Chapitre I. Tableaux de paris entre-deux-guerres
p. 21-60
Texte intégral
1Dans l'imaginaire national, dans les esprits et dans les cœurs des Français de l'entre-deux-guerres l'image de Paris renvoie à celle de la France. Quand le sort de la capitale est en danger pendant la guerre, il semble que l'esprit et le cœur de la France soient en danger. La guerre de 1914-1918 a été, nous le savons, un des grands moments d'affirmation des existences nationales dans l'histoire de la France et du Monde. Il semble ainsi fructueux de s'intéresser à l'identité parisienne pendant la Première Guerre Mondiale, car à travers ce qui est dit de Paris et des réactions de ses habitants, nous pouvons saisir ce qui fait Paris, ce qui dans Paris renvoie à l'identité de la France aux yeux des « poilus » et de tous les Français, et plus largement ce qui est en questionnement dans l'identité française.
2Nous avons choisi de présenter Paris à des moments privilégiés de son histoire dans lesquels il représente la France ; il s'agit de dégager l'image et les images de Paris qui s'expriment au travers d'événements politiques et culturels tels que les célébrations nationales et patriotiques, les manifestations culturelles et politiques. Nous avons donc retenu certains événements particulièrement importants aux yeux des Français de l'entre-deux-guerres parce que Paris y « figure » la France, sa puissance, ses crises, parce qu'ils mettent en jeu la conception de la nation après la grande guerre, parce qu'ils mettent en questions la puissance et l'image de la France, parce qu'ils expriment les enjeux et les tensions des années 30. Ces événements présentent la particularité d'avoir laissé des traces importantes dans la mémoire nationale.
3Les tableaux de Paris qui sont proposés montrent la capitale dans un âge patriotique ouvert par le 14 juillet 1919. Ils représentent en « actes »1 la géographie symbolique de la capitale, ses principaux monuments, le rôle des Parisiens, la force de l'imaginaire de Paris. Le défilé de la victoire traverse Paris d'ouest en est, de la porte Maillot à la place de la République. Les funérailles des maréchaux de la guerre en 1929 et 1931 suivent un itinéraire qui les conduit de l'Arc de Triomphe aux Invalides en passant par Notre-Dame. Le cortège de la panthéonisation de Jaurès parcourt Paris du Palais-Bourbon au Panthéon. Dans ces célébrations s'impose le rôle et l'importance de l'ouest parisien marqué par l'Arc de Triomphe et les Invalides. Alors que l'Arc de Triomphe réunit Parisiens et Français dans l'émotion du souvenir de la guerre, le Panthéon continue de les diviser dans le rapport mémoriel à la révolution et à la république. La séparation de Paris entre un ouest glorieux, impérial, patriotique et un est républicain et populaire s'affirme autant dans la panthéonisation de Jaurès que dans l'organisation, une fois n'est pas coutume, d'une exposition coloniale internationale dans l'est de Paris. La crise des années 30 s'exprime le 6 février 1934 par des manifestations d'abord dans le centre politique de Paris, auxquelles répondent les 9 et le 12 février 1934 les manifestations organisées par la gauche antifasciste. Le 14 juillet 1935, la première manifestation du Rassemblement populaire - prélude au Front populaire - défile dans les quartiers populaires de Paris, de la Bastille au cours de Vincennes.
1. CELEBRATIONS NATIONALES ET PATRIOTIQUES
4« Paris » décrète la mobilisation générale le 1er août 1914. Les polémiques et les débats qu'ont suscités les analyses sur le comportement des soldats mobilisés qui quittaient la Gare de l'Est sont connus. Aujourd'hui, on insiste moins sur l'enthousiasme dit de la « fleur au fusil » des Français que sur la gravité et la résolution de leurs visages.
5L'historien du féodalisme, Marc Bloch, nous a laissé un témoignage particulièrement significatif sur l'atmosphère de Paris dans les premiers jours de la mobilisation, pour lui « un des plus beaux souvenirs » que lui ait laissé la guerre :
« La ville était paisible et un peu solennelle. La circulation très ralentie, l'absence des autobus, la rareté des auto-taxis rendaient les rues presque silencieuses. La tristesse qui était au fond de tous les cœurs ne s'étalait point... Il n'y avait plus à Paris que deux classes sociales : l'une composée de « ceux qui partaient », c'était la noblesse ; l'autre de ceux qui, ne partant point, ne semblaient connaître pour l'instant d'autre obligation que de choyer les soldats de demain... Les hommes pour la plupart n'étaient pas gais ; ils étaient résolus, ce qui vaut mieux »2.
6C'est à Paris aussi, au café du Croissant, que Jean Jaurès, le grand dirigeant socialiste, a été assassiné par Raoul Villain. Ses funérailles se sont déroulées le 4 août 1914 dans une atmosphère que l'on peut déjà qualifier d'« Union sacrée » puisqu'y participait l'ensemble des courants politiques français de la gauche à la droite nationaliste3.
7Les Allemands pénétrèrent en Belgique et très vite le gouvernement français craignit que Paris ne soit directement menacé. Il annonça ce danger aux Parisiens dès le 25 août. Trois jours plus tard, Clemenceau déclarait : « La réalité est que les Allemands semblent déborder notre aile gauche, ce qui, s'ils ne rencontraient pas de résistance, leur ouvrirait la route de Paris »4.
8Le général Gallieni, gouverneur de Paris, organisa la défense de la place de Paris et envisagea même de faire démolir, en cas de besoin, les habitations des zoniers situées sur les terrains de la zone non aedificandi autour des fortifications de Paris5. Depuis la Commune de Paris, on savait pourtant que Paris n'était pas à l'abri derrière ses fortifications.
9Le 2 septembre, le gouvernement se repliait de Paris sur Bordeaux, et alors que la cavalerie allemande se trouvait à 25 km de la ville, Paris était placé sous l'administration exclusive du Comité de sécurité. La population Parisienne quitta massivement la Ville où, d'après le recensement ordonné par Gallieni, ne restèrent que 1 807 044 habitants (soit 63 % de la population de 1911). Dès le 4 septembre, Joffre, chef d'état major général de l'Armée, ordonnait la contre-offensive. La Bataille de la Marne se déroula entre le 6 et le 13 septembre. Elle se conclut par « une » victoire, si ce n'est un miracle6 : Paris fut sauvé, une première fois (toutes les forces disponibles furent envoyées sur la Marne) et l'épisode fameux des taxis de la Marne réquisitionnés par Gallieni pour la défense de Paris, a marqué les esprits. Gertrude Stein a donné, dans l'Autobiographie d'Alice B. Toklas, une description de l'atmosphère qui régnait dans la ville à ce moment :
« J'étais assis, dit Alfy, à la terrasse d'un café et Paris était pâle, si vous comprenez ce que je veux dire, pâle comme une absinthe pâle. Enfin j'étais là à la terrasse d'un café, tout à coup je remarquai une masse de chevaux qui tiraient une masse de grandes voitures tout doucement, et qu'accompagnaient des soldats ; sur les caisses que portaient les voitures il y avait écrit : « Banque de France ». C'était l'or de la Banque de France, qui quittait Paris, juste avant la bataille de la Marne »7.
10Paris, « le cœur du pays, était sauvé par une victoire à laquelle (sic) son gouverneur avait envoyé ses troupes, comprenant bien que là, il réglait le sort de la capitale », écrivait le Maréchal Foch dans ses mémoires8.
11L'enjeu est fondamental. « Le cœur du pays », « le sort de la capitale » sont en question. La popularité de Joffre tient à ce premier succès. Cette victoire du patriotisme pour les uns fut, pour certains, une victoire de la nation française. Les catholiques français l'interprétèrent immédiatement comme un « miracle ». Ils relevèrent que le 8 septembre était le jour de la fête de la Nativité de la Vierge9 Paris, disaient-ils, était protégé par Sainte Geneviève, sa patronne, et par Jeanne d'Arc. Le 8 septembre 1914, dans son journal publié en 1915, le prêtre Jean Quercy écrivait : « Qu'est-ce qui a troublé l'esprit du Kaiser et de son général Von Kluck ? Est-ce la douce Geneviève qui a arrêté le nouvel Attila ? Est-ce Jeanne d'Arc irritée de le voir violer Compiègne et Reims ? Est-ce Notre-Dame qui a voulu le chasser du lieu où fleurissent ses sanctuaires ? »10.
12A partir de 1915, fleurit une littérature du « miracle » dans laquelle Paris est symbolisé par ses deux sanctuaires, Notre-Dame et le Sacré-Cœur. Dans cette littérature religieuse, Paris devient le centre de la foi : si Paris a été sauvé, c'est par une intervention divine.
13Pendant toute la durée de la guerre, les commentaires contemporains insistent sur le fait que la capitale s'est adaptée du mieux qu'elle a pu aux diverses contraintes11 : elle a converti nombre de ses industries en industries de guerre, mobilisé dans ses usines, adapté ses activités, ses modes, ses spectacles, aux temps de guerre. Daniel Halévy en dépeint l'atmosphère dans les Pays Parisiens publiés en 1929 : « Paris d'abord désolé, tel un visage ignorant le sourire, une mère qui a perdu tous ses enfants ; Paris attristé par les robes noires des veuves. Puis Paris s'habituant [...] »12, malgré l'absence de beaucoup de ses habitants : « N'étaient restés que ceux qu'obligeait une tâche ou une passion, ouvriers autour des usines, employés autour des administrations, chefs de service »13.
14Les journaux d'époque voulaient voir là une preuve de l'esprit combattant et patriotique des Parisiens, ils vantaient la tranquillité du peuple Parisien au travail, les efforts de chacun pour la Défense nationale.
15Cette tranquillité fut partiellement rompue par les grèves de l'année 1917 qui marquèrent la fin de l'Union sacrée ; en mai 1917 les midinettes revendiquèrent leurs « 20 sous et la semaine anglaise », elles furent suivies par les fleuristes, les cartonnières, les ouvrières en caoutchouc qui demandaient non seulement les 20 sous et la semaine anglaise mais aussi qu'on leur « rende leurs maris ». Les employées des banques et des compagnies d'assurances lancèrent à partir de mai 1917 avec l'appui de la Chambre Syndicale Parisienne plusieurs mouvements revendicatifs contre la cherté de la vie, pour la semaine anglaise.
16D'autres grèves eurent lieu en 1917 chez Renault et dans diverses usines de la banlieue parisienne. Le 29 mars 1918 - un après-midi de vendredi saint - les fidèles de l'Église Saint-Gervais furent victimes d'un obus que l'on crut être un obus de la Grosse Bertha (le canon avec lequel les Allemands bombardaient Paris à plus de 120 km de distance). L'obus creva la voûte et il y eut plusieurs dizaines de victimes. Dans l'entre-deux-guerres, l'Église Saint-Gervais incarne au cœur de Paris l'ancienne menace allemande. Elle devient un lieu de souvenir, un véritable monument patriotique.
17Après le 26 mars 1918, le général Foch reçut le commandement unique interallié, il détenait le commandement de l'ensemble des troupes alliées, anglaises, belges, américaines, italiennes ; quant à Pétain, il resta à la tête de l'armée française. Paris devient, en quelque sorte, la « capitale du monde allié »14 ; quand les Allemands menacent une deuxième fois Paris, en juillet 1918, Paris, à la veille de ce que l'on appelle la « deuxième Marne », « personnifie la France » selon l'expression du grand historien de Paris, Henri Lavedan15. Paris est « conscient des risques auxquels l'expose, géographiquement et moralement, sa situation de capitale de la France et des Alliés ».[...] Paris « ne doute pas de la solidité de ses fortifications ». Mais les fortifications dont parle H. Lavedan, ne sont pas celles de Thiers, ce sont les « poitrines de ses défenseurs ». Paris est ici vu comme le centre du monde allié, le centre géographique et moral de la France. Il est à ce titre défendu par les « poilus » dans les tranchées. L'image des « poilus » disposés autour de Paris et formant des fortifications est fréquemment utilisée. Elle suggère que les fortifications de Paris ne sont pas seulement une muraille de pierres mais qu'elles enserrent quelque chose d'essentiel pour la France, les Français et le monde allié. Des notices historiques de guides de tourisme y font référence : en 1918, « Paris reste confiant dans ses enfants qui là-bas lui font un rempart de vivants - et de morts »16 lit-on dans le Guide Dent.
18Il s'établit une identification entre la « personne » de Paris et celle de la France. Paris est alors désigné par le pronom « il » mais plus souvent par « elle ». Elle est capitale patriotique, cœur du pays, calme quand il faut travailler, responsable d'elle-même et du sort de la France, guerrière quand il faut défendre l'esprit de la France. Elle a à cœur de ne pas se laisser aller aux plaisirs faciles que pourrait offrir la capitale. Paris devient une incarnation féminine de la France patriotique et guerrière17.
19Les armoiries de la ville de Paris, la nef et la devise Fluctuat nec mergitur deviennent un symbole de la France résistant à ses agresseurs comme le montre l'usage que fait Henri Lavedan de l'image de la nef dans le contexte menaçant de juin 1918 : « Sur l'océan de sa vieille histoire, soulevé depuis 4 ans, on revoit bondir, descendre et remonter la Nef. Sur ses couleurs ruisselantes de larmes et de sang se ravive en lettres d'or l'inébranlable devise : Fluctuat nec mergitur »18.
20A l'image patriotique de Paris, cœur résistant de la France, guerrière et républicaine, s'oppose, cependant, l'image récurrente de Paris comme arrière du front : pour les permissionnaires qui arrivent en gare à Paris-Est, Paris apparaît comme une « ville délicieuse », où « les gens vont à leurs affaires comme si de rien n'était... L'avenue de l'Opéra, le boulevard des Capucines et celui de la Madeleine, la rue Royale, la place de la Concorde ont leur aspect accoutumé »19 avec leurs magasins éclairés, les voitures qui circulent, les femmes chics... Paris est alors la ville de l'« arrière » par excellence, la ville des plaisirs. L'image de Paris est fondamentalement contradictoire : cœur spirituel de la France, pour les uns, ville des plaisirs pour d'autres.
21Fin 1918, alors que l'armée allemande est épuisée, que la Révolution allemande « est en marche », l'Armistice est signé le 11 novembre 1918 à Rethondes, près de Compiègne. Paris apprend la nouvelle avant même que Clemenceau ne l'ait annoncée à la Chambre. La foule en liesse manifeste devant le domicile de Foch. Paris, raconte Poincaré dans ses mémoires, « est en joie, en fièvre, en délire »20.
22En cette fin d'année 1918, et en 1919, de nombreux souverains et présidents de la République rendirent visite « à Paris et à son gouvernement »21. Paris devient alors la capitale de la victoire et la capitale de la paix, proche des négociations qui se déroulent à Versailles à partir de janvier 1919 et qui aboutiront à la signature du Traité de Versailles, quelquefois dit « de Paris », en 1919. Le 14 décembre 1918, le Président américain Wilson est accueilli à Paris par une explosion d'enthousiasme. « Les arbres de l'avenue du Bois, les balcons, les toits sont chargés d'un monde qui crie, qui siffle, qui applaudit »22 Poincaré signifie dans une allocution à Wilson l'attente de « Paris et de la France »23, il rappelle la communauté des principes qui unissent la France et les États-Unis. Mais un désaccord survient entre Poincaré et Wilson qui souhaite participer à la Conférence de Versailles, alors que les autres chefs d'État n'y participeront pas24. Cet épisode montre les limites de la puissance française. Paris est capitale de la Victoire, mais cette place centrale se situe dans le domaine symbolique. Le président de la République Poincaré ouvre la Conférence de Paris le 18 janvier 1919. Jusqu'au 24 mars, un Conseil des dix prépare l'élaboration du traité de paix. Du 24 mars au 29 juin, le Conseil des quatre élabore au terme de cent quarante-huit séances tenues le plus souvent place des Etats-Unis, au domicile de Wilson, les clauses du traité.
