Le cas d’une sépulture d’individu immature de l’horizon Sodohomé au Bénin (1000-1200 AD)
The Case of a Burial of an Immature Individual from the Sodohome Horizon in Benin (1000-1200 AD)
Résumés
Science jeune au Bénin, l’archéologie est encore mal connue du public. Elle y est pourtant essentielle car les sources historiques ne remontent pas au-delà du xvie siècle. En 2018, à Bohicon, des ossements sont apparus dans les parois d’un chenal d’évacuation d’eau. Les archéologues du projet BDArch (Bénin-Danemark Archéologie), centré sur le plateau d’Abomey, alors présents sur place, ont entamé une fouille de sauvetage. La fouille a été rendue difficile par une déclivité importante du terrain et par un substrat latéritique ayant œuvré à une dessiccation importante des ossements. Cette fouille a révélé une trentaine de restes osseux humains immatures ayant appartenu à au moins un individu. Dans un pays imprégné de spiritualité vôdoun à pratiques magico-religieuses qui craint donc les morts et ce qu’on peut faire de leurs restes, la découverte de ces vestiges a été à l’origine de peurs et de violences de la part de la population locale (Atrokpo, 2021). Cette fouille est malgré tout essentielle au vu des connaissances qu’elle amène sur les sociétés des x-xiie siècles dans ce pays ainsi qu’en termes de partage de ces connaissances aux populations locales. L’enjeu est désormais de travailler avec ces données anthropologiques et d’inclure les locaux à la recherche de leur propre histoire. Doctorante au sein de l’ED 112 de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, je suis spécialisée en archéologie funéraire et anthropobiologie. Je travaille sur le Bénin depuis cinq ans maintenant et, depuis trois ans, j’y dirige une fouille présentée ci-après, dans le cadre de la mission BDArch dirigée par Mme Merkyte de l’université de Copenhague.
Archaeology is an emerging science in Benin, which still remains quite unknown for local population today. However, it is an essential science for Benin’s history as the oldest sources are dated from xvith century. In 2018, human bones have been found in the wall of a drainage ditch. BDArch’s archaeologists were on-site inspections so they handled rescue excavations. Ditch presents a significant slope so excavating turned to be complex. The lateritic substrate dried the bones making them extremely fragile. It appeared that they were immature bones. In this country permeated by vôdoun beliefs with magico-religious practices, the dead and especially what can be done with their bones are feared. Therefore, the removal of these bones generated fear and violence from locals. Nevertheless, this excavation is essential as much for the knowledge it can provide on societies from the x-xiith centuries in Benin than for the share of these informations with the population. What is at stake now is to manage these factors and to include residents in the research of their own history.
Entrées d’index
Mots-clés : Bénin, ossements humains, immatures, Vôdoun, BDArch
Keywords : Benin, Human bones, Juvenile, Vôdoun, BDArch
Texte intégral
Introduction
1Le Bénin, pays d’Afrique de l’Ouest de 112 620 km², est frontalier du Nigeria à l’est, du Niger au nord-est, du Burkina Faso au nord-ouest et du Togo à l’ouest (fig. 1). Au sud, il est bordé par l’océan Atlantique et fait partie du golfe de Guinée. Sa capitale est Porto Novo. Il se compose de cinq régions naturelles ; la chaîne de l’Atakora au Nord-Ouest, explorée archéologiquement par l’université d’Abomey-Calavi (UAC) au Bénin ; la plaine de Gourma, région frontalière avec le Burkina Faso étudiée par l’équipe de l’université d’East Anglia en Angleterre ; une savane humide composée d’inselberg prospectée par l’UAC ; le plateau d’Abomey étudié par les universités de Copenhague et de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et une zone côtière basse et sablonneuse composée de lagunes. Elle est également prospectée par l’Université d’East Anglia ainsi que par l’Université de Santa Cruz aux États-Unis.
Fig. 1 : Carte géologique et administrative du Bénin avec Porto-Novo en rouge et Abomey en noir

