Panorama des données archéologique à Anyama (Sud Côte d’Ivoire)
Panorama of Archaeological Data in Anyama (Southern Ivory Coast)
Résumés
Anyama est une localité située au sud de la Côte d’Ivoire, dans le district d’Abidjan. Elle a donc été très tôt touchée par les effets de l’évolution du monde en raison de sa proximité avec la capitale économique. Malgré tout, la population locale est restée attachée à certaines pratiques anciennes, notamment les savoirs et savoir-faire ancestraux comme la vannerie, la céramique, les fêtes de générations, les mariages traditionnels.
L’emprise du développement urbain a profondément remanié l’aménagement des sols de la région en raison de son classement comme zone d’extension de la ville d’Abidjan. Ainsi, d’importants ouvrages d’artificialisation des sols rendent de plus en plus difficiles la mise en œuvre et la réalisation des travaux archéologiques dans cette partie du pays. Cette étude vise à faire le point sur les différentes recherches archéologiques réalisées et sur leurs limites dans la zone d’Anyama. Pour atteindre cet objectif, nous nous appuyons sur les travaux de nos prédécesseurs et sur nos études doctorales, travaux réalisés dans la zone, comprenant notamment des enquêtes orales et ethnographiques, des prospections pédestres et des sondages-fouilles effectués entre 2013 et 2016.
Anyama is a district in the south of Côte d’Ivoire, in the district of Abidjan. It was therefore affected very early on by the effects of global change because of its proximity to the economic capital. Despite this, the local population has remained attached to certain ancient practices, notably ancestral knowledge and know-how such as basketry, ceramics, generational celebrations and traditional marriages. The impact of urban development has profoundly changed the land use of the region due to its classification as an extension zone of the city of Abidjan. Thus, the construction of large-scale land development projects is making it increasingly difficult to carry out archaeological work in this part of the country. This study aims to take stock of the various archaeological investigations carried out and their limitations in the Anyama area. To achieve this objective, we rely on the work of our predecessors and our doctoral studies. The work carried out in the area includes oral and ethnographic surveys, archaeological surveys and excavations carried out between 2013 and 2016.
Entrées d’index
Mots-clés : patrimoine en danger, sauvegarde, Anyama, Côte d’Ivoire côtière
Keywords : Heritage in danger, Safeguarding, Anyama, Coastal Ivory Coast
Texte intégral
Introduction
1Située dans la partie sud du pays, Anyama, notre zone d’étude, fait partie de l’ancien cercle des Lagunes. Sa distance avec Abidjan, la capitale économique du pays, est de 21 km. Elle est entourée au nord par les sous-préfectures d’Agboville et d’Azaguié, à l’est par celle d’Alépé et à l’ouest par la sous-préfecture de Songon. Elle est peuplée en majorité par des populations autochtones composées de ressortissants de l’ethnie Akyé (Nedin, Gnan et Tson) venus du Ghana lors de la migration du peuple Akan (Ekanza, 2006, p. 45). En Côte d’Ivoire, les Akan sont divisés en deux sous-groupes, les Akan forestiers et les Akan lagunaires dont est issu le peuple Akyé d’Anyama.
