectée, une mise en place sévère remplacèrent le doux désordre d’avant-guerre »335.
3. PARIS NARCISSE
327L’entre-deux-guerres représente un âge d’or pour les écrits dont Paris est l’objet. Le public apprécie vivement les « portraits » de ville, les enquêtes sur la ville, sur sa beauté, sa laideur, son urbanisme. Paris semble à la fois une ville sur laquelle on s’interroge et une ville terriblement narcissique, toujours à se demander qui est la plus belle.
3.1. Les portraits de Paris
328Les voyages permettent, il faut le remarquer, de comparer les capitales entre elles ; les grands écrivains voyageurs comme Paul Morand se livrent volontiers à cet exercice. Cet engouement pour les portraits succède à celui que le xixe siècle a connu pour les physiologies, un genre littéraire qui selon Jean Goulemot et Daniel Oster s’achève en 1896336 ; à partir de cette date, en effet celui-ci s’est disséminé et répandu dans toute la production journalistique.
329Parmi les portraits de villes, il faut citer en premier lieu ceux de Paul Morand337 ; New-York338 sort en 1929, Londres en 1933, Bucarest en 1935. Dans ces écrits la comparaison avec Paris est permanente.
330Les magazines à grand tirage comme Le Crapouillot, l’Illustration publient régulièrement des numéros spéciaux sur Paris, souvent illustrés de photographies.
331Le Crapouillot publie en mai 1929339, après un numéro consacré aux voyages et aux villes340, un numéro spécial « Paris-Quartiers » qui contient des photographies d’Atget341 que le public vient enfin de reconnaître. Selon le directeur du Crapouillot, Galtier-Boissière
« La livraison sur « Paris » était destinée à présenter les photos de l’étonnant Adget (sic) qui créa un style fréquemment imité par la suite. L’originalité du photographe de la Belle Époque, dont j’avais acheté un certain nombre d’épreuves à l’Américaine Berenice Abbott, était de montrer, à côté d’admirables hôtels anciens à balcons ou d’imposantes cathédrales, les grilles de fer forgé d’estaminets vieillots, les zincs de bistrots faubouriens, les devantures de salons de coiffure ornées de femmes-troncs aux prestigieuses ondulations, les loges de pipelettes montmartroises, quelques putains du « fort Montjol » assises dans la rue devant le local exigu de leur travail et les gros numéros de certaines maisons d’illusions »342.
332Il dessine une géographie parisienne relativement stéréotypée d’un Paris qui est plus celui du début du siècle que celui des années 30. La vision de la ville est émiettée. Les auteurs, spécialistes reconnus d’un quartier parisien en vantent les qualités. André Salmon voit son nom attaché à Montparnasse, Mac Orlan à Montmartre. Ce numéro évoque les lieux favoris des milieux de la droite intellectuelle.
333En mars 1931, Galtier-Boissière et Claude Blanchard dirigent un nouveau numéro spécial du Crapouillot intitulé « Voyage à Paris » orienté cette fois sur les attributs de Paris. Un grand nom s’associe à chaque qualité : Paul Poiret à la mode, René Clair au cinéma... Paris est d’autant plus la ville de la Culture qu’à chaque zone, à chaque faculté s’associe un grand nom de la littérature ou de l’art... Une certaine droite littéraire parisienne déplore alors l’invasion du modernisme, du gigantisme à l’américaine, et regrette un Paris ancien au charme provincial et désuet, un Paris bien français... Paul Morand qui vient de publier Paris 1900 y est invité à donner son point de vue sur le Paris contemporain, sur ce qu’il trouve « beau » ou « laid ». Il prend acte de la transformation radicale de la capitale suscitée à Paris par la Grande Guerre : « [...] On peut vraiment dire que ce que la Révolution française fut pour l’Ancien Régime, la Grande Guerre l’a été pour 1900 »343 évoque en particulier les changements survenus dans son univers familier, celui de l’ouest parisien : « Fin des fortifications, décès des cocottes, chant du cygne des fiacres, les théâtres changés (heureusement) en cinémas, les Champs-Elysées transformés en grands boulevards, Versailles devenu une sorte d’Auteuil, à l’ouest que de nouveau ! »344.
334Pour lui, le « charme » de Paris est aux antipodes du gigantisme américain. Paris est, dit-il « petit » et la France est un « grand pays de petites gens ». Il reprend certains thèmes déjà développés dans New-York345. Avec humour il nomme Paris la « concierge de l’univers » :» [...] Imaginez-vous une concierge de gratte-ciel ? Or, toute la civilisation française repose sur la concierge... Les concierges estiment, décident, qualifient, c’est grâce à elles que Paris reste la concierge de l’Univers... ».
335La beauté de Paris repose selon lui davantage sur les « petites choses » comme le mobilier urbain que sur les monuments et statues. Le plus bel arrondissement de Paris pour Paul Morand ambassadeur de la culture française est le 1er (avec le Louvre et les Halles dont il rappelle que Maurice Barrés les représenta à la Chambre). Intellectuel classique de son époque, il trouve que Paris est « enlaidi » par ses statues :
« [...] les monuments du Carrousel, par exemple, la Dame à glaive et robe de chambre de Bartholomé, le monument à Waldeck-Rousseau ou celui de 1870, les deux dames de la Place de l’Aima et presque tous les autres sont des ordures. Les vraies statues de notre forum parisien, ce sont les kiosques, les colonnes Moriss et les pissotières, ces crinolines de tôle ajourée qu’aucune autre capitale n’a réussi à imiter... »346.
336Une telle critique de la « statuomanie » parisienne était fréquente dans les milieux intellectuels parisiens dès le début du xxe siècle. Maurice Agulhon, remarque dans l’étude qu’il a consacrée à la statuomanie et l’histoire « [...] que Paris, les intellectuels et l’extrême-droite sont plutôt en avance dans la dérision, tandis que la province, les gens simples et la gauche sont plutôt attachés aux cultes »347.
337Dans le même numéro du Crapouillot se trouve un tour d’horizon de la droite parisienne nostalgique d’un Paris perdu ; elle attribue son malaise à la présence étrangère à Paris. Paul Poiret y déplore la « mort » du Paris d’autrefois, « une personnalité qu’on venait admirer » ; il stigmatise la « perte de l’intimité » à Paris, la disparition des « petits spectacles familiers de la rue », l’américanisation... ; Paris est, dit-il « envahi par la vulgarité étrangère »348 ... Paul Poiret met en cause les « publicités lumineuses [qui] ont arraché [à Paris] sa douceur et sa discrétion ».
338Léon Daudet « chef royaliste » est interrogé pour « Paris-politique » ; M. Dupont, patron de la chaîne des bars Dupont (« Chez Dupont tout est bon »), pour les « bars populaires », passe en revue les restaurants parisiens ; quant au « Paris des Lettres », il est confié à Bernard Grasset qui en profite pour faire un discours contre la jeune photographie à qui il prête « un parti-pris de crassouille » dans les photos qu’elle prend de la zone, des étrangers... : « Les romanichels dans la zone, les tondeurs de chiens sous les ponts de Paris, les sidis de Grenelle, le marchand d’Arlequin aux Halles ».
339L’intérêt de ce numéro repose pour nous sur les thèmes et les personnalités qu’il réunit : l’apologie d’un certain provincialisme, la recherche du charme typiquement parisien et français (« ça, c’est Paris ! »), et un nationalisme anti-étranger violent. Il permet donc de dessiner les contours d’une droite parisienne assez proche du Tout-Paris.
340Le numéro spécial de l’Illustration du 28 mai 1938 est un recueil d’articles bâti selon les mêmes principes qui visent à encadrer les fonctions de Paris, à montrer l’excellence obtenue dans une série de domaines349.
341A l’occasion de l’Exposition Universelle de 1937, Jules Romains dirige la rédaction d’un volume Paris 1937 consacré aux différents arrondissements de Paris, aux grands sites parisiens (boulevards, églises, Champs-Elysées, Bibliothèque Nationale...)350. Le livre s’ouvre par un texte de Paul Valéry qui est une tentative de penser ce qui fait Paris, et ce qui entretient son mythe. En dehors de ses fonctions de capitale politique, économique, commerciale et culturelle, Paris est essentiellement selon Valéry, la ville des élites, indispensable à leur reconnaissance :
« [...] Il m’apparaît que penser PARIS se compare ou se confond à penser l’esprit même [...]. Paris est bien autre chose qu’une capitale politique, et un centre industriel, qu’un port de première importance et un marché de toutes valeurs, qu’un paradis artificiel, et un sanctuaire de la culture. Sa singularité consiste d’abord en ceci que toutes ses caractéristiques s’y combinent, ne demeurant pas étrangères les unes aux autres. Les hommes éminents des spécialités les plus différentes finissent toujours par s’y rencontrer et faire échange de leurs richesses. Ce commerce très précieux ne pouvait guère s’instituer que dans un lieu où, depuis des siècles, l’élite en tous genres, d’un grand peuple a été jalousement appelée et gardée. Tout Français est voué à ce camp de concentration. PARIS l’évoque, l’exige, l’attire, le capte et parfois le consume. Mais c’est en lui que tout individu soupçonné de talent doit venir se faire reconnaître, subir l’épreuve des comparaisons, affronter la critique, la concurrence, la jalousie, la raillerie ou le dédain [...]. Penser Paris ? Plus on y songe, plus se sent-on tout au contraire, pensé par Paris »351.
342Chaque chapitre est confié à un auteur spécialiste confirmant le principe « un auteur - un lieu - un attribut » qui obtient un certain succès et se généralise ; E.-R. Curtius le remarquait : « Le IIe arrondissement a trouvé son chroniqueur en André Salmon (les Panathénées du IIe arrondissement), Belleville en Robert Garric (Scènes de la vie populaire), Montmartre en Francis Carco (Jésus-la-Caille, entre autres) et l’on pourrait facilement allonger la liste »352.
343Ces écrivains amoureux de Paris s’intéressent à la fois aux lieux les plus typiques de la capitale mais quelquefois aussi à des recoins oubliés et à des lieux plus familiers des intellectuels.
344Dans Paris 1937, Carco et Mac Orlan se chargent respectivement du Faubourg Montmartre et de Montmartre ; Louis Haute-cœur (conservateur du musée du Luxembourg) du musée du Louvre et des Tuileries, Jules Cain (conservateur de la Bibliothèque Nationale) rédige la contribution sur la Bibliothèque Nationale, Paul Claudel celle sur les églises de Paris, Pierre Champion celle consacrée au 6e arrondissement. Le principe consiste à donner l’esprit d’un lieu, d’une institution, en rappelant son histoire. Le volume permet ainsi de comprendre l’attirance exercée par Paris.
345Jules Romains s’attache, par exemple à détruire l’image que les « Parisiens des beaux quartiers » se font de Belleville et Ménilmontant qui signifient souvent pour eux « la pègre, les apaches et leurs compagnes, truffant une population misérable ». En réalité les hauteurs de Belleville et Ménilmontant sont, dit-il habitées « par un peuple paisible, fort laborieux, non exempt de respectabilité, très attaché à son village, ami de la vie douillette et de la bonne chère »353. Pour Jules Romains le « peuple de 89 » vit sur ces hauteurs et s’est tranquillement mêlé aux bourgeois qui y habitent également354 :
« Je me suis demandé parfois, en rêvassant d’histoire : « où est passé le peuple de 89 ; celui qui a fait le premier quatorze juillet ? » Il en est resté du côté du Faubourg Saint-Antoine, bien sûr ; il s’en est dispersé ou infiltré en maints endroits. Mais je suis persuadé maintenant qu’une partie, après avoir pris la Bastille, et s’être amusée quelque temps le long du Faubourg, a tourné sur la gauche, par la rue de la Roquette, ou la rue du Chemin-Vert, et s’est mise à grimper la falaise. Le trajet a duré près d’un siècle (à cause des arrêts au bistrot). Pendant ce temps, là-haut, beaucoup de place avait été prise par les bourgeois idylliques. Mais il y en avait encore. Et les bourgeois allaient s’effacer peu à peu, ou se fondre, dans ce peuple, auquel ils tenaient par tant de liens. C’est lui, je crois, que vous retrouvez presque intact, quand vous vous promenez sur ces hauteurs »355.
346Le cimetière du Père Lachaise est un « lieu d’espoir, de révolte et d’émeute », véritable lieu de mémoire du peuple de Paris : il est « naturel que ce soit a ce peuple, son peuple que Paris ait confié la garde des morts » affirme le poète et critique d’art Jean Cassou : « on y foule la terre, la terre non arable des villes, et qui mêle à ses germes et à ses racines de la poussière de poète et du sang d’ouvrier »356.
347Léon-Paul Fargue commente le déplacement du centre intellectuel et artistique de Montmartre à Montparnasse à partir de 1910 ; le texte se révèle important car Léon-Paul Fargue note les différentes élites représentées à Montparnasse ; la présence de celles-ci conduit à elles une autre population attirée, tel un aimant par la première ; les commentaires de Fargue permettent de cerner le passage de Montmartre à Montparnasse comme centre de la vie intellectuelle et artistique, et de le dater :
« C’est en 1910 que les peintres de Montmartre, après avoir décidé une mobilisation générale des palettes, empli les bidons, graissé les armes, descendirent sur la rive gauche et s’installèrent autour du café du Dôme... Montmartre ne devait pas tarder à mourir en accouchant du cubisme... Et quand Picasso arriva en 1911, précédé du Douanier, suivi de Vlaminck, de Pascin ou de Measlas Golberg, Montparnasse devint aussitôt une grande gare internationale, une Mecque, une Rome, un Nombril du Monde, un de ces ports pour toutes embarcations, une Cité-Paradis, un Enfer, un point névralgique et une île flottante... Mais il était écrit dans la destinée de cette république de la fantaisie que Montparnasse devait être envahi deux fois. Lorsque le monde eut appris que le meilleur de l’Art, que l’élite de la poésie obscure, géométrique, nuancée, farcie, hermaphrodite et même banale, que l’état-major de la Bohème, de la noce, du pré-gangstérisme, de l’avant-jazz, du terrorisme russe, du Marxisme international, de la Chanson Populaire, de la science amusante, et du laisser-aller se trouvait sur une bande de terre allant de la gare Montparnasse au carrefour Raspail-Montparnasse, le monde envoya ses carènes, ses yachts et ses autos-chenilles à l’assaut de cette forteresse parisienne où les insurgés, les combattants, les indigènes et les explorateurs communiaient dans la même joie »357.
348Ce volume s’apparente donc à un éloge, mais il est aussi une promenade touristique dans Paris guidée par de grands intellectuels attachés aux lieux et à leur sens.
349Le président du Conseil Municipal de Paris, Raymond-Laurent rédige également un portrait à caractère littéraire Paris358 à l’occasion de l’Exposition de 1937. Paris, dit-il dans l’introduction est « une figure de légende »359. « Ce n’est pas seulement une ville. C’est une personne morale et physique ».
350Le cœur de la Ville se trouve dans l’île de la Cité. « [Notre-Dame] symbolise Paris, car, de loin, avec la Seine qui baigne l’île de la Cité [...] elle semble un vaisseau de haut bord en partance. Chacun sait que Paris porte dans ses armes un navire dont la devise est : Fluctuat nec mergitur ».
351Chacun de ses monuments évoque « de grands souvenirs historiques »360.
352L’Hôtel de Ville rappelle la Municipalité primitive, le prévôt des Marchands, Étienne Marcel (« qui dota la France de la première Constitution parlementaire, laquelle fut adoptée par les États généraux de 1356 »361. Paris est présentée comme la Ville de la Liberté, une ville indépendante mais non frondeuse qui a un rôle à jouer vis-à-vis de la nation. On devine ici une certaine indépendance du pouvoir municipal à l’égard du pouvoir central. « Paris, dit-il, passe vraiment au premier plan avec la grande Révolution française »362. Du Pont-Neuf Raymond-Laurent découvre le « Paris des splendeurs royales, le Louvre, les Tuileries... ». Il remonte la Seine (« [...] toute l’histoire de France se reflète dans le fleuve qui traverse Paris »363 et va « jusqu’à cette place de la Concorde où débouche la voie triomphale des Champs-Élysées ». L’Arc de Triomphe procure une « vision prodigieuse » et d’évoquer le 14 juillet 1919, la statue de Clemenceau et le souvenir du soldat inconnu :
« [...] Il se dresse, à la fois puissant et léger, dans l’admirable perspective de laquelle on dirait la porte de la Gloire. [...] Par-là, sont passées, derrière Joffre, Foch et Pétain, les troupes françaises et alliées, le 14 juillet 1919 en un défilé inoubliable. Debout sur le promontoire où le sculpteur a dressé son image, on dirait que notre grand Clemenceau regarde encore, ébloui, bouleversé d’émotion, les soldats, les poilus, dont l’héroïsme lui arrachait des larmes et qui l’appelaient, eux, le « Père la Victoire ». Et sous l’Arc de Triomphe, jaillissant de la dalle qui recouvre la tombe du Soldat inconnu, la flamme perpétuelle tremble et brille, que ranime chaque soir la main pieuse de Français ou d’étrangers qui, devant cette lumière symbolique, l’une des plus émouvantes de Paris, comprennent que notre Capitale n’a un visage aussi beau, aussi resplendissant que parce qu’il s’éclaire, en définitive, aux feux des sentiments les plus nobles de l’âme humaine »364.
353A cette description des lieux qui font Paris et qui révèlent une vision parallèle à celle que nous avons trouvée par exemple dans les Guides Bleus, Raymond-Laurent joint une description des quartiers de Paris. Paris est selon lui avant tout la ville du travail manuel et intellectuel. Son parcours se veut méthodique. Il commence par le 1er arrondissement, les Halles pour ensuite parler de l’approvisionnement de la capitale ; puis les quartiers populaires Belleville, « fief des ouvriers », Montmartre celui des « peintres et des artistes », les Batignolles (bourgeois), Grenelle (les industries automobiles). Enfin le Quartier Latin présenté comme « la capitale de l’esprit ». Le monde des journaux vers la rue Montmartre et la rue du Croissant est dépeint avec minutie. Tout près, le commerce des tissus a élu domicile dans le quartier du Sentier. Enfin les Boulevards de la Madeleine à la Porte Saint-Martin s’ils ne sont plus fréquentés par le beau monde des cafés Tortoni et la Régence restent des endroits où l’on peut rencontrer d’authentiques Parisiens365.
354Particulièrement intéressante est la vision donnée par Raymond-Laurent du travail parisien qu’il soit manuel ou intellectuel marqué par l’esprit de finesse, de précision, d’élégance qui, selon lui caractérise la capitale :
« La marque du travail parisien, qu’il soit des mains ou de l’esprit, c’est d’abord une haute tension qui le rend plus vibrant et peut-être plus délicat, et puis c’est chez les ouvriers et les artisans de Paris un goût du fini et de la précision, chez les femmes un souci d’art et d’élégance qui fait le « chic de Paris ». C’est pourquoi les industries qui exigent de la qualité : la haute couture, la mode, l’article de fantaisie, et aussi le meuble [...] sont essentiellement des industries parisiennes »366.
355S’il ne récuse pas l’idée d’un « Paris qui s’amuse » le président du Conseil Municipal la nuance : « [....] ce que je puis dire pour défendre ma grande ville, c’est que la grossièreté n’est point article de Paris » et préfère parler du « Paris qui souffre ».
356Enfin Paris est capitale de la foi, qui est autant celle de l’ouvrier révolutionnaire que celle de la foi catholiques367. Nous retrouvons ici cette volonté déjà rencontrée dans les Guides Bleus d’émousser l’image révolutionnaire de la capitale : « C’est une légende de représenter Paris et la France divisés en deux camps hostiles, prêts à en venir aux mains. La masse profonde du peuple de Paris et de l’ensemble du peuple français veut la paix à l’intérieur comme à l’extérieur [...]. Paris est la ville par excellence où l’on respire une atmosphère de liberté »368.
357En 1943, les Presses Universitaires de France publient un Paris 1943. En 1945-1946, Jean-Paul Sartre publie encore plusieurs portraits de villes qui seront réunis dans les Situations en 1949369. En 1951, enfin, Jules Romains dirigera un volume comparable intitulé Portrait de Paris370.
358Paris se voit confirmée, célébrée comme capitale historique, capitale de l’intelligence, métropole économique, capitale de la mode, une ville assagie, qui travaille, maîtrise son organisation et son développement ; une ville pleine de charmes faite de quartiers qui chacun développent ces qualités. La dimension la moins apparente est celle du Paris des plaisirs qui est reléguée à l’arrière-plan.
359Cette vision mythologique des portraits de Paris nous renvoie à celle que nous avions explorée dans les guides de tourisme de Paris. Ces portraits organisent méthodiquement une image idéale de Paris, présentent une ville que tous aiment. Moins systématiques que les guides de tourisme, plus littéraires, ils s’apparentent davantage à des éloges.
360De nombreux écrivains français et étrangers ont ainsi laissé des portraits de villes, témoignages de leurs voyages dans le monde ou chroniques de leur séjour dans la capitale. Ces textes représentent pour nous une image de Paris « reflétée ». Nous saisissons ici des éléments de la circulation dans le monde de l’image parisienne. Ces portraits contribuent à populariser et démocratiser le mythe parisien, dans un va-et-vient permanent entre les élites intellectuelles du monde entier.
3. 2. La ville dans le miroir
361Séjournant à Paris, les intellectuels étrangers racontent leur découverte à leurs compatriotes.
