Chapitre 1. La programmation de 1945 à 1973 : entre espoirs et déceptions
p. 23-52
Texte intégral
1Les programmes financiers de matériels militaires sont développés au cours du xixe siècle1, notamment pour la Marine. Cependant, la pluriannualité budgétaire est en principe totalement exclue2 Elle s’oppose en effet à une règle intangible de l’orthodoxie financière : le vote annuel des prévisions de dépenses. Les Gouvernements cherchent pourtant régulièrement à contourner cette règle de l’annualité. L’entre-deux-guerres est une période déterminante dans l’histoire de la programmation3, même si la première « loi de programme » (naval) date de 1900 (pour sept ans). En effet, l’accélération des progrès technologiques dans le domaine de l’armement (aviation, char, sous-marin, porte-avions…) entraîne des investissements plus lourds, financés par des budgets extraordinaires et des comptes spéciaux, mais obligent également à opter pour d’autres modes de projections financières. Ainsi, à partir de 1922 (loi du 18 avril, dite « loi de tranche »), la procédure des tranches pour l’armement naval engage des dépenses sur plusieurs années sans le dire. La loi de finances pour 1926 instaure la pratique des autorisations d’engagements. Le Parlement accorde ainsi à la Défense des crédits à prendre sur les exercices ultérieurs (à ratifier annuellement par les Assemblées ensuite). Cette pratique permet d’engager des marchés d’armement pluriannuels et constitue la principale méthode de programmation des années 1930. Le premier cycle de réarmement global (concernant les trois armées) date du Front populaire avec les trois plans par armée de 1936-1937 à réaliser en 1937-1940. Ensuite, le décret-loi du 21 avril 1939 créé des « crédits de programme » qui engagent les finances publiques sur plusieurs années4
2Entre 1900 et 1939 apparaissent ainsi trois caractéristiques de la programmation contemporaine : un texte voté par les parlementaires (loi de programme en 1900), un engagement de dépenses sur plusieurs années (en 1922 avec les tranches, en 1926 avec les autorisations d’engagements, en 1939 avec les crédits de programme) et une prise en compte des besoins des trois armées ensemble (1936-1937). Cependant, les différents essais planificateurs du premier xxe siècle restent le plus souvent inaboutis. En outre, la situation des finances publiques ne permet un réarmement simultané des trois armées qu’à la condition de faire le choix de la priorité des canons sur le beurre, ce que seul le Gouvernement du Front populaire ose
3Ce premier chapitre a pour objectif de comprendre les développements et étapes clés de la programmation militaire de l’après-guerre à la crise économique de 1973. Quelles sont les possibilités légales de projections financières ? Quels outils et méthodes sont imaginés, essayés, privilégiés ? Quels types de plan sont chiffrés ? Comment est anticipé le coût du futur militaire ?
4Nous distinguons trois séquences : entre 1945 et 1954, des programmes importants pour l’armée de l’Air et l’armée de Terre sont lancés grâce à l’aide américaine mais sans plan d’ensemble ; entre 1954 et 1958, une planification interarmées est opérée mais ne se concrétise pas, parallèlement, le nucléaire militaire est financé en secret ; entre 1958 et 1970, trois lois de programme sont préparées avec pour ambition de réaliser tout l’arsenal nucléaire nécessaire à la stratégie de la dissuasion du faible au fort
Un réarmement différencié 1945-1954
5Après la Libération, les militaires ne profitent pas du contexte favorable à la planification. En premier lieu, les moyens financiers font cruellement défaut. La reconstruction des infrastructures civiles draine l’essentiel des investissements publics, même si, comme l’explique l’historien Emmanuel Chadeau, les armées n’ont pas été totalement sacrifiées sur l’autel de l’investissement public entre 1945 et 19505 En second lieu, les dépenses de la guerre d’Indochine pèsent sur les finances de la défense6 qui ne peuvent pas supporter en sus le coût d’une modernisation des équipements et des armes
6Dans les années 1950, afin de ne pas mettre encore plus en péril ses finances publiques, la France compte sur les États-Unis pour l’aider dans ses conflits indochinois puis algérien, mais aussi pour son réarmement général dans le cas d’une guerre européenne7 Cependant, d’une part, les aides américaines8, décisives pour certains armements9 et zones de conflit, sont insuffisantes pour satisfaire les désirs de renaissance militaire des Français. D’autre part, les oscillations des versements et les changements de modalités de l’aide américaine (entre 1948 et 1959) obligent les Français à spéculer sur son montant pour les années à venir et n’autorisent pas la mise en place d’une programmation fiable
7Les dépenses d’équipement des armées reprennent nettement en 195010 avec le début de la guerre de Corée et l’octroi de crédits américains. En francs courants, le budget militaire double pratiquement entre 1950 et 1951, et triple entre 1950 et 1952. Ces augmentations ont pour corolaires une limitation de la hausse des dépenses civiles de fonctionnement et une baisse des investissements civils. L’heure est au réarmement. Forts d’une longue tradition de programmes d’armements, les militaires élaborent dans l’après-guerre des projections de réarmement qui se traduisent notamment par deux lois distinctes concernant successivement l’armée de l’Air (1950) et l’armée de Terre (1951). La Marine fait l’objet en 1952 d’un plan naval mais sans loi de financement. Il n’existe toujours pas de programmation globale intégrant toutes les forces en fonction d’une stratégie interarmées. Le réarmement (et les modalités de la programmation) reste différencié selon les armées
L’Aviation
8Après-guerre, les besoins de l’armée de l’Air, notamment en avions en réaction, la font dépendre des usines britanniques. Les aviateurs de l’état-major estiment – comme les marins – qu’il leur faudra au moins douze années d’un effort soutenu pour retrouver une crédibilité11 Les industries aéronautiques n’investissent pas et n’innovent pas12 Plusieurs plans sont proposés mais ne sont pas concrétisés13 Cette période d’attente dure jusqu’en 1950. En effet, le début de la guerre de Corée permet de voir aboutir le projet de « loi-programme », selon l’expression contemporaine
9Cette loi-programme doit assurer le renouveau de l’armée de l’Air, mais également « garantir pendant six ans à l’industrie aéronautique un “régime” stable suffisant pour satisfaire et entretenir le potentiel aérien militaire et civil de la nation14 ». S’il n’est pas neuf de voir le soutien à l’industrie d’armement figuré parmi les objectifs des programmes, pour la première fois, cette loi-programme inscrit des garanties d’avenir. Même s’il reste incomplet et insatisfaisant à bien des égards, ce projet de loi est tout à la fois cohérent, pragmatique et ambitieux. Le ministre de la Défense nationale, Jules Moch, dans l’exposé des motifs, explique que le contexte est désormais différent de l’immédiat après-guerre et que son plan est plus raisonnable et mieux étayé que les précédents15
10L’appellation et le format de cette loi-programme sont nouveaux, en présentant une tranche inconditionnelle et un maximum possible avec une tranche conditionnelle. Surtout, elle est plus volontiers déterminée par les missions à remplir par l’armée de l’Air que par le maintien des plans de charge des usines d’armement16 Les objectifs diffèrent donc quelque peu des lois de programme de l’entre-deux-guerres, durant lequel les lois d’armement étaient aussi des outils de relance économique. Cependant, cette fois encore, l’exécution de la tranche conditionnelle reste dépendante de décisions budgétaires annuelles, elles-mêmes fonction de la conjoncture, et de l’aide technique extérieure
11Le plan de réarmement aéronautique, selon la loi-programme définitivement adoptée le 19 août 1950, court sur cinq années mais son échéance sera retardée jusqu’en 1958, en raison de certaines insuffisances de crédits et de commandes offshores. Elle prévoit des crédits pour les études de prototypes militaires mais aussi civils et pour les futures productions en série de matériels à destination de l’armée de l’Air et de l’Aéronavale17 La loi-programme de 1950, que l’armée de l’Air a attendue cinq ans, est exceptionnelle par sa durée et ses réussites. Les progrès sont constatés année après année18 En outre, on voit renaître une industrie aéronautique nationale19, exportatrice et concurrente du Royaume-Uni, des États-Unis et de certains alliés de l’Otan. De plus, en dépit d’objectifs parfois trop ambitieux et d’une exécution heurtée de la loi-programme, l’effort de modernisation et d’expansion de l’armée de l’Air se poursuit sur la durée. Enfin, l’ambition nucléaire française implique une aviation militaire performante, car elle est le premier des vecteurs de l’arme atomique. Le Mirage I est conçu en 1951-1956 ; les Mirage III et IV à partir de 195620
L’armée de Terre
12À l’instar des aviateurs, les terriens souhaitent programmer la modernisation et la réorganisation de leur armée. Le déclenchement de la guerre de Corée va leur en offrir les moyens. Ces militaires attendent des matériels et des fonds de l’aide américaine
13Un « programme de réarmement et de dépenses de défense nationale » (préparé à la mi-1950, avec un projet de loi en janvier 1951) pour les années 1951 à 1954 incluse, qui concerne uniquement les forces terrestres, est discuté au Parlement. L’exposé des motifs du projet de loi explique que la France s’est engagée par des accords internationaux – pactes Atlantique et de Bruxelles – à moderniser ses forces terrestres et qu’elle commence à recevoir l’aide américaine pour cela. Ce réarmement « rendu possible par le nouvel équilibre financier et le redressement industriel […] autorise à attendre de nos usines et de nos ingénieurs des fabrications la réalisation des programmes dans les meilleures conditions de rendement, de qualité et d’économie21 », indique l’exposé des motifs du projet de loi. Sans doute encore trop optimiste sur la productivité des industriels, ce texte envisage l’avenir militaire à partir d’une nouvelle perspective économique. En effet, pour le rapporteur du projet, « il est illusoire de penser qu’un renouveau économique durable ou qu’un redressement financier sérieux puisse avoir lieu dans un pays inquiet et qui se sait désarmé22 » La conjoncture s’améliore, le contexte géopolitique change, l’opinion publique aussi. « Si l’opinion publique française est hostile à une politique de défense nationale, menée à ses yeux à trop grands frais depuis quatre ans [la guerre d’Indochine], elle désire par contre un renouveau militaire qui lui assurera, en Europe, une sécurité réelle23 »
