Chapitre XIII. Les rapports Paris-État sous la Cinquième République
p. 303-349
Texte intégral
I — Une lente amélioration des rapports
1La coïncidence qui existe peu ou prou sous la Ve République entre la majorité gouvernementale et la majorité du Conseil de Paris devrait rendre les rapports entre la Ville et l'Etat un peu plus faciles. Dès le 23 juin 1958, Edouard Frédéric-Dupont espère tirer parti du changement pour faire aboutir le projet de réforme élaboré en 1954-1955, d'autant plus que le préfet de la Seine, Emile Pelletier, est devenu ministre de l'Intérieur. Il dépose au Conseil municipal, avec Jean Legaret et Janine Alexandre-Debray, un projet de vœu ainsi libellé : “Que le gouvernement publie une ordonnance sur la réforme du régime administratif de la Ville de Paris d'après les principes contenus dans la proposition de loi déposée à la Chambre et au Sénat par MM. Frédéric-Dupont et Michelet”1. Le 1er décembre 1958, Edouard Frédéric-Dupont, posant au préfet une question orale “sur l'état des travaux de la commission chargée de la réforme du statut de Paris”, n'obtient pourtant qu'une réponse évasive2. Lors d'une communication, le 29 juin 1959, Alain Griotteray plaide à nouveau pour l'allégement de la tutelle, en s'adressant au préfet : “Je tiens à vous déclarer, Monsieur le préfet, que vous nous trouverez à vos côtés dès l'instant où vous solliciterez du gouvernement un allégement [de la tutelle] indispensable au bon fonctionnement de votre Administration et à la meilleure gestion des intérêts de Paris”3.
2Si les revendications se répètent, c'est que, à première vue, le changement de gouvernement ne semble pas avoir changé les méthodes antiparisiennes. En témoigne par exemple cette anecdote rapportée par Michel Debré lors d'un entretien avec Michel Brisacier : “Je m'étais juré en particulier de mettre un terme au prolongement en Y de la rue de Rennes jusqu'à la Seine. Or, la Ville de Paris achetait toujours des immeubles conformément à ce projet. Quand a été reconstruite, sur l'hôpital de la Charité, l'actuelle faculté de médecine, on a imposé aux architectes de faire une porte sur la future avenue. Le jour où j'aurai un pouvoir, il faut que je casse cela, m'étais-je dit. Premier ministre dès 1959, je vois le préfet Benedetti. — Il faut m arrêter cela, lui dis-je. — Je n'ai pas tous les pouvoirs qu'avait Haussmann, me répond-il. Il me faut en référer au ministre de l'Intérieur, au ministre de la Construction, au Conseil municipal. J'ai alors pris un texte, que j'ai signé tout seul en ma qualité de Premier ministre, qui révoquait la disposition du plan Haussmann et l'ai adressé à Benedetti un peu ému avec une lettre interdisant à la Ville de Paris de procéder au prolongement. Mais j'étais sûr de mon bon droit”4. En 1959 et 1960, à plusieurs occasions, le Conseil municipal a d'ailleurs l'occasion de protester à nouveau contre les méthodes du gouvernement.
3Le projet d'adduction d'eau des vals de Loire, d'abord approuvé, est finalement repoussé5. Une ordonnance du 5 janvier 1959 déclare d'utilité publique l'adduction d'eau des vals de Loire. Or, en mai 1959, Maurice Bokanowski, secrétaire d'Etat à l'Intérieur, déclare que le gouvernement revient sur cette décision. Des pressions de la part des riverains ont eu lieu sur le gouvernement, qui ont reçu un accueil d'autant plus favorable que le premier ministre, Michel Debré, est élu d'Indre-et-Loire (sénateur de 1948 à 1958 et conseiller général d'Amboise). Le 30 juin 1959, le Conseil municipal vote une résolution invitant le préfet de la Seine à faire prévaloir auprès des ministres intéressés la volonté du Conseil municipal d'obtenir l'accord et la participation gouvernementale à la réalisation rapide de l'adduction d'eau des vals de Loire6. Le 17 décembre 1959, sur proposition communiste, le Conseil demande à nouveau la réalisation du projet7.
4La question de la construction de la Faculté des sciences est également l'occasion d'une tension entre l'Etat et le Conseil municipal. En 1945, Raoul Dautry, ministre de la reconstruction et de l'urbanisme, avait décidé de désaffecter l'entrepôt Saint-Bernard, propriété de la Ville depuis 1816, pour utiliser son emplacement à l'agrandissement des locaux de la Faculté des sciences, les négociants devant être transférés à Bercy. Le Conseil municipal avait donné un avis favorable le 24 décembre 1945. Le 27 décembre 1952, il avait autorisé la mise à la disposition de l'Etat, au bénéfice de la Faculté des sciences de l'Université de Paris et à titre gratuit, d'une surface en surélévation représentant le dessus des celliers de l'entrepôt Saint-Bernard, en bordure de la rue Jussieu. Le 17 juillet 1954, une convention en ce sens avait été signée entre la Ville et le Rectorat de Paris. Compte tenu des besoins, le Conseil avait autorisé le 26 janvier 1956 l'Université de Paris à construire en superstructure sur les immeubles de l'entrepôt Saint-Bernard en bordure du quai et en surplomb de la rue des Graves. Tout en reconnaissant le caractère provisoire et insatisfaisant de l'opération, le Conseil municipal l'avait accepté afin de conserver la Faculté des sciences dans Paris, en dépit de l'opposition de quelques conseillers comme Edouard Frédéric-Dupont qui ne voulait pas se laisser imposer par l'Etat en une nuit “ce monstre d'architecture” qu'était ce projet sur pilotis8. La délibération prévoyait qu'ultérieurement soit effectué le transfert définitif à l'Université de Paris des terrains de l'établissement. Une convention a été passée entre l'Etat et la Ville le 1er décembre 1956, mais les travaux ont été ajournés à cause du manque de crédits. Le 5 juillet 1958, prenant conscience de l'absurdité du projet envisagé, le Conseil avait invité le préfet à rechercher à quelles conditions l'ensemble du terrain pourrait être mis à la disposition de la Faculté des sciences et les concessionnaires réinstallés à Bercy9. Or, une ordonnance parue au Journal officiel du 7 février 195910 transfère la propriété de la Ville à l'Etat, sans consultation du Conseil. Elle élude l'obligation de reloger à Bercy les négociants. Cet acte suscite une protestation de Victor Bucaille et Edouard Frédéric-Dupont le 25 juin 1959, à l'occasion de questions orales11. Le problème de l'indemnisation de la Ville est l'un des thèmes de conflit avec l'Etat dans les années 60. Des interventions ont lieu chaque année au Conseil. Une abondante correspondance est échangée à ce sujet entre le préfet et le gouvernement. L'affaire dure jusqu'à la fin des années 60. Le 1er avril 1966, le Conseil invite le préfet à former un recours contre la décision de l'Etat de limiter à 10,3 millions l'indemnité versée à la Ville12.
5Par l'ordonnance du 4 février 195913, les décrets du 25 février et du 23 juin 1959, l'Etat crée le district de la région parisienne. L'objectif est de coordonner la politique d'aménagement et d'équipement de la région de Paris, de dépasser le cadre municipal ou départemental pour introduire un cadre régional. Mais il s'agit d'un district imposé, formé sans consultation du Conseil municipal. L'article 5 de l'ordonnance semble menaçant pour les libertés communales : “Jusqu'au 1er janvier 1964, le gouvernement pourra, sans préjudice des mesures qu'il est habilité à prendre en vertu de ses pouvoirs réglementaires, procéder par décret en Conseil des ministres, après avis du Conseil d'Etat, à toute mesure touchant à l'organisation et à l'administration de la région de Paris ainsi qu'à toute mesure tendant, dans le même but, à simplifier l'organisation et l'administration des collectivités territoriales qui composent la région”. Lorsque le mémoire du préfet demandant la désignation des représentants du Conseil municipal vient en discussion, le 29 juin 1959, les critiques sont vives, en particulier de la part des socialistes. L'article 5, jugé anticonstitutionnel, est mis en cause par Jean Legaret. Edouard Frédéric-Dupont affirme que Michel Debré s'est engagé à ne pas l'appliquer, mais le Conseil ajourne la désignation de ses représentants14. La demande d'ajournement demandée par les conseillers socialistes est adoptée au scrutin par appel nominal à la tribune par 41 voix contre 40 grâce au vote de quelques indépendants (Jean Carlier, Denys-Cochin). Le 31 mars 196015, la question est à nouveau discutée. Il semble que le préfet ait fait des démarches individuelles auprès des conseillers municipaux pour faire accepter le district et, bien que le préfet les démente, des menaces de dissolution du Conseil municipal auraient été avancées au cas où la désignation des représentants ne serait pas faite. Pourtant, Jean Legaret réitère ses critiques contre la position gouvernementale ; Etienne de Véricourt condamne l'attitude du gouvernement, qui présente aux conseillers municipaux le district comme “à prendre ou à laisser” ; Victor Bucaille considère le district comme “une erreur historique et géographique”, tout en défendant le principe d'une politique de présence. Par 56 voix (communistes, socialistes, indépendants, MRP) contre 32 (celles de l'UNR et du Centre républicain), le Conseil — qui a admis, à l'exception des communistes, le principe de la création du district — sollicite alors la révision de l'ordonnance du 4 février 1959 et ajourne le mémoire préfectoral tendant à la désignation des représentants du Conseil municipal au Conseil de district.
6Cette même année 1959, le Conseil municipal doit s'opposer aux tentatives du Parlement de faire prendre en charge par les collectivités parisiennes, dans un délai de trois ans, la totalité du déficit de la RATP. Le 26 novembre 1959, sur proposition du rapporteur général du budget Alain Griotteray soutenu par le rapporteur du budget du département, le socialiste Gaston Gévaudan, le Conseil municipal adopte un texte analogue à celui voté par le Conseil général émettant le vœu “que le gouvernement n'aggrave pas la situation budgétaire des collectivités de la région parisienne en poursuivant la politique démagogique flattant la province et la dressant contre la capitale”16. Pourtant, par le décret n° 1142 du 27 octobre 1960, le gouvernement modifie dans un sens défavorable aux collectivités parisiennes la répartition du déficit de la RATP et de la SNCF-banlieue fixé par l'ordonnance de 1959 sur la RATP : de 80 % à la charge de l'Etat et 20 % à la charge des collectivités locales, on passe à une répartition de 70 % pour l'Etat et de 30 % pour les collectivités locales. Le 4 novembre 1960, dans un communiqué de presse, la Commission des transports proteste contre les nouvelles dispositions. Les protestations émises par les deux assemblées17 ne modifient en rien les dispositions gouvernementales.
7Dans le domaine de l'urbanisme, des problèmes surgissent également entre le Conseil et le gouvernement. Au début des années 60, deux documents d'urbanisme importants pour l'avenir de la région parisienne sont élaborés directement par le gouvernement, sans réelle consultation préalable du Conseil municipal : le Plan d'Urbanisme Directeur de la Ville de Paris (PUD) et le Plan d'Aménagement et d'Organisation Générale de la Région Parisienne (PADOG). Or, le PADOG est un document largement malthusien, irréaliste, prévoyant une stabilisation de la population de la région parisienne et une limitation de la croissance de la région parisienne à un million entre 1960 et 1970. Il prône pour cela une stabilisation du potentiel industriel et des emplois du secteur tertiaire et des services publics ; il envisage la construction de seulement 70.000 à 75.000 logements par an dans la région parisienne. Ce dernier chiffre est jugé largement insuffisant par les conseillers lors de la discussion du PADOG, les 29, 31 mai et 1er juin 1960. A l'instar de Michel Caldaguès, beaucoup se demandent si l'on n'est pas “passé insensiblement de cette nécessité qui consiste à ne pas laisser Paris s'engorger à cette illusion parfois dangereuse qui consisterait à vouloir vider Paris d'une partie de sa population”18.
8Dans ces conditions, on peut comprendre la réaction de Bernard Lafay le 12 décembre 196019 : “Nous avons de plus en plus la fâcheuse impression que le gouvernement a choisi de nous mettre systématiquement devant le fait accompli, en un mot de nous forcer la main, qu'il s'agisse de la mise en place du district parisien, du plan d'aménagement de notre région, aujourd'hui de l'Assistance publique”. Selon lui, “le pouvoir a une conception dictatoriale de la tutelle”20.
9La situation évolue pourtant dans un sens favorable. Le 2 février 1960 est instauré un Comité interministériel permanent de la région de Paris, présidé par le premier ministre. Des promesses d'allègement de la tutelle sont faites. Le gouvernement renonce à faire passer en force son premier projet de district En 1961, à la suite des efforts entrepris par Alain Griotteray auprès du premier ministre, Michel Debré21, des améliorations budgétaires sont apportées. Deux décrets interviennent : le décret n° 61-3 du 6 janvier 1961 portant mesures de décentralisation en faveur de la Ville de Paris et du département de la Seine et le décret n° 61-4 du 6 janvier 1961 relatif au contrôle administratif et financier de la Ville de Paris22.
10La Ville de Paris obtient l'autorisation d'avoir son budget d'investissement avec autorisations de programme et crédits de paiement et retrouve ses facultés d'emprunt Cette réforme est tout à fait capitale dans l'histoire de Paris après 1945. Elle permet la reprise des grands travaux, par exemple dans le domaine hospitalier, et une planification des réalisations23.
