La principauté delphinale au xive siècle, laboratoire de la « réforme » ?
p. 209-236
Texte intégral
1À la fin de leur long voyage introductif au Songe du vieil pèlerin, presque parvenus au terme de leur pérégrination successivement africaine, asiatique puis européenne, Ardent Désir (Philippe de Mézières) et ses compagnes, les trois reines du paradis terrestre, passent très rapidement en Dauphiné avant de se rendre en Provence et à Avignon pour finalement aboutir en France et y accomplir l’essentiel de leur mission1. Or, nous dit-on, ils y ont été « bien reçus » à l’inverse de ce qui s’était le plus souvent produit ailleurs. Le célestin confère ainsi à l’heureux transit dauphinois une valeur de discrète introduction à l’exceptionnel projet qui se déploie ensuite dans le Songe en toutes lettres : la « reformacion2 ». Faut-il s’en étonner ? Quarante-trois années avant de mettre la dernière main à son monument, à peine âgé de 20 ans, n’avait-il pas rejoint en 1346 l’expédition dirigée contre les Ottomans par le dauphin Humbert II qui l’avait lui-même adoubé à Smyrne ? On soupçonne volontiers que cet épisode fondateur sur le plan personnel ne manqua pas de s’accompagner d’un intérêt nourri de la part du jeune chevalier pour ce parangon de prince croisé que fut le dernier représentant de la dynastie de La Tour. Bien plus tard, de retour de Chypre à Paris et alors que la principauté était elle-même passée sous le joug des Valois, Philippe de Mézières paraît bien comme le plus delphinal des conseillers Marmousets de Charles V.
2Que le plus grand théoricien de la « réforme » au xive siècle ait entretenu une relation privilégiée avec le delphinat n’a sans doute rien de fortuit et cela nous invite à tout le moins à nous interroger sur sa diffusion au sein des milieux qui présidaient à la destinée de la principauté. Mais ce n’est pas là la seule raison qui confère un grand intérêt à cet espace comme objet d’étude pour qui cherche à saisir le destin de la reformatio à la fin du Moyen Âge. Par l’effet du transport à la Couronne de France en 1349, celui-ci fut tour à tour l’écrin d’institutions que l’on qualifiera de princières par excellence, puis la matrice très précoce et expérimentale des mécanismes de l’administration royale décentralisée ; ceci offre à l’historien de saisir et de comparer les spécificités de régimes – princier puis monarchique – considérés depuis 1310, date pour laquelle on dispose des premières enquêtes diligentées par le dauphin Jean II contre ses propres officiers locaux, jusqu’en 1392, à laquelle s’acheva l’institutionnalisation de l’assemblée des trois états de la principauté.
3La démarche procédera en trois temps. On propose tout d’abord une mise au point méthodologique délimitant le corpus documentaire dans lequel le vocabulaire réformateur a été traqué. Partant de ce dernier et de ses évolutions, la deuxième étape établira une scansion de deux phases, de 1310 à 1392, au cours desquelles se seraient succédé ce que nous avons choisi de décrire comme des modes « réformateurs », résultat d’une approche juridico-administrative. La troisième partie de cet exposé s’attachera enfin à analyser les ressorts culturels profonds d’un processus réformateur qui, à la différence de ce que l’on observe dans le jeu politique actuel, ne paraît pas se suffire à lui-même ; nous tâcherons donc de les repérer mais également de les caractériser en posant la question ontologique de la pertinence du recours à la notion d’idéologie pour désigner la réforme.
Méthodologie d’une recherche sémantique sur un corpus hétérogène
4En 2000 avait été proposée une première analyse de ce qui avait alors été intitulé « la démarche réformatrice » des dauphins, se fondant notamment sur les enquêtes diligentées par Guigues VIII (1319-1333) et Humbert II (1333-1349)3. Ce travail, même s’il fut instructif, nécessite d’être aujourd’hui totalement remis sur le métier. Actuellement, les possibilités de recherche indexée au sein des corpus documentaires sont, au bas mot, décuplées par rapport à ce qui se faisait alors ; elles offrent de procéder à des investigations sémantiques bien plus systématiques et cela dans de vastes corpus, même lorsqu’ils ne sont ni édités ni même numérisés.
5La technique mobilisée demeure tout à fait artisanale puisque, pour commencer, il ne s’est pas agi de recourir à d’autres instruments que la fonction « rechercher » de fichiers PDF indexés ou de fichiers Word. Le gros du travail a ainsi consisté à rassembler un corpus significatif au sein de la documentation, massive, que les archives de la principauté nous ont léguée ; à une exception près, celle de la lettre très personnelle qu’a adressée le régent Henri de Villars au dauphin en croisade, il s’agit de sources pragmatiques et normatives, aucune production littéraire digne de ce nom n’étant susceptible d’entrer dans le champ de notre analyse avant le xve siècle. Pour explorer ce corpus, le chercheur dispose en Dauphiné d’outils relativement nombreux. Ont d’abord été interrogés les quatre volumes d’inventaires-sommaires des archives de la chambre des comptes conservées aux archives départementales de l’Isère. Sans prétendre à l’exhaustivité, dans la mesure où l’on sait les limites de ce type d’inventaires, cette première recherche a donné de bons résultats4. Elle a été prolongée par une interrogation systématique des fichiers Word de tous les dépouillements de comptes de châtellenies conservés au sein de cette série et menés à bien depuis trente ans ; ceci représente plusieurs dizaines de milliers de pages de notes couvrant l’ensemble de la période. Concernant les années qui précèdent le transport de 1349, nous disposons aussi des 7 gros volumes du Regeste dauphinois établis naguère par le chanoine Ulysse Chevalier5, au sein desquels la recherche indexée s’est aussi avérée fructueuse, même si elle fut souvent redondante avec celle qui avait été réalisée au sein des inventaires-sommaires. Les éditions proprement dites d’archives princières dauphinoises sont, quant à elles, peu nombreuses et elles ont, bien entendu, été totalement mobilisées. Le plus ancien recueil est celui qui rassemble les statuta delphinalia, édités à plusieurs reprises à partir de 1516 sur la base d’un registre composé progressivement au long du xve siècle ; il présente l’avantage insigne de couvrir l’ensemble de la période envisagée ici6. Hétéroclite, l’Histoire de Dauphiné et des princes qui ont porté le nom de dauphins écrite par le marquis de Valbonnais en 1722 contient, quant à elle, un épais volume de pièces justificatives7. Enfin, le précieux Choix de documents inédits sur le Dauphiné8 d’Ulysse Chevalier collige un vaste ensemble de 108 pièces qui court également sur toute la période9. Soulignons que les sources rassemblées ici et là ont en commun de provenir presque toutes des anciennes armoires de la chambre des comptes de la principauté, ce qui ne saurait surprendre dans la mesure où ce fonds richissime avait, à partir des années 1380, littéralement aspiré l’ensemble de la documentation produite par l’administration princière10.
6Le traitement de ces fonds volumineux passa ensuite par l’adaptation au contexte dauphinois de la liste de lemmes établie en amont par le programme de recherche. Concrètement, la méthode a consisté à effectuer une recherche indexée en deux étapes, la première partant de la liste du programme et la seconde y adjoignant les cooccurrents et synonymes explicites qui n’avaient pas été repérés initialement. Ont finalement été retenus les lemmes suivants dont l’interrogation a été systématique : « réforme », « réparation », « restitution » (notamment des biens mal acquis), « rachat », « amende », « correction », « remède », « doléances », « réclamation », « cérémonie », « pétition », « extorsion », « lésion », « excès », « torts », « usurpation », « abus », « dommage », « apaisement » (des réclamations). Last but not least, si le terme « enquête » a lui aussi fait l’objet d’une recherche systématique, tout le problème a été de discriminer efficacement entre celles qu’Albert Rigaudière a très justement qualifiées de « chaudes » et qui nous intéressent ici, et les « enquêtes froides », routinières et bien plus nombreuses, qui ne nous concernent pas11 : pour y parvenir, le seul critère objectif qui a pu être établi fut celui de la cooccurrence avec le lexique envisagé par ailleurs. Pour chacun de ces lemmes, il a ensuite été procédé dans les règles de l’art : interrogation en français et en latin, recherche des radicaux et repérage des formes verbales, adjectivées et substantivées. Le corpus ainsi mobilisé, pour être imposant, n’en demeure pas moins de composition artisanale et tient aussi beaucoup à l’arbitraire des éditions. Loin de permettre de procéder à une quelconque lexicométrie, c’est donc une simple lexicographie dont cette quête sémantique initiale a autorisé l’établissement. Le résultat se lit dans le tableau que nous livrons en annexe : de 1310 à 1392, les dauphins ont commandité au minimum 33 commissions ressortissant à ce que l’on intitulera un « mode (de gouvernement) réformateur » et édicté 6 ordonnances qui en relèvent.
Réforme princière, réforme monarchique. La succession de plusieurs modes « réformateurs » en Dauphiné
7Le premier degré du commentaire qui sera fait de ce corpus se placera sur un plan proprement fonctionnel : nous souhaiterions, en première analyse, définir le mode réformateur en tant que praxis dont la mise en œuvre procéda, de la part des acteurs, d’une volonté consciente et d’un savoir-faire très technique. En tant que telle, elle relève à la fois de procédés juridiques divers et de mécanismes spécifiquement politiques pour la compréhension desquels la lexicographie constitue une entrée de choix.
