Deux maîtres parisiens du xiiie siècle dans la société de leur temps, à travers leurs testaments
p. 201-217
Texte intégral
1Nous connaissons les noms de beaucoup d’universitaires parisiens du xiiie siècle, nombre d’entre eux ont laissé des œuvres écrites, qui témoignent de leurs méthodes d’enseignement et de leurs conceptions doctrinales, mais leur personnalité, leur statut, leur position dans la société du temps nous échappent cependant largement. Ceci résulte évidemment de la quasi-absence, pour cette époque, de textes autobiographiques, de correspondances effectives, d’archives privées concernant ces personnages. Au premier rang des rares documents susceptibles de réduire un peu notre ignorance et de restituer, dans une certaine mesure, la figure concrète de ces maîtres, viennent les testaments qui, malgré leur présentation assez stéréotypée, contiennent évidemment de nombreuses indications sur le caractère, les relations et, plus largement, la situation familiale et sociale des testateurs.
2Parmi les quelques testaments conservés d’universitaires parisiens du xiiie siècle1, j’en ai retenu ici deux, suffisamment détaillés, m’a-t-il semblé, et contrastés pour évoquer avec quelque précision ce que pouvaient représenter, dans la société française de ce temps, deux maîtres de l’université. Je suis heureux d’offrir cette étude à Élisabeth Mornet qui a souvent utilisé ce type de sources pour ressusciter la personnalité des clercs Scandinaves de la fin du Moyen Âge.
3Les deux testaments que j’étudierai sont ceux de Robert de Douai et de Gérard d’Abbeville. Avant même de présenter ces deux personnages et d’analyser en détail leurs testaments, j’indique ci-dessous la grille de lecture que j’ai appliquée à ces deux textes. Les renseignements qu’on peut en tirer m’ont semblé pouvoir se ranger sous trois rubriques, dont l’examen successif commandera l’organisation du présent travail :
- La position universitaire
- Titres et grades
- La situation au sein de l’université
- La faculté fréquentée
- Les rapports avec les autres maîtres et les étudiants
- Les bénéficiaires des legs à usage universitaire
- La bibliothèque du testateur
- Composition
- Destination
- Le statut social
- Le testateur comme clerc : statut ecclésiastique et situation bénéficiale
- Les réseaux : parenté, amis, protecteurs, protégés
- Les connexions géographiques : localisation des biens possédés et des bénéfices détenus ; répartition géographique des parents, amis et légataires
- Le niveau de fortune
- Nature des biens et revenus
- Valeur des biens et revenus
- Valeur et destination des legs testamentaires
Robert de Douai
4On sait peu de chose sur ce personnage, surtout quand on l’a distingué d’un homonyme proche et contemporain2. Signalé comme médecin de saint Louis en 1246, il le fut aussi sans doute, on le verra, de la reine. Il n’a laissé aucun écrit. En fait, l’essentiel de nos connaissances vient de quelques actes contenus dans le cartulaire du collège de Sorbonne, relatifs à des transactions immobilières3, et surtout, précisément, du testament que nous analysons ici, que complètent, jusqu’en 1271, quelques pièces relatives à l’exécution de ce testament4. Celui-ci a été fait à Paris, le 18 mai 1258, en présence d’Adam de Chambly, évêque de Senlis, qui l’a validé de son sceau5 ; Robert semble être mort le surlendemain, le 20 mai 12586.
5Que nous apprend ce texte sur les trois points indiqués plus haut ?
6A. – Il est certain que Robert de Douai était maître ; il se qualifie lui-même de magister... physicus ; comment comprendre ? Maître en médecine ? Maître ès arts et maître en médecine ? Maître ès arts et médecin ? Il est malheureusement impossible de trancher entre ces interprétations ; impossible aussi d’affirmer qu’il a fait ses études médicales à Paris ; impossible enfin de dire si Robert a été lui-même régent en médecine7. Notons quand même qu’à une époque où d’incontestables maîtres universitaires en médecine se rencontraient à Paris8, il eût été un peu étonnant que le roi et la reine de France aient eu recours à quelqu’un qui ne l’aurait pas été ou n’ait pas en tout cas joui d’une grande notoriété.
7Quant à ses rapports avec l’université, même s’il n’y a pas enseigné, ils étaient certainement étroits. Robert habitait dans le quartier de l’université, près du « palais des Thermes »9. En 1254, le pape Innocent IV l’avait, semble-t-il, chargé avec le chantre de Beauvais de contraindre les membres de l’université récalcitrants à payer la collecta levée pour l’envoi en mission à Rome de Guillaume de Saint-Amour, au début de la querelle entre séculiers et Mendiants, ce qui ne veut pas dire qu’il se soit durablement inscrit parmi les adversaires résolus des Mendiants10. Surtout, il était un proche ami de Robert de Sorbon. Il avait certes pu rencontrer celui-ci à la cour aussi bien qu’à l’université, mais le fait est qu’il le seconda très efficacement dans sa grande entreprise de fondation de la nouvelle domus de Sorbonna pour de pauvres maîtres ès arts étudiants en théologie.
8Notre testament, venant à la suite de quelques transactions foncières dans les années 125011, est la meilleure preuve de cette sollicitude. On suppose généralement que la domus de Sorbonna a accueilli ses premiers boursiers dès l’automne 1257, mais la fondation était encore loin d’être achevée12. L’important legs consenti par Robert de Douai (1 500 livres parisis et tous les livres de théologie de sa bibliothèque)13 a certainement été une contribution précieuse. Il conférait d’ailleurs à Robert de Douai une certaine autorité sur le nouveau collège, puisqu’il en profita pour donner dans son testament, alors même que Robert de Sorbon n’avait pas encore rédigé les premiers statuts de la maison14, quelques instructions sur la manière dont les boursiers devraient être recrutés ainsi que sur les conditions dans lesquelles ses livres leur seraient remis15.