14Relativement modeste, le projet de loi est envisagé à la fois comme une partie d’un tout interallié, mais aussi comme un effort national propre qui devance les besoins de l’Alliance atlantique. Dans la doctrine stratégique de l’Otan, le rôle de la France consiste à retarder l’avancée des troupes du pacte de Varsovie pour permettre aux renforts alliés de débarquer, ceci explique l’accent mis sur les matériels antichars et antiaériens. Le Gouvernement souhaite néanmoins conserver une fabrication nationale d’armement léger, de mortiers, de munitions et de matériels de transmission. Le projet de loi « pour un programme d’armement et d’équipement de l’armée de Terre, comprenant des acquisitions, des fabrications et des constructions », prévoit des crédits à hauteur de 550 Md24 sur cinq ans
15La loi, adoptée le 8 janvier 1951, n’accorde cependant que 395 Md pour l’équipement des forces armées et sur trois ans seulement. Elle détaille des crédits de paiement pour l’exercice 1951 et des autorisations d’engagement pour 1952 et 1953. Néanmoins, le programme est toujours susceptible d’amendements dans les années post-1951. La loi sur le réarmement terrestre de 1951 vient compléter le programme quinquennal de constructions aéronautiques de 1950. Il serait financé par des hausses de l’impôt sur les sociétés et des recettes fiscales supplémentaires affectées (140 Md)25, la contre-valeur américaine (140 Md) et des emprunts pour la défense nationale (50 Md). Il utiliserait également des reliquats du programme aéronautique précité26
La Marine
16Dans les années d’après-guerre, la Marine n’est pas prioritaire dans l’œuvre de reconstitution d’un potentiel militaire français27 Elle accepte en 1945 de sacrifier la moitié de ses ambitions et prépare un plan de douze ans. L’aide anglaise, qui débute par les accords Nomy de novembre 1945, de la part d’un pays pourtant réticent à la reconstruction d’une Marine concurrente, intervient après-guerre notamment sous la forme de dons de matériels, dont un porte-avions en 1951. L’aide américaine, elle, entre en jeu en 1950, mais la Marine restera le parent pauvre de ce soutien américain aux armées françaises, notamment car, dans les plans de l’Otan, les forces maritimes françaises sont cantonnées à la protection des convois transatlantiques. L’aide américaine est surtout sensible de 1950 à 1956. Elle est décisive en matériels (donnés, prêtés, commandés) et en argent (pour la conservation des chantiers navals ou le financement en 1953-1954 de la guerre d’Indochine). Après 1956, les livraisons américaines perdureront mais se concentreront sur des systèmes d’armes aux technologies avancées et non plus sur des matériels anciens de remplacement
17Dans ce contexte, plusieurs plans, plus ou moins réalistes, se succèdent à partir de 1945 : le statut naval du printemps 1945, le plan 1950 du début 1948, un plan Ramadier de septembre 1948, un plan Dupraz de septembre 1949 pour 1950-1955. L’action personnelle de l’amiral Nomy, chef d’état-major général de la Marine de 1951 à 1960, permet cependant d’inscrire la Marine dans les plans de réarmement puis de modernisation, via le statut naval de 1952 (plan à long terme qualitatif et quantitatif non ratifié par le Parlement), « le plan triennal de développement de 1953, les mises sur cale de deux porte-avions modernes, la rénovation des forces sous-marines, [et] la création, certes laborieuse, avec le Plan 1960, d’une aéronavale de conception française28 »
18En résumé, en 1950, l’armée de l’Air bénéfice d’un programme de près de 200 Md à échéance de cinq ans, mais qui durera jusqu’en 1958. L’armée de Terre obtient début 1951 un programme d’armement de près de 400 Md à dépenser en trois ans, mais qui est dépendant de ressources incertaines. La Marine, quant à elle, n’obtient pas d’engagement législatif pluriannuel. La reconstitution d’une armée française crédible est donc très inégale selon que l’on considère l’armée de l’Air, les forces terrestres ou la Marine. Les modalités de projection financière restent variées selon les armées : loi-programme très détaillée pour cinq ans pour l’Air, loi de réarmement de trois ans pour les forces terrestres, plan naval à long terme sans le vote d’une loi de programme. Les plans Air, Terre et Mer ne sont pas coordonnés. Pour des raisons autant stratégiques que financières, le développement du nucléaire militaire, sous la Quatrième République, va favoriser l’élaboration de plans interarmées
Le financement secret du nucléaire et une interarmisation différée 1954-1958
19Les années 1954-1958 sont marquées par deux éléments nouveaux : les débuts du financement du nucléaire militaire et la multiplication de plans à long terme interarmées rassemblant tous les besoins exprimés par les forces armées
Les protocoles financiers pour le nucléaire
20Le financement du nucléaire militaire est tout d’abord secret. Le Gouvernement français refuse longtemps d’avouer qu’il autorise (et finance) les études sur les armes nucléaires. L’exclusion en 1950 de Frédéric Joliot-Curie de la direction du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), en raison notamment de son refus de fabriquer des bombes pouvant servir contre l’Union soviétique, est déjà cependant un aveu. Au cours de la discussion du budget pour 1954 (en retard), René Pleven, ministre des Finances et des Affaires économiques, annonce le 17 mars 1954 à l’Assemblée nationale – pour la première fois publiquement – que le Gouvernement a engagé des recherches sur le nucléaire militaire et examinera pour le budget 1955 la possibilité de financer le développement d’armes nucléaires nationales29 Parallèlement, Pleven prône une pause dans l’équipement de l’armée de Terre, car il faut auparavant étudier les effets d’une arme atomique (stratégique ou tactique) sur le déroulement d’une bataille terrestre30 L’armée de Terre sent déjà la menace que fait planer sur elle sur le développement du nucléaire militaire
21Fin octobre-début novembre 1954 est installé un Comité des explosifs nucléaires présidé par le général Jean Crépin. Le professeur Yves Rocard en est le secrétaire et le rapporteur. Il précise les étapes et estime le coût global à 100 Md. En décembre 1954 a lieu une réunion d’une quarantaine de personnalités compétentes au Quai d’Orsay pour informer le président du Conseil Pierre Mendès France. En décembre 1954 encore, un bureau d’Études générales dirigé par le colonel Buchalet est créé au sein du CEA pour les développements militaires
22Il est désormais admis que les décisions (ou plutôt les non-décisions) de Mendès France enclenchent le début de la nucléarisation des forces. Néanmoins, son successeur, le président du Conseil Edgar Faure, hésite encore sur la conduite à tenir. Le Conseil de défense nationale, à deux reprises en mars 1955, ne tranche pas non plus31 Pourtant, l’élan est donné et Gaston Palewski, nouveau ministre délégué à la présidence du Conseil chargé de l’Énergie atomique, obtient une augmentation de 60 Md pour le programme nucléaire. Cette somme considérable est financée par un protocole secret du 20 mai 1955 signé entre Palewski, Pierre Koenig, ministre de la Défense nationale et des Forces armées, et Jean Gilbert-Jules, secrétaire d’État aux Finances et aux Affaires économiques
23Le 26 novembre 1956, malgré les réticences de Jean Monnet et du président du Conseil Guy Mollet, un nouveau protocole secret pour 1957-1961, avec le même trio de signataires, définit, après une étude plus approfondie, les besoins exacts, les échéances espérées et le rôle du CEA dans la mise au point d’explosions atomiques. Il s’agit d’un véritable programme de recherche et développement pluriannuel. Dans ce contexte et après la loi-programme de 1952 pour la réalisation du plan de développement de l’énergie atomique 1952-195732, le Parlement français vote en juillet 1957 le deuxième plan quinquennal de l’énergie atomique (civile) qui permettra la production d’uranium 235 enrichi, duquel est extrait le plutonium nécessaire à la bombe. Bientôt il faudra financer tout l’arsenal nucléaire
24Face aux plans que développe chaque armée au début des années 1950, la rédaction d’un plan à long terme (PLT) unique en 1954, puis, en 1955, d’un plan interarmées, qui hiérarchise les besoins en fonction de buts stratégiques clairement énoncés, représente une étape importante sur le chemin vers une programmation interarmées. L’interarmisation est ici entendue comme l’articulation des moyens et des commandements des armées au service d’une stratégie globale de défense
Les plans à long terme interarmées
25À la demande (novembre 195333) du nouveau chef d’état-major général des forces armées, le général Ély, un comité Forces présidé par le général Gonzales de Linares étudie, au premier semestre 1954, les modalités d’une éventuelle guerre, qui ne saurait être désormais que nucléaire. Ce premier rapport de juillet 1954 doit initier une vaste réforme des structures des armées et du système militaire français dans son ensemble34 Un PLT interarmées (dit plan jaune) est estimé en décembre 1954. Ce plan représente un acte d’émancipation de la France vis-à-vis de l’Otan, traduit une recherche d’économies après la fin (pour les Français) de la guerre d’Indochine et, enfin, tente une rationalisation-réorganisation majeure des forces armées. Le plan jaune est mis à jour le 15 mars 195535 en raison de l’évolution de la situation en Afrique du Nord (852 000 hommes, 1087 Md par an pour 1956-1958). Une version, archivée dans les papiers de l’état-major de la présidence de la République, permet d’en comprendre les enjeux
26Ce « plan à long terme de réorganisation des forces armées » de 1955 doit ainsi favoriser la réalisation des réformes nécessaires, car « faire dépendre cette entreprise de budgets annuels successifs, c’est courir le risque de ne pas pouvoir jamais forger l’outil convenable36 ». Il a également pour but de remonter le moral des militaires qui souffre de l’instabilité budgétaire. Le nouveau format des armées doit enfin être en mesure de répondre, d’une part « à l’ensemble de nos missions permanentes dans l’Union française, [et] d’autre part aux conséquences révolutionnaires sur le plan stratégique comme sur le plan tactique de l’emploi possible des armes atomiques dans un conflit généralisé37 ». L’officialisation en mars 1954 des recherches françaises sur le nucléaire militaire ainsi que les travaux du comité Forces de juillet 1954 sur l’action de l’armée de Terre dans un conflit nucléaire obligent à imaginer les armées françaises avec une bombe atomique nationale. En outre, il s’agit alors également de saisir une opportunité : « La cessation des hostilités en Extrême-Orient permet sur le plan physique comme sur le plan financier d’aborder aujourd’hui la refonte de notre appareil militaire que rend d’ailleurs indispensable le retour du corps expéditionnaire d’Indochine38 » La fin de la guerre d’Indochine et la perspective du nucléaire militaire autorisent à penser un nouveau futur pour les armées
