Le relevé et l’étude d’une structure immergée
Le cas d’Olbia de Provence (Hyères, Var, France)
Survey and Study of a Submerged Structure: The Case of Olbia de Provence (Hyères, Var)
Résumés
La colonie massaliote d’Olbia est fondée en 325 av. J.-C., à la racine occidentale du double tombolo de Giens, en bord de mer. À l’origine destinée à sécuriser les terres aux mains des Salyens, tout en conservant la maîtrise de la mer, la cité se transforme au tournant du changement d’ère avec l’apparition de nouvelles constructions attestant les nouvelles ambitions d’une ville tournée vers le commerce et le thermalisme. C’est à la même époque que de nouvelles infrastructures sont projetées vers la mer. Les vestiges de ces aménagements littoraux sont aujourd’hui entièrement immergés. Ils font l’objet depuis 2019 de nouvelles campagnes d’investigation visant à en réaliser un levé complet, basé sur l’utilisation de la photogrammétrie, mais aussi une nouvelle étude architecturale afin d’en comprendre la fonction au travers de l’étude des techniques de construction. Les premiers résultats de ces recherches permettent aujourd’hui de discerner une structure en grand appareil, probablement destinée à la fois à protéger un bassin portuaire, tout en guidant les visiteurs arrivant par la mer et un ensemble de murs parallèles dont seules subsistent les fondations et quelques assises de leur élévation.
Olbia-de-Provence, a colony of Massalia (Marseille), is founded during the 4th century BC at the root of the double-tombolo of Giens, nearshore. Primarily, the city had to secure both the inland and the sea, but its function changed after the 1st ca. B.C. A new architectural program shows that the colony then aimed at thermal tourism and commercial exchanges. At the same time, new infrastructures, today submerged, are built at the seashore. Since 2019, new archaeological campaigns are aimed to produce an exhaustive survey of the remains, using photogrammetry, and a new architectural analysis. The first results show that the structure was protecting a harbour basin, but was also guiding the visitors coming from the sea towards the city.
Entrées d’index
Mots-clés : Antiquité, archéologie portuaire et sous-marine, photogrammétrie, architecture, Olbia de Provence
Keywords : Antiquity, harbour and underwater archaeology, photogrammetry, architecture, Olbia de Provence
Texte intégral
Contexte historique, géographique, et historiographique
1Désireuse de solidifier son emprise sur le territoire autour de la cité, Massalia fonde une série de colonies militaires sur la côte, tant à l’est qu’à l’ouest. Parmi celles-ci, Olbia, située sur un léger promontoire à la racine du double tombolo de Giens, est l’exemple le mieux conservé de nos jours. Fondée au ive siècle av. J.-C. (Bats, 1982 et 1986, p. 29), elle est située à un endroit stratégique, à la charnière entre la mer Ligure et le golfe du Lion. Tout en conservant un accès sur la mer et en surveillant l’archipel auquel elle fait face, la colonie permet de préserver la mainmise de Marseille sur l’arrière-pays (fig. 1). Le sort d’Olbia change après la mauvaise fortune de Marseille dans la guerre César-Pompée et il est probable qu’elle perde une partie de son influence, sinon la totalité du territoire (Bats, 2006, p. 21‑23). À partir de la période romaine, Olbia change progressivement de fonction, tout en restant dans ses murs. Le plan général est conservé mais la fonction même de la ville change, avec l’ajout de thermes en bord de mer et dans sa partie nord. C’est au changement d’ère, alors qu’elle devient une cité balnéaire, que semblent s’être développées les infrastructures maritimes encore visibles aujourd’hui. La cité d’Olbia sera abandonnée en tant que telle au vie siècle, bien que subsisteront encore à cet emplacement des édifices religieux plus tardifs (Bats, 2006, p. 178).
2Les vestiges d’Olbia sont connus depuis le xixe siècle au moins, lorsque l’intérêt pour l’Antiquité en général se développe et qu’Alphonse Denis, alors maire de Hyères, pratique les premiers dégagements sur le site dans les années 1840 (Bats, 2006, p. 13). Dès cette période, les vestiges immergés font l’objet d’observations et de premiers croquis, dessins et plans. On doit notamment à Benoît Blanc plusieurs planches et relevés d’ensemble sous forme de croquis cotés et annotés, réalisés en 18631 (fig. 2). Il faudra néanmoins attendre 1976, presque un siècle plus tard, pour qu’une première étude architecturale et archéologique des vestiges soit entreprise par l’équipe de Françoise Lécaille. Dans le rapport produit à l’occasion de sa campagne sur le terrain, on trouve quelques croquis de blocs, un plan de situation générale, un plan et deux coupes transversales des vestiges immergés (Lécaille, 1976). Ces travaux devaient se poursuivre mais la campagne de 1978 n’aura finalement jamais lieu.
