Chapitre III. Le grand Paris
p. 75-108
Texte intégral
1. UNE AGGLOMERATION DE SIX MILLIONS D'HABITANTS
1En un siècle, de 1835 à 1936 l'agglomération parisienne a vu sa population passer de un million d'habitants à six millions (ou sept selon les estimations). Des millions de provinciaux et d'étrangers viennent vivre et travailler à Paris, dans la banlieue parisienne, dans ce que l'on nomme de plus en plus souvent le « Grand Paris »1, « le plus Grand Paris ». Chacune de ces expressions revêt un sens spécifique : « le plus grand Paris » - à l'image du « Grand Londres », du « Grand Berlin » -renvoie aux problèmes administratifs et politiques, à la dimension nationale que revêtent les questions d'administration de la région de Paris2. On dit aussi le « Paris Nouveau » quand on veut souligner la nécessité de s'adapter à une croissance urbaine nouvelle, moderne3. André Morizet, sénateur de la Seine, maire de Boulogne, constate le phénomène : « Le Paris de César Birotteau, limité par les boulevards de Louis XIV, est mort. Celui d'Haussmann enclos dans l'enceinte de Thiers également. Un autre, qu'on baptise tantôt le « Grand Paris », tantôt « l'agglomération parisienne » les a tous les deux absorbés »4.
2A partir de 1919, et entre 1919 et 19305, on démolit les fortifications de Thiers. L'agglomération va se dessiner comme un espace ouvert, un laboratoire de projets, un champ d'interventions possibles.
3Administrativement, l'agglomération se limite au département de la Seine mais elle tend à le déborder. La loi du 14 mai 1932 enregistrera cette évolution. La région économique et sociale de Paris, l'agglomération, comme l'explique André Morizet, comprend « parmi ses ressortissants tous ceux qui participent quotidiennement à la vie économique et sociale de la capitale, et la loi récente sur l'aménagement de la région parisienne englobe dans la « région » tout ce qu'entoure une circonférence de 35 km de rayon »6.
4On passe ici d'une définition économique à une définition juridique. Albert Guérard professeur à la Faculté de Lettres de l'Université Stanford et expert en urbanisme, élargit le champ de l'agglomération et écrit dans L'avenir de Paris : « Paris, c'est l'ensemble de ceux qui vivent de sa vie : c'est-à-dire qu'il comprend toute sa banlieue industrielle, maraîchère et résidentielle... Partout où l'on trouve une proportion notable d'habitants qui travaillent à Paris, achètent à Paris, s'amusent à Paris, on est toujours à Paris »7.
5La notion d'agglomération englobe et fait une unité de « Paris et sa banlieue ». La définition de l'agglomération parisienne, la question de ses dimensions, de sa « mesure » n'est pas sans poser de problèmes aux géographes, administrateurs et urbanistes car elle devient le cadre de pensée à partir duquel on va pouvoir réfléchir un véritable aménagement de la « région » parisienne8. L'étude de référence, à cet égard, est celle menée en 1909 par Paul Meuriot qui dégageait deux méthodes de mesures des agglomérations, l'une comprenant dans l'agglomération la population d'un périmètre dans un rayon donné, l'autre consistant à « ne pas délimiter à l'avance la sphère de l'agglomération, mais à y agréger les localités voisines à mesure qu'elles atteindraient un chiffre de population à déterminer »9. Ce chiffre de population est le plus souvent, de 2 000 habitants par exemple dans l'Annuaire statistique de la Ville de Paris10. Dans l'entre-deux-guerres, la définition de l'agglomération prend de plus en plus pour référence la distance que le Parisien peut parcourir en utilisant dans une journée de travail les transports en commun.
6L'essor de l'agglomération parisienne doit être pensé dans le mouvement d'ensemble de l'urbanisation française. La guerre a provoqué un bouleversement dans les équilibres traditionnels de la société française. La France s'est modernisée, la région parisienne est devenue la première région industrielle française. De nombreux provinciaux qui avaient été mobilisés par la loi Mourer, et qui étaient venus travailler dans la région parisienne ne repartent pas dans leur province d'origine11. A la fin de la guerre de 1914, la reconstruction, la reconversion des industries nécessitent un important besoin de main d'œuvre. L'exode des campagnes se poursuit. La France, faible sur le plan démographique fait aussi appel à la main d'œuvre étrangère. Paris va représenter pour beaucoup d'étrangers un lieu d'ascension sociale, de vie intellectuelle, un refuge contre les totalitarismes12.
7Pour la première fois dans l'histoire de la France la population urbaine dépasse, au recensement de 1931, la population rurale. Cette mutation est considérable.
8Paris y joue un rôle nouveau. Les contemporains sont frappés par le « nombre de Paris ». « Le NOMBRE de PARIS occupe, obsède, assiège mon esprit », écrit Paul Valéry dans Regards sur le monde actuel13. Quant à Le Corbusier, il propose le Plan Voisin, « Plan pour une ville de trois millions d'habitants » qui n'est autre que Paris, à l'Exposition des Arts Décoratifs de 1925. Les projets de « Ville Radieuse » élaborés par Le Corbusier à partir de 1931 visent à loger dans Paris intra-muros 8 millions d'habitants... L'agglomération parisienne rassemble plus du quart de la population urbaine française14. Si 3 308 807 habitants résidaient dans le département de la Seine en 1896, on en compte 4 441 691 en 1921, 4 933 855 en 1931 et 4 962 907 en 1936 après que la crise de 1931 eut ralenti l'essor de l'agglomération parisienne. Au xixe siècle, c'est Paris surtout qui attirait les provinciaux. « Depuis la guerre de 1914-1918 », comme le souligne le géographe Albert Demangeon dans l'ouvrage Paris, la ville et sa banlieue, publié en 1931 « c'est la banlieue qui commande l'évolution urbaine et l'évolution démographique de Paris »15. De véritables « villes-champignons » poussent en banlieue16. Le « Grand Paris » les accueille.
9Paris « intra-muros » continue sa progession jusqu'en 1921, mais de façon beaucoup moins spectaculaire que pendant le xixe siècle. Il plafonne aux alentours de 1931 avec 2 891 020 habitants.
1. 1. Une ville tentaculaire
10L'évolution et la croissance de Paris sont représentées de façon contradictoire : pour les uns Paris est une ville « tentaculaire » qui « dévore » ses environs et qui finalement pourrait même devenir menaçante pour elle-même et pour la France ; pour les autres, Paris est lui même conquis, voire menacé par ceux qui trop massivement viennent le peupler et risquent d'en faire une ville pathologique, inhumaine, en la dépouillant de ce qui faisait son caractère, son esprit. Le caractère gigantesque de l'agglomération suscite le malaise ou au contraire l'adhésion, une volonté de s'adapter aux exigences nouvelles.
11Cette image tentaculaire de l'agglomération parisienne que l'on compare quelquefois à un « poulpe », ou à des « doigts de gants » correspond parfaitement au schéma que réalisera Henri Chombard de Lauwe dans l'ouvrage Paris et l'agglomération parisienne (1952). On y voit la population se disposer de façon préférentielle dans les banlieues ferroviaires à des distances de 20 à 35 km du centre de Paris19, donnant à la répartition de la population cette allure.
12Au xixe siècle, on parlait couramment des grandes villes d'Europe comme de monstres, tentaculaires... Maxime du Camp par exemple, fait de la France un être « hydrocéphale », chez qui « la tête n'est plus en proportion avec le corps »20. Dans l'histoire qu'il a consacrée à Paris, Bernard Marchand étudie l'image de Paris comme ville tentaculaire. Cette image qui, dit-il, date d'un siècle et demi se situe selon lui au carrefour de deux traditions, celle du christianisme de gauche qui, au nom de la solidarité « s'émeut des inégalités entre les régions », et celle plus conservatrice qui insiste sur « 1 excès de liberté qu'offre la grande ville »21. Nous allons ici essayer de cerner plus précisément le sens que prend dans l'entre-deux-guerres l'expression « ville tentaculaire ».
13Les géographes comme les urbanistes utilisent volontiers l'image de la ville « tentaculaire » pour décrire la croissance de Paris au-delà de ses enceintes successives22. Albert Demangeon parle de Paris comme « d'une ville envahissante, tentaculaire, douée d'une force d'expansion que sa croissance gigantesque ne paraît pas avoir épuisée »23. « Paris [dit-il] a pompé les provinces ». Sa croissance s'est opérée par un « déferlement continu de la population au-delà des murailles et au-delà des faubourgs »24. Les guides touristiques de l'entre-deux-guerres reprennent, dans leurs notices géographiques, cette métaphore menaçante. Dans l'édition 1929 du Guide Bleu, on peut lire que « La capitale ronge Boulogne, Issy, Vanves, Malakoff, Gentilly comme elle dévora successivement les faubourgs immédiats puis Chaillot, Montmartre, Passy ou Charonne... »25. La ville « tentaculaire » se prolonge de plus en plus loin, de façon « pathologique » et lance même ses tentacules, plus loin que Paris : ainsi le Guide Bleu daté de 1937 rédige cette note sur le « Paris d'aujourd'hui » qui prolonge la vision donnée en 1929 :
« La ville déborde... La « ville tentaculaire » s'étend aujourd'hui jusqu'aux cités ouvrières des Lilas ou de Drancy, elle a son aéroport au Bourget, son imposante centrale électrique et son port enfin moderne à Gennevilliers... Aux vacances, les trains bondés prolongent ses routes jusqu'à la mer où les citadins envahissent les plages les plus proches »26.
14Les registres du vocabulaire utilisé renvoient à des idées de trop-plein, de pathologie toutes menaçantes...
15Les urbanistes du courant culturaliste utilisent couramment la métaphore de la ville-pieuvre27. Léon Jaussely, membre de la Société Française des Urbanistes commente l'extension de Paris dans la revue la Vie Urbaine :
« Entre l'extrême limite de la région économique sur laquelle, tel un corps de pieuvre, Paris étend ses tentacules, d'un côté en aspirant les ressources, mais de l'autre lui apportant la richesse, et le Paris enserré dans ses fortifications, il existe une zone moyenne qui vit et procède complètement de la capitale, qui lui donne et lui doit tout, qui est la capitale même. Pour une organisation sûre de ce qu'est Paris aujourd'hui, il est indispensable de connaître ses limites »28.
16Le vocabulaire est quelquefois emprunté à la biologie, renvoyant à une image de la ville comme organisme vivant, fréquente dans le courant culturaliste : Albert Guérard analyse la croissance parisienne dans un langage tumoral. Parisien d'origine, cet universitaire qui vit aux États-Unis sait ce qu'évoque pour les Français l'idée d'une croissance cancéreuse de la ville ; il parle des « colonies de la ville tentaculaire », dépendantes mais éloignées de la ville-mère dessinant un schéma qu'il oppose à celui de la croissance annulaire et concentrique de la ville : (Paris), nous dit-il,
« projetait autrefois des tentacules le long des routes : aujourd'hui il les lance plus loin encore sous la forme de voies ferrées, avec des nodules ou des ganglions qui sont les gares... La Ville a des colonies encore plus lointaines : l'Université va jusqu'à Roscoff, Banyuls et Nice... Rouen et le Havre aiment à répéter après Napoléon qu'ils forment avec Paris une seule ville... »29.
17Les Français de l'entre-deux-guerres comparaient volontiers la croissance des grandes villes européennes à celle des villes américaines. En 1930, Georges Duhamel écrivit un ouvrage retentissant, Scènes de la vie future30 ; les États-Unis étaient pour lui une préfiguration de notre avenir. Il évoquait Chicago sous une forme effrayante et maladive : « Chicago ! La ville tumeur ! La ville cancer ! Déjà trop étroite, étouffée par sa force même. Elle date de quelques décades, elle souffre autant déjà qu'une ville multiséculaire »31.