Bruneau.
2Les cultures de l’ère Adja-Fon et du Bénin sont connues grâce à des traditions orales (Randsborg et Merkyte, 2009, p. 24). L’histoire écrite est apparue avec l’arrivée des premiers voyageurs européens au xvie siècle (Beaujean, 2015, p. 137). Pendant quatre siècles de nombreux Européens ont écrit sur les cultures ouest-africaines qu’ils rencontraient au cours de leurs voyages. Ils décrivirent ce qu’ils virent et documentèrent l’histoire de ces peuples au travers du filtre de la mémoire orale. Grâce à ces écrits, nous avons une bonne connaissance de l’histoire du royaume du Danhomé1, de ses traditions et coutumes (Bruneau, 2019, p. 18). Ces témoignages, aussi importants soient-ils, n’ont pas échappé au filtre de l’ethnocentrisme parfois violent des xixe et xxe siècles (Coquery-Vridovitch, 1964 ; Campion-Vincent, 1967 ; Kilani, 2014). L’archéologie contemporaine, sans s’émanciper d’un certain ethnocentrisme (Kilani, 2014), permet néanmoins de proposer un nouveau discours et de nouvelles hypothèses sur le passé récent (xve-xxe siècle). Elle permet également de combler une seconde lacune qui est celle de la profondeur historique, laissée vide par perte de la mémoire. En effet, il n’existe pas de témoignages antérieurs à ces écrits. Aujourd’hui les diverses campagnes de fouilles menées par le passé ont permis d’établir une chronologie pré-danhoméenne (avant 1600 de notre ère) telle que suit :
la culture Kitampo aux alentours de 2000 avant notre ère (Randsborg et Merkyte, 2009, p. 18) ;
la période dite de la « Poterie Jaune » entre 1100 et 540 avant notre ère, caractérisée par une céramique à pâte jaune et une production intense d’huile de palme (Merkyte, 2019) ;
une période d’hiatus entre 500 avant notre ère et 500 de notre ère sur laquelle nous n’avons pour l’heure pas d’indices concordants (Merkyte, 2019) ;
entre 660 et 870 de notre ère se développe la période de la « Poterie pleine » caractérisée par une céramique à pâte sableuse et friable avec des décorations de surfaces. (Randsborg et Merkyte, 2009, p. 154) ;
l’horizon Sodohomé quant à lui se développe entre 990 et 1220 de notre ère (Merkyte, 2019). Il se caractérise par une production industrielle de fer (Randsborgd et Merkyte, 2009 ; Haour et N’dah, 2015).
3Nous allons ainsi présenter un site de dépôt d’ossements du plateau d’Abomey, dans la moitié sud du Bénin et envisager ce que ce site peut apporter à la connaissance du passé de cette région à cette dernière période (xe-xiiie siècle).
L’archéologie du plateau d’Abomey
Présentation du projet
4Le projet BDArch est né en 1998 lors de la construction d’une autoroute autour de la ville de Bohicon. La pelle mécanique a ouvert fortuitement les premiers abris souterrains du plateau. Bien que connus des populations locales, ils n’avaient alors jamais été étudiés par des chercheurs par manque de structures adéquates. Ces abris souterrains anthropiques sont très courants au Bénin et principalement dans la zone du plateau d’Abomey (fig. 1). Les autorités béninoises et danoises au Bénin firent alors appel à l’université de Copenhague afin de mener des recherches sur les vestiges de cette zone (Randsborg et Merkyte, 2009, p. 7-10).
5Les différentes campagnes eurent pour but de cartographier les divers abris souterrains et d’en réaliser des plans et typologies, mais également de prospecter de manière systématique et généralisée toute la région d’Abomey afin de recenser tous les sites archéologiques potentiels datés de la période danhoméenne (xviie-xixe siècle) ou antérieure. La première campagne officielle est lancée en 2002. Aujourd’hui sont ainsi recensés plus de 1 600 abris souterrains, des sépultures danhoméennes et ont été étudiés les palais royaux et leurs fossés de protection (Randsborg et Merkyte, 2009)
6Les prospections portent désormais sur les chenaux de dérivations des eaux de moussons en périphérie de la ville de Bohicon à 9 km d’Abomey (fig. 1 ; fig. 2 et 2 bis ; fig. 3). Ce sont dans ces chenaux qu’ont été découverts les restes osseux présentés ci-après (Merkyte, 2019).
La campagne de 2018
7Le site étant en cours de fouille, nous présentons ici les résultats préliminaires des campagnes de 2018 et 2019. Autour et dans de la ville de Bohicon a été creusé un chenal de drainage. Ce dernier avait attiré l’attention de l’équipe archéologique, un peu par hasard, grâce à l’apparition sporadique de larges poteries dans les coupes franches réalisées dans le terrain. Ces découvertes ont entraîné une prospection plus systématique de ce chenal (fig. 2 et 2 bis ; fig. 3). Le secteur Zounzonme a particulièrement attiré l’attention par la densité des structures retrouvées (fig. 3). On en compte aujourd’hui une dizaine pour la plupart encore non fouillées sur 525 m de long. Les pentes du chenal sont d’environ 45 °C rendant sa fouille particulièrement complexe. Il mesure 12 m de largeur pour une profondeur allant de 2,5 à 4 m de profondeur (Merkyte, 2019).
Fig. 2 : Chenal autour de la ville de Bohicon