Au temps des princes (1310-1350) : de la poursuite pénale des officiers à la « réforme du pays » et à « l’apaisement des clames » contre le prince
8Considérons tout d’abord les résultats de notre lexicographie de la réforme en Dauphiné au temps des derniers dauphins de la dynastie de La Tour. À partir de 1310 et jusqu’en 1350, les dauphins ont très régulièrement diligenté des « commissaires enquêteurs » dont le ressort s’étendait à toute la principauté, surpassant l’ordre administratif à l’œuvre depuis la fin du xiiie siècle. Pendant cette période, c’est donc bien avant tout dans ce cadre juridique de l’enquête que s’est déployée la praxis réformatrice qui nous retient ici. Si certaines ordonnances et une partie du processus de contrôle comptable ont également pu, parfois, se faire réformateurs, c’est toujours à la suite d’enquêtes que ceci se produisit.
9D’abord12, sous le delphinat de Jean II (1309-1319), ce furent des enquêtes de répression « d’extorsions commises » par des officiers à l’encontre de leurs administrés ; elles ne nous sont malheureusement parvenues qu’à l’état d’épaves13. Ensuite, à partir de 1319 et de la régence d’Henri au nom de son neveu Guigues VIII puis sous le principat de ce dernier jusqu’à sa mort en 1333, ce type de commission fut réitéré, très régulièrement, mais leur ambition parut s’amplifier : s’il s’agissait toujours de « punir des extorsions » dont les officiers auraient pu se rendre coupables, il arriva aussi que de simples bannerets soient visés ainsi que des communautés d’habitants. Ces enquêtes furent alors qualifiées de « générales » et orientées en direction des « extorsions », « lésions », « dommages », « abus » ou « excès » commis « contre les droits des dauphins comme ceux des sujets ». On le voit, le vocabulaire se diversifie pour désigner les méfaits incriminés. En 1330, la lettre de leur commission ajouta même « le préjudice à l’encontre de la chose publique » à la liste des délits visés par la procédure. Mais ce n’était pas tout puisqu’en 1319 le régent Henri inaugura aussi une nouvelle manière d’enquête, bien distincte de celle que nous venons d’évoquer, dont les commissaires étaient chargés « d’apaiser les “clames” [clamores] » des sujets à l’encontre de ses prédécesseurs, son père Humbert Ier et son frère Jean II. Enfin, en 1331, pour la première fois, le qualificatif « réformateurs » vint préciser la fonction de deux enquêteurs14. Ces enquêtes qui furent essentiellement de répression judiciaire des officiers s’apparentent sur le fond de près à celles que diligenta le premier Alphonse de Poitiers15 et qui influencèrent ensuite directement, au dernier tiers du xiiie siècle, la conduite de celles des rois de France, de Naples et d’Aragon16. De la sorte, c’est à une très classique et toute princière imitatio regni que procédaient les dauphins Jean II et Guigues VIII : le décalage d’une ou deux générations que l’on observe se retrouve aussi sur un plan plus étroitement institutionnel et n’a rien qui puisse surprendre. Un tel mimétisme passa sans doute d’abord par la promotion d’enquêteurs dont les compétences et peut-être l’expérience les portaient à procéder de la même façon que leurs prestigieux voisins et seigneurs : ce fut le temps, en Dauphiné, des enquêteurs-juristes17, laïcs, qui faisaient partie de l’administration delphinale.
10Humbert II, lorsqu’il accéda au delphinat en 1333, ne rompit nullement avec la pratique devenue usuelle de ces commissions d’enquête. Cependant, s’il était toujours question pour lui de pourchasser les malversations des officiers, la procédure fut explicitement confiée à l’attention des nouveaux maîtres rationaux, comme en prolongement de la procédure régulière de contrôle des comptes à laquelle ses représentants étaient par ailleurs, de toute façon, soumis18. Une exception à cette évolution se repère en 1338, par laquelle les officiers sont à nouveau la cible d’une enquête générale. Néanmoins, cette mise en cause s’inscrit dans le cadre du projet plus large et, quant à lui réitéré à de nombreuses reprises jusqu’en 1350, de recevoir les doléances (les « clames19 », terme privilégié, mais aussi les « querelles ») que les sujets souhaiteraient formuler à l’encontre du prince d’une part et des usuriers d’autre part, quels qu’ils soient, ces derniers pouvant également être poursuivis pour des « dommages », « excès », « abus », etc. infligés au dauphin lui-même. Pour ce qui est de l’évolution du lexique, on note qu’il ressortit au champ de la « réforme » – « réforme du pays » ou « réforme générale » –, de la « réparation », de la « restitution » et de « l’apaisement des clames » et même si ces termes semblent tous désigner le même type d’enquêtes, cette dernière expression paraît nettement préférée à la première, toutes choses égales d’ailleurs dans le cadre d’un propos qui, rappelons-le, n’est pas en mesure de procéder à une quelconque lexicométrie. L’influence monarchique n’est pas non plus ici absente, mais celle-ci se fait régressive sur le plan générationnel, puisque c’est à la source de Louis IX que le dauphin est allé puiser son inspiration, en une sorte de redditum ad stirpem ludovici. À l’imitation des enquêtes de son lointain parent et ainsi que Marie Dejoux a caractérisé ces dernières, celles d’Humbert II sont de « réparation », de « restitution des male ablata »20. À un siècle de distance, il est évident qu’un tel transfert ne pouvait s’opérer qu’en transfigurant le modèle monarchique initial au point de le rendre méconnaissable et d’en faire une pratique éminemment princière. Sur un plan lexical, la transfiguration du modèle de Louis IX passa ainsi par un glissement de la restitutio (même si celle-ci demeure bien présente) à « l’apaisement » de ce que le dauphin intitule avec délectation les « clames » de ses sujets, Humbert II désignant fréquemment ses commissaires comme des sedatores clamorum, des « apaiseurs de clames21 ». En outre, insistons-y, Humbert II annonce sans ambiguïté et de manière répétée vouloir, par ses enquêtes, procéder à la reformatio patrie, et ce n’est pas là la moindre des différences avec l’usage des contemporains de Saint Louis qui ignoraient une telle acception de ce vocable.
11Cette évolution sémantique considérable se traduit, sur le plan de la procédure, par une véritable rupture. Jusqu’en 1333, pour réprimer les abus, c’est ex officio que les enquêteurs interviennent en suivant le formulaire pénal classique ; c’est la raison pour laquelle ils sont alors toujours des juges gradués, le plus souvent laïcs. Peu surprenante dans un tel cadre juridique, l’invocation de la fama publica des inculpés est ensuite de règle. En témoigne par exemple l’incipit de l’enquête qui fut conduite en Grésivaudan par « nobles et savants » Jean Conet et Guillaume Raimond, enquêteurs généraux du régent Henri, oncle de Guigues VIII22. Après 1333 au contraire, ce sont les « clames » qui ouvrent juridiquement la procédure. Ainsi se présente le cri du héraut de la châtellenie d’Oisans à l’occasion de l’enquête organisée en décembre 1337 :
Oyez, oyez ! Que tous ceux qui, en Oisans, souhaiteraient rapporter de quelconques griefs, plaintes ou remontrances à l’encontre du prince-dauphin actuellement régnant ou de ses prédécesseurs, se présentent au châtelain et aux quatre prudhommes que celui-ci aura désignés, soit le lundi 15 [s’ils habitent loin], soit au cours de l’Octave de Noël à venir. Leurs « clames » pourront y être mises par écrit à fin d’apaisement23.
12Avant 1333, ce sont en outre des articles soigneusement numérotés, établis contre un prévenu considéré comme responsable pénalement, que les enquêteurs ont rédigés selon ce que la fama publica leur a rapporté préalablement à l’ouverture de la procédure, laquelle consiste ensuite à interroger témoins et inculpé sur chacun de ces articles. L’enquête conduite contre Jean Bonfils en 1313 s’étire ainsi dans un registre, pourtant tronqué, de 174 folios égrainant des dizaines d’articles le mettant en cause pour chacun des offices qu’il a exercés24. En 1330, ce ne sont pas moins de 129 articles qui furent mis en forme par Roland de Pierreverte et Durand Apothicaire, tous deux jurisconsultes, contre Jean de Ponce, qui n’était que le modeste mistral25 de Monêtier, en Briançonnais26 ! C’est là une mise en œuvre très canonique (et souvent spectaculaire) des règles de la procédure inquisitoire. Après 1333, ce n’est plus du tout le cas : les enquêteurs entendent et consignent dans leurs registres des « clames » dont l’expression est beaucoup plus ouverte que précédemment et qui ne convergent plus vers un seul mis en cause27. Plutôt qu’une procédure civile, c’est un processus fondamentalement « non judiciaire » qui se déroule ici même s’il est indéniablement normé sur le plan juridique. Cela explique aussi que les enquêteurs ne soient plus, à ce moment-là, ni des juges, ni des juristes, mais comme sous Saint Louis, des ecclésiastiques dont une majorité n’a jamais fait partie de son conseil, ou des officiers ordinaires : on l’a vu pour le cas de l’Oisans en 1337, c’est le châtelain Gilet de Moras et lui seul qui est commis à l’enquête ; or il ne détient à cette date-là aucune espèce d’autorité judiciaire. En revanche, rien n’interdit de penser qu’un procès en bonne et due forme pouvait, parfois, s’ouvrir après l’une de ces enquêtes humbertines, un procès immanquablement fidèle aux principes de la procédure ex officio que les juges dauphinois pratiquaient ici depuis bien longtemps.