9On est évidemment frappé par l’intérêt que ce médecin portait apparemment à la théologie ; il semble avoir eu une bibliothèque bien fournie en la matière, il était soucieux de développer les études de théologie (à la fin du testament, un autre legs, de 40 livres seulement, est fait à de « pauvres étudiants en théologie », sans doute distincts de ceux de la Sorbonne). Faute de connaître la personnalité même de Robert et les éventuelles raisons personnelles de son penchant pour la sacra pagina, on peut au moins voir dans ces legs, outre une marque de son amitié pour Robert de Sorbon, le signe de sa volonté de contribuer au développement de la discipline qui était à l’évidence le point fort de l’université de Paris, bien plus, à coup sûr, que la médecine. On notera d’ailleurs que Robert n’a pas été à Paris le seul maître du xiiie siècle dont la compétence médicale se soit combinée avec un vif intérêt pour la science sacrée : Jean de Saint-Gilles, Roland de Crémone ou Pierre d’Espagne en sont d’autres exemples, plus fameux encore16.
10B. – Robert de Douai était clerc et chanoine de Senlis ; aucun texte ne le dit prêtre ni ne lui attribue d’autre type de bénéfice ecclésiastique17. Il est vrai que le droit canon ne voyait guère d’un bon œil l’association des études et de la pratique médicales et de la dignité sacerdotale.
11En dehors de son évêque et de ses collègues du chapitre de Senlis, qui n’apparaissent d’ailleurs guère dans son testament18, quelles étaient les relations de Robert ? Il était originaire de Douai, active ville drapante de Flandre, mais sa famille semble avoir été de rang modeste. Ses parents, tous deux décédés, ne lui avaient légué que 9 livres de rente et des dettes d’un montant nettement supérieur, dont Robert prévoit le règlement rapide19. À part la comtesse de Chailly20, les créanciers de ses parents semblent également avoir été d’un niveau social assez modeste21. Pour le reste, Robert mentionne seulement, sans même donner leur nom, son « pauvre frère », qu’il dote d’une petite chapellenie d’une valeur de 12 livres à Saint-Pierre de Douai, et, in fine et pour le cas où il resterait quelque chose après l’exécution des legs spécifiques et d’éventuelles réparations (pro forefactis meis), sa « pauvre parentèle22 ». Bref, un monde de petites gens.
12En fait, Robert de Douai apparaît plutôt comme un homme seul, seul en tout cas de sa famille à avoir connu une spectaculaire ascension sociale, certainement liée à ses études et à sa pratique médicale qui lui avait assuré une belle clientèle. Presque tous les personnages nommément cités dans le testament sont en effet soit des dignitaires ecclésiastiques, à commencer par Robert de Sorbon, soit des nobles de haut lignage23. Qu’ils aient été ses patients ou qu’il ait simplement été avec eux en relations d’affaires, ces noms dessinent les contours d’une sociabilité relevée et d’une attirance évidente de Robert de Douai pour ces milieux privilégiés, le haut clergé, l’aristocratie et la cour. Le testament se termine même par un appel à la reine de France, domina mea, à qui il demande de bien vouloir veiller à la bonne exécution de son testament ; disposition sans doute sans grand effet pratique24, mais qui permettait à Robert de clore ses dernières volontés par l’évocation flatteuse de sa proximité avec la plus haute dame de France. Les actes du cartulaire de la Sorbonne nous montrent pourtant que Robert a été en rapport avec des personnages de rang bien inférieur, mais il ne juge pas utile de faire apparaître leurs noms dans son testament25.
13Envisagé d’un point de vue géographique, le réseau des relations et des possessions de Robert de Douai est assez large, avec deux zones de concentration principales. D’une part, sa région natale, dans laquelle il avait manifestement gardé des contacts et des intérêts : non seulement Douai, mais Cambrai, Saint-Quentin, Arras, Boulogne, Roulers (auj. en Belgique, prov. de Flandre occidentale) et quelques villages et abbayes proches. D’autre part, Paris même où il possédait, on l’a vu, deux maisons, et ses environs, aussi bien vers le nord (Senlis) que l’est (La Ferté-sous-Jouarre, Chailly-en-Bière, peut-être Louan)26 et le sud (Longjumeau et Ballainvilliers, peut-être Morangis)27. Cette géographie résultait-elle seulement des occasions qu’il avait pu avoir de réaliser telle ou telle transaction ou ne reflétait-elle pas aussi, au moins indirectement, celle de sa clientèle aristocratique ? Cette seconde hypothèse ne semble pas à exclure, soit que ces clients nobles aient parfois séjourné à Paris, soit que Robert lui-même ait à l’occasion été appelé en consultation hors de Paris ou dans sa région d’origine.
14C. – La fortune de Robert apparaît enfin assez considérable et diversifiée. On y trouvait en effet aussi bien d’importants biens meubles (livres, vaisselle, linges, etc.)28 et immeubles (ses maisons parisiennes et un ou deux hospitia à la campagne)29 que d’abondantes liquidités, des créances, des rentes et des cens, en argent ou en nature, et des terres (terres arables, vignes et prés).
15Notre testament permet, quoique avec quelque incertitude, d’en évaluer partiellement la valeur : il était prévu que les exécuteurs testamentaires de Robert dépenseraient rapidement, en legs divers et restitutions, pour près de 3 000 livres parisis30, sans parler de quelques cens et rentes, et de créances non négligeables dont la récupération est attestée au cours des années suivantes31.
16D’autre part, les maisons bien garnies de Robert ont dû lui permettre de mener un train de vie très confortable, sinon fastueux32.
17Enfin, si ses possessions foncières et ses rentes en nature étaient sans doute un peu moins abondantes et assez dispersées33, elles pouvaient cependant lui assurer à la fois un ravitaillement gratuit34 et des revenus non négligeables, sans parler de la dignité sociale qui devait s’y attacher, même si rien ne permet de dire que Robert ait véritablement possédé des seigneuries ou des fiefs qui eussent pu lui permettre de poser lui-même, en quelque manière, au noble35.
18L’importance des liquidités et la qualité de son habitation parisienne et, à l’inverse, le caractère plus limité et dispersé de ses biens fonciers suggèrent, me semble-t-il, l’image d’une fortune récente, constituée sur la base d’une part de dons (de riches patients ?), d’autre part d’achats ou de créances récupérées au hasard des occasions favorables. Il n’est pas douteux que Robert de Douai a été un gestionnaire avisé, qui non seulement tirait de gros profits de sa pratique, mais tenait à avoir par-devers lui les sommes lui permettant, tout en vivant à l’aise, de saisir ici ou là les occasions d’affaires fructueuses dont il pouvait avoir connaissance.