2La situation géographique de la zone d’Anyama favorise son accessibilité (chemin de fer, route bitumée), raison pour laquelle elle a récemment vu sa population croître aussi rapidement et ses infrastructures se multiplier au fil des années (Coulibaly, 2010, p. 46). De même, cette croissance rapide d’Anyama a eu un fort impact sur le socle idéologique et sur les traditions ancestrales du peuple Akyé de cette région, favorisant ainsi d’importants changements dans les comportements socio-économiques ancrés sur le temps long au sein de ces groupes de peuplement (Dian, 1970, p. 56-60), et précipitant ainsi dans cette région la fin de diverses activités artisanales liées à la pyrotechnologie (céramique), ainsi que la sculpture et la vannerie. La population d’Anyama, comme tous les peuples de la région côtière ivoirienne, fait face à une forte tendance, au sein des générations successives, à se départir des techniques productives et artisanales anciennes. Ce phénomène apparaît dès les années 1930-1950 et traduit la volonté de s’adapter aux nouvelles réalités techniques et économiques (Kouassi, 2007, p. 99-101). Il se traduit par l’adoption des récipients modernes en porcelaine et/ou en aluminium pour la composition du vaisselier domestique ordinaire. Ce fait s’observe dans toute la région côtière et spécifiquement dans la zone d’Anyama (Kouamé, 2018, p. 338). Le phénomène de rejet et d’abandon rapide des formes de l’artisanat traditionnel a eu pour conséquence d’engendrer une réelle solution de continuité entre la culture matérielle préindustrielle et la culture matérielle récente, à tel point que les formes de conservation et de préservation, ainsi que de patrimonialisation, attestées dans le monde occidental contemporain, n’eurent pas la possibilité de se déployer, et de produire un cadre suffisant pour la documentation des pratiques artisanales ancestrales…
3L’objectif visé dans cette étude est de faire un point sur les différents travaux archéologiques effectués dans la zone d’Anyama ayant justement porté sur cet environnement technique et matériel préindustriel. Pour cela, il sera question de dresser un tableau de toutes ces études à travers le temps tout en déterminant par la même occasion, les difficultés que rencontrent les archéologues dans l’exercice de leur fonction, face notamment aux défis récents posés par l’urbanisation de la région. Des pistes de solutions sont envisagées et présentées, afin d’apporter notre contribution à l’évolution des études archéologiques, et de proposer des nouvelles approches en vue de la connaissance des horizons archéologiques de la Côte d’Ivoire ancienne.
Méthodologie
4Ce préambule méthodologique vise à présenter une partie des recherches archéologiques réalisées dans la zone d’Anyama dans le cadre de notre récent programme d’études. Elles ont été effectuées de 2013 à 2016 lors de nos travaux de master et de thèse de doctorat. Nous avons effectué au cours de ces années une importante enquête ethnographique qui a consisté à sillonner 22 villages de la zone afin de rechercher d’éventuelles informations sur les savoir-faire locaux du peuple d’Anyama, particulièrement en ce qui concerne la production de la céramique, qui était au cœur de notre thème de recherche. Cette activité, autrefois très importante, a aujourd’hui presque intégralement disparu dans la zone. Les enquêtes ethnographiques représentaient selon nous un moyen efficace pour retracer l’histoire et l’évolution de cet art du feu pourtant si central dans la caractérisation des cultures matérielles anciennes.
5En effet, ces enquêtes nous ont amenée à souligner les traits structurants des réalités quotidiennes des populations à travers des entretiens individuels et collectifs qui se sont déroulés en présence des chefs de villages, des notables, des populations locales, parmi lesquelles figurent notamment des anciennes potières et des descendants de potières ayant exercé dans la seconde moitié du siècle passé. À l’aide d’un guide d’entretien, nous avons recueilli de manière systématique des informations sur l’histoire, la vie socioculturelle, la religion et surtout sur la pratique de l’activité céramique. Cette phase de travail a donné lieu à une campagne de mesures et à des prises de photographies sur quelques récipients céramiques anciens, conservés dans des unités domestiques, et témoignant de l’existence de cette activité dans la zone d’Anyama. Ces enquêtes ont révélé également, grâce à la prospection de surface, la présence d’anciens sites d’habitats désertés et un ancien site d’extraction d’argile qui se trouvait à quelques kilomètres des villages récents, autant de structures capables de nous fournir des données supplémentaires en vue d’une analyse de l’artisanat céramique régional dans la longue durée. Neuf anciens sites d’habitats et un ancien site d’extraction d’argile ont été identifiés. Ce sont les sites d’Adattié (site Baye), d’Adonkoi (sites 1 et 2), de Bangakoi, de M’bonoua (site Boya), de M’brago et de M’pody (sites 3, 4 et un site d’extraction d’argile). Une série de prospections a été ainsi réalisée à l’aide de différents guides locaux attribués par chaque village. Ces guides nous ont accompagnés sur les sites afin de nous aider à documenter leur emplacement exact. Dans certains villages, des cérémonies de libation ont été réalisées avant l’accès au site, afin de nous permettre de les atteindre sans contrevenir aux dispositions religieuses et aux traditions locales, qui interdisent de toute évidence la fréquentation de ces anciens sites par des étrangers non admis. Une fois sur les sites, nous avons procédé à des prospections qui consistaient à sillonner à pied tous les sites identifiés à la recherche d’indices archéologiques. Tous ces sites d’habitat sont aujourd’hui devenus des champs de cacao, d’hévéa, de manioc, ce qui a pour conséquence notable d’en endommager partiellement la stratigraphie et la surface, sans pour autant les livrer aux labours intensifs induits par la céréaliculture.