GoogleEarth.
8La campagne de prospection 2018 a permis la fouille de sauvetage d’un dépôt d’ossements humains dans la paroi nord du chenal susmentionné, dans le quartier Zounzonme, du district Avogbana à 5 km au nord de la ville de Bohicon (fig. 2, 2 bis ; fig. 3). Aucune structure n’était visible depuis le fond du canal dans sa coupe, seuls des ossements affleurant, dont une partie a été probablement arrachée par les engins de chantier, nous ont permis de déceler le dépôt.
Fig. 3 : Vue aérienne du quartier Abgogbana à Abomey-Bohicon

Puces jaunes : gisements identifiés mais non fouillés. Puces rouges : gisements fouillés. Périmètre rouge : emprise de la fouille (525 x 12 m).
Fond Google Earth.
9Les restes osseux se situaient à un 123 cm en dessous du niveau de sol et s’enfonçaient dans la coupe à une profondeur similaire. Comme une piste routière passe immédiatement au-dessus du dépôt, nous n’avons pas pu envisager une fouille planimétrique et avons donc opté pour la fouille de sauvetage depuis la coupe. Aucun indice visuel ne nous permettait d’évaluer les dimensions de la fosse de dépôts. Aussi sommes-nous partis directement des vestiges affleurants.
10La position des ossements a été identifiée comme anarchique et ne répondant à aucune logique anatomique (fig. 4). Lors de la fouille il n’a pas été possible d’identifier les ossements hormis quelques os longs. La densité du substrat a en effet écrasé les ossements les uns sur les autres produisant un effet amalgamé et très fragile à fouiller au vu de la dessiccation avancée des restes.
Fig. 4 : Fouille du premier dépôt (Depot RH1)

Fouille 2018.
Bruneau.
11La campagne 2018 n’a permis la fouille que d’une structure, nommée Dépôt RH 1 (fig. 4). Le substrat nous contraignait en effet soit à l’humidification de la terre au risque du délitement des restes osseux, soit à l’application d’une pression légère sur le sol au risque de rompre les fibres osseuses déjà complètement expurgées de tout leur collagène. Il a été envisagé le prélèvement en bloc du dépôt mais faute de moyens techniques cette solution a été abandonnée. Le dépôt osseux a par ailleurs été vandalisé au cours de la campagne, probablement en raison de la crainte liée à la mise au jour des restes humains pendant la fouille, ce qui a endommagé les ossements de manière irréversible et a détruit les plus fragiles d’entre eux. Aucun reste d’artefact n’a été identifié comme lié au dépôt sinon une pierre non travaillée, en lointaine périphérie, localisée un mètre en dessous de la structure. Elle semble exogène au milieu sédimentaire, des analyses sont nécessaires pour en savoir davantage.
Matériels et méthodes
12Le travail post-fouille est réalisé entre la France et l’université de Copenhague, faute d’espace approprié sur site. Lors de la levée, une grande partie de la gangue de terre a été prélevée avec les restes osseux afin de les préserver au mieux d’un point de vue structurel mais également d’un point de vue physico-chimique (fig. 5).
Fig. 5 : Céramique en place, paroi nord du chenal