19La mort de Robert de Douai (dont rien ne nous permet malheureusement de deviner l’âge) a entraîné la dispersion de cette fortune36. Robert n’a en effet, nous l’avons dit, pas été généreux pour sa « pauvre parentèle », ni d’ailleurs pour ses serviteurs37 ; il l’est un peu plus pour une femme de Loancium, Marie de Cauda, on ne sait pour quelle raison38.
20En fait, ses libéralités testamentaires ont eu essentiellement deux types de destinataires, à parts à peu près égales.
21D’abord, on l’a vu, l’université de Paris ou, plus précisément, le nouveau collège de Sorbonne dont il devait se sentir quasiment cofondateur avec son ami (et exécuteur testamentaire) Robert de Sorbon. L’université comme telle, notons-le, ne reçoit rien, et si les dons aux Mathurins (proches de sa maison et lieu habituel de réunion de l’université) et aux chanoines du Val-des-Écoliers (s’il s’agit bien de ceux de Paris) étaient substantiels39, les legs aux couvents mendiants, intimement mêlés à la vie de l’université, ne témoignent que d’une générosité limitée40.
22La seconde catégorie de bénéficiaires des legs de Robert de Douai est représentée par un grand nombre d’établissements religieux à Paris et partout où il possédait des biens ou des relations. Ces legs pieux se subdivisent eux-mêmes en deux grandes catégories : d’une part des établissements réguliers, masculins ou féminins, où il souhaitait fonder des anniversaires pour le repos de son âme41, d’autre part, des hôpitaux et des léproseries42, auxquels on peut ajouter des distributions plus générales aux pauvres, au montant pas toujours spécifié, prévues à Paris, Senlis et Arras43. Ce sont là les marques classiques d’une piété généreuse, mais assez traditionnelle et un peu égoïste : Robert n’associe aucun parent aux nombreux anniversaires qu’il institue à son profit (pro anniversario meo).
23On notera que, si Robert envisageait la création d’une nouvelle église paroissiale à Ballainvilliers, détachée de celle de Longjumeau44, les paroisses parisiennes étaient totalement absentes de son testament. Autre lacune notable, aucune élection de sépulture n’est précisée.
Gérard d’Abbeville
24Passons à notre second maître. À peu près contemporain de Robert de Douai, Gérard d’Abbeville est beaucoup mieux connu que lui. Sa carrière universitaire et en particulier son rôle de première importance dans les débats entre séculiers et réguliers des années 1250-1260 ont été bien étudiés45. Il a laissé une œuvre abondante, encore partiellement inédite46. Sa magnifique « librairie » enfin, d’environ trois cents volumes, héritée de Richard de Fournival et léguée, nous le verrons, au collège de Sorbonne, est citée et analysée plus ou moins en détail dans tous les travaux sur l’histoire du livre et des bibliothèques au xiiie siècle47. Je ne reviendrai pas sur ces divers points et me limiterai ici à l’étude de son testament.
25Daté du 28 septembre 1271, celui-ci nous est parvenu sous la forme d’un vidimus de l’official de Cambrai, du 23 novembre 1272, vidimant lui-même un premier vidimus du 9 novembre de la même année, émané du prévôt et du doyen de ce même chapitre de Cambrai48. Quant à Gérard lui-même, il était mort un 8 novembre, 1271 ou 127249.
26Reprenons, pour analyser ce texte, le plan déjà suivi pour Robert de Douai.
27A. – Bien qu’il n’utilise pas son titre universitaire dans son testament, Gérard d’Abbeville était évidemment maître régent en théologie. Si on ignore à quelle date exacte il a acquis ce grade, de multiples documents nous le montrent constamment présent et actif à l’université de Paris au moins de 1254 à la veille de sa mort50.
28Il est probable qu’il connaissait Robert de Douai ; c’était en tout cas, comme lui, un ami proche de Robert de Sorbon et sa sollicitude testamentaire alla donc essentiellement, en ce qui concerne l’université, aux étudiants du collège de Sorbonne. Il leur avait déjà donné quelques livres en 126051 mais cette fois-ci, c’était pratiquement la totalité de sa superbe bibliothèque qui leur était destinée. L’importance de ce legs l’autorisait évidemment à l’assortir de quelques conditions en ce qui concerne la conservation et l’usage desdits livres52. Il semble bien que Gérard ait prévu qu’ils pourraient être également accessibles à des étudiants séculiers extérieurs au collège et à des régents ès arts. En revanche, il exclut formellement les réguliers, contre lesquels il n’avait cessé de batailler tout au long de sa carrière, à la suite de son mentor Guillaume de Saint-Amour : magistris theologie secularibus dumtaxat, quia religiosi satis habent précise-t-il rageusement.
29Gérard d’Abbeville ne donne pas l’inventaire détaillé de sa bibliothèque, mais en indique cependant assez clairement la composition. Les livres de théologie en formaient le plus gros et tous les genres sont représentés : Bible, originalia patrum avec leurs tables, postilles, sermons, questions ; les écrits « compilés » par Gérard lui-même y figurent. Mais les autres disciplines n’étaient pas absentes, tant le droit canonique (omnes libri canonici et omnes summe super decreta et decretales) que la philosophie et la médecine et alii libri. Gérard prévoyait cependant que les livres de médecine, qui n’avaient guère leur place à la Sorbonne, seraient vendus pour payer ses éventuelles dettes.
30La richesse de cette bibliothèque ne reflète pas seulement, on le sait, les intérêts intellectuels de Gérard mais aussi les curiosités de son précédent possesseur, le chanoine bibliophile Richard de Lournival (1201-1259/1260), spécialement féru de philosophie, sciences et médecine53. On peut penser que les livres de théologie et de droit canonique représentaient davantage l’apport personnel de Gérard. De toute façon, il est clair que celui-ci était un homme de vaste culture, grand amateur et lecteur de livres savants.