6À la suite de cette prospection, nous avons sélectionné les sites de M’bonoua (site Boya), de M’pody (site 4) et d’Adonkoi (site 2) pour mener des sondages stratigraphiques. En effet, ces sites avaient la particularité de présenter des vestiges construits bien visibles en surface et ils étaient moins perturbés par les activités anthropiques récentes que les autres sites parcourus.
7Avant le sondage, nous avons procédé à une délimitation des sites, à un relevé des coordonnées GPS de ces endroits, au choix du lieu du sondage, et à la mise en place du carroyage.
8Sur les sites de M’bonoua et d’Adonkoi les carroyages posés, de 10 x 4 m, étaient constitués de 10 carrés de 2 x 2 m. Au niveau du site 4 de M’pody, nous avons posé un carroyage de 6 x 4 m subdivisé en carrés d’un mètre de côté, soit 24 carrés. Les sondages sur ces sites ont livré d’importants vestiges que nous présentons ici avec d’autres données issues des recherches plus anciennes dans la suite du travail.
Résultats
Données anciennes sur l’archéologie à Anyama
9Les investigations à Anyama présentent pour l’heure deux temps forts, deux périodes d’acquisition de données que nous présentons dans cette partie, une période ancienne, et une période récente. En l’état actuel des données anciennes recueillies sur l’archéologie, seuls les travaux archéologiques de Monod (Monod, 1980, p. 290) et ceux de Guede et Tastet (Guede et Tastet, 1986, p. 339-356) ont été réalisés dans la zone d’Anyama.
10Ces études, commencées dans les années 1980, ont permis de déterminer que la localité d’Anyama avait connu un peuplement dès le Paléolithique (Guede et Tastet, 1986, p. 339-356). Cette période se caractérise par des objets issus de l’industrie lithique, découverts sur les sites de la Bété I et II. Ces sites, fouillés par Guede et Tastet en 1982, ont fourni d’importants éléments de la culture matérielle principalement composée d’objets en quartzites. Cette industrie prend la forme d’outils débités grossièrement et appartenant aux familles des pics et des bifaces. Ces artefacts étaient utilisés comme armes et/ou outils au cours de l’Acheuléen par une population d’Homo erectus et au Paléolithique moyen, localement associé à la culture de « Sangoen » (Guede et Tastet, 1986, p. 339-356). La datation obtenue pour ces vestiges oscille entre 100 000 et 120 000 ans BP (Kouassi, 2007, p. 20). Une industrie relevant du phénomène moustéroïde a également été identifiée dans les niveaux de sables rouges homogènes de la région (Guede et Tastet, 1986, p. 339-356). Cette industrie date, au niveau de la couche C du site de la Bété I, de 20 000 ans BP.