Bruneau.
13Une fois nettoyés à sec avec des outils en bois, il a été envisagé de recoller les fragments qui avaient été brisés, soit lors de la vandalisation du site, soit durant le transport en avion pour leur étude en Europe. Pour ce faire, nous avons réalisé une colle soluble à base d’acétone et de Paraloid B72 permettant un démontage et préservant les ossements. Après reconstitution, ils ont été placés dans un film aluminium afin de les préserver de toute contamination de la lumière et de la chaleur. Une fois fermé, l’aluminium a été plâtré sur les côtés afin de les protéger pendant le transport. Cette gangue de plâtre a elle-même été disposée dans une structure en polystyrène capable d’absorber les chocs. L’étude terminée, ils seront renvoyés au Bénin et conservés sous la responsabilité de l’université d’Abomey-Calavi. De la fouille au conditionnement les ossements ont été manipulés avec des gants de nitriles afin d’éviter toute contamination, les préservant ainsi pour de possibles futures analyses (14C ; ADN ; isotopes etc.).
Identifications et résultats
14Le travail postfouille de la fosse de 2018 a permis l’identification d’une trentaine d’éléments osseux à l’état fragmentaire. Une représentation anatomique nous a permis d’établir le NMI à un individu. L’identification de certains ossements reste sujette aux questionnements au vu de leur état de dégradation. Aucun ossement n’est complet et pour beaucoup, la corticale osseuse a disparu rendant le diagnostic compliqué et les mensurations impossibles. Le récolement des ossements nous a également permis de constater la présence des os longs et une absence systématique des os coxaux, des os du thorax ainsi que du corps vertébral. La question de la présence d’os des mains ou des pieds reste à ce jour ouverte. Certains petits ossements n’ont en effet pas pu être identifiés rendant incertaine leur présence ou leur absence.
15Il nous est quand même clairement apparu la petite taille des ossements suggérant des restes d’immatures. Cette hypothèse a été confirmée par l’identification de divers fronts d’ossification des physes2.
16Les différents fragments nous laissent ainsi penser que l’individu a qui appartenaient l’ossement avait entre 8 ans et 17 ans au moment de sa mort. Aucune diagnose sexuelle n’a pu être établie, les ossements discriminants ou les dents n’ayant pas été retrouvées.
17Les ossements n’ont pu être datés, le collagène ayant disparu. La datation a donc dû se faire par d’autres moyens. Au sein des dépôts, ont été retrouvées des coques de noix de palmier à huile qui ont été datées entre les xe et xiie siècles de notre ère (Merkyte, 2019). Cette datation inscrit donc ce gisement dans l’horizon Sodohomé (1000-1220 de notre ère) établie en 2007 par Randsborg et Merkyte de l’université de Copenhague, lors de la fouille d’une partie de ce fossé. (Randsborg et Merkyte, 2009). Cette datation correspond par ailleurs aux restes céramiques retrouvés.
18La fouille de 2019 est, comme nous l’avons déjà évoqué, toujours en cours d’étude. Les résultats ne sont donc pas publiables pour le moment. Les premiers indices laissent néanmoins penser que les ossements retrouvés dans la seconde fosse sont également immatures. Il s’agirait, en l’état actuel des connaissances, de restes costaux. Par ailleurs, les restes céramiques retrouvés rattachent ce dépôt à l’horizon Sodohomé.
Une fouille sociétalement sensible
Une mise en marche progressive de l’archéologie
19L’archéologie est une affaire complexe au Bénin et en Afrique de l’Ouest en général. Bien que la question du patrimoine et a fortiori l’archéologie soient évoquées au sein de la Constitution béninoise (loi du 20-23 août 2007 ; loi du 12 février 1999), la mise en pratique est plus compliquée (N’Dah, 2019). Il est établi par la Constitution que les travaux peuvent amener à la découverte de témoins des cultures du passé mais la loi ne prévoit que la protection des biens : réaliser un diagnostic ou des fouilles ne constitue pas une obligation. Ainsi le réflexe de déclarer la découverte de site est peu développé, malgré une bonne volonté de la part de la population. En effet, quand des équipes d’archéologues sont sur place, les travailleurs sur les chantiers font appel à eux quand ils découvrent des vestiges. Un projet de loi est actuellement en élaboration afin de donner un cadre à l’archéologie préventive (N’Dah, 2021). Le Bénin mène pourtant une politique cherchant à valoriser le tourisme et le patrimoine. La plupart des projets visent à rénover le pays et le gouvernement est aidé dans sa tâche patrimoniale par l’UAC et l’Unesco. La question des enjeux archéologiques a émergé progressivement, avec notamment la création du parc archéologique d’Agongointo et la rénovation des palais royaux d’Abomey. De ce manque découle une véritable méconnaissance générale du métier et des enjeux de l’archéologie, les principales campagnes se faisant ainsi par des agents extérieurs en partenariat avec l’UAC, seule structure compétente actuellement.
Fig. 6 : Établissement des âges selon White