11De plus, les attributions du Conseil municipal sont accrues. Certes, les décrets ne renversent pas le principe selon lequel les pouvoirs des Assemblées parisiennes sont limitativement énumérés, mais le nombre des matières soumises à délibération augmente. Le Conseil municipal retrouve dans ses attributions la discussion de tous les traités relatifs à l'exploitation des services communaux de caractère industriel ou commercial, sans que la compétence soit limitée aux traités de plus de dix ans ou aux traités à titre exclusif. Il retrouve pouvoir de délibérer sur les programmes de travaux neufs dotés de fonds budgétaires, ce qui lui permet de fixer l'ordre d'urgence des travaux à exécuter. Le Conseil doit désormais délibérer, et plus seulement donner un avis, sur l'entretien de l'Hôtel de Ville, le changement d'affectation d'un immeuble domanial, les baux, l'allocation des subventions dans la limite des crédits de répartition.
12Enfin, les décrets donnent force exécutoire aux délibérations du Conseil municipal. Jusqu'en 1961, sauf cas exceptionnels établis par les lois de 1837 et de 1867, toutes les délibérations du Conseil sont soumises à approbation. Le décret n° 3 du 6 janvier énumère en revanche les délibérations soumises à approbation. Ainsi, il renverse le principe précédent et fixe un principe nouveau. Les délibérations du Conseil municipal, rentrant dans les attributions de l'Assemblée, deviennent exécutoires de plein droit, sous réserve de leur légalité dont le contrôle est effectué selon les règles du droit commun. Le texte ne mentionne que quatre délibérations soumises à l'approbation et, pour le reste, renvoie au Code municipal, donc à la loi de 1884, et aux dispositions particulières qui auraient pu être prises par une loi spéciale rendue applicable à Paris. C'est la référence au droit commun qui prévaut. Les délibérations soumises à approbation sont celles qui portent sur des actes particulièrement importants : le budget général de la Ville et de la préfecture de police, les programmes d'investissement portant sur plusieurs années, les emprunts sauf ceux qui sont contractés auprès de six organismes ou fonds publics tels la Caisse des dépôts et consignations, le Crédit foncier, le Fonds national d'aménagement du territoire, et les garanties d'emprunt autres que les emprunts contractés dans certaines conditions par les organismes d'habitations à loyer modéré et les sociétés de crédit immobilier et que les emprunts contractés par les établissements publics communaux ou intercommunaux. Ces délibérations restrictives sont en fait très proches du droit commun. Elles ne s'en séparent que par l'assujettissement à l'approbation, dans tous les cas, de la délibération budgétaire, alors qu'en droit commun le budget peut être l'objet d'une délibération définitive si la Ville n'est ni trop imposée, ni trop endettée. Le budget doit désormais être approuvé dans les trois mois de sa transmission au ministère par simple arrêté interministériel. Passé ce délai, si dans les huit jours qui précèdent le terme de ces trois mois un arrêté interministériel n'a pas notifié les points sur lesquels l'autorité de tutelle entend formuler des observations, le budget est réputé être tacitement approuvé. L'approbation intervient dans les délais en 1961, 1962 et 1963. Il est prévu que, lorsque le budget est sincèrement en équilibre et lorsqu'il se présente en équilibre réel, l'autorité supérieure ne peut ni diminuer, ni réserver, ni bloquer les crédits des dépenses facultatives. Cela met fin aux pratiques de la IVe République où maints abattements étaient effectués sur des dépenses facultatives.
13Alain Griotteray obtient également de l'Etat qu'il contribue à nouveau à l'entretien du pavé de Paris et que soit révisée la convention de 192624 ; il règle le problème de la subvention pour la recherche scientifique dans les hôpitaux. En 1962, il est admis que le recrutement des administrateurs de la Ville de Paris et du Département de la Seine se ferait par un concours spécial dont le programme serait le même que celui de l'ENA.
14La deuxième version du District ne suscite pas l'opposition du Conseil municipal, même si le groupe communiste reste hostile. Les quatre représentants du Conseil municipal sont désignés lors de la séance du 13-14 novembre 1961. Michel Debré installe le Conseil d'administration du District le 19 décembre 1961. Paul Delouvrier est nommé délégué général. Le rapporteur général du budget du District est le rapporteur général du budget de la Ville, Alain Griotteray. Toutefois, Victor Bucaille s'inquiète le 29 mars 1962 des conditions dans lesquelles le préfet envisage de tenir le Conseil municipal au courant des délibérations du conseil d'administration du district de la région de Paris et des décisions du délégué général25 et pose, le 9 juillet 1962, une question orale au préfet de la Seine lui demandant de quelle manière il pense pouvoir compenser pour le contribuable parisien les impôts que l'Etat lui impose au titre du district26. Le 12 décembre 1963, Auguste Marboeuf, à l'occasion d'une question orale “sur les déclarations du délégué général au district sur des problèmes relevant strictement de la compétence du Conseil municipal de Paris”27, proteste contre les propos de Paul Delouvrier annonçant la création de voies nouvelles dans Paris, sans que le Conseil municipal en ait délibéré. Enfin, en 1966, Edouard Frédéric-Dupont s'inquiète du décret paru au Journal Officiel du 19 août créant un préfet régional placé sous la dépendance directe du Premier ministre : il craint un écrasement de l'Administration de la Ville28. En dépit de ces réserves, le nouveau District finit par être accepté par les conseillers de la majorité, dans la mesure où il participe au financement des grandes opérations de voirie primaire et où la nécessité d'une coordination régionale est de plus en plus patente. De plus, à partir de 1967, le Conseil de Paris désigne dix membres au lieu de quatre. La désignation des nouveaux membres a lieu le 6 octobre 196729l.
15Le décret du 30 novembre 1970 portant réforme du régime administratif et financier de la Ville de Paris permet une nouvelle avancée. Le budget de fonctionnement et le budget de la préfecture de police sont exécutoires de plein droit trente jours après la réception, par les ministères intéressés, du budget d'investissement de la Ville, sauf lorsque le compte administratif du dernier exercice clos, y compris les restes à réaliser, fait apparaître un déficit. Cette mesure est calquée sur les dispositions incluses dans le projet de loi sur la gestion municipale et les libertés communales déposé par le gouvernement le 4 novembre 1970. Sont également exécutoires de plein droit à partir de 1970 les emprunts contractés auprès des caisses publiques et les délibérations concernant les garanties d'emprunt accordées par la Ville à certains établissements importants. La tutelle sur le budget d'investissement est allégée et simplifiée par la réduction de trois mois à trente jours du délai d'approbation et par la limitation des motifs de refus d'approbation. Ceux-ci ne peuvent concerner que le montant des nouvelles autorisations de programme, le montant des crédits de paiement et la répartition des moyens de financement entre l'autofinancement, les subventions et les emprunts. Les ministères ne peuvent plus invoquer, à l'appui d'un refus d'approbation, la composition interne du programme et les choix faits par la Ville entre tels ou tels investissements. Un autre décret, du 10 novembre 1970, tend, dans le domaine du personnel, à réduire les cas d'approbation de mesures nécessitant l'intervention d'un arrêté interministériel et à limiter les délais d'approbation30.
16Dans le domaine de 1' aménagement de la région parisienne, de Gaulle rompt finalement avec les tendances de la IVe République, ce qui conduira Jean-François Gravier à parler de “réaction parisienne” après 1965. Le Livre blanc de 1963, puis le Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la région parisienne, sont la traduction d'un renversement de politique, dont doivent être conscients les conseillers municipaux, malgré la permanence de leurs critiques.
17Les rapports entre la Ville, représentée par la majorité de son Conseil, et l'Etat sont donc plus faciles sous la Ve République, beaucoup moins antiparisienne, du moins pour la période envisagée, que la IVe République. La coïncidence des majorités facilite les rapports entre le Conseil et le gouvernement.
18Pourtant, des difficultés demeurent et provoquent à nouveau une campagne pour la libéralisation du statut, qui aboutit à la loi du 31 décembre 1975.
II — Le maintien de difficultés
19En dépit de cette amélioration des relations, les difficultés subsistent. Lorsque le gouvernement prépare la réforme de la région parisienne, il est admis que la Ville de Paris conserve un statut particulier peu différent de celui alors en vigueur. La loi du 10 juillet 1964 portant réorganisation de la région parisienne précise : “La Ville de Paris est une collectivité territoriale à statut particulier ayant des compétences de nature communale et départementale”. L'article 5 de la loi du 10 juillet 1964 se borne à confirmer la situation mineure de la Ville : “Le préfet de Paris et le préfet de police sont, chacun en ce qui le concerne, les représentants de l'Etat dans la ville de Paris. Ils sont en outre chargés, dans les domaines où s'exercent leurs attributions respectives, de l'instruction préalable des affaires soumises au Conseil de Paris et de l'exécution des délibérations de celui-ci. Ils prennent, dans les autres cas, toutes décisions utiles à l'administration de Paris” Il n'y a pas dans cette loi de titre entier consacré aux pouvoirs du Conseil de Paris et à ses rapports avec les préfets. Pourtant, la perspective d'une réforme du statut avait, semble-t-il, été envisagée par le général de Gaulle. Selon Roger Frey31, celui-ci n'excluait pas de donner à Paris le statut normal d'une commune de plein exercice, une fois la réorganisation de la région parisienne mise en place.
20Mais des tensions subsistent entre le Conseil et le pouvoir central.
L'intervention du pouvoir central dans les affaires parisiennes
21En effet, le nouveau pouvoir intervient directement dans les affaires parisiennes, ce qui provoque de nombreuses campagnes sur le thème de “Paris, domaine réservé du président de la République”. Michel Debré prend seul la décision de déplacer les Halles ; il décide de lancer le RER contre l'avis du ministre des Travaux Publics et du ministre des Finances et sans consulter le Conseil32. Trois conseils restreints sont consacrés aux problèmes parisiens sous de Gaulle, les 20 juin 1963, 8 octobre 1963 et 6 février 1964, sans consultation du Conseil. Le ministère des Travaux publics impose l'inscription au PUD des radiales Denfert-Rochereau et Bagnolet. Le ministère des Finances impose que le budget de 1966 ne soit en augmentation que de 7 % par rapport à celui de 1965, ce qui provoque une vive critique des conseillers de gauche contre cette “atteinte grave aux prérogatives du Conseil municipal de Paris”33. Georges Pompidou choisit l'emplacement du musée d'Art moderne sur le plateau Beaubourg. Valéry Giscard d'Estaing met de lui-même fin aux projets de voie express rive gauche centrale et de centre de commerce international aux Halles, si bien que, le 21 novembre 1974, à l'occasion de la présentation du mémoire préfectoral sur l'aménagement des abords de la gare Saint-Lazare, Bernard Rocher déclare : “Il est impossible pour notre Assemblée de courir le risque de voir son action une nouvelle fois démentie. Nous avons tous présentes à la mémoire les affaires de la voie express rive gauche et de l'aménagement des Halles où nos décisions ont été remises en question. Il nous faut, avant de pouvoir commencer à discuter du projet présenté, connaître la position de la tutelle à son égard”34
22L'affaire de la Villette est, pour les conseillers, l'exemple même de l'intervention malheureuse de l'Etat dans les affaires parisiennes sans consultation du Conseil.
23La reconstruction des abattoirs de la Villette s'est faite initialement avec l'accord des conseillers municipaux. Reprenant des projets de l'entre-deux-guerres, le Conseil avait décidé, le 27 décembre 1949, sur proposition d'André Thirion et d'Henri Ulver, la reconstruction des abattoirs. Le 16 décembre 1954, le Conseil municipal, à l'instigation d'André Fosset, a demandé au préfet de faire activer la mise au point du projet de reconstruction des abattoirs35. L'administration préfectorale semblait quelque peu réticente. Le 27 juin 1955, à l'occasion d'une question orale de Roger Rigaud, rapporteur des abattoirs à la deuxième commission, le préfet de la Seine estimait qu'il ne fallait pas investir de grosses sommes dans la modernisation des abattoirs de Paris, dans la mesure où l'abattage dans les centres de production est appelé à se développer. Or, deux conseillers, Marcel Ribéra et Roger Rigaud, réclamaient des abattoirs modernes à Paris, en particulier pour approvisionner la capitale en viande en cas de rupture des communications en période de guerre36. La mise au concours du projet de reconstruction des abattoirs a été décidée le 29 décembre 1955, sur rapport de Marcel Ribéra et sans opposition37. Le 4 avril 1957, le Conseil a créé une commission chargée de faire établir un projet définitif de reconstruction des abattoirs de la Villette38. L'avant-projet de reconstruction a été adopté le 12 décembre 1957, les conseillers du MRP faisant quelques réserves, dans la mesure où ils n'étaient pas convaincus de l'échec des abattoirs régionaux39. Les 18 et 23 décembre 1958, le Conseil municipal, sur rapport de Marcel Ribéra, a approuvé l'érection en marché d'intérêt national du marché aux viandes abattues et foraines de la Villette et constitué une société d'économie mixte pour la modernisation et la gestion des installations d'abattage et de vente en gros et demi-gros de la viande à Paris-la Villette, dont la Ville possède 55 % du capital40. Le coût est estimé à 17.414 millions. La société d'économie mixte devait être présidée par un conseiller municipal de Paris. Les oppositions étaient rares : la plus virulente fut celle de Jean Legaret qui estimait surévaluées les estimations de tonnages de viande qui pourrait être abattue et les recettes escomptées ; le socialiste Henri Billebaut estimait également que l'agrandissement des abattoirs au moment où se développait la viande foraine n'était pas judicieux. Le mémoire fut approuvé par 72 voix. 7 conseillers seulement votant contre (Janine Alexandre-Debray, Edmond Champetier de Ribes, André Fruh, Jean Legaret, Jean Pécastaing, François Peretti, Pierre-Christian Taittinger). Le 29 juin 1959, le Conseil approuve le projet de convention à passer entre la société d'aménagement de la Villette, constituée le 20 février 1959, et la Ville41Or, dans les années 60, alors que le coût augmente du fait de l'Etat, le Conseil municipal n'a pas été informé de l'évolution de la situation. Un débat est amorcé le 22 décembre 1966 entre Henri Billebaut et Michel de Grailly (qui a succédé à Marcel Ribéra à la présidence de la SEMVI) sur l'évolution du coût des opérations, mais seulement de façon incidente, à l'occasion du vote de la participation de la Ville aux frais de gestion du bâtiment neuf de stabulation de l'abattoir de la Villette pour 1966 et 196742.