18Georges Duhamel argumentait en sens inverse de l'universitaire allemand E.-R. Curtius qui considérait le développement urbain comme un progrès de la civilisation ; Georges Duhamel mettait lui en garde contre l'anéantissement par la technique de la civilisation spirituelle.
19Les administrateurs du Paris Nouveau, maires de banlieue, Président du Conseil Municipal, Président du Conseil Général de la Seine partageaient dans l'ensemble cette vision du « Paris tentaculaire ». André Morizet place même en exergue de son chapitre « Maintenant... la Région Parisienne » une strophe des Villes Tentaculaires de Emile Verhaeren32. Le Président du Conseil Municipal de Paris dans un rapport sur l'état démographique et la « stérilité » du Département de la Seine en 1931 affirme que la Seine serait « vide d'habitants » si « la ville tentaculaire ne provoquait pas un afflux continu d'immigrants »33.
1. 2. Une ville qui dévore ses environs
20Dans cette optique, Paris effectue sa croissance aux dépens de la campagne et plus largement de la France. Le Président du Conseil Général de la Seine, Georges Delavenne affirme dans le recueil Vers un Paris Nouveau que « les Villes gagnent sur les campagnes à une vitesse telle qu'il faut à tout prix chercher à les défendre contre le danger qu'elles sont à elles-mêmes »34. Henri Puget, rapporteur du Comité supérieur d'aménagement de la Région Parisienne35 note que « les chemins de fer opèrent comme des aspirateurs qui vident les campagnes »36. Le journal La Région Parisienne, animé par le « Redressement français », groupement de patrons, industriels et intellectuels proches de la droite parlementaire et de Tardieu, en tirait comme conséquence la nécessité de limiter l'expansion de la Région Parisienne, de freiner l'exode rural ; il mettait en garde : « Conçoit-on cette formidable région parisienne ayant happé les 2/3 de la population française, heureuse et pleine de vie, au milieu d'une campagne déserte... Rien ne désigne Lutèce et ses Environs pour absorber la France »37.
21Cette représentation de la ville absorbant progressivement la campagne est manifeste dans le Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline38. Le village de Vigny-sur-Seine, par exemple « se présente entre deux écluses ; entre ses deux coteaux dépouillés de verdure, c'est un village qui mue dans sa banlieue. Paris va le prendre. Il perd un jardin par mois... »39.
22Au début du xixe siècle la banlieue de Paris est encore en grande partie associée à la campagne ; plus on avance dans le siècle plus l'image de la banlieue devient noire, industrielle, boueuse. Les habitants qui ne trouvent pas à Paris-même des conditions de logement satisfaisantes, soit parce que les loyers dans Paris sont trop élevés40, soit parce qu'ils recherchent un coin de campagne partent vivre en banlieue41. Les effets de l'haussmannisation de Paris et ceux de l'hygiénisme des classes moyennes se retrouvent donc dans ces départs vers la banlieue des Parisiens. Dans cette perspective la banlieue apparaît comme un rêve pour le Parisien qui fuit la « fournaise » de la grande ville. Michelle Perrot a même défendu l'idée d'un transfert des aspirations ouvrières : après s'être appropriés le centre de Paris au xixe siècle, les ouvriers aspirent au xxe siècle au petit pavillonnaire banlieusard42. Cependant ces propos doivent être nuancés : dans sa thèse Paris, La Ville (1852-1870) Jeanne Gaillard43 a mis en évidence les résistances des populations laborieuses à quitter le centre des villes.
23Le lotissement de banlieue, qui pourtant occasionne beaucoup de problèmes et de difficultés de vie à ses occupants (on parlera de 1'« enfer » des lotissements44) devient un espoir pour le Parisien déçu de la vie urbaine. Le Parisien se transforme en « banlieusard » et inaugure cette ère de dissociation entre le lieu d'emploi et le lieu de résidence. Dans le Bulletin de la Statistique générale de la France, Henri Bunle commente cette mutation qui a radicalement transformé la capitale : la ville des piétons se transforme en une agglomération dont l'influence se fait sentir dans un rayon de 40 à 45 km et où s'organisent et se développent des transports en commun :
« En même temps que les moyens de transport étaient développés, la durée journalière du travail a été réduite ; la propriété familiale a été rendue plus accessible ; le séjour des villes devenait physiquement ou moralement plus pénible à certaines parties de la population ; et la crise des habitations ou des logements se faisait plus ou moins lourdement sentir en différents points »45.
24Les lotissements de la banlieue sont l'illustration de ce rêve déçu des citadins qui « se sont laissés prendre aux sortilèges de la campagne »... et qui finissent par « patauger indéfiniment dans la boue »46. Dans le Voyage au bout de la nuit, les Henrouille ont « passé à travers la vie rien que pour avoir une maison... Quand ils avaient emménagé dans leur pavillon, jeunes mariés, avec déjà leurs dix ans d'économies chacun, il n'était pas tout à fait terminé. Il était encore situé au milieu des champs le pavillon. Pour y parvenir l'hiver, fallait prendre ses sabots »47.
25Le sens même du mot banlieue évolue comme l'a montré le linguiste Alain Rey. Jusqu'à 1920 la banlieue évoque « une idée rurale et champêtre »48. Le xxe siècle va de plus en plus associer « banlieue » à « lieu banal, lieu banni ».
26Il faut mettre en évidence l'ambivalence de la plupart des propos dont Paris est l'objet dans l'entre-deux-guerres : ils renvoient tous à une sorte d'admiration pour la force et la puissance parisienne qu'ils ne remettent pas en cause mais impliquent une vision d'un développement pathologique, l'idée que la croissance urbaine s'effectue aux dépens des campagnes, du pays et de la ville elle-même. Ils débouchent donc sur une critique de la centralisation parisienne essentiellement dans le secteur de l'économie. Le contenu de la critique diffère entre la droite et la gauche, entre les partisans de la modernité et ceux du conservatisme. En 1945 Jean-François Gravier continue de dénoncer « Paris et le désert français ». « Paris est une ville qui dévore son environnement immédiat et les ressources nationales »49.
1. 3. Une ville au développement pathologique
27Cette ville au développement monstrueux suscite chez ses habitants de véritables pathologies : Paris a transféré sur la banlieue les maladies liées au surpeuplement en particulier la tuberculose qui exerce ses ravages dans l'est de la capitale, dans les arrondissements les plus pauvres et désormais aussi en banlieue. Les contemporains préoccupés d'hygiène urbaine mettent en évidence les déséquilibres parisiens : la capitale est partagée en véritables « classes d'arrondissements » ; ils relèvent également sur les cartes de la région parisienne les liens évidents entre surpeuplement et mortalité. Le docteur Ichok analyse la situation sanitaire du département de la Seine, à l'aide de méthodes d'investigation déjà utilisées par J. Bertillon (De la mortalité et de l'aisance. De la Fréquence des principales causes de décès selon le degré d'aisance, 1907). La conclusion est que Paris se sépare en quatre classes d'arrondissements (« opulents », « aisés », « pauvres » et « miséreux »). Les arrondissements les plus pauvres sont ceux où sévissent la mortalité et la tuberculose. Ils se situent dans l'est parisien, principalement dans le 20e, le 13e, le 19e. Ichok note d'ailleurs que la progression du chômage n'a pas une très forte incidence sur ces statistiques.
« [...] Si l'on regarde la carte de Paris, on remarque que la première classe (les arrondissements XVI et VIII) constituent l'Extrême-Ouest de Paris, que la dernière classe (les arrondissements XIX, XX et XIII), avec deux arrondissements de l'avant-dernière classe (le XIe et le XIIIe) forment l'Est parisien, et que les autres classes d'arrondissement sont plus ou moins aisés, ou plus ou moins pauvres, selon qu'elles sont plus ou moins rapprochées de la première ou de la dernière classe. On peut donc dire, d'une manière générale, que l'aisance des arrondissements parisiens diminue ou que la pauvreté augment à mesure que l'on avant de l'ouest à l'est »50.
28Henri Sellier constate que les problèmes sont identiques dans les 13e, 19e, 20e et 11e arrondissements, et à Arcueil, Villejuif, Kremlin-Bicêtre, Bonneuil, Antony, Gennevilliers, Clichy, Saint-Ouen, Saint-Denis ou Aubervilliers51. Il y a bien diffusion et transfert des pathologies. C'est ce que nous montre Céline avec le personnage de Bardamu en médecin d'un dispensaire de banlieue pour tuberculeux.
29Vecteur de la tuberculose, la Grande ville est de plus à l'origine de maladies modernes. Les psychologues et les médecins réfléchissent au Congrès du Paris Nouveau sur les problèmes du « stress »52... Au Congrès du Paris Nouveau, en 1930, plusieurs médecins s'expriment, quelquefois de façon contradictoire sur les problèmes d'hygiène mentale dans les grandes villes telles que Paris. Le docteur Maurice de Fleury, par exemple, estime que le « citoyen de Paris [qui] comme on dit n'a pas une minute à lui, pour peu qu'il ait de la sobriété, vit pour le moins aussi longtemps et aussi bien que le petit rentier de village dont les occupations se bornent à faire sa manille au café du commerce et à s'aller voir passer le train de trois heures cinquante-sept. »53.
30Le docteur Gil Roblin exprime un point de vue opposé et dénonce les « poisons de Paris », expliquant qu'il a « vu trop de malades à qui, lorsqu'ils me demandaient : « Pourquoi ? quelles sont les raisons de mes troubles ? » la vérité scientifique m'obligeait à répondre : Paris. Le remède ? Il eut fallu fuir. »
31Il faut insister sur la place prise par les maladies modernes telles que le stress aux côtés des grands maladies particulièrement répandues dans les quartiers pauvres.
32L'ensemble de ces réflexions révèlent une prise de conscience de la modification fondamentale des équilibres entre le monde urbain et le monde rural. On commence à prendre réellement la mesure du phénomène dans un débat contradictoire, qui au refus traditionnel de la ville va ajouter des arguments pour l'adaptation ou le refus de la modernité. Les politiques reprennent ces questions en termes de contrôle, d'aménagement, de rationalisation, de mise en ordre.
33L'image de Paris se révèle contradictoire : la représentation d'une ville tentaculaire, pathologique coexiste avec celle d'une métropole qui attire à elle les populations de la France et du Monde.
2. PARIS ET LES PROVINCES
34Cette immense agglomération, cette ville que l'on peut présenter comme un monstre qui dévore ceux qui viennent l'habiter conduit de façon concomitante vers elle et en continu, des immigrants, provinciaux et étrangers. Les Résultats statistiques du recensement de la population font apparaître en 1931 que près d'un habitant de Paris sur deux est né dans un autre département que le département de la Seine et que 275 743 étrangers vivent à Paris (ils sont 464 601 dans le département de la Seine).
35Tableau 4 : Répartition des lieux de naissance des parisiens en 1931
36La répartition des lieux de naissance54 des habitants de Paris en 1931 montre que :
* 1 050 364 habitants sont nés dans le département
* 1 354 551 habitants sont nés dans un autre département
* 329 980 habitants sont nés hors de France
* 55 409 habitants sont nés dans un lieu non déclaré.
Parmi lesquels on compte :
* 8 079 étrangers nés dans le département
* 2 679 étrangers nés dans un autre département
* 254 746 étrangers nés hors de France
* 10 239 étrangers nés dans un lieu non déclaré
37[275 743 étrangers à Paris et 464 601 étrangers dans le département de la Seine].