3Entre 1996 et 2000, dans le cadre de la carte archéologique des îles et du littoral de Hyères, l’équipe conduite par Luc Long (Drassm) a repris l’étude de ces structures immergées (Long, 1997 ; Long et Cibecchini, 1997 et 2001 ; Long et Valente, 2001 ; Long et Vella, 2001 et 2003 ; Long et al., 2002 ; Long et Corré, 2003 et 2004). Au cours de la première campagne un sondage exploratoire localisé au sud-ouest de l’épave communément appelée « Tartane d’Olbia » a été réalisé (Long et Cibecchini, 1997 ; Long et Hoyau 1997). Cette même année, le relevé des enrochements a été entrepris et une première datation a été avancée à la suite de la découverte d’un pied d’amphore Dressel 2/4 « profondément englobé dans le béton ». Les fouilleurs, sur la base de cette découverte, proposent alors « l’édification de cet espace entre 35 avant notre ère et l’époque flavienne » (Long, 1997). Quatre autres campagnes, qui ont bénéficié du même cadre institutionnel, ont permis d’assurer une documentation complémentaire et la réalisation de sondages supplémentaires dans le même secteur que celui entrepris en 1996 (Long, 2004 : fig. 2 ; Long et Corré, 2004). Malgré les premiers éléments de réponse apportés par ces travaux, ils ne permettent pas de déterminer en détail la chronologie des activités portuaires de la cité, ni d’établir une planimétrie exhaustive et détaillée des vestiges immergés indispensable à la conduite de l’étude architecturale des deux ensembles aujourd’hui identifiés qui sont d’une part les structures maçonnées situées entre le rivage actuel et le cordon littoral induré et d’autre part, plus au large, les blocs de pierre de taille de grand appareil.
4En près de vingt ans, les techniques de relevé ont largement été renouvelées, notamment avec l’utilisation de plus en plus fréquente de la photogrammétrie rapprochée par corrélation dense. C’est cette technique, qui a fait ses preuves autant en archéologie navale (Dumas et al., 2015) que sur de grands ensembles portuaires (voir notamment, les résultats des relevés effectués à Fos-sur-Mer, Fontaine et al., 2019, p. 27), que nous avons choisi d’utiliser sur les vestiges immergées d’Olbia pour renouveler la documentation graphique du site.
Une nouvelle approche : pour le levé et l’étude architecturale
5La reprise de l’étude des vestiges immergés d’Olbia repose sur une programmation scientifique pluriannuelle. Celle-ci comprend deux phases principales : les opérations sur le terrain, visant à collecter les données et une phase d’étude permettant de les contextualiser et d’en tirer des conclusions quant à l’implantation, la fonction, l’utilisation et la destruction de la structure étudiée. Trois campagnes de terrain, d’environ trois à quatre semaines par an, ont d’ores et déjà eu lieu entre mars 2019 et avril 2021 grâce au soutien financier du fonds de dotation « Archéologie et patrimoine en Méditerranée » (Arpamed). Elles avaient pour objectif principal la réalisation d’une nouvelle documentation des vestiges, appuyée non pas sur un relevé manuel, comme cela avait été le cas par le passé, mais sur un levé photogrammétrique. Cette technique permet, grâce à l’assemblage de série de prises de vues photographiques, d’extraire entre autres des modèles tridimensionnels dont le géoréférencement devait être assuré, le cas échéant, par des opérations de topométrie. En complément de ces levés, plusieurs sondages archéologiques devaient être implantés à des endroits charnières de la construction afin de définir les techniques de construction mise en œuvre et d’affiner la datation de l’édification des structures. Une documentation complémentaire, notamment des vues aériennes à basse altitude, devait permettre une meilleure compréhension de l’environnement immédiat des vestiges.
La préparation
6Étant donné la nature des vestiges et surtout leur ampleur (150 m de long par 30 m de large environ), le lever devait être réalisé en plusieurs sections et ancré topographiquement dans l’environnement archéologique immédiat, à savoir la colonie massaliote dont les vestiges sont l’émanation. Cet ancrage n’a été possible que par l’implantation de points d’appuis sur et autour de la structure. Ces points, matérialisés sur les vestiges en mer par des clous enfoncés au marteau et mis en évidence par une pastille blanche, sont enregistrés lors des opérations de topométrie grâce à une canne suffisamment longue, maintenue au fond sur le point par un plongeur, mis à la verticale par un second, un troisième intervenant faisant le lien vocal avec l’opérateur de la station totale à terre (fig. 3). Ces points seront utilisés durant toute la durée de nos opérations mais pourront également être employés dans le futur pour le recalage de nouveaux travaux.
7Afin de préparer au mieux les interventions, plusieurs vols de reconnaissance ont été réalisés au moyen d’un drone, piloté par Loïc Damelet (CNRS/CCJ). Ils sont soumis au contrôle de l’autorité aérienne de la Base d’aéronautique navale de Hyères, contraignant en grande partie leur emploi. Néanmoins, ils ont permis aux équipes intervenant sur place de bien appréhender le site et de définir précisément la stratégie à mettre en œuvre pour la planification des interventions. Ils ont aussi permis de documenter, année après année, l’avancée des recherches. Si ces vols livrent des images cruciales pour la compréhension du site et permettent de le replacer dans son environnement, naturel comme archéologique (fig. 4), ces images ne constituent toutefois pas une base solide pour la réalisation d’un lever (fig. 5). En effet, pour être juste d’un point de vue géométrique, le levé par photogrammétrie doit être réalisé dans un milieu homogène du point de vue optique : les vestiges à lever et l’objectif de l’appareil utilisé doivent être tous deux soit dans l’air, soit comme dans notre cas, dans l’eau. Les prises de vues doivent donc bien être réalisées en plongée.