11Le tracé de l’autoroute au nord-ouest d’Abidjan et sa construction ont permis de découvrir au niveau de l’échangeur d’Attinguié, localité comprise dans la zone d’Anyama, une ancienne carrière montrant la superposition entre une terre de barre argilo-sableuse et un important niveau de galets. À sa base, se trouvaient plusieurs lits de galets roulés avec du sable argileux interstratifié et des galets de quartz filonien très émoussés (Monod, 1980, p. 290). La terre de barre, d’une épaisseur variant de 0,5 à 6 m, contient, à une distance comprise entre 1 m et 2,3 m par rapport au sommet, de nombreux fragments de grès ferrugineux et de gros galets de quartz. Parmi ces galets de quartz se trouvaient plusieurs objets relevant de l’industrie préhistorique, dont des bifaces épais et pics de grande taille ou des outils plus petits encore munis des cortex. On retiendra que la zone d’Anyama a connu un peuplement préhistorique, attesté par ces traces matérielles anthropiques découvertes fortuitement au gré du développement du réseau viaire de la périphérie d’Abidjan (Monod, 1980, p. 290 ; Guede et Tastet, 1986, p. 339-356).
Données récentes sur l’archéologie à Anyama
12Outre ces découvertes anciennes, des études plus récentes ont été effectuées dans la zone. En effet, les travaux de Kouassi (Kouassi, 2007, p. 533) nous ont permis d’avoir une large vision des potentialités et de la réalité archéologique de la zone côtière ivoirienne couvrant l’espace de Grand-Bassam à Grand-Lahou incluant Anyama. Dans son travail, l’auteur a donné un aperçu sur la matière première de la production céramique d’Anyama.
13À sa suite, les sondages effectués sur les sites de M’bonoua (site Boya) (N : 03° 63 794 / W : 06° 13 812), de M’pody (site 4) (N : 03°63 015 / W : 06° 16 557) et d’Adonkoi (site 2) (N : 03° 65 659/ W 05° 98 590) (fig. 1) lors de nos travaux de thèse, donnent des résultats suivants.
14À M’bonoua, les sondages ont atteint une profondeur de 59 cm et ont révélé deux horizons stratigraphiques principaux. La première couche est de matrice sableuse, noirâtre et meuble, elle a été assez perturbée du fait de son utilisation massive pour les pratiques agricoles. La deuxième couche archéologique est sableuse et compacte de couleur grisâtre.
15Sur le site 4 de M’pody, les sondages ont atteint une profondeur de 62 cm. Trois couches ont été identifiées dans les carrés ; le premier niveau partage les mêmes caractéristiques que celui de M’bonoua précédemment décrit, la deuxième couche est quant à elle charbonneuse avec du sable gravillonnaire latéritique, tandis que la dernière couche est de couleur orangée très compacte et ne contient aucun élément archéologique.
16À Adonkoi, les sondages ont atteint une profondeur de 110 cm, avec trois couches stratigraphiques. La première couche est similaire à celle des deux autres sites : noirâtre, sableuse, meuble et très perméable, la deuxième couche est sableuse de couleur grisâtre. La troisième couche, comme à M’pody, est stérile et de couleur orangée. Les vestiges explorés lors de ces sondages ont permis de collecter une quantité importante de mobilier céramique (fig. 2-3) et d’autres vestiges associés (fig. 4-5) comme des scories de fer, du charbon, des molettes, des coquillages.
Fig. 1 : Carte des sites sondés

Kouame E.A. et Yeo L., 2017
Fig. 2 : Fragments de céramiques

Kouame A.E., 2016.
Fig. 3 : Pipe à fumer en argile

Kouame A.E., 2016.
Fig. 4 : Scorie de fer

Kouame A.E., 2016.
Fig. 5 : Molette

Kouame A.E., 2016.
17Les datations ont été effectuées par le Radiocarbon Dating Laboratory de l’Illinois State Geological Survey à l’université de l’Illinois, grâce à des fragments de charbons prélevés en stratigraphie. Le profil chronologique de ces radiodatations se présente comme suit :
sur le site 2 d’Adonkoi : 345±15 BP soit 1605 ap. J.-C. (début du xviie siècle) ;
sur le site de « Boya » ou M’bonoua : 185±15 BP soit 1765 ap. J.-C. (seconde moitié du xviiie siècle).