362L’écrivain juif allemand Walter Benjamin, qui a vécu à Paris à plusieurs reprises depuis 1913 a publié une série de portraits de villes, Paysages urbains : Moscou (publié en 1927), Weimar (1928), Paris, la ville dans le miroir (Vogue, 1929), Marseille (1929), San Gimignano (1929) et Mer du Nord (1930)371. Le sous-titre donné par Walter Benjamin à l’article Paris est Déclaration d’amour des poètes et artistes à la « capitale du monde » : Paris pour lui est une ville « liée intimement au livre » : « Pas un monument de cette ville qui n’ait inspiré un chef d’œuvre de la littérature »372, et Walter Benjamin cite Notre-Dame et Hugo, La Tour Eiffel et Cocteau, l’Opéra et Gaston Leroux, l’Arc de Triomphe et Raynal. Pour lui la construction de la ville ne relève pas du hasard : elle se lit comme un livre. Son parcours débute dans l’ouest à la Porte Maillot (« les grandes routes stratégiques qui devaient jadis assurer aux troupes l’entrée dans Paris »373) passe par les Champs-Elysées (« Paris eut pour ses voitures les plus belles avenues parmi toutes les villes d’Europe »374), se poursuit à la Tour Eiffel incarnation de la modernité (« pur et libre monument de la technique, au sens sportif - et un beau jour, en une nuit une station de radio européenne »375). Puis il s’intéresse aux places qui sont des « hors-texte » dans cette ville qui se lit comme un livre : la place de Grève renvoie à la Révolution (« L’année 1789 brille en chiffres rouges sur la place de Grève »), la place Maubert au souvenir d’Etienne Dolet, la place du Panthéon aux éditions Didot376. La logique de l’itinéraire est le reflet des préoccupations de Benjamin qui s’intéresse à l’esprit de la ville, et aux relations entre capitalisme, modernité et révolution dans leurs aspects contradictoires.
363L’ami de Walter Benjamin, Siegfried Kracauer publie entre 1926 et 1933 de nombreuses chroniques du Frankfurter Zeitung consacrées à des villes (Paris, Berlin, Marseille, Positano...)377 ou des lieux intéressants. A la différence de la plupart des portraits ceux de Kracauer s’attachent aux recoins oubliés, aux quartiers pauvres, à la périphérie plutôt qu’au centre. Il découvre « au fil de promenades au hasard [...] les parties les plus pauvres de la ville »378, oppose le centre et les faubourgs de Paris mais élargit son propos aux « centres de toutes les grandes métropoles qui sont pareillement des lieux d’éclat et de prestige et se ressemblent de plus en plus »379.
364De même Stefan Zweig, écrivain juif autrichien réfugié au Brésil en 1941 rédige Le Monde d’hier, Souvenirs d’un Européen380, évocation de l’Europe entre 1895 et 1941 dans laquelle il dresse des portraits de Vienne, Paris, Salzbourg, Moscou... Il baptise Paris, la ville de l’éternelle jeunesse381 et lui consacre un texte. Il séjourne une première fois dans le quartier du Palais-Royal « en plein centre du cercle enchanté que constituait la ville la plus vivante du monde »382.
« [...] Chaque pierre, ici, racontait l’histoire de la France ; en outre, la Bibliothèque nationale où je passais mes matinées n’était qu’à une rue de là, et le musée du Louvre était lui aussi tout près, avec ses tableaux, ainsi que les Boulevards avec leur torrent humain. Je me trouvais enfin à l’endroit où j’avais rêvé de venir, en ces lieux où depuis des siècles battait en mesure le cœur brûlant de la France, au centre même de Paris »383.
365Le centre pour Zweig se situe donc dans un périmètre marqué par Le Louvre, la Bibliothèque Nationale, les Boulevards.
366L’américaine Janet Flanner rédige entre 1925 et 1975 une Lettre de Paris qui paraissait dans le New-Yorker. Son rédacteur en chef lui avait enjoint la tâche d’écrire une chronique qui représenterait ce que les Français pensaient de la France. Janet Flanner dépouilla donc quotidiennement la presse. Elle s’intéressait d’assez près aux spectacles parisiens, suivait l’actualité et il est clair qu’à partir de 1933, sa chronique prend un tour de plus en plus politique. Elle-même parle de « bruits de bottes »384 Janet Flanner présente Paris comme la « capitale européenne de l’hédonisme » selon l’expression qu’elle utilise en 1972385. Ses récits décrivent les activités du Tout-Paris, des grands salons386, celles des Américains de Paris ; elle est attentive aux spectacles parisiens387, raconte les événements culturels mais aussi les bals-musette ; son récit est entrecoupé par les événements politiques parisiens d’importance nationale. La précision des détails susceptibles d’alimenter une chronique régulière dans un journal américain est à la mesure de l’intérêt mondial exercé par Paris388.
367Ces portraits et chroniques rédigés par des écrivains étrangers pendant leur séjour à Paris nous permettent en partie de cerner la réception de l’image de la capitale et révèlent aussi le goût des intellectuels du monde entier pour ces descriptions.
368Dans un autre ordre d’idées, on pourrait esquisser une comparaison entre ces portraits de ville dressés par les intellectuels et les objets-souvenirs que les simples touristes aiment à rapporter de leur voyage, dont ils sont le symbole et la preuve.
369Ces portraits permettent aussi aux intellectuels de comparer entre elles les différentes capitales culturelles et leurs mérites respectifs. Cette comparaison est permanente : Vienne a représenté une forme d’apogée culturelle du xixe siècle389, Paris est un centre mondial entre 1900 et 1939, mais déjà s’annonce une époque peut-être dominée par New-York390. Les intellectuels sont très sensibles à ces évolutions qu’ils épousent et provoquent.
3. 3. Ville-Lumière : les albums photographiques
370Parallèlement à ces écrits une floraison de livres photographiques sur la Ville-Lumière voit le jour dans les années trente391. Une conception nouvelle de la photographie s’exprime. Les photographes refusent de la considérer en « parente pauvre » de la peinture.
371Plusieurs conditions se révèlent favorables à cette éclosion d’un mouvement photographique. Dès les années vingt, les appareils portables, libérés de leur trépied, permettent tous les angles de prises de vue. L’arrivée du « Leica » puis du « Rolleiflex » en France à partir de 1928 est le point de départ de la modernité en photographie. La photographie pénètre largement dans la presse en dehors des revues de luxe comme l’Illustration. Des magazines hebdomadaires voient le jour : Vu à partir de 1928, Regards en 1932, Marianne en 1932, Match en 1937. A partir de 1930, Charles Peignot publie un supplément annuel de la revue Arts et Métiers Graphiques consacré à la photographie.
372Enfin un groupe de photographes étrangers parmi les plus avant-gardistes d’Europe migre vers Paris après la Première Guerre Mondiale392 : le Hongrois François Kollar arrive en 1924, son compatriote André Kertesz en 1925, l’Américain Man Ray en 1921, l’Allemande Germaine Krull en 1924, et le Roumain Brassai’ en 1924. Ces photographes s’intéressent beaucoup à la ville, aux décors urbains, aux mœurs parisiennes et françaises. Ils trouvent Paris « magique ». Tous bénéficient de la découverte des photos des petits métiers et détails urbains d’Atget393. Ils vont collaborer aux magazines illustrés, participer à des Salons comme le Salon de l’escalier - premier salon indépendant de la photographie en 1929 - se mêler aux milieux intellectuels de Montparnasse, en particulier. Chacun se spécialise dans une vision de Paris : de Brassaï on dit qu’il est le « poète des nuits » ; Kollar est appelé le « Zola de la photographie » ; Kertesz s’intéresse à l’évocation des rues tristes, des détails de la vie quotidienne ; Krull sensible à la poésie de la Machine et de l’Industrie, choisit des détails significatifs pour représenter la ville entière. Il est remarquable que dans les portraits de Paris composés de textes et d’images, la relation du texte à l’image soit inversée : l’écrivain écrit au vu des photographies.
373Dans Paris de Nuit, nous trouvons soixante-deux photographies de Brassaï et un texte de Paul Morands394. Dès 1924, Brassai qui séjourna dans un hôtel de Montparnasse, vécut en noctambule, « imprégné par la beauté de Paris nocturne qui ne cessait de me hanter »395. Il affirme ne chercher « qu’à exprimer la réalité, car rien n’est plus surréel ». Ses photographies donnent à voir les travailleurs nocturnes (ceux des Halles, les mitrons, les vidangeurs, les prostituées, les polisseurs de rails de tramways, les paveurs de rues), le monde qui vit la nuit (celui des élégantes, comme celui des touristes) et des images de la ville telle qu’elle apparaît dans le regard la nuit396. Paul Morand débute son texte par ces mots : « La nuit n’est pas le négatif du jour ; les surfaces ne cessent pas d’être blanches pour devenir noires : en réalité ce ne sont pas les mêmes images »397.
374Le jour, Paris est « Capitale de la Raison, nef toujours à flot, ville-lumière ». Mais il y a la nuit « un Paris dangereux » expression du « subconscient de la nation française »398.
375Le texte de Paul Morand se présente comme un voyage dans Paris, la nuit où il croise les personnages photographiés par Brassaï :
« [...] Les mitrons détrempaient la pâte, préparaient les munitions du lendemain, tout en fourgonnant la braise, blancs d’un côté, rouges de l’autre, comme des gardes suisses ; les pompes Richer poussaient dans les rues étroites du vieux Montmartre des vapeurs fades qui montaient vers les étoiles, tandis que les vidangeurs bottés de caoutchouc enjambaient des tuyaux aux anneaux de fer, qui se tordaient sur la chaussée humide, et disparaissaient comme des clystères enfoncés dans le derrière de ces maisons modestes qui attendent la nuit pour se soulager »399.
376Dans son itinéraire, Paul Morand traverse Montmartre, le quartier de l’Étoile, Montparnasse, la place Maubert puis repart vers les Halles, les Tuileries, la place Clichy, les boulevards... Nous en retiendrons la vision globale qu’il donne de la ville. La nuit, dit-il le centre de Paris se trouve « vraiment » à la place de la Concorde :
« [...] C’est la nuit vraiment que la place de la Concorde est le centre de Paris et de la France. Là se donne tous les soirs une grande fête (dont l’effet est doublé les jours de pluie) où tout le monde est invité et où seules font tapisserie les statues des villes pétrifiées ; feux de la Concorde qui savent parler à l’ombre, comme Dieu au démon, qui la rejettent au dernier plan et ne l’utilisent que par contraste »400.
377Paul Morand dépeint le passage de la nuit au jour et l’éveil de la ville depuis la campagne ; il voit l’espace urbain de façon concentrique Paris, la zone, la banlieue, la campagne. La ville est un corps dont les quartiers du centre sont le cerveau : « Les espaces maraîchers, qui font la liaison entre la ville et la campagne, s’éveillent d’abord, puis la banlieue, puis la zone, puis la ceinture, puis les boulevards extérieurs, enfin les quartiers du centre, à l’inverse du corps humain où le cerveau reprend conscience avant les membres »401.
378Le recueil connut un grand succès. La presse le salua avec enthousiasme. Emile Henriot écrivait à son sujet dans le journal Le Temps, le 30 janvier 1933 : « A feuilleter ce beau document, où l’ami de Paris nocturne peut goûter un si vif plaisir, nous essayons de discerner de quoi se compose un tel attrait de vérité, de poésie, d’analyse et d’intention, d’atmosphère rendue, de la fidélité matérielle et de la transposition fantastique »402.
379Notons qu’il n’hésite pas à présenter l’album comme un « document ».
380En 1934, paraît un album d’André Kertesz accompagné d’un texte de Pierre Mac Orlan : Paris vu par André Kertesz. A ce moment Kertesz travaillait avec Vu et la revue Art et Médecine. Il avait participé à plusieurs expositions. L’album présente un Paris qui n’est pas monumental - seule la Tour Eiffel y est représentée - Kertesz s’attache plutôt à des lieux poétiques -les ponts, le canal Saint-Martin, les jardins du Luxembourg - à des personnages pittoresques - les clochards, les allumeurs de réverbères, les musiciens de rues - à des détails urbains - les toits, les vespasiennes.
381Paris de jour se compose de soixante-deux photographies de Roger Schall403 et d’une préface de Jean Cocteau. Roger Schall s’intéresse à la vie parisienne. Le recueil contient des photographies d’activités variées : le Canal Saint-Martin avec ses péniches et ses quais chargés, le marché aux veaux de la Villette, le Carreau des Halles, des marchandes des quatre saisons, des enfants à Ménilmontant, des terrasses de cafés, les courses à Auteuil et à Longchamp... Outre ces photos qui font de la ville non pas un simple décor mais un lieu animé, Schall photographie la mode et en particulier des mannequins de chez Rochas. Le commentaire de Jean Cocteau semble particulièrement approprié. Cocteau exprime son propre rapport à Paris qui se rapproche du sentiment critique que nous avons déjà pu découvrir chez Paul Morand ou chez Poiret mais Cocteau exprime ici son attachement au charme de Paris et à son côté « champêtre ». Ici aussi nous pouvons tenter le rapprochement avec Paul Morand. Paris renvoie à l’esprit créatif de la France :
« C’est ce côté champêtre de notre ville, ce côté naïf et simple que soulignent les belles photographies de cet ouvrage et qui le rendent très neuf [...]. Paris que le Parisien déteste à distance et le fascine dès qu’il s’y retrouve [...].
J’ai eu ce dégoût de Paris et ce besoin de le plaindre et cette sottise de le croire mort. Je m’en excuse. A peine étais-je rentré de voyage que le charme opérait et me délivrait du poncif absurde. Je retrouvais cette capitale agaçante à force d’être familière, construite à l’échelle humaine, que rien n’abîme, qui puise ses ressources créatrices dans un considérable tas de fumier invisible au sommet duquel un coq secoue son bonnet phrygien de viande crue et jette son cri d’or. Ce tas de fumier (grâce auquel un Picasso, un Stravinsky deviennent des artistes de chez nous), doit s’épanouir place de la Concorde. La place de la Concorde n’est-elle pas l’exemple d’un monstre sacré d’élégance mythologique ? L’obélisque, les naïades de bronze, les jeunes palefreniers qui dressent des chevaux de pierre, les grandes femmes assises, les balustrades et jusqu’au spectre de la guillotine, tout n’a-t-il point l’air des pièces d’une partie d’échecs disposée par le diable ? »404.
382L’album Envoûtement de Paris comprend cent-douze photographies de René-Jacques405 et un texte de Francis Carco de l’académie Goncourt. Les photographies s’attachent plus spécialement à la description du Paris populaire, quelquefois misérable, de ses personnages et de ses quartiers ; Carco, en quête du « fantastique social » exprime son intérêt pour ces figures qui rencontrent son propre projet qui était de « consacrer un roman à chaque quartier de Paris »406.
383Avec le développement de la photographie « Paris » prend une nouvelle dimension dans l’imaginaire qui interpose entre le texte et son lecteur de nouvelles chaînes d’images réelles ou surréelles. L’importance du groupe des photographes étrangers à Paris dans l’entre-deux-guerres contribue à forger une vision du Paris de Brassaï, de Krull..., appelée à s’imposer avec autant d’autorité que les visions littéraires des siècles précédents.
3. 4. Le beau et le laid
384Paris étant la ville de la Beauté, on se doit de la débarrasser de tout ce qui altère son image. L’époque a un goût prononcé pour les enquêtes sur la ville. Elles sont très répandues dans les magazines, les revues, les journaux et portent sur l’opinion que les lecteurs se font de la capitale en particulier sur le « beau » et le « laid » à Paris. Les thèmes les plus fréquents portent sur les statues de Paris, les monuments, et les transformations d’urbanisme. Nous avons également trouvé quelques enquêtes sur l’atmosphère qui régnait dans la capitale. La question que nous nous posons est évidemment celle des critères utilisés pour définir la beauté et la laideur.
385Dans l’ensemble ces enquêtes confirment la lassitude de l’opinion devant l’abondance des statues parisiennes407. Les réponses soulignent le trop-plein408 et suggèrent de débarrasser Paris de quelques monuments et statues par trop détestés. La statuomanie avait, en effet, connu un âge d’or entre 1870 et 1914. Paris était de plus le lieu de la consécration nationale des personnages statufiés. Le début du siècle représente une sorte d’apogée. Maurice Agulhon l’explique ainsi : « [...] On atteint vers la fin du xixe siècle et le début du xxe, une sorte d’apogée, un moment culminant, parce que la pratique des glorifications monumentales est encore assez vivace pour exciter des passions, tandis que pourtant elle est déjà assez étendue et vulgarisée pour susciter la dérision »409.
386La Première Guerre Mondiale brisa l’élan. Nous reprendrons à ce propos les explications avancées par June Hargrove :
« [...] Les quatre années écoulées avaient donné naissance à une réaction hostile contre une statuomanie qui avait accompagné la genèse de la tragédie. L’incapacité des pouvoirs établis à résoudre une crise internationale sans sacrifier des millions de vies humaines avait jeté le discrédit sur les valeurs traditionnelles et terni la gloire des héros révérés ; ce fut peut-être la plus grave conséquence de la guerre. Aux yeux des cyniques de l’après-guerre, les statues des hommes célèbres étaient devenues des anachronismes »410.
387Si nous ajoutons, à la suite de Maurice Agulhon que « Paris, les intellectuels et l’extrême droite sont plutôt en avance dans la dérision ».
388Nous lirons les commentaires ironiques des enquêtes sous cet éclairage. Les enquêtés confirment leur peu de goût pour l’abondance des statues et pour certains monuments en particulier comme le monument à Gambetta ou l’ancien Trocadéro...
389L’écrivain allemand Ernst-Robert Curtius, dans son Essai sur la France rapporte les résultats d’une enquête parue dans la revue Les Marges en 1919. Cette enquête « rencontra, dit-il un vif succès » : « Quel est le monument le plus laid de Paris ? Quelle est la statue la plus laide ? Le Grand Palais, le Trocadéro et le monument de Gambetta411 recueillirent le plus de suffrages »412.
390Le trop grand nombre de statues est mis en cause dans tous les courants politiques de la droite à l’extrême gauche.
391Les architectes modernes trouvaient également Paris bien trop encombré et proposaient de dégager voies et perspectives. A plusieurs reprises ils reviennent sur ce thème de façon quelquefois provocatrice :
392La revue l’Esprit Nouveau y consacre deux numéros le n° 3 et le n° 6 qui interrogeaient « Doit-on brûler le Louvre ? » et recevait des réponses comme celles de Léonce Rosenberg « Non, car c’est un tripot qui ne ruine que les pauvres » ou de Pierre Bohin « naturellement et les Galeries Lafayette aussi ! »413.
393Dans un esprit assez proche, l’hebdomadaire Vu publiait en 1931 une enquête « Assez de Statues »414. Les journalistes interrogeaient des personnalités de différents horizons du monde politique et artistique. Les réponses à l’enquête reflétaient les préoccupations de chacun. Ainsi l’architecte moderne Mallet-Stevens suggérait de remplacer les statues par des « cubes de verre à l’intérieur desquels on verrait la photo de celui que l’on veut immortaliser ». Le Corbusier expliquait que son unique souci était la réalisation d’une « ville verte » et que pour le reste « il s’en fichait absolument ». Le sculpteur Zadkine soulignait qu’il valait mieux s’attacher à glorifier « l’œuvre de l’individu ». Quant à Jean de Castellane, président du Conseil municipal de Paris, il insistait sur la responsabilité en la matière non pas du Conseil Municipal415 de Paris mais de la Direction des Beaux-Arts.
394Le même thème de la destruction des statues se retrouve dans la publication Vers un Paris nouveau parue en 1930416. Différentes personnalités du monde littéraire ou artistique sont invitées à dire ce qu’ils feraient « Si Paris vous était donné ». Georges Pascal, attaché au Musée du Petit-Palais propose de supprimer les statues qui sont selon lui ridicules et ne font qu’encombrer la ville : « Pour embellir Paris, ou plutôt, le rendre moins laid à certains endroits, il faudrait, je pense, supprimer bon nombre de statues qui ridiculisent nos jardins et places publiques. La circulation en serait facilitée, et ce serait toujours un avantage »417.
395Quant aux surréalistes, ils se firent l’écho de ce débat et lancèrent en mars 1933 une enquête dans la revue Le Surréalisme au service de la Révolution « Sur certaines possibilités d’embellissement irrationnel d’une ville »418.
39629 questions étaient posées à Breton, Paul Eluard, Arthur Harfaux, Maurice Henry, Benjamin Péret, Tristan Tzara, Georges Wenstein. Les questions concernaient les monuments et statues parisiens les plus célèbres. L’humour et la dérision jouaient à deux niveaux ; en effet l’enquête se présentait comme une entreprise sérieuse mais on ne pouvait s’empêcher de penser que les surréalistes tournaient en dérision les enquêtes elles-mêmes.
« Questions :
Doit-on conserver, déplacer, modifier, transformer ou supprimer : 1. L’Arc de Triomphe - 2. L’Obélisque - 3. La Tour Eiffel - 4. La Tour Saint-Jacques - 5. La statue de Chappe - 6. La statue de Gambetta - 7. La statue de Jeanne-d’Arc (rue de Rivoli) - 8. Paris pendant la guerre - 9. La Défense de Paris en 1870 - 10. La République (place de la République) - 11. La colonne Vendôme - 12. Le Sacré-Cœur - 13. Le Trocadéro - 14. Le Chevalier de la Barre - 15. Le Lion de Belfort - 16. L’Opéra - 17. Les Invalides - 18. Le Palais de Justice - 19. La Sainte-Chapelle - 20. Le Chabanais - 21. Notre-Dame - 22. La Nationale - 23. La statue de Panhard - 24. La statue d’Alfred de Musset - 25. La statue de Clemenceau - 26. Le Panthéon - 27. La statue d’Henri IV - 28. La statue de Victor-Hugo (Palais-Royal) - 29. La statue de Louis XIV - 30. La gare de l’Est - 31. La statue de Camille Desmoulins ? ».