38Albert Demangeon souligne que « La majorité des Parisiens remonte directement à une origine provinciale ». Le mouvement s'est intensifié au xixe siècle. Les provinciaux se retrouvent à Paris. Les plus nombreux sont les Auvergnats puis viennent les Bretons, les Bourguignons... L'immigration la plus récente est celle des Bretons qui est véritablement un phénomène du xxe siècle. Ces migrants sont forcément attirés vers Paris, mais nous ignorons quelle représentation ils se font de la capitale. Comment les provinciaux se représentent-ils Paris ? Quelle image le provincial à Paris se fait-il de Paris, et de Paris vis-à-vis de sa province d'origine ? Quelle est la représentation de la relation « Paris-province », vue de Paris, vue de la province55 ?
2. 1. Les attraits de Paris
39Les récits de vie de provinciaux immigrés à Paris dans les années 20 révèlent en premier lieu la volonté qu'a le provincial de partir de « là où il est (campagne, village, petite ville, emploi et parfois famille) ». Isabelle Bertaux-Wiame commente le récit que fait l'ancien provincial des raisons qui l'ont conduit à Paris et exprime sa surprise devant la faiblesse de l'image des attraits parisiens pour le provincial56. Les études menées par Françoise Cribier et Catherine Rhein sur les circonstances et les raisons de la venue à Paris d'un échantillon de 200 provinciaux nés vers 1907 montrent que la grande majorité des provinciaux de Paris y sont
« montés en suivant des parents qui venaient chercher du travail ou en cherchant eux-mêmes. Les migrations vers Paris sont principalement liées au travail. Entre 1906 et 1926 le nombre total d'emplois dans le département de la Seine est passé de 2,2 millions à 2,6 millions. Entre ces mêmes dates l'emploi industriel croît de 24 %, les emplois tertiaires (commerciaux, bancaires, services publics et professions libérales) de 34 %, les effectifs des domestiques diminuent de 5 % »57.
40Si le travail représente la motivation essentielle de la migration vers Paris, cela n'infirme pas pour autant l'idée d'une image globale de la capitale pour le provincial.
41Les salaires parisiens sont plus élevés que ceux de la province. Paris apparaît aux provinciaux et aux étrangers comme une ville où la réussite professionnelle est possible, une ville d'ascension sociale58. La spécialisation des professions occupées par les provinciaux coïncide encore, en grande partie avec la division des provinces59. On peut observer une ascension de chaque province par filière professionnelle depuis le xixe siècle.
42La réussite la plus spectaculaire est probablement celle des Auvergnats. Nombreux sont les témoignages sur l'ascension et le prestige des Auvergnats de Paris. Le président de la République, Paul Doumer était auvergnat. Son père « curait les fossés », rapporte Janet Flanner dans sa chronique60. Aurillac est bouleversé par sa mort. Le géographe Georges Meynier résume le phénomène dans sa Géographie du Massif Central : « Les Auvergnats de 1931 constataient avec quelque fierté que Président de la République, Président du Conseil des Ministres, Président du Conseil Municipal et Archevêque de Paris simultanément étaient des leurs »61.
43Le patron de la brasserie Lipp est lui aussi auvergnat. Etre auvergnat finit par conférer une certaine autorité...62.
44Dans la biographie qu'il a consacrée à Pierre Laval, Fred Kupferman dresse le portrait de Laval, futur Président du Conseil, en Auvergnat. Par exemple en avril 1914, Pierre Laval trouve une audience auprès des Auvergnats de Rosny-sous-Bois en leur déclarant dans une réunion électorale : « J'ai une tare, je suis Auvergnat »63. Il est alors ovationné.
45Françoise Raison-Jourde a étudié dans la Colonie Auvergnate de Paris64, les modes d'insertion des migrants auvergnats depuis le xixe siècle non seulement dans la colonie auvergnate de Paris mais aussi dans la société parisienne du moment. Elle met en valeur la réussite des Auvergnats dans certaines filières professionnelles. Au xixe siècle beaucoup d'Auvergnats exerçaient les métiers des petits commerces itinérants, puis on les trouve dans les commerces d'alimentation, vins, charbon, acquérant des « fonds » de commerce... Leur réussite est manifeste dans de nombreux secteurs dont celui de la politique, des professions libérales mais on peut remarquer leur absence des carrières de la grande industrie, de la banque, des spéculations financières. En effet leur principale valeur est la terre. Ils ont une vision paysanne du monde. Ils sont très attachés à la « propriété à arrondir ». Leurs valeurs (différentes de celles des Bretons ou des Savoyards) sont « la sobriété, le respect des traditions, le bonheur familial, l'héroïsme des choses humbles ». Leur motivation principale est le retour au pays. La ville n'est pour l'Auvergnat qu'un lieu de passage, non un lieu d'enracinement. Dans son livre Les Parisiens, Louis Chevalier a comparé les tempéraments respectifs de ces provinciaux :
« Les Auvergnats de Paris sont toujours et profondément des paysans exilés, mais d'un exil provisoire, lucide, volontaire, calculé. C'est la terre qui les intéresse. Elle est leur principale valeur, leur principal placement. Avec leurs bénéfices parisiens arrachés sou par sou, ils arrondissent la propriété où ils se retireront un jour, pas trop tard, fortune faite en ce maudit Paris. La fidélité au pays est une incitation à la réussite et un moyen de réussite aussi »65.
46Les Bretons se comportent différemment : ils rentrent chez eux dès qu'il leur est « possible de trouver du travail dût le salaire être moins élevé qu'à Paris »66.
47Au bout de deux ou même trois générations l'Auvergnat de Paris continue à se dire Auvergnat. A Paris, dans les réseaux de la colonie, au travers des journaux comme L'Auvergnat de Paris, il développe l'esprit de sa province. Curieusement il va s'identifier à l'image que le Parisien se fait de l'Auvergne en particulier de sa géographie et de ses contours ; le journal L'Auvergnat de Paris écrit en janvier 1933 : « Les Parisiens appelaient Auvergnats nos voisins du Velay, de la Lozère, de l'Aveyron. Très bien. On les a pris au mot et la Ligue Auvergnate a englobé les originaires des sept départements... Louis Bonnet...a refait la confédération arverne de Vercingétorix »
48et F. Raison-Jourde de conclure « désormais, c'est Paris qui fait le lien et l'unité d'un Massif central où les forces centrifuges l'emportent sur les facteurs de cohésion »67.
49Pourtant s'il se revendique comme Auvergnat à Paris, où cela représente pour lui une force, une fierté, une identité, une aide, en Auvergne il sera le « Parisien » et cherchera à se montrer comme tel. Ils bénéficient pour cela des structures d'accueil de la colonie à Paris, très présente dans le 11e arrondissement (mais tout de même plus dispersée qu'on ne le dit...). Les Parisiens, qui ne sont pourtant bien souvent eux-mêmes que des provinciaux d'origine, développent vis-à-vis des Auvergnats quelques manifestations de rejet, voire d'hostilité : on dira d'eux qu'ils sont une « franc-maçonnerie », un « ghetto », un « monde fermé vivant à part »... Le provincial invite ici à la comparaison avec l'étranger immigré.
50Parmi les autres modèles de réussite on compte celui de l'intellectuel provincial qui monte à Paris....
« [...] Le père de famille français n'hésitera pas à envoyer du fond de la province son fils ou sa fille étudier à la Sorbonne... [Les jeunes] débarquent dans la capitale, dans la Ville-Lumière, munis d'une invraisemblable valise d'ancien style ou d'une espèce de cabas en tapisserie brodée, tel qu'il serait difficile d'en découvrir en Allemagne dans la campagne la plus reculée [...] »
51observe Robert d'Harcourt, rapportant la description d'une Allemande Marthe Marcquart68. Toutefois, l'analyse des localités de naissance des professeurs de la Faculté de Lettres de Paris et du Collège de France étudiés par Christophe Charle montre que la prédominance des Parisiens d'origine s'estompe à mesure que le système d'enseignement supérieur se renforce en province69.
2. 2. Paris-Provinces
52On peut répertorier trois types d'analyses des relations que la Capitale entretient avec les provinces : Paris d'abord attire puissamment les provinciaux du fait de l'ensemble de ses richesses, charmes, possibilités... Si Paris attire il est présenté aussi comme anéantissant ceux qui viennent à lui, enfin on trouve une troisième analyse qui signale un changement dans les rapports entre Paris et la province : on parle alors de « conquête de Paris par les provinces de France. »
53Paris attire les provinciaux et les domine ; cette analyse était déjà courante au xixe siècle. Elle est sous-jacente dans un certain nombre d'écrits ; la province est traité avec mépris, par exemple dans les Beaux-Quartiers d'Aragon. Elle est politicienne, du côté des briseurs de grève, des idées étriquées, de l'absence de raffinement dans les modes, les goûts... Barbentane a deux fils Edmond et Armand. Chacun d'eux, une fois à Paris laisse transparaître ses origines provinciales70. A l'autre extrémité politique, Robert Brasillach, jeune normalien de la rue d'Ulm, originaire de Bourgogne dépeint les jeunes universitaires en provinciaux fraîchement débarqués : « Nous étions de petits provinciaux ignorants de beaucoup de choses, qui commençaient seulement à aimer Racine »71.
54De nombreux commentaires insistent sur le fait que Paris, tout en restant un creuset qui attire les provinciaux, qui leur permet de se fondre dans la ville, est devenu le lieu de la sociabilité des provinces. De nouveaux liens se sont tissés entre la Capitale et les départements.
55Chaque « colonie » a ses lieux de réunions, ses journaux...72, ses formes de « sociabilité ». Les environs des gares sont particulièrement favorables au rassemblement de ces différentes colonies provinciales. Les Bretons fréquentent les abords de la Gare Montparnasse où « passe le souffle du vent de mer » : « Aux rendez-vous des Bretons », « Aux gars de Morlaix », « Les enseignes des petits cabarets invitent ceux de la marine et les paysans de l'Ouest à vider une bolée de cidre avant de prendre le train »73, affirme Raymond-Laurent, président du Conseil municipal de Paris qui y voit un comportement de résistance des provinciaux vis-à-vis de l'anonymat des villes tentaculaires74. Le thème de la ville-vampire, dévoreuse est battu en brèche par celui de la ville faite de multiples villages : celui des provinces à Paris.
56Dans la chanson de Paris, peut-être en décalage avec la réalité mais très significative de l'imaginaire collectif, on trouve l'ensemble de ces thèmes, celui de Paris comme Terre promise, celui de la ville qui broie ceux qui viennent à elle, enfin celui du retour au pays quand l'on a épuisé les charmes de la Grande Ville.
57L'opérette « Là-haut », créée aux Bouffes-Parisiens en 1923 sur un livret d'Yves Mirande et de Gustave Quinson célèbre :
« Le premier, le seul paradis :
C'est Paris !
Quelle est la terr' que Moïse promit ?
C'est Paris... »75.
58La chanson de Léon Bousquet, « Que fais-tu Paris ? » (1920), interroge les destins du « paysan quittant sa terre croyant trouver plus fort salaire... Du matin au soir dans l'usine devant une lourde machine ».., comme celui de la servante qui se « brûle aux lumières de Paris », celui du fêtard, celui des intellectuels en quête de gloire, qui « crèvent de faim sans gloire »...76. Lucienne Boyer chante dans « Adieu Paris » le retour du fêtard qui se retire en Bretagne, à la campagne, loin des bars... lassé de cette ville à la fois « méchante et charmante » (« Adieu Paris car j'en ai par-dessus la tête »)77...