18À la suite de ces travaux, la plus récente étude archéologique de la zone d’Anyama est celle menée lors de la campagne de fouilles préhistoriques sur le site archéologique de la Bété I, organisée par l’Institut d’histoire de l’art et d’archéologie africains (IHAAA) de l’université Felix-Houphouët Boigny (Abidjan) et par le Max Planck Institute for the Science of Human History (MPI-SHH). Elle s’est déroulée en mars 2020 et en octobre-novembre 2021. Les résultats de ces différentes fouilles sont toujours en cours de traitement. Toutes ces recherches nous ont permis de nous rendre compte des difficultés que rencontrent les archéologues dans l’exercice de leurs fonctions.
Difficultés liées à la recherche archéologique à Anyama
19La zone d’Anyama témoigne d’un riche passé principalement documenté par des connaissances orales et des pratiques matérielles, transmises de génération en génération. Toutefois, face à l’urbanisation galopante qui touche la plupart des pays du monde, dont la Côte d’Ivoire depuis le xxe siècle (Cotten, 1974, p. 183), la zone d’Anyama est aujourd’hui sous l’effet d’un nouveau cadre réglementaire, et notamment d’un décret la désignant comme l’une des zones d’extension immédiate de la ville d’Abidjan, principal poumon économique du pays. Elle est donc de ce fait l’objet de nombreuses interventions anthropiques mécanisées, en lien avec la politique d’aménagement du territoire, ayant pour conséquence d’artificialiser les sols. Cette artificialisation va de pair avec l’implantation de multinationales de l’agroalimentaire ayant fait fortune dans l’export des produits phares du pays, à l’instar des compagnies Unicafé, Sicafe, ou encore Brasivoire. L’implantation de ces firmes ainsi que la construction de bien d’autres édifices d’ampleur, comme le stade olympique d’Ebimpé et la nouvelle ligne de métro en cours de réalisation, ont pour conséquence de faire passer sous les pelleteuses d’importantes surfaces de terrain jusqu’alors vierge de toute occupation bâtie, tout en oblitérant une importante part des informations stratigraphiques sous-jacentes. Tous ces travaux entraînent ainsi la destruction d’anciens sites d’habitat qui renferment toute l’histoire du passé de la zone, et qui sont pour certains des lieux de mémoire ancestraux (fig. 6).
Fig. 6 : Ancien site d’habitat (Adonkoi, 2015) détruit par les travaux d’urbanisation et le passage d’une pelleteuse

Kouame A.E.
20Outre l’activité de construction galopante, les ressources naturelles de la région constituent un frein à la recherche archéologique dans cette zone. En effet, le site de Boya, situé du côté ouest d’Anyama, à 45 km d’Abidjan, est recouvert d’importants blocs granitiques (fig. 7) qui sont exploités de nos jours par l’entreprise Vianivri. Cette exploitation risque de détruire tout le site et les vestiges qui y sont associés.
Fig. 7 : Bloc de granite à proximité d’une ancienne habitation en ruine sur le site de Boya (M’bonoua, 2016)

Kouame A.E.
21Aussi, la plupart de ces sites désertés sont situés au bord des cours d’eau, il est donc impossible de mener des recherches archéologiques lors des saisons humides (fig. 8), en raison de la submersion partielle ou totale de grands pans de berges et des plaines adjacentes, qui contribue à la forte érosion des sols et au délavement total de nombreux indices stratigraphiques. Toutes ces transformations du territoire entraînent l’abandon et la disparition des savoirs et savoir-faire ancestraux de par la destruction du matériel archéologique.
Fig. 8 : Ancien site d’habitat situé au bord d’un coup d’eau (M’brago, 2015)

Kouame A.E.