397Si nous essayons de classer les monuments et statues sur lesquels portait l’enquête, nous découvrons une géographie parisienne assez classique. Nous pouvons remarquer, d’ailleurs que le questionnaire porte en premier lieu sur les monuments parisiens les plus illustres en 1933 : l’Arc de Triomphe, l’Obélisque de la Concorde, la Tour Eiffel. Aucun monument important n’est laissé de côté. Pour les statues, un choix est fait de façon à mentionner les statues les plus détestées comme la statue de Gambetta ou au contraire, celles qui trouvent grâce aux yeux des surréalistes. Les monuments républicains, la République, le Panthéon n’échappent pas à la mise en cause.
398Ne pouvant citer la totalité de l’enquête, nous mentionnerons cependant quelques réponses afin de faire sentir son ton ; André Breton propose de « faire sauter [l’Arc de Triomphe] après l’avoir enfoui sous une montagne de fumier »... Paul Eluard de « coucher [l’obélisque] et d’en faire la plus belle pissotière de France »... Tristan Tzara de « conserver [la Tour Eiffel] telle quelle mais de changer son nom en le « verre de lait » »...419
399Paul Eluard développe sa critique de la statuomanie et écrit lui-même la synthèse des réponses aux questions posées sur « l’embellissement de Paris » ; il évoque l’idée de déplacer certaines statues vers les campagnes420 et dénonce l’habitude bourgeoise de « l’horreur du vide » comme celle de mettre les statues sur des piédestaux, loin des réalités humaines : « Les plus conventionnelles des statues embelliraient merveilleusement les campagnes [...]. Les villes ont beaucoup souffert de l’horreur du vide [...] »421.
400Paul Eluard relève ce qu’il appelle « la préoccupation de la femme » dans l’enquête. Nous parlerions probablement d’une vision sexualisée, sous l’influence de la psychanalyse en particulier en ce qui concerne l’obélisque qu’« une immense main gantée de femme tient ». Eluard note le « dégoût » et la « haine » du groupe pour « l’Arc de Triomphe, Jeanne d’Arc, les Invalides, le Palais de Justice, la Sainte-Chapelle, le Chabanais, Clemenceau » donc pour les monuments touristiques classiques et spécialement pour les lieux parisiens du souvenir de la guerre tels que nous les avons étudiés dans notre premier chapitre avec le triangle national militaire Etoile - Invalides -Clemenceau si important dans le paysage politique de l’entre-deux-guerres. Les grands personnages républicains comme Gambetta ou Clemenceau, les inventeurs comme Chappe, inventeur du télégraphe sont camouflés422. Quant aux monuments de la République ils ne sont pas plus épargnés et sont tournés en dérision (Le Panthéon rebaptisé en « pantalon »...). L’adjonction du Chabanais, célèbre établissement de prostitution dans la liste des monuments ne fait que renforcer le propos de dérision423.
401A son propos Arthur Harfaux écrivait (p. 18) : « Enlever le sabre et mettre à la place un énorme tire-bouchon ».
402Exceptionnels parmi les monuments touristiques, la Tour Saint-Jacques424 et surtout le Chevalier de la Barre425 jouissent d’une grande faveur aux yeux des surréalistes en raison du message antireligieux qu’ils véhiculent.
403Les statues parisiennes ont connu une apogée entre 1870 et 1914 quand la Tour Eiffel érigée en 1889 a eu des difficultés pour s’imposer dans le paysage parisien. Alors que Paris est personnifiée dans les portraits, l’opinion, après la première guerre mondiale tend à repousser les nombreuses statues, érigées dans les débuts de la IIIe République, qu’elle accuse souvent de laideur. Paris apparaît dans les portraits sous un jour quelque peu stéréotypé ; chaque quartier véhicule un « esprit » qu’un grand écrivain personnifie. Les enquêtes sur l’image de la capitale révèlent un curieux consensus sur la « beauté » et la « laideur », consensus qui unit des personnages officiels, des intellectuels, des architectes modernes animés par des motivations différentes. Les enquêtes sont l’occasion pour de nombreux intellectuels de manifester leur goût de la dérision, porté à l’extrême chez les surréalistes qui prennent à contre-pied l’opinion commune.
404En définitive, nous pourrions suggérer que s’effectue un véritable chassé-croisé entre les statues de Paris et la Tour Eiffel.
405La Tour Eiffel s’affirme dans l’entre-deux-guerres comme un monument indiscutable aux yeux des officiels, des touristes, des architectes et urbanistes. Sa « beauté » n’est plus remise en cause. Elle est devenue le symbole de Paris.
406L’image de Paris véhiculée par les portraits, les photographies, les enquêtes est une image construite au travers de multiples regards, mais il nous faut souligner l’importance particulière des regards d’étrangers portés sur Paris qui progressivement imposent « une » image de Paris. Nous nous appuierons ici sur le jugement pénétrant de l’écrivain suisse Ramuz : « [...] par la presse, le théâtre, les expositions, toute une immense publicité dont il dispose, cet élément cosmopolite en est venu à imposer au monde une image de Paris qui lui ressemble beaucoup plus qu’à Paris lui-même »426.
4. LA TOUR EIFFEL SYMBOLE DE PARIS
407La Tour Eiffel construite par l’ingénieur Eiffel pour l’Exposition Universelle de 1889, en l’honneur du centenaire de la révolution a suscité depuis lors des passions, des dégoûts pour finir par devenir aux yeux des Français et du monde le symbole de Paris. Son image suffit dès entre-deux-guerres à évoquer Paris et même la France.
408Aux yeux des visiteurs de la Grande Exposition Universelle, elle représente à la fois la République patriotique, le triomphe du modernisme de l’âge du fer, une Tour des Temps Modernes. Son succès populaire est immédiat : pendant l’exposition de 1889 on enregistre 1 953 122 entrées. Au même moment plusieurs artistes connus mais assez conformistes la boudent427.
409L’exposition de 1900 faillit lui être fatale. Durant l’exposition de 1900, en effet, le nombre des visiteurs décroît - 1 024 897 visiteurs - et entre 1901 et 1914, la régression se confirme : entre 120 000 et 250 000 personnes par an en font l’ascension. Les chiffres s’améliorent un peu entre les deux guerres, avec des pointes à 800 000 visiteurs lors des expositions internationales de 1931 et 1937428.
410Quand Eiffel la construisit, la « Tour de 300 mètres » était le plus haut monument du monde. Ce n’est plus le cas dans l’entre-deux-guerres et les guides de Paris publient volontiers des tables comparatives des plus hauts monuments du monde429. Elle a donc perdu la primeur, pourtant sa gloire ne fait que progresser après qu’elle ait vaincu les réticences430.
411La Tour fut, en effet sauvée en partie par sa vocation utilitaire. Dès 1903, Eiffel qui l’avait toujours associée à des recherches scientifiques, apporte son concours à l’établissement d’un réseau militaire de télégraphie sans fil. Pendant la Grande Guerre, la Tour est réquisitionnée par l’armée ; plusieurs messages ennemis sont captés grâce à elle. Elle est vécue par beaucoup comme une nouvelle patronne de Paris, Sainte-Geneviève d’une époque laïque. La T.S.F. deviendra après la guerre la radiodiffusion. Radio Tour-Eiffel naît en 1921. La Tour s’associe maintenant à la communication. Elle a conservé cette image.
4.1. Naissance d’un mythe
412De plus en plus d’écrivains, de chanteurs la célèbrent. Le mythe de la Tour se développe entre les deux guerres. Apollinaire écrit un calligramme nationaliste en forme de Tour Eiffel en 1918 ; Biaise Cendrars, dans un poème dédié à Delaunay, la Tour 1910, la nomme « Dieu antique, Bête moderne, Spectre solaire, Sujet de mon poème, Tour, Tour du monde, Tour en mouvement »431. Jean Giraudoux rédige une Prière sur la Tour Eiffel en 1923432. Jean Cocteau écrit la chorégraphie des Mariés de la Tour Eiffel en 1921433. Quant à Charles Trenet, il la présente sous un jour agréable dans Y a d’Ia joie (1937)434.
413L’opinion constate la naissance du mythe ; elle est consciente de l’évolution des sentiments du public à l’égard de la Tour. Mac Orlan en fait la chronologie435 ; Romi étudie dès 1939 au travers des objets-souvenirs de la Tour Eiffel, les « processus psychologiques »436 en œuvre. Il distingue trois époques : de 1888 à 1898, la Tour Eiffel fait l’objet de visites (on vient voir « Paris et l’expo »), elle est synonyme de Science et de progrès ; après 1900, la Tour Eiffel devient symbole de Paris ; après la grande guerre, elle renvoie à Paris, la France, l’Europe. On assiste à une expansion, une démocratisation du mythe de par le monde.
« [De 1888 à 1898] les objets-souvenirs sont uniquement destinés à commémorer et à prouver dans les foyers le voyage à Paris, la visite à l’Exposition et l’ascension du mouvement [...]. Dès 1899, tout est changé [...]. J’insisterai sur la transformation profonde que subit l’objet-souvenir de la Tour Eiffel dès 1902, on commence à oublier le côté scientifique et glorieux pour faire du monument lui-même un symbole.
La carte postale représentant les bords de la Seine ne se vend que si l’on découvre dans le fond du décor la silhouette célèbre. [La Tour Eiffel] est devenue et restera dans le cœur des Français le symbole de Paris et peu à peu nous la voyons dans l’esprit des visiteurs étrangers symboliser la France et même l’Europe.
En 1919, des soldats américains [...] ont fait le tour de notre vieille Europe et rentrés dans leur Massachusetts natal, qu’ont-ils désigné à leurs enfants comme souvenir synthétique de leur grand voyage ?... Une Tour Eiffel.
Troisième et dernière époque de 1911 à 1939, année des fêtes du cinquantenaire à laquelle j’arrêterai ma classification, car cette date marque l’entrée du bibelot-souvenir dans une ère de fabrication industrielle en série qui échappe à l’artisanat proprement-dit »437.
414Les Guides de tourisme, après une période de méfiance vis-à-vis d’un monument trop moderne, suspect de par ses origines républicaines, érigé -qui plus est - dans l’ouest impérial, classent maintenant la Tour Eiffel parmi les monuments les plus importants de Paris.
415La Tour Eiffel est présente dans les endroits les plus inattendus : papiers à en-tête, jouets d’enfants. Des vendeurs sur les bords de Seine ont des mallettes d’objets-souvenirs.
416La Tour Eiffel, monument républicain, symbole du modernisme est donc devenue symbole de communication, puis symbole de Paris et de la France438.
417Après la Grande Guerre elle est associée à la radio, à la télévision. Les Expositions Internationales confirment sa place essentielle dans le paysage monumental parisien. Les autorités municipales, le gouvernement voient dans sa proximité la garantie du succès touristique de l’Exposition. De 1925 à 1937, la publicité de Citroën confère à la Tour une allure moderne (la publicité), une poésie nocturne associée à l’idée de Ville-Lumière. En 1937, les illuminations nocturnes redessinent une Tour Eiffel parée des couleurs nationales.
418Les mêmes personnages que nous avons vu horrifiés devant l’abondance et la laideur des statues de Paris lui trouvent désormais des mérites. Le Corbusier, par exemple qui trouve Paris si encombré de monuments voit dans la Tour Eiffel un geste moderne qui continue Paris, dans la tradition créatrice de Notre-Dame, du Paris de Louis XIV et de Haussmann.
419Il faut s’interroger sur les raisons pour lesquelles les deux monuments les plus critiqués entre les deux Guerres sont le monument à Chappe, l’inventeur du télégraphe, donc d’un instrument de progrès et de communication, et le monument républicain de Gambetta, alors que la Tour Eiffel qui renvoie à des significations voisines est glorifiée, louée, chantée. L’opinion trouve les statues et monuments des grands personnages laids, chargés et leur préfère un monument en fer, vide, aérien.
420Roland Barthes, dans le livre qu’il a consacré à la Tour Eiffel analyse l’évolution de sa perception. De symbole de la Révolution et de l’Industrie, la Tour protectrice de Paris par sa hauteur, objet inutile (elle n’est rien d’autre qu’un objet de visite), est devenue le symbole de la modernité dans une ville remplie d’histoire (« [...] La Tour a été le geste moderne par lequel le présent dit non au passé »)439.
4. 2. L’imagerie de la Tour
421Les images de la Tour sont évidemment très nombreuses, à la mesure de ce nouveau mythe. Nous nous consacrerons ici à l’analyse de quelques images bien connues. Toutes représentent Paris à l’étranger et contribuent d’expositions en expositions, de voyages en voyages à l’expansion du symbole.
422Chez les peintres les Tours peintes par Delaunay en 1910 font référence et sont fort révélatrices de l’évolution du regard posé par un peintre moderne sur le monument entre 1924 et 1929. Chaque peintre l’intègre dans sa propre thématique. Raoul Dufy lui donne une place prépondérante dans ses panoramas de Paris où elle se pare des couleurs nationales. Chez Chagall, la Tour renvoie immédiatement à Paris comme « lieu » au sens existentiel et permet d’unir le ciel et la terre.
423La ville moderne est une des principales sources d’inspiration de Robert Delaunay440 qui révolutionne la vision de la Tour. Il a peint environ un trentaine de Tours. Il les considère comme de véritables « merveilles du monde ». Il affirme avoir « aimé » la Tour qui, dit-il lui a donné du « plaisir »441.
424Avant lui, le thème de la Tour Eiffel442 avait été traité par Seurat (dans la Tour Eiffel, 1889) et par Le Douanier Rousseau (Moi-même, portrait paysage, 1890) qui intègre la Tour comme élément de modernité dans un paysage des bords de Seine en 1890.
425En pleine époque cubiste, quand Picasso et Braque travaillent sur des objets humbles, petits et traditionnels, comme la guitare ou le compotier, Delaunay se passionne pour « un objet ambitieux, grand et agressivement moderne » explique Michel Hoog. Il affirme à plusieurs reprises que la Tour est « son compotier à lui ».
« La première Tour qu’il a peinte était vraiment révolutionnaire, explique Sonia Delaunay, parce qu’il nous la fait voir de tous les côtés en même temps. Son ami, le Douanier Rousseau en était resté estomaqué [...]. Rousseau, c’était la vision d’une façade de la réalité et il était fasciné par la façon dont Delaunay embrasait, lui, toutes les faces de la réalité. La première Tour a remué le monde entier, en peinture et même en littérature, elle a eu la répercussion d’un manifeste »443.
426Sonia Delaunay raconte que lorsque Robert Delaunay lui a offert une Tour en cadeau de fiançailles, en 1909, elle portait pour titre « La Tour à l’univers s’adresse » et pour dédicace « Mouvement profondeur France-Russie 1909 ». Ces commentaires de Delaunay avaient pour sa fiancée deux significations : l’une était dans le lien entre la tour et le monde de la Communication, l’autre dans la symbolique de l’union entre deux univers la Russie et la France, le masculin et le féminin444.
427Entre 1909 et 1912 Robert Delaunay se consacre au travail sur Y église Saint-Séverin445 près de laquelle Sonia et lui habitent446, les Tours, la Ville de Paris et les Fenêtres. Pour l’étude des Tours il avait réuni une collection de cartes postales et il passait beaucoup de son temps à aller voir et chercher à voir la Tour.
428Les premières Tours Eiffel de 1910-1912 (de Robert Delaunay) s’effondrent ; elles sont innombrables, répétitives et révèlent la quête obstinée de leur auteur en pleine période cubiste. La lumière les désarticule. Delaunay, lui-même en fournit une interprétation tardivement : il peint la Tour Eiffel saisie dans un cataclysme ; c’est, dit-il « la synthèse d’une époque de destruction : une vision prophétique aussi à répercussion sociale : la guerre, les bases s’écroulent »447.
429Delaunay parle de période « destructive » pendant laquelle il recourt à la perspective multiple pour saisir l’essence de la Tour. Delaunay sous-entend le déplacement de l’observateur.
430A partir de 1909, Robert Delaunay entame la série des Villes, souvent peintes au travers de fenêtres.
431La Ville de Paris (1910-1912) reprend en partie le thème des tours désarticulées. En bas à gauche, le motif du pont et du bateau est emprunté à l’autoportrait du Douanier Rousseau. Au centre les trois grâces sont inspirées d’une fresque pompéienne du musée de Naples448. La ville moderne est à la droite du tableau, avec la Tour Eiffel désarticulée. Michel Hoog voit dans la Ville de Paris la ville traditionnelle, la ville moderne et les trois figures au centre unifient le tableau et symbolisent l’élégance de Paris. La toile est une écriture horizontale qui représente une progression dans le temps. Elle met en place un nouveau langage pictural449.
432Dans les Fenêtres, Robert Delaunay, en 1912-1913 conserve la trace de la Tour Eiffel mais ses toiles s’orientent vers ce qu’il nomme la « peinture inobjective » dans laquelle la couleur occupe l’ensemble de la toile et où l’on trouve quelques repères rassurants de la réalité comme la Tour Eiffel. Guillaume Apollinaire soutient cette recherche, lui consacre le poème des Fenêtres et lance à leur propos le mot : « orphisme » expliqué par Delaunay, lui-même vers 1940450. 1913 est marqué par l’équipe de Cardiff 1914 par l’hommage à Blériot dans lesquels on retrouve certaines constantes : toujours la présence même allusive de la Tour Eiffel et le goût de Delaunay pour le moderne, la publicité, l’aviation...
433Après la guerre, que Sonia et Robert passent en Espagne et au Portugal, Robert Delaunay se lance dans une nouvelle série de Tours Eiffel dont le contraste avec celles de la période précédente peut sembler surprenant. Dans un premier temps il semble reprendre en arrière-plan les Tours Eiffel de l’avant-guerre dans le portrait de Philippe Soupault en 1922451. La Tour se situe à l’arrière-plan, derrière la Fenêtre, devant laquelle pose Soupault et semble plus inquiétante encore que les Tours d’avant-guerre.
434Les Tours de 1925 et 1926 sont très différentes. Elles s’élancent vers le ciel, dans la lumière, dans une ligne continue. En 1925, la toile réalisée par Delaunay pour le hall de l’Ambassade Française à l’Exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes associe un nu féminin assez ostentatoire et une Tour métallique, organique dressée vers le ciel dont la tête disparaît dans des formes circulaires. La toile fit scandale. Delaunay dut recouvrir de gouache le nu féminin à la demande du Commissariat Général de l’Exposition.
435La Tour Eiffel de 1926 est baignée de lumière. La Tour s’élance, la perspective est raccourcie ; la Tour est symbole du moderne. La Tour Eiffel (1926) existe dans plusieurs versions très proches les unes des autres jusqu’à 1930. Delaunay affirmait en effet qu’il préparait l’« album des mille Tours »452.
436La Tour fait aussi partie du décor dessiné par Robert Delaunay pour le Triomphe de Paris (1929), ballet de Léonide Massine chorégraphe du Roxy Theater de New-York. Robert Delaunay travaille sur une image de Paris composée de trois monuments : l’Arc de Triomphe, la Tour Eiffel au centre et Notre-Dame. Les couleurs sont le bleu-blanc-rouge confirmant que cette image essentielle de Paris renvoie à celle de la France. Il travaille sur les effets lumineux. Delaunay, lui-même a expliqué dans des lettres à Massine quel était son projet, celui-ci n’ayant d’ailleurs pas pu aboutir453. [Voir cahier central images].
437Après 1930, Robert Delaunay réalise des compositions circulaires de plus en plus abstraites, très colorées comme celles qu’il construisit pour le Pavillon des Chemins de Fer et le Pavillon de l’Air pour l’Exposition Internationale des Arts et Techniques de 1937.
438Les Tours de Delaunay représentent dans l’entre-deux-guerres une référence picturale qui va modifier le regard porté sur la Tour et sur Paris. Elles véhiculent les recherches des peintres sur les lignes, la couleur, la lumière. Plus généralement les Tours s’imposent à travers son œuvre comme symbole du modernisme. Les tours de 1926 marquent un début d’institutionnalisation du modernisme comme le souligne l’étude de Romy Golan454 sur la représentation de la ville dans les années 20. Romy Golan après avoir effectué un recensement des œuvres exposées dans les salons parisiens des années 20, montre que les paysages et les scènes rurales y sont nettement plus nombreux que les scènes urbaines, que les banlieues industrielles de Paris n’ont à peu près jamais été représentées. Elle souligne la vogue des représentations de Paris comme un village, vogue dont le peintre Utrillo est un excellent représentant. Vis à vis de ces images émiettées de la capitale, les Tours de Delaunay après 1925 symbolisent un Paris moderne, unifié, voire conquérant.