31Sa générosité vis-à-vis des étudiants pauvres et des boursiers de Sorbonne ne s’arrêta d’ailleurs pas là, puisqu’il leur légua aussi un peu d’argent et, pour la chapelle du collège, un bel ensemble d’objets, vêtements et livres liturgiques.
32B. – Gérard d’Abbeville était, selon toute vraisemblance, prêtre. Il se qualifie lui-même d’« archidiacre de Ponthieu dans l’église d’Amiens » (et donc chanoine de celle-ci)54 ; de manière curieuse, la formule de vidimation le nomme en revanche bone memorie magister Giraudus de Abbatisvilla, quondam Cameracensis ecclesie archidiaconus in Brabantia ; faut-il comprendre qu’il avait été chanoine de Cambrai et archidiacre de Brabant avant de l’être à Amiens ? Notre testament, très vraisemblablement rédigé à Amiens et daté par référence a la Saint-Firmin (saint patron d’Amiens), ne contient aucune allusion à Cambrai et témoigne au contraire d’un grand attachement de Gérard à Amiens et sa cathédrale où il fait, semble-t-il, élection de sépulture. Pourquoi, dès lors, cette mention de l’archidiaconé de Brabant et pourquoi ce testament a-t-il été validé par l’officialité de Cambrai ? Si le cumul de deux canonicats était certainement possible à cette époque, celui de deux archidiaconés me paraît plus surprenant. Le problème reste, à mon sens, cependant, compliqué par le fait que le testament de Gérard et ses vidimus ne nous sont de toute façon connus que par des copies tardives.
33Le réseau de relations qu’évoquent les noms cités dans le testament de Gérard d’Abbeville, était d’abord constitué par ses « parents et amis ». Gérard appartenait à une famille nombreuse et comptait de multiples frères et sœurs, neveux, nièces, petits-neveux et petites-nièces, cousins55. Les spécialistes de Gérard d’Abbeville estiment généralement qu’il était de naissance noble, mais sans parvenir à identifier clairement sa famille. Telle qu’elle apparaît ici, elle semble avoir été, au moins dans la branche de Gérard, assez modeste, voire « pauvre56 » ; Gérard se préoccupait d’ailleurs de contribuer à la future dot de ses nièces et petites-nièces. Autre indice de cette attention affectueuse pour son entourage, notre testament énumère aussi quelques serviteurs et familiers, tous amiénois d’ailleurs : un cuisinier, un clerc, un secrétaire, un barbier57. Les autres personnages mentionnés sont essentiellement des clercs, d’un côté, ses confrères, des chanoines d’Amiens58, de l’autre, des clercs parisiens liés à l’université, à commencer par Robert de Sorbon59.
34Au total, mis à part le cercle familial, un entourage assez étroit, limité au monde ecclésiastique et universitaire qu’il avait fréquenté toute sa vie ; nulle ouverture ici vers la société laïque, l’aristocratie, les milieux de cour. Notons cependant que Gérard devait être assez connu dans sa petite patrie abbevilloise pour pouvoir confier au maire et aux échevins de la ville la garde des legs faits à ses neveux et nièces mineurs.
35Les horizons géographiques de Gérard étaient à l’image de ses horizons sociaux, avec deux pôles exclusifs, Paris, spécialement le quartier de l’université d’un côté, Abbeville et Amiens et leurs environs immédiats de l’autre. On notera en particulier que, même s’il résidait normalement à Paris, Gérard connaissait manifestement bien Amiens et ses églises ; il devait s’y rendre régulièrement et ne pas négliger totalement sa charge d’archidiacre. Son cas confirme que, concernant ces nombreux maîtres parisiens bénéficiés dans des églises relativement proches et accessibles à cheval en deux ou trois jours de voyage60, on ne saurait parler de « non-résidence » pure et simple ; les relations étaient en fait beaucoup plus complexes.
36C. – Gérard d’Abbeville, à qui sa participation active à la lutte contre les Mendiants n’a jamais valu les mêmes déboires qu’à Guillaume de SaintAmour et quelques autres, vivait, à en juger par son testament, dans une certaine aisance.
37Sans revenir sur sa bibliothèque, magnifique mais, d’une certaine manière, inestimable, notons qu’il possédait une maison à Paris, qu’il était bien fourni en vêtements, livres et objets liturgiques, literies, vaisselle et coffres, etc., qu’il percevait enfin quelques cens et rentes, apparemment dans les régions d’Amiens et Abbeville61. Il ne semble cependant avoir tenu ni terres ni maison à la campagne.
38Les dons et legs en espèces de Gérard se montaient à un peu plus de 535 livres parisis62. Sans doute ne laissait-il pas beaucoup de liquidités car il avait prévu la vente de ses maisons (domus meae), certainement plus modestes que celles de Robert de Douai, de ses livres de médecine, de ses chevaux, de son argenterie et de coupes en bois précieux pour exécuter la totalité de ces legs, tout en épongeant des dettes qu’il évaluait à 200 livres parisis.
39En dehors de la Sorbonne et des étudiants, mentionnés plus haut, Gérard d’Abbeville a réparti sa succession entre, d’une part, nous l’avons dit, sa famille et quelques amis, d’autre part, divers établissements religieux à Amiens, Abbeville et Paris. À Amiens et Abbeville, ses dons allaient, sous la forme de legs pieux, frais d’obsèques et fondations d’anniversaires, aux diverses églises et chapelles de la ville, au clergé du diocèse, à deux hôpitaux, une léproserie et un monastère de sœurs cisterciennes63. À Paris, il avait soigneusement évité, on s’en doute, tout don en faveur des Mendiants, mais sa générosité allait quand même à des établissements réguliers : les abbayes Sainte-Geneviève et Saint-Victor, les Mathurins et les Cisterciens du prieuré-collège Saint-Bernard, les religieuses de Saint-Antoine et les Filles-Dieu64. Certains de ces legs étaient d’un montant modeste, entre 2 et 5 livres, et aucun ne dépassait 20 livres parisis, mis à part la fabrique de la cathédrale d’Amiens qui en recevait 100.
40Il n’est évidemment pas possible de dire quelle est la valeur typologique des deux exemples individuels que nous venons d’analyser. Il nous semble cependant possible d’en tirer quelques enseignements.