27Le PLT de 1954 n’est que le fruit d’une « juxtaposition des plans primitifs présentés par les états-majors et approuvés par les secrétaires d’État d’armée ». En mars 1955, le Conseil supérieur des forces armées adopte un plan de synthèse qui traduit des choix tenant compte des possibilités financières (projetées) du pays. Ce PLT chiffre le coût des missions principales dévolues aux armées (« participation de la France au traité de l’Atlantique Nord, défense en surface et défense aérienne du territoire, maintien de la sécurité de l’AFN [Afrique française du Nord] et de l’Union française, moyens territoriaux et techniques de l’ensemble des armées39 »)
28Enfin, ce document est inédit par sa forme et son ambition. « Il ne s’agit pas, comme cela a été fait dans le passé d’un plan limité aux fabrications d’armement. Il s’agit d’un véritable plan de réorganisation de l’ensemble de nos forces armées40 » Le PLT de 1954 revu en 1955 est le premier à intégrer une dimension interarmées. Les principaux promoteurs de l’interarmisation sont la division des Études générales de l’État-major des forces armées, le Comité des chefs d’état-major et le Conseil supérieur des forces armées, aidés de la direction des Services financiers et des Programmes. Les réticents viennent des différents états-majors
29L’organisation des forces terrestres date du lendemain de la conférence de l’Otan à Lisbonne début 195241 L’horizon du plan M52 de l’Otan était alors 1954. Avec ce PLT de 1954-1955, six à sept ans de réforme sont projetés (mais seulement les années 1956-1961 pour l’armée de Terre). L’annexe 2 du PLT présente l’impact financier (charges globales et aide américaine estimée) et des hypothèses budgétaires détaillées par armée pour 1954-1962. En 1955 est ainsi décidé un programme de réformes qui sera réalisé en près de vingt ans
30L’ambition du plan jaune remanié en 1955 est réduite par la direction du Budget, car elle le juge irréalisable. Un compromis est trouvé fin 1955 sur un plan d’organisation et de développement des forces armées (tranche 1957-1958) appelé plan orange. Le Conseil supérieur des forces armées du 20 janvier 1956 l’accepte. Le Conseil craint toutefois des compressions budgétaires lors de l’exécution du plan. À l’inverse du premier PLT de 1954 qui pouvait espérer bénéficier des dividendes de la paix (après la fin de la guerre d’Indochine), le plan (orange) à long terme de 1956 doit tirer les conséquences de l’aggravation des « évènements » en Algérie et répondre à une « reconversion rendue nécessaire par la situation en Afrique du Nord42 ». Le PLT doit d’abord permettre de gagner la « guerre » d’Algérie. Les armées étudient donc, entre mars et octobre 1956, « les matériels susceptibles d’entrer en service entre 1960 et 1965 et d’influer sur la forme des opérations43 »
31Cette version de 1956 du PLT fixe également un horizon atteignable pour la réalisation d’armes nucléaires nationales et définit, en creux, une nouvelle stratégie de défense française. Une nouvelle version du PLT, arrêtée en mars 195744, intègre plus clairement les conséquences de la nucléarisation des forces. Puis, pendant le ministère de Jacques Chaban-Delmas, ministre de la Défense nationale et des Forces armées de novembre 1957 à mai 195845, il est à nouveau beaucoup question de réorganisation majeure de la défense nationale. La séance du 6 février 1958 du Comité de défense nationale marque notamment un tournant. En effet, elle prévoit, pour établir un plan quadriennal 1959-1962 de réformes, de « chiffrer les moyens d’accomplir les missions prévues en les classant dans l’ordre de priorité valable pour cette période ; [et] compte tenu des plafonds annuels des dépenses militaires, [de] soumettre à un nouveau Comité de défense nationale le bilan de cette étude46 ». Elle lance ainsi les travaux concrets d’élaboration d’une loi de programme qui tirerait toutes les conséquences de la nucléarisation des forces à venir qui devient la priorité. Surtout, cette réunion consacre une méthode de programmation : définir des missions stratégiques interarmées et en adéquation avec une future arme nucléaire, tout en les faisant rentrer dans un cadre budgétaire préétabli en accord avec les Finances. Il ne s’agit plus de recueillir les desiderata de chaque armée et ensuite tenter de les faire financer. Auparavant, le schéma était : les armées d’abord, les missions ensuite, les finances enfin. Désormais, ce sont les finances d’abord, les missions ensuite, les armées enfin
Les finances d’abord, les missions ensuite, les armées enfin 1958-1973
32Le PLT de 1954 profite du retrait français d’Indochine pour tenter de réformer les armées, puis, en 1955-1956, il est modifié à la fois pour les budgétaires et pour tenir compte du développement de la révolte anticoloniale en Algérie. En 1957-1958, le PLT est à nouveau réorienté, cette fois vers la priorité nucléaire. Ces plans constamment remaniés restent, sous la Quatrième République, à l’état de projets. Une loi de programme s’avère nécessaire pour construire l’arsenal nucléaire47 et éviter « les coups d’accordéon48 » financiers subis entre 1950 et 1958
La première loi de programme 1960-1964 : la priorité au « nucléaire »
33La crise politique de 1958 n’est pas favorable à l’adoption prochaine d’une loi de programme. La guerre d’Algérie complique, elle, la rédaction d’un PLT réaliste. Enfin, la nomination de De Gaulle président du Conseil n’efface pas immédiatement les anciennes habitudes de planification et les ambitions concurrentes des armées. Seule une décision de l’exécutif confirmée par le législatif permettrait de surpasser l’autorité des chefs d’état-major et d’unifier le système de défense nationale autour de l’arsenal nucléaire (avions à réaction porteurs de bombes nucléaires, missiles, sous-marins à propulsion nucléaire)
34Les tractations chiffrées autour du PLT se poursuivent durant l’année 1958. Une fois arrêtés les cadres financier (une enveloppe de 1 500 Md annuels), méthodologique (loi de programme à rédiger) et stratégique (instruction personnelle et secrète du président du Conseil de 195849 (voir le chapitre 2) et réflexions en Conseils de défense), une directive ministérielle du 21 novembre 1958 commande à chaque armée de chiffrer son plan à long terme, en supposant une fixité des prix, des traitements et du taux d’indemnités sur la période, et en prévoyant une marge de sécurité pour les imprévus et les réévaluations techniques50
35La valse des chiffrages, des rabotages et des arbitrages avec le Budget fait de l’année 1959, une année stérile pour la programmation (voir le chapitre 3). Par ailleurs, des considérations de politique industrielle entrent également dans l’équation. Réduisant les marges de manœuvre financières et gênant les restructurations industrielles, la prise en compte des plans de charge dans l’industrie aéronautique, la volonté de limiter les tensions dans les chantiers navals et le maintien d’usines sans activité dépendantes de la direction des Études et Fabrications d’armement51 modifient, en 1959, l’objet, la nature et l’ampleur du projet initial de loi de programme
36Pierre Messmer, en arrivant le 5 février 1960 rue Saint-Dominique, « hérite du projet préparé par Pierre Guillaumat [son prédécesseur] […] et des difficultés qui subsistent52 ». De nouvelles estimations financières du PLT sont réalisées en janvier-février 1960 tenant compte du cadre budgétaire décidé pour 196153
37L’essai Gerboise bleue réussi de bombe A à Reggane (13 février 1960) va, lui, détruire le PLT en cours et faire naître un nouveau projet de loi de programme. En effet, alors qu’une hiérarchie des missions interarmées fait toujours défaut, le général de Gaulle fixe une priorité absolue : le nucléaire. Le 26 février 1960, un comité interministériel composé de Messmer, du chef d’état-major général des armées Ély, du ministre des Finances et des Affaires économiques Baumgartner et du Premier ministre Debré arbitre des ressources en faveur du nucléaire. Celles-ci sont confirmées lors du Comité de défense du 11 mars 1960 qui porte sur les engins, les possibilités d’aide américaine et la programmation. Il est également prévu de construire l’usine d’enrichissement d’uranium à Pierrelatte
38Le tableau suivant résume les différents chiffrages depuis septembre 1959 jusqu’à fin mars 1960 :
Tableau 1. Récapitulatif des estimations de la planification et de la programmation entre septembre 1959 et fin mars 1960 (en millions de nouveaux francs courants)
Autorisations de programme (AP) | Crédits de paiement | |
Version du 4 sept. 1959 | ||
Planification | 34 071 | 31 000 |
Loi de programme | 12 350 | 8 556 |
Version de janvier 1960 | ||
Planification | 31 000 (y compris les AP pour imprévus) | 30 595 |
Loi de programme | 10 966 | 8 706,5 |
Version de fin mars 1960 | ||
Planification | 31 000 | 30 595 |
Loi de programme | 10 736,5 | 8 317,2 |
Source : SHD, 20 R 121, Lettre du ministre des Armées au ministre des Finances et des Affaires économiques, 31 mars 1960
39En vue du Comité de défense du 9 juin 1960, la division Études générales de l’État-major général des armées chiffre quatre scénarios différents de physionomie des forces au 1er janvier 1965 et au 1er janvier 1970, en fonction de spéculations sur la durée du conflit algérien, sur les progrès réalisés au CEA54 et sur le rythme de la revalorisation de la condition militaire. Les hypothèses sont plutôt pessimistes pour les forces classiques (celles qui ne servent pas les armes nucléaires) de l’armée de l’Air et de la Marine, qui seraient très affectées par les réductions des programmes d’équipements, et prévoient un retard probable dans la revalorisation. Le Comité de défense du 9 juin 1960 ne retient que le premier scénario et décide de financer la construction de l’usine de Pierrelatte « par les abattements proposés sur le projet primitif de loi-programme d’équipement militaire, par le report de la construction du troisième porte-avions, par une réduction du service militaire liée à une diminution progressive des effectifs globaux en Algérie à prévoir dans le courant de l’année 196155 ». Les réductions budgétaires sont moindres que celles décidées le 9 mai 196056, mais sont ensuite aggravées en raison de nouvelles estimations produites par le CEA57 En conséquence, une autre version de la loi de programme est établie à la date du 16 juin 1960, alors que l’avant-projet de loi a déjà été déposé en avril à la commission de la Défense nationale. Après ce Comité de défense, les crédits du CEA sont examinés à la loupe pour y chercher des économies, les Armées finançant en effet une partie de l’activité du CEA