13Quant à l’issue de ces enquêtes, même si elle nous échappe malheureusement bien souvent, elle se présente, à nouveau, bien différemment selon que l’on considère celles d’Humbert II ou celles de ses prédécesseurs. Avant 1333, elles aboutissent en général à une condamnation ou à une composition des inculpés. C’est le cas, notamment, du mistral Jean Ponce qui, reconnu coupable, composa avec le conseil delphinal, pour 70 florins le 6 mai 133128. Sous Humbert II, il semblerait que soient exclusivement prononcées des sentences ou des ordonnances – le vocabulaire est flottant – de « remboursement » aux plaignants, de dettes contractées auprès d’eux par le dauphin ou bien, plus rarement, de réduction voire d’annulation de dettes contractées à des taux usuraires par des tiers. Le cas des habitants de Mirabel-aux-Baronnies est à cet égard emblématique : en 1338, dans le cadre d’une enquête « d’apaisement des clames », ils ont exposé lacrime et devote aux commissaires leur sort tragique d’excommuniés pour dette, mis en terre depuis sept ans « comme des chiens » sans sépulture chrétienne. Or on apprend, par l’entremise du compte de châtellenie de l’année suivante, que le dauphin a ordonné le rachat pur et simple, à ses frais, de leurs dépenses afférentes à l’excommunication29 ! Surtout, à cette période, c’est en légiférant que le prince chercha à montrer qu’il avait bien entendu les « clames » de ses sujets, par un engagement contractuel formulé notamment grâce au syntagme de l’exception au sein d’ordonnances dont la nature se distinguait radicalement de celle des grandes constitutions qu’il promulgua par ailleurs et qui ressortissent à l’évidence, quant à elles, au champ du gouvernement « normal ». Ce fut d’abord l’ordonnance de septembre 1341 qui annulait tous les impôts extraordinaires, puis celle de novembre 1344 sur les offices et le notariat en Dauphiné et enfin le fameux statut de mars 1349, qui tous faisaient la part belle en préambule comme dans leurs dispositions à « l’apaisement des clames », motif repris de manière insistante par les deux traités de transport, celui de 1343 comme celui de 134930.
14Enfin, il est un dernier cadre juridico-institutionnel au sein duquel la réforme trouva à s’exprimer sous le principat d’Humbert II de manière spectaculaire : celui du contrôle comptable. La lexicographie est sur ce point, à nouveau, d’un apport précieux puisqu’après avoir mis en exergue le transfert en 1334 de la punition des officiers des mains des enquêteurs commis aux enquêtes générales à celles des maîtres rationaux, elle permet à présent d’observer l’assignation à ces derniers, en 1340, d’une mission explicite de « réforme » du gouvernement et des actions du prince, par le fait du contrôle des comptes31. Le préambule à l’ordonnance de (re)fondation de la chambre des comptes donne à cette date, une définition du concept, particulièrement précieuse pour notre propos :
Norma data principibus regendi se ipsos et alios subditos eorumdem detrimentum affert mirabile ut consideratis facultatibus sumptus possibilitati respondeant et ipsorum status modo et mensura debitis honorifficencia qua convenit preservetur. Quam ob rem humanum ordinavit ingenium computum reddendum fore de omnibus juribus et redditibus dominorum ac de expensis subsequentibus ex eisdem ut facta de receptis ad expensas et eorum collacione debita detur doctrina principibus et personis singularibus quibuscumque de modo vivendi et de ordinando regimine status sui, necminus illi qui computant solvunt vel solverent debent omnia de quibus inveniuntur per eorum computa debitores, sicque vidimus per experiencie notam quod omnes reges et principes statuunt et ordinant certum locum ubi perpetuo computatores resident et negocia suorum dominorum exequntur.
Unde cupientes inmitari predecessores nostrorum aliorumque regum et principum, bonos mores et anticatas consuetudines pro reformatione agendorum suorum et consulto regimine ut computorum examinatio, dubiorum declaracio, et negociorum concurrencium frequens collacio, modo et forma debitis fieri possint, magistrorum racionalium et computatorum bancham in dicta civitate Gratianopolitana teneri perpetuo statuimus et inmutabiliter ordinamus, volentes quod quatuor inter magistros rationales et computatores et non plus plures ad ipsum exercendum officium sint certitudinaliter deputati […]32.
15Le caractère sentencieux de ce préambule pourrait laisser croire qu’il a été emprunté à une source théorique, mais il semblerait qu’il n’en est rien, que c’est bien une pensée originale qui a été exposée ici. Or que nous dit-on ? D’abord, que les princes auraient pour devoir (pour « norme » et « doctrine ») de gouverner « leur personne » autant que celle de « leurs sujets ». Ensuite que ce gouvernement passe avant tout, pour le prince comme pour les sujets, par « l’acquittement des dettes contractées » ainsi que par « l’ajustement des dépenses aux moyens disponibles ». Enfin que, afin d’imiter les bonnes mœurs et antiques coutumes de ses prédécesseurs princes et rois (où l’on retrouve Louis IX) et pour la réforme de ses actes et un gouvernement avisé, le dauphin institue un « banc des comptes et des maîtres rationaux ».
16En leur principe, ancien en Dauphiné comme ailleurs, d’établissement routinier de la probité du mandataire du souverain, les comptabilités ne furent évidemment pas bouleversées par ces prescriptions ; ce qui changea en revanche, ce fut le style des comptes et le degré d’exigence de justification du comptable. Du jour au lendemain, un contrôle tatillon fut mis en place qui s’accompagna d’une logorrhée par laquelle les officiers se mirent d’un coup à « raconter leurs comptes33 » ; nous postulons que dans ce récit-fleuve réside une part importante du contenu politique du mode de gouvernement qui était à l’œuvre sous Humbert II, complémentaire de celui qui s’exprimait par ailleurs dans les enquêtes. Car derrière le contrôle disert et impitoyable de la moindre dépense jusqu’au moindre denier, ne faut-il pas lire d’abord la démonstration ostensible de la volonté princière de rembourser, envers et contre tout, les dettes contractées auprès des Dauphinois ?
17Écoute et apaisement des clames, législation attentive aux préoccupations des sujets et contrôle tatillon des officiers : tels seraient les trois piliers d’un mode réformateur proprement princier de l’exercice du pouvoir, dans lequel la proximité du souverain avec ses administrés constituait un élément déterminant. Qu’en reste-t-il deux décennies plus tard lorsque celui qui avait fait en Dauphiné ses toutes premières armes de souverain devint le roi Charles V ?
La réforme selon les Valois : la réforme autorisée, en mode mineur (1350-1392)
18De fait, la « réforme » selon le premier dauphin Valois, qui est aussi celle des Marmousets et de Charles VI au début de son règne personnel, diffère profondément de celle qu’avait conçue Humbert II : c’est là un deuxième « mode » réformateur que nous allons à présent nous attacher à définir. L’étude portera ici sur la mise en œuvre et l’écho de ce qui se jouait à Paris au sein d’une principauté en passe de devenir province ; le cadre juridique particulier qu’avait légué le transport et les traditions héritées du principat d’Humbert II lui donnent cependant une résonance tout à fait spécifique qui détonne parfois par rapport à ce qui se passait dans le royaume.
19La recherche lexicographique qui a été conduite pour la période des premiers dauphins Valois Charles Ier (V) et Charles II (VI) témoigne de la rupture produite par le transport du Dauphiné à la Couronne de France. Si les enquêtes « d’apaisement des clames » des sujets à l’encontre du prince se sont poursuivies jusqu’à la mort de « l’ancien dauphin » (c’était son titre officiel) en 1355, la pratique n’en fut pas reprise par son successeur. Par ce coup d’arrêt, c’est toute la tradition, devenue pratique frénétique sous Humbert II, de l’enquête de réforme qui cessa brutalement en Dauphiné. L’interrogation indexée du corpus est sans ambiguïté : le substantif « réforme » disparaît des sources. Subsiste, en revanche, l’action de « réformateurs », à trois reprises, en 1357 d’abord, en 1378-1379 ensuite et en 1382-1384 enfin34. Ce sont, à chaque fois, des missi parisiens, envoyés par les états la première fois, par le Parlement la deuxième et par la chambre des comptes la troisième. Pour chacune de ces occurrences, ces réformateurs se repèrent par la mention qui est faite de leur activité dans les comptabilités delphinales, comptes de châtellenies et comptes de trésoriers généraux. En outre, pour ce qui concerne les deux dernières missions, deux cahiers d’enregistrement d’ordonnances delphinales conservés dans les fonds de la chambre des comptes mentionnent aussi, incidemment, leur présence. En 1357, voici Hugues de La Roche, parfois qualifié de « réformateur parisien » ; son mandat consista exclusivement à contrôler de manière ponctuelle, à Grenoble, les comptabilités delphinales. Dès 1358 cependant, la reprise en main de la situation par Charles VI puis par son père mit fin à son activité35. En 1378-1379, ce sont un conseiller et un clerc du parlement de Paris, Jean Blanchet et Anselme de Sallins, que l’on envoya en Dauphiné pour refonder le conseil delphinal sur le modèle de la cour parisienne36 : leur désignation comme « réformateurs » est incidente et rare et ils sont bien plus volontiers intitulés « conseillers du roi au Parlement » ou « commissaires du roi ». Enfin, en 1382-1384, les « réformateurs » Jean Crété et Nicolas de Plancy, deux membres de la Chambre des comptes de Paris dont on connaît l’appartenance au groupe soudé des Marmousets, furent envoyés en Dauphiné pour réformer le style de la chambre de Grenoble37. Pour ce troisième épisode, la forme verbale du lemme « reform* » a donc été remise au goût du jour.