41Il est tout d’abord évident que, malgré toutes les différences que nous avons soulignées, Robert de Douai et Gérard d’Abbeville avaient en commun, tout simplement, d’être des maîtres de l’université de Paris, vivant dans le même quartier, fréquentant les mêmes églises (en particulier Sainte-Geneviève et les Mathurins), se distinguant parfois par de solides inimitiés (Gérard d’Abbeville et les Mendiants) mais partageant au total le même modèle de sociabilité, au milieu des étudiants et des collègues, communiant enfin dans le même goût des livres. Les testaments ne nous disent rien de l’activité intellectuelle et de l'enseignement de nos deux maîtres, mais l’enthousiasme partagé pour l’ambitieux projet de leur ami commun Robert de Sorbon, figure majeure de l’université de Paris dans ces années, et les sacrifices certainement consentis pour constituer puis transmettre à d’autres de magnifiques bibliothèques, sans équivalent à l’époque antérieure, font de Robert de Douai et de Gérard d’Abbeville, dans des disciplines différentes, d’authentiques « gens de savoir », conscients de la spécificité du travail intellectuel et attachés au développement de l’université.
42Tous deux étaient aussi des clercs, des hommes d’Église, des chanoines confortablement prébendés. Ce caractère ecclésiastique était évidemment plus marqué chez Gérard d’Abbeville, théologien et prêtre, amateur de vêtements et d’objets liturgiques. Mais même lui ne peut se définir simplement par son appartenance au clergé cathedral. Ne visitant que très irrégulièrement leur chapitre, percevant d’importants revenus non bénéficiaux, vivant seuls dans leur demeure parisienne, gérant leur fortune à leur guise, fréquentant des milieux assez divers, Robert de Douai et Gérard d’Abbeville appartenaient en fait à cette catégorie très particulière de clercs que constituaient depuis le xiie siècle les magistri65, pour qui l’autonomie n’était pas seulement la marque institutionnelle de l’université, mais une manière d’être personnelle, quotidiennement vécue.
43Des maîtres, des notables aussi. Il est certes difficile de replacer nos deux personnages dans la hiérarchie des fortunes et des modes de vie qui devait structurer au xiiie siècle l’ensemble de la population parisienne66. Mais il paraît hors de doute qu’ils devaient y occuper une place globalement assez flatteuse – quoique différente, car Robert de Douai était manifestement beaucoup plus riche et proche de la noblesse et de la cour que Gérard d’Abbeville. Indice incontestable de réussite, de notoriété et de reconnaissance sociale ; mais pas forcément de conformisme, si l’on pense au rude – et, il est vrai, infructueux – combat mené par Gérard d’Abbeville contre les Mendiants protégés par le pape et le roi.
44Des notables, des homines novi ? Nous avons bien eu le sentiment d’être en présence de deux hommes ayant bénéficié d’une authentique promotion sociale. De style différent, d’ailleurs. Impressionnante, mais solitaire et sans lendemain pour Robert de Douai, dont la Sorbonne et quelques couvents et monastères vont se partager les dépouilles. Gérard d’Abbeville, sans doute noble, partait de moins bas et est arrivé moins haut ; notons que, tout en réservant lui aussi à la Sorbonne la plus belle part de son héritage, il n’a pas oublié de faire bénéficier de sa réussite, réelle quoique moins spectaculaire que celle de ce « grand médecin » que devait être Robert de Douai, une nombreuse parentèle, dont il faudrait pouvoir suivre les destinées ultérieures. L’université de Paris était donc bien au xiiie siècle voie d’ascension sociale, mais avec des limites. Elle assurait sans doute mieux la notoriété des individus que la réussite des lignages.
45Ainsi donc, en les peignant tels qu’ils me sont apparus à travers leurs testaments – intellectuels, bibliophiles, clercs, notables, parvenus -, j’espère avoir redonné à ces deux maîtres, Robert de Douai et Gérard d’Abbeville, un peu de l’épaisseur concrète, individuelle et collective, qui manque aux listes de noms désincarnés des répertoires d’auteurs et des catalogues de manuscrits.
Notes de bas de page
1 En plus des deux testaments étudiés dans le présent article, citons par ex. celui de Robert de Sorbon, malheureusement court et assez décevant, édité dans le Chartularium Uniuersitatis Parisiensis, H. Denifle et É. Châtelain éd., t. I, Paris, 1889 (dorénavant CUP, I), no 431, et celui de Guillaume de Saint-Amour dans M. Perrod éd., Étude sur la vie et les œuvres de Guillaume de Saint-Amour, docteur en théologie de l’université de Paris, chanoine de Beauvais et de Mâcon (1202-1272), Lons-le-Saunier, 1902, et commenté dans M.-M. Dufeil, Guillaume de Saint-Amour et la polémique universitaire parisienne, 1250-1259, Paris, 1972, p. 326-328.
2 Voir la notice que lui consacre E. Wickersheimer, Dictionnaire biographique des médecins en France au Moyen Âge, réimpr. Genève, 1979, t. 2, p. 709-710. Son homonyme était un clerc du prince d’Achaïe, sans doute décédé quelques mois après le nôtre, qui légua lui aussi ses biens à la Sorbonne et dont Gérard d’Abbeville fut précisément l’exécuteur testamentaire, d’après un acte publié dans P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne, II, Le cartulaire (Études de philosophie médiévale, LIV), Paris, 1965 (dorénavant AOS, II), no 189.
3 AOS, II, nos 60, 65, 77, 92,117.
4 AOS, II, nos 160, 187, 207, 208, 214, 217, 231, 251, 289.
5 Connu par trois copies modernes (BNL lat. 5493 et 9943, et Arsenal 1228), ce testament (cité dorénavant sous l’abréviation TRD) est édité dans CUP, I, no 325, et AOS, II, no 157 ; on peut utiliser indifféremment l’une ou l’autre édition, car elles ne présentent pas de variantes notables.
6 D’après l’obituaire de la Sorbonne, édité dans P. Glorieux, Aux origines de la Sorbonne, I, Robert de Sorbon. L’homme – Le collège – Les documents (Études de philosophie médiévale, LIII), Paris, 1966 (dorénavant AOS, I), p. 165.