59Deux provinciaux célèbres de l'entre-deux-guerres nous ont communiqué leurs réflexions sur le rapport « Paris-province » ; Valéry Larbaud, originaire de Vichy, dans Jaune-Blanc-Bleu publié en 1927 montre comment le conflit entre le Parisien et le provincial78 a été réactivé par la grande guerre. Depuis ce moment, le Parisien quand il part en vacances à la campagne s'y comporte en « parigot » qui « parle argot, rouspète à propos de tout, veut se faire remarquer », veut affirmer sa « suprématie de citadin sur ces campagnards »79.
60En 192680, François Mauriac qui est originaire de Bordeaux écrit un essai sur La Province dans lequel il compare, oppose terme à terme Paris et la province. Paris est du côté du Monde, du plaisir, de la liberté, de la culture, de la réussite sociale et professionnelle alors que la province est désertique sans qu'on puisse même y connaître la solitude, sans conversation, sans passion. En province on a même du mal à passer inaperçu alors que la Grande Ville vous permet l'isolement. Toutefois les qualités de la Grande Ville peuvent la rendre invivable (on y est asphyxié, gêné par la circulation...). Si le provincial vient à Paris pour réussir, pour prendre conscience de lui-même, dans cette ville qui, dit Mauriac, « est faite de villes de province » (« Paris vide les provinces »), elle ne réussit pas à tuer « l'amour des provinciaux pour leur province », et Mauriac, comme beaucoup de provinciaux, n'exclut pas de retourner finir ses jours en province, dans une perspective de recueillement81. Entre Paris et la province, les relations dans l'entre-deux-guerres évoluent d'une part parce que, de plus en plus nombreux dans la Grande Ville, les provinciaux la transforment, d'autre part parce que la Grande Ville suscite sa propre critique ; selon F. Mauriac, « La Province commence d'avoir sa propre revanche : toujours plus nombreux sont ceux qu'assomme le vacarme des autobus et des taxis, que le métro asphyxie. Le charme de Paris se dissipe. Jamais nous n'avons tant rêvé de paix et de silence »82.
61La même année 1926, Joseph Delteil, dans les Chats de Paris, roman sur la découverte de Paris par le jeune provincial, Delteil, compare et oppose Paris et la province qui évoque par bien des aspects la Province de François Mauriac :
« [...] Au fond, le Petit Provincial se rend très bien compte que la vie à Paris est comme l'oiseau sur la branche. Les armatures gouvernementale, sociale, familiale, nulle part elles ne sont plus précaires, plus lâches que là [...]. Il songe que l'homme à Paris n'a même pas de maison (la maison, le centre et la racine de la vie en province). [...] Ah l'homme à Paris est bien comme l'oiseau sur la branche.
Comme l'oiseau, prêt au vol. Prêt à chaque instant à cette émigration dans les parages de l'esprit qui allume certains soirs sur Paris une auréole de flamboiements. En province, chacun est planté sur des devoirs bien carrés, chacun est lié par les quatre membres aux quatre chevaux du devoir. Les conditions matérielles de la vie y sont publiques, éclatantes. L'homme est, une fois pour toutes, catalogué, englué dans un intangible système de vie [...]. La tâche prime l'identité. Mais à Paris l'anonymat confère une sorte de spiritualisation [...] »83.
2. 3. Régionalisme
62Dans l'entre-deux-guerres la pensée régionaliste progresse, les provinces obtiennent droit de cité à Paris même et l'on rencontre un certain nombre d'écrits, de proclamations qui expriment l'idée non pas de la Grande Ville dévoreuse de ses environs et de la population des provinces, mais, au contraire suggèrent un mouvement inverse. L'Almanach Hachette de 1932 reproduit une gravure intitulée « La conquête de Paris par les provinces de France »84. Celle-ci représente l'importance comparée des différentes provinces à Paris. L'Auvergne, la Bourgogne et le Nord-Pas-de-Calais l'emportent largement sur l'Ile de France.
63Signe d'une évolution des rapports, on parle de moins en moins du conflit « Paris-province », et l'on préfère réfléchir, discourir sur les relations entre « Paris et les provinces », Paris et les provinciaux.
64Dans un article paru dans les Lieux de Mémoire85, Alain Corbin retrace l'évolution des relations réelles et imaginaires entre Paris et la province du xviie au xxe siècle. Au xviie. siècle, la province suscitait le rire parisien. C'était dans la littérature le lieu du « dépérissement et de la rouille ». Paris devient ensuite Capitale des Lumières, Capitale de la Révolution. La Révolution a redessiné, dit Alain Corbin « le rapport imaginaire qui lie et oppose à la fois Paris et la province ». Paris est « sacralisé », c'est le « berceau de la Liberté ». Au xixe siècle la relation de Paris et de la province se modifie largement : « la capitale transcende les provinces, échappe à l'esprit de la localité... Elle se dessine, dit Alain Corbin, comme le lieu fondateur de l'unité de la France, comme l'espace exclusif de l'expression et de la consécration du national »86. Le séjour parisien devient pour les élites intellectuelles une étape indispensable de la formation. Le spectacle de la capitale, la « vie parisienne » fascinent le provincial qui accourt à Paris, attiré par les Expositions Universelles, le Caf'Conc', les Funérailles de Victor Hugo, le Montmartre des plaisirs. Paris consacre l'importance nationale des débats et « permet même à la province de venir prendre conscience d'elle-même ». Alain Corbin établit une corrélation entre l'impérialisme parisien et la suprématie française : « Le bouleversement véritable du rapport résulte moins de la promotion de la province que de la mise en question du rôle et de la position de la capitale »87.
65Si l'on adopte la distinction que fait Maurice Agulhon88 entre les « étages » du régionalisme (le régionalisme s'exprime à l'étage culturel quand il ne peut accéder à l'étage politique), on peut dire que le régionalisme a progressé à l'étage culturel. Le porte-parole de la Fédération Régionaliste Française, Charles-Brun, inscrivait dans le programme de la Fédération la lutte contre l'exode rural89. Mais sans parler de conquête, il soulignait les progrès du régionalisme culturel à Paris :
« Les provinciaux notoires ne s'appliquent plus à paraître bien assimilés ; ils ne cherchent plus à perdre leur accent, ils revendiquent. Groupés dans d'innombrables associations, réunis dans d'innombrables banquets aux noms évocateurs, car il y a un régionalisme culinaire, ils ont apporté avec eux un bon pot de terre arable et ils s'enracinent »90.
66Charles-Brun parle volontiers de la fin du conflit qui oppose Paris et la province en expliquant leurs intérêts communs et explique alors que Paris ne résume pas la France que « Paris n'est pas toute la France ». Les idées de Charles-Brun recevront une consécration dans la grande Exposition Universelle de 1937 qui témoigne de cette évolution. Charles-Brun y occupera en effet les fonctions de Directeur-adjoint du Centre Régional où sont regroupés les pavillons des Provinces de France91. Le « Livre d'or » de l'Exposition de 193792 est particulièrement explicite quant au rapport entre Paris, la province et les provinces que l'on souhaite donner à voir dans l'Exposition. On peut y lire que sans porter atteinte aux prérogatives de la capitale, au prestige qu'elle confère à toutes manifestations qui s'y déroulent et à l'intérêt national que Paris incarne, les provinces (et non « la province », qui dit-on est une expression dépassée) ont conquis, grâce aux progrès du régionalisme, un droit à l'expression de leur originalité, ce qui ne porte pas préjudice à la France comme on l'aurait cru au début du siècle quand s'exprimait pleinement le mépris pour la province93. L'Exposition de 1937, sans contester la place de Paris, souhaite démontrer que les provinces ont autant que la Capitale le droit de représenter la France. L'équilibre des pouvoirs entre Paris et les provinces s'est ainsi transformé.
3. PARIS ET LES ÉTRANGERS
67Dès avant la Grande Guerre Paris comptait trois fois plus d'étrangers que Londres et Berlin. Après 1918, la France a besoin de main-d'œuvre et la région parisienne est la première région industrielle française. Beaucoup d'étrangers viennent y travailler. A ces raisons économiques, il faut ajouter des motifs politiques et culturels qui expliquent que se développe dans l'entre-deux-guerres à Paris, un « Paris des étrangers ».
68Entre les provinciaux et les étrangers vivant dans la capitale la comparaison s'impose. On peut se demander en effet dans quelle mesure l'image que le provincial se fait de Paris, dont on a vu qu'il l'associait au travail, à l'ascension sociale, à la grande ville dévorante, mais aussi accueillante, présente des ressemblances avec l'image qu'en ont les étrangers. Les regroupements par professions et par quartiers des étrangers font penser à la façon dont s'organise l'immigration provinciale dans la capitale. Mais l'association de Paris et des libertés, l'affirmation que cette ville symbolise les droits de l'homme est nettement plus centrale pour les étrangers. Cependant et de façon paradoxale Paris peut apparaître aux étrangers qui y résident tout à la fois comme un symbole de la France, et des libertés mais aussi dans les années 30, comme une ville xénophobe. De plus, Paris se présente aux étrangers ainsi qu'aux provinciaux comme ville du livre, de la culture, de l'art94.
69Le géographe Georges Mauco dans une étude parue dans la Revue de Paris distinguait d'après leurs activités, trois groupes d'étrangers à Paris, en 1935 :
« 1° Celui des éléments riches (touristes, rentiers) et des artistes et intellectuels dont de nombreux étudiants attirés par le prestige de la capitale, mais sans intention d'y exercer une profession.
2° Celui des éléments ouvriers, travailleurs manuels, fournis surtout par l'ancienne immigration belge et latine auxquels se joignent maintenant des Polonais et des Nord-africains. Ils suppléent souvent la main d'œuvre française dans des travaux pénibles, aussi les trouve-t-on surtout dans la banlieue ouvrière.
3° Celui des éléments que l'on pourrait appeler « affairistes », artisans, négociants, employés, représentants de commerce, banquiers, etc., parmi lesquels dominent les Juifs de toutes nationalités, les Arméniens, les Grecs, Levantins etc. Il faut y ajouter l'apport des réfugiés politiques et intellectuels de toutes nationalités »95.
70Derrière le langage toujours légèrement xénophobe de Georges Mauco, on perçoit la diversité des étrangers de Paris, la pluralité des raisons qui les ont conduit vers la France et sa capitale. La première catégorie citée par Georges Mauco correspond à la population étrangère riche souvent américaine qui vit dans les 8e et 16e arrondissements, dans les grands hôtels parisiens (le Ritz, le Meurice...), où elle côtoie le « Tout Paris » des beaux quartiers dont elle participe, mais aussi l'ensemble des artistes et intellectuels, peintres, chanteurs attirés tout à la fois par le Quartier Latin, la Sorbonne, les quartiers de Montmartre et de Montparnasse (depuis les années 1910).
71La deuxième catégorie est la plus nombreuse96. Elle est constituée de ceux qui sont venus en France pour des motifs économiques. 108 818 étrangers travaillent dans les industries de transformation, l'industrie du vêtement, le bâtiment, la domesticité ; parmi eux beaucoup d'Italiens, de Polonais, mais aussi des Russes, des Belges, des Nord-africains. Un étranger actif sur deux à Paris travaille dans l'industrie, plus de deux sur trois en banlieue. Une partie de cette population d'origine étrangère parvient à accéder à certains métiers du tertiaire97. Dans son livre sur les « étrangers en France » Georges Mauco affirme qu'il s'agit là d'une possibilité d'« ascension sociale » pour les étrangers :
« Paris devient ainsi de plus en plus le creuset où s'opère la montée sociale des étrangers, où ceux-ci se débarrassent le plus aisément de leurs occupations manuelles et se faufilent dans les emplois plus relevés, les moins désertés des Français, et dans les activités non directement productrices, trop souvent au grand dam des Français et presque toujours sans utilité pour l'économie du pays »98.