439La comparaison avec d’autres représentations de la Tour nous a semblé productive. Chagall a intégré la Tour dans plusieurs de ses toiles mais il ne l’a ni étudiée, ni disséquée. Chez Chagall, la Tour représente Paris qu’il aime455, une possibilité de changer de vie, de mener une vie joyeuse, loin de son village natal de Vitebsk. Elle est une marque sur ses toiles, tout comme les lettres russes ou hébraïques qui montrent d’autres périodes de sa vie. En 1913, Chagall peint l’autoportrait aux sept doigts (Stedelijk Museum, Amsterdam) où la présence de Paris se concrétise par une Tour Eiffel située dans un angle de la toile ; Paris par la fenêtre (New-York, Salomon R. Guggenheim Foundation) est un des rares motifs peints entre 1910 et 1913 qui soit directement inspiré par Paris. Selon Lionello Venturi cette toile représente la « vision d’un monde dans l’attente d’une catastrophe, l’expression d’une panique totale » : « La zone centrale, blanche et bleu ciel, semble menacée par les deux zones foncées rouge pourpre et brun ; le chat a un museau qui rappelle un visage humain ; l’homme a deux faces dont l’une est masquée. Au fond, la Tour Eiffel, un parachutiste ; des maisons, deux morts par terre »456.
440Nous serions personnellement plus proches d’autres commentaires qui insistent sur la présence des éléments ronds dans la toile : les ponts, les petites roues du train, les arcs de la tour. Celle-ci s’élance vers le ciel, mais on ne voit pas son extrémité (comme d’ailleurs dans les autres tours de Chagall). Elle est un élément qui permet le rêve.
441Une autre version de Paris par la fenêtre, en 1928457 reprend une partie des mêmes thèmes dans une atmosphère assez gaie. Le visage n’est plus un visage d’homme dédoublé mais un visage mi-homme, mi-femme. Derrière les rideaux de la Fenêtre, la Tour Eiffel est baignée de lumière. Pourtant on ne voit toujours pas sa tête.
442Le thème des Mariés de la Tour Eiffel a inspiré deux toiles de Chagall, l’une en 1928, dans laquelle, la Tour Eiffel derrière une fenêtre semble un des éléments d’amour et de bonheur des jeunes mariés. En 1938, la Tour Eiffel Bleue permet aux jeunes mariés de s’envoler dans un monde de rêve qui pourtant n’élimine pas le rêve de la noce à Vitebsk. Chagall, dit P. Schneider, « rêve Vitebsk, Paris les massacres, les bouquets, la solitude des amants et celle des exilés, la tour Eiffel... »458.
443Chez Raoul Dufy459 la Tour qu’il affectionne particulièrement, est véritablement un élément du décor monumental parisien. Il réalise des projets de foulards remplis de Monuments de Paris, Tour Eiffel, Trocadéro, Arc de Triomphe. En 1926 il peint un Panorama de Paris qui est un véritable plan de la capitale, dans lequel une Tour Eiffel bleue et rouge surmontée d’un drapeau bleu-blanc-rouge domine le paysage et l’Arc de Triomphe éclaire l’avenue triomphale. Cette vision de Dufy exactement contemporaine des Tours lumineuses de Delaunay en 1926 semble passablement conformiste et démontre fort bien à quel point la Tour Eiffel s’est transformée en monument officiel de Paris et de la France.
444La Tour Eiffel est évidemment un sujet d’inspiration favori de nombreux peintres. Sa seule présence sur une toile suffit à indiquer que l’on est à Paris. La Tour Eiffel et les quais de André Lhote (1914-1915) en est un exemple intéressant par les trois éléments qu’il présente : la statue de la Liberté, le Pont de Grenelle et enfin la Tour Eiffel.
445Les peintres étrangers à Paris ont été très impressionnés par la force du symbole de la Tour Eiffel. Nous en avons retenu deux exemples l’un, naïf du tchèque Joseph Sima, en 1922, montre l’impact de la Tour Eiffel immense qui domine le paysage classique des bords de Seine.
446Le Japonais Yatarô Noguchi460 peint une Vue de Paris (1932) qu’il expose au Salon des Indépendants, dans laquelle la Tour Eiffel est à tel point symbole qu’on ne peut plus la percevoir directement : on oublie la Tour physique pour ne penser qu’au symbole ; la tour n’existe plus que sur une toile de peintre, preuve s’il en est du développement du mythe de la Tour.
447Ces regards portés par les peintres sur Paris croisent d’autres éléments rencontrés dans notre étude. La Tour Eiffel est bien depuis 1910 un porte-drapeau de la modernité de Paris et de la France. Ses origines républicaines semblent maintenant oubliées. La voir suffit à évoquer Paris. Au-delà, elle reste porteuse de sens métaphysique et permet la communication du haut et du bas, du ciel et de la terre, ou tout simplement l’évasion.
448Les photographies de Paris renouvellent la façon dont est perçue la Tour Eiffel de même qu’elles permettent à une nouvelle vision du monde de se faire jour. L’image prend une importance nouvelle entre 1927 et 1934, permet une nouvelle « vision du monde », nourrie par les apports de l’art moderne, les recherches du Bauhaus allemand et le progrès techniques. Les photographes participant d’un échange international exposent à Paris, dans les Salons, à la Galerie La Pléiade (73 Bd. St Michel). Ils découvrent les possibilités offertes par la photographie. Une affinité s’exprime entre la nouvelle photographie, issue elle-même du progrès technique et les développements de la civilisation industrielle et urbaine. Photographier la Tour Eiffel pour la plupart des photographes contemporains exprime cette sensibilité nouvelle.
449L’attention portée à la Tour comme objet moderne de l’âge du fer est manifeste chez les photographes. On célèbre l’âge du fer et de la machine :
« La machine nous a rappelé que nous vivions à l’âge du fer : le plus bel âge de l’humanité. Et nous nous trouvons devant une splendeur nouvelle : celle des lignes épurées par la mécanique, celle des formes précises d’une matière travaillée en série. Lyrisme des dentelles arachnéennes des ponts transbordeurs et des pylônes, architecture émouvante des lourdes masses babyloniennes des marteaux-pilons et des turboalternateurs, préciosité de la pièce détachée, bijou qu’exposent à leur vitrine les concessionnaires des marques automobiles : multiplicité du métal... »461.
450L’album Métal réuni par l’allemande Germaine Krull462 en 1927 est une célébration du romantisme de la machine. Elle y photographie l’entrecroisement des poutrelles de la Tour Eiffel qui ouvre sur un monde abyssal.
451François Kollar, très attentif à la matière industrielle en 1931 saisit la Tour Eiffel sous un angle de prise de vue déjà réalisé par Germaine Krull. A partir de cette photographie il réalise un photomontage où la Tour Eiffel apparaît dédoublée entre lumière et nuit.
452La revue Photographie, numéro spécial de la revue moderne Arts et Métiers graphiques, en 1930, reproduit deux photos de Tour Eiffel, très métalliques. La photographie de Marc Réal donne une impression de tissage métallique de même que le négatif de Maurice Tabard qui y ajoute une impression irréelle.
453La Tour Eiffel de Henri Lacheroy463, futur membre du groupe des XV464 donne une impression très ordonnée, symétrique, organique. La Tour apparaît comme un tissage de métal. A son pied se trouve depuis 1929 le buste de Gustave Eiffel par Bourdelle.
454Elle domine le paysage et fait des piétons d’innombrables petites taches ; plusieurs angles de prises de vues révèlent cet aspect. André Kertesz la prend, vue du premier étage en 1929. Il saisit ainsi la « mise en scène ». La tour semble immense en comparaison de la multitude des piétons du Champ-de-Mars, mais aussi des voitures stationnées tout près. Les ombres portées des arceaux métalliques confèrent une certaine poésie.
« Le monde est [pour Kertesz] une page, mais une page animée [explique Danielle Sallenave] : la vision d’en haut est une vision urbaine, où le ciel tient nécessairement peu de place et beaucoup le sol, le pavé. Des hommes y passent, silhouettes dressées, qui sont souvent les seules verticales de l’image et leurs ombres font des obliques franques. Mieux encore que dans la rue ou dans les bistrots, la comédie sociale s’y donne à lire. Le regard en plongée découvre la mécanique du monde et, comme Descartes voyait de sa fenêtre des chapeaux qui marchent, le photographe prend un recul philosophique, sceptique. Ces fragments de la cité lisibles par le froid soleil d’hiver ou sous un éclairage nocturne lui apparaissent aussi nécessaires et absurdes que le cheminement des fourmis processionnaires »465.
455Une impression comparable se dégage des deux photographies du Champ de Mars en 1931 par Ilse Bing466. Ilse Bing, expliquait à un journaliste américain du Springfield Republican le 2 octobre 1932 ce que représentait la photographie Le Champ de Mars vu de la Tour Eiffel pour elle et en particulier la relation particulière entre le métal et les hommes : « Le métal [disait-elle] a dans cette photographie, une place plus importante que les hommes. Le métal, fabriqué par l’homme est durable. Son rôle est ici démontré, en relation avec l’homme. Je ne veux pas seulement raconter une histoire, mais aussi montrer les relations entre les éléments »467.
456La photographie Le Champ de Mars vu de la Tour Eiffel fut publiée en couverture du Monde illustré, le 22 avril 1933 avec la légende : « Pâques a attiré à Paris, de nombreux visiteurs, aussi la Tour Eiffel a-t-elle connu, comme on le voit ici une affluence particulière de touristes »468.
457L’étude des images de la Tour Eiffel devrait être complétée par celle des innombrables cartes postales que les touristes envoyaient déjà massivement à l’époque469. Elle nous a confirmé l’existence de cette image essentielle des monuments parisiens au sein de laquelle elle s’est imposée aux yeux du plus grand nombre. La Tour Eiffel apparaît comme un signe du xxe siècle. Elle reste surprenante, digne objet d’étude pour les esthéticiens, artistes, bon ambassadeur de la France à l’étranger. Objet de recherche, symbole de Paris, elle représente la quête de nombreux artistes de France et du monde. Elle synthétise ce que l’on cherche dans la « visite à Paris ».
Notes de bas de page
1 Il sera intéressant à cet égard de confronter nos analyses à celles menées aujourd'hui autour de Paris comme « ville globale ». Marcel Roncayolo explique ce que l'on entend par là : « ... les villes qui traitent les affaires de l'humanité, à partir de leurs centres d'information et de décision - non pas parce que l'une d'entre elles est la ville maîtresse, mais parce qu'il se crée tout un réseau d'informations et de communications entre elles ». Voir Marcel Roncayolo, Le Débat, mai-août 1994, p. 191.
2 Voir Jean-Baptiste Duroselle, La Décadence 1932-1939, p. 189.
3 Voir à ce sujet Michel Trebitsch, « Internationalisme, universalisme et cosmopolitisme : les représentations du monde dans les milieux intellectuels français, d'une guerre à l'autre », in Cahiers de l'IHTP, n° 28, juin 1994, sous la direction de Robert Frank, « Images et imaginaire dans les relations internationales depuis 1938 ».
4 Nous reprenons ici le titre d'un article de Walter Benjamin, « Paris, la ville dans le miroir », publié dans le recueil Sens Unique, p. 286.
5 Frédéric Moret a étudié pour la deuxième moitié du xixe siècle L'image de Paris à travers les guides touristiques 1855-1889, Mémoire de maîtrise, Paris X, 1986.
6 André Siegfried, l'âge du tourisme. André Siegfried est lui-même un grand voyageur.
7 Ibid., p. 124. L'ensemble des institutions du Tourisme se trouvent dans le quartier des Champs-Elysées et dans celui de La Concorde, quartiers privilégiés des touristes, du luxe, de l'automobile.
8 Mis de Rochegude et M. Dumolin, Guide pratique à travers le Vieux Paris, Paris, Champion, Librairie de la Société de l'Histoire de Paris et de la Société de l'Histoire de France, 1923 et 1928, 400 p. La première édition date de 1903.
9 Maurice Dumolin, Notes sur les vieux guides de Paris, Paris, 1924, 86 p.
10 Germain Brice, Description nouvelle de ce qu'il y a de plus remarquable dans la ville de Paris, Paris, 1684, plusieurs rééditions.
11 Les Guides Bleus sont apparus en 1910. Les Guides Joanne qui les ont précédés, avaient une couverture bleue depuis le Second Empire, d'où leur titre. L'édition 1916 se nomme encore « Guide-Joanne ». Le Guide Bleu est dirigé en 1911 par Marcel Monmarché. Voir à ce sujet Daniel Nordman, « Les guides Joanne, ancêtres des Guides Bleus » dans P. Nora, Les lieux de Mémoire, La Nation, p. 529-567. Sur la généalogie des Guides Bleus on peut aussi consulter Jean Mistler, La Librairie Hachette de 1826 à nos jours. Les Guides Bleus paraissaient sous le patronage officiel du Touring Club de France, de l'Office national du Tourisme et du Club Alpin Français. Nous avons consulté les Guide-Joanne de 1916 et les Guides bleus de 1921, 1929, 1934, 1937, 1947. Le Guide Bleu de 1921 coûte 25 fr. On trouve aussi des Guides bleus des Environs de Paris, comme les Guides Bleus, Les Environs de Paris, Paris, Hachette, 1928, qui couvrent une région qui s'étend un peu au-delà des limites de l'Ile de France.
Jusqu'à 1953 les Guides Bleus publient une édition abrégée, pratique, de poche intitulée Guides Diamant.
Guides Diamant, Paris et principales excursions des environs de Paris, Paris, Hachette, 1939, 317p.
12 Guide France, Michelin, éditions 1920, 1922, 1950. Ce guide a une jaquette rouge ; c'est un guide pratique du voyage en automobile. Jusqu'à 1946, il n'y a pas de plaquette « Paris » du guide, si l'on met à part celle publiée sur Paris et ses environs pour l'Exposition Universelle de 1937. Paris n'est pour les services Michelin, qui ont leur Bureau de Renseignements pour voyages automobiles au 105 Bd Pereire dès 1908, qu'une étape de voyages, à ce titre intéressante pour ses hôtels et sa gastronomie.
13 200 vues de Paris, Guide des musées, monuments, etc., 10 plans, Paris, Larousse, 1930, 271 p. Ce guide est illustré de photographies.
14 Guide Albin Michel, Paris, Albin Michel, 1931, 176 p.
15 Bœdeker, Paris et ses environs, Leipzig, 1931, 522 p. Supplément au Guide à Paris,
Leipzig, 1937, 32 p.
Guide und Umgebung, Chartres, 1931.
Bœdekers Paris, Leipzig, 1923, 428 p., 60 p. pratiques, plans... Bœdekers Paris, Leipzig, 1931, 490 p., et 54 p. pratiques, plans…
Les Guides Bœdeker découpent la France en cinq régions touristiques (Paris et ses Environs, Le Nord-Est de la France, le Nord-Ouest de la France, Le Sud-Est de la France, le Sud-Ouest de la France). La première édition du volume, Paris et ses Environs date de 1865. Ils ont des rédacteurs français (Jacques Mesnil) et allemands (Eduard Reusch). Leurs cartes et plans sont particulièrement réputés. Sont portés sur les plans en bandes, facilement détachables pour les touristes, les stations de métro, les monuments et statues de Paris. Ils sont distribués par l'éditeur Hachette.
16 Paris pour tous Atlas et guide (en français et en anglais), Paris, Londres, 1923, 1931, 1937.
17 Outre les Guides Michelin, Guide BP., Tome I Paris et ses environs, Paris, les Editions de France, Paris 1925, 407 p. Prix : 25 fr.
18 Guides Bertot, « Guides du cycliste en France. Les plus belles excursions des environs de Paris », pas de date.
19 Guide illustré de Paris, Cartes Taride (s. d.).
20 Nous avons mentionné dans notre premier chapitre les guides de l'exposition coloniale de 1931.
De la même manière l'exposition des Arts décoratifs de 1925 a vu paraître Paris, arts décoratifs, 1925 ; Guide pratique de Paris et de l'Exposition.
A l'occasion de l'Exposition Universelle de 1937, sortent des guides comme - Guide de l'exposition internationale 1937, Imprimerie Union.
- A l'occasion de l'Exposition de 1937 : Paris et ses environs, Pneus Michelin.
- Notice sur la Tour Eiffel. Historique, Description et Guide pratique de l'ascension. Paris, Corbeil, 1937, 27 p.
21 Introduction à la vie de Paris. The very best of Paris. Préface de Walter Berry, Président de la Chambre de Commerce de Paris.
How to enjoy Paris. « A guide of a new Kind for the discriminatory », International Publications, Londres, New-York, Buenos-Aires, Paris, 1926-1927. Adaptation légèrement différente du livre de Vernier, 413 p.
Paris-Guide, 1925, réédition 1927, introduit par Gabriel Hanotaux. Cette publication se réfère au Paris-Guide, 1867.
Le Bottin Mondain, Paris, 1931 (134e année de publication).
22 Guides de Paris en 4 itinéraires, les Équipes sociales, Paris, 1937, 72 p.
23 Guide de Paris par Charles Henry. Abrégé esthétique et pratique avec un plan, Paris, La Haye, 1923, 65 p. Prix : 3 fr.
24 Paris pour tous, Atlas et guide par Edward Jefford, collection Gallia, Dent, Paris, Londres, 1923, 230 p. Prix : 4 fr.
Version en anglais, Paris for everyman. Her present and Her past, Paris, Londres, New-York compiled by Arthur K. Griggs, Ed. 1924, 1926, 1931, 1936, 1938. Prix : 2 s, 6 d.
25 Guide des plaisirs à Paris, 1930-1939.
Elie Richard, Le Guide des Grands Ducs, Paris, Les Editions du Monde Moderne, Paris, 1925, 273 p.
26 Guide du Gourmand à Paris, Paris, Grasset, 1925, 187 p.
27 Nordmann remarque que le fait est nouveau : « Il a fallu attendre l'entre-deux-guerres pour que les Guides Bleus confient systématiquement aux universitaires la rédaction de longs aperçus historiques et géographiques par lesquels s'ouvrent les volumes ».
28 Georges Lenôtre, pseudonyme de Théodore Le nôtre-Gosselin est royaliste.
29 Le titre rappelle le Paris-Guide rédigé pour l'Exposition Universelle de 1867.
30 Guide Michelin, A l'occasion de l'Exposition 1937 : PARIS et ses environs, 35 p. Il donne une carte des voies de circulation autour de l'Exposition, et une cane des hôtels répartis par zones, la première étant celle des Champs-Élysées, qui est le quartier des concessionnaires d'automobiles, des garages, des bureaux de renseignements pour utilisateurs d'automobiles.
31 Guide Bleu, 1921, p. LXIII.
32 78 pages en chiffres romains dans le Guide Bleu, 1921.
33 Guide Dent, 78 pages en fin de volume. Guide Larousse, 1930, p. 161-266.
34 Voir par exemple Paris en 8 jours, Guides Bleus Illustrés, Hachette, 1930, 247 p.
35 Le ticket vaut 1 fr. 60 en première classe et 1 fr. 35 en seconde classe. Les tickets peuvent être achetés à l'unité ou par 10.
36 A : Porte de Versailles - Porte de la Chapelle.
B : Gare Saint-Lazare - Porte de Saint-Ouen.
C : Gare Saint-Lazare - Porte de Clichy.
37 Michel Margairaz, Histoire de La R.A. T.P. La singulière aventure des transports parisiens, carte p. 45.
38 Ceux-ci permettaient en particulier de relier Paris et sa banlieue.
39 L'édition 1921 du Guide Bleu donne en fin de volumes des plans de Paris où sont portés avec des numéros des hôtels dans tous les quartiers du centre et de la périphérie.
40 Le Ritz et le Meurice existent depuis 1907.
41 Guide Bleu, 1921, p. xxvi. Il faut remarquer que les indications de prix sont rares. Les calculs de budgets, si présents dans les guides du xixe siècle n'apparaissent plus. Nous en avons trouvé une dernière version dans le Guide-Joanne de 1916.
42 Il bénéficie d'un cadre historique. Le président Wilson y séjourna pendant les négociations du traité de Versailles.
43 Bien souvent décrit par les écrivains américains, et par Fitzgerald en particulier. Le Ritz a une réputation mondiale, l'anecdote rapportée par Léon-Paul Fargue en témoigne : lors d'une discussion avec une jeune chilienne il lui demande quel est l'hôtel préféré des jeunes filles fortunées. A quoi elle répond : « Le Ritz » puis « - Qu'est-ce que le Ritz ? - C'est Paris. - Et qu'est ce que Paris ? Le Ritz ». (Op. rir., p. 198).
44 Le Meurice attire tout particulièrement les têtes couronnées, les grandes figures littéraires, celles de la mode comme Coco Chanel, et les originaux du monde entier comme le raconte Léon-Paul Fargue dans le chapitre du Piéton de Paris consacré aux « Palaces et hôtels » (op. cit., p. 184-231).
45 Le Georges V accueille tout à la fois la signature du plan Young en 1929 que des personnalités du spectacle.
46 Guide Dent, 1938, p. 57-59.
47 Guide du Gourmand à Paris, Paris, Grasset, 1925.
48 Guide Bleu, 1937, p. xxix.
49 Exemples de notices :
« La Poularde, rue Montmartre (angle de la rue Saint-Marc). On s'y écrase ; très joli cadre, très jolies femmes. Mais ce n'est pas tout : cuisine très soignée, régulièrement bonne, à la mode du pays de Gex. (Petite marmite, poularde, comme il convient, et surtout délicieuses quenelles, fondantes et savoureuses dans leur sauce couleur de rose. ». L'Alsace à Paris rencontre les « préférences sentimentales » et l'« émotion patriotique » du Guide du Gourmand. (Op. cit., p. 52).
50 De nombreux restaurants chinois se trouvent au Quartier latin. Ceci s'explique par la présence des étudiants chinois venus étudier en France depuis la Grande Guerre.