7 Ces incertitudes viennent de ce que si physicus ainsi employé signifie incontestablement « médecin » à cette époque et si l’existence à peu près régulière d’enseignements médicaux à Paris est attestée depuis Gilles de Corbeil (entre 1194 et 1224), les premiers documents renseignant avec précision sur le fonctionnement de la faculté de médecine ne sont pas antérieurs aux années 1270 (cf. C. O’Boyle, The Art of Medicine. Medical Teaching at the University of Paris, 1250-1400 (Education and Society in the Middle Ages and Renaissance, 9), Leyde, 1998, p. 13-20). Dans les documents du cartulaire de la Sorbonne, Robert de Douai est le plus souvent dit magister (AOS, II, nos 60, 65, 77, 92, etc.), plus rarement magister... physicus (ibid., nos 207, 214, 217, 221, 289).
8 Cf. D. Jacquart, Le milieu médical en France du xiiie au xve siècle, Paris, 1981, p. 396.
9 Le cartulaire de la Sorbonne mentionne deux maisons, voisines mais, semble-t-il, bien distinctes, ayant appartenu à Robert de Douai : l’une ad palatium Terminorum (sic), fort vaste, avec deux granges et deux prés attenants, achetée d’ailleurs en 1254 par Guillaume de Chartres pour le compte du roi, et l’autre rue Coupe-Gueule, qui débouchait elle-même devant les Thermes (AOS, II, nos 92,117, 221, 231).
10 CUP, I, no 239 ; cette mission sera annulée par son successeur Alexandre IV en 1256 (CUP, I, no 263). Le nom de Robert disparaît ensuite des documents relatifs à la querelle entre séculiers et réguliers, et son testament prévoira des legs, au demeurant assez modestes, pour les couvents mendiants de Paris (cf. infra, n. 40).
11 Notamment l’abandon en 1254 de sa maison principale destinée à entrer dans le parc immobilier dont le roi et Robert de Sorbon se serviront, directement ou par mutations, pour héberger le collège (AOS, I, p. 87-91).
12 AOS, I, p. 89.
13 Le legs de Robert de Douai à la bibliothèque de la Sorbonne consistait exclusivement en livres de théologie : omnes libros meos de theologia, tam biblias, tam oriqinalia quant alios librosglosatos (TRD).
14 Il le fera vers 1270 (AOS, I, p. 94).
15 Le collège recevrait le legs de Robert, même en cas de transfert de l’université (ubicumque Studium se transferat – la crise avec les Mendiants avait donné lieu en 1255 à des menaces de scission –, CUP, I, no 256) ; les boursiers du collège seraient choisis sans acception de nation, pourvu qu’ils soient boni et ydonei ; les livres de Robert leur seraient remis en présence des régents de la faculté de théologie (TRD).
16 Voir C. O’Boyle, The Art of Medicine, op. cit., p. 14-15.
17 Un acte de 1250 le dit chanoine de Saint-Quentin (AOS, II, no 65), mais dans son testament et quelques actes postérieurs, ayant changé de chapitre, il n’apparaît plus que comme canonicus Silvanectensis (AOS, II, nos 157, 165, 173) ; ailleurs, il est simplement dit clericus (AOS, II, nos 60, 92, 187).
18 Il laisse simplement à l’évêque de Senlis 100 livres à répartir à son gré entre les hôpitaux et les léproseries du diocèse.
19 Ces dettes se montaient à 52 et peut-être même 54 livres.
20 P. Glorieux propose d’identifier ce Chailly avec Chailly-en-Bière (Seine-et-Marne, arr. de Melun, c. de Perthes-AOS, II, p. 578) ; je reprends, faute de mieux, cette identification, bien qu’il y ait plusieurs localités de ce nom dans la région parisienne et que la famille des seigneurs de Chailly-en-Bière, bien attestée au Moyen Âge et qui donnera au xive siècle un évêque d’Orléans, n’ait à ma connaissance jamais porté le titre comtal.
21 Le faible montant des créances en cause (3 à 5 livres) et le fait que les créanciers ne portent pas de noms de famille (Manfred – peut-être un Italien-, Jacques et deux femmes, Helvidis et domina Hodienna) me semblent évoquer de modestes prêts à la consommation, entre petites gens (TRD).
22 De toto residuo... distribuatur familie mee et pauperi parentele (TRD).
23 Dignitaires ecclésiastiques : l’évêque de Senlis, Robert de Sorbon, chanoine de Cambrai et de Paris, clerc du roi et maître en théologie, Simon de Saint-Martin, cellerier de Sainte-Geneviève ; nobles : les comtesses de Boulogne et de Chailly, le seigneur Mathieu de Montmirail, les domini terre de Loenceio (AOS, I, p. 23-29, et TRD).
24 Puisque Robert avait par ailleurs désigné trois exécuteurs testamentaires, maître Robert de Sorbon, frère Simon de Saint-Martin, cellerier de Sainte-Geneviève à Paris, et son chapelain, Jean de Douai, prêtre et curé de Benis – localité non identifiée, car il en existe plusieurs de ce nom – qui s’acquittèrent avec zèle de leur mission (AOS, II, nos 160, 187, 207, 208, 214, 217, 251, 289).
25 On voit dans le cartulaire Robert de Douai acheter une rente à un plâtrier de Paris et une maison à un habitant de Gravigny (Eure, arr. d’Évreux, c. d’Évreux-Nord), vendre du vin à un clerc marié de la paroisse Saint-Hilaire (AOS, II, nos 60, 65, 77).
26 La Ferté-sous-Jouarre, Seine-et-Marne, arr. de Meaux, ch.-l. de c. ; Chailly-en-Bière, Seineet-Martne, arr. de Melun, c. de Perthes ; Loenceium ou Loancium est peut-être Louan, Seineet-Marne, arr. de Provins, c. de Villiers-Saint-Georges, mais d’après l’index des Pouilles de la province de Sens, publ. par A. Longnon, Paris, 1904, il pourrait aussi s’agir du nom ancien de Morangis dans l’Essonne (cf. Infra, n. 27).