1. 1. Le défilé de la Victoire, le 14 juillet 1919
23C'est à Paris que fut célébrée la Victoire, le 14 juillet 1919. Le gouvernement souhaitait « associer, dans son hommage, les libertés conquises par nos ancêtres et le triomphe définitif du Droit assuré par nos soldats »25. Le 8 juillet 1919, Le Temps commentait le choix de la date :
« Le 14 juillet est la fête de la Liberté. Quelle date pourrait mieux convenir à la tradition d'un peuple qui, une fois de plus a combattu, victorieusement contre un retour offensif du vieil esprit germanique d'asservissement et d'inféodation, réduit à capituler devant les invincibles vertus des soldats et des chefs de notre armée nationale, enseveli sous les décombres de la plus formidable Bastille qui ait jamais pesé sur l'Europe et sur le Monde »26.
24Même si la référence à la prise de la Bastille est faible, en ce 14 juillet 1919, elle existe cependant dans l'identification entre la barbarie germanique et la tyrannie royale. Le 14 juillet marquait un retour triomphal des Armées qui avaient remporté une victoire contre la tyrannie. Sa célébration était conçue comme une manifestation du Monde libre, organisée par l'Hôtel de Ville27 et le Parlement français28. Le choix de la date, qui peut paraître étonnant, fut revendiqué par tous les courants politiques. Seule l'extrême-gauche française refusa sa participation29.
25L'itinéraire du défilé partait de la Porte Maillot, il passait sous l'Arc de Triomphe, puis par l'avenue des Champs-Elysées, la place de la Concorde, la rue Royale, les grands boulevards et aboutissait à la place de la République30. Le trajet du défilé du 14 juillet unissait dans une traversée de Paris l'ouest et l'est. Il prolongeait ainsi l'esprit de l'Union sacrée dans la célébration de la Victoire. Un cénotaphe avait été placé sous l'Arc de Triomphe le 13 au soir, puis déplacé vers l'avant le 14 afin de permettre au défilé de passer ; pendant trois jours consécutifs, la foule parisienne vint s'y recueillir. Ainsi, l'Arc de Triomphe, associé dans les esprits au retour des cendres de l'Empereur, aux funérailles nationales de Victor Hugo, se transformait le 13 juillet au soir en « chapelle ardente élevée à la mémoire de nos grands morts »31. La nuit du 13 au 14 juillet, les Parisiens défilèrent « silencieusement » et « religieusement » devant le cénotaphe élevé sous l'Arc de Triomphe. Le Journal du 14 juillet dépeignait avec émotion leur « pèlerinage »32 et écrivait : « Allons enfants de la patrie le jour de gloire est arrivé. [...] Il manque à Victor Hugo, qui célébra l'Arc de Triomphe sous tous ses aspects de voir cette fantastique nuit du 13 juillet 1919 l'arche dressée aux morts de la grande armée servant de catafalque à leurs arrières petits-enfants, les morts de la grande guerre ».
26Dans la célébration de la victoire, l'Arc de Triomphe retrouvait sa raison d'être glorieuse, comme le remarquait Le Figaro du 15 juillet en première page : « L'Arc de Triomphe ! Nous habitués à prononcer ce nom sans réfléchir à ce qu'il signifiait et à la pensée qui l'avait élevé dans les rayons du soleil d'Austerlitz »33.
27Il devenait le lieu du recueillement, et celui de la mémoire du passé et de l'avenir destiné à honorer les morts de la guerre et à rappeler aux générations futures le souvenir de l'événement du 14 juillet 1919 : « [...] Dans vingt ans, dans trente ans, nous dirons à nos enfants « c'était le quatorze juillet 1919... » » pouvait-on lire dans Le Figaro34.
28L'ordonnancement de la cérémonie du 14 juillet 1919 avait été minutieusement pensé. En tête du cortège défilaient, provoquant l'émotion, les mutilés, puis venaient les armées françaises conduites par Joffre, le « vainqueur de la première Marne »35, Foch le « vainqueur de la deuxième Marne », chef du commandement militaire interallié et Pétain, le « vainqueur de Verdun » ; enfin les armées alliées, américaines, anglaises, italiennes, japonaises, grecques, polonaises, portugaises, roumaines, serbes, siamoises, tchécoslovaques.
29L'émotion atteint un paroxysme lorsque, après le défilé des mutilés : « [...] sous l'immense voûte, les deux maréchaux Joffre et Foch, l'homme de la Marne et l'homme de toute la guerre chevauchent côte à côte »36.
30Plusieurs observateurs ont observé les coutumes respectives des différentes nationalités présentes dans le défilé. Ainsi, Alice Toklas note :
« Nous vîmes tout, nous vîmes d'abord la délégation des blessés des Invalides dans leurs chaises roulantes qu'ils faisaient marcher eux-mêmes. C'est une vieille habitude française de toujours faire précéder un défilé militaire par les anciens soldats des Invalides. Ils passèrent sous l'Arc de Triomphe. Gertrude Stein se rappelait que, petite fille, elle se balançait sur les chaînes qui étaient tendues autour de l'Arc de Triomphe et que sa gouvernante lui avait expliqué que personne ne devait passer sous l'Arc depuis que les armées allemandes y avaient défilé en 1872. Maintenant tout le monde, sauf les Allemands défilait sous l'Arc de Triomphe.
Chaque nation avait sa façon particulière de défiler, les uns doucement, les autres vite, les Français ont la façon la plus belle de porter leurs drapeaux [...] »37.
31Les Champs-Élysées étaient décorés de grands mâts avec oriflammes tricolores, écussons et drapeaux alliés38. Au Rond-Point des Champs-Élysées, avaient été disposés des « pyramides » de canons allemands surmontées chacune d'un coq gaulois39.
32L'ensemble du commandement et des armées défila jusqu'à la place de la République. La foule était partout présente, évoquant une « mer humaine »40 réunissant quatre à cinq millions de personnes41 : des Parisiens, des provinciaux et des étrangers venus spécialement. Elle envahit la « chaussée triomphale ». Plusieurs fenêtres situées sur le passage du défilé avaient été louées, l'argent de la location étant reversé au bénéfice des victimes de la guerre42. Le Temps du 15-16 juillet titrait « Une journée d'apothéose. De l'Arc de Triomphe à la place de la République, tout un peuple enthousiaste acclame la victoire des soldats de la Liberté ». Le Journal saluait : « un cortège de gloire. Les ovations de Paris aux soldats vainqueurs. Une journée d'apothéose »43. L'écrivain Maurice Barrès chantre du nationalisme écrivait dans l'Echo de Paris qu'il avait été « submergé par ses impressions » : « c'était beau comme le tonnerre et les éclairs »44. Cette journée était, selon lui, une « revanche », un grand moment religieux, une expression du « profond de la Terre de France ».
33Le défilé parcourt Paris de la porte Maillot à la place de la République, partout salué par une foule enthousiaste et recueillie. L'enthousiasme est immense. Sur les boulevards, les soldats qui défilent sont couverts de fleurs. L'ensemble de la presse se montra attentive aux réactions de la foule « sage et enthousiaste » alors qu'elle est, d'ordinaire, « vibrante » et « nerveuse ». Le Temps45 remarquait à ce propos : « ce n'est pas la foule bruyante, trépidante, agitée, impatiente des jours de fête populaire. Tout au contraire, cette foule immense fait preuve d'une patience et d'une retenue, disons d'une tenue digne d'admiration »46
34L'entrée sur la place de la République fut véritablement « triomphale »47. A l'arrivée de Foch48 et de Joffre à la place de la République, fusent les cris et les acclamations. « Grave, un peu pâle d'émoi, le maréchal Foch s'arrête devant la statue de la République face à la rue du Temple »49. La foule arrivée des « hauteurs de Belleville, venue de la Bastille et du Marais, se presse en rangs serrés »50 ; elle est à la fois « bruyante » et « bon enfant »51.
35Par ses réactions, notées avec une très grande précision par la presse, le peuple parisien démontre un arrière-plan de tristesse et de recueillement. « Trop de pleurs dans la joie »52, commente Barrès. Le peuple de Paris se métamorphose en serviteur du culte des morts. Son comportement dans les récits des journaux prend une valeur morale exemplaire. Jules Romains, dans Les Hommes de bonne volonté53, en a donné une interprétation qui dégage le sens grave de l'événement : « La Fête de la Victoire allait être en premier lieu, une fête des morts... », « la victoire a beau grandir, elle ne réussit pas à rattraper les morts ». Les patries « savent que les morts débordent du champ de bataille et qu'ils coulent jusque dans la cité pour le jour de la plus grande fête »54.
36Les récits de la presse contemporaine ont rapporté les réactions de la population sur l'ensemble de l'itinéraire de l'Etoile à la République. Remarquons toutefois que la plupart des analyses postérieures au 14 juillet 1919 ne prennent pas en compte la totalité de l'itinéraire, en particulier celle qui couvre l'est parisien en direction de la République, mais mentionnent seulement la partie la plus triomphale, qui était d'ailleurs celle qui était la plus décorée, la plus célébrée. Ceci tient, semble-t-il, à la mémoire même de ce 14 juillet qui, dès l'origine, dès les années 20, s'est constituée autour de l'Arc de Triomphe. Celui-ci s'est métamorphosé en lieu du souvenir et du culte des morts. En effet, ce qui a fait événement dans ce 14 juillet et ce que l'on en retient, quoique le programme des festivités populaires (feux d'artifices le soir, représentations théâtrales, feux de joie...) ait eu également son importance, c'est la dimension militaro-patriotique polarisée autour de l'Arc de Triomphe et l'intensité du recueillement populaire autour du souvenir des morts de la Guerre. Si bien que la partie non moins importante du défilé qui a traversé Paris des boulevards jusqu'à la place de la République a été rapidement occultée et progressivement oubliée.
37Le 14 juillet 1919 a incontestablement ouvert une période, celle que l'on nomme les « années folles », un âge de prospérité qui ne peut se comprendre que dans le rapport à ce deuil surmonté55. Quand des étrangers visiteront Paris, dans l'entre-deux-guerres, ils viendront retrouver des lieux qui signifiaient la fin de la guerre, la victoire, la paix et la « vie Parisienne » retrouvée.
38Aucun nouveau monument n'a été érigé à Paris pour commémorer la Victoire de 1918, alors que pourtant d'autres monuments (la Colonne Vendôme, la Colonne de Juillet, la Place de la République, la crypte de la déportation) rappellent de grandes dates de notre histoire56. La fonction de commémoration est remplie par l'Arc de Triomphe, arche de gloire qui abrite le souvenir des morts.
39L'inhumation sous l'Arc de Triomphe, en novembre 1920, du soldat inconnu perpétue le souvenir de la grande guerre et l'inscrit dans l'ouest Parisien. Désormais, la commémoration de la Victoire s'efface derrière le culte du souvenir des morts. Dans cet esprit, le gouvernement prend la décision de procéder, le 11 novembre 1920, à l'inhumation à l'Arc de Triomphe d'un soldat inconnu, ancien combattant de Verdun, et de lier cette cérémonie à la commémoration du cinquantenaire de la République pour laquelle il prévoyait de déposer au Panthéon un coffret renfermant le cœur de Gambetta57. Ainsi, les cérémonies du 11 novembre 1920 établissent un lien entre une cérémonie à caractère patriotique funéraire à l'Arc de Triomphe et une cérémonie au Panthéon associé dans les esprits à la gauche républicaine (funérailles de Victor Hugo, de Zola...).
40Le 8 novembre 1920, le gouvernement français propose à la Chambre de procéder à la translation au Panthéon et à l'inhumation du soldat inconnu. La gauche socialiste aurait souhaité voir inhumer le soldat inconnu au Panthéon mais on maintint le projet d'inhumation à l'Arc de Triomphe et au Panthéon. Le 11 novembre, après une veillée funéraire place Denfert-Rochereau, un cortège triomphal qui rassemblait des centaines de milliers de Parisiens, se rendit de la place Denfert-Rochereau au Panthéon où l'on déposa le cœur de Gambetta, puis l'itinéraire se poursuivit jusqu'à l'Arc de Triomphe58. Le soldat inconnu reçut une bénédiction de l'Archevêque de Paris ; son cercueil fut déposé dans une salle au sommet du monument. Il ne fut enterré sous la voûte que le 28 janvier 1921, avec les honneurs militaires. L'idée d'une flamme sur la tombe vint plus tard, en 1923, et fut à l'origine d'un véritable culte et d'un pèlerinage. Les provinciaux qui montaient à Paris dans l'entre-deux-guerres ne manquaient pas de venir s'incliner devant la tombe, quelquefois même avant de rendre visite à leur famille59. Paris, pour les provinciaux devient ainsi la capitale du souvenir. L'Arc de Triomphe devient un lieu à caractère religieux autour duquel la nation se rassemble ; chaque jour la flamme au soldat inconnu était ranimée par les soins d'un Comité de la Flamme, issu d'une association des groupements d'anciens combattants.
41Un véritable « système monumental » dans lequel l'aspect militaro-patriotique grandit en importance après la grande guerre, se met en place60. Il associe l'Arc de Triomphe, les Invalides, Notre-Dame et le Panthéon. Dans les cérémonies qui associaient l'Arc de Triomphe et la place de la République le 14 juillet 1919, ou l'Arc de Triomphe et le Panthéon le 11 novembre 1920, le cœur de la cérémonie se fixe autour de l'Arc de Triomphe. L'avenue des Champs-Elysées devient la « chaussée triomphale ». A partir de 1929, se dresse près du Rond-Point des Champs-Elysées, la statue de Clemenceau sur son rocher, regardant passer le défilé...
1. 2. La Panthéonisation de Jaurès
42La gauche aurait souhaité, nous l'avons vu, que la tombe du soldat inconnu soit placée au Panthéon. Quand il arrive au pouvoir en 1924, le gouvernement de Cartel des gauches présidé par Édouard Herriot propose la panthéonisation de Jean Jaurès. Le gouvernement poursuit plusieurs objectifs politiques. En proposant de panthéoniser Jaurès, les radicaux veulent organiser une manifestation en faveur de la paix, et démontrer leur ancrage à gauche, en particulier à la SFIO, qui soutient sans y participer le gouvernement. Ils souhaitent recréer, pour le peuple, un sentiment de communauté émotionnelle à gauche autour du « Temple des grands hommes ».
43Jaurès avait été enterré une première fois, le 4 août 1914, en présence de tous les représentants officiels de la Nation, des nationalistes représentés par Maurice Barrès et des membres de la Ligue des patriotes. Ses cendres avaient été déposées au cimetière d'Albi. Le 9 juillet 1924, le gouvernement Herriot propose à la Chambre un projet de loi visant à la panthéonisation de Jaurès : « Les cendres de Jaurès seront solennellement transférées au Panthéon ».
44Les communistes refusent la panthéonisation en tant que telle ; le Panthéon n'est pour eux qu'une église royale ; ils ne veulent en aucune manière donner l'illusion d'une gauche unie. Selon eux, le projet de panthéonisation est « destiné à dissimuler [derrière le grand nom de Jaurès] la carence d'une majorité qui déçoit tous les jours les espoirs que les travailleurs avaient placés en elle... »61. Les communistes (dont Jean Renaud se fait le porte-parole) refusent de « multiplier les images saintes à l'usage des fidèles leurrés » par respect pour le souvenir de Jaurès.
45Face à ce refus d'un rituel pourtant assez propre à la gauche, Léon Blum réagit à la condamnation communiste. Il rappelle la filiation socialiste à l'égard de Jaurès et se déclare favorable à la panthéonisation en ces termes : « Nous le gardons pour nous... nous, Parti socialiste français, tout en le gardant nous le remettons à la Nation et à l'Histoire ».
46On comprend par cette déclaration ce que représente le Panthéon pour Léon Blum et pour les socialistes : le lieu de mémoire de la France où reposent les grands hommes que l'Histoire se doit d'honorer. Blum avance un autre argument : en acceptant de ramener Jaurès d'Albi à Paris, les socialistes affirment vouloir œuvrer à la réconciliation de Paris et de la province et donner à leur père spirituel une dimension nationale.
47Certains socialistes rappelaient que Jaurès lui-même avait peu d'inclinaison pour le Panthéon, et ils auraient préféré laisser reposer Jaurès près des siens, en terre albigeoise. Ils considéraient en effet, que le Panthéon, lieu de « gloire officielle, pompeuse, froide et distante » « isole [Jaurès] des masses populaires et en quelque sorte le séquestre »62.