Black et Folkens, 2016.
Fig. 7 : Établissement des âges selon Schaeffer

Black et Scheuer, 2009.
La mort dans la société béninoise
20Comme mentionné précédemment, la sépulture fouillée en 2018 a été vandalisée ; ce qui a brisé les rares ossements préservés par le temps. Cet acte, bien que répréhensible par la loi, trouve son explication dans le contexte cultuel béninois.
21Trois religions prédominent au Bénin, le christianisme, l’islam et le vôdoun, religion dont la naissance se situe dans le sud-est du Bénin et le sud-ouest du Nigeria. Si les trois religions se répartissent de manière assez homogène en termes de pratiquants, la spiritualité vôdoun imprègne les deux autres religions.
22Dans cette religion les morts sont sacrés et la tombe est leur demeure. Certains rites doivent être réalisés et certaines règles doivent être suivies avant d’aller visiter une tombe, comme l’interdiction d’accès au cimetière pour les femmes durant leurs menstruations. Les tombes sont par ailleurs honorées chaque année. Une profanation de tombe signifierait donc que la famille n’a pas su protéger la dernière demeure de leur aïeul. Déranger une tombe sans ces rites préliminaires devient donc une action sacrilège. Les morts ne sont pas en dehors du monde, ils côtoient et communiquent avec les vivants. Le sacrilège devient dès lors un danger, le danger que le mort dérangé se venge sur la famille qui n’a pas su le protéger. Pour preuve de leur importance, une cérémonie des masques leur est dédiée (fig. 9). Il s’agit de la danse des Egoun-goun, cérémonie publique, de jour, durant laquelle la présence des femmes est interdite. Tout contact avec un Egoun peut s’avérer fatal pour le vivant. Du fait de ce risque, les familles enterrent souvent leurs morts au sein des demeures familiales afin de protéger ces dernières (Agoiga, 2021 ; Atrokpo, 2021).
Fig. 8a : Fragments ayant servis à l’estimation de l’âge au décès ; spécimen no 1

Bruneau.
Fig. 8b : Fragments ayant servis à l’estimation de l’âge au décès ; spécimen no 15

Bruneau.
Fig. 8c : Fragments ayant servis à l’estimation de l’âge au décès ; spécimen no 18

Bruneau.
Fig. 8d : Fragments ayant servis à l’estimation de l’âge au décès ; spécimen no 20

Bruneau.
Fig. 8e : Fragments ayant servis à l’estimation de l’âge au décès ; spécimen no 23

Bruneau.
23Outre la crainte des morts, il existe également une peur de restes humains. La religion vôdoun est une religion à pratiques magico-religieuses qui nécessite fréquemment des restes humains ou animaux pour les rituels. La levée d’ossements dans une sépulture suscite donc la crainte d’un trafic de restes humains à des fins de magie offensive. Cette crainte a été renforcée par la méconnaissance de l’archéologie et de ses méthodes de prospection. La question de la découverte des ossements a ainsi été soulevée alors que la population locale n’avait pas connaissance de la présence de ces sépultures sur leur lieu de vie (Agoiga, 2021 ; Atrokpo, 2021). Comme évoqué précédemment, cette crainte des restes humains a suscité un acte de vandalisme. Le site fouillé se situant à la frontière non officielle entre deux quartiers, la communication de notre travail et des enjeux autour de ces fouilles avait bel et bien été réalisée auprès d’un des deux chefs de quartier mais pas du second, l’équipe présente sur place n’ayant pas eu connaissance de cette frontière. Néanmoins, sur site, nous expliquions à chaque personne passant aux abords du site de fouille la nature du travail effectué. Il semble néanmoins essentiel de prendre davantage connaissance de la structure politique locale.
24Enfin, le dernier enjeu autour de l’archéologie est d’ordre politique. À l’heure de la loi Savoy-Sarr en 2020, dans laquelle la France s’engage à restituer au Bénin et au Sénégal des biens patrimoniaux mal acquis durant le passé colonial, les équipes d’archéologues européennes sont particulièrement surveillées par les autorités locales afin qu’il n’y ait pas de malversations (Agoiga, 2021 ; Atrokpo, 2021).
Fig. 9 : Remontage partiel du squelette