51 How to enjoy Paris, a Guide-book of a new-kind for the discriminatory. Paris, Londres, New-York, Buenos-Aires, 1926-1927 p. 75-83.
52 Bœdeker, 1923, p. 42.
53 Guide Larousse, 1930, p. 159.
54 Marcel Roncayolo, « Le Paris de Jules Romains », Le débat, n° 80, mai-août 1994, p. 75.
55 Jules Romains, Les hommes de bonne volonté, p. 115-116.
56 Walter Benjamin, op cit., p. 288. L'étude du texte de W. Benjamin sera menée plus systématiquement dans le chapitre 4.
57 L'itinéraire a un caractère plus impératif que la promenade. On se reportera sur ce point aux travaux de Jules Gritti sur les « contenus culturels du Guide Bleu » dans Communications, École Pratique des Hautes Études, Centre d'études des communications de masse, 1967, p. 51-65. Jules Gritti élabore le concept du « videndum » dans le Guide Bleu. Le videndum reflète des choix politiques, éthiques, culturels qui définissent un impératif culturel.
58 200 vues de Paris. Guide des musées, monuments, etc. 10 plans. Larousse, 1930, 271 p., p. IX.
59 Les équipes sociales, op. cit. p. 7.
60 Ibid.
61 Les Guides Bleus, Paris - Versailles - Saint - Germain - Saint-Denis - Chantilly - Fontainebleau, Hachette, 1929. Londres, Mcmillan and Co. L.T.D., 468 p. Notons le recours à un vocabulaire qui désigne l'envahissement : après la « pieuvre », le « rongeur ».
62 Guide Bleu, 1937, p. 415.
63 Ibid.
64 « Vers 1204, le Louvre forteresse et palais ne fut d'abord qu'une grosse tour au centre de formidables murailles », Guide Bleu, 1921, p. 4.
65 Guide Bleu, 1921 p. 6.
66 Ibid., p. 8.
67 Ibid., p. 9.
68 Ibid.
69 Guide Bleu, 1937, p. xc.
70 Ibid.,p. XCIV.
71 Ibid, p. C.
72 Guide B. P., Tome 1, Paris et ses environs, 1925, 411 p. Pour le Guide B. P. comme pour les Guides Michelin, Paris est une étape de voyage. Les autres sont en particulier les champs de bataille de la Grande Guerre.
73 « A l'intérieur des fortifications court, tout à l'entour de Paris, une série de boulevards, dits stratégiques. On pourrait être tenté par ce « Tour de Paris » ; mais exception faite de la partie occidentale qui va de la porte Maillot à la porte d'Auteuil, cette promenade circulaire ne présente aucun intérêt » affirme le Guide B. P. (op. cit., p. 45).
74 Guide B. P., op. cit., p. 52.
75 Ibid., p. 11.
76 Guide Bleu, 1921, p. 23.
77 « La Seine est l'être essentiel parmi ceux dont se compose la vie multiple et complexe de Paris. Elle intervient éminemment dans son paysage. Elle est à l'origine de la ville, fut l'élément primordial de son approvisionnement jusqu'à la création des chemins de fer, demeure l'un des principaux facteurs de son développement. D'ailleurs, nul cours d'eau n'est plus chargé d'histoire. Les armes mêmes de Paris rappellent ce rôle caractéristique ». (Guide Bleu, 1937, p. 2).
78 Guide Bleu, 1921, p. 23.
79 Paris pour tous - Atlas et Guide, p. 153.
80 Ibid.
81 Ibid.
82 Guide Bœdeker, « Paris et ses environs », 1931, p. 69.
83 Guide des Plaisirs à Paris, La tournée du Quartier Latin en une ou plusieurs journées.
84 Voir Maurice Agulhon dans Les lieux de mémoire (sous la direction de P. Nora) - III Les France. De l'archive à l'emblème, p. 873 et suiv.
85 Guide pratique à travers le vieux Paris, p. 31.
86 Par exemple cette phrase dénote un certain mépris : « L'aménagement du quartier des Champs-Elysées ne date que du xviiie siècle et fut achevé au XIXe ». (Ibid., p. 252).
87 Ibid., Avertissement.
88 Ibid., p. 31.
89 Paris pour tous, 1923, p. 63.
90 Guide Bleu, 1921, p. 18.
91 Edition 1921.
92 200 vues de Paris, p. XV.
93 Guide Bœdeker, 1931, p. 295.
94 Ibid., p. 69.
95 Guide Bleu, 1929, p. CXIII.
96 Le géographe Elisée Reclus le reprenait dans un texte fondateur, Contemporary Review, the Evolution of Cities, 1895, présentation et traduction par Jean Claude Chamboredon et Annie Méjean in Cahiers d'économie et sociologie rurales, n° 8, 1988. Cité dans Marcel Roncayolo et Thierry Paquot (sous la direction de), p. 167.
« On a souvent suggéré que les villes ont une tendance constante à se développer en direction de l'ouest. Le fait - qui est vrai en bien des cas - est aisément explicable, s'agissant des régions de l'Europe de l'ouest et d'autres de climat similaire, puisque l'ouest est le côté directement exposé aux vents les plus sains. Les habitants de ces quartiers ont moins à craindre la maladie que ceux qui sont à l'autre bout de la ville, où le vent arrive chargé d'impuretés suite à son passage au-dessus des innombrables cheminées, bouches d'égouts et autres, mêlé à l'air rejeté par des milliers et des millions d'êtres humains. Du reste, on ne doit pas oublier que le riche, le désœuvré et l'artiste qui ont assez de temps pour pouvoir se livrer pleinement au plaisir de la contemplation du ciel, peuvent bien plus facilement apprécier les beautés du crépuscule que celles de l'aube. Consciemment ou inconsciemment, ils suivent le mouvement du soleil de l'est vers l'ouest, et aiment le voir disparaître enfin dans les nuages resplendissants du soir. Mais il y a bien des exceptions à cette norme de croissance des villes dans la direction que suit le soleil. La forme et le relief du sol, l'attrait du paysage, le sens du courant, l'attraction des industries et du commerce locaux, peuvent orienter vers n'importe quel point de l'horizon la poussée urbaine ».
97 Guide pratique à travers le vieux Paris, op. cit., p. 25-26.
98 How to enjoy Paris, 1926-1927, p. 53.
99 Guide Bleu, 1937, p. 189.
100 Paris pour tous. Atlas et guide, Dent, Paris, Londres, Collection Gallia.
101 Le passage par les Halles n'est pas fréquent dans les guides à prétention culturelle : le guide évoque à ce propos la réputation des Halles comme « repaire d'apaches » qui lui valent la visite de « touristes désirant explorer les bas-fonds de la capitale... ».
102 Guide de Paris en 4 itinéraires, p. 39.
103 Guide Bleu, op. cit., p. 152.
104 Ibid., p. 157.
105 Walter Benjamin explique, à la suite de Stahl, que « chaque édifice monumental se présente avec une escorte, comme un prince avec sa suite, séparé par cette escorte de la masse qui s'écarte respectueusement pour lui laisser la place, il devient le véritable centre d'un quartier qui semble s'être rassemblé autour de lui ». (Walter Benjamin, Paris capitale du xix siècle, p. 542.
106 Le plan de l'ouvrage souligne le caractère essentiel du Louvre et de Notre-Dame : I 23 itinéraires... II Notre-Dame et... III Le Louvre et... IV Principales collections... V Les grands cimetières... VI Le grand Paris.
107 Guide Bleu, 1921, p. 33.
108 Ibid., p. 36.
109 Guide Bleu, 1937, p. 100.
110 Ibid., p. 99.
111 Ibid., p. 218.
112 Guide Bleu, 1937, p. 220.
113 Ibid., p. 220.
114 Ibid., p. 255.
115 Ibid., p. 257.
116 D'après le comptage des visiteurs de 1920, les visiteurs étrangers représentaient un tiers de l'ensemble (cité par Françoise Cachin, Le Débat, op. cit., p. 29).
117 Ces pages se révèlent très intéressantes pour une histoire des musées. On y apprend les aventures de certaines œuvres comme la Joconde volée en août 1911 et retrouvée en Italie en novembre 1913... (Guide Bleu, 1937, p. 290). On explique les méthodes scientifiques du Laboratoire du Musée du Louvre qui depuis 1931 examine les tableaux aux rayons X...
118 Guide Bleu 1921, p. 44.
119 Guide Bleu 1937, p. 159.
120 Ibid, p. 159.
121 Guide Bleu 1937, p. 152.
122 « De plus en plus, d'ailleurs, le monde des affaires se déplace vers cette région de l'Ouest : une grande banque, le « Crédit Commercial » a son siège social depuis 1922, dans l'ancien Elysée-Palace ; les organisations de tourisme se sont aussi installées dans l'avenue. Les grands cafés, où l'aspect « spectaculaire » est très développé, se sont multipliés. Les cinémas aussi. Cette poussée commerciale vers un quartier purement aristocratique encore avant la guerre ne peut que s'accentuer : l'encombrement croissant du « centre » nécessite de desservir sur place même la très riche clientèle française et surtout étrangère de l'Étoile et des Champs-Elysées ». (Ibid., p. 157). La citation se révèle intéressante par sa géographie : le centre mentionné est probablement ici le Palais-Royal.
123 Paris-Guide, 1925, p. 48. Nous avons déjà rencontré dans les Mémoires d'Annie Kriegel une telle perception des deux côtés du trottoir.
124 Guide Bleu, 1921, p. 351 ; la gare date de 1900.
125 Guide Bleu, 1921, p. 360.
126 Guide Bleu, 1937, p. 148. Jean Tulard explique à ce propos dans Les lieux de Mémoire, la Nation, III Le retour des cendres, p. 108 : « De Panthéon napoléonien, les Invalides devinrent temple de la gloire militaire sous la IIIe République. C'est Barrès qui en modifia le destin avec ses Déracinés. Sept lycéens de Nancy, après leur année scolaire 1879-1880, vont découvrir la leçon que doit inspirer pour Barrés le tombeau de Napoléon : « Nos études vont se terminer dit Sturel. Nous contenterons-nous d'exploiter nos titres universitaires, serons-nous de simples utilités, anonymes dans notre époque ? Rangés, classés, résignés, après quelques ébrouements de jeunesse, laisserons-nous échoir à d'autres le dépôt de la force ? Dans cette masse encore amorphe qu'est notre génération, il y a des chefs en puissance, des capitaines de demain. Si quelque chose nous avertit que nous sommes ces élus de la destinée, ne cherchons pas davantage, croyons en le signe intérieur : camarades, nous sommes les capitaines ! Au tombeau de Napoléon, professeur d'énergie, jurons d'être des hommes ! » ».
127 Guide Bleu, 1921, p. 351
128 Guide Bleu, 1937, p. 141.
129 Guide Bleu, 1937, p. 151-152.
130 « Jusqu'en 1910, la Tour Eiffel fut tenue par tous les artistes et les chansonniers montmartrois comme le symbole du mauvais goût, de l'outrecuidance bourgeoise et industrielle. Verlaine ne voulait pas passer à côté de cette horreur et donnait l'ordre au fiacre qui le conduisait de changer de route...
Déjà quelques années avant la guerre, les peintres, les poètes et les romanciers ont compris la beauté de cette tour, qui devait servir de pylône à une des antennes les plus puissantes du monde, je crois même la plus puissante. Il y a dans cette tour d'acier, l'association de tous les éléments qui donnent à cette époque son caractère et qui, pour cette raison, sont d'une puissante esthétique toute aussi émouvante que les plus grandioses monuments, qui, chacun représentent une époque disparue...Pendant la Guerre la Tour tendit ses antennes aériennes, et toutes les ondes du monde vinrent vibrer contre les cordes de métal. » (Pierre Mac Orlan, « La Tour, Javel et les Bélandres », Villes in Œuvres Complètes, cité par Bertrand Lemoine, la Tour Eiffel, p. 124.
131 Roland Barthes, Mythologies, p. 126.
132 Madeleine, Sacré-Cœur, St-Germain-l'Auxerrois, St-Eustache, la Sainte-Chapelle, St-Sulpice, St-Séverin.
133 Cluny, Galliéra, Guimet, Jacquemart-André, Luxembourg, Petit-Palais, sculpture comparée.
134 Montmartre, Père-Lachaise.
135 Bois de Boulogne, Jardin d'acclimatation, Parc Monceau, Buttes-Chaumont.
136 Voir à ce sujet Jacques Benoist, Le Sacré-Cœur de Montmartre, 2 volumes. L'auteur expose comment le Sacré-Cœur a été construit en expiation des « pêchés » de la France du xvie siècle au début du xxe siècle. Le mode de souscription indépendant de l'État qui a été adopté a constitué le Sacré-Cœur comme le symbole de l'Église de France qui voulait bien dépendre de l'État, mais ne pas lui être inféodé. Sa construction a été très critiquée par les artistes (dont Steinlen, Willette), les écrivains (Zola, Sarcey...). Dès 1889, le Sacré-Cœur attire non seulement de nombreux pèlerins, mais aussi des touristes qui viennent visiter le Montmartre du Sacré-Cœur et du Chat Noir...
Voir aussi l'article de François Loyer dans les Lieux de mémoire.
137 « La plus belle église de Paris, après Notre-Dame, est un magnifique et rare édifice où la persistance gothique se manifeste jusqu'en plein xviie siècle, non point dans le décor qui est Renaissance, ou même au-delà de la Renaissance, classique, mais dans l'ossature, les principes, le plan, le système d'équilibre des voûtes ». (Guide Bleu, 1937, p. 233).
138 Saint-Pierre de Montmartre est souvent opposé au Sacré-Cœur pour son caractère antique (vestige d'une abbaye bénédictine, elle remonte au xiie siècle) et son caractère bien moins controversé tant au plan esthétique que politique : « c'est, comme Saint-Denis, un des édifices les plus essentiels à l'étude des origines de l'art gothique ». (Guide Bleu, 1937, p. 247).
Le guide hollandais, Guide de Paris par Charles Henry note (p. 54) « La basilique elle-même qui vue de loin, est d'un effet décoratif si féerique, cause de près une désillusion, démontrant l'impossibilité de reproduire de manière vivante un art, qui a été l'expression d'un état d'âme disparu depuis des siècles. Ce fait frappera d'autant plus le visiteur qui, tout de suite après, se laissera aller au sentiment religieux que lui suggérera la modeste église de Saint-Pierre...du xiie siècle, à côté de la basilique. Le grand maître hollandais Pieter van Saenredan (xviie siècle) qui a si bien rendu ce sentiment dans ses tableaux, aurait été inspiré par Saint-Pierre, jamais par le Sacré-Cœur ».
139 Ibid., p. 183.
140 Dans la 97e division, se trouve le Mur des Fédérés, où furent fusillés les derniers défenseurs de la Commune le 28 mai 1871, « après une journée de poursuite à travers les tombes ». Le Guide Bleu remarque à ce sujet que « le Mur des Fédérés est annuellement l'objet de pèlerinages politiques qui ont pris l'importance de défilés quasi officiels en 1936 après le triomphe du Front Populaire aux élections législatives ». (Guide Bleu, 1937, p. 142).
141 Guide Bleu, 1937, p. 41.
142 Guide Bleu, 1921, p. 52.
143 Guide Bleu, 1937, p. 200.
144 ibid., p. 190.
145 Voir Maurice Agulhon, Histoire vagabonde, La statuomanie et l'Histoire, 2 volumes.
146 Le Guide hollandais, Guide de Paris par Charles Henry, 1923, se fait l'écho des critiques portées au monument à Gambetta ainsi d'ailleurs qu'à d'autres statues...
« Tout le monde est d'accord maintenant, croyons-nous pour déplorer l'érection à cet endroit du monument par trop théâtral de Gambetta, et on ne tardera pas à en penser autant de la statue colossale de « Paris pendant la guerre »... » (p. 27). Le guide critique non seulement le style de certaines statues mais aussi leur site, mal choisi, et leur trop grand nombre.
147 Guide Bleu, 1921, p. 269.
148 Guide Bleu, 1937, p. 216.
149 Ibid., p. 94.
150 Ibid., p. 46.
151 Guide Bleu, 1937, p. 216.
152 Ibid., p. 31.
153 Ibid.
154 En fait 1912, mais le guide commet une erreur...
155 Guide Bleu, 1937, p. 181
156 Ibid, p. 209.
157 Ibid., p. 488-98.
158 « Une des plus heureuses créations de l'urbanisme moderne... C'est une véritable ville de quelque dix mille habitants, allant des ouvriers non qualifiés aux techniciens et ingénieurs... L'architecte Maistrasse en conçut le plan général et le réalisa durant dix ans d'après-guerre. La cité comprend outre les habitations largement distribuées, des institutions d'hygiène, d'enseignement, d'assistance, de sport. La brique claire domine, dans une architecture sobre, particulièrement heureuse aux groupes scolaires de l'Est et du centre. Face à ce dernier, place de la Paix, le bénédictin Dom Bellot, architecte, a élevé l'église Notre-Dame-de-la-paix, couronnement spirituel de la cité en ciment armé et briques ; commencée en 1932, il lui manque encore la façade, l'abside et le clocher... » (Guide Bleu, 1937, p. 452).
159 Guide pratique à travers le vieux Paris, p. 25.
160 Guide pratique à travers le Vieux Paris, p. 245.
161 Nous retrouvons ici des préoccupations qui rejoignent celles de Lyautey.
162 Guide Bœdeker, 1923, p. xvi.
163 Guide Bleu, 1921, p. xv, et autres éditions.
164 Ibid., p. xxi.
165 Ibid., p. 209.
166 Guide Dent, 1923, p. 107.
167 On trouve une liste de deux pages des cours de la Sorbonne dans Introduction à la vie de Paris, Vernier, 1921, p. 128-129. Ce guide se définit comme « Guide initiateur du génie de Paris sur les variétés de ses ressources intellectuelles » ; l'attraction souveraine qu'exerce Paris s'explique selon lui par sa situation centrale dans un pays centralisé, les nombreux talents qui s'y retrouvent, le fait que Paris soit un lieu de passage obligatoire des étrangers en Europe. Pour lui la vie intellectuelle parisienne bénéficie de l'apport de l'Université et du Collège de France, des nombreux cercles littéraires, de l'Académie française, de revues comme la Revue des deux Mondes, la N.R.F, des conférences, et du renom de la Cité Universitaire. (Ibid., p. 117-127).
Le guide consacre trois pages à la Cité Internationale. « C'est l'honneur de l'Université de Paris d'attirer vers ses chaires illustres l'élite de la jeunesse studieuse du monde entier » (Ibid.., p. 152).
Même constatation dans l'ensemble des guides pour étrangers cultivés que nous avons pu consulter et qui attestent tous du renom international de la vie intellectuelle parisienne qui se fonde non seulement sur l'Université, mais sur l'ensemble des salons d'art et des expositions qui s'y tiennent.
168 Salon des Beaux-Arts, Salon d'Automne, Salon des Indépendants...
169 Voir « Description par Camille Mauclair des milieux littéraires » in Paris-Guide, 1925.
170 Guide Bleu, 1921, p. LVIII.
171 Introduction à la vie de Paris, Vernier, 1921. Préface par Walter Berry.
172 Ibid.
173 Guide Bœdeker, 1923, p. LV.
174 Guide Bœdeker 1931, p. 99.
175 Ibid., p. LUI. « L'effort principal porte surtout sur le décor : dans toutes les grandes rues de Paris on trouvera des magasins qui ont renouvelé récemment leur devanture et fait un effort considérable pour présenter la marchandise dans un cadre moderne aux lignes simples, où le verre et le métal jouent le plus grand rôle et qu'animent le soir des éclairages colorés et changeants [...].
Des artistes [...] sont souvent désignés sous le terme d'ensembliers : les noms de Follot, Sue et Mare, Djo Bourgeois, P. Chareau, M. Dufrêne, Francis Jourdain etc.. se rencontrent dans toutes les expositions d'art décoratif ». Le guide relève l'influence des ballets russes sur la peinture, celle de l'art nègre...
176 Guide Bleu, 1937, p. 212.
177 Comme cela est de tradition dans les milieux du Tout-Paris qui se résume bien souvent à une liste de gens connus, célèbres... Cette liste, que nous avons trouvée dans le Guide How to enjoy Paris (1926-27) fait penser aux longues listes de noms égrenées par Maurice Sachs dans ses différents ouvrages.
178 Guide Bleu, 1921, p. XIX, repris en 1929, 34, 37...
179 Guide Dent, 1921, p. 61.
180 Ibid., p. 140.
181 Guide des plaisirs à Paris, 1920. On peut souligner l'association de l'art et du plaisir.
182 « L'étranger qui voudra « se payer » Montmartre et voir les attractions si originales de la Butte n'aura qu'à suivre nos conseils. Si sa femme n'est ni très décidée, ni très indulgente, il fera bien de ne pas l'emmener ».
183 Guide des plaisirs à Paris, 1920, p. 122.
184 Louis Chevalier, Montmartre du Plaisir et du crime, p. 87.
185 Guide Bleu, 1921, p. 46.
186 En Français dans le texte.
187 Guide Dent, 1938, p. 148.
188 « Les revues des grands music-halls, faites tout d'abord pour l'étranger ignorant de la langue française, ont acquis, grâce à la perfection de la machinerie, au luxe des costumes et à la hardiesse des déshabillés, une renommée mondiale. Parmi leurs plus célèbres vedettes nous citerons Mistinguette, Maurice Chevalier, Saint-Granier, Raquel Meller... » (Guide Bœdeker, 1931, p. 40).