48Quant aux radicaux, dans leur esprit, le Panthéon doit être associé à l'Arc de Triomphe en tant que lieu d'hommage aux grands hommes de la République. L'Œuvre, le dimanche 23 novembre 1924 titrait « notre foi », affirmait « il faut une religion pour le peuple » et établissait une comparaison entre les deux cultes, celui du soldat inconnu à l'Arc de Triomphe et celui de Jaurès au Panthéon ; il montrait comment les radicaux voulaient lier dans les esprits l'Arc de Triomphe et le Panthéon.
« Le soldat inconnu à l'Arc de Triomphe, Jaurès au Panthéon : par ces deux grands gestes du culte des morts le peuple de France a montré deux fois son âme : il a signifié sa religion où s'allient par un double symbole, la patrie et l'humanité. Jaurès est ce magnifique apôtre. [...] Il a vécu en saint, il est mort en martyr... »63.
49La panthéonisation de Jaurès se prépare donc dans la discorde entre droite et gauche comme au sein de la gauche. Les différentes contradictions politiques s'expriment au grand jour. Le projet avait été adopté à la Chambre par 346 voix contre 110 ; la droite, tout en rendant hommage à Jaurès refuse la panthéonisation et accuse la gauche de vouloir « ouvrir trop souvent les portes du Panthéon, ce qui menace d'en faire le lieu le plus vulgaire, le plus banal du monde » (déclaration de Dominique Delahaye, sénateur de droite). Si l'on compare ses déclarations lors de la panthéonisation de Jean Jaurès et lors du transfert du cœur de Gambetta au Panthéon en 1920, on comprend que, pour la droite, il faut que les passions soient apaisées pour que puisse avoir lieu, dans la concorde nationale, une mise au Panthéon.
50Dans la préparation de la cérémonie, des désaccords se font jour entre socialistes et radicaux. Les socialistes voulaient donner à la cérémonie un caractère plus militant, alors que les radicaux affirmaient vouloir lui conserver un « caractère de simplicité populaire »64, ce qui, en la rendant moins spectaculaire, la ferait plus conciliatrice. Le projet était grandiose, théâtral (ce que beaucoup reprocheront d'ailleurs), transformant Paris en lieu de spectacle plus qu'en lieu de fraternisation populaire ou de recueillement. L'ordonnancement général de la cérémonie avait été confié à Gustave Charpentier, le célèbre auteur de « Louise » et à Saint-Georges de Bouhélier.
51Chaque courant politique investit Paris, sa rue, ses monuments, d'un sens qui lui est propre ; le peuple parisien va exprimer ces tensions. La cérémonie officielle se déroule le dimanche 23 novembre 1924. La veille au soir, la dépouille de Jaurès arrivée d'Albi est accueillie en gare d'Orsay par des milliers de Parisiens. Le cercueil est exposé dans l'ancienne salle Casimir Périer du Palais-Bourbon, rebaptisée pour l'occasion salle Mirabeau dans laquelle les députés socialistes ainsi qu'une délégation de mineurs de Carmaux organisent une veillée en présence de la famille de Jaurès, de personnalités socialistes telles que Lucien Herr, Léon Blum et de parlementaires. Le dimanche, le cercueil est présenté au public sur les marches extérieures du Palais-Bourbon, pavoisé de noir et ensuite transporté au Panthéon par les boulevards Saint-Germain, Saint-Michel et la rue Soufflot accompagné par une délégation de 70 mineurs de Carmaux vêtus de leur tenue de travail, une cotte bleue. Au Panthéon se déroule la cérémonie officielle puis l'ensevelissement proprement dit65. Les Parisiens étaient, selon les récits de la presse du Cartel, entre 80 et 100 000 à s'être déplacés pour cette « marche triomphale » qui devait conduire, au son des trompettes d'Aïda, le catafalque et le corbillard du Palais-Bourbon jusqu'au Panthéon. Quant au nombre des spectateurs on pouvait l'estimer à environ 1/2 million. C'était une foule assez proche de la sensibilité du Cartel des gauches, diversifiée sur le plan social, avec un grand nombre de femmes et d'enfants. Du carrefour des boulevards St-Germain et St-Michel au Panthéon, les trottoirs sont noirs de monde, la foule est très dense. Sur le terrain, on distingue les Parisiens qui sont sur la chaussée, ce sont les sympathisants du Cartel, reconnaissables à leurs slogans (« Vive la paix », « Vive Herriot »), et les Parisiens des trottoirs, moins engagés mais probablement sympathisants ou tout simplement curieux. Quand le cortège atteignit le boulevard Saint-Germain, « il fut accueilli par les sifflets, les lazzi et les cris hostiles venus des balcons »66. Les réactions des habitants du boulevard Saint-Germain révélaient la sensibilité de droite des habitants bourgeois et quelquefois aristocrates des immeubles du boulevard Saint-Germain.
52Un deuxième cortège, organisé par les communistes, avec comme lieu de rendez-vous, les Champs-Elysées, rassemblait des ouvriers de banlieue, des habitants des quartiers de l'est et du nord et marchait à distance du premier cortège, de la Concorde vers le Panthéon. Ce deuxième cortège qui rassemblait au début 15 000 militants finit par atteindre 100 000 personnes67. Tout dans le deuxième cortège contrastait avec les mines compassées du premier cortège. Alors que le premier cortège, celui du Cartel, rassemblait des officiels, des gens établis, le deuxième cortège était beaucoup plus jeune, plus militant, plus chantant (on y chantait l'Internationale), plus joyeux68.
53L'historien Jean Touchard a laissé un témoignage sur les réactions de peur des habitants du quartier Saint-Germain-Saint-Michel devant ce deuxième cortège : « Je me souviens avec précision - j'avais six ans à l'époque - des portes cochères se fermant, comme si la révolution allait tout emporter. Et j'avais découvert la marque de la peur sur des visages qui m'en paraissaient une fois pour toutes préservés »69.
54Paul Nizan avait participé aux funérailles de Jaurès alors qu'il était normalien ; il en fait en 1938 dans La Conspiration70, un récit détaillé qui éclaire bien la façon dont les communistes ont gardé le souvenir de cette deuxième manifestation qui contrastait si fortement avec celle du Cartel des gauches dans le style et dans la composition sociale :
« Le boulevard s'emplit : c'étaient les ouvriers de banlieue, la masse des quartiers denses de l'est et du nord de la ville ; ils tenaient la chaussée d'un bord à l'autre bord, le fleuve finalement s'était mis à couler... On ne pouvait penser qu'à des puissances drues, à la sève, à un fleuve, au cours du sang. Le boulevard méritait soudain son nom d'artère ».
55Notons l'image du boulevard irrigué, organisme vivant, celle du sang, de la jeunesse et des révolutions. Il nous faut aussi remarquer les réactions différentes de la chaussée et du trottoir : le peuple manifeste son pouvoir par l'occupation de la chaussée, qui, d'ailleurs, n'était pas autorisée dans toutes les manifestations par les pouvoir public71.
56Nizan analyse les réactions des Parisiens, réagissant « par fidélité aux images sentimentales que Paris gardait de Jean Jaurès et de son canotier et de sa vieille jaquette et de ses poings levés contre la guerre devant le grand ciel du Pré-Saint-Gervais... »72. Le peuple parisien conserve une mémoire des dirigeants révolutionnaires, il est, dit Nizan, « habitué aux grandes funérailles » qui font partie de l'histoire de la capitale. Les Parisiens ont une réaction émotionnelle devant ces grands moments communiels. « Il n'y a pas de fièvre qui se propage plus vite que les flammes des grandes processions... »73. L'émotion peut d'ailleurs jouer dans différents sens : communion ou au contraire rejet ; on sait que le jeune Tixier a adhéré à l'Action Française à la suite des funérailles de Jaurès.
57Les journaux cartellistes rendirent compte de la panthéonisation dans un langage religieux, avec une expression de satisfaction « extatique ». On parla de « montée de Jaurès vers le Panthéon ». Le Quotidien titra : « La plus grande manifestation populaire qu'on ait jamais vu à Paris » (23-11-1924). On présenta encore Jaurès comme un « saint de la paix »74. De leur côté les communistes étaient très satisfaits, mais pour des raisons différentes : « la panthéonisation n'avait pas été un enterrement ; c'était comme une fête grandiose de renaissance... Hier à Paris, pour la première fois depuis la guerre impérialiste, un vrai souffle révolutionnaire a balayé les quartiers fascistes... Derrière le cercueil de Jaurès, la révolution communiste a eu sa première journée [...] »75.
58Il faut resituer cette réaction communiste dans son contexte. Le Parti adopte à ce moment la ligne de « bolchevisation interne », de prolétarisation, qui le conduit à une opposition très ferme vis-à-vis du Cartel des gauches et des socialistes, et à une affirmation marquée d'une ligne prolétarienne dans la région parisienne. Par ailleurs, le 13 mai 1924 (deux jours à peine après les élections législatives du 11 mai 1924 qui révélaient les premiers succès des communistes dans la banlieue parisienne), Paul Vaillant-Couturier avait publié un retentissant article dans L'Humanité intitulé « Paris encerclé par le prolétariat révolutionnaire ».
« La victoire révolutionnaire, au point de vue stratégique est incontestable. Paris, capitale du capitalisme est encerclé par un prolétariat qui prend conscience de sa force. Paris a retrouvé ses faubourgs ! Le succès du 11 mai contient en puissance le contrôle par le prolétariat révolutionnaire des quartiers réactionnaires du centre, de ses banques, de ses monuments d'État, de son ravitaillement, des voies de communications, de ses casernes »76.
59Le Parti communiste lançait alors le thème de la « ceinture rouge », point d'appui de sa stratégie et menace vis-à-vis du capitalisme parisien. La manifestation qui accompagne la panthéonisation de Jaurès s'inscrit dans leur volonté de reconquête de Paris. Les communistes présentent la capitale comme la ville de la droite avec ses « banques et ses monuments d'Etat », dont fait partie le Panthéon qui n'est pour eux qu'une « église royale » désaffectée. Si les communistes ont accepté d'accompagner Jaurès, c'est de façon autonome, à distance, en donnant un sens qui leur est propre à l'itinéraire choisi. On pouvait ainsi lire dans L'Humanité :
« L'itinéraire que nous suivrons, de la place de la Concorde au Panthéon, est pour nous un pèlerinage révolutionnaire. Partant de la place de la Révolution, de la rue Saint-Florentin où s'élevait une barricade en 1871, nous accompagnerons Jaurès jusqu'à ce qui fut le réduit de la défense de la Commune sur la rive gauche : le Panthéon »77.
60Les militants communistes renouent avec la Commune de Paris, ils veulent rendre un hommage véritablement socialiste à Jaurès, manifester leur volonté de reconquête de Paris, bastion du capitalisme, par les quartiers ouvriers et la banlieue rouge. Ils s'inscrivent dans une histoire révolutionnaire de l'espace parisien dont chaque monument participe : la Concorde redevenant Place de la Révolution et le Panthéon étant référé à la Commune.
61La droite est saisie d'une grande peur. Le député de droite Pierre Taittinger, député du 1er arrondissement, interpelle le gouvernement le 25 novembre sur « le caractère révolutionnaire qu'a pris le transfert des cendres de Jaurès au Panthéon, et sur les motifs qui ont conduit le gouvernement à laisser l'agitation communiste maîtresse de la rue »78. Dans le même esprit, le peintre mondain Jacques-Emile Blanche observe le 26 novembre dans une lettre à son ami François Mauriac que « les obsèques de Jean Jaurès donnent la chair de poule »79. A ces protestations, le gouvernement d'Herriot oppose le droit du peuple d'honorer ses morts.
62La droite a ressenti la panthéonisation de Jaurès comme un début de réalisation de la menace d'encerclement de Paris ; sa réaction est symétrique de celle des communistes. « Le contraste politique entre droite et gauche n'est pas propre à Paris, mais il est plus nettement perçu dans la capitale qu'en province, parce qu'on y est plus proche des lieux de formation des doctrines, de la présence des leaders nationaux » explique Maurice Agulhon80. La panthéonisation de Jaurès a été vécue comme un moment d'opposition entre droite et gauche à Pairs, entre réactions bourgeoises et fidélités ouvrières.
63A Paris, droite et gauche, est et ouest, se font face, s'opposent. Et ce, d'autant plus que la gauche radicale est faiblement représentée à Paris81. Dans la panthéonisation de Jaurès celle-ci entraîne derrière elle, outre ses fidèles partisans, la foule qui aime les spectacles parisiens des grandes funérailles. La mémoire révolutionnaire communiste a, pour sa part, de solides points de repère dans l'espace Parisien. Elle s'inscrit dans une lecture et une mémoire des territoires parisiens de la Révolution. La droite parisienne a ses territoires (le Faubourg Saint-Germain, l'ouest) et ses propres repères ; elle a une contre-mémoire du cérémonial des funérailles et de l'histoire révolutionnaire parisienne toujours prête à resurgir même de façon fantasmatique.
64La panthéonisation de Jaurès a été un événement national que la province a pu suivre, en particulier à la radio, mais elle n'a pas été ce grand moment de rassemblement national où toutes les pensées des Français se seraient tournées vers le Panthéon. L'hommage est resté partisan82. Le Cartel des gauches était incapable de rassembler autour de lui la nation, même autour d'une grande figure de la paix comme celle de Jaurès. Dans les difficultés politiques où se débattait le Cartel, il n'a pu qu'organiser une grande cérémonie qui théâtralisait Paris. La volonté des communistes, davantage tournés vers le peuple parisien, de réinvestir la rue en donnant un sens militant et révolutionnaire à la manifestation l'a finalement emporté. D'une certaine manière et si l'on tient compte de la sensibilité politique des Parisiens, c'était inévitable : ce qui a dominé, c'est l'opposition, le contraste entre l'ouest et l'est, entre Paris et sa banlieue. Le Panthéon est demeuré un lieu de rupture entre les Français, jusque dans le sein de la gauche. Alors que l'Arc de Triomphe réunit les Français dans le souvenir de la guerre, le Panthéon ne parvient pas à les réunir autour de Jaurès comme figure de la paix.
1. 3. Les funérailles des maréchaux Foch et Joffre
65Dix ans après la signature du traité de Versailles et la célébration de la Victoire, les funérailles du Maréchal Foch (26 mars 1929), puis celles du Maréchal Joffre (8 janvier 1931), contribuent à développer le culte des héros nationaux de la première guerre et à fixer une géographie parisienne du souvenir. Paris s'affirme comme lieu du rassemblement de la nation autour du souvenir de la grande épreuve. Les monuments de la capitale fournissent aux funérailles un cadre symbolique idéal que le peuple de Paris sait, par tradition, faire revivre, investir, développer, donnant par sa présence à l'événement une dimension historique et nationale :
« Paris, dispose, pour honorer comme il convient les grands Français défunts, de précieux éléments d'apothéose qui ne se rencontrent nulle part ailleurs : ses monuments - Notre-Dame, l'Arc de Triomphe, les Invalides dont l'histoire a fait de véritables lieux sacrés du patriotisme et dont la seule évocation a la valeur d'un symbole national ; sa population, profondément accessible aux grands sentiments collectifs, merveilleusement apte à créer l'atmosphère de pitié ardente qui convent aux solennités de la gloire et de la mort »83.
66Il est remarquable que, pour Le Temps, le Panthéon ne fasse pas partie des lieux qui conviennent « pour honorer les grands Français défunts ».
67Un véritable rituel des funérailles nationales des militaires de la grande guerre se met en place. Les cortèges des funérailles empruntent un itinéraire qui se formalise de l'Arc de Triomphe aux Invalides avec un passage par Notre-Dame84. Ces funérailles déplacent des foules importantes. Les provinciaux se rendent dans la Capitale pour y participer. Les étrangers se joignent à eux. On se rend en famille aux funérailles nationales85. Toutes les catégories sociales s'y mêlent : ouvriers, paysans, officiels. Ce sont des moments de communion nationale, voire internationale.
68Il faut resituer les funérailles nationales des maréchaux Foch et Joffre dans le contexte politique des années 1929-1931 : la droite est alors au pouvoir. Les mouvements d'anciens combattants sont les plus populaires de toutes les organisations en activité dans la société française de l'entre-deux-guerres. Les funérailles nationales sont l'occasion de recréer une unité nationale dans un contexte déjà marqué par la grande crise de 1929-1931, d'organiser de véritables manifestations du sentiment populaire en faveur de la paix, alors que se poursuivent les négociations internationales au sujet de l'évacuation de la Rhénanie et de la question des Réparations.