Bruneau.
Fig. 10 : Masque Egoun-Goun

Agoiga.
Discussion et perspective
25Les fouilles de 2018 et 2019 laissent ainsi penser à un lieu de dépôt d’ossements d’immatures. Il apparaît que les ossements ne respectent pas l’ordre anatomique et que certaines parties des squelettes sont manquantes. Au vu et su des connaissances actuelles au sujet de ce lieu, on pourrait envisager un lieu de dépôt secondaire d’ossements d’immatures avec utilisation de jarres pour certains. Ce mode d’inhumation est connu au Bénin (Randsborg et Merkyte, 2009, p. 98) pour la période Danxoméenne (1600-1900 de notre ère). À première vue, il semble également que les sélections d’ossements soient différentes d’un lieu de dépôt à un autre, les os longs pour la fouille de 2018, les os costaux pour celle de 2019. Les résultats du travail post-fouille de 2019 nous en apprendront davantage sur cette possible sélection des ossements. En revanche, l’hypothèse d’une sélection par l’âge semble confortée par l’identification d’une troisième fosse de dépôt qui n’a pas été encore fouillée mais dont les pluies de mousson ont fait apparaître certaines parties. Des prélèvements de sauvetage ont ainsi été réalisés, laissant apparaître notamment une dent déciduale (fig. 10). Il s’agit d’une deuxième molaire non latéralisée qui se serait déchaussée. Cela correspondrait pour les normes établies par Buikstra et Ubelaker en 1994 à un âge compris entre 2 et 10 ans, plutôt autour de 10 ans pour la révision de ces normes par Ubelaker en 1999. La fouille de ce dépôt est prévue pour la prochaine campagne de fouille, en 2024 possiblement.
Fig. 11 : Zone de prélèvement de la dent avant sa levée (au centre)