20Concernant les autres termes qui ont été soumis à une interrogation systématique, la recherche donne des résultats francs : ils sont rares et peu usités. Sous réserve d’un inventaire élargi, nous n’en avons repéré que deux : la clamor38 des sujets d’un côté, et le « remède » accordé par le dauphin de l’autre. Ces deux occurrences figurent ensemble comme hapax39 dans l’ordonnance promulguée en 1367 par Charles V par laquelle il procédait à un certain nombre d’ajustements institutionnels en Dauphiné, retirant d’un côté définitivement le contrôle des comptes des officiers au trésorier pour le confier à des auditeurs grenoblois autonomes vis-à-vis de leurs alter ego parisiens, et, d’un autre côté, annulant l’interdiction faite au gouverneur (ou lieutenant) de la principauté de remettre crimes et délits, exception faite des atteintes à la majesté qui restait du seul ressort du roi. D’autre part, cette ordonnance faisait la part belle à la formule du vidimus, intégrant, enchâssé, celui du Statut solennel de 1349 d’Humbert II ; en outre, elle fut elle-même promulguée entièrement à nouveau en 1381, toujours en forme de vidimus40.
21Pendant le court demi-siècle qui suit le transport, c’est donc bien d’un reflux de la reformatio qu’il faut parler : celle-ci n’apparaît que très ponctuellement et selon un mode très autorisé, puisqu’il procède désormais exclusivement d’en haut et depuis la capitale, lointaine, du royaume. La renonciation à utiliser le substantif marque quant à elle, dans le lexique même, l’abandon de toute ambition de portée générale. Ainsi, du fait du caractère très limité du démarquage qu’il opère par rapport à l’administration courante, ce mode réformateur sera-t-il ici qualifié de mineur. Pourtant, même sous cette forme, un processus politique reste bel et bien à l’œuvre qu’il convient d’expliciter et qui comporte plusieurs facettes.
22Signalons pour commencer que la politique conduite en Dauphiné par les Valois n’eut absolument rien de commun avec ce qui se pratiquait dans le royaume au temps des derniers Capétiens, lorsque les réformateurs avaient fini par devenir les agents honnis d’une fiscalité de plus en plus lourde41. À défaut d’un véritable dialogue ou d’un échange substantiel avec les sujets, il s’agit en premier lieu pour le souverain de se rapprocher de ceux-ci en décentralisant son pouvoir : la création d’institutions propres, à Grenoble, tant pour rendre la justice que pour entendre les comptes (en 1367, 1378 et 1382), le droit de solliciter sur place la grâce royale (en 1367 et 1379) sont autant de gestes dont le roi confie l’accomplissement à ses réformateurs et qu’il présente, dans l’ordonnance de 1367 qui fut vidimée en 1381, comme un moyen de porter « remède » à la clamor des Dauphinois. En légiférant de la sorte, le souverain inaugure d’autre part, en Dauphiné, la pratique typiquement française de l’ordonnance « réformatrice » dont Claude Gauvard a étudié les mécanismes politiques42 : tous les éléments qu’elle a repérés s’y retrouvent, en une soigneuse mise en scène discursive, du diptyque supplique-remède/grâce au recours à l’enchâssement de vidimus d’ordonnances réformatrices antérieures. Enfin, la troisième facette de la pratique réformatrice des premiers dauphins Valois résida dans le franchissement d’un nouveau palier de l’exigence et de la rigueur du contrôle comptable : les prémices s’en lisent en 1357, par l’action des états parisiens, le parachèvement s’en fit en deux temps, en 1367 puis surtout en 1382, par celle des Marmousets dont j’ai analysé ailleurs la conception qu’ils se faisaient du Dauphiné comme laboratoire de leur action43. Le nouveau style comptable qu’ils instituèrent alors révèle la tension contradictoire qui caractérise toute leur politique. C’est d’un côté le contrôle drastique des officiers, plus efficace et plus autoritaire que jamais, qui se traduit par une amplification considérable de la logorrhée comptable : là où les comptes-contes d’Humbert II manifestaient sa volonté de résorber la dette, ceux des Marmousets présentent ostensiblement la démonstration ultime d’un roi-dauphin se démenant avec la dernière énergie pour « vivre du sien » et qui, n’y parvenant pas malgré tous ses efforts, se voit contraint de solliciter l’aide fiscale de ses sujets. Mais c’est d’un autre côté le fleuve bureaucratique complètement vain qui en résulte, démesuré, incontrôlé et épouvantablement onéreux, de milliers de folios de registres comptables que personne, hormis les membres de la Chambre des comptes (puis les historiens actuels, forts de leurs outils informatiques), ne pourrait jamais relire !
La réforme fut-elle une idéologie ? De l’idéal princier du bon gouvernement à l’empire du roi
23Jusque-là, les mots ont été envisagés pour eux-mêmes, en vertu de leur signification proprement juridique et donc de leur efficacité politique. La question se pose à présent de savoir si cette énonciation de la « réforme » se suffisait à elle-même, autrement dit si elle fut une idéologie. Si l’on veut considérer le problème en prolongeant la démarche lexicographique qui fut la nôtre jusqu’ici, c’est sur la dénotation de la réforme ainsi que sur son contexte d’énonciation que l’on se penchera dans les lignes qui suivent. En termes plus politiques et de manière plus triviale, après l’analyse d’une praxis, c’est celle d’un projet qui sera ici envisagée. Sans surprise, celui-ci se présente de manière très différente, selon que l’on considère le Dauphiné princier ou le Dauphiné monarchique qui lui succéda.
Le bon gouvernement princier : un pouvoir contractuel, porteur d’un idéal de paix et de justice destiné à purger le péché des hommes
24Sous Jean II, Guigues VIII et Humbert II, durant la première moitié du xive siècle, ce projet procède, en effet, d’une démarche spirituelle que l’on pourrait qualifier de totale et qui est tout entière tendue vers la purgation de son péché personnel par le prince, elle-même rançon, durant le siècle qui nous retient ici, d’une pastorale réussie de la responsabilisation du chrétien dans l’accomplissement du dessein de Dieu sur terre. Depuis quelques années, l’insistance a été mise, à juste titre, sur l’importance cardinale des clauses testamentaires dites de « restitution des biens mal acquis », qui concentrent en leur sein la charge eschatologique de l’enseignement de l’Église44. L’angoisse coupable qui pouvait ronger les marchands trop heureux en affaires trouvait ainsi à s’apaiser de manière rationnellement comptable. Néanmoins la transposition d’un tel dispositif à ceux qui détenaient des parcelles de la domination, du seigneur au roi, n’alla pas sans complication : comment réparer et que restituer des fruits de la surenchère peccamineuse qu’entraînait immanquablement l’exercice du pouvoir ? Pour ceux, nombreux parmi les princes, dont le pouvoir avait connu récemment une forte expansion, il y avait là un nœud gordien que l’on n’aurait su trancher. Et les dauphins étaient bel et bien confrontés à cette difficulté, eux qui étaient depuis peu devenus de puissants souverains et comme tels contraints non seulement de déléguer leur pouvoir à de véritables officiers gagés (qui seraient loin d’être toujours honnêtes), mais aussi de lever des impôts (or l’impôt dépouille les pauvres gens), de contracter des dettes (à des taux usuraires et qu’ils rembourseraient très mal), etc.
25Sous Jean II et Guigues VIII, c’est dans l’exercice de sa pleine autorité judiciaire que le prince trouva la voie de la purgation de son péché de gouvernement. L’insistance mise par les enquêteurs sur le fait que les « abus », « excès » et « extorsions » commis par les officiers l’étaient vi et potentia sui officii conférait aux délits leur gravité : c’était bien une trahison que l’on jugeait. Et dans le même temps, la responsabilité du prince se trouvait comme déchargée par l’exemplarité de la punition qu’il infligeait et la réparation prévue en faveur des victimes éventuelles. À la surenchère peccamineuse qui lui était infligée du fait de l’extension de son pouvoir, le prince répondait donc par une surenchère d’autorité et de majesté, à la manière d’un roi. Autrement dit, en ce cas, l’imitatio regni qui a été repérée dans la pratique des dauphins était bien poussée à son terme jusque dans le projet des dauphins qui était lui-même coulé dans le moule monarchique capétien. S’en étonnera-t-on de la part de Guigues VIII, qui fut élevé dès son plus jeune âge, à la cour de Philippe V, seul garçon au milieu des filles du roi et parmi lesquelles on lui choisit son épouse, Isabelle ?