27 Ces trois localités sont dans l’Essonne, arr. de Palaiseau, ch.-l. de c. pour Longjumeau, c. de Villebon/Yvette pour Ballainvilliers, c. de Chilly-Mazarin pour Morangis.
28 Le testament, qui ne mentionne que de la literie donnée à l’Hôtel-Dieu et un peu de vaisselle d’or et d’argent, est assez discret à ce sujet mais le compte d’exécution, qui atteste de la vente de vaisselle, de coffres, de réserves de nourriture et de bois, etc., pour un montant total de 1737 l.13 s. 6 d. parisis, montre l’importance de ces meubles (AOS, II, no 160).
29 Aux deux maisons citées supra, n. 9, il faut ajouter trois maisons attenantes devant l’église Saint-Hilaire, tenues en gage et qui finiront par tomber dans la succession en 1263 (AOS, II, nos 65, 207, 208, 214, 217) ; aux hospitia ruraux (un ou deux, le texte n’est pas clair) de Chailly (TRD) s’ajoutait la maison acquise en 1253 à Gravigny (AOS, II, no 77).
30 Exactement, selon mon calcul, 2 908 livres (352 allant aux dettes et restitutions) ; naturellement, on ignore la part de cette somme immédiatement disponible en liquidités et celle à récupérer par les ventes de meubles et d’immeubles ; le compte d’exécution montre que cette vente a rapporté 1737 livres, mais peut-être n’est-il pas complet (cf. supra, n. 28) ; et à l’inverse, Robert n’avait pas spécifié le montant exact de certaines distributions aux pauvres, en sorte qu’on ne peut savoir au total quelle somme a mobilisée la liquidation de sa succession, d’autant qu’il faudrait encore y ajouter la récupération plus ou moins tardive de créances importantes mais de montant inconnu (en 1259, Sainte-Geneviève a remboursé « toute sa dette, sauf 200l. 4 s. parisis » ; en 1271, Henri Maréchal devait encore 34 livres – AOS, II, nos 187, 289).
31 Robert mentionne 9 livres de rente à Douai, des « menus cens » à Chailly, 49 livrées (libratae) de terre à La Ferté-sous-Jouarre, Roulers et Longjumeau. Le testament ne mentionne pas le cens de 20 sous qu’il avait acquis en 1247 à Paris, sur une maison de la rue des Plâtriers (AOS, II, no 60).
32 On est tenté de penser qu’au moins jusqu’en 1254 Robert a habité la belle maison ante palatium Termarum qu’il vendra au roi, avec le grand terrain et les communs qui l’accompagnaient, pour la forte somme de 600 livres parisis.
33 Elles représentaient quand même 129 arpents, soit près de 100 ha, en champs (104), vignes (19) et prés (6), à Chailly et Loenceium (cf. supra, n. 26), plus 4 sétiers d’orge à Chailly, 20 muids de blé et 10 d’avoine vers Cambrai, et une rente de 2 000 harengs à Boulogne. Selon G. Sivéry, L’économie du royaume de France au siècle de saint Louis, Lille, 1984, p. 118, l’arpent de terre valait en moyenne dans la région parisienne, au milieu du xiiie siècle, de 11 à 16 livres (parisis ou tournois ?) ; la valeur totale des terres de Robert de Douai se serait située entre 1400 et 2 000 livres, montant appréciable mais cependant inférieur à celui de ses meubles et immeubles parisiens (cf. supra, n. 28).
34 Et même des surplus puisqu’en 1250 il vendit au clerc Thomas pour 72 l.19 s. parisis de vin (AOS, II, no 65).
35 Le testament dit cependant que Robert tenait ses redevances en blé et avoine in feudum de la comtesse de Boulogne, mais qu’après sa mort elles seraient converties en cens.
36 Notons quand même que Robert n’envisage que comme un pis-aller, pour achever de régler ses legs et dettes, la vente de ses immeubles, ie ses maisons de Paris et Gravigny ; à qui reviendront-elles si elles ne sont pas vendues ? À un parent ? À la Sorbonne ? Le texte n’est pas clair.
37 Le compte d’exécution mentionne un Lambert, clerc de Robert de Douai, absent du testament (AOS, II, no 160).
38 Sur l’identification de Loencium, voir supra, n. 26. Marie de Cauda reçoit 10 arpents de terre, 2 de vignes et 2 de prés ; en cas de décès, ces biens seront vendus et le produit de la vente distribué par les exécuteurs testamentaires aux pauvres des diocèses de Paris, Senlis et Arras.
39 Robert partagea entre eux sa terre de Chailly (soit 32,5 arpents, des menus cens, 2 sétiers d’orge et sans doute un hospitium pour chacun, plus 20 librate de terre à La Ferté-sous-Jouarre aux Mathurins).
40 20 livres aux Dominicains et aux Franciscains, 10 aux frères de la Pénitence, 5 aux Carmes.
41 Ces anniversaires sont demandés, contre la cession de redevances en nature ou de dons d’argent s’échelonnant de 20 à 100 livres parisis, aux églises suivantes : N.-D. de Papelart Vinee (non identifiée – sans doute en Belgique actuelle), Mont-Saint-Martin (Cambrai), Saint-Quentin-enVermandois, N.-D. à Senlis, Saint-Pierre et Sanctus Amatus à Douai, N.-D. de Vermandois et, à Paris, Sainte-Geneviève, Saint-Antoine et les Chartreux.
42 Les hôpitaux et léproseries de Douai et Saint-Quentin, les hôpitaux et léproseries du diocèse de Senlis, l’Hôtel-Dieu et autres hôpitaux et léproseries de Paris.
43 Notons un legs assez curieux pour les pauvres de Loenceium (cf. supra, n. 26) : 50 arpents de terre ou, si les seigneurs locaux s’y opposent, le produit de la vente de ces mêmes terres.
44 En 1265, les exécuteurs testamentaires de Robert achetèrent comme prévu 10 livres parisis de rentes pour construire et doter la nouvelle église, placée sous le patronage de l’évêque de Paris ; mais ils envisageaient que cette fondation puisse ne pas durer, auquel cas la rente reviendrait à la Sorbonne (AOS, II, no 251).