24Ce n'est que le 12 décembre 1969 que le Conseil aborde la question sur le fond, à l'occasion d'une question orale posée par Claude Bourdet et David Weill sur les répercussions financières, pour la Ville, de l'augmentation du coût de réalisation et du déficit d'exploitation du Marché d'Intérêt National de la Villette43. Le débat commence sur une communication de Michel de Grailly sur la question, qui reconnaît la hausse considérable du coût qui aboutit au chiffre de un milliard de francs en 196944. Ce surcoût est dû au développement de l'abattage dans les lieux de production et au glissement d'une opération conçue au départ comme reconstruction des abattoirs et devenue opération de prestige dans le cadre de la constitution d'un marché d'intérêt national. Il est l'occasion pour les conseillers municipaux de mettre en cause l'Etat qui ne les a jamais informés. Philippe Tollu estime ainsi qu'on a trompé les élus de la capitale. Les élus de gauche reprochent violemment au préfet d'avoir caché la situation. Le débat est l'occasion d'une altercation entre Claude Bourdet et le préfet :
25“— Claude Bourdet : Les élus préfèrent leur propre compétence à celle du gouvernement. Ils pensent que si le Gouvernement fait un travail, il n'est pas nécessairement aussi utile et efficace, même s'il est techniquement efficace, que le travail fait par les élus eux-mêmes.
26— M. le Préfet de Paris : Mais, Monsieur Bourdet, avec ce raisonnement, je vous abandonne mon travail ! Il sera mieux fait, à ce moment-là !
27— Claude Bourdet : Le travail du Préfet de Paris ne sera pas mieux fait techniquement par un maire de Paris, mais, tout en étant peut-être moins bien fait, il donnerait probablement davantage satisfaction aux Parisiens ! C'est là une question de principe.”45
28Le 15 décembre 1969, par appel nominal à la tribune, le Conseil rejette le projet déposé par les groupes de gauche tendant à la constitution d'une commission spéciale sur la question, mais une mission d'information est donnée à la Commission du budget. Bernard Rocher présente le rapport au nom de la Commission d'information le 19 mars 1970 et un débat s'ouvre à cette occasion46. Le rapporteur souligne que la plupart des décisions prises incombent à l'Etat responsable du fait que l'on “a construit le château de Chambord” au lieu “d'un pavillon de banlieue” envisagé au départ. A l'issue de ce débat, la Ville décide le transfert des terrains à l'Etat qui, en contrepartie, prend en charge les garanties jusqu'alors données par la Ville. Les élus de gauche — qui estiment, comme Michel Salles, que “le gouvernement s'étant emparé de l'affaire en 1958 supporte la plus large part des responsabilités”47 — votent contre ce qu'ils considèrent comme une spoliation de la Ville. Philippe Tollu — qui estime que le statut de Paris est en cause dans l'affaire, le contribuable parisien étant appelé à assumer les conséquences financières de décisions qui lui échappent — s'abstient48. Lorsque, le 9 juillet 1970, les groupes de gauche posent une question sur l'avenir du complexe de la Villette, l'orateur communiste, Maurice Berlemont, lie également l'affaire avec le statut de Paris. Il estime en effet “qu'il n'est pas douteux que dans un Conseil municipal de plein exercice, ayant à sa tête un Maire, la question du complexe de la Villette aurait été suivie dans son évolution. L'ensemble des conseillers aurait pu donner son opinion et établir que ce complexe gigantesque allait bien au-delà des besoins des Parisiens”49. Le 18 juin 1971, lors d'un nouveau débat sur la question, consécutif au rapport de la commission d'enquête du Sénat50, Jean Legaret estime à son tour que ce scandale est révélateur du problème des libertés municipales de Paris et Pierre Lépine affirme qu'un maire de Paris aurait pu arrêter plus rapidement l'opération.
Les problèmes domaniaux
29De nouveaux problèmes de terrains apparaissent.
30Les dispositions de l'article 43 de la loi de finances du 23 décembre 1964 rendent caduque la stipulation insérée à l'article 2 du procès verbal du 26 août 1954 de remise à l'Etat des prisons de la Petite Roquette, de la Santé et de Fresnes qui prévoient un retour au département en cas de désaffectation. Selon les dispositions de 1964, les terrains reviendraient à l'Etat. Cette nouvelle clause provoque la colère des conseillers de gauche51. La Ville doit en effet payer pour récupérer les terrains de la Roquette. Le rachat est financé au budget d'investissement de 1973.
31En outre, pendant l'été 1968, le gouvernement décide, sans consultation du Conseil de Paris, d'élever des constructions universitaires dans le bois de Vincennes, sur un terrain anciennement utilisé par l'armée et que la Ville venait de récupérer à grand peine, contre le versement de six millions, pour faire une allée triomphale. Cette décision, prise par Edgar Faure, ministre de l'Education nationale, suscite le mécontentement des élus de la majorité. Lors de la discussion de l'affaire, le 25 octobre 196852, Auguste Marbœuf dépose un projet de délibération ainsi libellé : “Le Conseil de Paris s'oppose à toute implantation définitive de bâtiments universitaires dans le bois de Vincennes. Il refuse toute nouvelle utilisation provisoire de terrains dépendants du bois de Vincennes pour des implantations de bâtiments de l'enseignement supérieur. Il élève la plus véhémente protestation contre le procédé employé par le ministère de l'Education Nationale, mettant la Ville de Paris devant le fait accompli. Il rappelle qu'à de nombreuses reprises il a apporté sa collaboration à la recherche de solutions raisonnées aux problèmes qui lui étaient soumis par l'Etat. Il demande instamment au préfet de Paris d'informer le ministre de l'Education nationale de l'indignation de l'Assemblée parisienne ulcérée devant le mépris manifesté envers la Ville de Paris, mise ainsi devant une position désagréable pour elle”. Lucien Joffre dépose un projet de résolution invitant le préfet de la Seine à engager toute procédure administrative afin de restituer le terrain dans son état primitif. Le conseiller socialiste Pierre Astier souligne que l'Etat ne pourrait se comporter ainsi si la Ville de Paris était une collectivité à part entière. Finalement, devant la promesse faite par le préfet que l'affaire de l'entrepôt Saint-Bernard pourrait être réglée à l'occasion, le Conseil, sur proposition de Christian de La Malène, décide d'ajourner toute décision. Le 27 mars 1969, le Conseil décide d'habiliter le préfet à passer avec l'Etat une convention pour l'implantation provisoire d'installations universitaires dans le bois de Vincennes53. La Ville a en effet obtenu en échange la rétrocession par l'Etat d'un autre terrain du bois de Vincennes, le terrain de la Dame-Blanche, et une indemnisation de cinquante millions pour l'entrepôt Saint-Bernard. La convention à passer avec l'Etat est approuvée le 22 décembre 1971 : la concession est limitée à dix ans, sans tacite reconduction54. Dans son livre de mémoires, Paris en procès, le préfet de l'époque, Maurice Doublet, rappelle cet épisode avec humour : “Si en France tout finit par des chansons, entre Paris et l'Etat tout finit par des compromis. En séance, la conduite de l'Etat, et en particulier celle du ministre de l'Education, fut stigmatisée, mais les négociations menées en sous-main et dans lesquelles le problème de Vincennes et celui de la Halle aux vins furent liés permirent à la Ville d'obtenir l'indemnisation qu'elle n'espérait plus du terrain de la Halle aux vins, et la garantie que l'occupation du terrain de Vincennes ne serait que provisoire. L'essentiel était — et reste — qu'une assemblée ligotée puisse se donner les gants de l'indépendance et consentir avec grâce au viol qu'elle avait subi55. Mais cet épisode marque les conseillers. Pierre Bas, en septembre 1990, estime encore qu'elle a eu un rôle certain dans la volonté des conseillers de faire évoluer le statut de Paris56.
Les problèmes financiers
32Au début des années 60, le gouvernement s'oppose au relèvement du prix de l'eau à Paris, malgré les efforts d'Alain Griotteray, alors que le prix de l'eau est plus bas à Paris qu'en banlieue. Alain Griotteray défend cette augmentation afin d'équilibrer les dépenses du service. Le prix de l'eau est maintenu artificiellement bas à Paris par la volonté d'un service du contrôle des prix au Ministère des finances en vertu de considérations touchant à l'indice des prix. Ce n'est qu'en 1965 que le gouvernement accepte ce relèvement réclamé par le rapporteur général du budget.
33Pendant toute la période, on assiste également à un épisode de ce qu'Antoine Veil appelle la “querelle sans fin entre Parisiens et provinciaux sur le bien-fondé des concours particuliers de l'Etat que vaut à la capitale son rôle national”57.
34La participation de la Ville au déficit des transports de la région parisienne (RATP et SNCF-banlieue) est l'objet de contestation de la part des conseillers. La charge pour le budget de la Ville provoque des réactions hostiles du Conseil à chaque discussion budgétaire, de la part des conseillers de l'opposition, puis de la part même des conseillers de la majorité, et singulièrement du rapporteur général du budget. Cet accroissement de la charge a lieu en effet à une époque où les facultés contributives de Paris diminuent, du fait de la désindustrialisation. Les plaintes sont renouvelées pratiquement chaque année. A la fin des années 60 et au début des années 70, le Conseil diminue lors du vote du budget la somme demandée par le préfet au titre de la contribution de la Ville au déficit des transports. Le rapporteur général du budget juge en effet la Ville de Paris pénalisée par rapport aux autres collectivités de la région parisienne. La charge par habitant dans le budget des grandes collectivités de la région parisienne est en effet la suivante en 197158 :
35Un autre débat surgit à propos du financement par l'Etat des dépenses d'aide sociale obligatoire. Ces dépenses sont réparties en trois groupes. Le groupe I comprend les dépenses d'hygiène, de protection sanitaire et d'aide sociale à l'enfance. Le groupe II comprend les dépenses d'aide médicale aux tuberculeux et aux malades mentaux, les dépenses relatives aux centres d'hébergement, les frais d'administration et de contrôle. Le groupe III comprend les autres formes d'aide sociale, notamment les dépenses d'aide médicale, d'aide à la famille, d'aide aux personnes âgées, aux infirmes et aux aveugles. Les taux de contingent varient selon les ressources de chaque département et sont fixés par un décret du 21 mai 1955 d'après lequel le taux applicable aux dépenses du groupe I est compris entre 68 et 97 %, du groupe II entre 36 et 94 %, du groupe III entre 10 % et 88 %. Les taux les plus faibles, soit 68 %, 36 % et 10 %, s'appliquent au seul département de la Seine. Après la réforme régionale, la répartition est modifiée par le décret du 15 décembre 1967 au détriment de la Ville-Département de Paris : dans le groupe I, la part de l'Etat passe de 68 % à 55 % ; dans le groupe II, de 36 % à 10 %. Dans le groupe III, la part reste fixée à 10 %. La participation de l'Etat est plus faible pour Paris que pour les autres départements français : à titre de comparaison, dans le département limitrophe des Hauts-de-Seine, la participation de l'Etat est respectivement de 79,6 %, 59,2 % et 18,4 %. En décembre 1967, le Conseil émet un voeu tendant à la révision générale du barème de répartition des dépenses d'aide sociale entre l'Etat et les collectivités locales. La révision est demandée constamment pendant les années 70. Ainsi, Jean Chérioux et François Collet déposent, le 22 juin 1973, un projet de résolution invitant le préfet de la Seine à demander aux pouvoirs publics l'augmentation des contingents accordés par l'Etat à la Ville de Paris en matière d'aide sociale59. Une proposition de loi allant dans le même sens est déposée par les députés communistes de Paris, dont le conseiller Louis Baillot le 28 novembre 197360. Ils demandent que la participation de l'Etat soit fixée respectivement à 79,6 %, 59,2 % et 27,2 %.
36C'est le même ordre de débat qui surgit à propos des dépenses de police imputées à la Ville, jugées excessives. Ainsi, la participation de la Ville au budget de la préfecture de police passe de 203 millions en 1967 à 398 millions en 1969. Ce doublement est critiqué non seulement par les conseillers de gauche, traditionnellement hostiles aux dépenses de police, mais aussi par le rapporteur général du budget, d'autant plus que le Parisien paye 150 F pour cette police étatisée, régionalisée, et l'habitant de banlieue ou de la région parisienne 1,65 F61. En décembre 1976, malgré des réformes apportées, la participation de la Ville au budget de la préfecture de police est à nouveau l'objet de critiques. Le rapporteur de la deuxième commission, Edouard Frédéric-Dupont, note qu'en 1975 les charges pour la contribution aux dépenses de la préfecture de police étaient de 3,30 F par habitant pour les communes autres que Paris et de 88 F à Paris62. Un abattement de 16 millions est finalement voté sur le chiffre proposé par le préfet.