40Le Gouvernement de Gaulle entend utiliser une loi de programme telle que définie dans la Constitution du 4 octobre 1958. Il est en effet indiqué à l’article 34 que « des lois de programme déterminent les objectifs de l’action économique et sociale de l’État58 », sans préciser les modalités de mise en œuvre de ces objectifs. Ce type de loi ne concerne pas non plus explicitement la défense. L’article 70 prévoit, lui, que le Conseil économique et social donne son avis sur toute loi de programmation financière, mais il n’examine pas les lois de programme militaires. Ces deux derniers articles sont l’œuvre de Michel Debré, en fin de rédaction de la Constitution59 Les lois de programme prévues dans la Constitution de 1958 représentent une double nouveauté. D’une part, elles regroupent les autorisations de programme éparses60 D’autre part, elles bénéficient désormais d’un fondement constitutionnel qui leur donne – a priori – plus de poids. Cependant, seules les autorisations de programme votées annuellement avec la loi de finances initiale engagent l’exécutif. Ceci a pour conséquence un réexamen annuel de la loi de programme. Malgré ce défaut, les lois de programme constituent un outil des finances publiques très prisé : quatorze61 ou quinze62 lois de ce type sont adoptées pour des questions civiles entre 1959 et 1962 (dans les domaines les plus divers : pour l’équipement scolaire, universitaire, agricole et énergétique, et la recherche scientifique civile, dont deux lois-programmes sur le nucléaire civil 1952-1957 et 1957-1962), puis seulement cinq entre 1965 et 1978
41Dans le domaine militaire, le rôle de Debré, Premier ministre, dans le choix du recours à une loi de programme, donc à un texte législatif, paraît décisif, même si l’idée est avancée dès 1955. Debré aurait ainsi proposé au général de Gaulle une sanction législative « pour marquer, dans les textes, notre résolution63 ». Peut-être que le général de Gaulle a également été convaincu par le général Ailleret. Dans les souvenirs de ce dernier, il est relaté que le chef d’état-major général des armées, Lavaud, demande en novembre 1959 au général Ailleret, chef du Commandement des armes spéciales, d’expliquer, dans une conférence à l’École supérieure de guerre et devant de Gaulle, que les programmes de financement pluriannuels sont nécessaires64 Il s’agit de poser la question de l’avenir des armées devant la représentation nationale. De Gaulle, d’après Messmer, « pense que ce débat – le “grand débat” écrira Raymond Aron en 196265 – est nécessaire et salubre66 ». Messmer explique aussi que le Général « juge qu’une loi est nécessaire, politiquement, pour rendre plus solennelle sa décision et obliger un Parlement rétif à s’y rallier ; [et] militairement, pour bien affirmer les priorités et imposer aux forces armées les réorganisations qui en découlent67 ». La loi (de programme) apparaît ainsi comme le moyen de forcer les blocages des parlementaires et des militaires contre la force nucléaire stratégique. Il faut rappeler que le départ de De Gaulle en janvier 1946 a été dû en grande partie au refus par l’Assemblée consultative provisoire de lui accorder les crédits militaires souhaités. Il ne souhaite sans doute pas revivre la même expérience. Cependant, cette fois, les règles de fonctionnement de la nouvelle République sont en sa faveur
42Signe de l’importance du sujet, le Premier ministre, lui-même, présente le projet de loi de programme relative à certains équipements militaires lors de la séance du 18 juillet 1960 à l’Assemblée nationale. Tous les efforts du Gouvernement et des militaires favorables au nucléaire devant les commissions parlementaires et auprès des parlementaires durant l’année 1960 ne convainquent pourtant pas. La teneur (critique) du rapport de la commission de la Défense nationale de l’Assemblée nationale fuite dans la presse68 La discussion parlementaire69 se déroule du 13 octobre au 6 décembre. Plusieurs amendements sont déposés pour rééquilibrer l’effort en faveur des forces conventionnelles à moderniser. La commission de la Défense de l’Assemblée nationale donne un avis défavorable en deuxième lecture, alors qu’elle avait donné un avis critique mais favorable en première lecture. Le Sénat s’oppose à deux reprises au texte. La commission mixte paritaire échoue à établir une version de compromis. Le Gouvernement engage sa responsabilité à trois reprises en utilisant l’alinéa 3 de l’article 49 de la nouvelle Constitution, arme hautement dissuasive. Les trois motions de censure sont rejetées. Le projet est considéré comme définitivement adopté le 8 décembre. Dans les faits, aucune des deux Chambres n’approuve le projet de loi par un vote positif. Le Parlement, probablement majoritairement hostile à la voie strictement nationale de la nucléarisation des forces, sans pour autant refuser catégoriquement l’idée de la France puissance nucléaire, n’a pas pu voter sur le projet70
43La question du nucléaire militaire français, en débat depuis 1954 au moins, divise les parlementaires, et notamment les gaullistes de l’Union pour la nouvelle République. Le MRP hésite. Les indépendants sont, eux, atlantistes et européens, tout comme les socialistes, qui s’opposent à la bombe française. Les communistes refusent l’arme nucléaire. L’extrême droite dénonce le sacrifice des armées traditionnelles au profit de l’ambition nucléaire et les crédits manquants pour la guerre d’Algérie. Tous les opposants arguent du fait que la création d’une armée nucléaire est hors de portée des moyens financiers du moment. Pour certains, elle est le fait du prince. Pour beaucoup, elle risque à la fois d’isoler la France sur le plan diplomatique, de fâcher l’allié américain, de fragiliser le camp occidental, d’empêcher une union européenne militaire, de lancer une prolifération nucléaire, voire de favoriser un conflit atomique. Il faut reconnaître un certain courage politique pour proposer une loi de programme de quatre ans pendant un conflit dont on ne connaît pas l’issue, à des parlementaires hostiles et pour tenter de réaliser un système d’armes encore jamais conçu jusque-là, et donc au coût prévisionnel très approximatif
44La programmation des débuts de la Cinquième République n’est donc pas la panacée aux maux des armées. Au contraire, le Gouvernement utilise une loi de programme pour sanctionner les économies à réaliser au détriment des armements conventionnels, car il souhaite construire l’arsenal nucléaire sans augmenter l’enveloppe budgétaire des Armées. La loi de programme de 1960 ne concerne réellement qu’un seul type d’armement comme sous les Républiques précédentes. Après un temps d’espoir (1950-1960), les militaires voient leurs rêves de modernisation des équipements conventionnels détruits par l’explosion de Reggane. En outre, la nucléarisation des forces voulue par le Gouvernement impose aux états-majors une révolution militaire. Comme l’écrit Pierre Messmer, « l’armée de Terre, non sans raison, se juge défavorisée. Pour la première fois dans notre histoire, l’armée de Terre n’a plus la priorité. Ce n’est pas seulement un choix technique ; c’est une révolution culturelle. On comprend dès lors que le débat parlementaire a été difficile71 » L’armée de Terre, ayant la plus longue tradition d’autonomie, représentant la plus grande masse financière et n’étant pas directement concernée par la nucléarisation, a en effet le plus à perdre. Le chef d’état-major de l’armée de Terre et le délégué ministériel pour l’armée de Terre s’opposent clairement à toutes nouvelles économies sur leur budget, en raison des évènements d’Algérie72 L’armée de l’Air, malgré la perspective d’avions à réaction et de missiles nucléaires, ne peut, elle, faire aisément le deuil du renouvellement de ses équipements
45La bombe A française, qui permet d’envisager le déploiement de tout le système d’armes nucléaires, ébranle les structures des forces et l’équilibre entre les armées. La loi de programme acte donc dès 1960 la défaite des généraux73 et aussi celle des parlementaires face à l’exécutif de la Cinquième République. Le Parlement et les états-majors n’ont plus le choix des armes. Ce bouleversement dans les rapports de force (voir le chapitre 2) se confirme lors de la préparation de la deuxième loi de programme
La deuxième loi de programme 1965-1970 : les deux tiers des investissements des Armées sont programmés
46La période 1961-1964 de préparation de la deuxième loi de programme n’est qu’un long chemin de croix pour les états-majors. En 1961, à peine votée la première loi de programme, est opérée la remise en cause des ambitions à long terme des armées. L’année 1962, qui voit la fin du conflit algérien, ouvre la possibilité d’une déflation massive des troupes et de leurs officiers, laissant espérer à terme des crédits disponibles pour le nucléaire. Mais l’enveloppe financière attribuée à la programmation reste inchangée. L’année 1963 est entièrement consacrée à la recherche d’économies pour financer les nouveaux projets nucléaires et les surcoûts. Cette année-là est inauguré un nouveau schéma décisionnel vertical avec la création du Comité directeur du plan et du Groupe central du plan. En 1964 le projet de loi est finalisé mais les projections des Armées ne concordent pas avec celles du Commissariat général au Plan et du ministère des Finances
47Les estimations sont produites principalement par les états-majors, par la direction des Programmes et des Affaires industrielles de la Délégation ministérielle pour l’armement (DMA), la direction des Services financiers du Secrétariat général pour l’administration (SGA) et la division Plans-Programmes de l’État-major des armées (Ema). Elles sont examinées par le Conseil de défense, le Comité directeur du plan et le Groupe central du plan. Plusieurs séances de ces instances sont nécessaires pour arriver à des compromis, à des arbitrages, à une enveloppe financière (arrêtée le plus souvent en Conseil de défense) et, enfin, à un projet de loi
48La première loi de programme ne concernait qu’une partie des investissements à réaliser pour les Armées (environ un tiers de ceux prévus dans le PLT) et qu’indirectement l’effort à fournir en Algérie. Ce sont près des deux tiers de tous les investissements militaires qui sont programmés dans la deuxième loi (55 Md74 programmés et 25 Md hors loi de programme)
49Selon Messmer75, la prise en compte de certains projets majeurs de chacune des armées, mais aussi l’acclimatation des militaires, depuis 1960 au moins, à l’idée d’une programmation et à la nucléarisation des forces favorisent l’acceptation par ceux-ci de la deuxième loi de programme. En outre, la fin de la guerre d’Algérie éclaircit la stratégie et permet, mais à partir de 1964 seulement, une redistribution des crédits entre le titre III (dépenses de fonctionnement) et le titre V (dépenses d’investissement) du budget de la Défense, entre les armées et en faveur du nucléaire plus cher que prévu