45 S. Guenée, Bibliographie de l’histoire des uniuersités françaises des origines à la Révolution, t. I, Paris, 1981, p. 156-157, recense dix-huit titres relatifs à Gérard d’Abbeville ; voir aussi M.-M. Dufeil, Guillaume de Saint-Amour, op. cit., passim.
46 Outre divers textes polémiques contre les Mendiants, Gérard d’Abbeville est l’auteur de quodlibets, de questions théologiques et de sermons.
47 Sur les livres de Gérard d’Abbeville et la bibliothèque de la Sorbonne, voir, en dernier lieu, la mise au point de R. H. et Μ. A. Rouse, « La bibliothèque du collège de Sorbonne », dans Histoire des bibliothèques françaises, I, Les bibliothèques médiévales du vie siècle à 1530, A. Vernet dir., Paris, 1989, p. 113-123.
48 Connu par deux copies modernes (BNL lat. 5493 et Arsenal 1228), ce testament a été édite aux p. 214-218 de Ph. Grand, « Le quodlibet XIV de Gérard d’Abbeville. La vie de Gérard d’Abbeville », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 39 (1964), p. 197-269, et dans AOS, II, n. 301 ; nous avons utilisé en règle générale l’édition de Ph. Grand (dorénavant TGA) dont la transcription semble plus exacte.
49 D’après l’obituaire de la Sorbonne (AOS, I), p. 176.
50 Une bulle pontificale de 1254 le dit simplement magister (ès arts ou en théologie ?) ; un texte à la datation incertaine (1256 ou 1260) semble le désigner comme maître et régent en théologie (Ph. Grand, « Le quodlibet XIV », op. cit., p. 208-209), mais la première attestation absolument incontestable est du 17 février 1262 (CUP, I, nos 367 et 374).
51 Gérard d’Abbeville s’était alors engagé à donner quelques-uns de ses livres à la bibliothèque de la Sorbonne, pour une valeur de 70 l. parisis en paiement d’une dette contractée auprès de Robert de Douai (l’homonyme de notre médecin), dont Gérard était l’exécuteur testamentaire et qui avait lui-même testé en faveur du collège (AOS, II, no 189).
52 Un inventaire serait dressé et vérifié tous les ans, certains livres seraient enchaînés, d’autres pourraient être prêtés contre dépôt d’une caution ; ces dispositions étaient plus précises que celles des statuts primitifs du collège, promulgués l’année précédente (AOS, I, p. 194).
53 Voir l’article « Richard de Fournival », dans Dictionnaire des lettresfran çaises. Le Moyen Âge, nlle éd. G. Hasenohr et M. Zink dir., Paris, 1994, p. 1266-1268
54 Et il l’était au moins depuis 1262 (CUP, I, no 374).
55 Outre Raoul et Gérard Peregrini, inconnus, Gérard mentionne d’un côté « ses parents, frères, sœurs, et amis défunts », de l’autre, encore vivants, cinq ou six cousins, six neveux et nièces, un petit-neveu et trois petites-nièces. Notons que, plus généreux que Robert de Douai, il les associe tous à l’anniversaire qu’il fonde à Saint-Wulfran d’Abbeville.
56 Gérard termine son testament en partageant le reliquat éventuel entre les pauperes scholares Parisienses tam theologi quant artistae et les pauperes parentes mei quibus nihil legavi (TGA).
57 Il justifie d’ailleurs ces legs aux serviteurs par une maxime dont je n’ai pas identifié l’origine : Scio enim esse scriptum : « Si quis suorum et maxime domesticorum curam non habet, hic fidem negavit et est infideli deterior » (TGA).
58 Les témoins du testament sont six chanoines d’Amiens, dont le chantre et l'ecolâtre.
59 Les exécuteurs testamentaires sont quatre magistri, Robert de Sorbon, Raoul Lagache, Grégoire, chanoine de Saint-Quentin, et Jean, son neveu. Maîtres André et Hugues de Feucheriis, tous deux étudiants en théologie, peut-être élèves de Gérard, reçoivent 10 l. parisis chacun.
60 Le testament mentionne les chevaux de Gérard (equi mei).
61 Gérard d’Abbeville lègue sept cens pesant sur des maisons ou des tenures (tenementa) pour une valeur totale d’environ 25 livres parisis (on ne peut calculer le chiffre exact, car Gérard ne précise pas toujours s’il compte en parisis ou en tournois).
62 Ici aussi, une légère imprécision, pour la même raison que supra, n. 61.
63 Plus précisément, à Amiens, la cathédrale, sa fabrique, ses chapelains et vicaires de chœur, l’hôpital, à Abbeville, l’église Saint-Wulfran, ses chapelains et tous les chapelains et curés d’Abbeville, l’hôpital Saint-Nicolas, les moniales d’Épagne et la léproserie du Val.
64 À quoi s’ajoutaient 10 livres parisis à distribuer le jour de ses obsèques pauperibus egestate mendicantibus : ultime pique contre les religieux mendiants ?
65 Sur « l’avènement des maîtres » au xiie siècle, voir dans M.-D. Chenu, La théologie au douzième siècle, 2e éd. (Études de philosophie médiévale, XLV), Paris, 1966, p. 323-350, chapitre « Les magistri. La “science” théologique ».
66 Recherche délicate qu’il était évidemment exclu d’entreprendre dans les limites imparties à cet article. Je note simplement, pour donner une idée, qu’à la même époque, d’après G. Sivéry, L’économie du royaume de France, op. cit., p. 134-141, 282-284, les valets de charrue artésiens gagnaient 4 l.10 s. parisis par an, les châtelains et les baillis du roi de France les mieux payés, respectivement, 140 et 475 l. parisis environ, et les plus riches hommes d’affaires d’Arras (les Louchart, les Crespin) « plusieurs dizaines de milliers de livres de revenus annuels ». Nos maîtres parisiens étaient bien au-dessus des premiers, bien loin derrière les troisièmes, sans doute à peu près au niveau des seconds, qui représentaient l’élite des officiers royaux.
Auteur
Université Paris 4-Sorbonne
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