72Ce sont ces derniers qui seront les plus atteints par les effets de la crise de 1931.
73Ces commerçants représentent une partie de la population visée dans la troisième catégorie à laquelle, étrangement, Georges Mauco joint les réfugiés politiques : Georges Mauco mêle dans sa vision deux populations dont il juge les contours douteux.
74L'autre partie de ce « troisième groupe » est constituée par les réfugiés politiques, très nombreux à Paris dans l'entre-deux-guerres, et issus de différents courants politiques de droite comme de gauche. L'écrivain hongroise Jólan Földes reçut le Grand Prix International du roman en 1936 pour un livre très suggestif à cet égard : La rue du Chat qui pêche ; on y trouvait mis en scène un monde de réfugiés de tous bords et de toutes nationalités qui se retrouvaient vivre dans une rue de Paris. Pour eux Paris était à la fois un refuge, une ville qui leur offrait du travail, une ville qui représentait la France, la possibilité de l'ascension sociale par l'école, mais aussi à certains moments de crise xénophobe comme en 1934 lors de l'assassinat d'Alexandre de Yougoslavie et de Barthou une ville hostile...
« En ce moment [la chose se passe au début des années vingt] la situation politique est favorable à l'industrie hôtelière parisienne. Révolutions triomphantes, révolutions écrasées. Le résultat est toujours le même. Un groupe d'hommes plus ou moins nombreux prend la fuite comme une bande de lapins effrayés. La majorité des lapins, en règle générale se retrouve à Paris. Hier un anarchiste espagnol est arrivé à l'hôtel, aujourd'hui c'est un réfugié grec d'Asie mineure. En Italie aussi, il paraît qu'il se passe quelque chose : dans un hôtel du quai Saint-Michel, tout près, des socialistes italiens viennent de s'installer »99.
75Vivent à Paris en effet des Russes blancs et rouges, des Juifs qui fuient les pogroms de Russie et d'Ukraine, des Italiens antifascistes après 1924, certains affirment avoir effectué leur « marche sur Paris », des Allemands qui fuient le nazisme après 1933, des Arméniens, des Noirs américains.... Autant de nationalités qui composent l'importante population active étrangère française.
3.1. Les attraits de Paris pour les étrangers
76Les étrangers viennent vivre à Paris pour des raisons variées. Ils se regroupent par nationalités dans certains secteurs d'activité, dans certains quartiers, arrondissements ou banlieues ; la place qu'ils occupent dans la hiérarchie sociale détermine certainement dans une large mesure l'image que les étrangers se font de Paris. Nous choisirons quatre exemples afin de tenter d'analyser les motivations du départ vers Paris, la façon dont on travaille et on vit à Paris, l'assimilation des étrangers de Paris en France : les Italiens, les Allemands, les Juifs étrangers, les Noirs américains.
77Les Italiens sont 148 000 dans la région parisienne en 1931, Paris est alors la première ville italienne de France. Leur arrivée dans la région parisienne s'est déroulée en plusieurs vagues, la vague des années 20 étant la plus importante pour des raisons à la fois économiques, psychologiques (les attraits de la Ville-Lumière) et politiques (l'arrivée au pouvoir de Mussolini à partir de 1922)100. A Paris, les Italiens sont beaucoup moins concentrés que dans le sud-est de la France ou en Lorraine. Pierre Milza distingue trois groupes sociaux au sein de cette communauté : un petit groupe dirigeant constitué de représentants du monde des affaires, de personnes exerçant une profession libérale et d'autres relevant de professions artistiques. Le groupe qui est le plus étroitement lié au pays d'origine est celui des représentants des classes moyennes qui travaillent dans le commerce, l'artisanat et qui est propriétaire de petites entreprises du bâtiment. Ce dernier corps de métier est le plus nombreux ; beaucoup sont employés dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. La majorité des immigrés italiens se regroupent dans les arrondissements populaires de l'ouest et de l'est parisiens où ils forment des ensembles compacts dans les 10e, 11e, 12e, 17e, 18e, 19e et 20e arrondissements. En banlieue aussi, ils se rassemblent à Aubervilliers, Saint-Denis, Montreuil, Fontenay-sous-Bois, Nogent, Ivry, Vitry, Boulogne, Levallois-Perret.
78Il faut souligner le rôle de l'immigration politique chez les immigrés italiens à partir de 1926 : Paris devient la « capitale de l'antifascisme » ; environ 10 000 adhérents d'organisations antifascistes s'y retrouvent alors que les fascistes italiens, 3 000 environ, tentent de développer l'« italianisation » de la communauté. Pierre Milza souligne l'importance de l'assimilation des Italiens de Paris : d'une part la politique suivie par le gouvernement français depuis les années 20, l'application de la loi sur les naturalisations de 1927 favorisent l'assimilation des étrangers dits « les plus assimilables », d'autre part les Italiens moins concentrés à Paris que dans d'autres régions y sont moins la cible d'attaques racistes.
79Les Allemands migrent à Paris surtout à partir de l'arrivée au pouvoir d'Hitler. Quel que soit le métier qu'ils exerçaient en Allemagne, à Paris ils eurent à connaître le déclassement, la chasse aux « petits boulots »... Rita Thalmann insiste sur la façon dont ces Allemands se sont acclimatés à Paris, qui est devenu quelquefois pour eux une « seconde patrie » ; certains participaient à de nombreux organismes d'entraide, aux initiatives antinazies des organisations françaises ou se retrouvaient dans des cafés pour lutter contre l'isolement. Ils ont aussi organisé des manifestations en faveur de la liberté, de la culture, de l'expression antinazie. Paris à cet égard représentait un milieu intellectuel relativement favorable. Ainsi, Romain Rolland et Heinrich Mann patronneront une Bibliothèque de la Liberté domiciliée Cité fleurie, 63 Boulevard Arago. En juin 1935 un Congrès de l'« héritage culturel » se tiendra sous la présidence d'André Gide et André Malraux101. Mais cette représentation du Paris des libertés doit être nuancée en rappelant les difficultés nombreuses que connaissaient les Allemands de Paris quand ils se rendaient à la Préfecture de police baptisée par certains « maison des pleurs » ou encore celles de ceux qui n'ont eu d'autre choix que de repartir pour l'Allemagne...
80Les Juifs étrangers de Paris sont arrivés depuis la fin du xixe siècle après chaque vague de persécutions en Russie, en Ukraine, en Europe de l'Est, en Allemagne. Pourtant Paris, pour les Juifs immigrés représentait non seulement la patrie des droits de l'homme mais aussi celle des Juifs français (« heureux, selon l'adage, comme Dieu en France »102). Depuis l'affaire Dreyfus l'image de la France et de Paris était certainement ambivalente ; dans Autobiographie de mon père, P. Pachet traduit ce qu'était probablement Paris et la France pour son père, jeune étudiant juif d'Odessa venu faire ses études de médecine en France.
« Le prestige scientifique et culturel de la France était immense avant la guerre de 1914, le libéralisme de ses mœurs et son hospitalité envers les étrangers étaient célèbres chez nous. Je ne parle pas du renom de canaillerie et de pornographie (« les petites femmes ») qui est attaché universellement à Paris, car je ne suis pas sûr qu'il ait pu parvenir jusqu'à la yeshiva103. Et s'il l'avait fait, ç'avait sans doute été très troublant. Mais Zola dont l'œuvre représente si parfaitement une alliance de crudité érotique et de réalisme « à la française » était aussi le héros de l'affaire Dreyfus ; et ceci contribuait à faire passer cela, sinon à lui donner un prestige immérité »104.
81On aurait pu penser que la communauté des Juifs français souvent assimilés, aurait favorisé leur implantation en France. En réalité on ne peut que constater la coupure entre Juifs français et Juifs immigrés. Il y avait, explique Dominique Schnapper
« deux communautés que tout opposait : d'une part les Israélites d'origine française, appartenant à la haute et à la moyenne bourgeoisie, établis dans l'ouest de la capitale, ne percevaient l'identité juive qu'à travers leur patriotisme issu de la révolution ; de l'autre, les artisans et ouvriers des métiers « juifs », immigrés de fraîche date de l'Europe centrale, installés dans les quartiers ouvriers de l'est de Paris, jugeaient que seule la culture yiddish pouvait être la base d'une communauté juive »105.
82On peut appuyer les propos de Dominique Schnapper par les Mémoires de Léon Poliakov, l'historien de l'antisémitisme, qui explique que les plus riches émigrés allemands qui s'installaient dans les beaux quartiers, avaient baptisé les Champs-Elysées « le Boulevard de l'Assimilation »106. Quant aux immigrés juifs des quartiers populaires du Marais et de l'est, Nancy Green a démontré que Paris est tout à la fois pour eux un centre de travail, en particulier dans le secteur de la mode, de la confection ; un centre culturel, la patrie de Voltaire, de Hugo, de la Révolution.
83Paris apparaît également comme un lieu où l'on peut prendre conscience de son identité juive, où l'on peut participer à des mouvements socialistes et juifs tels que le Bund. Ainsi ce témoignage d'un certain Marc B. cité dans les Mémoires juives réunies par Lucette Valensi et Nathan Wachtel nous apparaît particulièrement significatif en ce qu'il lie le travail obtenu grâce à l'aide des solidarités communautaires et la participation à un groupement juif :
« En 1925, je suis venu à Paris. Comme j'avais de bons camarades qui étaient maroquiniers, j'ai pu tout de suite travailler. Mais dans la même semaine, j'ai noué le contact avec les bundistes qui étaient à Paris. Il y avait un café, 50 me des Francs-Bourgeois, on s'est rassemblé, tous les bundistes, au premier étage et on a créé le club Medem »107.
84Les communistes juifs, tout en prônant la dissolution de l'identité juive dans l'internationalisme prolétarien, se regroupent néanmoins dans la sous-section de langue yiddish du Parti. Les militants juifs du Parti se retrouvent plus particulièrement par le jeu des affinités et de la résidence dans le 4e, le 11e, le 20e au sein des mêmes cellules.
85Paris est aussi dans l'entre-deux-guerres le lieu de rencontre de différents groupes, mouvements de prise de conscience de la négritude au sein du monde noir, issus de communautés hétérogènes, celle des Africains (2 000 à Paris dans les années 20) et celle des Antillais (10 000 environ)108. Dans un contexte dominé par la fin de la grande guerre (des soldats noirs démobilisés se retrouvent à Paris), la présence d'intellectuels antillais et africains, l'engouement parisien pour l'art nègre, les bals nègres, les chansons et les rythmes africains, on voit se créer des revues d'expression noire comme la Revue du Monde noir créée en novembre 1931 à l'initiative d'intellectuels comme l'Antillais René Maran, le Guyanais Félix Eboué qui exaltent les « valeurs de la race », défendent la richesse de la culture noire... Le mouvement noir s'exprime dans diverses tendances depuis la revendication d'assimilation, d'honorabilité jusqu'à l'affirmation résolue des valeurs de la négritude. Certains dans les marges du Parti communiste, tels Lamine Senghor animateur du « Comité de Défense de la race nègre » à partir de 1926, se prononcent pour la dénonciation simultanée de l'exploitation économique et de l'oppression raciste. Le mouvement d'affirmation des valeurs de la négritude trouve des porte-parole comme Léopold Sedar Senghor, ou Aimé Césaire qui portent le débat chez les intellectuels parisiens, à la Sorbonne. Ainsi Paris apparaît à la fois comme lieu porteur d'idéal de fraternité, d'égalité, mais aussi comme le lieu favorable à l'expression identitaire dans ses dimensions politiques et culturelles.