50Malgré ces éléments, la préparation de la programmation reste totalement insatisfaisante pour tous les acteurs (ministres, militaires, parlementaires, budgétaires). L’élaboration de la deuxième loi de programme n’est pas plus sereine que celle de la première. Seuls les acteurs ont changé (voir le chapitre 2). Les états-majors effectuent toujours un travail de Sisyphe qui n’aboutit qu’à des plans minorés. À l’échelon supérieur, le SGA avec sa direction des Services financiers (DSF) et l’Ema avec sa division Programmes, mais également le chef d’état-major particulier du président de la République sont conscients que les ressources déterminent les besoins – et non l’inverse –, mais ils acceptent que la loi de programme ne soit qu’un cadre financier irréaliste. Le chiffrage de la loi provoque également des tensions au sein du Gouvernement. Le chef de l’État n’est pas le chef d’orchestre de la préparation de la loi de programme mais un deus ex machina. Il intervient en dernier ressort pour trancher des enveloppes budgétaires et dénouer une situation devenue inextricable
51À la veille de la discussion parlementaire, en décembre 1964, l’équation paraît insoluble. Les nouveaux objectifs du PLT prévoient un montant de près de 150 Md de francs 1964, or l’enveloppe octroyée aux Armées est de 146-147 Md, et celle prévue pour les militaires dans le 5e Plan civil se monte à 144 Md de francs 1965. En outre, il n’est pas question, en cours d’exécution de la loi, de réévaluer l’enveloppe globale pour contrebalancer des hausses de prix pourtant prévisibles. Enfin, les effectifs militaires sont arrivés à un étiage. L’inadéquation entre les moyens alloués et les besoins est flagrante. Le futur qui ressort des années de négociations 1961-1964 n’est guère plus favorable aux armées que celui proposé par la loi de programme de 1960. Des critiques (les militaires, le ministre, la majorité parlementaire) s’expriment sur la faisabilité, dans l’enveloppe prévue et selon les perspectives financières probables, du nouveau système d’armes. Avant même le passage devant le législatif, tous savent que cette loi ne programme que des désillusions
52Par ailleurs, le budget pour 1965 est adopté définitivement le 3 décembre 1964 (après une commission mixte paritaire). Cette loi de finances pour 1965, première du PLT 1965-1970, précède de peu le vote de la loi de programme (promulguée le 23 décembre 1964) et la contraint déjà
53Le projet de loi tient en quatre articles (contre cinq dans la première loi). L’article premier en expose les objectifs : « L’équipement des forces armées organisé par la loi du 8 décembre 1960 sera poursuivi afin de développer la modernisation de l’ensemble des armements et de doter les armées d’un armement stratégique thermonucléaire utilisable à partir de plates-formes terrestres ou sous-marines. » La deuxième loi de programme se situe nécessairement dans le sillage des choix inscrits dans la première. L’article 2 fixe la répartition des montants (globaux pour la période) entre six secteurs. Tout le contenu du programme réside en réalité dans l’exposé des motifs. L’article 3 prévoit que des modifications puissent intervenir lors des lois de finances annuelles. C’est une évidence pour tous (parlementaires, budgétaires, militaires et ministres). Cela signifie également que le titre III et le hors programme restent des variables d’ajustement annuel. Enfin, l’article 4 oblige le Gouvernement, comme lors de la première loi de programme, à livrer au Parlement un compte rendu annuel d’exécution
54La discussion parlementaire de cette loi de programme est moins houleuse que lors de la première loi de programme. Cette fois, le Gouvernement n’a pas à engager sa responsabilité politique sur le texte. Cependant, en dépit depuis fin novembre 1962 d’une majorité absolue gaulliste à l’Assemblée, d’un exposé des motifs partiel aux mots choisis76, de réponses imprécises du ministre aux parlementaires et du choix de rapporteurs parlementaires tout acquis aux vues de l’exécutif, le Gouvernement a tout de même besoin de recourir au vote bloqué (et à l’« urgence déclarée » alors que le projet de loi est en préparation depuis 1961) à l’Assemblée et au Sénat qui refuse le texte en première et deuxième lectures. Conscients des imperfections récurrentes des lois de programme qui leur sont présentées, les députés ne peuvent que rejeter ou approuver en bloc le projet de loi soumis. Comme lors de la phase parlementaire de la première loi de programme, le travail législatif, en commissions puis en séances, devient inutile. Seul l’acte du vote compte. Ainsi, à Alain Peyrefitte, ministre de l’Information, qui l’interroge le 25 novembre 1964 : « La loi-programme militaire va bientôt venir devant le Parlement. On s’étonne que vous ayez précipité les choses », le Général aurait répondu : « Inutile de traîner ! Il faut que la France marque sa volonté. La loi une fois votée, le fait est accompli77 » Dans l’esprit du président, il s’agit seulement de respecter les formes parlementaires. Le nucléaire français est un fait accompli depuis 1960, le renouvellement des fonds nécessaires à son achèvement ne peut être qu’une formalité. Enfin, la loi de programme a valeur de symbole pour prouver au monde la volonté résolue du pays de disposer rapidement d’une dissuasion nucléaire opérationnelle
La troisième loi de programme 1971-1975 : tous les équipements et armements sont programmés
55À l’instar de la deuxième loi de programme dont la préparation débuta très tôt (dès 1961), le projet de troisième loi de programme 1971-1975 est amorcé dès 1966. Il doit tenir compte des ajustements décidés au lendemain du vote de la deuxième loi, fin 1964. À partir de 1965, il est acquis que tous les ans le PLT doit être revu en fonction des conditions de son exécution et de la conjoncture financière. L’État-major des armées synthétise les propositions de révision du deuxième PLT en février de chaque année78 Le PLT est ainsi réexaminé durant l’année 1965 en fonction des rapports de l’État-major des armées, de la Délégation ministérielle pour l’armement et de la direction des Services financiers jusqu’à fin 1965. Le PLT est à nouveau modifié en janvier 1966 et les armements et équipements conventionnels font, une nouvelle fois, les frais des surcoûts engendrés par les armes nucléaires
56La loi de programme révisée pour la période 1967-1970 ainsi que le schéma du futur plan 1971-1975 sont présentés à l’approbation d’un Conseil de défense du mois de juin 196679 Ensuite, deux éléments vont bouleverser ce qui n’est encore que des prévisions globales pour 1967-1975 : la décision en décembre 1966 de produire l’arme nucléaire tactique (ANT), et l’instruction personnelle et secrète (du président) de janvier 1967 qui donne aux armées des objectifs stratégiques généraux mais relativement précis en matériels à horizon 1980 (voir le chapitre 2). Les travaux préparatoires du troisième PLT se poursuivent au cours de 1967 avec des études à sept puis cinq hypothèses de rythme de réalisation
57« Tout ne peut pas se calculer, car tout ne peut pas se prévoir : nous raisonnons sur des hypothèses, sur des conditions d’un conflit que nous devons totalement imaginer. Nombre de ces hypothèses présentent donc un caractère plus ou moins subjectif… ou routinier80 » C’est en ces termes que le délégué ministériel pour l’armement (et prochain chef d’état-major des armées) Fourquet présente, en mai 1967 dans la Revue de défense nationale, la méthode de programmation par hypothèses. Le délégué ministériel oublie de mentionner les contraintes budgétaires
58Avec des besoins estimés jusqu’à 230 Md pour 1971-1975 et des ressources escomptées à près de 180 Md en début 1967, plusieurs hypothèses sont retenues en 1968-1969 : H2a par le Conseil de défense de mars 1968 (175 Md), actualisée en janvier 1969, puis H3 par le Conseil de défense de mars 1969 (176,2 Md), enfin H3 (à 176,7 Md) demandée aux états-majors en avril 1969. La méthode des hypothèses n’est en rien révolutionnaire et présente plusieurs avantages. Elle permet de faire intégrer en amont par les états-majors les contraintes financières. Elle doit éviter à l’État-major des armées de trancher, en avant-dernier ressort – le dernier ressort étant le Conseil de défense –, entre les programmes des différentes armées. Ces différentes estimations doivent enfin permettre de mieux négocier (à la baisse) avec les Finances, en connaissant à l’avance les conséquences d’une enveloppe plus réduite que souhaitée. Tout ce travail, finalement classique d’ajustement des besoins aux moyens, va être remis en question avec l’installation de Michel Debré à l’hôtel de Brienne en juin 1969
59Conscient que le bilan des deux premières lois de programme sera globalement médiocre, soucieux de marquer son arrivée rue Saint-Dominique par des réformes profondes81 dont celles de la prévision militaire, et enfin ignorant volontairement les insuffisances du système de planification-programmation-préparation du budget (3PB) (voir le chapitre 5), Michel Debré propose une programmation par missions. Les évaluations financières doivent désormais correspondre à cinq scénarios de missions : de M1 (mission minimale de défense de la Métropole) jusqu’à M5 (c’est-à-dire M3 avec en plus des possibilités d’intervention dans le monde et de frappe nucléaire dans le monde), M3 étant la mission de défense de la Métropole, de l’outre-mer et de la libre circulation en Atlantique
60À la fin de l’année 1969, trois principales estimations d’enveloppe subsistent82 : 177 Md, montant confortable et conforme au Conseil de défense de mars 1969, confirmé lors d’une réunion de synthèse du 6 novembre 1969 ; 168 Md, niveau plancher du chef d’état-major des armées ; 160 Md, enveloppe mentionnée par le ministre dans sa directive du 12 décembre 1969 comme « la plus plausible83 ». Les Finances ont, de leur côté, proposé 155 Md en juillet 1969. Les travaux sur les programmes majeurs du plan 1971-1975 doivent être terminés au plus tard fin février 1970, afin d’entrer dans le schéma directeur du budget 197184 et d’être présentés au Conseil de défense de fin mars 197085
61À partir des estimations fournies par les états-majors d’exécution à « rythme lent » de la loi de programme, le Groupe central du plan chiffre, début février 1970, le PLT entre 182,5 et 192,7 Md (sans marge)86, puis entre 195 et 200 Md87 pour M3. Ce montant est extravagant dans le contexte économique, car il impliquerait une augmentation annuelle de 15 % du budget de la Défense et l’embauche de 100 000 ouvriers spécialisés supplémentaires pour les industries d’armement88 Sans plafond imposé, chiffrant les cinq missions prédéfinies, les armées proposent en ce début d’année 1970 des programmes exhaustifs. Elles essayent ainsi de récupérer les retards financiers de la dernière loi de programme, y compris les économies réalisées sur le titre III