69A la nouvelle de la mort de Foch, l'émotion est grande à Paris. La foule des Parisiens se rassemble devant son domicile rue de Grenelle. Le gouvernement prend aussitôt la décision d'organiser des funérailles nationales en l'honneur du maréchal Foch. Il se réfère aux grandes funérailles précédemment organisées : celles de Gambetta, de Victor Hugo, de Pasteur, des présidents de la République Carnot et Félix Faure.
70L'itinéraire aussitôt arrêté est publié dans la presse ; il comprend trois grands moments : l'exposition du corps à l'Arc de Triomphe les dimanche et lundi ; la cérémonie religieuse à Notre-Dame puis le défilé des troupes et l'inhumation aux Invalides86 le mardi 26 mars 1929.
71Une veillée funèbre se déroule la nuit du dimanche au lundi à l'Arc de Triomphe : le cénotaphe sera placé au centre de la voûte illuminée par des projecteurs électriques. Les lampadaires autour de l'Arc seront voilés de crêpe. La veillée à l'Arc de Triomphe remémore à la fois le souvenir des funérailles de Victor Hugo et celui de la veillée du 13 juillet 1919. Le Figaro l'exprime clairement : « Il faut [...] que la veillée funèbre ait lieu à l'Arc de Triomphe, comme pour Victor Hugo. Foch doit passer la dernière nuit à côté du Poilu Inconnu. A côté de l'anonyme, le plus grand nom de la guerre »87.
72Plusieurs commentaires mettent l'accent tout en la regrettant sur la simplicité de la décoration : « on avait voulu faire simple pour ce guerrier » explique L'Illustration88 si bien que « le cercueil de Foch posé sur un affût de canon entre quatre torchères semblait un peu perdu sous la voûte immense et glorieuse »89.
73Louis Dausset s'interroge sur les raisons de cette « demie-mesure » : « [...] Certes, il était permis de souhaiter que la veillée de l'Arc de Triomphe fût plus grandiose et plus largement populaire, telle jadis celle de Victor Hugo [...] »90.
74Pour la journaliste Janet Flanner, qui tint la chronique bimensuelle du New-Yorker entre 1925 et 1975 intitulée « La lettre de Paris » les funérailles de Foch ont été « le plus grand et le plus triste événement qui se soit déroulé à Paris depuis les funérailles nationales de Victor Hugo ». « [...] jamais, depuis 1918, la guerre n'a été aussi proche qu'elle le fut lors des obsèques de Foch »91.
75En effet, la présence du cercueil de Foch sous la voûte de l'Arc ne pouvait manquer d'évoquer celle du cénotaphe le 14 juillet 1919.
76Le Temps rendit compte de la journée du lundi et parla d'« apothéose »92. Ce fut une journée de communion nationale qui, selon Le Temps réunissait autour de « Paris » la communauté nationale : « toutes les villes et toutes les. campagnes de France dont la pensée, portée dans l'espace, était venue se joindre à la pensée de Paris. Il y avait, invisibles toutes nos vieilles provinces et surtout les provinces les plus chères que Foch libéra »93.
77Des chefs d'Etat étrangers s'étaient déplacés. Des réactions de sympathie, des condoléances étaient parvenues des pays étrangers. L'émotion était internationale. Janet Flanner raconte la journée du lundi pendant laquelle on put voir :
« Taxis et Rolls qui tournaient en une interminable procession autour de l'Étoile, des familles entières assises sur les capots. Il défilait 7 000 personnes à l'heure devant la bière. A la tombée de la nuit, deux millions de gens, entassés dans les rues avoisinantes, rompirent en désespoir de cause les barrages de police, balayant des milliers de personnes qui ne purent rien voir si ce n'est leur propre frayeur »94.
78Alors que Le Temps ne relevait dans « cette foule qui déferlait vers l'Arc de Triomphe, pas un sentiment discordant »95, L'Humanité, seule voix discordante qui avait dénoncé avec vigueur « Foch symbole de l'impérialisme de guerre et du sang »96, annonçait avec ironie le programme des obsèques nationales :
« Donc, ce matin, Foch sera conduit sous l'Arc de Triomphe, accompagné par les officiels aux mines confites, escorté par un escadron de cavalerie, on a préparé tout un décor de carton-pâte à l'Arc de Triomphe pour [...] le catafalque. Puis il y aura cortège de Notre-Dame aux Invalides ; en passant on saluera cette vieille Jeanne d'Arc. »97
79Dans la mêlée du dimanche, il y avait eu 150 blessés, ce qui contribua à déchaîner les sarcasmes de L’Humanité qui sous-estimait volontairement (avec le chiffre de 600 000) le nombre98 des Parisiens présents tout en parlant de « délire chauvin » : « dans la ruée des petits et des grands bourgeois excités, et surtout des badauds qui préférèrent par ce dimanche, le spectacle de la-Foire-à-la-Guerre à celui de la Foire-aux-Jambons »99.
80Le mardi, Paris prit un visage de tristesse et de recueillement pour la cérémonie. Alors que d'ordinaire « les bruits sont les maîtres de la rue »100. La ville se fait silencieuse et recueillie. Les lumières étaient éteintes, les magasins fermés. Dès deux heures du matin, la foule s'était massée sur le parcours du cortège.
81Le cercueil du Maréchal avait été transféré de nuit à Notre Dame. Seuls des privilégiés purent vraiment assister à la cérémonie religieuse à Notre-Dame : « tous les costumes officiels de la justice, argent, or, toques écarlates et fourrures, les boucles et les chaînes d'argent des huissiers, les vêtements sacerdotaux qu'on n'avait pas vus depuis la séparation de l'Église et de l'État... s'offraient au regard »101, rapporte Janet Flanner.
82Notre-Dame donne à la cérémonie une place dans l'histoire de France depuis la monarchie et l'Empire : « Ces voûtes, qui ont retenti des Te deum de toutes les victoires des rois de France, qui ont été témoins de la pompe du sacre, et du baptême du prince impérial ont vu s'accomplir aujourd'hui une cérémonie historique »102.
83La foule des Parisiens103 est un acteur essentiel de cette journée du mardi. Deux millions104 de Parisiens escortent le cortège qui parcourt Paris de Notre-Dame aux Invalides, marquant un arrêt devant la statue de Strasbourg, place de la Concorde. Beaucoup, en cette période de vacances pascales n'ont pas quitté Paris afin de venir rendre un dernier hommage « à celui qui par deux fois l'a si bien gardée »105. L'ensemble des commentaires souligne la présence, la dignité de la foule. Pour Le Temps cette foule innombrable (comme on n'en avait pas vu de telle depuis dix ans) « représentait le peuple de Paris et le peuple de France, et aussi tous les peuples du monde qui ont le culte de la vaillance uni au génie bienfaisant »106.
84André Thérive, dans Comœdia parlait de « foule énorme et puissante comme la mer » et écrivait un hommage à la « foule de Paris » : [...] « La foule de Paris s'est révélée l'autre jour, lors des admirables obsèques de Foch, tout autre chose qu'un vil troupeau. Pour la première fois peut-être, l'individu - celui du moins qui n'était pas ici en 1914 ou en 1918 et 1919 - ne s'y est pas senti perdu et solitaire »107.
85Cette foule est non seulement massive mais aussi très populaire : « Hommes, femmes et enfants, par centaines de mille ont conduit de Notre-Dame aux Invalides l'ancien généralissime des armées alliées »108.
86Elle est venue des quartiers populaires, des banlieues de Paris :
« [...] En cette aube du mardi 26 mars, où le soleil joue à travers un voile de brume, elle quitte, cette immense foule, les proches banlieues, les faubourgs excentriques, les rues lointaines et populeuses, vide littéralement des quartiers, aux voies désertes, aux fenêtres closes et s'achemine vers la Cité [...]. Dès six heures, un peuple d'humbles gens - ouvriers, employés, midinettes, petites vieilles pliées en des fichus - frange les trottoirs d'un mince et ininterrompu cordon noir »109.
87Janet Flanner insiste sur la participation populaire : comment un « pauvre fermier » des Sables d'Olonne est « monté » à Paris pour rendre hommage à Foch. Pour participer à la cérémonie, une ouvrière prend sa matinée avant de retourner à l'usine.
88Après que le Président du Conseil Poincaré ait prononcé un discours sur l'Esplanade des Invalides, Foch fut enterré aux Invalides associé dans les esprits à Turenne et à Napoléon. Il faisait par là entrer, écrit le journal Comœdia, le souvenir de la guerre au sein des Invalides : « [...] Le souvenir de la guerre [...] funèbre et tragique [...] entrait aux Invalides où Turenne attendait Foch »110.
89On vit donc à l'occasion des funérailles de Foch, Paris et les villages français, l'église et les grands personnages de l'État, communier dans une grande manifestation d'unité nationale.
90Dans ces funérailles, Paris et la France se confondent. Un rituel national et religieux se met en place. Les funérailles empruntent un itinéraire Arc de Triomphe, Notre-Dame, les Invalides qui associe étroitement les valeurs nationales et religieuses de l'histoire nationale et les inscrit dans le territoire de la capitale dont les lieux se chargent d'une valeur symbolique nouvelle. A la mort du maréchal Joffre, en 1931, ce rituel est appelé à se répéter dans l'utilisation des lieux, de leur signification, dans le comportement des participants.
91Le Maréchal Joffre mourut le 4 janvier 1931 des suites d'une maladie. Le monde apprit avec émotion la nouvelle de sa mort par la presse et par la radio.
92Devant son hôpital, pendant huit jours « le peuple de Paris [...] s'est relayé, comme pour une garde silencieuse devant la maison des Frères de Saint-Jean-de-Dieu »111.
93Le gouvernement prit la décision d'organiser des funérailles nationales « dans les mêmes conditions que pour le maréchal Foch »112. Le souci de faire des funérailles identiques à celles de Foch sera constant : d'une part il renvoie à un souci de symétrie entre les deux maréchaux qui existait déjà au moment du défilé du 14 juillet 1919, souci d'autant plus exprimé qu'une partie de la presse et de l'opinion conteste l'importance du rôle de Joffre dans la bataille de la Marne. D'autre part, le rituel des funérailles nationales des maréchaux est maintenant fixé si bien que le trajet des funérailles « Arc de Triomphe-Notre-Dame-Invalides » en fut maintenu de façon formelle alors que d'une part, la maréchale avait souhaité ne pas exposer la population parisienne au froid en ce mois de janvier : elle avait donc demandé que le cercueil ne soit pas exposé sous l'Arc de Triomphe ; d'autre part, Joffre avait souhaité être enterré non pas aux Invalides, mais dans sa propriété de Louveciennes : il en avait pris la décision à la suite de son dernier voyage aux Etats-Unis et d'un pèlerinage au tombeau de Washington à Mount-Vernon.
94Le corps du maréchal Joffre fut d'abord exposé, revêtu de son grand uniforme dans la chapelle de l'Ecole Militaire le lundi 5 janvier 1931. « La foule a défilé devant l'illustre chef », titre Le Figaro, le mardi 6 janvier. Paris lui a rendu un dernier hommage dans une veillée funèbre à laquelle Le Figaro associe la silhouette patriotique de la Tour Eiffel qui symbolise Paris pendant la guerre :
« [...] On distingue très peu, la silhouette métallique de la Tour Eiffel éteinte... Cette silhouette à l'architecture si contestée jadis, nous hante, dans l'obscurité de cette veillée funèbre, comme une présence mystérieuse, dont les appels magnétiques se reliaient, au long des années cruelles et splendides, avec la pensée du pays et de ceux qui le sauvèrent »113.
95Le mardi soir, le corps fut transféré à l'Arc de Triomphe puis à Notre-Dame en présence des Parisiens venus rendre hommage et témoigner de leur reconnaissance. Chacun semble remplir sa fonction : « Paris » personnifié, ses monuments la Tour Eiffel, l'Arc de Triomphe, Notre-Dame :
« Paris s'est découvert, méditatif, grave, les yeux emplis de souvenirs, devant le fourgon qui emportait le maréchal. Sous l'arche triomphale, il a vu la rencontre ultime du noble silencieux avec le soldat inconnu. Sur le parvis obscur de l'église métropolitaine, il a assisté pour la deuxième fois [...] à l'accueil d'un vainqueur de la grande guerre par huit cents ans d'histoire chrétienne ».
96Notre-Dame remplit d'autant mieux sa mission que l'on sait le passé incroyant de Joffre qui est revenu à la foi vers la fin de sa vie.
97Le mercredi 8 janvier 1931, à neuf heures du matin, une « foule immense », communiant dans l'émotion, conduisit en silence le cortège de Notre-Dame aux Invalides où le cercueil demeura en attendant l'inhumation à Louveciennes. Ce passage par les Invalides attestait que la gloire militaire était reconnue à Joffre par les officiels et par le peuple de Paris, comme elle l'avait été à Foch.
98Les récits des funérailles mettent en valeur le rôle spécifique imparti à chacun : Paris - la ville - manifeste l'émotion, le sentiment populaire et représente la France devant le monde ; ses monuments sont porteurs d'un sens spécifique.
99L'Arc de Triomphe, associé au retour des cendres de l'Empereur, aux funérailles républicaines de Victor Hugo et à la gloire de l'Empire rappelle à tous la Victoire de 1919 et le souvenir des morts perpétué par la flamme du soldat inconnu. L'Arc de Triomphe a intégré une signification républicaine depuis les funérailles de Victor Hugo. En accueillant la flamme du soldat inconnu, il y associe le souvenir de la guerre. Notre-Dame inscrit l'événement dans le temps long de l'histoire chrétienne de la France. Les Invalides associés à Turenne et à Napoléon, revêtent une nouvelle dimension avec l'entrée de Foch. Les funérailles des maréchaux de la grande guerre associent dans leur itinéraire l'Arc de Triomphe et les Invalides, ce qui était le trajet adopté pour le retour des cendres de l'Empereur.
100Dans ces moments privilégiés, Paris incarne la France, il la personnifie. Histoire Parisienne et histoire nationale se confondent, Sainte-Geneviève, patronne de Paris, protège Paris, dépositaire de l'esprit français. Les monuments Parisiens deviennent des lieux symboliques pour l'ensemble des Français et des étrangers. Le peuple accomplit un rituel patriotique avec dignité et savoir-faire et les commentateurs mettent en valeur cette fonction. Le « peuple de Paris », porteur d'une mission, légitime par sa présence la décision d'honorer le défunt et d'inscrire son souvenir dans l'histoire de France. Le rituel des funérailles s'impose à tous. Il se transmet des funérailles de Foch à celles de Joffre. Le peuple de Paris a alors une mission : ses réactions se doivent d'être un exemple pour tous les Français. Son calme, sa résolution pendant la guerre de 1914 renvoie à la résolution des soldats dans leur tranchée ; la foi et le recueillement du peuple au moment de la célébration de la victoire en 1919 démontrent l'unité de la France qui au jour de la victoire n'oublie pas ce contre quoi elle a combattu ni ceux qui se sont battus pour défendre sa cause. Son attachement aux héros de la France, combattants de la grande guerre comme Joffre ou Foch, combattants de la paix comme Jaurès renvoie au pacifisme des Français. Alors que, dans les moments d'unité nationale l'identité du « peuple de Paris » et celle des Français semblent se confondre, lors de la panthéonisation de Jaurès les divergences politiques, les conflits de classe, la diversité, prennent le dessus, soulignant par là la force de la géographie symbolique de Paris dans laquelle le Panthéon rattaché aux valeurs de la Révolution Française reste un lieu de rupture. Par deux fois, le 11 novembre 1920, et le 23 novembre 1924, la gauche radicale et socialiste a montré son attachement aux valeurs patriotiques et républicaines et tenté sans emporter l'adhésion l'association entre l'Arc de Triomphe et le Panthéon ; ce qui s'est finalement imposé à la nation, c'est le parcours Arc de Triomphe - Notre-Dame - Invalides.