3. 2. Paris-Babel
86Si Paris est un milieu favorable, en raison de ses traditions, de la circulation d'hommes et d'idées qui s'y fait, il faut souligner qu'il est un lieu à la fois accueillant et hostile pour les étrangers, qui n'ignorent pas cette contradiction. Nous allons examiner quelques-uns des comportements parisiens vis-à-vis de l'étranger. Notons en premier lieu le fait que l'opinion est parfois positivement impressionnée mais le plus souvent négativement par le caractère massif de la présence des étrangers à Paris. Innombrables sont les commentaires qui évoquent les immigrés des 18e, 20e arrondissements... Montparnasse est le plus souvent présenté dans son caractère « cosmopolite »...
87Certains milieux ont une tradition d'accueil à l'égard des étrangers, c'est le cas des milieux de la gauche socialiste et communiste, de la Ligue des Droits de l'homme, et aussi de la gauche intellectuelle. On voit par exemple dans les débats du conseil municipal de Paris le communiste André Marty109 s'opposer seul aux mesures xénophobes de protection de la main d'œuvre nationale préconisées par l'ensemble du conseil municipal à Paris, de la droite à la gauche radicale.
88L'Université de Paris favorise la construction de la Cité Internationale pour les étudiants étrangers : elle souhaite ainsi s'inscrire dans une tradition millénaire remontant aux Collèges des Nations de la vieille Sorbonne, qui accueillaient au Moyen Age des étudiants de toute l'Europe110.
89Les milieux du Tout-Paris qui associaient des intellectuels parisiens célèbres autour de Jean Cocteau, Paul Morand, Maurice Sachs, des représentants de la noblesse parisienne, la princesse de Murat, le Comte de Beaumont... étaient très ouverts à leurs semblables des pays anglo-saxons tout particulièrement. Il existe une véritable « Internationale du snobisme »111. Maurice Sachs dépeint avec minutie ces milieux dans La Décade de l'Illusion112. Les chroniqueurs de la « vie de Paris » commentent la vie quotidienne de ces personnages. Janet Flanner évoque en 1927, l'enterrement de Walter Berry, président de la Chambre de Commerce américaine de Paris, « personnalité parisienne pour les Américains, américaine pour les Parisiens ». Ses obsèques furent « l'occasion d'une réunion du Faubourg digne de ce gentilhomme international qui lutta dans une optique patriotique, commerciale et publique, mais toujours mondaine »113.
90Paris, ville de la culture, ville des plaisirs est un remarquable terreau où se développent avec bonheur les modes les plus diverses, exotique, nègre, russe en particulier. Ces modes révèlent une certaine réceptivité parisienne aux mœurs, aux goûts de l'étranger, en même temps qu'elles favorisent l'expression de ces étrangers dans le monde parisien. Dès 1925 la Revue Nègre de Joséphine Baker fait sensation à Paris. A l'automne 1926 la vogue de Joséphine Baker qui donne un spectacle aux Folies Bergères avant de s'exhiber au Casino de Paris, est extraordinaire114. Joséphine Baker déclare en 1929 : « [...] Je suis une Française noire. Et j'aime Paris, j'adore Paris. [...] Votre pays est le seul où l'on puisse vivre tranquillement »115.
91La mode russe, lancée par les spectacles des ballets russes de Diaghilev commence à Paris vers 1909 et dure jusqu'à la mort du danseur en 1929. Outre les spectacles de ballets où dansent Nijinsky, Léonide Massine, Serge Lifar, et qui sont fort prisés par le public parisien, Paris connaît une nouvelle mode vestimentaire lancée par Paul Poiret qui habille les femmes en sauvages ou en barbares...116. Ces modes révèlent une certaine imprégnation de la ville par la culture véhiculée par les étrangers de Paris.
92A l'inverse, Paris peut manifester de l'indifférence à l'égard des étrangers117.
93L'opinion semble dominée par la conscience de l'omniprésence des étrangers. Les qualificatifs de « Babel », de « Cosmopolis » pour désigner Paris abondent. Les œuvres littéraires et cinématographiques révèlent cet environnement spirituel : Ralph Schor relève certains titres comme « A Paris sous l'œil des métèques » de Jean-José Frappa (1926), « Les étrangères à Paris » de Maurice Bedel (1935), « La solitude à Paris » d'Etienne Gril et Arthur Fleischer (1934).
94Droite et extrême-droite s'emparent de ces thèmes pour dénoncer l'envahissement de la capitale par les étrangers, envahissement qui selon elles pourrait devenir une gêne voire un danger pour la population française. Ainsi le conseil municipal de Paris, dans les réunions qu'il tient au sujet du chômage qui sévit dans la capitale depuis la crise, manifeste, toutes tendances politiques confondues, mais avec quelques modulations le souci de « protéger la main d'œuvre nationale ». Le conseiller municipal, Levillain, membre de la S.F.I.O., déclare : « Nous avons le devoir de protéger la main d'œuvre française, quand celle-ci est délaissée par les entrepreneurs et c'est malheureusement le cas »118.
95Son avis est partagé par le radical, Gaston Pinot. Dans la même séance, on entend Louis Gélis, S.F.I.O.119, déclarer : « Les métèques de Montparnasse et de Montmartre n'ont pas besoin d'allocations car ils ont bien d'autres ressources, ce sont les pauvres ouvriers qui sont obligés d'aller au bureau de bienfaisance »120.
96La droite tient un langage plus catégorique. Ambroise Rendu parle du « nombre très élevé des étrangers qui prennent la place de nos concitoyens ». Quant à André Marty, seul conseiller municipal communiste, honni de la droite, il s'attaque avec conviction aux Russes blancs que la droite laisse manifester impunément, ainsi qu'aux tâcherons italiens fascistes...121. En 1932, Maurice de Fontenay, président du Conseil Municipal propose de ne plus employer de main d'œuvre étrangère, de ne plus faire venir de provinciaux à Paris, et d'organiser un programme de grands travaux qui permette de faire face au chômage122.
97La xénophobie est manifeste dans le contexte de la crise économique. Elle culmine dans certains événements comme l'assassinat du Président de la République Paul Doumer tué par un Russe, Gorguloff, alors qu'il inaugurait le Salon des écrivains anciens combattants, à l'hôtel Rothschild de la rue Berryer, dans le 8e arrondissement. Un rapport de police affirme, le 6 mai 1932 : « la nécessité de plus en plus démontrée de débarrasser le pays et spécialement Paris et sa banlieue de trop nombreux étrangers, absolument indésirables, dangereux pour la sécurité publique, qui sont devenus un véritable fléau »123.
98L'affaire Stavisky, l'assassinat du ministre des Affaires Étrangères Barthou en compagnie du roi Alexandre de Yougoslavie en 1934 sont un autre temps fort de manifestations xénophobes.
99L'extrême droite est évidemment la plus virulente. Léon Daudet exprime son horreur devant les rues des « sidis » du 18e arrondissement. Rebatet, dans le cadre d'une enquête qu'il effectue pour Je suis partout, fait un reportage sur les étrangers de la région parisienne qui paraît entre le 16 février et le 30 mars 1935. Il va chez les musulmans d'Algérie et du Maroc, se rend Porte de la Villette et place d'Italie, dans « l'ambiance haineuse de ce coin de Babel plébéienne », il observe « ces Berbères traîneurs de savates moisies et de chancres syphilitiques »... Pour les Antillais, il lance que « La création, chez les Antillais d'une université française mieux adaptée à leurs besoins que les nôtres, eût été un encouragement à leur culture et leurs traditions plus flatteur pour eux, plus rationnel et utile que leur interminable et hasardeux apprentissage en Europe ». Il refuse tout « alliage » (sic) avec les Arméniens d'Alfortville, qualifiés de « sang corrompu d'Europe ». La violence de l'enquête était telle qu'elle suscita un abondant courrier de protestations ainsi que cette remarque de Rebatet qui affirmait vouloir distinguer entre émigration de qualité (comme celle des intellectuels) et émigration de quantité124.
100La présence des étrangers à Paris s'explique à la fois par la possibilité d'y trouver du travail, par l'offre de culture, et de plaisirs, par le rayonnement international de Paris comme ville des droits de l'homme. Ceci nous renvoie à la représentation de Paris à l'échelle internationale. Cette dernière s'est forgée au travers des événements, des révolutions du xixe siècle, mais aussi des Expositions Internationales, des visites de tourisme à Paris. Paris est tout à la fois la ville des révolutions et des libertés. A ce titre elle est refuge, lieu d'expression et aussi d'épanouissement des libertés individuelles ; par sa vocation universelle, elle est lieu de la prise de conscience de soi. On peut probablement établir une corrélation entre l'attribut révolutionnaire de l'égalité et la possibilité d'ascension sociale qui se manifeste pour ceux qui viennent y travailler... Mais depuis l'affaire Dreyfus, depuis l'éclatement de la grande guerre, et avec le paroxysme de la crise économique, politique et sociale, ces qualités sont mises en question. Paris des provinciaux ce n'est plus seulement la ville Capitale qui domine les autres et domine le monde, c'est aussi celle des terroirs. L'atmosphère semble dominée par la xénophobie : avec la crise, de nombreux étrangers repartent, en particulier les Américains : on ne sait plus si l'on doit être fier de cette élite intellectuelle qui hante les cafés de Montparnasse, on redoute d'accueillir les réfugiés du monde, la droite crie à l'envahissement. Paris est tiraillé entre un repli frileux et une position d'ouverture au monde. Comment maintenir, exprimer une personnalité quand on est traversé d'autant de courants, quand se manifeste une telle diversité des groupes ? La ville tentaculaire, le grand Paris va pouvoir se déployer sur un espace nouveau, celui de la région parisienne qui sera un espace sans limites apparentes puisque, entre 1919 et 1930, les fortifications de Thiers vont être démolies. L'unité de Paris et de sa banlieue, de Paris et de la France représente un enjeu fondamental. Les contemporains rattachent la puissance de Paris à l'unité de sa personnalité. Les craintes sont donc fortes de voir la diversité, la multiplicité l'emporter sur l'unité, garantie de force en temps de crise.
Notes de bas de page
1 Le Journal Les Échos du grand Paris, dont le rédacteur en chef est Pierre Montcalm, rend compte des problèmes d'aménagement.
2 François Latour, président du Conseil Municipal de Paris rédige deux articles sur ces problèmes : « L'Aménagement du Grand Paris », in La Revue politique et parlementaire, 10 octobre 1931, et « Le plus grand Paris, problème d'autorité », Paris, 1931.
3 Les Cahiers de la République des lettres, des sciences et des Arts publient en 1930 Vers un Paris nouveau, publication qui accompagne le « Congrès du Paris nouveau », organisé par Le Journal et présidé par André Tardieu.
4 André Morizet, Du vieux Paris au Paris moderne, p. 340. Le chapitre qui s'intitule de façon significative : « Maintenant...la Région Parisienne », se décompose en trois parties :
I- une agglomération de sept millions d'habitants ; II- Programme pour l'achèvement du vieux Paris ; III- Le Plan d'aménagement du Paris Nouveau. A. Morizet (qui est socialiste, sénateur de la Seine et maire de Boulogne-Billancourt) précise que « L'agglomération parisienne au total groupe sept millions d'individus », cinq dans le département de la Seine et deux sur son pourtour (Ibid., p. 344).
5 Lois sur les fortifications.
- La loi du 19 avril 1919 (parue du Journal Officiel, p. 4146-4153) relative au déclassement de l'enceinte fortifiée de Paris, à l'annexion de la zone militaire et au desserrement du casernement et portant approbation des conventions intervenues entre l'Etat et la Ville de Paris - 25 % des terrains sont réservés à des Habitations à Bon Marché.