La politique d'enseignement
37Des oppositions surgissent également entre la Ville et et l'Etat au sujet de la politique d'enseignement. Les conseillers municipaux, de tous bords, mettent en cause, surtout dans les années 60, les carences de l'Etat dans le domaine de l'éducation. Ils critiquent la tutelle technique pesante du ministère de l'Education, l'absence de continuité de pensée des services pour l'affectation des terrains réservés à l'éducation. Alain Griotteray, le 20 décembre 1962, peut dénoncer “la politique malthusienne et antiparisienne de l'Education nationale”63. Le 11 juillet 1963, sur proposition communiste, le Conseil demande que l'Etat apure le retard qu'il a pris depuis deux ans pour les subventions des constructions scolaires de la Ville de Paris64. En effet, les travaux votés par le Conseil ne peuvent pas être entrepris si l'Etat ne verse pas sa participation. Or, sur les crédits scolaires prévus pour 1962, la participation de l'Etat n'est que de 2,5 millions, alors que 23 millions sont inscrits au budget65. En 1963, une seule opération est subventionnée. En 1964, trois opérations le sont. En 1965, alors que la Ville espère une subvention pour 122 classes, 50 seulement sont subventionnées66. Ce chiffre de 50 est maintenu pendant plusieurs années67.
38En outre, alors que, pour faire face aux difficultés de recrutement, la Ville verse des indemnités au personnel enseignant du primaire, les augmentations d'indemnité municipale votées par le Conseil sont souvent amenuisées par l'Etat. Ainsi, le 19 décembre 1960, le Conseil municipal accepte le doublement de l'indemnité municipale versée aux directeurs d'écoles et aux professeurs de cours complémentaire pour 1961 et son triplement pour 1962 ; seul le doublement est accepté par l'Etat.
39Des oppositions surgissent lors de la création des CES. Lors de la séance des 9-10 juillet 1964, le Conseil municipal, par 54 voix (communistes, socialistes, Centre Républicain, MRP et certains indépendants) contre 23 passe à l'ordre du jour sur un mémoire du préfet tendant à l'approbation de principe d'un programme de création et de nationalisation des CES68. Le 29 octobre 1964, à la tribune de l'Assemblée Nationale, André Fanton attaque le Conseil municipal et parle d'une “assemblée qui se dit municipale mais n'est que politique”69. Le Conseil municipal accepte finalement la création de CES le 1er juillet 1965.
40Enfin, une longue querelle a lieu entre l'Etat et la Ville au sujet des enseignements spéciaux dans les écoles (éducation musicale, dessin, éducation physique...). La loi du 10 juillet 1964 prévoit que les professeurs d'enseignements spéciaux deviendront au 1er janvier 1968 des fonctionnaires de l'Etat, les dépenses devant être partagées entre l'Etat, la Ville de Paris et les nouveaux départements. Devant la position de l'Etat qui risque de conduire à la disparition de ce type d'enseignement dans les écoles, le Conseil crée un nouveau corps le 22 décembre 197270. La Ville prend en charge l'institution, dans les écoles primaires, d'un corps spécial de maîtres d'enseignement pour trois disciplines : l'éducation physique, le dessin et l'éducation municipale.
La politique d'aide aux personnes âgées
41Des tensions ont lieu à propos de la politique sociale menée par le Conseil de Paris, destinée essentiellement aux personnes âgées.
42Dès la période de la IVe République, le Conseil municipal avait pris l'initiative de lancer une politique d'aide aux personnes âgées nécessiteuses71. Cette aide comprenait alors des secours en argent : secours périodiques, secours pour achat de pain, secours de charbon, secours de loyers, secours pour alléger le prix du gaz, secours de combustible ménager attribué aux personnes ne disposant ni du gaz, ni de l'électricité, secours de pot-au-feu, à l'occasion des fêtes de Noël72, secours versé à l'occasion de la Fête nationale, délivrance de tickets de métropolitain gratuits, auxquels s'ajoutent des secours en nature. En 1962, le secours d'hiver remplace les secours de pain, de gaz et de charbon.
43Sous la Ve République, la principale réalisation est l'aide facultative, secours de subsistance accordé périodiquement aux personnes dont la situation le justifie. Ce secours, égal à la différence entre le plafond et les ressources mêmes du demandeur, après déduction du loyer, permet aux personnes âgées d'avoir des ressources mensuelles qui ne soient pas inférieures à un plafond, uniforme pour Paris, périodiquement relevé.
44De plus, le 6 avril 1973, le Conseil décide, sur proposition de l'ensemble des groupes de la majorité, d'accorder la gratuité sur les transports en commun aux personnes domiciliées à Paris, âgées de plus de 65 ans et non assujetties à l'impôt sur le revenu. La Ville prendrait en charge les pertes de recettes en résultant pour la RATP73. Une délibération du 29 juin 1973 permet le commencement d'application de cette mesure74. Elle accorde, à compter du 1er octobre 1973, la gratuité des transports sur l'ensemble du réseau de la RATP aux personnes âgées d'au moins 65 ans et habituellement secourues par le Bureau d'Aide Sociale et, à partir du 1er janvier 1974, aux personnes âgées titulaires de l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité. L'octroi de cette gratuité, connue sous le nom de “Carte émeraude”, est étendu ensuite à un certain nombre d'autres catégories de bénéficiaires, personnes âgées ou infirmes, veuves de la guerre 1914-191875...
45En 1975, le Conseil décide de faire encore plus pour les personnes âgées76. Dans un premier temps, le 20 juin 1975, le Conseil, sur proposition des trois groupes de la majorité, décide de garantir, à compter du 1er octobre 1975, à tous les habitants de Paris y résidant de façon habituelle depuis trois ans au moins et âgés de plus de 65 ans, un minimum de ressources mensuelles égal au SMIC en vigueur au 1er mars 1975, soit 1203 F. Ce minimum de ressources mensuelles serait porté pour l'année 1976 au niveau du SMIC tel qu'il serait fixé au 1er janvier 1976. Il serait assuré par le versement mensuel de l'allocation “Ville de Paris”. Tous les petits avantages toujours versés aux personnes âgées, comme les bons de gaz ou le secours d'hiver, sont supprimés, mais la gratuité des transports est maintenue. Il n'est plus tenu compte du loyer. Cette décision suscite, selon Hervé Liffran, la colère du Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac, inquiet de voir une municipalité empiéter sur les prérogatives gouvernementales77. Dès le 27 juin, une nouvelle rédaction du texte est adoptée, supprimant la référence au SMIC78. Mais le ministère de tutelle demande un nouvel examen de la délibération, qui a lieu le 15 septembre 1975, lors d'une session extraordinaire79. Selon le préfet, qui suit l'avis du Conseil d'Etat, l'institution d'un minimum de ressources garanti aurait conduit à intégrer l'allocation de la Ville dans les ressources prises en considération pour la détermination de leur droit à l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité. Andrée Lefrère, au nom du groupe communiste, met en cause une lettre du ministre de l'Intérieur, Michel Poniatowski, faisant connaître l'opposition du gouvernement à la décision du 27 juin. Une nouvelle rédaction du texte est adoptée : “Le plafond des ressources pris en considération pour l'attribution de l'allocation différentielle accordée par la Ville de Paris aux personnes âgées de plus de 65 ans, ayant leur domicile effectif sur son territoire depuis au moins trois ans, est porté à 950 F, à compter du 1er octobre 1975. Les ressources des bénéficiaires s'entendent après inclusion du montant de l'allocation logement perçue par eux et après déduction de leurs charges de loyer dans la limite de 250 F. Ces ressources doivent notamment comprendre tous les avantages résultant d'obligations légales ou contractuelles auxquelles ils peuvent prétendre”. Les personnes âgées dont la situation ne répond pas à ces conditions peuvent bénéficier de l'allocation antérieurement en vigueur, avec le plafond de 745 F. Il n'est plus question de minimum garanti.
46Le maintien de ces difficultés conduit les conseillers à revendiquer une réforme du statut de Paris qui aille au-delà des avancées de 1961 et de 1970. L'idée est qu'un maire de Paris, titulaire du pouvoir exécutif, aurait davantage de force que le Conseil municipal dans les négociations avec l'Etat et que l'Etat oserait moins imposer ses propres solutions aux problèmes de Paris sans consulter les édiles parisiens s'il y avait un maire puissant.
III — La demande d'un régime municipal plus libéral80
47La campagne des élus parisiens pour la réforme du statut se poursuit sous la Ve République. Le statut d'exception se voit attribuer la responsabilité de toutes les tares de l'administration parisienne et du mauvais fonctionnement du Conseil, d'autant plus que les thèmes de la participation des citoyens à l'administration, de la décentralisation et de la déconcentration surgissent après 1968. Les élus du PSU, David Weill et Claude Bourdet, font en particulier campagne pour un fonctionnement plus démocratique de la gestion municipale ; ils demandent notamment la consultation des associations avant les prises de décision et une réforme du statut81. Même Christian de La Malène estime une réforme nécessaire82. Son argumentaire repose sur différentes considérations :
- Les conseillers, face à une mesure discutée, ont tendance à se démarquer de l'administration. Les choses se passent comme sous la IVe République où la majorité de l'Assemblée Nationale ne se sentait ni n'affirmait aucune responsabilité avec l'action gouvernementale, rendant impossible tout jugement démocratique par les électeurs.
- L'imprécision des responsabilités conduit parfois à la paralysie, ce qui est sensible lors du débat sur le stationnement payant : l'Hôtel de Ville ne précède pas l'opinion mais la suit.
- Face à ce statut et à la multiplicité des pouvoirs de décision, les bureaux administratifs finissent par trouver en eux-mêmes la source de leur autorité.
- L'opinion crédite le gouvernement des réalisations et des dépenses (c'est souvent un ministre qui inaugure les nouvelles constructions) et les conseillers des impôts.
- Le préfet de Paris est en position ambiguë : agent de l'Etat, il reçoit des instructions du gouvernement qu'il peut tenter d'infléchir, mais qu'il doit exécuter si elles demeurent ; maire de Paris, il est chargé d'exécuter les délibérations des conseillers. S'il y a contradiction entre les deux, il doit normalement suivre chaque pouvoir dans son domaine. Mais s'il arrive que ces domaines se chevauchent, ce qui est souvent le cas en matière d'urbanisme, le préfet est dans une situation délicate. Maire de la ville, il peut même lui arriver d'intenter une action en justice contre une décision qu'il a prise en tant qu'agent de l'Etat.
- Enfin, en une période de personnification de la politique, il manque une voix politique qui puisse s'exprimer au nom de Paris.
48Dans les années 60, de nouvelles propositions de loi sont déposées. On peut citer la proposition de loi de Bernard Lafay “tendant à rétablir à Paris les libertés municipales garanties par la loi à toutes les communes de France par l'application des dispositions de la loi du 5 avril 1884 et du Code de l'administration communale”, déposée au Sénat le 19 mai 196483 et celle des élus communistes déposée devant les deux Assemblées en avril 196984. La proposition communiste prévoit un Conseil de Paris de 150 conseillers, exerçant les pouvoirs dévolus aux autres conseils municipaux par la loi sur l'organisation municipale et désignant en son sein, pour une durée de six ans, un maire et ses dix adjoints. Dans chaque arrondissement, un conseiller délégué, désigné en son sein par le Conseil de Paris, serait chargé de l'exécution des délégations qu'il recevrait de celui-ci, ainsi que de toutes les attributions que les lois, règlements et instructions confèrent aux maires en matière d'état civil et en matière militaire. Dans chaque arrondissement, le Conseil d'arrondissement comprendrait le conseiller délégué et les conseillers de Paris élus dans l'arrondissement qui seraient chargés de l'assister. Il suivrait l'application, dans le cadre de l'arrondissement, des décisions prises par le Conseil de Paris.
49Le 17 janvier 1969, dans Le Courrier de Paris 16e, Georges Mesmin affirme que Paris doit avoir un maire. En 1970, à l'approche des municipales, le problème donne lieu à des débats au sein du Conseil. Le 19 mars 1970, Philippe Tollu, Etienne de Véricourt et Joseph Ayrignac posent au préfet une question orale “sur certaines propositions relatives à une réforme du statut de la Ville de Paris tendant à rapprocher le statut de la capitale de celui des autres villes de France”85. Leur objectif reste la mise en application des projets de réforme élaborés sous la IVe République. A l'ouverture de la deuxième session ordinaire de 1970, le 24 juin, le responsable des Républicains Indépendants Jacques Dominati propose que le Conseil municipal ne poursuive pas ses travaux tant que le préfet de Paris n'aura pas inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée la réforme du statut de la capitale, telle que l'aura proposée le gouvernement. Les autres groupes ne le rejoignent pas et le Conseil travaille normalement. Un nouveau débat a lieu au Conseil de Paris le 2 juillet 197086. Les élus radicaux et socialistes, les élus communistes et Claude Bourdet posent chacun une question “sur le préjudice causé à la population parisienne du fait du statut de Paris” et demandent que l'Assemblée se saisisse de la question. Leur objectif est l'application à Paris du droit commun et l'élection d'un maire. Leur texte est rejeté. Mais le Conseil adopte la proposition déposée par le groupe de l'Union pour le Renouveau de Paris, le groupe centriste et le groupe de l'Union du Centre demandant que l'Assemblée nationale soit saisie dans les plus brefs délais d'un texte révisant le statut administratif de la Ville-Département de Paris dans le sens de la décentralisation administrative et dans l'esprit de la proposition de loi déposée en 1958 à l'issue des travaux de la Commission de réforme du statut de Paris et que, dans une première étape, le Président du Conseil de Paris, dont le mandat sera fixé à trois ans, exerce les fonctions et prenne le titre de maire de Paris.
50Le même jour, à l'occasion d'une conférence de presse, Georges Pompidou tempère pourtant les ardeurs des réformateurs. A une question du journaliste Gérard Badel, du Parisien libéré, ainsi formulée “les élus parisiens de la majorité demandent plus de liberté. Pensez-vous que les Parisiens puissent avoir un maire, un bon maire, en tous cas un vrai maire”, le président de la République répond : “Je crois souhaitable d'alléger et de simplifier les modalités de la tutelle qui pèse sur l'Administration parisienne. A Paris comme ailleurs, les élus municipaux, le Conseil de Paris doivent avoir plus de liberté et plus de possibilité d'action. Quant au problème du maire, c'est une autre affaire. Paris n'est pas seulement Paris : c'est aussi la capitale de la France et cela pose, pour le gouvernement et l'Etat, une question de toute première importance et qu'on ne peut pas résoudre, à mon sens, aussi simplement que pour toute autre ville de France”.