Discussion
22Cette étude menée dans la zone d’Anyama, présentée dans cet article, nous a permis de faire un point documentaire et historiographique sur les différents travaux archéologiques entrepris dans la région et sur les difficultés techniques et infrastructurelles qui touchent l’étude du patrimoine ancien. Comme nous l’avons rappelé, la région n’est étudiée que depuis peu, par le biais des études effectuées par Monod, Guede et Tastet, commencées en 1980 et ayant permis des découvertes préhistoriques importantes. Les données récentes recueillies lors des fouilles archéologiques en 2020 et 2021 sur l’un des sites préhistoriques d’Anyama, la Bété I, où l’enquête sur le peuplement ancien a repris récemment, sont toujours en cours de traitement. Ces résultats en attente permettront d’avoir de nouvelles informations sur le paléolithique de la Côte d’Ivoire.
23Les autres recherches dans la zone ont surtout concerné l’étude du peuplement récent de la Côte d’Ivoire, pour des horizons chronologiques souvent bien méconnus, notamment l’époque préindustrielle et les siècles postérieurs à l’arrivée des Européens dans la région. Parmi les axes d’étude que nous avons privilégiés, l’étude des traditions matérielles relatives à la production de la céramique ancienne dans la région a été particulièrement féconde. Cette entreprise a été amorcée par Kouassi en 2007 et nous avions souhaité l’approfondir au cours de nos travaux de thèse (Kouamé, 2018). Ces études ont livré d’importants vestiges liés à la chaîne opératoire de la production de la céramique dans la région – notamment des fosses d’extraction – et d’autres vestiges associés à ces reliquats : des coquillages, des scories de fer, du charbon, des perles, des molettes. L’emploi de radiodatations permet notamment d’éclairer l’économie et la culture matérielle des xviie et xviiie siècles, époques particulièrement méconnues, dépourvues la plupart du temps de système de transmission écrit. À Adonkoi, notre enquête montre que le site était réellement occupé par d’autres populations avant l’arrivée des Akyé comme l’affirme par ailleurs la tradition orale. Malheureusement, l’essentiel de ces sites et vestiges risque de disparaître totalement.
Comment inverser la tendance ?
24Face aux enjeux actuels de l’urbanisation de la périphérie d’Abidjan et du développement du territoire adjacent, nous avons pointé les risques encourus pour le patrimoine archéologique local. Nous avons, à travers cette étude, montré qu’il était possible de produire une connaissance sur l’histoire de la région, reposant sur la tradition orale, l’enquête sociologique et ethnographique, et l’archéologie de terrain. En reconstituant et en valorisant les différentes techniques productives anciennes et le cadre culturel disparu – ou en voie de l’être – dans la zone d’Anyama, nous avons tenté, ces dernières années, de créer une trame pour les travaux futurs. Pour que ce cadre de production de connaissance perdure, il est important selon nous de déployer plusieurs politiques à l’échelle locale :
sensibiliser les populations sur la nécessité de sauvegarder et de sécuriser les sites et les cultures matérielles associées pour les générations actuelles et futures ;
impliquer politiquement et économiquement les décideurs et les acteurs de l’aménagement du territoire et de l’économie afin que l’archéologie préventive soit enfin une réalité en Côte d’Ivoire et jouisse d’un cadre réglementaire favorable, lui permettant d’exercer son action ;
inciter l’État ivoirien à adopter de nouvelles dispositions réglementaires protégeant les sites archéologiques et patrimoniaux en Côte d’Ivoire, et pénalisant leur destruction.