2. PARIS CAPITALE D'EMPIRE
101La célébration du 14 juillet 1919 nous a montré Paris célébrant la victoire, capitale de la victoire, des alliés, de la paix. Mais on sait que la France avait déjà perdu en 1919 une partie de ce qui faisait sa suprématie mondiale.
102L'image sacralisée de Paris fait partie du prestige de la France. Paris de la Belle Époque symbolise la puissance de la France ; elle est la ville-lumière, la ville des Lumières, de la culture, du progrès, la ville des droits de l'homme, la capitale des plaisirs, la capitale de la mode. Quand Paul Morand repense au « Paris 1900 » depuis 1931 il écrit : « Paris capitale du monde, écrase New-York, Berlin et même Londres ; le franc-or regarde dans les yeux la livre-sterling »114.
103La France soutenue par son empire colonial est la première puissance militaire de l'après-guerre. En 1931, elle organise une exposition coloniale internationale dans la capitale afin de faire connaître aux Français la « Nouvelle France » de 100 millions d'habitants et 11 millions de km2 afin de déployer aux yeux du monde l'effort de colonisation. L'objectif est aussi de faire connaître l'Empire français et de le mettre en « émulation » avec d'autres empires coloniaux.
104Ville-lumière, elle est la ville des grandes manifestations et expositions internationales dans la lignée de l'exposition de 1 900 qui s'était déjà largement ouverte aux colonies ; comme capitale, elle transcende les divers localismes ; elle a une fonction d'unification ; capitale de la France qui s'est sacrifiée pour son Empire (ceci renvoie aux débats antérieurs à la guerre de 1914 sur l'utilité des colonies pour la France), elle est la métropole à la tête d'un vaste empire.
105Le projet d'exposition, dès sa conception en 1913, soulignait l'importance du choix de Paris comme site d'exposition. Les termes du projet, à cet égard, étaient les suivants :
« Paris est incontestablement la ville des grandes manifestations ; dans la capitale, leur rayonnement inonde la France entière, éclaire l'univers... Pour donner à cette démonstration toute l'ampleur, tout l'éclat qu'elle mérite, pour éviter aussi les compétitions, les rivalités d'intérêts locaux, c'est à Paris même qu'elle doit avoir lieu...
A Paris revient l'honneur d'une éclatante consécration des efforts et des sacrifices consentis par la métropole »115.
106Les expositions qui s'étaient tenues jusque là à Paris s'étaient toutes installées dans le centre de Paris, le long de la Seine et avaient toutes contribué au développement et à la valorisation du centre et de l'ouest Parisien. L'exposition coloniale innove puisque dès juillet 1921, on décide d'installer des parties de l'exposition dans le Bois de Vincennes ; ce choix, malgré le lieu excentré, ne poserait pas de problèmes de transport majeurs car il était d'ores et déjà prévu de prolonger la ligne n° 8 du métro de la place de la République à la porte Picpus. L'idée de faire une exposition dans l'est Parisien eut immédiatement ses partisans. On vit en 1926, la Ligue de défense des intérêts de l'est116, faire campagne pour que l'est de Paris « obtienne enfin sa part, et que l'Exposition s'installe dans le beau cadre du Bois de Vincennes »117. Pour elle, installer l'exposition dans l'est de Paris était un véritable acte de « justice distributive ».
107Le maréchal Lyautey, officier royaliste qui avait participé à l'urbanisation du Maroc, fut à partir de 1927 le grand maître d'œuvre de cette exposition avec la fonction de commissaire général de l'exposition118. Marcel Olivier l'assista dans cette tâche comme délégué général au sein du commissariat de l'exposition. Lyautey lia de façon très précise dans la conceptualisation de l'exposition sa conception de la colonisation française et l'implantation dans l'est de Paris, près des « quartiers déshérités », dans des régions « gagnées au communisme »119. Le projet d'exposition coloniale, tel que Lyautey l'a formulé est marqué par l'esprit d'une droite d'ordre social, catholique, missionnaire, intéressée à dialoguer avec les déshérités qui pourraient, en l'absence de ce dialogue se tourner vers la révolte et le communisme - les pauvres comme les colonisés sont porteurs de valeurs que l'occident doit découvrir. Dans cet esprit, Lyautey animait, avec R. Dautry, Dubreuil et R. Garric, un groupe de catholiques des Équipes sociales dans des quartiers populaires comme le quartier de Belleville120.
108Le « grand Paris » (entendons par là Paris, ouest, est et banlieue) devient pour Lyautey comme un décalque de la « plus grande France ». L'est s'identifie aux colonies. Les colonies sont au bout du monde, comme l'exposition qui se tient « aux portes de Paris ». La France s'ouvre au monde dans ses colonies comme Paris s'ouvre sur le « plus grand Paris ». Lyautey établit un parallèle, presque une identification, entre les habitants des quartiers de l'est Parisien et ceux des colonies. L'exposition va recréer dans le Bois de Vincennes, les colonies, leur population, leur végétation, leur faune. Lyautey déclare en 1928 :
« Nous allons nous planter au milieu de quartiers déshérités, où vit une population qui n'est guère accoutumée à voir le flot venir à elle. Comme cela est intéressant ! L'est de Paris n'est-ce pas une région dont on dit qu'elle est assez gagnée au communisme ? Il est intéressant d'aller planter nos pousses coloniales au milieu de ce monde populaire, dont les neuf dixièmes ne sont ce qu'ils sont que parce qu'on n'a jamais parlé avec eux, dont les neuf dixièmes sont, au fond, disposés autant que d'autres à nous comprendre et à marcher avec nous. Je me réjouis pour ma part de voir cette population et de causer avec elle. Je suis convaincu que l'Exposition peut être un grand facteur de paix sociale dans cette région de Paris »121.
109Toute exposition est un projet d'urbanisme. D'une part elle crée une ville dans la ville, d'autre part elle est l'occasion d'aménagements urbains. Lyautey œuvre bel et bien dans ces deux directions : il organise l'exposition mais veut aussi aménager l'est Parisien. Cet aménagement, il le conçoit comme une grande opération d'« haussmannisation » de l'est, une modernisation mais aussi une mise en ordre de l'est. Il en appelle à une « Révolution urbaine »122. Dans le contexte de création du Comité supérieur d'aménagement de la région Parisienne (en 1928), dans lequel on a pris la décision d'organiser le grand Paris, le « Paris nouveau », Lyautey appartient au groupe des concepteurs du plan d'aménagement de la région Parisienne : Prost est d'ailleurs un de ses proches : il a travaillé avec lui à l'urbanisation des villes marocaines ; Le Corbusier, urbaniste moderne qui travaille dans les milieux des urbanistes du Paris nouveau en participe également. Il se crée alors un réseau de penseurs, d'aménageurs de Paris et des colonies en relation avec des militants catholiques de droite ; ce réseau sera très actif au moment des événements du 6 février 1934 aux côtés du colonel de La Rocque123. Leur philosophie s'exprime dans l'organisation générale de l'exposition.
110Lyautey avait souhaité faire de l'exposition une grande exposition internationale qui serait l'occasion d'un rapprochement européen, démontrant « qu'il y a pour notre civilisation d'autres champs d'action que les champs de bataille »124. Il ne réussit pas, malgré ses efforts, à convaincre la plupart des grandes puissances coloniales du moment. Seuls cinq états européens (Danemark, Belgique, Italie, Pays-Bas, Portugal) construisirent des pavillons nationaux et coloniaux. La Grande-Bretagne manifesta son désintérêt pour le, projet125, l'Allemagne fit de même, l'Espagne déclina l'invitation, les États-Unis, les Philippines et le Brésil décidèrent de construire des pavillons représentatifs de leur passé colonial126. Dès la conception de l'exposition, on aperçoit des faiblesses : la France ne saura pas réunir autour d'elle les autres puissances coloniales et ne donnera pas l'image d'une grande puissance internationale capable de rivaliser avec les autres grandes puissances.
111L'exposition doit durer 6 mois, depuis le 6 mai 1931 jusqu'au 14 novembre. L'inauguration se déroule en présence du Président de la République Gaston Doumergue, du Ministre des Colonies Paul Reynaud, du Président du Conseil municipal de Paris, Jean de Castellane et du Maréchal Lyautey. L'urbanisme de l'exposition, l'ensemble des discours, des présentations, des réalisations artistiques sont guidées par une double philosophie : démontrer l'apport de la France aux colonies ainsi que l'apport des colonies à la France.
112L'exposition répète-t-on dans de nombreux commentaires, se situe aux « portes de Paris ». Ainsi, peut-on lire dans La Gazette coloniale, le 28 mai 1931 « Solennellement inaugurée par le président de la République, l'Exposition Coloniale Internationale dresse, aux portes de Paris, l'emblème de la plus grande France ». Le critique Léandre Vaillat explique dans l'Illustration127, que « L'architecte a compris ce que l'idée même de porte a de désuet dans la cité moderne, largement ouverte et non enfermée dans une ceinture de remparts »128. La proximité du centre de Paris confère du prestige à l'exposition. Les portes de l'exposition sont par conséquent un élément important pour l'exposition elle-même. Elles signifient une ouverture de Paris et de la France sur les Colonies. Treize portes donnent accès à l'exposition. Mais il y a deux portes principales sur lesquelles un effort particulier a été fait : la porte d'Honneur de l'exposition se trouve à la porte de Picpus, point d'arrivée de la ligne n° 8 du métro129. On y a construit le seul bâtiment en dur de l'Exposition, le palais permanent des Colonies situé symboliquement à la porte même de Paris. La deuxième porte importante est la porte de Reuilly où se situe la Cité des Informations qui rassemble sur 19000 m2 un ensemble de données, cartes, statistiques, graphiques, fiches économiques sur la colonisation française et étrangère130. Les organisateurs de l'exposition ont un très grand souci didactique. Ils veulent démontrer aux visiteurs les bienfaits d'un empire trop méconnu selon eux131. La Cité des Informations et le Palais Permanent mettent au premier rang de leurs préoccupations l'information et l'éducation du public, le développement de la conscience coloniale. « La capitale de la France, grâce à l'exposition sera plus que jamais capitale de l'intelligence humaine », affirme dans L'Illustration132 le Gouverneur Général Olivier.
113Les visiteurs de l'exposition sont invités par un ensemble de guides133, une floraison d'articles de presse, à venir visiter l'exposition, à accepter le voyage et le dépaysement. On leur propose « un tour du monde en 4 jours », voire en une journée. L'exposition se veut « reconstitution à l'identique » de l'empire français. La réalisation monumentale la plus achevée à cet égard, le « clou » de l'exposition est la reconstitution en carton-pâte du motif central du Temple d'Angkor réalisée par l'architecte Blanche. On rencontre dans l'exposition un grand nombre de coloniaux. Mais si l'on souhaite restituer la « vie tropicale », on met en garde le visiteur contre « ces bamboulas, ces danses du ventre, ces étalages de bazar qui ont discrédité bien d'autres manifestations coloniales »134. On demande de manifester du respect pour les indigènes. Le cadre verdoyant du Bois de Vincennes permet de reconstituer la végétation des colonies. On se doit de le respecter, comme on respecte le cadre naturel des colonies135. Enfin la faune des colonies, lions, girafes, autruches, singes, est rassemblée dans le grand zoo qui, à ce moment, se trouve vers le sud-est du lac Daumesnil136. On insiste beaucoup sur les bienfaits de la colonisation « N'oubliez pas qu'avant nous, sur le territoire africain, le plus fort dominait le plus faible, la femme n'était qu'un bétail, et l'enfant peu de chose »137 ; on affirme qu'« aujourd'hui coloniser veut dire : faire commerce d'idées et de matières, non plus avec des êtres grevés de misère physique et morale, mais avec des gens aisés, libres et heureux »138.
114Les itinéraires proposés par les guides, la disposition des bâtiments dans l'exposition permettent de comprendre les intentions des organisateurs, les parties de l'exposition qu'ils souhaitaient plus spécialement mettre en valeur. Le Guide officiel recommande de pénétrer dans l'exposition par la Cité des Informations, de suivre la Grande avenue des Colonies françaises en s'arrêtant aux différents pavillons mais tout particulièrement au pavillon des Missions catholiques et protestantes, une église construite par Paul Tournon. Ce pavillon devait selon les organisateurs « provoquer la véritable émotion » (Lyautey, officier catholique et royaliste avait été très attentif à sa réalisation). Puis le visiteur traverse les six hectares réservés à l'Indochine et admire l'imitation du temple d'Angkor, occasion de vanter les mérites artistiques de la France : « ne l'avons nous pas arraché aux lianes aux racines de la forêt tropicale qui l'emprisonnaient, alors que les descendants de ses constructeurs magnifiques l'avaient abandonné ? »139. L'image de l'Empire français est régionalisée, provincialisée à telle enseigne que l'exposition coloniale de 1931 servira de référence à ceux qui demanderont que l'on organise à Paris une exposition des provinces de France140.
115La France occupe la place d'Honneur. Les territoires extérieurs de la Belgique, du Danemark, des États-Unis, de l'Italie, des Pays-Bas et du Portugal occupent un espace beaucoup moins important que les colonies, protectorats et mandats de la France.
116Le circuit dans la partie sérieuse de la visite de l'exposition s'achève sur le Palais Permanent des Colonies qui mêle idéologie coloniale et idéologie moderne, dans l'esprit qui animait les urbanistes et architectes de l'exposition. Lyautey expliquait les points communs entre « politique indigène et urbanisme »141, ses deux grandes préoccupations. L'architecte du musée, Laprade142 a voulu en faire une composition « qui procède de l'Esprit Nouveau, mais avec modération »143. Le musée se présente comme un temple, entouré d'une gigantesque fresque de Janniot, dont le sujet est l'apport économique des colonies à la France. Il semble émerger de l'eau, symbole des colonies françaises baignées par les eaux. A l'avant du musée se dresse une statue de Minerve, en bronze doré du sculpteur Drivier, qui représente « La France apportant la paix et la prospérité aux colonies ». A l'intérieur, les espaces sont tournés vers le centre comme dans les civilisations méditerranéennes. Le musée abrite deux grandes sections : la section de synthèse qui donne une vue générale de la colonisation française depuis 1870, et la section rétrospective qui retrace l'histoire de la colonisation française. Au rez-de-chaussée, on trouve une salle des fêtes, et à chaque extrémité du hall d'honneur deux salons, le salon Lyautey et le salon Paul Reynaud. Les peintures de la salle des fêtes représentent l'apport de la France à l'Outre-mer, et celles des salons les apports spirituels de l'Afrique et de l'Asie. Les fresques de Pierre Ducos de la Haille, dans la salle des fêtes exaltent l'apport de la France à l'Outremer144. Le musée est une pièce essentielle de l'exposition à la fois par sa situation, seul musée de l'est Parisien, son architecture qui allie classicisme et modernisme, sa philosophie qui retranscrit les buts de la colonisation.
117Mais l'exposition était aussi pour ses innombrables visiteurs145 une grande occasion de distractions. Les itinéraires s'achèvent sur des programmes festifs qui occupent la journée et une partie de la nuit (jusqu'à minuit). On précise cependant que le visiteur vient pour se distraire, « mais pas uniquement pour cela »146. Une fois de plus, Paris se défend qu'on l'identifie purement à une capitale des plaisirs.
118Pourtant les visiteurs profitèrent amplement des divertissements que proposait l'exposition. Le zoo était certainement une des plus grandes occasions de réjouissances ; sur les îles de Reuilly et de Bercy on trouvait un parc d'attractions. Les visiteurs pouvaient participer à des fêtes indochinoises, malgaches... Ils pouvaient se promener à dos de chameau, aller dans les souks, ou acheter des casques coloniaux ; on pouvait encore dîner de plats inconnus dans les restaurants, les cafés, manger des beignets ou boire des boissons exotiques. Le soir, jusqu'à minuit c'était une véritable féerie lumineuse... au point que certains pouvaient se plaindre du manque de sérieux, de l'allure de « foire »147 qui nuisait au sérieux de l'exposition. Au fond, l'exposition devait permettre aux visiteurs de bénéficier de l'ensemble des apports de la plus grande France : l'intellectualité, la spiritualité, les avantages Parisiens, les plaisirs...