51Les revendications continuent. Le 14 octobre 1970, Jean de Préaumont s'indigne dans Paris-Jour que le régime de Paris soit encore déterminé par la loi provisoire de 1871. Le 20 novembre 1970, Christian de La Malène déclare au Monde qu'il n'est pas normal de ne pas modifier les décrets pris par Paul Reynaud en avril et juin 1939 qui avaient été mis en vigueur à Marseille en raison d'une gestion municipale déficiente et qui avaient été étendus à Paris par souci d'équilibre politique. En décembre 1970, le Comité fédéral de l'UNR, partisan d'une déconcentration des pouvoirs, se prononce pour la nomination d'un sous-préfet dans chaque arrondissement et pour la création d'un conseil d'arrondissement qui rassemblerait en particulier les élus municipaux. La formation gaulliste souhaite un président élu pour deux ans et rééligible et une commission permanente87. Les partis de gauche réaffirment alors leur souhait de voir Paris aligné sur le droit commun. En mars 1971, lors d'une réunion publique, Valéry Giscard d'Estaing annonce que, dès l'ouverture de la session d'avril, le gouvernement déposera un projet de loi donnant un nouveau statut à la Ville88, mais cette annonce n'a pas de suite. Un nouveau débat a lieu au Conseil de Paris le 21 juin 197189, à l'occasion de deux questions orales au préfet de Paris, l'une du groupe communiste “sur le statut de Paris et la nécessité de prendre un certain nombre de mesures immédiates tendant à la démocratisation de la vie communale de Paris”, l'autre du groupe centriste “sur les mesures qu'il compte prendre en vue de la concertation entre élus, administration et habitants pour la solution des problèmes de la vie locale”. Jacques Dominati insiste sur l'importance de la réforme pour les Républicains Indépendants. Le 6 décembre 1971, lors de la discussion d'une question orale “sur le fonctionnement du Conseil de Paris dans le cadre de son statut”90, Pierre Lépine s'adresse en ces termes au préfet : “Vous êtes le gouverneur d'une colonie dont nous sommes les élus indigènes... Les indigènes demandent seulement qu'on applique à Paris les libertés qui étaient prévues par le général de Gaulle dans le discours de Brazzaville, c'est-à-dire une participation effective à la gestion des affaires”. La protestation des élus centristes est motivée par une réunion sur les problèmes parisiens, le 11 octobre 1971, à laquelle participaient seulement le ministre de l'équipement, Albin Chalandon, et les présidents de commission gaullistes, à l'exclusion des représentants d'autres groupes. Pierre Lépine dépose, en conclusion de son intervention, un projet de délibération demandant la création d'une commission de réforme du statut de Paris comprenant les représentants des divers groupes du Conseil de Paris et chargée de rédiger un nouveau statut qui ferait l'objet d'une proposition de loi soumise au Parlement. L'abstention du groupe centriste sur le budget de fonctionnement 1972 et sur celui de 1973 a essentiellement une signification politique : protester contre la tutelle maintenue. En 1972, le thème est à nouveau abordé au Conseil. Le 4 décembre 1972, l'ensemble des groupes de gauche pose une question au préfet “sur la nécessité d'accorder à la Ville un statut démocratique qui assurera à la capitale les mêmes droits qu'aux autres communes”. C'est que, en dépit des promesses répétées du préfet, le gouvernement semble tarder à déposer son projet. Des études ont simplement lieu au ministère de l'Intérieur, portant sur le Bureau et la présidence du Conseil, l'effectif de l'Assemblée, le rôle respectif du Conseil et des deux préfets, la création d'une commission susceptible de jouer un rôle assez comparable à celui de la Commission départementale au sein du Conseil général d'un département de droit commun, la redéfinition des pouvoirs des maires d'arrondissement …91
52Dans ces conditions, et non sans arrière-pensées politiques, les différents partis déposent des propositions de loi dont l'élaboration est souvent nettement antérieure à leur dépôt. Ces propositions sont parfois l'œuvre de conseillers de Paris également parlementaires ; sinon, elle sont élaborées en liaison avec des conseillers de Paris. Par ordre de dépôt, il s'agit
- de la proposition de loi déposée par André Fanton (Assemblée Nationale, n° 70, 2 avril 1973),
- de la proposition de loi déposée par Bernard Lafay (Assemblée Nationale, n° 72, 2 avril 1973),
- de la proposition de loi déposée par Henri Fiszbin et les membres du groupe communiste (Assemblée Nationale, n° 471, 5 juin 1973), reprise au Sénat par Catherine Lagatu (Sénat, n° 296, 5 juin 1973)92,
- de la proposition de loi déposée par Dominique Pado (Sénat, n° 299, 7 juin 1973), reprise à l'Assemblée nationale par Georges Mesmin (Assemblée nationale, n° 483, 8 juin 1973),
- de la proposition de loi déposée par Christian de La Malène (Assemblée Nationale, n° 568, 28 juin 1973),
- de la proposition de loi déposée par Jean Legaret et les membres du groupe des républicains indépendants (Sénat, n° 320, 21 juin 1973),
- de la proposition de loi déposée par Gabriel Peronnet (Assemblée nationale, n° 1005, 4 avril 1974),
- de la proposition de loi déposée par Gaston Defferre et les membres du parti socialiste et des radicaux de gauche (Assemblée Nationale, n° 1155, 10 juillet 1974).
53Plusieurs types de solution sont présentés. Deux clivages principaux peuvent être mis en valeur : certaines propositions affirment la nécessité d'aligner Paris sur le droit commun (à l'exception, le plus souvent, des pouvoirs maintenus du préfet de police), tandis que d'autres trouvent cette réforme impossible ; certaines propositions visent à créer des municipalités d'arrondissement, tandis que d'autres, affirmant la nécessité de maintenir l'unité de Paris, se prononcent pour une simple déconcentration.
54La proposition de Jean Legaret est peu audacieuse. Elle est assez différente de la proposition élaborée dans les années 50 et reprise au Sénat en 197093, mais elle n'admet ni le droit commun94, ni les municipalités d'arrondissement.
55Cette proposition prévoit un Conseil de Paris de 140 membres, élus selon le scrutin majoritaire à deux tours à raison de dix conseillers par secteur municipal, indépendamment de tout critère démographique. Chaque année, le conseil désignerait un maire95, quatre adjoints, quatre secrétaires et un syndic. Il serait institué une délégation permanente, ayant pouvoir de délibérer entre les sessions à la demande du maire, composée du maire, des adjoints, des présidents de commissions permanentes, des présidents de groupes d'au moins cinq membres, des rapporteurs généraux du budget, du compte et du personnel. Dans chacun des arrondissements, il serait institué un conseil d'arrondissement, composé d'une part des conseillers de Paris élus dans le secteur municipal, du ou des députés de l'arrondissement et du ou des sénateurs qui l'ont choisi, d'autre part (et en nombre égal) de membres désignés par décret sur une liste établie par une commission présidée par le vice-président de la cour d'Appel. Le Conseil d'arrondissement désignerait un président et quatre vice-présidents chargés d'assumer les fonctions d'Etat civil.
56Cette proposition est en fait relativement ambiguë. En effet, la nature de la collectivité parisienne — dont la définition qu'en donne la loi de 1964 est critiquée dans l'exposé des motifs — est reprise dans les articles 1 et 2. Il est dit des préfets qu'ils exercent les pouvoirs de tutelle dans les conditions du droit commun (article 3), alors que leur rôle est en fait pratiquement inchangé. Il est dit du Conseil de Paris qu'il délibère sur toutes les questions qui lui sont attribuées par les lois et règlements en vigueur lors de la promulgation de la loi (art. 11), mais les préfets continuent d'être chargés de l'instruction préalable des affaires soumises au Conseil et assurent l'exécution des délibérations de celui-ci (art. 2). L'exécutif municipal reçoit le nom de maire, sans que le droit commun régisse ni ses attributions, ni la durée de son mandat, puisqu'il continue d'être élu pour un an (art. 17). Les arrondissements se voient doter d'un conseil d'arrondissement, à la composition complexe, pour exercer les seules tâches confiées aux maires d'arrondissement (art. 25 à 27).
57La décentralisation dans le cadre du régime existant, sans application du droit commun, est prônée dans la proposition Fanton et dans la proposition Lafay.
58La proposition Fanton96 est fondée sur deux ordres de considération : la première est que l'application du seul droit commun risquerait de ne pas avoir que des avantages pour la Ville de Paris ; la seconde est que son régime administratif devrait, pour être efficace, distinguer nettement entre les tâches de gestion d'une part et les tâches de conception et de coordination d'autre part.
59La Ville de Paris resterait une collectivité territoriale à statut particulier, ayant des compétences de nature départementale et communale. Son territoire serait divisé en quatorze communes, correspondant aux quatorze secteurs électoraux de 1965 et de 1971. Ces communes seraient des collectivités territoriales administrées par un Conseil municipal de 21 à 27 membres, élus dans les conditions de droit commun, qui désigneraient un maire et des adjoints. Elles fonctionneraient pour l'essentiel dans les conditions du droit commun (avec budget spécifique et vote de l'impôt). Elles seraient chargées de la gestion des locaux scolaires, des crèches, des maisons de jeunes, des maisons de retraite, de l'utilisation des équipements sportifs, des espaces verts locaux.
60Le Conseil de Paris serait composé des maires et adjoints des différentes communes, soit 90 membres. Tous les membres du Conseil de Paris auraient donc des responsabilités quotidiennes, puisqu'ils dirigeraient une municipalité d'arrondissement. Ainsi, André Fanton souhaite que le nouveau système contribue à la disparition des attitudes négatives, contradictoires, voire démagogiques des conseillers de l'opposition qui seraient désormais confrontés à des tâches de gestion. Le Conseil s'occuperait en particulier des grands travaux. Il devrait consulter les organismes compétents de la commune pour certaines affaires communales (par exemple création du bureau d'aide social, dénomination des voies...). Il serait régi par le droit alors en vigueur, sous réserve de la limitation des compétences dans lesquelles les communes lui sont substituées. Les rôles respectifs des préfets ne seraient pas, pour l'essentiel, modifiés. Le budget de la Ville comporterait une dotation qui constituerait un Fonds commun municipal dont les ressources seraient réparties entre les communes en fonction de leur population. Les communes pourraient également émettre des emprunts, avec accord du Conseil de Paris.
61La proposition de Bernard Lafay est assez proche, avec quelques différences. Chaque arrondissement serait érigé en commune, dont le conseil aurait de 15 à 31 membres qui éliraient un maire et des adjoints et disposerait d'un budget, alimenté en partie par le Fonds commun municipal. Bernard Lafay, qui défend l'idée d'un caractère propre de chaque arrondissement parisien, ne retient pas la proposition d'André Fanton de regrouper plusieurs arrondissements en une seule commune. Le Conseil de Paris serait constitué des conseillers d'arrondissement élus en tête de liste, leur nombre au sein du Conseil étant proportionnel à la population de l'arrondissement. Il comprendrait 105 membres. Le président du Conseil serait élu pour trois ans. Une délégation permanente du Conseil serait composée de 15 conseillers et seraient chargée, outre des attributions consultatives, de régler les affaires qui lui sont renvoyées par le Conseil de Paris. Ainsi, la Ville assumerait les tâches de conception et également les missions d'exécution et de gestion que leur ampleur ne permettrait pas de confier à la commune d'arrondissement : grands travaux, services techniques communs, entretien des grands espaces verts parisiens...
62Les conceptions de Bernard Lafay, exprimées dès 1971 (par exemple dans une lettre envoyée le 21 septembre au premier ministre Jacques Chaban-Delmas97), sont également motivées par des considérations politiques. Les Parisiens auraient le sentiment de récupérer les mêmes droits que le reste de la France. Cette euphorie civique inespérée bénéficierait selon lui obligatoirement aux initiateurs de la réforme. Elle serait immédiatement exploitable, l'opposition étant prise à contre-pied par une mesure inattendue et populaire. Après l'adoption de ces dispositions, qu'il demande au premier ministre, de nouvelles élections municipales pourraient être organisées, en mars ou en avril 1972. Dans la foulée d'une satisfaction générale orchestrée par une campagne bien organisée, il serait possible à la majorité gaulliste de reconquérir les arrondissements perdus en 1971 au bénéfice de la gauche ou des centristes d'opposition. De plus, le nouveau système permettrait aux députés de la majorité de consolider leur assise locale : ils pourraient s'appuyer sur des municipalités ouvertement favorables au renouvellement de leur mandat parlementaire. Les maires, les adjoints et les conseillers d'arrondissement constitueraient un appareil électoral dynamique. Cela établirait dans Paris un réseau de représentants politiques de la majorité dont les mailles seraient beaucoup plus serrées. La majorité disposerait de points d'appui locaux engagés, notoires et influents, capables d'agir utilement lors des élections législatives et présidentielles, des référendums, points d'appui qui font défaut dans les mairies où la neutralité des fonctionnaires désignés est la règle.