Conclusion
25Cette étude a fait le point des différentes recherches archéologiques effectuées dans la zone d’Anyama. Il ressort de cette analyse que les travaux archéologiques ont connu trois phases distinctes à Anyama. L’une, dans les années 1980, a permis de documenter la fréquentation paléolithique de la région ; une autre, commencée en 2007 et approfondie de 2013 à 2016, a montré que de nombreux vestiges associés aux époques préindustrielles pouvaient être documentés, fouillés, et publiés selon des normes modernes, grâce à l’implication des populations locales ; enfin la plus récente (2020-2021) permet d’approfondir les résultats des études de 1980 sur les époques préhistoriques. Il faut noter que la question de la sécurisation des sites et des vestiges ancestraux de la région est l’une des préoccupations majeures de cette zone en pleine urbanisation : une action publique d’urgence est nécessaire afin de préserver pour l’avenir les connaissances que ces vestiges pourraient apporter à l’histoire de la Côte d’Ivoire en général et de la zone d’Anyama en particulier. Cela est d’autant plus vrai que ce territoire si particulier offre déjà aux archéologiques une somme importante de difficultés géologiques et climatiques, à l’instar des affleurements granitiques et des crues régulières, qui freinent la recherche archéologique. Outre le strict contrôle des politiques de construction, passant par la contrainte légale de surveillance et de diagnostic archéologique, la sensibilisation et l’implication de la population locale doivent être envisagées comme un moyen futur de sauvegarde des sites archéologiques de la région, nous informant sur l’histoire des techniques anciennes de cette zone, afin d’empêcher leur totale disparition.
Bibliographie
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Cotten A.-M., « Un aspect de l’urbanisation en Côte d’Ivoire », Cahiers d’outre-mer, 106/27, 1974, p. 183-193. DOI : 10.3406/caoum.1974.2697
10.3406/caoum.1974.2697 :Coulibaly K., « Le commerce de la kola et le développement de la ville d’Anyama », Revue de Géographie tropicale et d’environnement, 1, 2010, p. 35-47. URL : https://docplayer.fr/22530147-Le-commerce-de-la-kola-et-le-developpement-de-la-ville-d-anyama.html
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Kouamé E. A., De l’importance des céramiques dans l’histoire et le patrimoine de la Côte d’Ivoire côtière. L’exemple d’Anyama, thèse de doctorat, sous la direction de K. S. Kouassi, université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, soutenue en 2018.
Kouassi K. S., « Les représentations du développement et de la modernité en Côte d’Ivoire côtière (Grand-Bassam - Grand-Lahou) et leurs impacts sur la recherche archéologique », Nyansa-Pô. Revue africaine d’anthropologie, 6, 2007, p. 91-106.
Monod Th., Découverte d’une industrie paléolithique d’âge sangoen dans le sable argileux « néogoen » ou « terre de barre » de la basse Côte d’Ivoire, C.R.A.CAD. Sc. Paris, t. 290, juin 1980.
Auteur
Anthropologue / Archéologue
Unité pédagogique archéologie de l’Institut des sciences anthropologiques de développement (ISAD)
Université Félix-Houphouët-Boigny de Cocody-Abidjan.
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Appréhension et qualification des espaces au sein du site archéologique
Antoine Bourrouilh, Paris Pierre-Emmanuel et Nairusz Haidar Vela (dir.)
2016
Des vestiges aux sociétés
Regards croisés sur le passage des données archéologiques à la société sous-jacente
Jeanne Brancier, Caroline Rémeaud et Thibault Vallette (dir.)
2015
Matières premières et gestion des ressources
Sarra Ferjani, Amélie Le Bihan, Marylise Onfray et al. (dir.)
2014
Les images : regards sur les sociétés
Théophane Nicolas, Aurélie Salavert et Charlotte Leduc (dir.)
2011
Objets et symboles
De la culture matérielle à l’espace culturel
Laurent Dhennequin, Guillaume Gernez et Jessica Giraud (dir.)
2009
Révolutions
L’archéologie face aux renouvellements des sociétés
Clara Filet, Svenja Höltkemeier, Capucine Perriot et al. (dir.)
2017
Biais, hiatus et absences en archéologie
Elisa Caron-Laviolette, Nanouchka Matomou-Adzo, Clara Millot-Richard et al. (dir.)
2019