189 Paris-Guide, 1925.
190 Ibid., p. 16.
191 Le salon de la Duchesse de Rohan, 35 Boulevard des Invalides, est le lieu favori des jeunes poètes ; celui de la Comtesse A. de Chabrillan 8 rue Christophe Colomb, mêle les grands noms de la politique et de la littérature ; celui de Madame Lucien Muhfield, 3 rue Georges-Ville (16e) organise des thés où se retrouvent artistes et gens de lettres, la Princesse Murat a l'honneur des nobles et des célébrités ...(How to enjoy Paris, op. cit.).
192 Guide Bleu, 1937, p. lvi.
193 Ibid.
194 Paul Poiret, En habillant l'époque, p. 107.
195 « Voir Montmartre » par André Warnod, in Paris-Guide, 1925, p. 61.
196 Celle-ci est définie par le Paris-Guide, 1925 comme suit : « pendant les vingt dernières années du xixe siècle, visiter au sortir des théâtres et du boulevard ces étranges établissements de nuit où dorment pour quelques sous les pires vagabonds ».
197 Elie Richard, Le Guide des grands Ducs, 1925.
198 Guide des plaisirs à Paris, p. 122. Au métro Combat on trouve « la plus basse prostitution et toute la lie de la populace ». Rue Montjol, les « paradis sordides et dangereux » du Fort Monjol, rue Coutalon, dans les caves de la Grappe d'or « les hommes couchent sur la terre battue, ils roulent leur veston et leur gilet sous leur tête, en guise de traversin. Les femmes ont droit au banc et à la table ».
199 Marcel Roncayolo, « une géographie symbolique en devenir », Le Débat, op. cit., p. 306. « Une grande partie de l'originalité de la symbolique et de la distribution des phénomènes symboliques particuliers de Paris provient de cette double dature qui associe, sans vraie rupture l'artisan-artiste et l'artiste-artiste de la haute culture ».
200 Guide Dent, 1922, p. 156. On trouverait des descriptions semblables dans la plupart des guides contemporains, comme dans l'ouvrage de Albert Demangeon, Paris, la ville et sa banlieue (1931).
201 Voir carte du « Paris sociologique », Guide Dent, 1922, p. 12.
202 Guide Bœdeker, 1923, p. xxi.
203 Guide Bleu, 1937, p. xciv.
204 Ibid.
205 Voir Maurice Agulhon et Pierre Bonte, Marianne Les visages de la République ainsi que Maurice Agulhon, Marianne au combat et Marianne au pouvoir.
206 Guide Bleu, 1929 (et éd. suivantes), p. xviii.
207 Guide Dent, p. 61.
208 Guide Bleu, 1929, préface de G. Lenôtre.
209 Ibid.
210 Guide Larousse, op. cit., p. vi-vii.
211 Ibid., Introduction.
212 Guide Bleu, op. cit., p. 10.
Sur la notion de Ville-Lumière, on peut consulter le livre de Wolfgang Schivelbusch, La nuit désenchantée. Il explique que la notion de Ville-Lumière renvoie d'une part au mouvement des Lumières au xviiie siècle, et de façon plus prosaïque, à l'éclairage des Boulevards au xixe siècle.
213 Guide Dent.
214 Voir Florence Pinot de Villechenon, Les Expositions Universelles, et Pascal Ory, Les Expositions Universelles de Paris.
215 Ibid., p. 21, Extrait de la Convention de 1928 écrite après la création, à Paris, du Bureau International des Expositions, en 1928. Cette convention codifie plusieurs caractères qui servent à la définition du caractère des Expositions qui peuvent être Universelles, ou Internationales. Les Expositions Universelles se caractérisent d'une part par la participation de la plupart des pays indépendants de l'époque, d'autre part par la non spécialisation de leurs thèmes. On classe parmi elles celles de 1855, 1867, 1878, 1889, 1900, 1937. L'Exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de 1925, comme l'Exposition Coloniale de 1931 sont des Expositions Internationales spécialisées.
« Les Expositions Universelles à Paris » in La revue de l'économie sociale, Paris, 1992, n° XIX.
216 Maurice Barret, « Les Expositions de Paris », in Paris 1937, n° spécial de l' Architecture d'aujourd'hui, p. 114.
217 Raymond Isay, Panorama des Expositions Universelles, p. 225. Raymond Isay est ancien élève de l'École Normale Supérieure, Agrégé de l'Université, Président d'honneur de la Société d'Histoire de la IIIe République. Il est spécialisé en histoire de l'art.
218 Ibid.
219 Nous avons pu remarquer que Pascal Ory classe 1937 parmi les Expositions Universelles car le vocable « Arts et Techniques dans la vie moderne » recouvrait la totalité du champ des « Universelles » d'avant 1914.
220 Maurice Barret, op. cit., p. 114.
221 Le projet d'exposition universelle pour le bicentenaire de la révolution française en 1989 n'a pas abouti à la suite de désaccords entre le gouvernement français et les élus locaux.
222 Pascal Ory fournit les estimations concernant le nombre des visiteurs des différentes Expositions. L'Exposition de 1900 avait accueilli 50 millions de visiteurs. Remarquons qu'il se trouve fréquemment plusieurs entrées pour un visiteur.
223 Selon une expression maintes fois reprises. Voir à ce sujet Elsa Martayan, « L'éphémère dans la ville, Paris et les Expositions Universelles », in La revue de l'économie sociale, XIX, 1992, p. 39-49.
224 Voir Pascal Ory, op. cit.
225 Raymond Isay, op. cit., p. 224.
226 « Les générations d'aujourd'hui [dit Raymond Isay] ont le droit de lui reprocher ses erreurs, ses imaginations complaisantes : l'un de ses triomphes ne fut-il pas le « Château des Illusions » ? Ses pavillons de carton-pâte furent eux aussi, trop souvent le palais de la chimère. Chimère de la paix universelle ; du primat de la science, de l'enrichissement, du bonheur, du progrès indéfini ; croyance que le xxe siècle apporterait l'union de tous dans l'amour et la justice ; que l'Exposition de 1900, fille prodige, et prodigue, de quatre Expositions universelles, s'affirmait la plus grande et la plus belle, alors qu'elle était seulement la plus folle, la plus joyeuse, la plus dépensière de matériaux et d'idées qu'enregistre l'histoire des Expositions », op. cit., p 224.
227 Paul Morand reprend ici des phrases de Jean de Castellane, président du Conseil Municipal de Paris ; in Paul Morand, 1900, p. 64. Cet écrit de Paul Morand est intéressant pour capter certains souvenirs de l'exposition de 1900 mais il se situe plus dans l'imaginaire que dans le réel. On y trouve, en effet quelques inexactitudes.
228 Ibid., p. 87. Il ajoute : « Atterrés, nous regardons aujourd'hui autour de nous ce qui reste du "modern-style", c'est à dire de l'art décoratif de 1900 : le restaurant Maxim's (qui ressemble, dit Valéry à un vieux sous-marin qui aurait sombré avec tout son décor de l'époque), la salle rétrospective du Musée des Arts Décoratifs, les bouches d'entrée du métro, la boutique de l'orfèvre Téterger, le Palais de l'ambassade de France à Vienne. » (Ibid., p. 88).
229 Ibid., p. 101.
230 Ibid., p. 107.
231 Rapport sur une Exposition Internationale des Arts Décoratifs Modernes, 1er Juin 1911, Paris 1915, 17 p. Les Arts concernés sont l'architecture, les arts du bois, de la pierre, du métal, de la céramique, du verre, du papier, des tissus. Le classement distingue quatre groupes : - l'Architecture, - le Mobilier, - la Parure, - les Arts du théâtre, des jardins, de la rue, de l'enseignement.
232 « N'appellerons-nous à Paris un si grand concours des peuples que pour leur montrer des mauvais pastiches des œuvres qu'ils peuvent admirer au Louvre, à Versailles, à Fontainebleau ?... Depuis 40 ans, nous faisons commerce de toutes les richesses de notre mobilier national ; nous débitons des surmoulages des commodes, des tables et des fauteuils, des chenets et des pendules, des bronzes et des girandoles... », ibid., p. 4.
233 Ibid., p. 7.
234 . Conférence faite le 18 janvier 1925 au Conservatoire National des Arts et Métiers par H.-M. Magne, professeur au Conservatoire, sous la présidence de M. Fernand David, commissaire général de l'exposition.
235 Ibid., p. 8.
236 Ibid., p. 8.
237 Yvanhoe Rambosson, secrétaire général du Comité général d'admission de « l'Exposition de 1925. L'Exposition, sa raison d'être et ses directives » in Paris, Arts décoratifs 1925, Guide pratique de Paris et de l'Exposition, p. 211.
238 Ibid.
239 « Exposition Internationale des Arts et Techniques dans la vie moderne, Paris 1937 », in Cinquantenaire, p. 44 et suivantes.
240 Conférence de Monsieur Edmond Labbé, « Arts et Techniques dans la vie moderne ».
241 Nous reprenons ici Charles-Robert Ageron « L'Exposition Coloniale de 1931 », in P. Nora, Les lieux de mémoire..., p. 570.
242 Ibid.
243 Raymond Isay, op. cit., p. 227.
244 ibid., p. 226.
245 Voir Pascal Ory, 1889, L'Exposition Universelle. La particularité de la première Exposition Universelle française avait été, comme le précise Pascal Ory (op. cit., p. 47), « d'associer solennellement aux objets du commerce et de l'industrie ceux que le siècle aima réuni sous le vocable de « Beaux-Arts ».
246 Pascal Ory, op. cit.
247 Ibid., p. 227 : « L'exposition féconda l'art et l'industrie, concourut au renouvellement de l'esthétique industrielle, retarda la crise ».
248 Raymond Isay, op. cit., p. 228.
249 Conférence de Monsieur Edmond Labbé. « Arts et Techniques dans la vie moderne ».
250 Conférence de Monsieur Edmond Labbé, op. cit. Edmond Labbé cite le témoignage d'un écrivain anglais Gilbert Browne dans une lettre adressée à Jean Paulhan, rédacteur en chef de la N.R.F. (Nouvelle Revue Française) : « Vous me demandez, mon cher Monsieur Paulhan, de vous dire l'impression d'un hôte assidu de Paris sur l'air qu'on y respire [...]. Malheureusement l'hôte doit avouer qu'il préfère ne pas le respirer en ce moment. Pour ceux qui avaient trop facilement pris l'habitude de se sentir chez eux dans certaines de vos rues, de retrouver comme de vieilles connaissances le bon Monsieur Chappe sous son télégraphe, ou les huit dames de la place de la Concorde, il y a dans le regard des gens, dans le ton des garçons de café, dans les réponses des terrifiantes concierges, un je ne sais quoi qui leur indique discrètement le chemin de la gare du Nord et leur amitié en est quelque peu déconcertée... Je suis de ces délicats dont l'amour propre est plus flatté par le sourire avenant du crémier ou de la boulangère que par celui du barman international [...] ».
251 Par exemple nous avons pu remarquer en consultant les archives audiovisuelles de la vidéothèque de Paris au sujet de l'Exposition de 1937 que tous les réalisateurs de films d'amateurs s'attardaient à montrer l'aigle allemand et le couple de travailleurs soviétiques. On trouvera les références à ces films dans notre bibliographie.
252 Vue d'ensemble sur l'Exposition Internationales des Arts Décoratifs et Industriels Modernes, Paris, avril-octobre 1925. Conférence faite le 18 janvier 1925, au Conservatoire National des Arts et Métiers par H.-M. Magne, professeur au conservatoire, sous la présidence de Monsieur Fernand David, Commissaire général de l'exposition, p. 12.
253 1925, Rapport Général, Architecture, Volume ii présenté par Paul Léon, p. 31. Paul Léon est Directeur des Beaux Arts, membre de l'Institut, Commissaire général adjoint de l'Exposition.
254 Yvanhoe Rambosson, secrétaire général du Comité général d'admission de l'Exposition de 1925. [L'Exposition] « sa raison d'être et ses directives », in Paris, Arts Décoratifs.
255 Gabriel Mourey, « L'Esprit de l'Exposition », in L'Amour de l'Art, pp. 292-311, cité par Yvonne Brunhammer 1925, p. 33.
256 La Société des Urbanistes Français est née en 1919. Son président était Jaussely. A son origine, se trouvait la Société française des Architectes Urbanistes, créée à l'initiative de G. Risler et de E. Hénard pour regrouper les animateurs de la Section d'hygiène du Musée social et les praticiens primés aux concours internationaux d'urbanisme.
257 Alfred Agache, Les Arts Décoratifs Modernes, 1925 cité par B. Lemoine Cinquantenaire..., p. 46.
258 Voir B. Lemoine, op. cit., p. 46. Henri Prost et Adolphe Dervaux rédigèrent les conclusions pour la Commission qui reçut en juillet 1932 soixante-dix-huit projets pour le choix de l'emplacement de l'exposition.
259 Je m'appuie ici très largement sur l'étude de B. Lemoine et en particulier sur l'article de Danielo Udovicki, « Projets et concours », op. cit., p. 44.
260 Ibid., p. 50. Les auteurs se proposaient de créer « la grande voie qui [relierait] plus ou moins tôt le Louvre aux terrasses de Saint-Germain ». L'Exposition de l'art moderne serait ainsi en ligne droite reliée au Louvre, à la Concorde et à l'Étoile : continuité et progrès. « De ces trois points capitaux, la vue [serait] nette, attrayante, les feux et lumières en [seraient] visibles ». Paris Moderne s'articule ici sur un Paris monumental somme toute classique. Les trois points capitaux Louvre, Concorde, Étoile sont exactement les mêmes que les guides de tourisme et en particulier les Guides Bleus donnaient à voir en priorité. Les projets de l'Exposition souhaitent prolonger pour l'avenir une certaine image glorieuse du Paris de l'Ouest.
261 Urbanisme, n°5, août 1932, cité par B. Lemoine, p. 49.
262 Jean Giraudoux, « Pour un plus beau Paris », Marianne, 10 mai 1933, in Jean Giraudoux, Pour une politique urbaine, p. 31.
263 Ibid., p. 31.
264 Jean Giraudoux, op. cit., p. 32.
265 Anatole de Monzie occupe le ministère de l'Éducation Nationale de juin 1932 à janvier 1934.
266 Danielo Udovicki, op. cit., p. 51. Danielo Udovicki cite Perret, dans un entretien donné aux Nouvelles littéraires du 2 mars 1935. Cette citation révèle deux aspects importants de la conception de Perret qui envisageait la démolition du Trocadéro, monument que l'opinion s'accordait à trouver laid, et le dégagement des perspectives monumentales, la mise en valeur du patrimoine et son accroissement.
« Du point de vue de l'architecture le plan comprendrait au centre une colonnade, qui permettrait d'avoir une large vue sur les Jardins. Les colonnes hautes de 23 mètres supporteraient un fronton épais de 7 mètres, qui contiendrait des salles éclairées par le haut. Deux édifices flanqueraient un fronton épais de 7 mètres, qui contiendrait des salles éclairées par le haut. Deux édifices flanqueraient chaque côté de ce portique long de 190 mètres et large de 30. Deux grandes cours carrées serviraient aux expositions des œuvres statuaires importantes. Des jardins devant, jusqu'au Champ-de-Mars où pas un arbre ne serait touché, où des palais seraient construits en épargnant les quinconces ».
267 Ibid, p. 52.
268 Images du démontage dans les Actualités Gaumont, 1924-1925, Vidéothèque de Paris.
269 Historique de l'Exposition, Paris Arts Décoratifs 1925, Guide pratique de Paris et de l'Exposition, p. 232.
270 Parmi les 18 Portes existe une hiérarchie : La Porte d'Honneur, située entre le Grand et le Petit-Palais dont les architectes Favier et Ventre n'avaient pu réaliser qu'incomplètement le plan initial des grilles en métal repoussé et avaient dû se résoudre au staff patiné...
La Porte 2 est la Porte de la Concorde, conçue par l'architecte Patout. La porte 3 dite des Affaires étrangères, située sur le Quai d'Orsay a pour architecte Boileau.
271 1925, Rapport Général, « Architecture », Volume II, présenté par Paul Léon, p. 35.
272 Gabriel Mourey déplore « [...] l'espèce d'immoralité qu'il y a, dans les temps difficiles que nous traversons à dépenser et à faire dépenser des centaines de millions pour l'édification de bâtisses en carton ne correspondant à aucune des nécessités essentielles de la vie actuelle ». (Op.cit., p. 296-297).
273 Raymond Isay, op. cit., p. 228.
274 Fernand David est commissaire général de l'exposition. Paul Léon est commissaire général adjoint.
275 Dès le rapport du 1er juin 1911, le projet s'intéressait aux produits de luxe mais aussi aux objets quotidiens : « Il faut aussi que le verre, l'assiette, le bol, la table de l'écolier, la suspension familiale aient été dessinés, ornés par l'artiste... », op. cit., p. 7.
276 Ces débats sont traités dans Nancy J. Troy, « L'art contre l'industrie et le commerce. Le compromis de l'art déco », in Jean Clair, Métropoles des années 20, p. 392-403.
277 Op. cit., p. 234. 1er secteur : Le Cours-la-Reine, du pont Alexandre au Pont de la Concorde ; 2e secteur : Cours-la-Reine, du Pont Alexandre au Pont des Invalides ; 3e secteur : le cours Albert 1er ; 4e secteur : le Grand-Palais ; 5e secteur : Esplanade des Invalides et Quai d'Orsay ; 6e secteur : Esplanade, deuxième partie. Les visites pouvaient s'effectuer de un jour à une semaine. Dans le cas où l'on ne dispose que d'une journée, le Guide propose de la consacrer au Grand-Palais.
278 Kenneth E. Silver, op. cit., p. 319.
279 Ibid., p. 243.
280 Maurice Sachs, La Décade de l'Illusion, op. cit., p. 27.
281 Voir à ce sujet Georges Bernier et Monique Schneider-Maunoury Robert et Sonia Delaunay, naissance de l'art abstrait, p. 212.
Le nu féminin associé à la Tour dut être voilé à la gouache. Aujourd'hui il est visible sous sa forme initiale à la Deutsche Bank de Düsseldorf.
282 Le Louvre, Le Printemps, le Bon Marché, les Galeries Lafayette.
283 Le Rapport de l'Exposition évoque les critiques à cet égard : « Ne reprochons donc pas à tel pavillon son luxe de vitraux et de marbres, à tel autre son ciment niellé d'or, ses colonnes, son toit parsemé de galets de verre moulé qui s'illuminaient la nuit [...]. Le pavillon du Bon Marché, œuvre de Boileau brillait comme un bloc de cristal. [...] Sauvage n'avait pas voulu perdre un pouce de l'espace concédé aux magasins du Printemps : d'où cette hutte au demeurant fort riche... » (Rapport Général 1925, op. cit, p. 41).
284 Nous pouvons citer à ce propos les commentaires du jeune Brasillach, tout juste arrivé de sa Bourgogne : « [L'exposition] rassemblait des recherches qui avaient cessé d'être hasardeuses, elle n'était pas une découverte, elle était une consécration. A la foule naïve qui s'étonnait, elle apprenait, certes, beaucoup de choses, mais elle en apprenait davantage encore aux industriels avisés qui allaient copier ce style nu, ces meubles, ces étoffes, accentuer encore un aspect massif dont les premières manifestations, d'ailleurs paraissent si grêles, lancer dans les magasins à bon marché les bois clairs, les tissus bariolés, la belle matière brute, le fer et le nickel, bref mettre à la portée de tous le cubisme dans l'ameublement et dans l'habitation. Un historien de l'art affirmerait sans beaucoup se tromper que par-là cet été de 1925 a été la dernière saison inventive de l'après-guerre [...]. Derrière Le Corbusier se profilait M. Lévitan et ses meubles garantis pour longtemps ». Robert Brasillach, Notre avant-guerre, op. cit, p. 10, il n'est point besoin d'insister sur son antisémitisme toujours manifeste.
285 Rapport général, architecture, p. 44.
286 Copie d'une maison alsacienne traditionnelle.
287 Le Guide de Paris et de l'exposition (op. cit, p. 270) en donne ce commentaire : « Comme les Bretons dans la Maison bretonne située à l'autre bout du Village, les Alsaciens ont tenu à nous démontrer qu'on peut allier aux aspirations particulières dues à la race, aux traditions, au tempérament, une juste et saine appréciation des temps nouveaux. Il importe en effet que chaque petite patrie dans la grande, puisse interpréter à sa façon, avec les moyens dont elle dispose, les thèmes créés par les exigences de la vie ».
288 Rapport général, section artistique et technique. Exposition des Arts décoratifs et Industriels Modernes, présenté au nom de M. Fernand David, sénateur, commissaire général de l'Exposition, par M. Paul Léon, Membre de l'Institut, Directeur général des Beaux-Arts, commissaire général-adjoint de l'Exposition, p. 95.
289 « Monsieur Plumet travaille lui, dans la pierre, le béton, le marbre et l'acier. [...] Examinez plutôt ces deux portiques aux colonnes de marbre alimentaire ceinturées de tôle, ces quatre tour-restaurants, effarantes gageures de non-sens, de la laideur, de l'inutilité, ce béton employé comme du bois, de lourdes casemates vitrées soutenues à 30 m du sol par des consoles épaisses comme des tranches de chester, cauchemar tétragonique faisant planer au-dessus de l'Exposition toute entière l'architecture sénile d'un 1900 attardé, en dépit d'un quart de siècle où les recherches furent fécondes ». Exposition internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes, L'Art vivant, p. 4.