63Christian de La Malène, quoique appartenant à la même majorité politique qu'André Fanton et Bernard Lafay, est pour sa part hostile à l'éclatement de Paris en différentes communes. Il estime en effet que la Ville est une et homogène, le patriotisme d'arrondissement étant resté largement folklorique. En outre, les assemblées municipales d'arrondissement, qui n'auraient que des budgets de faible volume à voter, se transformeraient rapidement en lobby local. De plus, moins optimiste que Bernard Lafay sur les conséquences d'un nouveau vote, il craint les suites politiques de l'instauration de municipalités d'arrondissement : “La représentation politique de la capitale doit demeurer, sinon gouvernementale, tout du moins sûrement non communiste. Cette assurance ne peut être trouvée que par une représentation unitaire de la Ville. Tout morcellement susceptible, dans l'immédiat ou à terme, de mettre en cause cette représentation unitaire doit être écarté. Il ne faut pas perdre le bénéfice du fait que Paris, dans son ensemble, est politiquement anti Front populaire [...] A cet irréalisme qui ferait des conseils d'arrondissement des institutions vides de signification politique, il faut ajouter deux inconvénients politiques dirimants :
- La création de conseils d'arrondissement à majorité Front populaire dominée par les communistes mettrait immédiatement ou progressivement en cause le statut de la capitale. Il n'est pas utile, non plus, de créer des embryons de municipalités communistes, tels que Charonne, Belleville, Ménilmontant... La majorité modérée de la capitale ne doit pas être gaspillée.
- Le deuxième serait de transformer les arrondissements non communistes en autant de fiefs. La disparition des structures actuelles, maires et maires-adjoints, et leur remplacement par un conseil d'arrondissement dominé par un chef de file donnerait à celui-ci un rôle par trop prépondérant”98.
64Une déconcentration des services est donc utile ; une décentralisation locale serait néfaste, “utopique même”.
65Sa proposition, en fait plus radicale, consiste à appliquer pour l'essentiel le droit commun communal et départemental à la Ville de Paris, sans créer de municipalités d'arrondissements. Elle se fonde sur l'existence, sur le territoire de Paris, de deux collectivités territoriales superposées mais distinctes, commune et département, régies chacune pour l'essentiel par les règles du droit commun. En conséquence, aucun échelon de gestion autre que la Ville de Paris n'est prévu, l'arrondissement restant une sphère d'action administrative très limitée. En tant que commune, la Ville serait administrée par un Conseil de 120 membres élus pour six ans, selon le régime électoral en vigueur en 1971. Pour l'essentiel, le droit commun municipal serait applicable, sous réserve du maintien de certaines règles spécifiques en matière administrative et financière favorables à Paris (en particulier le budget d'investissement) et de l'exercice par le Préfet de Paris de certaines fonctions exécutives dans le cadre municipal. Le Conseil élirait pour six ans, au scrutin de liste bloquée, un maire et douze adjoints. En tant que département, la Ville serait administrée par un Conseil général qui aurait la même composition que le Conseil municipal, le maire étant par conséquent président du Conseil général. Pour l'essentiel, la loi de 1871 serait applicable, le Préfet de Paris étant l'organe exécutif du département de Paris, mais il n'est pas prévu de commission départementale. Dans chaque arrondissement, où existeraient des mairies-annexes, un délégué du maire de Paris, fonctionnaire nommé par décision conjointe du maire et du préfet de Paris, exercerait les fonctions administratives et serait responsable des services municipaux et départementaux déconcentrés. Il serait par exemple officier d'Etat civil par délégation du maire, président de la Caisse des écoles, de l'office municipal des sports, du Conservatoire de musique.
66Enfin, d'autres solutions comportent la mise en place d'une double décentralisation. Elles aboutissent à créer, sur un même territoire, deux autorités communales que la distinction de leurs compétences n'empêche pas d'être soumises aux mêmes règles. Les différences qui existent entre les divers systèmes qui se réclament d'une telle solution ne résident en définitive ni dans le contenu de leurs compétences respectives, assez semblables, ni dans le nombre de communes d'arrondissement, qui n'a pas d'incidence majeure. Elles sont dans la dépendance plus ou moins grande qui existe entre les collectivités les plus petites et celle qui, territorialement, les englobe.
67La proposition de Gabriel Peronnet assure une certaine compatibilité entre les deux ordres de collectivité et les décisions de leurs organes. Le Conseil de Paris serait en principe régi par le droit commun (loi de 1884), mais un certain nombre de compétences seraient exercées dans le cadre de communes d'arrondissement. Le Conseil de Paris serait composé de la totalité des conseillers composant les conseils municipaux des communes d'arrondissement. L'autorité de tutelle des communes d'arrondissement serait le préfet de Paris, tandis que l'autorité de tutelle de la Ville de Paris serait le préfet de région. La Ville de Paris serait administrée conjointement par le Conseil de Paris et les conseils municipaux d'arrondissement. Il existerait dix-sept communes d'arrondissement (les quatre premiers arrondissements sont regroupés), administrés chacun par un Conseil municipal de 6 à 16 membres, élus à la représentation proportionnelle, qui désignerait à sa tête un maire-adjoint. Chaque commune d'arrondissement disposerait d'un budget propre, alimenté par les centimes additionnels que voterait le Conseil municipal d'arrondissement et de ressources provenant d'un fonds commun parisien. Le Conseil de Paris serait constitué par la réunion des membres des conseils municipaux, soit 173 personnes. Il élirait en son sein un maire, six vice-présidents et dix-sept adjoints, un par commune d'arrondissement. Le maire et le Conseil exerceraient les compétences qui leur seraient imparties dans les conditions du droit commun. Toutefois, une partie importante des pouvoirs de police continuerait à être exercée par le préfet de police. Le maire, les six vice-présidents et les dix-sept adjoints constitueraient la délégation permanente de la municipalité de Paris qui règlerait, pendant l'intervalle des sessions, les affaires pour lesquelles elle aurait reçu délégation. Aucune disposition précise n'est prévue en ce qui concerne l'administration du département. Seul l'article 7 stipule que le Conseil de Paris exercerait les attributions consultatives dévolues aux conseils généraux.
68Dans les propositions centristes (de Dominique Pado et de Georges Mesmin), le lien organique qui existe entre les deux collectivités est moins important, puisque c'est une partie seulement des membres des conseils d'arrondissement qui constitueraint le Conseil de Paris. La Ville de Paris serait administrée par le Conseil de Paris, qui exercerait les pouvoirs dévolus aux conseils municipaux par le Code d'administration communale et ceux dévolus aux Conseils généraux par la loi de 1871. Le Conseil serait composé de 90 membres élus selon le mode de scrutin en vigueur en 1971, en même temps que les conseillers d'arrondissement. Il désignerait pour six ans un maire et quatorze adjoints qui, outre leurs attributions propres, constitueraient la délégation permanente de la municipalité de Paris, chargée de régler dans l'intervalle des sessions les affaires pour lesquelles délégation lui a été donnée. Le préfet de police serait maintenu. La Ville serait divisée en vingt arrondissements dotés de la personnalité morale, qui seraient administrés par un conseil d'arrondissement, composé de 15 à 31 membres élus selon le droit commun. Ce conseil, qui désignerait un maire et des adjoints, règlerait par ses délibérations les affaires de l'arrondissement. Mais le principe est posé d'une tutelle ou d'un contrôle hiérarchique exercés par le maire et le Conseil de Paris sur les maires et les conseils d'arrondissement. Les conseils d'arrondissement n'auraient que des compétences d'attribution (l'incompétence est la règle, la compétence l'exception). Les centristes critiquent en effet le risque de balkanisation de Paris découlant des propositions de Bernard Lafay et d'André Fanton. Chaque arrondissement disposerait d'un budget alimenté notamment par les centimes additionnels que voterait le Conseil d'arrondissement, dans la limite des maxima décidés par le Conseil de Paris, et des ressources communes provenant d'un fonds commun de la Ville. L'autonomie financière des arrondissements serait strictement limitée (les arrondissements ne peuvent pas emprunter). Rien n'est précisé sur les fonctions départementales.
69La solution qui va le plus loin est la solution communiste (propositions de loi de Henri Fiszbin et de Catherine Lagatu). Elle prévoit en effet la désignation séparée des membres du Conseil de Paris et des conseils d'arrondissement. La Ville de Paris serait administrée par le Conseil de Paris auquel s'appliquerait le droit commun des conseils municipaux et des conseils généraux. Composé de 150 membres élus à la représentation proportionnelle dans le cadre de l'arrondissement — chaque arrondissement élisant un nombre de conseillers proportionnel à sa population — le Conseil désignerait pour six ans un maire et vingt adjoints. Aucune disposition n'est prévue concernant les préfets. L'application du droit commun impliquerait, en absence de disposition contraire, la suppression du préfet de police. Le Conseil de Paris délibèrerait en particulier sur les schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme, les plans d'occupation des sols. Il devrait être consulté sur toute transformation du statut. La Ville serait divisée en vingt municipalités d'arrondissement, administrées par un conseil dont l'effectif serait régi par le droit commun et qui règlerait par ses délibérations les affaires de la compétence de l'arrondissement, énumérées par la proposition de loi (gestion des locaux scolaires, des crèches, des maisons de jeunes, des maisons de retraite, des équipements sportifs). Les conseils d'arrondissement qui éliraient un maire et des adjoints seraient composés des conseillers de Paris élus dans le cadre de l'arrondissement et de conseillers d'arrondissement élus à la représentation proportionnelle en même temps que les conseillers de Paris, mais à scrutins séparés. Chaque municipalité d'arrondissement disposerait d'un budget alimenté notamment par les impôts qu'elle voterait, par des ressources communes provenant notamment d'un fonds commun des arrondissements de Paris et par des emprunts garantis par la Ville. Là aussi, aucune disposition n'est prévue pour préciser les conditions dans lesquelles est administrée la Ville en tant que département.
70La proposition socialiste, qui concerne également la région, se situe dans la même perspective. Elle prévoit un Conseil de Paris élu au suffrage universel et au scrutin demi-proportionnel, qui exercerait les attributions dévolues aux conseils généraux par la loi de 1871. Il serait mis en place dans chaque arrondissement de Paris un Conseil d'arrondissement, élu au suffrage universel et au scrutin proportionnel, qui assurerait en particulier la gestion et le contrôle de l'arrondissement en matière d'équipements sociaux, de projets d'urbanisme et de rénovation. Les ressources de ces conseils d'arrondissement seraient déterminées par le Conseil de Paris. Les maires exerceraient l'ensemble des pouvoirs conférés aux autorités municipales en matière de police. Toutefois, dans le cadre de la région, le préfet de police pourrait se voir conférer une partie des pouvoirs de police habituellement conférés aux préfets.
71Ces dispositions socialistes et communistes sont reprises dans le programme commun de gouvernement qui prévoit : “Paris sera doté notamment d'un maire élu par son Conseil et disposant de tous les pouvoirs normaux de l'exécutif communal. Des conseils d'arrondissement élus seront chargés de la gestion des équipements et des services destinés à la population de l'arrondissement. Ces conseils éliront chacun leur exécutif.”
72En dépit du dépôt de nombreuses propositions de loi, le gouvernement de Pierre Messmer ne semble pas pressé de faire aboutir la réforme. Lors du discours de clôture des assises départementales de l'UDR, le premier ministre affirme d'ailleurs qu'il n'est “pas question de bouleverser le statut de Paris”99. Face aux lenteurs gouvernementales, le président du Conseil de Paris, Jacques Dominati, membre des Républicains Indépendants, tente de montrer la volonté des élus parisiens de voir aboutir la réforme. Dès son discours inaugural du 15 juin 1973, il insiste sur la nécessaire réforme du statut. Un nouveau débat a lieu le 25 juin100, au cours duquel les conseillers défendent les propositions de loi déposées par eux-mêmes ou par leurs partis. A l'issue du débat, le Conseil adopte le vœu proposé par la gauche tendant à ce que le préfet communique dès le début de la session budgétaire l'état des études et propositions du gouvernement concernant le statut de Paris et à ce que le Parlement se saisisse rapidement de toutes les propositions de loi. Le 26 septembre 1973, lors d'une conférence de presse, Jacques Dominati affirme qu'il compte bien que le Parlement soit saisi avant la fin de l'année 1973 d'un projet de réforme. Il convoque pour le 8 octobre la Commission du budget et du personnel, où sont représentés tous les membres du Conseil, entendant par là faire jouer à cette commission le rôle d'un organe consultatif et permanent entre les élus et l'administration.
73Cette attitude est mal acceptée par les autres groupes : les communistes parlent de tapage et de confusion, “de faux semblant”101 ; les socialistes, les radicaux et les centristes d'opposition se taisent ; l'UDR désapprouve102.
74En novembre 1973, lors d'une Conférence des Ambassadeurs, Jacques Dominati renouvelle son plaidoyer en faveur d'une réforme du statut, présentant les grandes lignes de sa propre conception de la réforme : président-maire élu pour plus d'un an et ayant des pouvoirs réels, rapprochement des conseillers et des habitants. En décembre, il déclare : “Si le gouvernement ne réforme pas le statut de notre ville, nous allons vers une crise grave”103. Il semble alors envisager une démission spectaculaire pour faire avancer la réforme du statut. Le 13 décembre 1973, un nouveau débat a lieu au Conseil104, à l'initiative des groupes centriste, communiste et républicain indépendant qui ont déposé une question orale sur le sujet afin de manifester leur volonté de voir accélérer la réforme. Le représentant de l'UDR, Jean Chérioux, affirme alors que le statut ne peut être celui d'une commune de droit commun. Il souhaite simplement la création d'une commission permanente générale, l'attribution au président du Conseil de Paris du titre et des pouvoirs d'un président-maire, élu pour plusieurs années et présidant la commission permanente, le renforcement du contrôle de l'élu sur l'arrondissement. Le groupe “Libertés de Paris” maintient son abstention politique sur le budget de fonctionnement 1974 adopté le 21 décembre 1973.
