Conclusion
p. 351-354
Texte intégral
1L'histoire municipale de Paris entre 1944 et 1977 est marquée par la conquête progressive par les gaullistes de la gestion de la capitale. Après une courte période où la gauche domine, le RPF emporte la majorité absolue aux municipales de 1947, mais les défections de son groupe, liées à l'évolution politique nationale, assurent la prépondérance des Indépendants jusqu'en 1959. Les gaullistes dominent la droite en 1959 et parviennent à faire élire l'un des leurs, Alain Griotteray, au poste de rapporteur général du budget. Les crises liées à la guerre d'Algérie leur font perdre cet avantage. Il faut attendre 1965 pour que la prépondérance gaulliste trouve son assise à Paris, avec le pouvoir important exercé par Christian de La Malène comme rapporteur général du budget pendant douze ans. Le gaullisme est d'autant plus fort que l'UDR, choisissant pour la représenter au Conseil de Paris des proches de ministres, des parlementaires ou leurs suppléants, se met pratiquement à l'abri de nouvelles dissidences.
2Cette histoire est également marquée par les difficiles rapports entre la Ville et l'Etat, même si, finalement, Paris obtient son émancipation. Après l'échec de la réforme du statut à la Libération, due en grande partie à la force du communisme dans les institutions municipales, après une IVe République aux gouvernements très antiparisiens qui, peu désireux d'accorder de plus grands pouvoirs à des adversaires politiques, se laissent convaincre par les thèses graviéristes, les mesures prises en 1961 et en 1970 contribuent à une libéralisation du statut, qui annonce la grande loi libératrice du 31 décembre 1975 donnant à Paris le droit d'élire son maire. Pourtant, en dépit de la coïncidence entre les majorités nationale et municipale, des problèmes subsistent. C'est que la méfiance de l'Etat central envers Paris est profondément ancrée dans les mentalités et est exacerbée par la pression des élus de province.
3Les élections municipales de 1977, dominées par la rivalité entre Michel d'Ornano et Jacques Chirac, se terminent par la victoire des gaullistes. Pour les gaullistes, qui ont perdu la présidence de la République en 1974 et le poste de Premier ministre en 1976, l'administration de Paris reste l'une de leurs principales responsabilités nationales et elle ne peut leur échapper. Certes, le groupe “Paris-Majorité”, qui a été en retrait dans la campagne pour la réforme du statut de Paris, admet un temps que le maire de Paris soit un giscardien et la candidature envisagée de Pierre-Christian Taittinger est d'abord bien acceptée.
4Mais, après la désignation de Michel d'Ornano, le 12 novembre 1976, la manière dont les giscardiens envisagent la constitution des listes apparaît aux gaullistes comme une véritable provocation1. Convaincus que l'électorat parisien rejette massivement les élus gaullistes, en dépit du résultat obtenu par Jean Tibéri réélu au premier tour d'une élection législative partielle le 14 novembre 1976 dans son Ve arrondissement, se fondant sur les résultats obtenus par Valéry Giscard d'Estaing lors des élections présidentielles de 1974, les giscardiens souhaitent éliminer bon nombre d'élus gaullistes sortants dans les arrondissements. Les gaullistes souhaitent défendre leur acquis politique à Paris : c'est pourquoi le groupe Paris-Majorité accepte facilement la candidature, annoncée le 19 janvier 1977, du président du RPR, Jacques Chirac, qui apparaît mieux à même que Christian de La Malène de défendre les chances de leur parti, et représente des candidats fortement enracinés dans leur arrondissement contre des candidats giscardiens pratiquement inconnus dans la vie politique parisienne : Pierre Bas contre Philippe de Saint-Marc dans le Vie arrondissement, Nicole de Hauteclocque, élue depuis 1947, Bernard Rocher, Claude Roux, Jacques Marette contre Françoise Giroud dans le XVe arrondissement. Lorsque le RPR présente sa liste de personnalités chargées de constituer les listes dans les secteurs, Jérome Monod, secrétaire général du RPR, insiste sur la légitimité des élus gaullistes sortants et s'étonne de voir des ministres se porter candidats contre des conseillers de Paris qui, en tant que députés, soutiennent au Parlement le gouvernement2. Le succès des listes soutenant la candidature de Jacques Chirac s'explique en grande partie par l'implantation municipale ancienne des candidats gaullistes et le travail qu'ils ont effectué dans leur arrondissement.
5Après 1977, la suprématie gaulliste au sein de la droite parisienne n'est plus remise en cause. Des listes d'union sont présentées aux municipales de 1983 et à celles de 1989. De toutes manières, l'échec de Pierre Bas, aux municipales de 1989, contre François Collet, comme la fin de la carrière politique du député Yves Lancien, montrent l'impossibilité de faire carrière politique à droite à Paris sans l'appui de l'appareil gaulliste. Il est vraisemblable que cette conquête de la municipalité parisienne sera durable et que le successeur de Jacques Chirac sera lui aussi un membre de la famille gaulliste. Ainsi, la période que nous avons étudiée apparaîtra comme une période charnière dans l'histoire politique de Paris.