Agoiga.
26Cette mission archéologique apporte donc de nouvelles connaissances de l’horizon Sodohomé (990-1220 de notre ère) aux historiens et archéologues béninois, mais également aux populations locales qui, suite aux fouilles, se réapproprient leur histoire. Il a été particulièrement documenté par le chenal de Zounzonmé dans lequel ont été retrouvées les coques de noix de palmier à huile qui ont pu être datées. La prospection et la fouille du chenal ont révélé plusieurs centaines (le nombre exact n’est pas encore défini car en cours d’études) de restes céramiques correspondant aux typologies de cette période. En revanche, peu de structures ont été découvertes, hormis une structure bâtie interprétée comme étant probablement un temple au vu des statues anthropomorphes trouvées lors de la fouille (Merkyte, 2019).
27Autrement, nous n’avons quasiment aucun indice sur l’organisation sociétale de cette culture pré-danhoméenne. Cette zone de dépôts d’ossements est donc essentielle car révélatrice des populations de l’époque, de la gestion de leurs morts et donc de la gestion des vivants, en l’occurrence avec une possible sélection par l’âge. Nous ne sommes aujourd’hui qu’au stade des hypothèses préliminaires et la suite des fouilles nous en apprendra certainement davantage.
28Les problèmes rencontrés lors de ces fouilles nous amènent également à revoir nos méthodes de fouille et d’approche car, bien que sur site une discussion ait été ouverte avec les populations locales, un vrai travail de communication est à mettre en place afin de faire découvrir au plus grand nombre l’importance de ces travaux ainsi que la déontologie propre à ce métier. Il est envisagé pour ce site en particulier d’organiser avec les chefs de quartier des séances rassemblant la population afin qu’une communication claire et précise soit faite auprès la population, en plus de la communication directement sur site. Il est également déjà établi que les locaux peuvent venir participer aux fouilles moyennant la supervision d’un responsable, afin de les initier à ce travail et ainsi de se réapproprier leur passé.
Bibliographie
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Agoiga S., Atrokpo T., Entretien, avril 2021
Beaujean G., L’art de cour à Abomey, le sens des objets, thèse dirigée par J.-P. Colleyn et H.-J. Drewal, Paris, École des hautes études en sciences sociales, 2015, 2 vol.
Bruneau R., Étude archéo-forensique des décapitations humaines lors des « Coutumes » danhoméennes, mémoire de master dirigé par E. Boëda et O. Kyburz, université de Nanterre, 2019, 5 vol.
Campion-Vincent V., « L’image du Dahomey dans la presse française (1890-1895) : les sacrifices humains », Cahier d’études africaines, 25, 1967, p. 27-58. DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/cea.1967.3088.
10.3406/cea.1967.3088 :Coquery-Vridovitch, C., « La fête des coutumes au Dahomey : historique et essai d’interprétation », Annales. Economies, sociétés, civilisations, 19-4, 1964, p. 696-716. DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/ahess.1964.421199.
10.3406/ahess.1964.421199 :Haour A., N’Dah D., Carrefour des empires, Archéologie, histoire et ethnographie dans le Dendi (République du Bénin), trad. par M. Barpougouni, 2015.
Kilani, M., Pour un universalisme critique. Essai d’anthropologie du contemporain, Paris, La Découverte, 2014, p. 156-191.
10.3917/dec.kilan.2014.01 :Merkyte I., « Urbanizing Forest. Archaeological Evidence from Southern Bénin », Journal of African Archaeology, 2019, p. 95-120. DOI : 10.1163/21915784-20190012
10.1163/21915784-20190012 :Nao O., « Archéologie préventive et préservation du patrimoine culturel au Burkina Faso », communication au colloque L’Archéologie préventive en Afrique. Enjeux et perspectives, Nouakchott (1er-3 février 2007) ; dactyl.
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Randsborg K., Merkyte I., Bénin Archaeology, The Ancient Kingdom, Oxford, Randsborg, 2009, 2 vol.
White T., Black M., Folkens P., Traité d’ostéologie humaine, trad. par J.-P. Beauthier, P. Lefèvre, F. Beauthier, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2016.
Notes de bas de page
Auteurs
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ED 112
Laboratoire TEMPS, UMR 8068
Laboratoire ABBA, UMR 7206
Thèse sous la direction de Manuel Gutierrez et Martin Friess, Peuples, maladies et migrations subcontemporaines en Afrique de l'Ouest : une étude ostéo-anthropologique.
Université de Copenhague, Institut Saxo, Archaeology, Ethnology, Greek & Latin, History
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Appréhension et qualification des espaces au sein du site archéologique
Antoine Bourrouilh, Paris Pierre-Emmanuel et Nairusz Haidar Vela (dir.)
2016
Des vestiges aux sociétés
Regards croisés sur le passage des données archéologiques à la société sous-jacente
Jeanne Brancier, Caroline Rémeaud et Thibault Vallette (dir.)
2015
Matières premières et gestion des ressources
Sarra Ferjani, Amélie Le Bihan, Marylise Onfray et al. (dir.)
2014
Les images : regards sur les sociétés
Théophane Nicolas, Aurélie Salavert et Charlotte Leduc (dir.)
2011
Objets et symboles
De la culture matérielle à l’espace culturel
Laurent Dhennequin, Guillaume Gernez et Jessica Giraud (dir.)
2009
Révolutions
L’archéologie face aux renouvellements des sociétés
Clara Filet, Svenja Höltkemeier, Capucine Perriot et al. (dir.)
2017
Biais, hiatus et absences en archéologie
Elisa Caron-Laviolette, Nanouchka Matomou-Adzo, Clara Millot-Richard et al. (dir.)
2019