75En mars 1974, Jacques Dominati annonce qu'il est décidé à solliciter le renouvellement de son mandat de président du Conseil de Paris pour assurer la réforme du statut de Paris et sa mise en application, contrairement aux engagements pris avec le groupe Paris-Majorité à qui doit revenir en 1974 la présidence. Il demande également, lors d'une conférence de presse, le rattachement à la Ville des 25.000 fonctionnaires de services réellement municipaux et extérieurs à l'Etat : affaires domaniales, voirie, établissements industriels et commerciaux, affaires scolaires, logement et budget sont autant de directions, de sous-directions ou de services qui doivent, selon lui, échapper au préfet de Paris et revenir au président-maire105.
76Le 22 mars 1974, contre l'avis du groupe Paris-Majorité, la gauche, les réformateurs et les Républicains Indépendants se rejoignent au Conseil de Paris pour réclamer la convocation d'une session extraordinaire du Conseil sur le sujet106. En juin, Jacques Dominati maintient sa candidature à la présidence du Conseil. Finalement battu107, il confie qu'il a été “victime des forces conservatrices, celles qui s'opposent au renouveau et qui ont bloqué l'évolution des institutions parisiennes ; la volonté de l'UDR est de ne rien changer”108.
IV — La loi du 31 décembre 1975
77Compte tenu de la pression exercée par les élus parisiens proches de lui, le gouvernement doit pourtant, dès avant les élections présidentielles de 1974, engager le processus qui doit conduire au dépôt d'un projet de loi. Pierre-Christian Taittinger est nommé en mars 1974 parlementaire en mission pour étudier la réorganisation des structures administratives de la Région parisienne et du statut de Paris. En mars 1974, le nouveau ministre de l'Intérieur, Jacques Chirac, qui a succédé à Raymond Marcellin, consulte Pierre Bas, Jean Tibéri, Gabriel Kaspereit, Christian de La Malène et Jacques Dominati sur la réforme du statut109. Lors de la campagne électorale, Valéry Giscard d'Estaing s'engage à faire évoluer le statut110. Après son élection à la présidence de la République, le gouvernement, en particulier le ministre de l'Intérieur Michel Poniatowski, beau-père de Bertrand de Maigret, l'un des membres du groupe des Républicains Indépendants à l'Hôtel de Ville, donne une impulsion décisive à la réforme du statut de Paris. C'est que Valéry Giscard d'Estaing, qui a obtenu 56,9 % des voix à Paris au deuxième tour des élections présidentielles, espère que le nouveau maire sera politiquement proche de lui et que Paris cessera d'être dominé par les gaullistes. Reçu à l'Hôtel de Ville, le nouveau président déclare : “Ce qui est certain, c'est que la population parisienne, ses élus, doivent pourtant jouir du rôle croissant de responsabilités dans la solution des grands problèmes de la ville.”111. Le premier ministre Jacques Chirac est d'ailleurs nettement moins favorable à une évolution radicale du statut. En 1974, il déclare à France-Soir : “Le caractère très spécifique de la Ville de Paris ne permet en aucun cas d'envisager un maire élu. Il y a une structure traditionnelle assez efficace. Sans aucun doute à améliorer, mais Paris est la capitale de la France, une ville d'une très grande ampleur où les problèmes sont bien particuliers, ce qui justifie que son organisation soit spécifique”112. Les gaullistes parisiens ne sont pas en effet, on l'a vu, parmi les plus fermes partisans de la modification radicale.
78Le ministre de l'Intérieur crée une commission, la “commission Maspétiol”, du nom de son président, Roland Maspétiol, président de la section de l'Intérieur au Conseil d'Etat, qui tient quatre réunions les 9, 11 et 16 octobre et 4 novembre 1974. Les présidents des groupes du Conseil de Paris (Maurice Berlemont, Pierre Lépine, Bertrand de Maigret, Pierre Mattéi, Michel Salles, Jean Tibéri) y participent, ainsi que le président du Conseil, Yves Milhoud, et d'anciens présidents, Jean Chérioux, Nicole de Hauteclocque, Jacques Dominati. Le préfet de Paris, le préfet de police et le préfet de région prennent part aux travaux, ainsi que divers représentants du ministère de l'Intérieur, en particulier Lucien Lanier, directeur général de l'Administration. Les thèmes de réflexion de cette commission, précisés par le ministre de l'Intérieur, sont la définition des attributions du Conseil de Paris, du nombre de ses membres et de leur mode d'élection, les pouvoirs et la durée du mandat d'un président du Conseil de Paris et le statut des adjoints, l'allégement de la tutelle et les rapports avec le préfet de Paris, l'organisation et le fonctionnement de l'administration municipale dans le cadre de l'arrondissement113.
79Quelques grands axes se dégagent des travaux de la commission114 : nécessité du maintien du double caractère, communal et départemental, de la collectivité parisienne, augmentation raisonnable du nombre des conseillers, allongement de la durée du mandat du président-maire, qui serait porté de trois à six ans, alignement sur le droit commun des conseils municipaux des compétences du Conseil de Paris et de la tutelle sur ses délibérations, institution d'une commission permanente qui suivrait les affaires de la Ville entre les sessions, modification du statut de l'arrondissement. Le Conseil de Paris se réunit en session extraordinaire les 7 et 13 novembre 1974 pour discuter des conclusions des travaux115. Les élus de gauche rappellent les propositions de loi de leurs groupes parlementaires. Les élus de la majorité donnent globalement leur accord aux propositions de la commission. Ils souhaitent que le nombre des conseillers soit porté à 120 et que soit assurée une meilleure participation des élus à la vie de l'arrondissement par le biais de conseils, mais sans création de municipalités d'arrondissement. Satisfaits de l'évolution de la question, les élus du groupe “Libertés de Paris” votent le budget de fonctionnement 1975.
80Après les travaux de la commission et la consultation du Conseil de Paris, le gouvernement dépose son projet de loi sur la réforme du statut de Paris. Le texte substitue au Conseil un régime très largement nouveau : le projet rapproche la collectivité parisienne des dispositions du droit commun, telles qu'elles résultent des lois du 10 août 1871 et du 5 avril 1884. La disposition générale selon laquelle la Ville de Paris constitue une commune régie par les dispositions du code de l'administration communale figure à l'article premier du projet. L'article 27 en tire les conséquences en ce qui concerne la suppression des maires et des maires-adjoints d'arrondissement. Plusieurs dispositions sont la reproduction de textes figurant déjà dans le code de l'administration communale, comme l'article 3 selon lequel le maire préside le Conseil de Paris et l'article 10 qui fixe les conditions dans lesquelles sont élus le maire et les adjoints. L'article 11, qui prévoit la constitution du Conseil en comité secret à la demande de dix de ses membres, reproduit en l'adaptant une disposition existant également en droit commun. Le principe de l'application du droit commun au département de Paris est posé par l'article 28, mais la double nature de la collectivité parisienne impose des transpositions. L'article 2 prévoit que le Conseil de Paris exerce pour le département de Paris les attributions dévolues aux conseils généraux et l'article 29 que la commission permanente du même Conseil exerce les attributions de la commission départementale. Quant à l'article 30, il organise un régime de session différent du droit commun. L'article 31 reproduit les termes de l'article 27 de la loi de 1871 concernant la participation du Préfet aux travaux des instances départementales. L'application du droit commun départemental empêche de prévoir la suspension du Conseil de Paris, mesure du droit commun municipal, mais qui n'est pas applicable aux conseils généraux (article 14). L'article 5 étend à la Ville de Paris le régime de tutelle du droit commun, sous la seule réserve de son exercice, dans les domaines respectifs qui leur incombent, par deux préfets au lieu d'un.
81Toutefois, le projet comporte trois dispositions dérogatoires au droit commun, qui innovent dans la mesure où elles ne figurent ni dans les textes qui s'appliquent aux autres collectivités territoriales, ni dans ceux qui régissent auparavant la Ville de Paris. Le futur maire de Paris ne pourra exercer plus de deux mandats consécutifs (article 22). Une telle disposition doit, dans l'esprit du gouvernement, contribuer à limiter une prépondérance qui résultera très logiquement de beaucoup des autres dispositions du projet. Une commission permanente de 14 à 17 membres est créée, pouvant recevoir délégation du Conseil (articles 15 à 21), afin d'éviter de surcharger exagérément l'ordre du jour des sessions du Conseil. Cette commission, inspirée par les commissions départementales, aura des pouvoirs municipaux étendus. Dans chaque arrondissement ou groupe d'arrondissement est créée une commission consultative, composée des conseillers qui y sont élus et chargés de donner leur avis sur les affaires qui leur sont soumises par le Conseil de Paris, la commission permanente ou le maire (articles 25 et 26).
82Enfin, le projet du gouvernement maintient des dispositions spécifiques existant antérieurement. Le préfet de police conserve ses pouvoirs (article 4). Le régime financier dérogatoire est maintenu : il est prévu l'établissement d'un seul budget principal pour les deux collectivités (articles 32, 35 et 36) ; sont maintenues certaines règles particulières figurant notamment dans des décrets du 9 juillet 1968 et du 30 novembre 1970 et qui permettent l'existence de budgets annexes et d'un budget spécial pour la préfecture de police, la possibilité de procéder par autorisations de programme et crédits de paiement (article 34), l'existence d'un régime spécial de contrôle des dépenses engagées. Il est prévu le maintien pour les personnels d'un statut spécial différent de celui des personnels communaux ou départementaux (articles 40 à 44). L'organisation du régime des sessions reste très différent du droit commun. Il est prévu que le Conseil de Paris, assemblée municipale, tiendra chaque année deux sessions ordinaires pendant des périodes qui ne pourront excéder trente jours pour la première session et quarante-cinq pour la seconde. En outre, il pourra être réuni en session extraordinaire à la demande soit des deux tiers de ses membres, soit de la commission permanente, soit du préfet de Paris ou du préfet de police (articles 7, 8 et 9). La publication d'un Bulletin municipal officiel est maintenue (article 12), ainsi que l'élaboration d'un règlement intérieur (article 13).
83L'effectif du Conseil est de cent membres (article 6). Le nombre des adjoints est fixé à douze pour les adjoints réglementaires et à six pour les adjoints supplémentaires (article 22), chiffre très faible, inférieur à celui admis pour la ville de Lyon.
84Pierre Bas dépose un certain nombre d'amendements à ce projet de loi. Le nombre de conseillers serait porté de 100 à 150. La Commission permanente aurait 18 à 24 membres. Le nombre des adjoints serait porté de 25 à 30. Les députés et leurs suppléants, les suppléants des conseillers de Paris siégeraient également à la Commission d'arrondissement consultative. Le maire de Paris pourrait nommer dans les arrondissements des personnes qualifiées auxquelles il confiera des tâches d'administration, des tâches culturelles, sociales, éducatives et sportives, afin de pouvoir maintenir une vie sociale de l'arrondissement et de pouvoir utiliser les compétences des anciens maires et maires-adjoints des arrondissements, totalement exclus dans le nouveau système116.
85La Commission des lois modifie en profondeur le projet gouvernemental. Le nombre de conseillers est fixé à 150. La Commission permanente est supprimée, le nombre d'adjoints est fixé à dix-huit pour les adjoints réglementaires et neuf pour les adjoints supplémentaires. La commission d'arrondissement serait composée des conseillers municipaux élus de l'arrondissement, des officiers municipaux, de membres élus par le Conseil de Paris choisis parmi les représentants des associations sociales, familiales, éducatives, culturelles et sportives de l'arrondissement et des personnalités qualifiées.
86Après le débat au Parlement, la loi finalement votée comprend des différences sensibles avec le projet du gouvernement. Le rôle municipal de Paris est privilégié par rapport à son rôle départemental, d'où en particulier la suppression de la commission permanente. Seule subsiste une commission départementale, qui ne sera pas présidée par le maire, le droit commun prévoyant que, dans les départements, le maire de chef-lieu ne peut présider la commission départementale. Le nombre de conseillers est fixé à 109 : le gouvernement a refusé le chiffre supérieur souhaité par les conseillers de Paris et admis par la commission des lois. Les dispositions concernant la durée et le nombre des sessions, la convocation du Conseil de Paris, l'élection du maire, la constitution du Conseil en comité secret sont supprimées, le droit commun étant appliqué sur ces matières. La limitation à deux mandats du maire est abandonnée. Le nombre d'adjoints est fixé à vingt-sept.
87La Ville a désormais un double exécutif : le maire et le préfet de police pour les affaires de son ressort. Le Parlement a rejeté les amendements prévoyant un partage de responsabilité avec le maire dans le domaine de la police administrative (hygiène, salubrité publique, stationnement...). En revanche, les dispositions budgétaires dérogatoires au droit commun sont maintenues.
88Le gouvernement s'est opposé aux propositions parlementaires tendant à instituer de véritables municipalités d'arrondissement afin d'éviter, selon la formule du ministre de l'Intérieur, la balkanisation de Paris. Mais les commissions d'arrondissement ont été étoffées par rapport au projet. Elles comprennent les officiers municipaux nommés par le maire pour exercer les fonctions d'officier d'Etat civil, les membres élus par le Conseil de Paris parmi les représentants des activités sociales, familiales, éducatives, culturelles et sportives exercées dans le ressort de l'arrondissement et les personnalités qui, en raison de leur qualité ou de leurs activités, concourent à l'animation ou au développement de l'arrondissement, les conseillers de l'arrondissement. Le Parlement a, en revanche, rejeté les amendements de Pierre Bas et d'Edouard Frédéric-Dupont proposant que les députés élus de l'arrondissement fassent également partie de la commission.