26Avec Humbert II, la préoccupation obsidionale d’« apaiser les clames » des sujets transforma complètement cette démarche purgatoire. Au cœur des enquêtes dont c’était l’objet, se retrouve, on l’a dit, la « réparation » qui motiva celles que commandita Louis IX. Et, comme à l’époque du roi capétien, cette réparation, juridique au départ, avait bel et bien la visée de répondre directement à l’injonction ecclésiastique de restituer les biens mal acquis et donc de préparer, non moins directement, son salut. Cependant, un siècle plus tard et dans le cadre bien plus restreint de la principauté, le projet a profondément changé : il polarise entièrement l’action politique sur la lutte contre tout ce qui, de près ou de loin, se rapportait à la dette dans la principauté, de la pratique de l’usure à la multiplication des créances paysannes en passant par la résorption de la dette princière, qui était devenue abyssale. Certes, dans la mesure où ils tenaient tous une place centrale au sein de l’enseignement de l’Église, en particulier celui des Mendiants, tel ou tel de ces éléments figura aussi parmi les préoccupations d’un Louis IX ; mais ce fut toujours de manière partielle et empirique. Avec Humbert II, le projet prit donc une tournure intégrée, à laquelle participe aussi avec éclat l’institution d’un ordre de chevalerie de Sainte-Catherine en 1337 et l’organisation de la croisade de Smyrne en 134645, dont le propos était, tout autant, de purgation systématique du péché, par laquelle la paix (synonyme de salut) adviendrait enfin. Et ceci nous ramène finalement au point de départ, celui de l’apaisement des clames ! C’est à tout cet ensemble, très construit, que le dauphin donna le nom de réforme et qui est donc tout autant un projet qu’une praxis : en cela, c’est bien une idéologie qui se déploie ici, une idéologie de la « réforme permanente » pour pasticher le titre du maître ouvrage de Léon Trotski46 en forme d’oxymore (dans la mesure où le mode réformateur est par définition ponctuel). Cette projection volontairement anachronique contient néanmoins une limite, essentielle, que l’on repère dans le fait que le dauphin paya toujours de l’engagement total et sans réserve de sa personne le déploiement de son projet. L’angoisse qui anime son action compulsive de purgation du péché n’est pas feinte ainsi que le prouve son second testament, celui de 1355, lequel ne comprend pas une, comme il était de tradition, mais trois clauses de restitution des biens mal acquis, et cela en trois articles échelonnés tout au long du texte47.
27Mais ce n’est pas tout. Ces soubassements eschatologiques – collectifs comme personnels – de la politique réformatrice d’Humbert II avaient aussi un pendant intellectuel que l’on aurait été bien en peine de trouver à l’époque de Saint Louis. Ils se résument en une formule qu’il serait trop long d’expliciter en détail ici et qui est celle de la « culture du bon gouvernement ». Cette nébuleuse fort riche qu’avait synthétisée les théoriciens depuis deux à trois générations, se nourrissait de l’enseignement de Cicéron et d’Aristote, eux-mêmes redécouverts au fil du xiiie siècle et relus au prisme de la théologie chrétienne. L’expression s’en retrouve dans les préambules des ordonnances humbertines, qui revendiquent la recherche assidue de la « modération » (dont on a vu aussi les implications sémantiques) en vue du bien commun et de la lutte contre les injustices et les abus48. La contractualisation du lien politique qu’opéra le Statut solennel de 1349 s’inscrivait elle aussi dans le même cadre théorique très élaboré. Les canaux par lesquels toute cette nébuleuse culturelle parvint en Dauphiné se laissent difficilement repérer, à l’exception peut-être de cette expérience napolitaine d’Humbert II qui précéda son accession au trône.
28Il est frappant enfin de constater combien le projet réformateur humbertien, projet princier s’il en fut, contribua à modeler plus ou moins directement la pensée d’un Philippe de Mézières lequel, répétons-le, avait effectivement bien connu Humbert II au cours de ses années de formation : s’y retrouvent, comme couronnement, l’invention d’un ordre de chevalerie sanctifié et mystique (celui de la Passion) et la promotion de la croisade ; sans doute pourrait-on y ajouter aussi l’attachement des deux hommes à la fête de la Purification de la Vierge49. C’est, à tout le moins, un environnement culturel commun, très princier et très lié à la cour d’Avignon, dont participent, à une génération d’écart, et le dernier dauphin indépendant et le Célestin. Que ce dernier ait, par ailleurs, été l’un des inspirateurs de la réflexion des Marmousets dont nous avons rappelé l’action décisive en Dauphiné au début du règne de Charles VI, représente un ricochet inattendu de cette histoire. Cela vient aussi corroborer les analyses que les historiens ont pu formuler des traités de Philippe de Mézières, souvent taxés d’être dépassés ou utopiques50 : fruit d’une époque révolue et d’un horizon de pensée très princier, ils n’auraient guère été transposables tels quels à l’univers monarchique de la fin du xive siècle. Et de fait, l’héritage d’Humbert II et de celui qu’il adouba ne se reconnaît que bien peu dans le projet « réformateur » qui se déploya dans le Dauphiné des Valois : tradition princière et tradition monarchique s’entremêlèrent et engendrèrent un modèle original qu’il convient d’analyser en une dernière partie.
La réforme en Dauphiné selon les Valois : l’image du roi-médecin et la modération fiscale
29Un tel modèle, envisagé comme un projet théorique du souverain, ne se laisse cependant pas facilement cerner pour cette période qu’ouvre le transport de la principauté. Résultat de sa tragique expérience de régent en 1357-1358, la méfiance de Charles V à l’égard de l’idéal réformateur est bien connue51. Le mot lui-même disparaît des usages de la monarchie, en tout cas en Dauphiné, en cette seconde moitié de xive siècle et ce fut comme un retour au temps des derniers Capétiens, lorsque les réformateurs ne pouvaient être que le fer de lance du pouvoir. Cependant, alors que leurs ancêtres des années 1310 et 1320 s’étaient finalement mués en simples promoteurs d’une fiscalité de plus en plus lourde, les réformateurs envoyés en Dauphiné par les premiers Valois furent au contraire les agents de la modération de l’impôt : plus qu’une véritable idéologie structurée, c’est bien là un idéal, qui sous-tendit la pratique en mode mineur d’une réforme qui ne voulait plus dire son nom. Il se compléta d’un autre élément, devenu essentiel pour le régime monarchique à partir du règne de Charles VI : c’est celui de l’image du roi dont les ordonnances réformatrices devinrent les vecteurs importants, en une démarche que l’on qualifiera de communication politique. Cette image qui se construit alors, timidement dès le règne de Charles V et beaucoup plus franchement à partir de 139252, c’est celle du roi qui « remédie » aux injustices et aux abus, autant dire d’un roi « médecin » de ces sujets, conformément à la conception du politique que se faisaient penseurs et moralistes contemporains53.
30Doit-on déceler en tout cela les ultimes oripeaux de la réflexion aristotélicienne qui avait eu le vent en poupe chez tous les dirigeants jusqu’aux grandes révoltes du xive siècle ? Ce n’est pas impossible54. En revanche, il n’y demeurait pas grand-chose de la préoccupation eschatologique qui animait un Humbert II puis un Philippe de Mézières ; celle-ci n’a évidemment pas disparu de la spiritualité des souverains mais elle est désormais enclose hors de la pratique proprement politique, notamment dans leurs testaments.
31De ce tour d’horizon concernant le destin de la réforme en Dauphiné au xive siècle, tentons pour conclure de dégager quelques lignes de force. De la confrontation du présent travail avec, dans ce volume, l’analyse lexicométrique de Nicolas Perreaux et la contribution de Marie Dejoux, il résulte au premier chef le sentiment d’une profonde rupture qui se serait opérée au tournant du xiiie et du xive siècle, en tout cas au sein de l’espace français. Cette rupture se lirait dans l’avènement du projet politique « réformateur » tel que Philippe Contamine et Raymond Cazelles l’avaient défini, tout en le datant de manière un peu trop précoce. Un tel projet nous semble avéré, mais il doit être nettement distingué de son faux descendant dont nous parle également Nicolas Perreaux, le projet réformateur qui se déploie à partir de la fin du xviiie siècle. Au xive siècle, la réforme s’inscrit dans une eschatologie qui la dépasse, celle de la lutte contre le péché (et, comme telle, elle est aussi personnelle) et, surtout, la croisade ; au xviiie, c’est, au plus, à une euphémisation de l’eschatologie que l’on assiste et la réforme devient une fin en soi. Plus largement, cette mise en perspective permet de nourrir la conviction entretenue par l’auteure de ces lignes, celle d’une spécificité de la culture politique du xive siècle que les historiens n’ont peut-être pas encore complètement saisie : non pas encore moderne et étatique, mais non plus féodale et ecclésiale55.
32En outre, envisagée d’abord comme la manifestation d’une culture princière puis royale, la « réforme » s’inscrit chez les dauphins dans un environnement bien spécifique et qui se rattache franchement à l’espace français, même si le Dauphiné demeure terre d’Empire et le revendique fièrement jusque tard dans l’Époque moderne. Mais dès avant le transport, c’est dans le même bain culturel que les rois de France que se meuvent les dauphins. Leur pratique de la réforme ressortit à cet univers culturel, qui fut d’abord inspirée de celle de Philippe III et Philippe IV puis, en une démarche régressive, de celle de Saint Louis revue et corrigée au prisme d’un environnement intellectuel et spirituel bien différent de celui du deuxième tiers du xiiie siècle. Après le transport, cela continua d’être le cas, en dépit de différences nombreuses avec ce qui se pratiquait dans le royaume : plus que la manifestation d’un écart culturel, il faut sans doute y voir le résultat de choix politico-administratifs proprement français, caractéristiques d’un ensemble politique puissant mis devant le défi de l’éloignement et de la taille du territoire placé sous l’autorité du roi.