62À la suite du Conseil de défense du 13 février 1970, le Groupe central du plan retient une enveloppe comprise entre 162 et 165 Md89 Le Comité directeur du plan (Secrétariat général pour l’administration, Délégation ministérielle pour l’armement, État-major des armées), et avant lui les états-majors, doit retravailler le projet de loi de programme sur une base de 162,5 Md90 Pourtant, après les états-majors, le Groupe central du plan et le Comité directeur du plan, la direction des Services financiers et la Délégation ministérielle pour l’armement argumentent encore, dans une fiche financière de mars 1970, en faveur d’un plan à 200 Md91
63Les évaluations se font par missions, sous-hypothèses, buts, menaces, objectifs, effectifs détaillés en temps de guerre et en temps de paix, effectifs à mettre sur pied en cas de mobilisation (pour l’armée de Terre). Accompagnée de nombreux graphiques, la masse documentaire est plus détaillée que lors des précédentes lois de programme, avec notamment un chiffrage année par année du titre III du plan ainsi qu’une évaluation des coûts par programme en rythmes lent et médian, par catégorie de forces et par titre budgétaire92 La multiplicité des estimations financières s’explique par l’ajustement aux conditions économiques du moment, par les modifications constantes de l’enveloppe en Conseils de défense, et par des décisions du ministre
64En 1970, les armées s’en tiennent à des évaluations qui correspondent, selon elles, à des minima incompressibles (à 200 Md pour 1971-1975), mais l’enveloppe budgétaire est déjà contrainte à 162,5 Md. Plus de 37 Md de différence entre les besoins exprimés et les possibilités offertes représentent un gouffre financier. Les objectifs minimaux de l’armée de Terre, définis par elle, ne seront du reste réalisés qu’à la condition qu’elle renonce à certains programmes et étale dans le temps certaines fabrications93 Les armées se livrent ainsi à un exercice utopique de prévisions de leurs besoins stratégiques à dix ans pour l’armée de Terre, quinze ans pour la Marine et l’armée de l’Air, car elles savent que ces prétentions sont d’ores et déjà compromises par les retards accumulés et par les réductions à venir qu’implique l’enveloppe budgétaire pour 1971-1975. Ainsi, le chef d’état-major de l’armée de Terre relate « la déception des officiers de [s]on état-major qui ont été chargés de mettre au point le présent travail et d’étudier le schéma directeur du budget 197194 ». Faire faire des estimations idéales pour ensuite les réduire à la portion congrue n’est pas forcément de bonne tactique. Dans ces conditions, la méthode de programmation par missions de Michel Debré n’a guère plus de chance de plaire aux états-majors que, avant lui, la méthode par hypothèses car, dans les conditions financières arrêtées, même la mission M1 est difficilement financée
65En vue du Conseil de défense décisif de mai 1970, la division Plans-Programmes présente le 19 mai 1970 une maquette de programmes à 168 Md
L’économie générale du plan proposé repose sur les données suivantes : les hausses des coûts des personnels et des matériels ont été supposées du même ordre que celles des dernières années, c’est-à-dire un peu supérieures à celles affichées par le Commissariat au plan, à savoir 7 % par an pour les dépenses ordinaires et 5 % par an pour les dépenses d’armement. Le titre III [86,3 Md] a été plafonné par une réduction des effectifs, de façon à empêcher l’écart actuel entre titres III et V [81,7 Md] de se creuser davantage au détriment de ce dernier ; cette diminution ne s’applique pas à la gendarmerie qui verra au contraire ses effectifs augmenter de façon sensible95 [5 000 gendarmes de carrière sur la période96 et environ 3 000 appelés97]
66En rabotant le titre V, on accroît le déséquilibre avec le titre III, que l’on plafonne alors en conséquence. C’est ainsi que toute l’enveloppe diminue. Le Conseil de défense décide une enveloppe pour le troisième plan militaire à 170 Md, ramenés à 168,5 Md par une économie de 1,5 Md sur les personnels (gendarmerie exclue)
67Entre, pour la période 1971-1975, 230 Md (estimation maximale des Armées, en janvier 1967) et 155 Md (proposition minimale du Budget en juillet 1969), il existe une large marge de négociations qui s’achèvent sur le compromis à 168,5 Md. L’enveloppe à 168,5 Md est le reflet du contexte budgétaire tendu et représente une certaine défiance du Gouvernement envers les estimations des militaires
68Le projet de loi de la troisième loi de programme est approuvé en Conseil des ministres du 29 juillet 1970. Le lendemain, Michel Debré donne une conférence de presse sur ce sujet. Le projet de loi est déposé en août à l’Assemblée nationale pour permettre une adoption avant la fin d’année. Il est adopté en première lecture à l’Assemblée en octobre et au Sénat en décembre. La loi est promulguée le 20 novembre 1970 avec quatre annexes : programmes d’armement détaillés, aspects financiers, conséquences industrielles, échéancier indicatif des crédits de paiement. À la différence des deux premières lois de programme, le Parlement adopte ainsi sans protester les montants de la loi de programme98 Le nucléaire militaire est presque réalisé et la doctrine du faible au fort moins contestée
69Cette loi de programme présente trois nouveautés. La ventilation des crédits est annexée à la loi et non pas seulement à l’exposé des motifs. Des baisses d’effectifs sont programmées. Tous les programmes des armées sont inscrits dans cette loi. En revanche, elle s’inscrit dans la tradition de la programmation depuis 1960. La fixation du volume des dépenses militaires pour 1971-1975 dépend en effet de considérations politiques, industrielles, diplomatiques et financières, mais assez peu des missions stratégiques et tactiques. Si la loi de programme ne résulte pas réellement des débats parlementaires, elle reste le produit de la confrontation de points de vue opposés (militaire, budgétaire, politique). À la différence de la préparation du budget dont les chiffres tournent à la façon d’un « jeu de l’oie99 », et malgré les précédents, les programmes ne sont pas discutés selon une procédure bien normalisée. En dépit de l’essai de programmation par missions avec Debré, il s’agit bien toujours d’une programmation par hypothèses, conjectures, rabais, compromis, arbitrages présidentiels et désillusions successifs. Enfin, cette loi de programme, comme les précédentes, ne permet qu’imparfaitement de moderniser les armées. La programmation depuis dix ans sert surtout à brider les ambitions des états-majors et à rechercher des économies en faveur du nucléaire
Conclusion
70Après la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte favorable à la planification, les armées patientent jusqu’en 1950 pour amorcer leur réarmement, qui est réalisé sous perfusion américaine. Les programmes d’alors ne manquent pas d’ambition mais plutôt d’un plan stratégique d’ensemble. La rédaction en 1954-1955 d’un plan à long terme intégrant à la fois les trois armées, la possibilité d’un conflit nucléaire et des plafonds de ressources affectées à la défense constitue une étape déterminante mais non suffisante pour relancer la programmation. Les conflits coloniaux, la crise de l’année 1958 et le rôle de la France dans le schéma de défense de l’Otan retardent la mise en œuvre d’une programmation générale. Les atermoiements de la programmation reflètent également les hésitations de la stratégie française entre 1945 et 1960
71L’essai réussi de bombe atomique en 1960 et les sommes qu’il va falloir engager pour développer tout l’arsenal nucléaire de la dissuasion obligent l’exécutif à présenter publiquement ses projets nucléaires. Ensuite, l’efficacité de la dissuasion commence par la publicité des moyens de défense. Enfin, le passage par la voie parlementaire est envisagé, car la Constitution offre la possibilité de contourner les oppositions parlementaires. Si la nucléarisation des forces françaises cherche par-là une caution démocratique, la politique de défense reste décidée par une poignée d’individus (voir les chapitres 2 et 3)
72Une fois lancée, la programmation militaire essaye quatre méthodes de prospective financière différentes entre 1966 et 1973. Sous Messmer, la programmation quinquennale à horizon fixe de programmes d’équipement en fonction d’hypothèses de ressources budgétaires. Puis, sous Debré, la programmation quinquennale à horizon fixe qui hiérarchise les missions en fonction des possibilités financières (1969) est un échec. Une programmation quinquennale à horizon glissant, c’est-à-dire ajustable constamment, sous la forme d’un programme militaire à cinq ans, est également réalisée en 1970, mais reste un simple décalque de la loi de programme (voir le chapitre 5). Enfin, la planification décennale et à quinze ans à horizon fixe (les plans à long terme) ne sert pas à programmer le moyen terme et ne produit que des plans sur la comète. Aucune méthode n’a donné satisfaction
73Au-delà de l’affichage politique, percluse de contradictions, la programmation des années 1960 s’inscrit pleinement dans la tradition de la planification militaire : constamment entre espoirs et déceptions, en tension entre le souhaitable et le possible. Ces années 1960-1973 forment cependant une période exceptionnelle, dans l’histoire longue, en raison de la continuité et de l’ambition de la programmation alors pratiquée
74Comment sont négociées les lois de programme avec le ministère des Finances ? Quels sont les obstacles à leur exécution intégrale ? Une autre façon de programmer les dépenses de défense est-elle possible ? Quel est le bilan matériel, financier et moral de la programmation pratiquée entre 1960 et 1973 ? Et, pour commencer, la programmation ne sert-elle pas, avant toute autre chose, les desseins du gaullisme militaire ? Les cinq chapitres qui suivent tentent de répondre à ces questions
Organigramme 1. Les acteurs de la programmation aux Armées durant les années 1960
Organigramme 2. Les acteurs de la programmation militaire au sein de l’État durant les années 1960
Notes de bas de page
1 Premier plan naval du ministre Portal de 1820 pour onze ans.
2 Voir par exemple Vincent Cattoir-Joinville, « Annualité budgétaire et financement de la défense nationale dans la doctrine publiciste sous la Troisième République », dans Jacques Aben et Jacques Percebois (coord.), Le fardeau de la sécurité : Défense et finances publiques, actes du colloque international des 8 et 9 juin 2000, à Montpellier, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 309-332.