89Les rapports entre Paris et l'Etat ont été de nature différente sous la IVe et sous la Ve République. Sous la IVe République, les oppositions politiques et les visions antiparisiennes des gouvernements rendent ces rapports extrêmement difficiles et aucune libéralisation du régime de Paris n'existe après les quelques améliorations obtenues en 1945, quand le général de Gaulle est encore au pouvoir. En revanche, sous la Ve République, les rapports s'améliorent. Certes, des difficultés subsistent et les conseillers peuvent parfois s'offusquer d'intrusions présidentielles ou gouvernementales dans la gestion de la capitale. Mais ces intrusions traduisent le plus souvent un intérêt pour Paris et se justifient par la participation financière de l'Etat aux grands travaux d'infrastructure de la capitale. Les tenants d'une politique antiparisienne connaissent une défaite, comme en témoignent certaines plaintes de Jean-François Gravier. Les rapports politiques entre la majorité du Conseil et les gouvernements sont plus faciles. Dans ces conditions, des mesures libérales sont prises en faveur de Paris, en 1961, en 1970 et, après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing à la présidence de la République, la loi du 31 décembre 1975 satisfait dans une large mesure les revendications des édiles parisiens exprimées depuis plus d'un siècle.
Notes de bas de page
1 BMO Débats 1958, p. 300.
2 BMO Débats 1958, p. 643-644.
3 BMO Débats 1959, p. 328.
4 Michel Brisacier, Paris dans la pensée et l'œuvre de Charles de Gaulle, thèse de sciences politiques, Paris I, 1986, p. 245.
5 Voir la question orale de Raymond Laurens et des élus communistes de la sixième commission “sur l'alimentation en eau de Paris” du 15 juin 1959 (BMO Débats 1959, p. 93-101).
6 BMO Débats 1959, p. 341.
7 BMO Débats 1959, p. 326. De nouvelles résolutions en ce sens sont votées en 1961, 1962 et 1963.
8 BMO Débats 1956, p. 89-94 et 177-191.
9 BMO Débats 1958, p. 437-442 et 450-459.
10 Ordonnance n°59-236 du 4 février 1959
11 BMO Débats 1959, p. 243-250.
12 BMO Débats 1966, p. 327-328.
13 Ordonnance n° 59-272 du 4 février 1959 relative à l'organisation de la région de Paris, Journal Officiel du 11 février 1959. p. 1858-1859.
14 BMO Débats 1959, p. 349-367.
15 BMO Débats 1960, p. 209-225.
16 BMO Débats 1959, p. 602-606 et p. 667-668.
17 En particulier celle du Conseil municipal le 24 novembre 1960, BMO Débats 1960, p. 648-650.
18 BMO Débats 1960, p. 261.
19 Lors de l'examen d'un plan de réforme de l'Assistance publique élaboré sans consultation du Conseil municipal.
20 BMO Débats 1960, p. 870-871.
21 Michel Debré était intéressé depuis longtemps par les problèmes parisiens. Il avait en effet travaillé avec son oncle André Morizet, sénateur de la Seine, maire de Boulogne, qui avait réfléchi à la réorganisation de la région parisienne.
22 Pour l'analyse de ces décrets, voir Alain Griotteray, Note sur l'allégement de la tutelle administrative sur les collectivités parisiennes. Rapports et documents du Conseil municipal, 1961, n°2
23 Selon les chiffres donnés par Christian de la Malène le 1er-2 juillet 1965, les emprunts sont de 200 millions en 1961. 225 en 1962, 200 en 1963, 260 en 1964. 332 en 1965 (BMO Débats 1965, p. 261).
24 La contribution de l'Etat est rétablie à partir du budget de 1961, grâce à la convention du 22 août 1960.
25 BMO Débats 1962, p. 60-71.
26 BMO Débats 1962, p. 553-558.
27 BMO Débats 1963, p. 1332-1337.
28 Question au préfet sur le rôle qu'il envisage pour Paris sur le plan du district, de la France et de l'Europe. Séance du 14 novembre 1966 (BMO Débats 1966, p. 666-676).
29 Seuls des centristes et des gaullistes sont désignés (Victor Bucaille, Etienne de Véricourt, Paul Faber, Bernard Rocher, Gabriel Kaspereit, Pierre Devraigne rejoignent Pierre Bas, Michel Caldaguès, Edouard Frédéric-Dupont et Bernard Lafay désignés en avril 196S), ce qui provoque les protestations de la gauche, favorable à l'élection d'une assemblée régionale au suffrage universel. Cette position est défendue en particulier par les deux conseillers PSU le 1er décembre 1967 à l'occasion d'une question orale “sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer une gestion plus démocratique des affaires publiques sur le plan de la Ville et des arrondissements parisiens”. (BMO Débats 1967, p. 739-746).
30 Sur les mesures de 1970, voir la communication du préfet de Paris au Conseil municipal, séance du 19 novembre 1970. BMO Débats 1970, p. 957-959.
31 Michel Brisacier, Paris dans la pensée et l'œuvre de Charles de Gaulle, op. cit., p. 371.
32 Michel Carmona, Le Grand Paris, l'évolution de l'idée d'aménagement de la Région parisienne, Bagneux, 1979, p. 79.
33 Michel Salles, 23 décembre 1965.
34 BMO Débats 1974, p. 931.
35 BMO Débats 1954, p. 956.
36 BMO Débats 1955, p. 340-343.
37 BMO Débats 1955, p. 968-969. Lors d'une question de Roger Rigaud le 15 mars 1956 sur les abattoirs de Vaugirard, Emmanuel Fleury demande la modernisation des abattoirs de la Villette et la désaffectation de ceux de Vaugirard (BMO Débats 1956, p. 243-249).
38 BMO Débats 1957, p. 169-172.
39 BMO Débats 1957, p. 897-906.
40 BMO Débats 1958, p. 837-855 et 863-870.
41 BMO Débats 1959, p. 407-413.
42 BMO Débats 1966, p. 1192-1200.
43 BMO Débats 1969, p. 1117-1144.
44 Le coût est estimé à 175 millions en 1958, 250 millions en 1959, 600 millions en 1964 (en francs courants).
45 BMO Débats 1969, p. 1144.
46 BMO Débats 1970, p. 217-256.
47 BMO Débats 1970, p. 241.
48 Les gaullistes ne représentent pas Michel de Grailly aux municipales de 1971.
49 BMO Débats 1970, p. 834.
50 BMO Débats 1971, p. 203-216 et 223-224.
51 Par exemple lors d'une question orale sans débat posée le 14 mars 1967 par les élus communistes du xie arrondissement sur l'état des pourparlers avec le gouvernement pour le transfert de la prison de la Petite Roquette à Fleury-Mérogis (BMO Débats 1967, p. 7-8). Le 25 juin 1971, Michel Salles et Maurice Berlemont dénoncent la spoliation de la Ville et déposent un projet de délibération demandant l'annulation de la disposition législative (BMO Débats 1971, p. 350-355).
52 BMO Débats 1968, p. 688-702.
53 BMO Débats 1969, p. 267-268.
54 BMO Débats 1971, p. 1312-1313.
55 Maurice Doublet, Paris en procès, Paris, Hachette, 1976, p. 31.
56 Entretien de Pierre Bas avec l'auteur, septembre 1990.
57 Antoine Veil, La Mémoire longue, Paris, Plon, 1991, p. 135.
58 Chiffre cité le 14 juin 1971, BMO Débats 1971, p. 90.
59 BMO Débats 1973, p. 504.
60 Assemblée Nationale, annexe au procès verbal de la séance du 28 novembre 1973. Proposition de loi tendant à l'augmentation des contingents versés par l'Etat à la Ville en matière d'aide sociale présentée par Gisèle Moreau, Louis Baillot, Jacques Chambaz, Daniel Dalbera, Henri Fiszbin, Paul Laurent, Lucien Villa (n°785).
61 Séance du 16 décembre 1968, BMO Débats 1968, p. 1047.
62 BMO Débats 1976, p. 1608-1620.
63 BMO Débats 1962, p. 896.
64 BMO Débats 1963, p. 845.
65 Chiffres cités par Maurice Colin le 21 janvier 1964 lors de la discussion du budget d'investissement.
66 Indications fournies par Madeleine Marzin lors d'une question orale le 14 juin 1965 sur les questions d'enseignement et confirmées par le Directeur général des services d'enseignement de la Seine. (BMO Débats 1965, p. 65-82).
67 Ainsi, le Conseil municipal vote pour le programme 1968 la construction de 59 classes de premier degré et l'Etat refuse d'en subventionner plus de 50.
68 BMO Débats 1964, p. 685-689.
69 Cité par Pierre Giraud le 19 novembre 1964, BMO Débats 1964, p. 850-862.
70 BMO Débats 1972, p. 1716-1720 et 1747-1749.
71 Un exposé de synthèse est fait par le Directeur général de l'Action sanitaire et sociale le 23 novembre 1970, BMO Débats 1970, p. 1031.
72 Délibération du 30 septembre 1948.
73 BMO Débats 1973, p. 330-336.
74 BMO Débats 1973, p. 698-699.
75 BMO Débats 1975, p. 921.
76 BMO Débats 1976, p. 731-737.
77 Hervé Liffran, Les Paris de Chirac, Paris, Ramsay, 1988, p. 137.
78 BMO Débats 1975, p. 1016-1017.
79 BMO Débats 1975, p. 1038-1058.
80 Les propositions de réforme et la loi du 31 décembre 1975 ont été étudiées en particulier par Jean-Louis Pezant, Le nouveau statut de Paris (loi du 31 décembre 1975), La Documentation française, Notes et Etudes Documentaires, 9 novembre 1976 et par Jacques Rétif, La réforme du statut de Paris, thèse de droit public, Université de Paris II, 1975 (avec une annexe de 1977 sur l'étude de la loi du 31 décembre 1975).
81 Voir par exemple le 8 juillet 1968 la question orale de Claude Bourdet et David Weill “sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer un fonctionnement plus démocratique de la gestion municipale par une véritable politique d'information et de participation” (BMO Débats 1968, p. 460-467).
82 Voir les notes préparatoires à l'exposé des motifs de sa proposition de loi dans les papiers de Christian de la Malène déposés à la Bibliothèque Administrative de la Ville de Paris et son intervention au Conseil de Paris le 2 juillet 1970 (BMO Débats 1970, p. 563-565).
83 Sénat, annexe à la séance du 19 mai 1964 (n°183).
84 Proposition de loi n°149 déposée au Sénat le 18 décembre 1969 (n°149) et à l'Assemblée Nationale le 26 avril 1969 (n°707), reprise et complétée en 1971 (Assemblée nationale n°2266. Sénat n°139).
85 BMO Débats 1970, p. 272-277.
86 BMO Débats 1970, p. 549-568.
87 Le Monde, 21 décembre 1970 et Le Nouveau journal, 7 janvier 1971. Ces propositions sont reprises en 1972 dans le plan de réforme de Jean Chérioux.
88 La Nation, 11 mars 1971.
89 BMO Débats 1971, p. 235-247.
90 BMO Débats 1971, p. 990-998.
91 Information donnée par le préfet de Paris au Conseil le 4 décembre 1972, BMO Débats 1972, p. 1296-1297.
92 Ces propositions reprennent dans ses grandes lignes la proposition déposée en décembre 1971 par le groupe communiste du Sénat.
93 Proposition de loi n°45 déposée au Sénat le 5 novembre 1970.
94 Article 2 : “Le préfet de Paris et le préfet de police sont, chacun pour ce qui le concerne, les représentants de l'Etat dans la ville de Paris. Dans la limite de leurs compétences respectives, ils sont chargés de l'instruction préalable des affaires soumises au Conseil de Paris et assurent l'exécution des délibérations de celui-ci”.
95 Jean Legaret abandonne le terme de président-maire.
96 André Fanton est député UNR du XIe arrondissement de 1958 à 1969 et adjoint au secrétaire général de l'UNR de 1961 à 1967. Il est secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Défense nationale dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas de 1969 à 1972. Il avait déjà présenté les grandes lignes de son projet à l'Assemblée Nationale le 11 juin 1964, lors du débat sur la réorganisation de la région parisienne, sous forme d'amendement. Il souhaite le déposer en 1969, mais il en est empêché par le référendum, l'élection présidentielle, puis la formation du nouveau gouvernement (Lettre à Christian de la Malène, 8 avril 1970, Papiers Christian de La Malène, BAVP).
97 Cette lettre figure dans les papiers de Christian de la Malène.
98 Note du 29 novembre 1971 sur la réforme du statut de Paris (papiers de La Malène).
99 Combat, 22 octobre 1973.
100 BMO Débats 1973, p. 509-522.
101 L'Humanité, 20 septembre 1973.
102 Le Monde, 28 septembre 1973.
103 L'Aurore, 27 décembre 1973.
104 BMO Débats 1973, p. 1180-1193.
105 Dépêche AFP du 5 mars 1974, papiers de Pierre-Christian Taittinger (BAVP)
106 BMO Débats 1974, p. 278-288.
107 Voir la partie sur l'évolution politique du Conseil.
108 Le Monde, 15 juin 1974.
109 Dépêche AFP du 18 mars 1974, papiers Pierre-Christian Taittinger.
110 “Les collectivités territoriales doivent voir leur rôle et leurs responsabilités affirmées ; ceci doit s'accompagner d'un transfert de ressources ainsi d'ailleurs que d'une réforme du statut de certaines d'entre elles. Je pense, en particulier, à Paris dont le statut doit être refait et qui doit disposer d'un maire élu”. (Le Monde, 21 avril 1974).
111 Dépêche AFP du 27 mai 1974, papiers de Pierre-Christian Taittinger.
112 Cité dans Hervé Liffran, Les Paris de Chirac, Paris, Ramsay, 1988, p. 16.
113 Lettre du 17 septembre 1974 du ministre de l'Intérieur au préfet de Paris, papiers Pierre-Christian Taittinger.
114 Lettre de Michel Poniatowski du 17 janvier 1975, papiers de la Malène.
115 BMO Débats 1974, p. 798-799 et 803-828.
116 Les amendements de Pierre Bas se trouvent dans les papiers de Christian de la Malène.
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Le Conseil municipal de Paris de 1944 à 1977
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