33Autre trait saillant du phénomène réformateur, son caractère éminemment personnel. C’est là un point commun entre réforme princière et réforme royale : seule une figure incarnée du pouvoir serait en mesure de porter et de dire la réforme. Au temps d’Humbert, cette caractéristique prit un tour quasi tragique de « destin » puisque c’est finalement pour mieux réformer son gouvernement que le prince finit par céder la principauté et se convertir comme dominicain. Mais avant comme après lui, c’est bien toujours par une parole souveraine à la première personne que s’accomplit la réforme. Cela permet-il de comprendre pourquoi il y avait là un concept totalement étranger au gouvernement des communes italiennes, en dépit des nombreux points de rencontre qui existaient par ailleurs entre les cultures politiques de part et d’autre des Alpes ?
34Enfin, sur un plan plus épistémologique, nous souhaiterions revenir sur la modeste contribution que ce travail propose dans la définition même du concept de réforme. En procédant de manière progressive, depuis l’établissement d’une lexicographie jusqu’au repérage d’un projet politique, nous n’avons pas trouvé trace d’un rêve de retour à un âge d’or (celui de Saint Louis, celui de Charles V, c’est selon…). Qu’un tel rêve ait bien constitué un horizon de la pensée politique du temps est pourtant indéniable ; mais ne faut-il pas le chercher ailleurs que dans la réforme ?
Annexe. Enquêtes et ordonnances dauphinoises
Année56 | Nature de l’action juridique attestée par la documentation57 | Lexicographie58 |
1312-1315 | Enquête judiciaire59 | extorsio |
1319-1320 | Enquête non-judiciaire60 | extorsio clamores sedatio |
1323 | Enquête générale judiciaire61 | extorsio |
1330-1331 | Enquête générale judiciaire62 | extorsio lesio dampnum abusus excessis prejudicare |
1331 | Enquête judiciaire63 | extorsio gravamen reformator |
1334 | Enquête judiciaire64 | clamores sedatio |
1334 | Ordonnance delphinale65 | extorsio restitutio |
Août 1337 | Enquête non judiciaire66 | clamores sedatio sedator clamorum reformator |
Novembre / décembre 1337 | Ordonnance delphinale et enquête non judiciaire67 | clamores gravamen sedatio reparatio reformator reformatio generalis |
Mars 1338 | Enquête non judiciaire68 | clamores abusus sedatio reformatio |
Novembre 1338 | Ordonnance delphinale (suivie d’enquêtes judiciaires)69 | clamores abusus malversatio injuria excessis male ablata sedatio reparatio restitucio reformare emendacio |
1340 | Ordonnance delphinale70 | reformatio |
Septembre 1341 | Ordonnance delphinale71 | querella prejudicium male ablata et gesta restituere emendare |
Novembre 1341 | Enquête non-judiciaire72 | clamores |
1342 | Ordonnance delphinale73 | [mention indirecte] |
Année | Nature de l’action juridique attestée par la documentation | Lexicographie |
1343 | Traité de transport74 | tort clameurs amender |
1344 | Enquête judiciaire75 | excessis dampnum preiudicium |
1344 | Ordonnance delphinale76 | supplicacio remedium |
Mars 1345 | Ordonnance delphinale77 | clamores sedatio sedator clamorum reformacio patrie |
Mai 1345 | Ordonnance delphinale78 | excessis dampnum preiudicium |
Septembre 1345 | Ordonnance delphinale79 | clamores sedatio sedator clamarum |
Février 1346 | Ordonnance delphinale80 | clamores clamare sedatio emendacio remedium |
Juin 1346 | Mandement du pape concernant le Dauphiné81 | clamores sedatio |
Novembre 1346 | Ordonnance delphinale82 | clamores sedator clamarum |
Hiver 1346-1347 | Enquête judiciaire83 | usurpatio |
Année | Nature de l’action juridique attestée par la documentation | Lexicographie |
Décembre 1347 | Mandement du pape concernant le Dauphiné84 | clamores |
Mars 1348 | Ordonnance delphinale85 | reformatio |
Mars 1349 | Traité de transport86 | restitutio male ablata querela clamores remedium emenda |
Juillet 1349 | Statut delphinal87 | reformatio querela querimonia |
1350 | Enquêtes non judiciaires88 | clamores sedatio sedator clamarum |
1357 | Commission d’Hugues de La Roche89 | reformator |
1367 | Ordonnance de Charles V (re)fondant la chambre des comptes de Grenoble90 | clamores dampnum prejudicium gravamen remedium |
1378 | Commission de (re)fondation du conseil delphinal91 | reformator |
1382-1384 | Commission de réforme du style de la chambre des comptes de Grenoble92 | reformator reformacio |
1392 | Supplique des trois états aux réformateurs du pays93 | reformator |
Notes de bas de page
1 Philippe de Mézières, Songe du Vieux Pèlerin, éd. par J. Blanchard, Paris, Pocket, 2008, p. 253 : « [Elles] quittèrent la riviera de Gênes, guidées par Ardent Désir. Elles traversèrent la Savoie et le Dauphiné, où elles furent plutôt bien reçues… »
2 Le désir de « réforme » est par exemple le trait distinctif du personnage d’Ardent Désir : « Ardent Désir et sa sœur Bonne Espérance représentent le Vieux Pèlerin, auteur de ce livre intitulé songe ou vision, qui représentent tous ceux qui souhaitent la réforme du monde entier, de toute la chrétienté et particulièrement du royaume de France » (ibid., p. 117).
3 Ce travail avait été réalisé dans le cadre de ma thèse de doctorat : A. Lemonde, De la principauté delphinale à la principauté royale. Structures et pouvoirs en Dauphiné au xive siècle, 5 vol., thèse dirigée par Pierrette Paravy, université Grenoble 2, 2000. La première partie de cet ouvrage, qui contient mon étude de la réforme telle que l’ont conduite les derniers dauphins indépendants, est restée inédite. Les pages qui en traitent se trouvent dans le vol. 1, p. 288-302.
4 A. Prudhomme, E. Pilot de Thorey, Inventaire-sommaire des archives départementales antérieures à 1790. Isère. Archives civiles. Séries A et B, 4 t., Grenoble, Allier, 1864-1919.
5 U. Chevalier, Regeste dauphinois ou répertoire chronologique et analytique des documents imprimés et manuscrits relatifs à l’histoire du Dauphiné, des origines chrétiennes à l’année 1349, 7 t., Valence-Vienne, Imprimerie valentinoise, 1913-1926.
6 L’édition qui a été utilisée ici est la seule qui est indexée : Statuta delphinalia, hoc est libertates per illustrissimos principes delphinos viennenses delphinalibus subditis concessae, Grenoble, Charvys, 1619.
7 J.-P. Moret de Bourchenu de Valbonnais, Histoire de Dauphiné et des princes qui ont porté le nom de dauphins, 2 t., Genève, Fabri et Barrillot, 1722.
8 110 documents de 1304 à 1383, hormis 2 testaments princiers antérieurs.
9 U. Chevalier, Ordonnances des rois de France et autres princes souverains relatives au Dauphiné, précédées d’un catalogue des registres de l’ancienne chambre des comptes de cette province, Colmar, Hoffmann, 1871 et U. Chevalier, Choix de documents historiques inédits sur le Dauphiné publiés d’après les originaux conservés à la Bibliothèque de Grenoble et aux archives de l’Isère, Montbéliard/Lyon, Hoffmann et Brun, 1874.
10 Sur ce point, voir A. Lemonde, Le temps des libertés en Dauphiné, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2002, p. 192-199.
11 A. Rigaudière, « Conclusion », dans T. Pécout (dir.), Quand gouverner c’est enquêter. Les pratiques politiques de l’enquête princière, Occident (xiiie-xive siècle), Paris, De Boccard, 2010, notamment p. 571.
12 La pratique de l’enquête est précoce en Dauphiné : on connaît les trois grandes enquêtes de Guigues VII, de 1250, 1260-1263 et 1265-1267 dont les registres ont été conservés. La question s’est posée pour nous d’intégrer la deuxième et la troisième enquêtes à cette étude. Dans la mesure où les témoins y sont fréquemment conduits à mettre en cause des officiers ou des seigneurs, elles revêtent bien certains caractères des « enquêtes de correction » conduites au même moment par Alphonse de Poitiers. Cependant, c’est là un effet incident d’une démarche qui, fondamentalement, avait pour but le récolement des droits du dauphin, à la manière des extentes savoyardes contemporaines. À leur sujet, voir en dernier lieu H. Falque-Vert, Les hommes et la montagne en Dauphiné au xiiie siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1997 et Id., Les dauphins et leurs domaines fonciers au xiiie siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2013. Voir également N. Carrier, « Les enquêtes delphinales du milieu du xiiie siècle dans le contexte des Alpes occidentales », dans Pécout, Quand gouverner, op. cit., notamment p. 204-206.