3 Sur l’histoire des programmes dans l’entre-deux-guerres, lire Robert Frank, « La direction du Budget face au réarmement 1937-1939 », dans La direction du Budget entre doctrines et réalités, 1919-1944, actes de la journée d’études tenue à Bercy le 10 septembre 1999, Paris, CHEFF, 2001, p. 386-390 ; id., La hantise du déclin : le rang de la France en Europe, 1920-1960. Finances, défense et identité nationale, Paris, Belin, 1994 ; Pierre Hoff, Les programmes d’armement de 1919 à 1939, Vincennes, Service historique des armées, 1982, dactylogr. ; Robert Jacomet, L’armement en France 1936-1939, Paris, La Jeunesse, 1945.
4 Ce procédé est repris dans une loi du 30 mars 1947 avec des autorisations d’engagement de crédits au bénéfice d’un programme donné et qui demeurent valables aussi longtemps qu’elles sont nécessaires.
5 Voir Emmanuel Chadeau, « Volume et emploi des dépenses aéronautiques 1945-1950 », RHA, 148, 1982/3, p. 29-39.
6 Hugues Tertrais, La piastre et le fusil..., op. cit.
7 Sur les relations américano-françaises, voir Éric Branca, L’ami américain. Washington contre de Gaulle 1940-1969, Paris, Perrin, 2017.
8 Sur les aides américaines, voir Gérard Bossuat, Les aides américaines économiques et militaires à la France 1938-1960. Une nouvelle image des rapports de puissance, Paris, CHEFF, 2001.
9 La thèse de doctorat de Sandrine Dauchelle nuance selon les trois armées l’impact de l’aide américaine pour la reconstitution d’une industrie de défense française : limité pour les armements terrestres, capital pour les systèmes d’armes de la Marine, décisif pour le réarmement aéronautique (avec une efficacité telle que les Français deviennent des concurrents des Américains à la fin de la Quatrième République). Sandrine Dauchelle, Le rôle des États-Unis dans la reconstruction d’une industrie française d’armement après la Seconde Guerre mondiale (1945-1958), doctorat, histoire, sous la direction de Dominique Barjot, université Paris 4-Sorbonne, 2006, 3e partie.
10 Voir Jacques Aben et Christophe Cottin, « La IVe République entre le “beurre” et les “canons », dans Maurice Vaïsse (dir.), La IVe République face aux problèmes d’armement, actes du colloque organisé les 29 et 30 septembre 1997 à l’École militaire, Paris, Addim, 1998, p. 27-46 et les séries en annexes.
11 Jean Delmas, « Réflexions sur la notion de puissance militaire à travers l’exemple français 1945-1948 », dans Robert Frank, René Girault (dir.), La puissance française en question 1945-1949, Paris, Publications de la Sorbonne, 1988, p. 273-288.
12 Sur l’industrie aéronautique entre 1945 et 1950, lire Herrick Chapman, State Capitalism and Working-Class Radicalism in the French Aircraft Industry, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1991.
13 Plans Tillon de 1945, Lechères de 1948, Ramadier de 1949.
14 SHD, 1 Q 4, Note anonyme, Étude sur le programme quinquennal de constructions aéronautiques (Air et Aéronavale), 24 janvier 1950.
15 SHD, 9 R 554, Exposé des motifs du projet de loi visant à l’adoption d’un programme quinquennal de construction aéronautique, s. d.
16 SHD, 9 R 554, voir, dans le compte rendu analytique officiel de la discussion à l’Assemblée nationale du 28 juillet 1950, la réponse du secrétaire d’État aux Forces armées-Marine, Monteil, au sénateur Madelin ainsi que l’exposé des motifs du projet de loi visant à l’adoption d’un programme quinquennal de construction aéronautique, par André Maroselli, secrétaire d’État aux Forces armées-Air, s. d. [juin 1950].
17 Jean Soissons, « Les programmes aéronautiques sous la IVe République », dans Maurice Vaïsse (dir.), La IVe République…, op. cit., p. 407-410.
18 Patrick Facon, « Le réarmement de l’armée de l’Air 1948-1954 », dans Maurice Vaïsse (dir.), La IVe République…, op. cit., p. 123-124.
19 Sur l’industrie aéronautique, voir les travaux de Claude Carlier, notamment L’aéronautique française 1945-1975, Paris/Limoges, Lavauzelle, 1983.
20 Claude Carlier, « La genèse du programme Mirage », dans Maurice Vaïsse (dir.), La IVe République…, op. cit., p. 411-422.
21 SHD, 1 Q 4, Exposé des motifs et projet de loi visant à l’adoption d’un programme quinquennal de fabrications d’armements, s. d.
22 Ibid.
23 Ibid.
24 Ibid.
25 Voir sur l’aspect recettes (à trouver) de ce programme d’armement, Frédéric Tristram, Une fiscalité pour la croissance. La direction générale des Impôts et la politique fiscale en France de 1948 à la fin des années 1960, Paris, CHEFF, 2005, p. 195-210.
26 Jacques Aben et Christophe Cottin, « La IVe République entre le “beurre” et les “canons », dans Maurice Vaïsse (dir.), La IVe République…, op. cit., p. 30.
27 Pour la Marine sous la IVe République, lire Philippe Vial, « Le réarmement de la Marine sous la IVe République : des avantages de l’aide, des inconvénients de la dépendance », dans Maurice Vaïsse (dir.), La IVe République…, op. cit., p. 129-155.
28 Philippe Strub, « La renaissance de la Marine française sous la Quatrième République 1945-1956 », Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin, 25/1, 2007, p. 197-206, paragraphe 25 sur https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin1-2007-1-page-197.htm.
29 Charles Ailleret, Souvenirs et réflexions. L’aventure atomique française, Paris, Grasset, 1968, p. 165-166.
30 « Nous ne voulons pas risquer d’engager de grosses dépenses sur des matériels qui apparaîtraient périmés dans deux ou trois ans », cité par Baude, « Les budgets militaires », Revue de défense nationale, 114, mai 1954, p. 614.
31 Bertrand Goldschmidt, « La genèse et l’héritage », dans L’aventure de la bombe : De Gaulle et la dissuasion nucléaire 1958-1969, actes du colloque organisé à Arc-et-Senans par l’université de Franche-Comté et l’Institut Charles-de-Gaulle, les 27, 28, et 29 septembre 1984, Paris, Plon, 1985, p. 33.
32 Sur les débuts du nucléaire civil en France, voir notamment Cyrille Foasso, Histoire de la sûreté de l’énergie nucléaire civile en France 1945-2000 : technique d’ingénieur, processus d’expertise, question de société, doctorat, histoire, sous la direction de Girolamo Ramunni, université Lyon 2, 2003, chap. 2, http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2003.foasso_c&part=76151. Consulté le 11 janvier 2021.
33 Décision no 4070/EMFA/11.D.30 du 14 novembre 1953 et directives du général Ély chef d’état-major général des forces armées du 27 novembre 1953.
34 SHD, 1 Q 4, Rapport du général de corps d’armée Gonzales de Linares, inspecteur général de l’infanterie et président du comité Forces, 31 juillet 1954.
35 SHD, 1 Q 4, Plan (« plan jaune ») de réorganisation des forces armées mis à jour le 15 mars 1955.
36 Ibid.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 Ibid.
40 Ibid.
41 SHD, 1 Q 4, Plan de réorganisation des forces armées, annexe 4 Forces terrestres, s. d. [15 mars 1955].
42 SHD, 1 Q 4, Directive (ministérielle Bourgès-Maunoury) (EMFA, division Études générales) de politique militaire à long terme, 5 octobre 1956, reprenant ici les termes d’une directive du 13 mars 1956 de l’État-major des forces armées.
43 Ibid.
44 SHD, 9 S 45, Plan à long terme de l’État-major des forces armées (division Études générales), 21 mars 1957.
45 Maurice Vaïsse, « Jacques Chaban-Delmas ministre de la Défense nationale (novembre 1957-mai 1958) », dans Bernard Lachaise, Gilles Le Béguec, Jean-François Sirinelli (dir.), Jacques Chaban-Delmas en politique, actes du colloque organisé à Bordeaux les 18, 19 et 20 mai 2006 par le Centre aquitain d’histoire moderne et contemporaine et le Centre d’histoire de Sciences Po, Paris, PUF, 2007, p. 101.
46 Ibid.
47 Sur la nucléarisation des forces, voir Marcel Duval, Dominique Mongin, Histoire des forces nucléaires françaises depuis 1945, Paris, PUF, 1993 ; Maurice Vaïsse, « Le choix atomique de la France (1945-1958) », Vingtième siècle, revue d’histoire, 36/1, 1992, p. 21-30 ; Dominique Mongin, « Le processus décisionnel dans le lancement du programme atomique militaire français », dans Maurice Vaïsse (dir.), La IVe République…, op. cit., p. 607-618.
48 Christian Schmidt et Guy Vidal, « L’évolution de l’armement à travers le budget de la Défense », dans Maurice Vaïsse (dir.), La IVe République…, op. cit., p. 49.