119L'exposition coloniale était non seulement une invitation au tourisme colonial, mais aussi un appel à l'imagination. Comme le remarquait un visiteur du Touring Club de France en relevant l'inscription du Musée Permanent des Colonies : « La Terre est un livre plein de belles images colorées, avons-nous donc entièrement perdu notre âme d'enfant pour ne pas vouloir en tourner une page ? »148.
120Immédiatement après l'exposition, les organisateurs, le Conseil Municipal de Paris avaient conclu à son succès. Le bilan financier positif en était la preuve. En ces temps de crise économique, l'exposition avait apporté à l'octroi des rentrées financières non négligeables149. Elle créait des emplois pour des chômeurs. Mais réussissait-elle à donner une image de puissance de la France, à donner une image de Paris comme capitale d'un vaste Empire ?
121Dans les débuts de l'exposition, les partisans de l'idée coloniale avaient pu aller jusqu'à une formulation aussi provocatrice que celle du Temps colonial, le 31 mai 1931 :» Si la France n'était pas à Alger, à Dakar ou à Hanoi, c'est une question de savoir si elle serait à Paris. C'est son Empire qui la tient à bout de bras, la garde des dangers du présent et lui assure l'avenir ».
122Dans ces propos, Paris, en ces temps de crise, n'est plus le centre d'un vaste empire, le lieu du fondement de la puissance française, mais c'est l'existence de l'Empire qui assure la puissance de la France, donc de Paris. A la fin de l'Exposition, le parti colonial ne considérait pas que l'exposition coloniale avait permis de faire avancer de telles idées.
123Du côté des écrivains, la « réflexion, nous dit C.-R. Ageron, fut courte, rarement critique, généralement indifférente à l'œuvre républicaine »150. Un petit nombre dénoncèrent le côté factice de l'exposition. Simone de Beauvoir rapporte les réactions que Sartre et elle-même avaient eues :
« malgré nos convictions anticolonialistes, nous allâmes faire un tour à l'Exposition coloniale, occasion pour Sartre de pratiquer son esthétique d'opposition : que de laideurs ! Et comme il était dérisoire, ce temple d'Angkor en papier mâché ! Mais nous aimions le bruit et la poussière que soulèvent les foules !... »151.
124Ces souvenirs témoignent de l'engouement populaire pour l'exposition tout en donnant un aspect quelque peu dérisoire à l'exposition.
125Les surréalistes dénoncèrent l'exposition et, à travers elle, le « brigandage colonial » ; ils diffusaient des tracts : « Ne visitez pas l'exposition coloniale ». Enfin les communistes tentèrent après le 24 septembre avec la « Ligue anti-impérialiste et contre l'oppression coloniale » une contre-exposition organisée par Alfred Kurella, place du Combat sur le thème « la vérité sur les colonies ». Mais ces diverses manifestations de critique et d'opposition eurent peu d'écho, la contre-exposition n'eut que 2380 entrées152.
126En fait le succès de l'exposition comme divertissement est à peu près avéré ; les contemporains mettent l'accent sur son originalité et sa spécificité. Ainsi Raymond Isay, à l'occasion de l'exposition de 1937 souligne dans son Panorama des Expositions Universelles que l'originalité de cette exposition est d'être « sortie de Paris »153.
« L'Exposition [écrit R. Isay] féconda l'Art et l'Industrie, concourut au renouvellement de l'esthétique nationale, retarda la crise. Sortie de Paris (et telle était peut-être sa plus heureuse originalité) elle se composait d'un parc -le Bois de Vincennes et d'une cité de Palais et de pavillons que couronnait le Temple d'Angkor... Elle légua le Zoo, vestige du Parc ; le Musée expression durable de cette ville d'une saison ».
127Dans une conférence de préparation de la Grande Exposition de 1937, le Commissaire Général Labbé tirait ainsi le bilan de l'exposition de 1931 qui avait déplacé le « centre de gravité » vers l'est : « Chaque exposition engendre presque une ville nouvelle [...]. Le centre de gravité s'était, si j'ose dire déplacé vers l'est »154.
128Lyautey et les organisateurs étaient moins sûrs du succès pédagogique de l'exposition elle-même. Certes, les enfants semblent avoir été fascinés par l'exposition. Catherine Coquery rapporte que l'historien de la Chine, Jean Chesneaux a choisi son champ d'études après avoir, enfant, été émerveillé par l'exposition. Le rédacteur en chef de la revue Arts d'Afrique noire, Raoul Lehuard raconte sa fascination et son intérêt pour le musée :
« Il me souvient, lorsque j'étais écolier, que mon père m'avait promis de me conduire à ce musée chaque fois que je serai le premier de la classe. Il dut regretter sa promesse car, dès ce moment je n'eus de cesse, pour visiter cet endroit qui excitait mon imagination, non seulement par ses masques et ses fétiches, qui pour moi s'animaient dans les vitrines sombres, mais par les scènes de ses fresques peintes et sculptées, de décrocher la première place (...) »155.
129Claude Mauriac se rappelle de sa visite nocturne à l'exposition, en compagnie de ses parents, « C'est féerique, comme le disaient avec une banalité effrayante les provinciaux et les étrangers qui nous entouraient »156. Mais, peut-être, justement, l'imagination des enfants les entraîne-t-elle plus facilement loin de Paris. L'exposition a bénéficié de la « logistique Parisienne ». Pour les visiteurs provinciaux ou étrangers « l'accueil de Paris était celui de la France »157. On peut alors se demander quelle place a occupé cette grande exposition dans l'imaginaire national de l'entre-deux-guerres. Sur cette question, les avis des historiens restent très partagés. Selon C.-R. Ageron, l'apogée de l'idée coloniale en France ne se situerait nullement en 1931, mais plutôt après la 2ème guerre mondiale158 L'historienne C. Coquery, moins catégorique159 insiste sur la participation massive du public tandis que C.-R. Ageron prend davantage en considération les arguments du parti colonial et des organisateurs dont Lyautey, déçus devant la faiblesse des progrès enregistrés par l'idée coloniale.
130La situation de l'exposition à l'est de Paris, aux portes de Paris, a eu l'effet escompté. Elle relève d'une véritable décision d'urbanisme et d'une volonté de recréer à Paris un équilibre entre l'est et l'ouest. Elle était, peut-être, à la mesure de la place que la République accordait à ses colonies. Paris n'est pas au centre de l'exposition, comme il n'est pas au cœur de l'empire et de « la plus grande France ». L'image de l'Empire donnée par l'Exposition était trop franco-française, trop régionalisée pour que la France puisse faire de « Paris, capitale d'Empire » une image de sa puissance. Déjà de nombreux signes de crises altéraient l'image de la puissance française. L'exposition qui s'était déroulée en 1931, est une exposition de temps de crise. Elle ne parvient pas à donner une image différente de Paris et de la puissance de la France.
3. LES MANIFESTATIONS ET LA CRISE DE FEVRIER 1934
131Dans les années 30, les contemporains perçoivent une perte de la puissance de Paris et de celle de la France. La crise est une crise de civilisation où, pour différentes raisons, la ville est au cœur des contradictions de la société parce que l'essentiel des questions de la modernité s'y pose. Paris, comme symbole de la civilisation, est en crise. La crise s'exprime sur le terrain politique au moment du 6 février 1934 dans une nuit d'émeutes en plein Paris qui mobilise la droite parisienne, l'extrême-droite, regroupée dans des Ligues, les associations d'anciens combattants. Paris y joue un rôle spécifique.
132L'affaire Stavisky n'est pas une affaire purement parisienne même si Stavisky, escroc juif, russe qui a participé avec le député-maire de Bayonne à l'émission de faux bons du Crédit Municipal est une personnalité connue du Tout-Paris. Alors que Stavisky devait être arrêté, on le découvre mort à Chamonix (assassiné par la police selon les thèses que répandent non seulement l'extrême-droite mais aussi Le Canard Enchaîné). Le mois de janvier 1934 à Paris se passe en manifestations lancées en particulier par l'Action Française qui exploite l'affaire, dénonce le gouvernement des radicaux, l'accusant de corruption, d'escroquerie... Ces manifestations se déroulent boulevard Saint-Germain et sur les grands boulevards : le préfet de police de Paris, depuis 1927 est Chiappe, un modéré qui laisse faire, tout en témoignant une certaine sympathie pour les manifestants de la droite. Le gouvernement Chautemps, trop mêlé à l'affaire, est contraint de démissionner ; le gouvernement de Daladier qui lui succède le 30 janvier décide de révoquer Chiappe pour nommer à sa place un préfet moins tolérant vis à vis des manifestants, Bonnefoy-Sibour. La droite conduite par Tardieu au Palais-Bourbon, l'extrême droite constituée de différentes ligues et groupements (l'Action Française, les Jeunesses Patriotes conduites par Taittinger, député de Paris, ancien conseiller municipal, la Solidarité Française, les Croix de Feu conduites par le colonel de la Rocque) ainsi que différents groupements d'Anciens Combattants comme l'Union nationale des combattants (située à droite et dirigée par le conseiller municipal Lebecq), prennent fait et cause pour Chiappe et contre le gouvernement accusé de corruption, d'escroquerie, d'injustice. L'Action Française, les Croix de Feu, les Jeunesses Patriotes, l'Union Nationale des Combattants lancent un appel à manifester le 6 février 1934 contre la révocation de Chiappe et pour obtenir la démission du Gouvernement Daladier qui doit se présenter devant la Chambre. L'agitation est organisée au premier chef par les Ligues160, les groupements d'anciens combattants, mais aussi un groupe de conseillers municipaux de Paris161qui vont exprimer de la façon la plus ouverte, la plus directe leur opposition au gouvernement des radicaux, jusqu'à demander la démission du gouvernement et pour certains la proclamation d'un comité de salut public conduit depuis l'Hôtel de Ville.
133La droite parisienne, massivement représentée dans la manifestation du 6 février, va insister dans ses proclamations sur la mobilisation de « la Ville », dans la tradition révolutionnaire de Paris propre à la droite qui affirme se mobiliser pour le « salut public » : quinze conseillers municipaux font apposer sur les murs de Paris un manifeste où l'on peut lire, en particulier ceci :
« Demain sera ce que vous déciderez : ou bien la consécration de la tyrannie du sectarisme et de l'immoralité, ou bien le triomphe de la probité et de la liberté.
Parisiens, vos représentants n'oublient pas que le drapeau tricolore et la République sont nés à l'Hôtel de Ville.
L'heure est grave : la France attentive, écoute la voix de sa capitale ; elle saura l'exprimer avec force dans le calme et la dignité »162.
134La plupart des appels des Ligues parlent au nom de Paris. Les slogans lancés sont significatifs. On demande le retour de Chiappe, la démission du gouvernement, on crie « vive Paris » !
135Pour l'extrême droite, la manifestation peut se comprendre comme une manifestation de la Ville contre le Parlement. Les Jeunesses Patriotes invitent le « Peuple de Paris » à « affirmer en Place de Grève, face à l'Hôtel de Ville, berceau de tes libertés communales, que la patrie est en danger… La France a les yeux fixés sur Paris, Paris répondra à l'appel de la France »163.
136La nuit du 6 février est une nuit d'émeutes, faisant 15 morts et 1435 blessés. L'émeute déclenchée par les Ligues dès 17 heures, se déroule autour de la place de la Concorde, au centre de Paris, dans une sorte de cercle autour du Palais-Bourbon. Elle restera longtemps dans les mémoires des Parisiens. Il faut distinguer entre les manifestations des Ligues et celles des Anciens Combattants. Les membres des Ligues ont occupé le périmètre autour du Palais-Bourbon dès 17 heures alors que les Associations d'Anciens Combattants ne sont arrivées que plus tard à la Concorde. L'U.N.C. (Union Nationale des Combattants), après s'être donné rendez-vous à 20 heures aux Champs-Elysées, s'est dirigée vers la place de la Concorde qui était barrée, elle a reflué vers la Madeleine, bouchée elle aussi, a envoyé une délégation à l'Elysée, puis le gros des manifestants est revenu vers la Concorde. L'A.R.A.C. (Association Républicaine des Anciens Combattants, proche des Communistes) s'était retrouvée à la statue de Clemenceau, près du Rond-Point des Champs-Elysées vers 20 heures. De là elle s'est rendue sur les grands boulevards où elle a manifesté sur ses propres slogans, pour la révision des pensions, contre le régime des radicaux. Quelques communistes se sont rendus place de la Concorde aux côtés des autres manifestants, accroissant l'impression générale de confusion car on pouvait entendre chanter l'Internationale aux côtés de la Marseillaise.
137Il faut insister sur le rôle joué par les conseillers municipaux de Paris. L'Hôtel de Ville, dit Serge Berstein, a été une « sorte de Centre politique de la journée du 6 février »164. Les conseillers municipaux de Paris, l'état-major des Jeunesses Patriotes s'étaient fixés rendez-vous devant l'Hôtel de Ville à 19 heures ; de là ils ont marché vers le Palais-Bourbon où, après s'être heurtés aux cordons de police, ils ont réussi à faire pénétrer une délégation. Au même moment Daladier présentait à la Chambre son Gouvernement qui reçut la confiance, soutenu en particulier par les socialistes après un vote à 300 voix pour et 217 contre. L'objectif des conseillers municipaux, chez lesquels la droite et l'extrême droite sont fortement représentées165 semble être la démission du Gouvernement, comme le prouvent les auditions de la Commission Parlementaire qui a été réunie après l'émeute. Les conseillers municipaux étaient relayés au sein du Parlement par l'opposition active conduite par Tardieu.
138Parmi les nombreux témoignages sur cette nuit, on peut citer celui de Joseph Kessel, paru dans Gringoire, le 9 février 1934. J. Kessel rencontre des journalistes, près du pont qui mène à la Chambre « objet de toute l'émeute », selon lui :
« J'ai bien cru que la défense allait être balayée me dit l'un d'eux. Les anciens combattants, les Croix-de-Feu, les Camelots du Roi, et même les communistes, tous enragés ont rompu les barrages de police, bousculé les gardes mobiles, désarçonné les municipaux, coupé les jarrets des chevaux, et forcé l'entrée du pont. Alors les mobiles ont perdu la tête, ils ont tiré. Ensuite les renforts ont nettoyé la place »166.
139Paris, « une ville si belle, si fine, si douce », dit Kessel, est « stupéfait, douloureux et grondant »167. Pourtant, la volonté insurrectionnelle des manifestants n'est pas générale. Il semble établi que les Croix-de-Feu conduits par de la Rocque n'avaient pas un schéma de prise de pouvoir comparable à un projet fasciste. Le colonel de la Rocque, s'il a voulu montrer la force de ses troupes réunies autour du Palais-Bourbon, soulignera par la suite qu'il a manifesté de façon indépendante autour des Invalides, et sans se joindre ni à l'Action Française, ni aux manifestants de l'Hôtel de Ville. Mais selon les témoignages recueillis, de nombreux manifestants étaient armés, l'exaspération était à son comble. La droite soutient que tout Paris est descendu dans la rue le 6 février. Elle utilise dans ce sens la participation des militants communistes de l'A.R.A.C. qui ont manifesté sur leurs propres mots d'ordre du Rond-Point des Champs Élysées aux grands boulevards. Le monde Lyauteysien est en pleine effervescence : Robert Garric en tire les leçons : « Qu'on ne me parle point d'une manifestation de classe : employés, ouvriers, c'est la ville qui était debout, et tout d'un coup on reconnaissait son grand visage, qu'on avait pu croire endormi, son visage de passion et de révolte, celui qu'ont aimé Michelet et Charles Péguy »168.
140Dans les jours qui suivent, après la démission de Daladier, socialistes et communistes réagissent d'abord séparément, puis de façon commune à partir du 12 février 1934. Les communistes analysent le 6 février 1934 comme une menace fasciste, ils voient les rues de Paris envahies par les « bandes fascistes » et accusent le parti radical et le parti socialiste d'avoir préparé le « lit du fascisme ». Le 9 février, ils manifestent seuls à la République et dans l'est Parisien contre « la dictature sanglante du capital » ; ils s'affrontent à la police. On relève 9 morts et une dizaine de blessés.