290 Les enseignements de l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes. Conférence faite le 29 octobre 1925 par M. H.-M. Magne (professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, Conseiller technique du Commissariat Général de l'exposition), sous la présidence de M. Paul Léon Directeur des Beaux-Arts, membre de l'Institut, commissaire général adjoint de l'Exposition, p. 10.
291 « Pavillon » non seulement renvoie à « pavillon d'exposition », mais encore s'oppose à l'habitat collectif préconisé par Le Corbusier.
292 Du nom de la revue qu'anime Le Corbusier avec le peintre Amédée Ozenfant.
293 Rapport Général, Architecture, op. cit., p. 45.
294 Le Corbusier expose lui-même ses conceptions dans Urbanisme, texte publié en 1925. Voir Le Corbusier, Urbanisme, p. 219 : « Il faut, disait-il, étudier la cellule parfaitement humaine, celle qui répond à des constantes physiologiques et sentimentales. Arriver à la maison-outil [...] qui se revend ou qui se reloue. La conception ‘mon toit’ disparaît (régionalisme etc.) car le travail se déplace (l'embauche) et il serait logique de pouvoir suivre avec armes et bagages. Armes et bagages, c'est énoncer le problème du mobilier, le problème du ‘type’ ».
295 Ibid., p. 266.
296 Ibid., p. 267.
297 Le Corbusier, op. cit., p. 270.
298 La consultation des sélections des actualités Gaumont 1924-1925 conservées à la Vidéothèque de Paris permet de se les représenter.
299 Maurice Sachs, op. cit., p. 27.
300 Robert Brasillach, op. cit., p. 11.
301 « [...] étrange monument ventru, sommé de deux tours, qui tenait du Colisée et de Saint-Sulpice » pour Robert Brasillach (op. cit., p. 9), « homard » pour l'architecte Perret, « bonnet d'âne » pour le dessinateur Eiffel...
302 B. Lemoine, op. cit., p. 58-61.
303 Bertrand Lemoine, « Le Palais de Chaillot », in Olivier Barrot et Pascal Ory, Entre-deux-Guerres, p. 407-424. Azéma et Carlu sont tous deux grand prix de Rome. Boileau est connu pour la construction de l'école de la rue Keller et ses prises de position en faveur de l'architecture rationaliste.
304 Selon la description de B. Lemoine, (B. Lemoine et P. Rivoirard L'architecture des années 30, p. 86) « Le parti définitivement retenu est celui de l'ouverture totale du parvis, à l'emplacement de l'ancienne salle de concert, reconstruite en sous-sol. Deux massifs pavillons dotés d'une large corniche encadrent ce parvis de cinquante-cinq mètres et lui donnent une existence architecturale les ailes courbes de l'ancien Trocadéro sont dédoublées en épaisseur et dotées d'un rythme de pilastres qui reprend celui des pavillons. En contrebas, sur les jardins aménagés autour d'une pièce d'eau, s'ouvrent les hautes fenêtres du foyer du théâtre. De monumentales volées d'escalier relient les deux niveaux ».
305 Voir Gérard Monnier, L'art et ses institutions en France, De la révolution à nos jours, p. 245.
306 Raymond Isay, op. cit., p. 229.
307 Supplément au Guide à Paris par Karl Baedeker, p. 31.
308 Ce que sera l'Exposition des Arts et Techniques de la Vie Moderne à Paris. La classification distinguait : I Expression de la pensée. II Questions sociales. III Formation artistique et technique. IV Diffusion artistique et technique. V Urbanisme. Architecture. VI Arts graphiques et plastiques. VII Bâtiment. VIII Décoration Intérieure et Mobilier. IX Métiers d'art. X Editions, livres, revues. XI Parure. XII Transports et Tourisme. XIII Fêtes, attractions, Cortèges, Sports. XIV Publicité.
309 Livre d'or officiel, « Arts et techniques 1937 », p. 408.
310 Gérard Namer, « Les imaginaires dans l'Exposition de 1937 », in Cahiers Internationaux de sociologie, janvier-juin 1981, p. 35-63.
311 Cité par Françoise Berthet, « L'exposition à travers la presse » in B. Lemoine, Cinquantenaire..., op. cit., p. 473.
312 Henri Noguères, La vie quotidienne au temps du front populaire, p. 268.
313 Edmond Labbé, « Paris et l'Exposition des Arts et Techniques dans la vie moderne », Paris 1937, n° spécial de l'Architecture d'aujourd'hui, mai-juin 1937, p. 100.
314 Nous reprenons ici l'expression de Anne-Marie Thiesse, Écrire la France, le mouvement littéraire régionaliste de langue française entre la Belle-Epoque et la Libération, p. 258.
315 Jean-Claude Vigato, L'architecture régionaliste France 1890-1950, p. 272.
316 Voir Gérard Monnier, L'architecture en France, Une histoire critique 1918-1950, p. 345-349.
317 Jean-Claude Vigato, op. cit., p. 265. Le centre rural comprenait : « une ferme, une maison de fermier, une maisonnette d'ouvrier agricole, des coopératives laitière, fruitière, vinicole, de stockage de blé, un centre de dégustation, une halle couverte, une mairie, une auberge, un café-tabac, une école et une maison de l'agriculture ».
318 Le Corbusier, Des canons, des munitions ? Merci ! Des logis. Le Corbusier précise que le titre est de janvier 1937.
319 Ibid., p. 48.
320 Jean-Pierre Maury, Le Palais de la Découverte.
321 Edmond Labbé, Paris et l'exposition des Arts et Techniques dans la vie moderne, op. cit., p. 100.
322 Jacques Greber, interview à Excelsior, 21 février 1937, cité par Gérard Namer, op. cit., p. 52.
323 Greber, L'Illustration, 29 mai 1937, cité par Gérard Namer, p. 54.
324 Darius Milhaud, Ma vie heureuse, p. 205-206.
325 René le Somptier, Le dernier conte de Shéhérazade, 1937, 18 mn. René le Somptier a réalisé des films de professionnels par la suite.
326 Ladislas Tellier, film d'amateur, 1937, 3 mn 32.
327 Paul Lemoine, « Souvenirs d'un adolescent à l'expo », in B. Lemoine, op. cit., p. 470 ; « [...] deux ou trois visites avec les parents, autant avec le cousin de province venu spécialement à Paris pour l'occasion et enfin le même nombre en solitaire avec des objectifs précis, soit six à huit entrées au cours de l'été ».
328 Ibid. p. 471. « Le total des entrées était instantanément centralisé au pavillon de l'Électricité, sur le Champ-de-Mars, et s'affichait en permanence sous la forme d'un gigantesque thermomètre lumineux dont chaque degré représentait X centaines ou milliers de visiteurs. La température atteignait son point culminant le dimanche soir. Inutile de dire que cet appareil a davantage marqué une jeune imagination que l'immense fresque de Dufy voisine [...]. Les pavillons des États étrangers, disséminés dans les jardins du Trocadéro ont disparu de la mémoire sans laisser la moindre trace. Sauf évidemment l'image de la diabolique confrontation entre les pavillons de l'URSS et du troisième Reich, trop frappante pour être oubliée, trop prémonitoire aussi pour ne pas être remémorée plus tard [...]. Sur les bords de la Seine, [...] le pavillon de la Compagnie de Saint-Gobain utilisait le verre sous toutes ses formes. Mêmes les marches du grand escalier étaient constituées de dalles trempées transparentes, ayant la souplesse et la solidité de l'acier [...]. Le parc des attractions ressemblait en plus grand au Luna-Park de la Porte Maillot. Montagnes russes, manèges de grandes dimensions, balançoires géantes, tout cela n'était que du déjà-vu. Ce qui est resté inoubliable, c'est le village des Lilliputiens [...]. Mais la caverne d'Ali Baba, c'était le Palais de la Découverte [...]. On était accueilli dès l'entrée par le générateur Van de Graaf dont les étincelles de trois mètres claquaient comme des coups de fusil (expériences toutes les heures [...]) ».
329 Robert Brasillach, op. cit., p. 241-242. Cette exposition d'art français provenant des musées et des collections privées de province et de l'étranger ne faisait pas à proprement parler, partie de l'exposition. Elle se situait dans le futur musée d'art moderne de l'état.
330 Robert Belot, Lucien Rebatet, p. 193.
331 Ibid.,p. 197.
332 Lucien Rebatet, « Sur l'exposition de 1937 », in la Revue universelle, 1er novembre 1937, cité par R. Belot : « Notre concierge, notre facteur, ont fait cent fois le tour du monde complet devant l'écran de leur quartier [...] ».
333 Ibid.
334 Robert Brasillach, op. cit., p. 129 : « Nous avions baptisé la génération qui nous précédait, puisque génération il y avait, la génération de l'Exposition des Arts Décoratifs ».
« Drôle de façon de compter les âges, devait déclarer ironiquement Albert Thibaudet. Vous serez donc, vous la génération de l'année où il y avait une tête de nègre sur les timbres-poste, l'année de l'Exposition Coloniale ». Pour Brasillach, ce fut « la dernière manifestation un peu tardive déjà de l'époque de prospérité ».
335 Maurice Sachs, La Décade de l'Illusion, p. 26.
336 Jean Goulemot et Daniel Oster, La vie parisienne.
De nombreuses physiologies ont Paris pour thème ; nous relevons, à titre d'exemples quelques titres de physiologies : Physiologie de la lorette, Maurice Alhoy, 1841 ; Physiologie des quartiers de Paris, Léon Guillemin, 1841 ; Physiologie du gamin de Paris, galopin industriel, E. Bourget, 1842.
337 Paul Morand eut une carrière diplomatique. C'était un écrivain connu du Tout-Paris, grand voyageur. Il fit le tour du monde en 1925.
338 Paul Morand, New-York, Paris, Flammarion, 1988, 223 p.
339 Le sommaire du Crapouillot de mai 1929 est le suivant :
Pierre Mac Orlan : « Montmartre » ; André Salmon : « Montparnasse » ; Bernard Zimmer : « Saint-Sulpice et Saint-Germain-des-Prés » ; Paul Reboux : « le Palais Royal » ; Galtier-Boissière : « De Ménilmuche à la Villetouse » ; Thomas Rancart : « le Bois de Boulogne » ; Oberlé : « Faubourg Saint-Germain » ; Claude Blanchard : « Rue de Grenelle, gare St-Lazare » ; René Kerdyk : « Bateaux Parisiens » ; Lucas-Dubreton : « Une bonne vie d'autrefois » ; Paul Fuchs : « le Quartier Latin vers 1890 » ; Van Moppès : « la Place Vendôme » ; Michel Vaucaire : « Porte Maillot » ; Louis Léon Martin : « Le quartier du Champ de Mars » ; Louis Chéronnet : « Des boulevards à l'Arc de Triomphe » ; une lettre de Maximilien Vox.
340 « Les Voyages », in Le Crapouillot, juin 1928 : on y parle de l'Inde, de Rome sous le fascisme, de Buenos-Aires, du Soudan, de Londres, de Tahiti, du Japon...
341 Atget est mort en 1927.11 bénéficie d'une reconnaissance posthume.
342 Jean Galtier-Boissière, Mémoires d'un Parisien.
343 « Paris 1900-1930 », entretien avec Paul Morand, Le Crapouillot, mars 1931.
344 Ibid.
345 Paul Morand, New-York, p. 197 : « [...] Jadis, chaque fois que le téléphone ne fonctionnait pas, je souhaitais que Paris ressemblât à New-York. Aujourd'hui, je ne le souhaite plus. Je ne dirai pas comme Paul Adam de retour d'Amérique : « Paris nous apparaît comme une ville archéologique, ville surannée d'artisans méticuleux, de gagne-petit lents et fignoleurs... l'on retrouve ici le repos latin, le petit trot du fiacre, la profusion des discours, les querelles interminables sur les congrégations... ». C'est dans cet esprit que j'écrivais il y a encore quelques années : « la France n'a d'autre ressource que de devenir américaine ou de devenir bolcheviste » ; maintenant je crois que nous devons, de toutes nos forces, éviter ces deux précipices. Je ne propose pas New-York en exemple. Le génie de Paris, c'est justement celui d'un artisan méticuleux. Mieux vaut être une ville franchement démodée comme Londres, qu'un New-York manqué comme Berlin ou Moscou ».
346 Paul Morand, Le Crapouillot, mars 1931.
347 M. Agulhon, Histoire vagabonde, la « statuomanie et l'Histoire », p. 170.
348 « Paris-mode », entretien avec Paul Poiret « En habillant l'époque », Le Crapouillot, mars 1931.
349 « Le développement de Paris de E. Debidour, l'atmosphère de Paris de Bidou, comment Paris se ravitaille de Chénevier, la rue parisienne de G. Guillet, Paris capitale de l'élégance de A. Flament, le Paris de l'intelligence de Gallotti, le plus grand Paris de R. Dautry ».
350 Paris 1937, Textes et gravures par de nombreux écrivains et artistes contemporains (« Présence de Paris » par Paul Valéry ; « Seine, berceau de Paris » par R. Escholier ; « Paris vu de la Cité » par A. Suarès ; « Du Louvre aux Tuileries » par L. Haute-cœur ; « Jardins de Paris » par A. Bonnard ; « Faubourg St Honoré » par Maurice Bedel ; « La Bibliothèque Nationale » par J. Cain ; « Faubourg Montmartre » par Francis Carco ; « Montmartre par Pierre Mac Orlan ; « Belleville à vol d'âme » par C.-H. Hirsch ; « Belleville-Ménilmontant » par J. Romains ; « Le Père Lachaise » par J. Cassou ; « Bêtes » par Colette ; « De la Santé aux Gobelins » par L. Descaves ; « Montparnasse » par Léon-Paul Fargue ; « Petit Montrouge » par A. Therive ; « Songes de Passy » par T. Derème ; « Les églises de Paris » par P. Claudel ; Les musées par G. Huisman.
351 Paris 1937, Paul Valéry, « Présence de Paris ».
352 Ernst-Robert Curtius, Essai sur la France, p. 285.
E.-R. Curtius est né à Thann en Alsace en 1886. Il a fait des études à Strasbourg, Berlin, Heidelberg. Il a favorisé dans les années 30 les échanges culturels et le rapprochement franco-allemand.
353 Paris 1937, « Belleville-Ménilmontant » par Jules Romains. On remarquera cette préoccupation permanente de présenter le peuple parisien comme un peuple paisible, idée qui s'oppose à celle récurrente des classes laborieuses et dangereuses.
354 La Thèse de Gérard Jacquemet, Belleville au xixe siècle (op. cit., p. 344) confirme tout à fait les analyses de Jules Romains : « depuis la fin du second Empire l'opinion confond Bellevillois et classes dangereuses. Après la Commune, pendant de longues années encore, on voit ça et là dans la presse un article consacré aux barbares de Belleville. On confond allègrement le crime et la revendication ouvrière ». En 1902 la presse s'empare de l'affaire de Casque d'or qui met aux prises deux bandes rivales à Belleville. Pourtant l'examen de documents officiels révèle que, entre 1870 et 1899, la criminalité a davantage progressé dans l'ensemble du département de la Seine que dans l'espace bellevillois (ibid., p. 345).
355 Jules Romains, « Belleville-Ménilmontant », in Paris 1937, Textes et gravures par de très nombreux écrivains et artistes contemporains, p. 211.
356 Ibid., « Le Père Lachaise » par Jean Cassou.
357 Léon-Paul Fargue, « Montparnasse », in Paris 1937, p. 247.
358 Raymond-Laurent, Paris.
359 Ibid., p. 7.
360 Ibid., p. 16.
361 Ibid., p. 17.
362 ibid., p. 19.
363 Raymond-Laurent, Paris., p. 29.
364 Ibid, p. 30-31.
365 Raymond-Laurent nous les décrit de façon absolument typique : « [...] aimablement bavards, fils authentiques et très spirituels de ceux qui faisaient déjà dire à notre vieux poète François Villon, au xve siècle : « Il n'est de bon bec que de Paris... » et les Parisiennes élégantes dont la silhouette est un charme et dont le joli regard met de la lumière dans le sillage parfumé qu'elles laissent derrière leur ravissante personne ».
366 Raymond-Laurent, op. cit., p. 51.
367 Ibid., p. 55.
368 Ibid., p. 70.
369 Jean-Paul Sartre, « Paris sous l'occupation » (France Libre, éditée à Londres, 1945) ; « Villes d'Amérique » (Figaro, 1945) ; « New-York, ville coloniale » (Town and Country, 1946) in Situations III, p. 15-43, p. 93-113, p. 113-125.
370 Jules Romains, Portrait de Paris. Comprend Paris dans la géographie, Paris dans l'histoire, Paris et l'urbanisme, Paris dans l'art, Paris dans la musique, Paris dans les Lettres françaises, l'esprit de Paris, l'activité économique de Paris, le peuple de Paris, la Parisienne, Paris et les étrangers, la vie spirituelle de Paris.
371 Walter Benjamin, « Paysages urbains », in Sens Unique, p. 233-309.
372 Ibid., p. 286.
373 Ibid., p. 287.
374 Ibid., p. 287.
375 Ibid.
376 Ce dernier point peut sembler surprenant : le Panthéon n'est pas pour Benjamin associé au souvenir républicain.
377 Siegfried Kracauer, Rues de Berlin et d'ailleurs.
Nous nous intéresserons ici à deux articles : « Souvenir d'une rue de Paris » (F.Z. 9 novembre 1930) et « Analyse d'un plan de ville » (F.Z. 1928).
378 Ibid., « Souvenir d'une rue de Paris », p. 14.
379 Ibid., p. 23.
380 Stefan Zweig, Le Monde d'hier, souvenirs d'un européen.
381 Ibid., p. 183-203.
382 Ibid., p. 171.
383 Ibid.
384 Janet Flanner, Paris, c'était hier, p. 163.
385 Ibid., p. 27.
386 La duchesse de Rohan (qui domina la « société traditionaliste de Paris » (p. 42)), la Comtesse de Noailles (poétesse, elle « représente l'une des plus vielles familles françaises » (p. 51)), la princesse de Polignac... L'univers qu'elle décrit est très proche de celui de Jean Cocteau ou de Maurice Sachs. Ses fréquentations étaient différentes. Elle déjeunait avec les surréalistes...
387 Spectacles de toutes natures comme les ballets russes de Diaghilev au théâtre Sarah-Bernhardt, la Loïe Fuller aux Folies-Bergères.
Elle suit avec attention ceux de Joséphine Baker : en 1930, « Au Casino, superbement costumée, mise en scène, chorégraphiée, comme il convient à ce qu'on appelle une artiste, elle n'a plus rien de commun avec cette danseuse inconnue découverte par Miguel Covarrubias qui la fit débuter il y a quelques étés, portée la tête en bas par un partenaire et faisant le grand écart, à poil. Elle n'a plus rien de commun avec la sauvageonne en jupette de bananes qui fut l'idole de Berlin, Barcelone, Budapest - mais elle n'est pas loin d'être la danseuse de rêve du Casino. Mistinguett peut maintenant, espérons qu'elle n'en fera rien, prendre une retraite bien méritée ». (Janet Flanner, op. cit., p. 119).
388 Nous en donnerons un autre exemple situé à Berlin : le magazine Vu consacre le 13 avril 1932 un article signé Yvan Goll, sur Montparnasse à Berlin. Il s'agit d'un second Montparnasse où se rendent les Berlinois qui n'ont plus les moyens de se rendre à Paris. Les Cabarets s'appellent Quartier latin, Ninon, Savarin, Eugène... Le principal établissement est le bal-musette où chante une autre Kiki de Montparnasse, (voir Cyril Buffet, Berlin, p. 304).
389 Stefan Zweig, par exemple, explique {op. cit., p. 43) que « [...] le génie de Vienne - génie proprement musical - a toujours été d'harmoniser en soi tous les contrastes ethniques et linguistiques, sa culture est une synthèse de toutes les cultures occidentales ; celui qui vivait et travaillait là se sentait libre de toute étroitesse et de tout préjugé ».
390 De Duhamel à Paul Morand les hommes de lettres s'interrogent sur la place qu'occupe et occupera New-York dans le futur. Paul Morand écrit dans New-York (op. cit., p. 198) de façon provocatrice : « Inquiets du lendemain, nos grands industriels de luxe : Guerlain, Lenthéric, Coty [...] installent des usines à New-York ; nos artistes iront peut-être aussi y chercher un refuge pour ce produit de luxe : la pensée ».
391 Nous reprenons le recensement de ces livres par Thomas Michael Gunther, « Man Ray et co. : la fabrication d'un buste », in Colloque Atget, Collège de France, 14-15 juin 1985, p. 68 : - Le Crapouillot, n° spécial, mai 1929 (mentionné précédemment).
- Paris de nuit, illustré de soixante-deux photographies de Brassaï, texte de Paul Morand, Paris, Arts et Métiers Graphiques, 1932.
- Paris, vu par André Kertesz, texte de Pierre Mac Orlan (Paris, Plon, 1934).
- Paris de jour, avec soixante-deux photographies de Roger Schall, préfacé par Jean Cocteau (Paris, Arts et Métiers Graphiques, 1937).
- Envoûtement de Paris, illustré de cent-douze photographies par René-Jacques, texte de Francis Carco (Paris, Grasset, 1938).