13 La première mention d’enquêtes de répression des officiers locaux est indirecte et figure dans un inventaire de la chambre des comptes de la fin du xive siècle, édité par Chevalier, Ordonnances des rois de France et autres princes souverains, op. cit., p. xx, no XIV : le registre inventorié est ici daté de 1310. Il faut ensuite attendre 1313 pour trouver un témoignage direct de ces enquêtes : il s’agit du registre, tronqué, consignant les témoignages recueillis contre Jean Bonfils, ex-châtelain de Vizille, Pont, Queyras, Vallouise puis bailli de Briançonnais. Il s’agit du registre B 3703 des Archives départementales de l’Isère (ADI, sauf mention contraire, toutes les cotes d’archives mentionnées dans cette étude proviennent de ce dépôt).
14 Les références de l’ensemble de ce corpus se trouvent en annexe, dans un tableau de synthèse.
15 Voir G. Chenard, L’administration d’Alphonse de Poitiers (1241-1271), Paris, Classiques Garnier, 2017. Une différence se lit cependant dans le vocabulaire utilisé dans ce cadre puisque les Dauphinois ne recoururent jamais à la notion de « correction » qui demeura ici circonscrite à un usage purement ecclésiastique.
16 À leur sujet, voir Cazelles, « Une exigence de l’opinion », art. cité, p. 93 et plus récemment O. Canteaut, « Le juge et le financier. Les enquêteurs-réformateurs des derniers capétiens (1314-1328) », dans C. Gauvard (dir.), L’enquête au Moyen Âge, Rome, École française de Rome, p. 269-318 et X. Hélary, « Délégation de pouvoir et contrôle des officiers : les lieutenants du roi sous Philippe III et Philippe IV (1270-1314) », dans L. Feller (dir.), Contrôler les agents du pouvoir, Limoges, PULIM, 2004, p. 169-190, notamment p. 170 et R. Telliez, « Le contrôle des officiers en France à la fin du Moyen Âge : une priorité pour le pouvoir ? », ibid., p. 191-209, notamment p. 204. Sur les enquêtes aragonaises, avec lesquelles la proximité dauphinoise est très grande et participe d’échanges politiques nourris et prolongés jusqu’en 1349, voir Beauchamp, « Contra injurias, violencias, corrumpciones sordidas », art. cité, p. 57 et suiv. Enfin sur les enquêtes angevines en général et celles, provençales, de Charles II en particulier, voir en dernier lieu T. Pécout (dir.), L’enquête générale de Charles II en Provence (1297-1299), Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 76, 2018.
17 Ils étaient donc d’un statut similaire à celui des enquêteurs réformateurs du royaume dont O. Canteaut (« Le juge », art. cité, notamment p. 283) a fait l’étude prosopographique.
18 Il s’agit de l’ordonnance du 3 août 1334 que nous rapportons en annexe qui place l’enquête qu’elle diligente contre les officiers de feu Guigues VIII sous l’autorité des maîtres rationaux, Valbonnais, Histoire de Dauphiné, op. cit., t. 2, p. 262.
19 Nous avons choisi de traduire ainsi le terme latin clamor qui n’est en fait jamais utilisé au singulier ; en effet le français « clameur » contient une connotation séditieuse et collective que l’on ne retrouve pas dans les clamores qui constituent une collection de plaintes individuelles. À l’inverse, « réclamation » aurait été trop administratif et institué.
20 M. Dejoux dans Les enquêtes de Saint Louis. Gouverner et sauver son âme, Paris, Presses universitaires de France, 2014.
21 Ce terme « clames » ressortit au même champ sémantique que « clameur » dont Claude Gauvard a analysé en détail la charge politique en montrant comment les ordonnances réformatrices avaient, en France, précisément pour finalité « d’éviter », de « maîtriser » la clameur populaire. On pourrait tout aussi bien parler « d’apaiser » celle-ci. Voir C. Gauvard, « Ordonnance de réforme et pouvoir législatif en France au xive siècle (1303-1413) », dans A. Rigaudière, A. Gouron (dir.), Renaissance du pouvoir législatif et genèse de l’État, Montpellier, Publications de la Société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, t. 3, 1988, p. 89-98.
22 B 3165, 4e pièce, un cahier non folioté : […] fuit incoata presens inquisicio ex officio curie generalis Gresivodani et Brianczonesii per nobiles et sapientes viros dominos Johannem Coneti et Guillelmum Raymondi, inquisitores generales comissarios et judices deputatos ad infrascripta per reverendum in Christo patrem dominum Henricum Dalphini Metensis electum regentem Dalphinatum […] contra omnes et singulos officiales maiores et minores totius terre et bayllive Graysivodani […] super hoc videlicet quod ad audienciam dicte generalis curie pervenit nonnullorum fidedignorum relatu ac fama et validis clamoribus publice referentibus […]. La référence aux fama et clamores s’inscrit, on le sait, dans un cadre juridique extrêmement balisé, sur lequel les études sont nombreuses depuis une vingtaine d’années (notamment Claude Gauvard dont la bibliographie sur le sujet est très nourrie : voir en dernier lieu son « Introduction », dans Pécout, Quand gouverner, op. cit., en particulier p. 17).
23 Je synthétise en le passant du style indirect au style direct les propos mis en forme par le notaire Jean Richard (AD 38, B 3333, fol. 2). Cette enquête de la fin 1337 a donné lieu, pour les châtellenies de Vals et Albon (Drôme actuelle, canton de Saint-Vallier), dans l’avant-pays, à une étude fouillée de Frédéric Chartrain, dans « L’enquête delphinale de 1337 sur les abus delphinaux et l’usure : les griefs de Vals et d’Albon, deux châtellenies delphinales du Viennois », 1989, (https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00489083, consulté le 10 mars 2021). Son point de vue est celui de l’histoire économique et sociale, en particulier de l’histoire de l’endettement rural.
24 Registre B 3703.
25 Le mistral (métral en Savoie, terme sans doute dérivé du latin ministerialis) est en Dauphiné un petit officier domanial placé sous l’autorité du châtelain : au xive siècle, il n’est pas gagé et perçoit le tiers de certains droits fonciers des châtellenies où se trouvent des « mistralies ».
26 Registre B 3704.
27 Le dossier étudié par Frédéric Chartrain, mentionné plus haut, en offre un très bon témoignage. On peut aussi évoquer celui des habitants de l’Oisans, en 1337, à l’issue du cri du héraut Aynard : leurs clames partent, littéralement, en tous sens.
28 La mention en est faite sèchement à l’issue de la collection de témoignages consignés dans le registre dont nous disposons : Composuit cum concillio in septuaginta florinis auri (B 3704, fol. 57).
29 B 4344 (pour l’enquête) et 8 B 624, fol. 161 pour le rachat. Frédéric Chartrain donne également un exemple symptomatique d’annulation de dettes delphinales à Moras en 1342 dans « Le point de non-retour. L’endettement de deux communautés rurales dauphinoises envers les prêteurs lombards et juifs et l’intervention delphinale (1342) », Cahiers d’histoire, 34, 1989, p. 3-27.
30 Voir le tableau de synthèse en annexe. J’ai étudié en détail l’ordonnance de 1340 et celle de 1344 dans A. Lemonde, « Norme et mentions de chancellerie. Les prescriptions législatives du dauphin Humbert II (1340, 1344) », dans O. Canteaut (dir.), Le discret langage du pouvoir. Les mentions de chancellerie du Moyen Âge au xviie siècle, Paris, Études et rencontres de l’École des chartes, 2020, p. 387-431. Le statut de 1349 a fait l’objet d’un autre article de ma part : « Non est enim potestas nisi a deo. Les fondements contractuels du pouvoir en Dauphiné à la lumière du Statut de 1349 », dans F. Foronda (dir.), Avant le contrat social. Le contrat politique dans l’Occident médiéval, xiiie-xve siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, p. 291-325.
31 B 3019 fo 230, voir la transcription infra. Ce lien intrinsèque entre comptabilité perfectionnée et réforme constitue une évolution singulièrement similaire à celle qu’observe Alexandra Beauchamp en Aragon (voir A. Beauchamp, « Contra injurias, violencias, corrumpciones sordidas, fraudes enormes, extorsiones illicitas : enquêtes générales et contrôle des officiers royaux dans la Couronne d’Aragon des années 1340 », dans Pécout, Quand gouverner, op. cit., en particulier p. 59-60), une proximité institutionnelle du royaume et du Dauphiné par ailleurs déjà soulignée, de manière générale, dans A. Beauchamp (dir.), Les entourages princiers à la fin du Moyen Âge, Madrid, Casa de Velázquez, 2013.
32 B 3019, fol. 230.
33 Sur ce point, A. Lemonde (dir.), Les comptes et les choses. Discours et pratiques comptables du xiiie au xve siècle en Occident, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022.
34 J’ai étudié en détail l’action de ces réformateurs dans Lemonde, Le temps des libertés, op. cit. (voir les références infra).
35 Son action s’inscrit donc dans un processus réformateur proprement français, celui à l’œuvre à la suite de la Grande Ordonnance de 1357. Voir notamment à ce sujet Cazelles, « Une exigence », art. cité, p. 93 et Lemonde, Le temps des libertés, op. cit., p. 102.
36 Leur mission intervient à l’issue d’un long travail préparatoire de Jean de Montaigu, Guillaume du Fayn et Gobert Le Carlier, que j’ai étudié, ibid., p. 137-139.