- Décret du 3 avril 1925 : des parties de territoire comprises dans l'ancienne zone militaire ont été annexées à Paris.
- Le 14 août 1926, l'Aménagement des forts de seconde zone lève la servitude de non aedificandi.
6 André Morizet, op. cit., p. 344.
7 Albert Guérard, L'avenir de Paris, p. 154.
8 La loi du 14 mai 1932 a pour la première fois reconnu l'existence administrative de la région parisienne et donné de cette région une définition. La région parisienne comprend le département de la Seine, les communes de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne situées dans un rayon maximum de 35 km autour de Paris, les communes du département de l'Oise, des cantons de Creil, Neuilly-en-Thelle, Pont-Saint-Maxence, Senlis, Nanteuil-le-Haudoin.
9 Paul Meuriot, « De la mesure des agglomérations humaines (1909) », in Marcel Roncayolo et Thierry Paquot (sous la direction de), in Villes et civilisation urbaine xviie-xxe siècles.
10 L'Annuaire statistique de la Ville de Paris, s'il fournit les données démographiques du Département de la Seine, s'intéresse surtout à Paris intra-muros. Mais on peut considérer comme le fait Georges Dupeux qu'il englobe dans son rayon trop de communes rurales ; pour cette raison Georges Dupeux, dans son Atlas Historique de l'urbanisation de la France, choisit comme critère de l'urbanisation le chiffre de 3 000 habitants qui donne une estimation de 4 615 612 habitants pour l'agglomération parisienne en 1931.
11 Voir « Provinciaux et provinces à Paris », Ethnologie française, X, 2, 1980. Françoise Cribier, Migrations et structures sociales. Une Génération de provinciaux venus à Paris entre les deux guerres (p. 137) souligne : « En 1921, un tiers des Français ne résident pas dans leur département de naissance, et un sur quatre de ces « émigrés » vit alors à Paris. A cette même date, moins d'un Parisien sur deux est natif de Paris ou de la Seine, un sur dix environ est d'origine étrangère, et les originaires de province représentent environ la moitié de la population parisienne. Par ces mouvements migratoires, et en dépit d'un taux de natalité en baisse constante, Paris acquiert en un siècle un poids démographique considérable... »
12 André Kaspi et Antoine Marès (sous la direction de) Le Paris des étrangers.
13 Paul Valéry, op. cit., p. 150.
14 Georges Dupeux, Atlas historique de l'urbanisation de la France, compte (en prenant pour critère de l'urbain le chiffre de 3 000 habitants) que l'agglomération parisienne rassemble en pourcentage de la population urbaine française : 28,6 % en 1911, 24,8 % en 1946. La proportion est continue sur un siècle. Il considère que la hiérarchie urbaine française est « déséquilibrée par la tête ».
15 A. Demangeon, Géographie économique et urbaine de la France. La première version de ce texte, « Paris, la ville et sa banlieue » est parue en 1931.
16 Drancy par exemple voit le chiffre de sa population multiplié par 15 entre 1911 et 1921.
17 André Armengaud, La population française au xxe siècle, p. 40.
18 Archives de Paris, Fonds Cheval de Fontenay, président du Conseil Municipal en 1932-1933.
19 Pierre-Henri Chombard de Lauwe, Paris et l'agglomération parisienne, p. 44-45.
20 Maxime du Camp, Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie, p. 9.
21 Bernard Marchand, Paris, histoire d'une ville xixe-xxe siècles, p. 382.
22 On se reportera à la carte des enceintes successives de Paris par Grimaud.
23 Albert Demangeon, op. cit., p. 755.
24 Demangeon, Ibid.
25 Les Guides Bleus-Paris-Versailles-Saint-Germain-Saint-Denis-Chantilly-Fontaine-bleau.
26 Guide Bleu, 1937, p. XC1V.
27 Voir Jean-Pierre Gaudin, L'avenir en plan Technique et politique dans la prévision urbaine 1900-1930, p. 152.
28 « La vie urbaine », in Chronique de l'Urbanisme, n° 1, 1919, p. 183.
29 Albert Guérard, op. cit., p. 154.
30 Georges Duhamel, Scènes de la vie future.
31 Ibid., p. 103.
32 « ...Lorsque les soirs
Sculptent le firmament de leurs marteaux d'ébène,
La ville au loin s'étale et domine la plaine
Comme un nocturne et colossal espoir ;
Elle surgit : désir, splendeur, hantise ;
Sa clarté se projette en lueurs jusqu'aux cieux,
Son gaz myriadaire en buissons d'or s'attise...
C'est la ville tentaculaire... » Verhaeren, Les campagnes hallucinées).
33 Conseil Général de la Seine. Conseil municipal de Paris 1931-1932. Rapports et propositions, Note n° 19 déposée par M. de Fontenay sur les possibilités des œuvres et organismes privés consacrés aux consultations maternelles et infantiles dans le département de la Seine.
34 Georges Delavenne, Vers un Paris nouveau, p. 48.
35 Le Comité supérieur d'aménagement de la Région Parisienne est créé en 1928.
36 Ibid., p. 14.
37 La Région parisienne, juillet-août 1929, journal dirigé par Ludovic Barthélémy.
38 Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit. Le roman reçut dès sa parution le prix Renaudot. La deuxième partie du roman se déroule en banlieue, à Rancy près de la porte Brancion où Bardamu devenu médecin des miséreux s'installe... « Le Voyage au bout de la nuit possède le pouvoir de nous faire vivre au plus épais de cette humanité désespérée qui campe aux portes de toutes les grandes villes du monde moderne » écrit François Mauriac dans l'Écho de Paris (31 décembre 1932), cité dans 70 critiques du Voyage au bout de la nuit, textes réunis et présentés par André Derval, p. 109.
39 L.-F. Céline, op. cit., p. 531.
40 La hausse des loyers a d'abord été une conséquence de l'haussmannisation.
41 Henry Puget, rapporteur du Comité Supérieur d'Aménagement de la Région Parisienne décrit ce mouvement de la population : « Les loyers devenant particulièrement élevés, au centre des affaires, il s'effectue d'abord une spécialisation des quartiers, puis un exode vers l'extérieur. Les classes moyennes ont été chercher dans la campagne de l'air et du soleil, les classes pauvres ont été repoussées hors les murs, par la misère ou ont suivi pas à pas les déplacements de l'industrie. Les habitants de Paris ont pu éloigner leur domicile au lieu de leurs occupations parce que les moyens de transport modernes permettent de franchir en peu de minutes et à peu de frais d'assez longues distances. Tout progrès dans ces moyens de transport active cette émigration spéciale et accroît son aire de dispersion », in Cahiers de la République des Lettres, des Sciences et des Arts, Paris, 1930, p. 14.
42 Michelle Perrot, « Les ouvriers, l'habitat et la ville au xixe siècle », in La question du logement et le mouvement ouvrier français.
43 Jeanne Gaillard, Paris, la ville 1852-1870, L'urbanisme parisien à l'heure d'Haussmann.
44 Voir Jean Bastié, La croissance de la banlieue parisienne.
45 Henri Bunle, « Migrations alternantes dans la Région Parisienne », Bulletin de la Statistique générale de la France, 21 octobre 1931-septembre 1932, p. 581-640.
46 Henri Puget, Vers un Paris Nouveau, p. 23.
47 L.-F. Céline, op. cit., p. 316.
48 Alain Rey, « Vous avez dit banlieue ? », p. 233, in Le débat, Gallimard, mai-août 1994, Le nouveau Paris.
49 Jean-François Gravier, Paris et le désert français.
50 Docteur Ichok, Directeur des Services municipaux d'Hygiène et d'Assistance sociale à Clichy (Seine). Professeur à l'Institut de statistique de l'Université de Paris. La mortalité à Paris et dans le département de la Seine, Préface de Henri Sellier, édité par l'Union des Caisses d'assurances sociales de la Région Parisienne, p. 159. L'ouvrage analyse la période 1924-1932.
51 Henri Sellier, « Essai sur les évolutions comparées du logement et de la population dans le département de la Seine de 1896 à 1911 », in la Vie urbaine, 1921.
52 Vers un Paris Nouveau, p. 109-110.
53 Ibid.
54 Résultats statistiques du recensement de la population, Ville de Paris, 1931.
55 Voir le numéro spécial de la revue Ethnologie française, X, 2, 1980, « Provinciaux et provinces à Paris ».
56 Ibid., p 201, Isabelle Bertaux-Wiame « Une application de l'image autobiographique. Les migrants provinciaux dans le Paris des années 20 » : « Je m'attendais à trouver dans les récits de vie des signes, des descriptions, des allusions révélateurs d'une forte attraction exercée par Paris sur l'esprit des provinciaux. Paris et ses lumières n'apparaissent pas dans le récit. Point d'hommages à la Tour Eiffel. Pas d'évocation de cette foule au sein de laquelle un jeune émigrant est supposé se perdre ».
57 Ibid., p. 138, Françoise Cribier et Catherine Rhein, Migrations et structures sociales Une génération de provinciaux venus à Paris entre les deux guerres.
58 Selon le Bulletin de la Statistique générale de la France (octobre 1931 -septembre 1932), les salaires journaliers des ouvriers professionnels à Paris se situent entre 50 et 55 fr., alors que la moyenne en France en octobre 1931 est de 30-35 fr. Dans certains départements comme la Dordogne, la Lozère, la Mayenne, ils sont inférieurs à 28 fr., alors que dans les départements où l'émigration est peu importante comme les Alpes Maritimes, le Rhône, la Seine, la Seine-et-Oise, les salaires sont en moyenne supérieurs à 40 fr. De même les étrangers occupent plus d'emplois dans le tertiaire, et dans les professions libérales à Paris, qu'en banlieue et encore plus qu'en France. Georges Mauco le souligne : « Paris devient... de plus en plus le creuset où s'opère la montée sociale des étrangers, où ceux-ci se débarrassent le plus aisément de leurs occupations manuelles et se faufdent dans les emplois plus relevés, les moins désertés des Français, et dans les activités non directement productrices... », in Georges Mauco Les étrangers en France, p. 312.
59 Ernst-Robert Curtius note dans son Essai sur la France (1931), « Les marchands de vin et de charbon viennent d'Auvergne, les maçons et les paveurs du Limousin, les cochers et les chauffeurs de la Corrèze. Tous conservent le caractère particulier de la province, et restent en rapport les uns avec les autres », p. 282-283.
Léon Daudet affirme qu'il « reconnaît à première vue » la rue de Ménilmontant parmi des « villageois transplantés, qui ont ici les habitudes, achats, patiences, et tournaillements de leurs bourgades et patelins » : « un pâtissier breton, un quincaillier auvergnat, un charcutier de Seine-et-Oise, un marchand de voitures à bras marseillais » in Léon Daudet, Souvenirs et polémiques, p. 945.
60 Janet Flanner, op. cit., p. 131.
61 Georges Meynier, Géographie du Massif Central, cité par Philippe Ariès, Histoire des populations françaises.
62 Ainsi Léon-Paul Fargue peut noter « Lipp reste pour moi l'établissement public n° 1 du carrefour et évoque par instants l'autorité de l'État, depuis que l'on s'est aperçu que le patron joignait à ses nombreuses qualités celle de ressembler à Pierre Laval, Auvergnat comme lui, mais d'un autre tonnage ». (Léon-Paul Fargue, op. cit., p. 152).