- Voyage dans Paris avec des photographies de Arthaud, Bovis, Durand, Grono, Jahan, René-Jacques et Roubier, texte de Pierre Mac Orlan (Paris, édition de la Nouvelle France, 1941).
- Exposition (1937) à la librairie Paul Magné (ex-La Pléiade) avec des photographies de René-Jacques, Halsman, Blumenfeld...
Les titres de ces livres nous semblent remarquables car ils donnent les mots-clefs du mythe parisien : l'opposition jour/nuit, la magie de l'envoûtement, le voyage...
392 Kim Sichel, « Les photographes étrangers à Paris », in André Kaspi et Antoine Marès (sous la direction de), Le Paris des étrangers, p. 257-267.
393 Voir le vidéodisque Atget de la Bibliothèque Nationale, 75 vues de Paris.
394 Dans la première édition, le nom de Brassai figure en petit (il est très peu connu), celui de Paul Morand en gros. Dès la réédition les choses changèrent.
395 Brassaï, le 14 février 1974 in Petit journal de l'exposition Brassai, le jour, la nuit, Musée Carnavalet (8 novembre 1988 - 8 janvier 1989).
396 Exemple de légende : « Chaque nuit, à 22h20, un train de légumes venant de Saint-Germain-en-Laye, tourne autour de la place de l'Étoile pour gagner les Halles, à grand renfort de bruit et de fumée. C'est ce contraste presque humoristique entre l'Arc de Triomphe splendidement éclairé et le train des Halles, que l'objectif est parvenu pour la première fois à saisir » (Photo n°2).
N.B. Henry Miller surnommait Brassaï, « L'Œil de Paris ».
397 Paul Morand, Paris la nuit, p. 1.
398 Paul Morand, op. cit.
399 Ibid., p. 3.
400 Ibid., p. 4.
401 Ibid., p. 8.
402 Petit journal de l'exposition Brassaï, p. 2.
403 Roger Schall était originaire de Nancy. Venu dès l'âge de sept ans à Paris, il suit des cours de dessin et de photographie, et photographie Paris. En 1931 il ouvre un atelier à Montmartre et collabore à divers revues et magazines français et étrangers. Il photographie la mode et fait des reportages : le paquebot Normandie, les jeux Olympiques de Berlin, les concours d'élégance.
404 Préface de Jean Cocteau, Paris de jour, 62 photographies de Schall.
405 Envoûtement de Paris, texte de Francis Carco (Académie Goncourt), 112 photos par René-Jacques.
René-Jacques (René Giton dit) est né en 1908 au Cambodge. Il passe sa jeunesse au Tonkin et à Royan. A Paris depuis 1924, il devient photographe en 1932. Sa spécialité première est l'illustration d'ouvrages littéraires mais il travaille aussi pour l'industrie, la publicité, le reportage, la photographie de cinéma, les catalogues de grands magasins. Depuis 1933, de nombreuses revues publient ses photos en France et à l'étranger.
406 Ibid., p. 69.
407 Le débat est étudié par Maurice Agulhon, « La statuomanie et l'histoire », in Histoire vagabonde, p. 137-185.
June Hargrove, Les statues de Paris.
Voir aussi Jacques Lanfranchi, Statues de Paris, 1800-1940. Les statues de grands hommes élevés à Paris des lendemains de la révolution à 1940, Thèse de troisième cycle, sous la direction de M. Agulhon, Université Paris I, 1979.
408 Dans sa thèse Jacques Lanfranchi (op. cit., p. 9) a calculé que cent cinquante statues furent élevées à Paris entre 1870 et 1914, pour vingt-six seulement entre 1815 et 1870.
Entre 1914 et 1940, on inaugura soixante-quatre statues.
409 Maurice Agulhon, op. cit., p. 168.
410 June Hargrove, « Les statues de Paris » in P. Nora, Les lieux de mémoire, III La nation, p. 271.
411 Sur le monument de Gambetta, se reporter au commentaire de M. Agulhon, déjà cité dans la partie sur les guides de tourisme.
412 E.-R. Curtius, op. cit., p. 277.
413 Cité par Kenneth E. Silver, Vers le retour à l'ordre, op. cit., p. 321.
414 Vu, n° 151, 1931.
415 On remarquera à ce sujet la position du Conseil municipal qui, lui aussi estime que Paris est trop rempli de statues.
416 Vers un Paris nouveau, 1930, p. 124-144.
417 Vers un Paris nouveau, op. cit., p. 137.
418 « Sur certaines possibilités d'embellissement irrationnel d'une ville », in Le Surréalisme au service de la révolution, n° 6, 12 mars 1933, p. 18-23.
419 « Sur certaines possibilités d'embellissement irrationnel d'une ville », op.cit., p. 18-19.
420 Notons que le Conseil Municipal de Paris avait envisagé dès avant la guerre de 1914 de déplacer les statues sur l'espace vert libéré par les fortifications. Voir à ce sujet June Hargrove, op. cit., p. 301.
421 Sur certaines possibilités..., p. 22-23.
422 Pour ce qui concerne les monuments de Gambetta, sur la place du Carrousel, et celui de Chappe au carrefour rue du Bac-boulevard Raspail, les surréalistes rejoignent un mouvement d'opinion très général. On reprochait volontiers à la statue de Gambetta sa « laideur », son style surchargé dans un site du centre de Paris ; quant à Chappe, sa statue était un lieu de rendez-vous très usuel si bien que les nombreux piétons se mélangeaient aux voitures, accroissant l'encombrement du carrefour.
423 Brassaï a consacré quelques pages et photographies au Chabanais. Ces pages de souvenirs confirment que Le Chabanais était bien un monument national :
« Le plus célèbre de tous les bordels de Paris s'élevait à la place de l'hôtel Chabanais Saint-Ponges et devint rapidement un haut lieu de la galanterie, une institution nationale et même une sorte de Société des Nations. Lieu de rendez-vous des grands noms de l'aristocratie, de la haute finance, de la diplomatie ; même les têtes couronnées tenaient à inclure dans leur programme officiel la visite du Chabanais. [...] Comme Le Chabanais servait le rayonnement de la galanterie et du goût français, toute une équipe d'artisans, d'artistes, de décorateurs – et même d'ethnographes et d'archéologues - travaillait à son aménagement d'un luxe non pareil à l'époque », in Brassaï, Le Paris secret des années 30, p. 106-110.
424 La Tour Saint-Jacques, unique tour subsistant de l'Église Saint-Jacques-la-Boucherie (1508-1522) avait été transformée en station météorologique. André Breton la célèbre dans l'Amour fou, p. 69 : « J'étais de nouveau près de vous, ma belle vagabonde, et vous me montriez en passant la tour Saint-Jacques sous son voile pâle d'échafaudages qui, depuis des années maintenant, contribue à en faire plus encore le grand monument du monde de l'irrévélé ».
425 Supplicié en 1776 parce qu'il avait refusé de saluer une procession. En son honneur les libres penseurs avaient érigé une statue au pied du Sacré-Cœur (réalisée par Armand Bloch).
426 C.-F. Ramuz, Paris, p. 145. Ramuz est l'auteur de ce portrait de Paris par un Suisse qui grâce à la francophonie, peut regarder Paris de l'intérieur et de l'extérieur.
427 Le 14 février 1887, Le Temps avait publié une « protestation des artistes » (Charles Gounod, Charles Gantier, Maupassant, Dumas, Coppée, Leconte de Lisle, Sardou et Sully Prudhomme...) « contre l'érection, en plein cœur de notre capitale, de l'inutile et monstrueuse Tour Eiffel [...] ».
428 Nous suivons ici Bertrand Lemoine, op. cit., p. 75 qui donne un chiffre de cinq millions d'entrées pour 1989. Mais aujourd'hui la plus grande proportion des visiteurs est composée d'étrangers.
429 Notice sur la Tour Eiffel, Créteil, 1937, 27 p.
430 Henri Loyrette, « La Tour Eiffel », in Pierre Nora (sous la direction de), Les Lieux de mémoire III les France, 3. de l'archive à l'emblème, p. 475-503.
Bertrand Lemoine, La Tour de Monsieur Eiffel.
431 Biaise Cendrars, « La Tour 1910 », in Dix-neuf poèmes élastiques.
432 Jean Giraudoux, Prière sur la Tour Eiffel :
« J'ai sous les yeux les cinq mille hectares du monde où il a été le plus pensé, le plus parlé, le plus écrit. Le carrefour de la planète qui a été le plus libre, le plus élégant, le moins hypocrite. Cet air léger, ce vide au-dessous de moi, ce sont les stratifications, combien accumulées, de l'esprit, du raisonnement, du goût [...] ».
433 Les mariés de la Tour Eiffel ont été représentés pour la première fois, le soir du 18 juin 1921, au théâtre des Champs-Elysées, par la compagnie des ballets suédois de M. Rolf de Maré. Musique de Germaine Tailleferre, Georges Auric, Arthur Honegger, Darius Milhaud et Francis Poulenc. Chorégraphie de Jean Cocteau. Décor d'Irène Lagut. Costumes et masques de Jean Hugo. La pièce commence sur la première plate-forme de la Tour Eiffel, avec en toile de fond Paris à vol d'oiseau.
Le dialogue était réalisé par deux phonographes situés de part et d'autre : « La tour Eiffel est un monde comme Notre-Dame. C'est Notre-Dame de la rive gauche », dit le Phono Deux. « C'est la Reine de Paris », lui répond le Phono Un. « Elle était reine de Paris. Maintenant elle est demoiselle du télégraphe » réplique le Phono Deux, in Jean Cocteau, Antigone suivi de Les mariés de la Tour Eiffel, p. 85.
434 Charles Trenet, Boum ! Chansons folles, p. 26 : « [...] Y a d' la joie la tour Eiffel part en ballade Comme une folle elle saute la Seine à pieds joints Puis elle dit : « Tant pis pour moi si j'suis malade Je m'ennuyais toute seule dans mon coin »[...] ».
435 Voir notre chapitre sur les guides de tourisme.
436 Romi, « L'art populaire et la Tour Eiffel », Revue La Renaissance n° 3, juin 1939, cité par Viviane Hamy, La Tour Eiffel, Présentation par Armand Lanoux, p. 134.
437 Ibid., p. 136
438 Ces problèmes sont examinés dans la conférence de Maurice Agulhon, « La place du symbolique dans l'histoire politique contemporaine : Futilité ? Survivance ? Renouvellement ? », in Association des historiens contemporanéistes de l'enseignement supérieur et de la recherche, Bulletin d'information n° 11, octobre 1994, p. 15-24. Après avoir analysé l'exemple de la Tour Eiffel, Maurice Agulhon pose ces questions : « Polysémie, plasticité, instabilité, contradiction - telle est bien la façon d'être de la symbolique visuelle. On n'échappe pas à cet illogisme qui est celui de la vie même.
Mais on peut se demander si ces contradictions, particulièrement faciles à repérer dans le domaine concret de la symbolique visuelle ne sont pas le reflet de contradictions plus générales ; et même si elles ne constitueraient pas une bonne propédeutique à l'analyse de ces dernières », (Ibid., p. 22).
439 « Regard et objet, la Tour Eiffel [...] est aussi un symbole, et ce rôle a pris un développement imprévu. Certes, dès le départ, la Tour devait symboliser la Révolution (dont c'était le Centenaire) et l'Industrie (dont c'était la grande Exposition). Cependant, ces symboles n'ont guère vécu, d'autres les ont remplacés. Le symbole social n'a pas été celui de la démocratie, mais celui de Paris. Ce qui est surprenant, c'est que Paris ait attendu si longtemps pour avoir son symbole. Il y avait bien des monuments symboliques dans Paris, mais ces symboles renvoyaient à autre chose qu'à Paris : à la monarchie, avec le Louvre, ou à l'Empire, avec l'Arc de Triomphe ; seule [...] Notre-Dame, surtout dans l'imagination romantique, pouvait se confondre avec une certaine idée de Paris ; mais c'était au fond, parce que ses tours semblaient dominer, posséder et protéger la capitale ; et c'est en somme cette fonction de protection, issue d'une situation d'altitude, qui a été spontanément transférée de Notre-Dame à la Tour, dès lors qu'elle est apparue comme le plus haut monument de la ville. Une seconde circonstance a renforcé la vocation parisienne de la Tour : son inutilité même ; tout autre monument, église ou palais, renvoyait à un certain usage ; seule la Tour n'était rien d'autre qu'un objet de visite ; son vide même la désignait au symbole et le premier symbole qu'elle devait susciter, par une association logique, ne pouvait être que ce qui était « visité » en même temps qu'elle à savoir Paris : la Tour est devenue Paris par métonymie [ce] qui est certainement l'un des faits les plus importants de notre histoire contemporaine, appelait fatalement une sorte d'institutionnalisation massive du voyage à Paris, et la Tour fut tout naturellement le symbole de cette institution ».(Roland Barthes, La Tour Eiffel).
440 Robert Delaunay (né à Paris en 1885, mort à Montpellier en 1941), commence à peindre en 1904. Il épouse l'artiste russe Sonia Terk en 1910. Dès 1911, il est présent au Salon des Indépendants à Paris, à la galerie Der Sturm à Berlin. Il passe la guerre en Espagne et au Portugal, fréquente les surréalistes à son retour à Paris. En 1922, une rétrospective des œuvres de Delaunay est organisée à la galerie Paul Guillaume à Paris. A partir de 1924, il reprend le thème de la Tour. En 1925, il réalise une grande peinture murale pour 1'« Ambassade française » de Mallet-Stevens. Puis il rencontre les architectes allemands Gropius, Breuer, et Mendelsohn et adopte à nouveau un style plus abstrait de représentation (à partir des notices de l'ouvrage de Jean Clair, Métropoles des années 20).
441 La Revue Mondiale, mai 1929.
442 Michel Hoog, R.. Delaunay. Michel Hoog remarque que cette idée était insolite chez un peintre vers 1910. Delaunay réalise un tableau en 1909, une série de sept compositions entre 1909 et 1911, reprend ces compositions dans la partie droite de la ville de Paris. La silhouette de la Tour Eiffel demeure le seul repère identifiable au centre de la série des Fenêtres.
443 Le centenaire Sonia et Robert Delaunay, Paris, Musée d'Art Moderne. 14 mai - 8 septembre 1985, p. 59.
444 Michel Hoog explique que traditionnellement l'obélisque est un symbole masculin, alors que la Tour est associée au féminin.
445 Robert Delaunay explique dans un texte écrit vers 1924 que la série des Saint-Séverin « marque bien ce passage de Cézanne au déséquilibre qui suivait et aux directives destructrices de cette époque : l'incertitude des anciens moyens et la recherche vers un autre esthétisme ; l'écroulement de la perspective traditionnelle ; la lumière comme étant un élément de désorganisation de la ligne de la construction ancienne ; la couleur se cherchant dans ce chaos, mais n'ayant pas encore la vertu organisatrice forme un désaccord des éléments employés [...] » {Inventaire, op. cit., p. 50).
446 Leur appartement se situe rue des Grands-Augustins. Après 1921, La rue des Grands-Augustins sera leur atelier et leur appartement se situera Boulevard Malesherbes.
447 Michel Hoog, Robert Delaunay.
448 Nous avons aussi relevé la référence chez Michel Hoog aux Nymphes de la Fontaine des Innocents.
449 Michel Hoog, Inventaire, p. 56-57. « La brisure des formes par la lumière s'inscrit ici dans une ordonnance savante, monumentale, dont l'eurythmie et l'élégante poésie rappellent le quattrocento et spécialement Botticcelli. Quant aux couleurs, elles sont employées pour la première fois, ou une des premières fois, selon un langage nouveau, celui des contrastes simultanés, comme le fait observer Delaunay lui-même. Les couleurs servent à définir la forme, à lui donner son assise et à faire jaillir de la peinture une nouvelle poésie, celle qui va s'épanouir dans les Fenêtres et les Formes circulaires [...] ».
450 « L'appellation Les Fenêtres, comme titre est encore un souvenir de réalité concrète, mais au point de vue des moyens expressifs, on entrevoit déjà une nouvelle forme d'expression. Ce sont des fenêtres sur une nouvelle réalité. Cette nouvelle réalité n'est que l'ABC des modes expressifs qui ne puisent que dans les éléments physiques de la couleur créant la forme nouvelle. Dans cette peinture, on retrouve encore des suggestions rappelant la nature, mais dans un sens général et non analytique et descriptif comme dans l'époque antérieure, cubiste... » (Inventaire..., op. cit., p. 58).
451 En 1922, Robert Delaunay expose à la Galerie Paul Guillaume à Paris.
452 Robert Delaunay, « Lettre à Joseph Delteil », in Joseph Delteil, Les Chats de Paris, p. 80. Les Chats de Paris sont, à quelques variantes près la reprise d'Allo ! Paris paru en octobre 1926.
453 Robert Delaunay, Notes manuscrites avec croquis pour Triomphe de Paris, 1928-1929. Donation Sonia Delaunay, Bibliothèque Nationale de France :
« 1er état : trois énormes tableaux au commencement du spectacle. Ils sont praticables et apparaissent d'abord. 2e état : ensuite, pendant l'évolution de la composition, d'autres font apparition sur des transparents qui sont d'abord des fondus représentant des plans de maisons des quartiers de Paris vus d'avion et ensuite apparaissent la Madeleine, la Concorde, le Sacré-Cœur et la Seine. Autre fondu représentant les statues de Paris, la Danse [de Carpeaux] au milieu. 3e Puis trois énormes tableaux. Le Baiser de Paris. Les gigantesques têtes s'embrassant qui laissent apparaître graduellement le 1 au 4 illuminé. Paris dansant. La danse des statues ; dans la pénombre, les monuments dorment entourés d'étoiles, et le réveil ensuite dans une lumière rose et bleue et verte ensuite se termine par un arc en ciel ».
454 Romy Golan, « Sous le signe de l'évasion : la représentation de Paris dans les années 20 », in Jean Clair, Métropoles des années 20, p. 367-375.
455 Marc Chagall, Ma vie. Chagall a vécu à Paris entre 1910 et 1914 (à partir de 1912, dans l'atelier de La Ruche, 2 passage Dantzig). Il retourne en Russie en 1914, ne peut repartir et y reste jusqu'à 1922. Il quitte l'URSS d'abord pour Berlin, puis revient à Paris en 1924. Malgré ses demandes, il ne sera naturalisé français qu'en 1937. Il quitte la France pour New-York en 1941. Il revient en France en 1947.
« A Paris, dit-il, il me semblait tout découvrir, surtout l'art du métier [...] » (p. 141). « Paris ! Il n'y avait pas un mot qui fût plus doux pour moi [...]. J'ai abandonné mon ghetto et [...] ici, dans « La Ruche », à Paris, en France, en Europe, je suis un homme » (p. 149) ». [...] Et mes jours se traînent sur la place de la Concorde, ou près du jardin du Luxembourg. Je regarde Danton et Watteau, j'arrache des feuilles. Oh ! si je réussissais, à cheval sur la chimère en pierre de Notre-Dame, avec mes bras et mes jambes, à tracer mon chemin dans le ciel ! Le voilà ! Paris, tu es mon second Vitebsk ! ». (p. 161).
456 Lionello Venturi Marc Chagall, p. 38-39.
457 Chagall n'a pas retrouvé un certain nombre de ses toiles à son retour en France. Il en a repeint certaines.
458 P. Schneider, op. cit., p. 103.
459 Raoul Dufy (1877-1953) est un normand venu à Paris étudier les Beaux-Arts ; il s'est beaucoup intéressé aux Arts Décoratifs. On connaît sa Fée Electricité de 1937.
460 Yatarô Noguchi (1899-1976) vécut à Paris entre 1929 et 1933. Il fit partie d'un groupe de peintre Japonais, « l'Association 1930 » qui se voulait uni par l'amitié, le respect et l'art.
Remarquons cependant que, au travers du catalogue, l'intérêt des peintres japonais semble plus grand pour Notre-Dame que pour la Tour Eiffel.
461 Article de Louis Cheronnet, intitulé « Métal », paru dans Ce Temps-ci, le numéro 8 des Cahiers d'Art Contemporain, avril 1931, avec des photos de Sougez et Marc Réal.
462 . Germaine Krull est née en 1897 à Wilda-Poznan (Pologne) de parents allemands. Elle s'installe à Paris en 1924, expose avec Man Ray, Kertesz, Eli Lotar et Berenice Abbott en 1925, puis au Salon d'Automne sur le thème Fer en 1926, puis à l'exposition Film und Foto de Stuttgart en 1929.
463 Henri Lacheroy (1884-1960) avait été photographe attitré aux Usines Michelin à Clermont-Ferrand et était devenu professeur à l'école de photographie de la rue de Vaugirard.
464 Le Groupe des XV proprement dit naît en 1946 ; mais il est précédé d'une association, le Rectangle dont font partie Sougez, directeur du service photographique de l'Illustration, René Servant, Pierre Adam, et qui vise à mettre en valeur la photographie française des années 30.
465 Danièle Sallenave, Introduction de André Kertesz.
466 Ilse Bing est arrivée de Francfort à Paris en novembre 1930. Elle a longtemps vécu à Montparnasse. Dans un entretien en 1987 elle déclare : « A Paris, je suis vraiment devenue moi-même. Jusque-là, j'étais comme le poussin dans son œuf [...] ».
467 Ilse Bing, Paris 1931-1952, Musée Carnavalet, 1er décembre 1987 - 31 janvier 1988, p. 98.
468 Ibid., p. 98.
469 Une exposition de certaines de ces cartes postales s'est tenue à la Tour Eiffel en 1995.
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