37 Ibid., p. 186-187.
38 Que l’on hésite à traduire par « clame », faute d’éléments permettant d’établir une filiation directe avec l’acception du terme sous Humbert II : l’usage du singulier, jamais attesté auparavant, incite à y voir une autre connotation que celle qui avait cours alors. Voir infra nos remarques au sujet de ce mot.
39 Le préambule de l’ordonnance est ainsi formulé : Pro parte fidelium subditorum nostrorum delphinalium clamor auribus nostris pervenit […], tandis que le dispositif est introduit par Unde dictis supplicantibus super is providere volentes de remedio gratioso […], cité ibid., p. 91-92.
40 Sur ces textes, outre les références indiquées supra, je me permets de renvoyer à mon analyse dans : A. Lemonde, « Des libertés au droit public, le processus juridique en Dauphiné (1340-1410) », dans A. Mailloux, L. Verdon (dir.), L’enquête en questions. De la réalité à la « vérité » dans les modes de gouvernement (Moyen Âge-Temps modernes), Paris, CNRS Éditions, 2014, p. 231-240, notamment p. 236-239.
41 La fondation de la Tournelle de la Réformation constitue l’autre facette de cette intégration de la réforme dans les rouage « normaux » des institutions monarchiques. Sur le processus de « fiscalisation » des commissions réformatrices sous les derniers capétiens, voir Canteaut dans « Le juge et le financier », art. cité, en particulier p. 289. L’hostilité la plus vive à ces réformateurs est celle qu’exprimèrent, immuablement, les états de Languedoc à leur encontre, depuis 1359 jusqu’au milieu du xve siècle (voir H. Gilles, « Autorité royale et résistances urbaines. Un exemple languedocien : l’échec de la réformation générale de 1434-1435 », Bulletin philologique et historique jusqu’à 1610 du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1961, p. 116-146, ici p. 139). Cette hostilité tient aussi manifestement à la résistance des villes et communautés rurales languedociennes à l’intromission des officiers monarchiques dans leurs affaires, une attitude que l’on n’observe pas en Dauphiné, où la réforme ne revêtit par ailleurs jamais de charge révolutionnaire.
42 Gauvard, « Ordonnance de réforme », art. cité.
43 Lemonde, Le temps des libertés, op. cit., p. 186-200.
44 C’est là un domaine de recherche très actif depuis longtemps qui a pris une ampleur particulière avec les travaux de G. Todeschini. Voir en dernier lieu, J.-L. Gaulin, G. Todeschini (dir.), Male ablata. La restitution des biens mal acquis, xiie-xve siècle, Rome, Collection de l’École français de Rome, 547, 2019, notamment l’introduction de J.-L. Gaulin, « La restitution des biens mal acquis, une question historiographique », p. 1-14.
45 Sur cet ordre de chevalerie et cette croisade, voir J. Paviot, en particulier dans Les croisades tardives. Les projets de croisade. Géostratégie et diplomatie européenne du xive au xviie siècle, Toulouse, Presses universitaires du Mirail (Croisades tardives, 1), 2014, ainsi que, en dernier lieu, M. Carr, « Humbert of Viennois and the Crusade of Smyrna: A Reconsideration », Crusades, 13, 2014, p. 237-251.
46 Si la formule est de Karl Marx et Friedrich Engels dans Die heilige familie, Francfort, Rütten und Zacharias, 1845, elle est ensuite théorisée et diffusée par Léon Trotski six ans après son éviction du parti bolchevique, dans La révolution permanente, Paris, Rieder, 1932 (traduit du russe, l’édition originale datant de 1931).
47 Ce testament est édité par Valbonnais, Histoire de Dauphiné, op. cit., t. 2, p. 618 et suiv. La référence aux male ablata se trouve aux p. 618 et 620 (à deux reprises),
48 À l’image de ce que l’on observe dans les réformes de la France capétienne : voir Cazelles, « Une exigence de l’opinion », art. cité, p. 96-97 ; P. Contamine, « L’ordre de la Passion de Jésus-Christ de Philippe de Mézières. Une utopie de chevalier », dans P. Josserand, L. F. Oliveira, D. Carraz (dir.), Élites et ordres militaires au Moyen Âge, Madrid, Casa de Velázquez, 2015, p. 125-134. Sur les racines théoriques de cette pensée politique, voir la synthèse de Patrick Boucheron au sujet des fresques du Bon Gouvernement de Sienne, Conjurer la peur. Sienne, 1338. Essai sur la force politique des images, Paris, Seuil, 2013.
49 Sur ce point voir Contamine, « Réformation », art. cité, p. 46 et Krynen, L’empire du roi, op. cit., p. 195.
50 Voir Contamine, « L’ordre de la Passion », art. cité, ainsi que Krynen, ibid., et enfin Telliez, « Le contrôle des officiers », art. cité, notamment p. 195.
51 Autrand, Charles V, op. cit., p. 266 et suiv. et Krynen, ibid., p. 420 et suiv.
52 Nous préparons la continuation de cette étude au xve siècle, en analysant notamment de cette question de la communication politique à l’œuvre à ce moment-là : alors se confirme ce que l’on entrevoit sous le règne de Charles V et le début de celui de Charles VI.
53 Sur la politique conçue comme « médecine du gouvernement » voir Krynen, L’empire du roi, op. cit., p. 222.
54 Voir à ce sujet, à nouveau, les développements de Krynen, ibid., p. 250 et suiv. : l’image du « remède politique » est très en vogue chez les penseurs et moralistes du xive siècle, dans la veine aristotélicienne de cette période (par exemple chez Nicole Oresme), puis surtout aux p. 269-274 au sujet de la question fiscale, ainsi que nous l’avons indiqué plus haut.
55 Voir sur ce point nos analyses dans la première partie Lemonde, Les comptes et les choses, op. cit.
56 Le mois n’est indiqué que lorsqu’il y eut plusieurs procédures distinctes la même année.
57 Toutes les cotes d’archives renvoient à des documents conservés aux archives départementales de l’Isère. Les mentions comptables de commissions d’enquêtes réformatrices (ou préréformatrices) ne sont pas rapportées ici car elles ne permettent pas d’enrichir la lexicographie. En effet, les imputations comptables évoquent des « enquêteurs » sans préciser davantage leur action ; c’est seulement en recoupant ces mentions avec les autres documents à notre disposition que nous avons pu préciser la teneur de leur mission.
58 Pour faciliter la lecture de cet inventaire, les substantifs et les adjectifs ont été mis au nominatif singulier (sauf clamores dont on n’a aucune occurrence au singulier), les verbes à l’infinitif.
59 B 3703, passim.
60 7 B 32, 2e liasse ; mentionné également dans Chevalier, Ordonnances des rois de France et autres princes souverains, op. cit., p. xx no XIV.
61 B 3165, fol. 1 et mention indirecte, enchâssée dans l’enquête d’Oisans de 1337 (infra).
62 B 3285, passim, B 3704, passim, B 3705, passim, B 3329, fol. 1-2.
63 C. Faure, « Les franchises de Buis-les-Baronnies », Bulletin de l’Académie delphinale, 5e s., 3, 1909, p. 165.
64 Chevalier, Ordonnances des rois de France et autres princes souverains, op. cit., XX, no XIV.
65 Chevalier, Regeste dauphinois, op. cit., 5, no 27065.
66 Ibid., no 28817
67 B 3145, passim, et B 4344, passim.
68 Chevalier, Regeste dauphinois, op. cit., 5, no 29113.
69 Valbonnais, Histoire de Dauphiné, op. cit., t. 2, p. 370-371.
70 B 3019, fol. 230.
71 Statuta delphinalia, op. cit., fol. 88 et suiv. (1re numérotation).
72 Chevalier, Ordonnances des rois de France et autres princes souverains, op. cit., p. 132.
73 Chartrain, « Le point de non-retour », art. cité.
74 J.-G. Joseph, Histoire de la réunion du Dauphiné à la France, Paris, Académie des bibliophiles, 1868, p. 150.
75 B 3337, à partir du fol. 24.
76 C. Reydellet-Guttinger, « La chancellerie d’Humbert II, dauphin de Viennois (1333-1349) », Archiv fur Diplomatik, Schriftgeschichte, Siegel und Wappenkunde, t. 20, 1974, p. 371.
77 Chevalier, Regeste dauphinois, op. cit., 6, no 33474 et 33477.
78 Ibid., no 33612.
79 Ibid., no 33984.
80 Ibid., no 34350.
81 Ibid., no 34517.
82 Ibid., no 34822.
83 B 4481, passim et ibid., no 33572.
84 Ibid., no 35502.
85 Ibid., no 35768.
86 Guiffrey, Histoire de la réunion, op. cit., p. 238, 239 et 248-250.
87 Lemonde, Le temps des libertés, op. cit., p. 375.
88 Chevalier, Ordonnances des rois de France et autres princes souverains, op. cit., p. 20-21.
89 Lemonde, Le temps des libertés, op. cit., p. 75 et 89.
90 Guiffrey, Histoire de la réunion, op. cit., p. 312-313.
91 Lemonde, Le temps des libertés, op. cit., p. 139.
92 Ibid., p. 93.
93 Ibid., p. 65.
Auteur
Université Grenoble-Alpes, LUHCIE
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