63 Fred Kupferman, Pierre Laval, p. 23.
64 Françoise Raison-Jourde, La colonie auvergnate de Paris au xixe siècle.
65 Louis Chevalier, Les Parisiens, p. 124.
66 Ibid.
67 Ibid., p. 379.
68 Robert d'Harcourt, « Paris vu par une Allemande », in Revue de Paris, 15 sept. 1933, p. 426-437.
69 Christophe Charle, Dictionnaire biographique des universitaires aux xixe et xxe siècles.
70 Aragon, op. cit., p. 362 : Edmond a « l'accent de la province dans l'habillement ». Ibid.., p. 405 : Armand se demande « ce que l'on prend à Paris au café pour ne pas avoir l'air provincial ».
71 Robert Brasillach, op. cit., p. 49.
72 A. Demangeon, p. 807. Ces provinciaux viennent de toute le France. L'Auvergne et la Bretagne sont particulièrement importantes.
73 Raymond Laurent, Paris, p. 65.
74 Raymond-Laurent, président du Conseil Municipal de Paris en 1937 écrit : « Beaucoup de ces nouveaux venus n'ont cependant pas voulu se considérer comme des individualités isolées, perdues dans les foules anonymes des villes que Verhaeren a si justement dénommées « tentaculaires ». Ils ont cherché et retrouvé les leurs : parents, amis, simples compatriotes, et se sont groupés par affinités d'origine. », in Raymond Laurent, Paris, p. 64.
75 Régine Deforges, Patrick Bard, op. cit., p. 25.
76 Régine Deforges, Patrick Bard, op. cit., p. 147 « Que fais-tu Paris ? », Paroles Léon Bousquet, Musique Gaston Maquis, vers 1920.
77 Ibid., p. 154, « Adieu Paris ou la mort du vieux fêtard », Paroles Lucien Boyer, Musique Sanders, 1929.
78 Il est intéressant que dans « Paris sous l'occupation », in Situations III (France Libre édité à Londres, 1945) J.-P. Sartre explique que la période de l'occupation a ravivé la vieille querelle entre Paris et la province : « Nourrie par le Périgord, par la Beauce, par l'Alsace, par les pêcheries de l'Atlantique, la capitale n'était pas, comme la Rome antique une cité parasitaire ; elle réglait les échanges et la vie de la nation, elle élaborait les produits bruts, elle était la plaque tournante de la France (p. 26)... Et puis l'occupation réveillait de vieilles querelles, elle aggravait les dissentiments qui séparaient les Français. La division de la France entre zone nord et zone sud ravivait la vieille querelle entre Paris et la province, entre le nord et le sud... » (p. 39).
79 Valéry Larbaud, Jaune-Blanc-Bleu, p. 273-274.
80 François Mauriac, La province, in Œuvres complètes, Tome IV.
81 « Pourtant beaucoup de provinciaux reviennent à leur province avec un immense amour. C'est là qu'ils souhaitent de finir. Et moi-même peut-être... », ibid., p. 470.
82 François Mauriac, La province, p. 471.
83 Joseph Delteil, Les Chats de Paris, présenté par Louis Nucera, p. 118-119.
84 Almanach Hachette, Paris, 1932, p. 137.
85 Alain Corbin, « Paris-province », in P. Nora (sous la direction de) Les lieux de Mémoire. III Les France. I Conflits et partages, p. 777-823.
86 Ibid., p. 790.
87 Ibid, p. 816.
88 Maurice Agulhon, « Le Centre et La Périphérie », in Les lieux de mémoire, Tome III. Les France.
89 Voir Anne-Marie Thiesse, Écrire la France. Le mouvement littéraire régionaliste de langue française entre la Belle Époque et la Libération, p. 89-98.
90 Charles-Brun, préface de Pierre Bonardi, De quoi se compose Paris, 1927.
91 Anne-Marie Thiesse op. cit., p. 257.
Voir aussi Pierre Deyon, Paris et ses provinces.
92 Livre d'or officiel, Arts et Techniques, Paris, 1937, p. 185-186.
93 « Paris est une ville admirable, mais Paris n'est pas toute la France. La vieille notion des provinces, ces provinces qui suivant le mot de Gambetta « toutes avec une physionomie spéciale ou plutôt avec des traits distincts, constituent les grands traits de la figure même de la patrie » a repris une partie de ses droits. Elle a perdu le sens nettement péjoratif que des esprits mal avisés lui attribuaient naguère. On a compris qu'à côté de l'intérêt national, il y a les intérêts particuliers qui ne lui sont pas opposés, mais qui se trouvent déterminés par les frontières immédiates... Le domaine du régionalisme s'étend chaque jour. », Livre d'or officiel, p. 186. « Comment ceux auxquels incombait le choix d'organiser l'Exposition Internationale de 1937, n'auraient-ils pas tenu essentiellement à donner à cette grande manifestation qui se déroule sans doute à Paris, mais qui est avant tout une Exposition française, un caractère régionaliste en fournissant non pas à la province comme on disait il y a quelque trente ans, mais aux provinces une occasion unique de rivaliser d'ingéniosité, de marquer leur originalité, et loin de porter atteinte à l'unité de notre pays, de faire en sorte que les expressions de dizaines d'elles parent heureusement le visage de la France en lui donnant le plus vif éclat.. », ibid., p. 186.
94 Voir Antoine Marès et André Kaspi (sous la direction de), Le Paris des étrangers. Ces études sont regroupées autour des trois grands Pans : I Paris des libertés, II Paris des Arts, III Paris des Lettres.
95 Georges Mauco, « Le problème des étrangers en France », in La Revue de Paris, 15 septembre 1935, p. 375-406.
96 On le constatera en étudiant les données de la Statistique générale de la France (1931). Voir tableau en annexe.
97 Delphine Gardey, Une monde en mutation. Les employés de bureau en France, 1890-1930. Féminisation, mécanisation, rationalisation, thèse d'histoire, Université Paris 7, janvier 1995, 940 p., p. 529-532, paragraphe intitulé : « Employé de bureau : un métier pour les Français ». Selon Delphine Gardey, les employés de bureau étrangers sont fort peu nombreux chez Renault qui pourtant emploie de nombreux ouvriers étrangers.
98 Georges Mauco, Les étrangers en France, p. 312. Nous reproduisons le tableau que donne G. Mauco sur la répartition des actifs étrangers dans les différents secteurs d'activité.
99 Jólan Földes, La rue du Chat-qui-pêche. Jólan Földes est née en Hongrie en 1903 ; elle a émigré à Vienne, puis à Paris dans les années 20. Elle y a été successivement ouvrière, employée de bureau, secrétaire à l'ambassade d'Egypte. Les héros qu'elle décrit dans La rue du Chat-qui-pêche sont un Russe blanc, un Lituanien rouge, une famille de Hongrois qui vient chercher fortune à Paris.
100 Voir Marie-Claude Blanc-Chaléard, Les italiens dans l'est de Paris, des années 1880 aux années 1960, une histoire d'intégration. Thèse I.E.P 2 vol. , 781 p.
101 Rita Thalmann, « Topographie de l'émigration du IIIe Reich », in Le Paris des étrangers, p. 100.
102 Nancy Green, Les travailleurs immigrés juifs à la Belle époque. Le "Plezl" de Paris. Et Nancy Green, « Les juifs étrangers à Paris », in André Kaspi et Antoine Mares, Le Paris des étrangers..., p. 105-118.
103 Lieu d'études juives.
104 Pierre Pachet, Autobiographie de mon père, p. 17.
105 Dominique Schnapper, Juifs et Israélites.
106 Léon Poliakov L'auberge des musiciens. Mémoires, p. 45.
107 Mémoires juives présenté par Lucette Valensi et Nathan Wachtel, p. 192.
108 Voir Philippe Dewitte, « Le Paris noir de l'entre-deux-guerres » in P. Kaspi et A. Mares, op. cit., p. 157-169. P. Dewitte explique : « Presque malgré elle, la capitale française est [...] devenue le lieu géométrique des passions noires : c'est à Paris qu'en 1919 triomphait le « neg-y'a-bon », c'est en partie là que sont nées durant l'entre-deux-guerres, l'Afrique nouvelle, la culture noire du xxe siècle, la négritude » (p. 169).
109 Procès-verbal de la réunion du conseil municipal de Paris, 11 décembre 1931.
110 F. Sereni, La Cité internationale universitaire de Paris 1925-1950. Relations internationales, n° 72, p. 399-407. La cité internationale doit beaucoup à l'initiative d'André Honnorat, ministre de l'instruction publique, sénateur, qui l'a conçue comme un instrument du rayonnement international de la France dans le monde.
111 Voir Eric Mension-Rigau, Aristocrates et grands bourgeois, p. 345.
112 Maurice Sachs, La décade de l'illusion, p. 132 : « Quelques personnes nées hors de France se mêlèrent à ses lettres et à ses arts : c'étaient Ralf Barton, Francesco von Mendelsohn, amateur de théâtre, dévot de musique, collectionneur de tableaux, qui donne à Berlin des fêtes inoubliables ; la marquise Melchior de Polignac, américaine comme M. Walter Berry et, comme lui, amie des écrivains français ; la comtesse Pecci, nièce du pape Léon XIII ; miss Mary Hoyt Wiborg, dont la collection de peintures est très remarquable ; Paul Cohen-Portheim. Mrs Carenne Crosby, Somerset Maugham, également célèbres sur les deux continents... » : les listes de Maurice Sachs sont presque infinies.
113 Janet Flanner, op. cit., p. 73. A ses obsèques, participaient les représentants du Président de la République et du Gouverneur militaire de Paris, les généraux Foch et Gouraud, Edith Wharton, des Américains, Mrs Tutherford Stuyvesant, Mr Henry Peartree, Mr Bly the Branch, et le colonel Drake et pour les Français, les Morand, les Bernstein, la princesse Murat, Jean Cocteau, le duc de Gramont, la comtesse de Beaumont, le marquis de Castellane de Chambrun, le comte et la comtesse de la Rochefoucauld.
114 Phyllis Rose, Joséphine Baker : « Les Parisiennes portaient maintenant les cheveux plaqués au crâne, à la Baker, et pour y parvenir, elles pouvaient acheter un produit appelé « Bakerfix ». L'idéal de l'hiver était aux femmes « petites, brunes, et plutôt grassouillettes ». Celles qui, l'été précédent, protégeaient encore la blancheur de leur teint contre la vulgarité du hâle, exposaient maintenant au soleil leur peau enduite d'huile de noix », p. 140.
115 Phyllis Rose, op. cit., p. 190, extrait de Pierre Lazareff « Joséphine en bourgeoise », Canard, 30 mai 1929, p. 17.
116 Maurice Sachs (op. cit., p. 29) décrit les apports mutuels entre « Paris » et les ballets russes : « Ce qu'ils donnèrent à Paris de joies et de couleurs, Paris le leur rendit après la guerre avec ses musiciens et ses peintres. La paix, la révolution russe avaient temporairement tari les sources slaves. Diaghilev trouva en France les éléments de son travail ».
117 Ralph Schor a étudié l'ensemble des comportements des Français et des Parisiens vis-à-vis des étrangers, op. cit., p. 91-274.
118 Procès-verbal du conseil municipal, 3 juillet 1931, p. 701.
119 Il en sera exclu et deviendra socialiste-communiste.
120 Procès-verbal du conseil municipal, 3 juillet 1931, p. 710.
121 Id., 7 décembre 1931, p. 160.
122 Archives de Paris, fonds Cheval de Fontenay, D.E1, dépôt 11, travées 281 à 283.
123 Ralph Schor, op. cit., p. 634.
124 Voir Robert Belot, Lucien Rebatet un itinéraire fasciste, p. 167.
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