6En revanche, la relation difficile, conflictuelle entre la Ville et l'Etat perdure. Certes, la remise en cause de la liberté de Paris d'élire son maire et d'avoir une administration municipale puissante ne paraît pas d'actualité, et la loi de 1975, résultat de nombreuses années de revendications des élus parisiens, restera une date fondamentale dans l'histoire de Paris. Mais, depuis 1977, de nouveaux conflits ont surgi, principalement entre 1981 et 1986 et entre 1988 et 1993, lorsque des oppositions politiques flagrantes ont à nouveau existé entre les majorités nationale et municipale. L'épisode le plus connu est celui de la réforme du statut de Paris dans la perspective des municipales de 1983, avec la création de maires d'arrondissement. La gauche espérait ainsi conquérir quelques arrondissements, à défaut de conquérir la mairie, espoir déçu après la victoire de toutes les listes chiraquiennes aux municipales de 1983 et de 1989. D'autres épisodes vont dans le même sens. Les décisions budgétaires prises en 1991 (création d'une dotation de solidarité urbaine et d'un fonds spécial de solidarité de l'Ile-de-France, suppression des recettes du PMU versées à la Ville) conduisent ainsi à une amputation des recettes fiscales de la Ville supérieure à 1,2 milliards de francs et suscitent la protestation des élus parisiens3. Les “délocalisations” annoncées par le gouvernement d'Edith Cresson, en particulier le transfert symbolique de l'ENA à Strasbourg, appartiennent à la même histoire. Si, après les législatives de 1993, les majorités nationale et municipale coïncident à nouveau et si un conseiller et député de Paris, Edouard Balladur, est nommé à Matignon, le doute subsiste sur les rapports entre la Ville et l'Etat. Les orientations annoncées lors du Comité Interministériel d'Aménagement du Territoire de Mende du 12 juillet 1993 ne paraissent pas favorables à la région parisienne et rappellent par certains aspects les doctrines graviéristes de la IVe République. Le problème de la participation respective de l'Etat et des collectivités locales au déficit des transports en commun de la région parisienne est à nouveau posé. La réaction des élus locaux rappelle celle que l'on a pu observer entre 1944 et 1977 face aux projets de l'Etat. Les élus RPR et UDF du Conseil régional d'Ile-de-France, tout en exprimant “leur solidarité avec l'ensemble des autres régions françaises” rappellent que “la région Ile-de-France subit de plein fouet la récession et qu'elle assume actuellement la moitié des pertes d'emploi françaises”. Ils s'inquiètent de la réduction des dotations de l'Etat et espèrent que la nouvelle procédure d'agrément pour les bureaux sera appliquée “sans esprit bureaucratique” Jean Tibéri, devenu Premier Adjoint au Maire de Paris, tout en affirmant son accord avec les orientations du CIAT dans un article paru dans Le Figaro du 10 août 1993, rappelle néanmoins la nécessité de sauvegarder de nombreux investissements prévus (pour les transports en commun, pour le secteur du logement social et intermédiaire et pour les actions conduites au titre de politique de la Ville). Le 12 septembre, il se rend même à Matignon plaider la cause de Paris4.
7La victoire remportée en 1977 par la Ville sur l'Etat ne met donc pas fin à ce qui était, comme le rappelle Charles Vial, un “antagonisme séculaire”.
Notes de bas de page
1 Dans une "libre opinion" publiée dans Le Monde du 11 février 1977, Pierre Lefranc écrit : "Paris est connu pour être gaulliste et l'installation d'un maire giscardien eût revêtu une vaste portée en marquant le déclin des forces attachées au souvenir et aux objectifs du général de Gaulle, et cela juste une année avant les législatives. Les négociations entre les formations de la majorité auraient certainement abouti à des listes uniques et à un accord sur le maire futur, si la volonté des RI n'avait pas été de faire de cette élection leur Austerlitz. C'est ainsi que M. d'Ornano fut lancé à la tête de la cavalerie, Mme Giroud, dont on connaît l'esprit cocardier jouant, sans doute, le rôle de la cantinière. Comment s'étonner que ceux qui représentent la majorité du Conseil municipal sortant aient réagi devant ce coup de force prémédité ? Ce qui surprend, c'est que les agresseurs n'aient pas prévu la possibilité d'une riposte, l'étude des réactions possibles étant la base de tout règlement tactique. On hésite à le rappeler à des personnalités dont le nom est entré dans l'histoire militaire". Dans une réunion au Cirque d'hiver, Jacques Chirac déclare : "On a cherché à nous éliminer à Paris au profit d'un clan sans passé et sans droit. Nous n'avons pas poussé la politesse jusqu'à nous excuser du fait qu'on voulait notre mort." (cité dans le Monde du 26 février 1977). Dans un entretien du 3 juillet 1992, Camille Cabana nous a confirmé que la manière dont les giscardiens envisageaient la constitution des listes a été à l'origine de la rupture et de la réaction des gaullistes.
2 Le Monde, 13 janvier 1977.
3 Charles Vial, “La bataille de Paris”, Le Monde, 18 décembre 1991.
4 Le Figaro, 17 septembre 1993. Voir aussi sur ce débat : Alain Griotteray “Libérons Paris”, Le Figaro-Magazine, 20 novembre 1993 et Isabelle de Kerviler (adjoint au maire de Paris), “Paris n'est pas trop grand”, Le Figaro économie, 10 décembre 1993.
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