141De leur côté les socialistes considèrent, comme l'écrit Léon Blum au lendemain du 6 février, que « les troupes de choc royalistes et fascistes ont éprouvé leur force et [que] leur audace va s'accroître »169. Poussés par un fort courant unitaire venu de la base, socialistes et communistes vont d'une part lancer un appel à une grève générale nationale, d'autre part organiser pour le 12 février une manifestation commune du cours de Vincennes à la place de la Nation, lieu de manifestation moins radical, moins « chaud », moins propice à l'émeute que la place de la République ou le centre de Paris. Il semble, d'après les témoignages sur ces journées, que le contrôle de la rue de Paris ait été un véritable enjeu de pouvoir pour tous ; les manifestations sont d'autant plus tendues qu'on s'approche de plus près du centre de Paris. La manifestation du 12 ,autorisée par la police170 rassemble 300 000 manifestants dans Paris intra-muros. Avant la manifestation, l'ambiance est lourde, chargée d'angoisse.
142La description par l'écrivain Georges Bataille de la manifestation du cours de Vincennes le 12 février 1934, tout en utilisant un langage symbolique traditionnel, prend acte d'un tournant historique. Georges Bataille se rend en compagnie de Tual et de Michel Leiris à la manifestation (300 000 personnes) ; il évoque les deux cortèges, d'une part, le cortège communiste, qui s'avance majestueusement et représente aux yeux de Bataille « le peuple ouvrier », d'autre part, la « foule populaire » qui emplit le cours de Vincennes :
« [...] A un pas en avant d'eux, un vieil ouvrier chauve, immense, le visage rougeaud flanqué d'énormes moustaches blanches tombant à la gauloise. Ce n'est plus un cortège, plus rien de simplement humain : c'est toute l'imprécation du peuple ouvrier et pas seulement dans sa colère déchaînée. DANS SA MAJESTÉ MISÉRABLE qui s'avance grandi encore par une sorte de solennité grisante de lieu et de temps - et par la menace de tuerie qui s'étend sur toute la foule. Sur une pancarte au premier rang, rappelant les défis des hordes de légende au moment où, dans la brume du matin, elles s'apprêtent à affronter la mort et les ennemis rangés en face d'elles se lisaient ces simples mots « FASCISTES, VOUS NE PASSEREZ PAS ».
A perte de vue, la foule populaire s'accumule, vocifère, arrivant de toutes parts sur l'immense cours de Vincennes, et il semble que les éléments fascistes soient pour longtemps hors d'état de se mesurer avec cette force ouvrière massive »171.
143Les deux cortèges organisés par les socialistes et par les communistes se sont réunis dans la rue aux cris de « Unité, unité ! ». Telle est, du moins, le mythe a posteriori retenu par l'histoire172. Les partis de la gauche antifasciste ont reconquis la rue à Paris le 12 février 1934 .Cette journée est demeurée dans les esprits comme la première réalisation du Front populaire. L'événement parisien du 6 février a sensibilisé la France ; l'enjeu a immédiatement été porté à une dimension nationale et internationale. La grève du 12 massivement suivie à Paris et en province entraîne un million de travailleurs. La C.G.T. dirigée par Léon Jouhaux avait décidé, par esprit de conciliation, de lancer un appel à la grève, mais non à la manifestation173. Selon les estimations d'Antoine Prost174, 346 localités en France, au moins, ont été le théâtre de meetings ou de défilés. Là où la droite avait voulu voir, le 6 février 1934 une manifestation de Paris et de ses représentants contre l'État, la gauche, reconnaissant un danger de fascisme dans cette mise en cause des institutions républicaines par des groupes sinon fascistes, du moins fascisants, a alors fait appel à la France.
144Les événements du 6 février 1934 sont exemplaires, à plusieurs égards, de la façon dont la politique s'inscrit dans l'espace parisien. La droite et l'extrême droite ont manifesté en occupant le centre de la capitale : la place de la Concorde. Les lieux symboliques du pouvoir de Paris - l'Hôtel de Ville - de la France - le Palais-Bourbon, le Palais de l'Élysée - ont été mis en question. D'une certaine manière la crise exprime une contradiction entre la représentation élue de la ville, le Conseil municipal et la représentation nationale : le Palais-Bourbon.
145Les manifestations de la droite se sont presque toutes déroulées dans le centre et l'ouest de Paris, alors que la réponse de la gauche s'est exprimée dans l'est parisien, dans les quartiers populaires et républicains : le 9 février à la République, le 12 février à la Nation. L'opposition entre droite et gauche se traduit dans les lieux choisis pour manifester. L'A.R.A.C. est la seule des organisations de la gauche à avoir manifesté dans le centre de Paris le 6 février. Le rendez-vous à la statue de Clemenceau n'est pas exceptionnel pour l'A.R.A.C. qui, dans l'entre-deux-guerres est pratiquement la seule organisation de gauche qui réussit à manifester dans l'ouest, mais en tant qu'association d'anciens combattants. Il est d'ailleurs à remarquer que la présence de ces anciens combattants communistes dans l'ouest est un des éléments de la « confusion » du 6 février175.
146Les tableaux de Paris que nous avons présentés mettent à jour une géographie politique et symbolique de la capitale dont on peut retrouver les origines sous la monarchie. Nous suivrons ici les analyses développées par Maurice Agulhon dans un texte publié dans les Lieux de mémoire, intitulé « Paris »176. Maurice Agulhon y explique la généalogie de l'opposition symbolique et politique de l'ouest et l'est de Paris. Paris, dit-il, est « latéralisé »177 : la monarchie française avait placé son centre politique dans ce qui était à l'époque l'ouest parisien. La succession des places royales dans Paris révèle une extension progressive de la ville d'est en ouest. La période décisive pour la « polarisation » parisienne est la première moitié du xixe siècle. C'est Napoléon Ier qui « inaugure le 'processus de polarisation' ». Alors que « la Révolution avait pris tout Paris », Napoléon Ier fait un choix décisif qui le pose en « contradicteur de la Révolution » : il choisit de placer l'Arc de Triomphe de l'Étoile à l'ouest de Paris, dans un site excentrique, non peuplé, vide. C'est, dit Maurice Agulhon, « une anticipation géniale de l'urbanisme Haussmannien ». Décisive aussi, la période du règne de Louis-Philippe pendant laquelle d'une part les « hauts lieux révolutionnaires de l'est sont remis en honneur » : le Panthéon est rendu au culte des Grands Hommes, la colonne de Juillet est érigée à la Bastille, d'autre part se consolide le « triangle militaire napoléonien »178 (Place Vendôme, Arc de Triomphe, Invalides). La Concorde est au centre de Paris, entre le couple « libéral-laïque-républicain de l'est »179 et le triangle national-militaire de l'ouest ; les huit statues des villes de France situées sur son pourtour y dessinent une « image de la France ». La Concorde est ainsi « neutralisée ». Dans la deuxième moitié du xixe siècle, la géographie symbolique de Paris est désormais fixée. On peut même, à partir de là « déchiffrer une politique à ses itinéraires », et surtout, cette géographie idéologique et politique détermine tous les choix d'urbanisme monumental ; les monuments républicains (à l'exception notable de la Tour Eiffel) se situent dans l'est de Paris, la statue de la République et le Triomphe de la République, alors que, dans l'ouest se confirme le triangle militaire un peu modifié à partir de 1929 (statue de Clemenceau, Étoile, Invalides). La population de l'ouest parisien ne s'est installée que, une fois que cette géographie était fixée, dans ce qui est ainsi devenu « les beaux quartiers » alors que les classes populaires, républicaines, le Paris du Travail vit dans l'est. « Un espace sociologique se superpose à l'espace symbolique »180.
147Nous avons pu constater que, dans les cérémonies qui associaient l'Arc de Triomphe et la République le 14 juillet 1919, l'Arc de Triomphe et le Panthéon en novembre 1920, c'est l'Arc de Triomphe qui a déterminé la signification militaro-patriotique dominante de la cérémonie. L'étude des funérailles des maréchaux de la grande guerre a souligné l'importance du rituel qui s'est alors mis en place et de l'itinéraire que suit le peuple de Paris de l'Arc de Triomphe, à Notre-Dame, aux Invalides. Au cours de ces célébrations, chacun des monuments se charge d'une signification supplémentaire. Le souvenir de la Première Guerre Mondiale, gloire militaire et deuil des Français, est maintenant étroitement lié à l'Arc de Triomphe et aux Invalides. Notre-Dame confirme son statut de cœur de la cité et de cathédrale de l'histoire de France.
148Toutes les tentatives politiques de déplacer l'intensité émotionnelle et religieuse, de réunir les foules autour du Panthéon, symbole de paix, temple républicain des grands hommes ont échoué. De même la tentative faite par le maréchal Lyautey de déplacer le centre de gravité des expositions dans l'est de Paris, si elle a été une réussite sur le plan urbanistique, n'a pas réussi à transformer en succès l'exposition coloniale et à donner une image véritable de Paris comme capitale d'Empire.
149Dans des occurrences comme le 14 juillet 1919, prolongées par des moments de communion nationale telles que les funérailles des maréchaux de la Grande Guerre, Paris apparaît comme le lieu du rassemblement national et de la réunion patriotique, religieuse, entre Paris et la France. Image de Paris et image de la France ne font qu'un. Dans les moments de crise, au contraire, explose l'opposition entre l'ouest, l'est, la banlieue. La capitale devient alors un enjeu. La crise entre Paris et la France en février 1934 s'exprime par un conflit entre la rue parisienne, siège d'émeutes et les lieux de la représentation nationale. La géographie électorale française est le reflet de ces moments de réunion ou d'opposition. Les lieux des manifestations de février 1934 confirment que le centre de Paris est un enjeu dans la lutte pour le pouvoir à Paris et en France. Le 6 février 1934, dans la nuit d'émeute autour du Palais-Bourbon, c'est la droite qui contrôle le centre politique de la capitale. La réponse aux menées factieuses s'organise de façon significative à la République, puis à la Nation : elle part de l'est et des quartiers populaires. Bien sûr, cette opposition entre monuments républicains et monuments impériaux, entre l'est et l'ouest de Paris devrait être affinée dans un changement d'échelle qui permettrait d'étudier d'autres lignes de séparation et de partage dans la capitale.
Notes de bas de page
1 L'expression est empruntée à l'historien Yves-Marie Bercé.
2 Marc Bloch, « Souvenirs de guerre 1914-1915 », Cahiers des Annales, n° 26, 1969, p. 10.
3 Le gouvernement d'Union sacrée proprement dit ne sera formé que le 26 août 1914.
4 Voir E. Hausser, Paris au jour le jour, 1900-1919, qui a effectué un dépouillement assez systématique de la presse nationale et parisienne.
5 Le Petit Parisien, dimanche 30 août 1914.
6 Selon l'expression tardive de Maurice Barrès dans L'écho de Paris du 22-12-1914 « C'est l'éternel miracle français, le miracle de Jeanne d'Arc ».
7 Gertrude Stein, Autobiographie d'Alice Toklas.
8 « Les mémoires du Maréchal Foch », L'Illustration, n° 4586, 24 janvier 1931, p. 103.
9 Voir Annette Becker, La guerre et la foi. De la mort à la mémoire - 1914-1930, p. 69.
10 Ibid, p. 70.
11 Jay Winter and Jean-Louis Robert, Capital cities at war London, Paris, Berlin 1914-1919.
12 Daniel Halévy, Pays Parisiens, p. 222.
13 Ibid, p. 227.
14 Même si les journaux s'attachent à « démontrer que le cœur de la France est désormais non pas la capitale, mais la ligne de front tentant de résister à l'offensive allemande... » (A. Becker, « La très grande guerre », in Le Monde, n° spécial, septembre 1994).
15 Henri Lavedan, in L'Illustration du 15 juin 1918, p. 568.
16 Guide Dent, 1922, op. cit., p. 62.
17 Nous pouvons établir ici une analogie avec les analyses de Maurice Agulhon sur la représentation de Marianne, la République en Femme : Maurice Agulhon, Marianne au pouvoir. L'imagerie et la symbolique républicaine de 1880 à 1914.
18 H. Lavedan, op. cit.
19 Charles Delvert, Histoire d'une compagnie, cité par Marc Ferro, La grande guerre 1914-1918, p. 27.
20 Raymond Poincaré, Au service de la France. Victoire et Armistice - 1918, p. 413. Raymond Poincaré, Au service de la France. Victoire et Armistice - 1918, p. 413.
21 Le 28 novembre, le roi d'Angleterre ; le 5 décembre, le Roi et la Reine des Belges ; le 14 décembre, Wilson ; le 19 décembre, le Roi d'Italie ; le 21 décembre, les étudiants de la Sorbonne ovationnent Wilson.
22 Poincaré, op. cit., p. 436.
23 L'expression renvoie aussi à cette personnification de Paris.
24 La conférence était présidée par Clemenceau. Les quatre délégations principales sont représentées par Clemenceau, Lloyd George, Wilson, Orlando.
25 Déclaration de Louis Lafferre, ministre de l'Instruction et des Beaux-Arts, le 27 juin 1919 à la chambre.
26 Le Temps, 8 juillet 1919.
27 Le 13 juillet, Foch, Joffre et Pétain reçoivent sur la place de l'Hôtel de Ville, en présence d'une foule considérable, des épées d'honneur.
28 Voir Rosemonde Sanson, Les 14 juillet, fête et conscience nationale 1789-1975.
29 Annette Becker a analysé les réactions des catholiques et des socialistes à la journée du 14 juillet 1919 : voir Annette Becker, Les « morts du 11 novembre » in Vingtième siècle, n° 49, janvier - mars 1996, p. 31-45.
30 Le Figaro, mercredi 9 juillet 1919.
31 R. Weiss, La Ville de Paris et les Fêtes de la Victoire 13-14 juillet 1919. R. Weiss est chef de cabinet du président du Conseil municipal de Paris.
32 Le Journal, lundi 14 juillet 1919 commente la nuit : « [...] on m'a dit que Paris abritait ces jours-ci, huit millions de vivants. Ces millions de vivants se turent devant le cercueil mystique de ces dix sept-cent mille morts ».
33 Le Figaro, mardi 15 juillet 1919, p. 1.
34 Le Figaro, mardi 15 Juillet 1919.
35 La presse commente la décision de Joffre de participer au défilé de la Victoire, alors que l'on avait craint son absence. Elle souligne sa présence aux côtés de Foch dans un souci de symétrie entre première et deuxième Marne. (Voir Le journal, mardi 15 juillet 1919 : une photo montre « le Maréchal Foch et le Maréchal Joffre côte à côte ».
En réalité Joffre défile légèrement derrière Foch avant de rejoindre le Président de la République Poincaré à la tribune des officiels.
36 Le Figaro, mardi 15 juillet 1919.
37 Gertrude Stein, op. cit., p. 202-203.
38 L'Humanité du 13 juillet 1919 y voit une œuvre de « vandalisme » qui transforme les Champs Elysées en « champ de courses ».
39 Voir la photo des deux coqs « qui dominent les pyramides des canons allemands » dans Le Journal, dimanche 13 juillet 1919.
40 Le Figaro, 15 juillet 1919.
41 Voir Le Journal, mardi 15 juillet 1919.
42 Les pages d'annonces des journaux en proposent à la location ; Le Journal (8 juillet 1919) montre une caricature qui ironise sur le prix des fenêtres : « Comment ! 15 000 francs et je n'ai pas le droit d'emporter la fenêtre en souvenir ! ».
43 Le Journal, mardi 15 juillet 1919.
44 Maurice Barrès, Chronique de la grande guerre. XIV 1er juin 1919 - 4 juillet 1920, p. 47.
45 Le Temps, 15-16 juillet 1919.
46 Le Figaro, 15 juillet.
47 Le Figaro, 15 juillet.
48 Le Journal, 15 juillet, p. 2.
49 Ibid.
50 Ibid.
51 Ibid.
52 Le Figaro, 15 juillet, p. 53.
53 Jules Romains, Les Hommes de bonne volonté, « Vorge contre Quinette », p. 480-482.
54 Ibid, p. 482.
55 Maurice Sachs, commentant l'ambiance de ces années, à Paris écrit le 4 novembre 1919 : « Malgré tout ce qu'on a déjà à voir, à faire à Paris, malgré l'évidente passion de s'amuser que montrent quelques-uns, on sent bien qu'il reste un fond de tristesse dans l'air ; les uns ont pris le parti d'essayer de ne plus du tout penser à la Guerre, affectent de n'en parler pas, etc., d'autres ont gardé un deuil presque agressif qui leur donne des droits. », in Maurice Sachs, Au temps du Bœuf sur le Toit, p. 57.