49 L’instruction personnelle et secrète (IPS) de 6 novembre 1958, rédigée par le président du Conseil, n’est diffusée qu’auprès de quelques personnalités seulement (au ministre des Armées, aux trois chefs d’état-major des armées et aux chefs d’état-major des forces armées et de la Défense nationale ainsi qu’au chef du cabinet militaire du président du Conseil). Elle développe la pensée stratégique de De Gaulle ainsi que les limites et les conditions de l’engagement des forces armées. SHD, 2 S 2, Instruction personnelle et secrète (IPS) au sujet des forces armées, du général de Gaulle, du 6 novembre 1958, dactylogr.
50 SHD, 20 R 2, Directive ministérielle du 21 novembre 1958.
51 SHD, 9 R 55, Rapport annuel du Contrôle de l’administration de l’armée (Terre) pour 1963 par le contrôleur général de 1re classe Limayrac, p. 10.
52 Pierre Messmer, Après tant de batailles : mémoires, Paris, Albin Michel, 1992, p. 303.
53 Voir SHD, 20 R 121.
54 Créé en 1945 par le général de Gaulle, le CEA est le pourvoyeur de matières nucléaires et le créateur du procédé de la bombe alors que les Armées le financent en partie et développent les engins vecteurs de la bombe.
55 SHD, 20 R 1, Note du chef d’état-major particulier du président de la République, Olié, Décisions du Comité de défense restreint du 9 juin 1960, 11 juin 1960.
56 SHD, 20 R 121, Note de la DSFP, Projet d’application de la décision du Comité de défense du 9 juin 1960, s. d. [juin 1960].
57 SHD, 20 R 121, Note de la DSFP, Mise en œuvre des décisions prises sur la loi-programme, s. d. [juin ou juillet 1960].
58 L’article en vigueur aujourd’hui (révision constitutionnelle du 23 juillet 2008) a été complété : « Des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État. Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques. »
59 Sur la constitutionnalisation des lois de programme, voir Matthieu Conan, « Les spécificités de la loi de programmation militaire. Projet de loi pour les années 2003 à 2008 et loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances », Droit et défense, 2001/4, p. 8-9.
60 Dans l’ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959, l’expression est reprise pour désigner les lois regroupant des autorisations de programme.
61 Matthieu Conan, « Les spécificités… », art. cité, p. 10.
62 SHD, 20 R 123, Contrôleur général de la Marine Dofing, Lois de programme militaires, 27 mai 1963, p. 10 ; Michel Debré (entretiens avec Alain Duhamel), Une certaine idée de la France, Paris, Fayard, 1972, p. 95-96.
63 Ibid., p. 101.
64 Charles Ailleret, Souvenirs et réflexions. L’aventure atomique française, Paris, Grasset, 1968, p. 337-339.
65 En réalité en 1963 : Raymond Aron, Le grand débat. Initiation à la stratégique atomique, Paris Calmann-Lévy, 1963.
66 Pierre Messmer, Après tant de batailles, op. cit., p. 306.
67 Pierre Messmer, « Les deux premières lois de programme, la FNS et les projets concernant l’armée nucléaire tactique », dans L’aventure de la bombe : De Gaulle et la dissuasion nucléaire (1958-1969), actes du colloque organisé à Arc-et-Senans par l’université de Franche-Comté et l’Institut Charles-de-Gaulle, les 27, 28, et 29 septembre 1984, Paris, Plon, 1985, p. 94.
68 « Force de frappe. Le rapporteur UNR de la commission de la Défense : “Projet inacceptable tel quel” », L’Aurore, 11 octobre 1960.
69 Pour une présentation des débats parlementaires, voir Maurice Vaïsse, « Michel Debré et la Défense... », art. cité, p. 58-61.
70 « L’Assemblée nationale ne peut prendre parti sur les différents amendements présentés puisque, pour chacun d’eux, le Gouvernement, ayant par ailleurs l’intention d’engager sa responsabilité politique sur le projet, demanda la réserve des votes. Il fut également impossible à l’Assemblée nationale d’exprimer positivement et explicitement son sentiment sur le texte lui-même, car le Gouvernement engagea par trois fois (en première et deuxième lectures, puis en troisième lecture lorsqu’il demanda à l’Assemblée nationale de statuer définitivement) sa responsabilité politique sur le texte. Enfin l’Assemblée nationale ne put même pas se prononcer contre le texte puisque en première lecture le Gouvernement ne fit pas obstacle à ce que la question préalable opposée par M. J[ean]-P[aul] David au projet de loi fût mise aux voix (il était en effet persuadé qu’elle serait rejetée, et elle le fut), il ignora par la suite questions préalables et motions de renvoi, en engageant sa responsabilité politique sans autoriser préalablement l’Assemblée à prendre parti sur les différentes motions préjudicielles. » Simon Cohen, « Le contrôle parlementaire de la politique de défense », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 2, mars-avril 1977, p. 400.
71 Pierre Messmer, Après tant de batailles, op. cit., p. 305.
72 SHD, 20 R 122, Annotations manuscrites du ministre sur la note conjointe du chef de l’EMAt et du DMAt au cabinet du ministre des Armées, 11 mars 1960.
73 Samy Cohen, La défaite des généraux. Armée et pouvoir politique sous la Ve République, Paris, Fayard, 1994.
74 Toutes les sommes citées sont en francs ou en nouveaux francs.
75 SHD, 3 K 17, Témoignage oral de Pierre Messmer, entretien 3 avec Hervé Lemoine et Sébastien Laurent, 1er juillet 1997.
76 L’exposé des motifs dans sa version finale, de novembre 1964, est volontairement restreint au contenu du programme d’armement, à ses aspects financiers et à ses conséquences industrielles et économiques, excluant un exposé « militaire et financier trop complet et trop précis qu’il sera par la suite, difficile, sinon impossible, de respecter totalement » (AN, 5 AG1 511, Note de l’état-major particulier, loi de programme relative à certains équipements militaires 1965-1970, 3 novembre 1964).
77 Propos rapporté du 25 novembre 1964. Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1997, p. 128.
78 SHD, 8 S 956, Note de l’Ema du 4 octobre 1966.
79 AN, 5 AG1 511, Note du chef de l’état-major particulier du président de la République, Directives militaires et financières adressées aux Armées pour la période 1967-1975, 6 juin 1966.
80 Michel Fourquet, « La politique d’armement à long terme », Revue de défense nationale, 257, mai 1967, p. 750.
81 Arch. ScPo, 6DE 12, dossier Défense nationale bilan, chemise Note pour le ministre. Défense nationale et décentralisation. Bilan des opérations engagées ou décidées depuis 1968, Liste-tableau des projets de réformes dans tous les domaines en cours et à faire, s. d. [fin 1970 ou début 1971]. Pour avoir un aperçu partiel (et inévitablement partial) de son action, lire notamment Michel Debré, Trois Républiques pour une France, t. V, Combattre toujours : 1969-1993, Paris, Albin Michel, 1994, 2e partie : « Ministère d’État, chargé de la Défense nationale », p. 39-139.
82 SHD, 9 S 42, voir chemise Plaidoyer pour des ressources minimales. Réunion de synthèse du 17 décembre 1969 et chemise Comment concilier les directives du ministre [12 déc.] et celles de l’Ema [8 déc.]. Réunion de synthèse du 17 décembre 1969.
83 SHD, 9 S 43, Instruction ministérielle pour la préparation de la 3e loi de programme, 12 décembre 1969.
84 SHD, 9 S 42, Note du Cema au ministre de la Défense nationale, 8 décembre 1969.
85 SHD, 9 S 43, Instruction ministérielle pour la préparation de la 3e loi de programme, 12 décembre 1969.
86 SHD, 9 S 43, Compte rendu de la réunion du 5 février 1970 du Groupe central du plan, s. d.
87 SHD, 9 S 43, Projet de fiche de conclusions de la division Plans-Programmes en vue du Comité directeur du plan du 25 février 1970, s. d.
88 SHD, 2 S 2, Exposé du général Pineau devant le CHEM (Centre des hautes études militaires) « Les plans et programmes militaires (situation des armées en 1970, grandes lignes du 3e plan militaire, situation des armées en 1975) », 29 octobre 1970.
89 SHD, 9 S 43, Compte rendu de la réunion du 19 février 1970 du Groupe central du plan, s. d.
90 SHD, 9 S 44, Lettres du Cema aux chefs d’état-major, 25 février 1970.
91 SHD, 9 S 44, Fiche financière (de la DMA et DSF) sur l’évaluation des missions présentées par les Armées en exécution de la directive 3539 du 12 décembre 1969, s. d. [mars 1970].
92 Voir SHD, 9 S 44.
93 SHD, 9 S 44, Fiche annexe au sous-dossier 2. Feuillet 24. Commentaires sur le plan d’équipement, ses conséquences et les rythmes choisis, s. d. [1970].
94 SHD, 9 S 44, Lettre du chef d’état-major de l’armée de Terre (Groupe d’études générales) au Cema, 3e plan militaire, 10 avril 1970.
95 SHD, 9 S 44, Fiche de la division Plans-Programmes sur la maquette à 168 Md, 19 mai 1970.
96 SHD, 9 S 44, Fiche anonyme [division Plans-Programmes ?] sur le 3e plan militaire gendarmerie, s. d. [mars 1970].
97 SHD, 8 S 957, Exposé des motifs du projet de loi de programme relative aux équipements militaires de la période 1971-1975, août 1970.
98 Elle est adoptée au Sénat par 120 voix pour et 100 contre, le 9 novembre 1970, et auparavant, le 8 octobre 1970, à l’Assemblée nationale par 374 pour et 95 contre.
99 SHD, 2 S 2, Exposé du colonel Biré (chef de la section Études et Plans de la division Plans-Programmes de l’Ema) devant le CHEM « L’élaboration des plans dans les armées (procédures actuelles, procédures en cours, de mise au point le 3PB), 13 novembre 1970. Ce jeu de l’oie, qui décrit les étapes de la confection du budget, comprend une case prison (IGPDE-CHEFF, Entretien 4 de Dominique Lewandowski avec l’auteur, 12 novembre 2018).
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