56 Antoine Prost, Les anciens combattants et la société française, 1914-1939, vol. 3, p. 35-78.
57 Voir Édouard Bonnefous, Histoire politique de la IIIe République, 1919-1926, p. 173. Voir Annette Becker, op. cit., p. 42.
58 Le soldat inconnu avait été désigné au hasard parmi plusieurs morts des grandes batailles de la guerre de 1914-1918.
59 Les Guides bleus publiés par Hachette et les Guides rouges Michelin se font les témoins de ces pèlerinages qui sont comparables au pèlerinage sur les champs de bataille.
60 Avner Ben Amos, « Monuments and Memory in French Nationalism », History and Memory, vol. 5, n° 2, Fall/Winter, 1993
61 Voir Françoise Prigent, « L'opération Panthéon » (23 nov. 1924), in Bulletin de la Société des Études jauresiennes, n° 21, 1966, p. 7.
62 L -O. Frossard, in L'Oeuvre, mardi 18 novembre 1924.
63 L'Œuvre, dimanche 23 novembre 1924, p. 1.
64 Le Temps, 22 novembre 1924.
65 Avner Ben Amos, la « Panthéonisation de Jean Jaurès », in Terrain, n° 15, 1990, p. 54.
Voir aussi, Richard Dubreuil, « Jaurès au Panthéon » in L'Histoire, n° 41, janvier 1982 ; Bulletins de la Société d'Études jauresiennes, n° 21, avril-juin 1966 ; Françoise Prigent, « L'opération « Panthéon », 23 nov. 1924 », p. 6-11 ; Madeleine Rebérioux, « A propos de la Panthéonisation de Jaurès », in Bulletin de la société d'études jauresiennes, n° 34, juillet-septembre 1969, p. 14-15.
66 L'Œuvre, Le Peuple, Le Quotidien, 24 novembre 1924.
67 L'Écho de Paris : 10-15 000 manifestants ; L'Éclair : 30 000 ; L'Humanité : 200 000, Avner Ben Amos, op. cit., p. 57.
68 Les 6 groupes du Parti, organisés, selon le nouveau modèle bolchevique, marchaient de façon disciplinée, quasi militaire, marquant le pas, au rythme d'une musique sonore, en chantant l'Internationale. Ils brandissaient bannières et drapeaux rouges où se lisaient parfois des inscriptions en russe, et scandaient des slogans menaçants comme « Vive les Soviets ! », ou « Vive la dictature du prolétariat ! » ou encore « A bas le parlement bourgeois »... Les manifestants insultaient les spectateurs des balcons. Les militants communistes avaient voulu faire à Jaurès un hommage vivant. Ce deuxième cortège suscitera de véritables réactions de peur sociale.
69 Jean Touchard, La gauche en France depuis 1900, p. 92.
70 Paul Nizan, La Conspiration, p. 52.
71 On pouvait effectivement être autorisé à occuper le trottoir ou seulement la moitié de la chaussée.
72 Paul Nizan, op. cit., p. 53.
73 Ibid.
74 L'Ere Nouvelle, 24 novembre 1924.
75 L'Humanité, P. Vaillant-Couturier, 24 novembre 1924.
76 Voir l'article de J.-P. Brunet, « La fin de la banlieue rouge », qui retrace l'histoire de la banlieue rouge de Paris dans L'Histoire, n° 164, mars 1993, p. 48-56.
77 Avner Ben Amos, op. cit., p. 62.
78 Ibid.
79 François Mauriac et Jacques-Emile Blanche, Correspondance 1916-1942, p. 135.
80 Maurice Agulhon, Paris..., op. cit., p. 87.
81 Voir S. Berstein, Histoire du Parti radical.
82 Mona Ozouf estime d'ailleurs que « Le Panthéon, conçu pour la mise en scène quasi religieuse de rassemblement national, est le lieu même de la rupture entre les Français : sur lui ne parvient pas à s'effacer la marque originelle de la Révolution française », in Pierre Nora (sous la direction de), Les lieux de mémoire - I La République, « Le Panthéon », p. 162.
83 Le Temps, mercredi 27 mars.
84 Voir Maurice Agulhon, op. cit., p. 891.
85 Annie Kriegel, Ce que j'ai cru comprendre.
86 Le Temps, samedi 23 mars 1929, « Le corps de l'illustre défunt sera exposé dimanche et lundi sous l'Arc de Triomphe et transporté lundi soir à l'église Notre-Dame où la cérémonie sera célébrée mardi matin à neuf heures. A l'issue de la cérémonie, le cortège se formera sur la place du parvis Notre-Dame ; il suivra la rue et le pont d'Arcole, la place de l'Hôtel de Ville, la rue de Rivoli, la place de la Concorde, l'avenue des Champs-Elysées, l'avenue et le pont Alexandre III, puis l'avenue Gallieni, pour parvenir à l'Hôtel des Invalides où se feront le défilé des troupes et l'inhumation ».
87 Le Figaro, jeudi 21 mars 1929.
88 L'Illustration, n° 492, 6 avril 1929, p. 414.
89 Ibid
90 Louis Dausset, « Cortège de gloire et juste apothéose », Comœdia, mardi 26, mercredi 27 mars 1929.
91 Janet Flanner, Paris c'était hier, Chroniques d'une Américaine à Paris 1925-1939, p. 61.
92 Le Temps, mardi 26 mars 1929.
93 Le Temps, mardi 26 mars 1929.
94 Janet Flanner, Paris, c'était hier, p. 91-94.
95 Le Temps, mardi 26 mars 1929, p. 1.
96 L'Humanité, samedi 23 mars.
97 Id, dimanche 24 mars.
98 L'Humanité, mardi 26 : 600 000 parisiens se sont précipités à l'Arc de Triomphe en une telle ruée et dans un tel désordre [...] ».
99 L'Humanité, mardi 26 mars.
100 Le Temps, 28 mars 1929.
101 J. Flanner, op. cit., p. 93.
102 Paul-Emile Cadilhac, L'Illustration, 6 avril 1929.
103 Voir les photos publiées dans l'Illustration.
104 Comœdia, mardi 26-mercredi 27.
105 Cette évocation des deux batailles de la Marne dont Paris est reconnaissant est plusieurs fois reprise : Voir L Illustration, op. cit. ; Le Figaro, mercredi 27 mars 1929.
106 Le Temps 27 mars 1929.
107 « Une ville et un peuple », Comœdia, dimanche 31 mars 1929.
108 Paris-soir, mercredi 27 mars.
109 L'Illustration, mercredi 27 mars.
110 Comœdia, mardi 26, mercredi 27 mars 1929.
111 Le Figaro, 2 janvier 1931.
112 Id., dimanche 4 janvier 1931.
113 Le Figaro, mercredi 7 janvier 1931.
114 Paul Morand, 1900, p. 10.
115 Exposition coloniale internationale et des pays d'outre-mer, Rapport général présenté par le Gouverneur général Olivier, vol. 1, p. 7.
116 Cette ligue, fondée le 20 août 1907 comprend le maire du 12E arrondissement, Cuvillier et Brisson, ancien président du Conseil général de la Seine.
117 Archives de Paris, 18 paquets relatifs à l'exposition coloniale, paquet n° 6 : pétitions et propositions pour le maintien ou la disparition des installations de l'exposition.
118 Le précédent commissaire était Angoulvant.
119 André Le Révérend, Lyautey.
120 Lire Robert Garric, Belleville - Scènes de la vie populaire.
Des universitaires se rendaient dans les quartiers populaires où ils voulaient retrouver la fraternité des tranchées. Ils étaient persuadés que le peuple de Paris était essentiellement un peuple chrétien, que l'esprit de la lutte des classes n'était qu'un égarement, qu'il fallait discuter avec les pauvres. Le peuple de Paris pour eux, était en quête d'intellectualité. Il fallait donc l'éduquer. Lyautey était souvent invité à des causeries par ces groupes des équipes sociales.
Voir aussi les travaux de Pascal Bousseyroux.
121 André Le Révérend, op. cit., p. 447.
122 Lyautey écrit à d'Ormesson le 24 août 1928 : « [...] Mais je sens le poids énorme auquel on se heurte, et avant tout à cette absence d'autorité dirigeante et d'une unité de direction. Je sens et je sais ce que je ferais si j'étais le chef, avec Prost, le Corbusier et quelques autres, dont toi. Mais il n'y a pas de chef, je ne vois pas comment je pourrais l'être et je bous, car je me sens en pleine forme et je me vois consacrant les années qui me restent à cette transformation de Paris, à cette révolution urbaine », André Le Révérend, op. cit., p. 447-448.
123 Voir Rémy Baudouï, Raoul Dautry - 1880-1951 - Le technocrate de la République, p. 140.
124 C.-R. Ageron, « L'Exposition coloniale de 1931 », in P. Nora (sous la direction de), Les lieux de mémoire. 1 La République, p. 561-595.
125 Elle sera présente dans la Cité des Informations et construira un pavillon de la Palestine, certainement pour faire face aux États français du Levant.
126 C .R. Ageron, op. cit. p. 567. C.-R. Ageron expose les arguments de chacun des pays sollicités.
127 « L'Exposition coloniale ».L'Illustration, n° spécial, juillet 1931.
128 Le Musée des Colonies était d'ailleurs construit en pierre des fortifications.
129 La porte de Picpus s'appellera désormais « Porte Dorée », porte de l'orée du bois d'après l'explication la plus vraisemblable. On explique quelquefois le nom de « Porte Dorée » par la présence de la statue dorée de Minerve qui se trouvait sur les marches du perron du Palais permanent des Colonies.
130 Demaison, Guide officiel, p. 26.
131 Les pouvoirs publics organiseront d'ailleurs, dans cet esprit un grand nombre de visites d'enfants des écoles à l'exposition. Peut-être est-ce précisément un des aspects où se manifeste l'association entre la République et la colonisation.
132 L'Illustration, n° spécial, juillet 1931.
133 Outre le Guide officiel (version simple et version de luxe) il existe : - un Petit guide de l'exposition coloniale. - Guide pratique illustré de l'exposition coloniale internationale de Paris. - Guide illustré, exposition coloniale internationale. - Plan de l'exposition coloniale.
Les journaux et revues consacrent une grande place dans leurs colonnes : voir en particulier le supplément colonial du Temps. Les numéros spéciaux de L'Illustration, 23 mai 1931, 27 juin 1931, 25 juillet 1931, 22 août 1931. Vu consacre des numéros spéciaux dont les numéros 154 et 168.
Les opposants à l'exposition coloniale ont réalisé un contre-guide : Le véritable guide de l'exposition coloniale, l'oeuvre civilisatrice de la France magnifiée en quelques pays.
134 Guide officiel, op. cit., Préface.
135 Les responsables de l'exposition veilleront, tout au long de l'exposition à la protection de la nature dans le Bois de Vincennes. Le cahier des clauses, conditions et charges générales le mentionne de façon explicite. La ligue de défense des intérêts de l'est lancera même des pétitions pour le respect des arbres du bois (cf. « archives de l'exposition », Archives de Paris, paquet n° 8).
136 Le zoo ayant remporté un énorme succès, à la fin de l'exposition on décida d'en reconstruire un vers le nord-est du lac.
137 Guide officiel, Préface.
138 Ibid.,p 20.
139 Guide officiel, op. cit.., au même moment l'Indochine se révolte.
140 A.-M. Thiesse, Écrire la France Le mouvement régionaliste de langue française entre la Belle Époque et la Libération, p. 257.
141 Lyautey écrit dans la préface aux actes du colloque L'urbanisme aux colonies et dans les pays tropicaux, 1932 : « L'Urbanisme, entendu dans son sens le plus large, est de la même famille que la Politique Indigène. 11 apporte l'aisance de la vie, le confort, le charme et la beauté ».
142 Il a travaillé avec Jaussely.
143 P. Rivoirard, L'exposition coloniale ou l'incitation au voyage. Coloniales 1920- 1940, 7 novembre 1989 - 31 janvier 1990, Musée municipal de Boulogne-Billancourt.
144 Voir Catherine Bouché, « Le décor peint du Musée national des Arts africains et océaniens », in La revue du Louvre et des musées de France, 5/6, 1985.
145 C.-R. Ageron compte environ 4 millions de Parisiens, 3 millions de provinciaux et 1 million d'étrangers. On comptabilise 33 millions de tickets vendus, mais pour certaines manifestations, il fallait plusieurs tickets d'entrée.
146 Guide officiel, Préface.
147 Voir « plainte de la société Dubonnet au Maréchal Lyautey », 1-06-1931.
148 La Revue du Touring Club de France, janvier 1931, p. 289.
149 Réunion du Conseil municipal, Procès-verbal, 4 décembre 1931.
150 C.-R. Ageron, op. cit., p. 578.
151 S. de Beauvoir, La force de l'âge, p. 92.
152 Voir Herman Lebovics, « Assimilation ou respect des différences, la Colonisation au Vietnam 1920-1930 », in Genèses Le national, 4 mai 1991, p. 23-43.
153 R. Isay, Panorama des Expositions universelles, p. 227). L'exposition se passe dans Paris sur le plan administratif, mais dans les esprits, elle se situe dans l'est, c'est à dire « hors-Paris ».
154 « Arts et techniques de la vie moderne », Conférence de M. Labbé, Paris, 1937, 15 p.
155 Arts d'Afrique noire, n° 73, 1990. L'article est d'ailleurs consacré au musée et à ses fresques.
156 Cité par C. Hodeir, L'exposition coloniale, p. 81.
157 Guide pratique de l'exposition.
158 C.-R. Ageron, in L. Thobie, G. Meynier, C. Coquery, C.-R. Ageron, Histoire de la France Coloniale 1914-1990, p. 585.
159 Coquery, ibid. p. 218.
160 Liste des manifestants et de leurs lieux de rendez-vous : voir S. Berstein, Le 6 février 1934, p. 100.
161 Le conseil municipal de Paris est, depuis 1900, dominé par la droite et l'extrême droite... On y trouve des conseillers comme Lebecq, dirigeant de l'UNC, des Isnards...
162 Serge Berstein, Le 6 Février 1934, p. 140.
163 Ibid., p. 145.
164 Serge Berstein, Histoire du Parti radical, 2 vol. , p. 186.
165 Voir I.4.4.
166 Joseph Kessel, Gringoire, 9 février 1934, cité par J. Plumyène et R. Lasierra, Les fascismes français 1923-1963, p. 76.
167 Ibid., p. 76.
168 Robert Garric, Le message de Lyautey, cité in Rémi Baudouï, Raoul Dautry 1880- 1951, p. 140.
169 Le populaire, 10 février 1934.
170 Danielle Tartakowsky, le Front populaire, la vie est à nous.
171 Georges Bataille, Œuvres complètes, II, p. 258.
172 Danielle Tartakowsky, Le Front populaire, la vie est à nous, p. 29.
173 Léon Jouhaux déclare : « Pour nous, pas de manifestations dans les rues de Paris, mais la forte et froide résolution affirmée par les travailleurs de barrer la route aux factieux ».
174 Antoine Prost, « Les manifestations du 12 février 1934 en province », in Jean Bouvier (sous la direction de), La France en mouvement 1934-1938, p. 12-30.
175 L'A.R.A.C. exprime-t-elle une « volonté d'annexion » du périmètre militaire et patriotique qui environne l'Arc de triomphe de l'Étoile ? L'expression « volonté d'annexion » est empruntée à Marcel Roncayolo « Une géographie symbolique en devenir », in Le Débat, mai-août 1994, « le nouveau Paris », p. 310.
176 Maurice Agulhon, « Paris La traversée d'est en ouest », p. 869-909, in P. Nora (sous la direction de), Les Lieux de mémoire. III Les France 2 De l'archive à l'emblème.
177 Ibid., p. 870.
178 Maurice Agulhon, « Paris La traversée d'est en ouest », p. 883.
179 Ibid., p. 883-884.
180 Ibid., p. 885.
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