8Une pratique régulière de cette technique à l’occasion des recherches menées par le Centre Camille Jullian depuis plusieurs années donne le cadre institutionnel et scientifique idéal pour ce type d’intervention. En effet, si elle s’est démocratisée, la photogrammétrie nécessite un certain recul sur son utilisation. C’est un outil puissant, qui ouvre de nouvelles possibilités, en particulier pour les levers immergés car cette technique livre une documentation précise sur le plan géométrique, impossible à obtenir avec les méthodes traditionnelles. En revanche, elle ne se suffit pas à elle-même et ne remplace pas les observations réalisées par les archéologues.
9Pour que ces observations soient les plus précises possibles, les vestiges doivent être nettoyés. Les blocs qui constituent le site sont soumis à une double couverture qui altère leur lecture : d’une part le sédiment régulièrement apporté par les vagues et, d’autre part, la faune et la flore. Autant de filtres qui masquent les détails de chacun des blocs et empêchent de réaliser un levé correct. Retirer l’ensemble de ces éléments parasites s’est avéré la tâche principale et la plus chronophage de l’intervention sous-marine. Réalisé par secteur au fil des campagnes de terrain, afin de se prémunir d’une recolonisation trop rapide, ce nettoyage a été effectué manuellement par les plongeurs au moyen de racloirs, ciseaux à briques, truelles, ou tout outil qui s’est avéré efficace dans ce contexte (fig. 6). Il a permis de détailler chacun des blocs, de se rendre compte de leur diversité en termes de taille ou de forme et a en particulier mis en évidence des traces de mise en œuvre ou d’assemblage qui étaient passées inaperçues par le passé.
Le lever : du low-tech pour l’archéologie sous-marine
10Sous l’eau, le temps qui passe est le principal facteur limitant pour la réalisation de prises de vues par un photographe. Le cas de la structure ici étudiée allait rapidement mettre notre équipe en difficulté par deux de ses principales caractéristiques : ses grandes dimensions et sa position dans la zone intertidale en particulier à son extrémité nord, ni tout à fait à terre, ni vraiment dans l’eau. Une partie des clichés a effectivement été réalisée de la manière la plus classique : l’emploi d’un photographe « humain » muni d’un appareil immergeable (fig. 7). Mais le défi posé par la partie immergée d’Olbia nous a conduits à développer une nouvelle solution de levée permettant un plus grand taux de couverture des vestiges : le Photograboat (fig. 8). Il s’agit d’une embarcation gonflable utilisée habituellement pour la pêche, équipée d’une structure en tubes PVC sur laquelle sont fixées trois caméras GoPro. Ces caméras sont synchronisées entre elles et, grâce à leur mode intervallomètre, et peuvent être réglées pour prendre en fonction de la profondeur, une photo toutes les deux à cinq secondes. Ainsi poussé à la palme, l’engin peut couvrir des centaines de mètres carrés en un temps record et collecter un grand nombre d’images, même dans les fonds les plus hauts. Ce dispositif, créé et testé sur le site d’Olbia, pourra être adapté par la suite à d’autres sites archéologiques.
11Au cours des trois campagnes, 25 000 photographies ont été prises et seront traitées en vue de réaliser le levé complet des vestiges.
Sondages archéologiques et architecturaux
12Trois sondages ont été implantés et fouillés avec pour objectif de comprendre comment la structure a évolué depuis sa mise en place jusqu’à son abandon. Les sondages ont été implantés dans des endroits stratégiques du site : l’un à son extrémité sud, où un espace dans les blocs effondrés devait permettre de saisir la stratigraphie archéologique. Deux autres, dans la partie centrale, étaient dédiés à la compréhension du mode de construction de la structure.
13La réalisation des sondages s’est heurtée à la réalité des vestiges : des blocs épars, difficile à manier. Là où il était possible de trouver un espace entre deux blocs plus lourds, les moellons ont été déplacés afin d’accéder au sédiment meuble. Au centre de l’un des ensembles étudiés, un espace naturellement ouvert par l’érosion a été mis à contribution afin d’accéder au cœur de la construction (fig. 9).
Description des vestiges
14Comme nous l’avons indiqué, plusieurs équipes sont intervenues sur les vestiges immergés de la colonie d’Olbia. Ces équipes nous ont livré des descriptions plus ou moins fournies de ces architectures. La fonction portuaire d’Olbia depuis sa fondation vers la fin du IVe siècle av. J.-C., ne fait aucun doute. Il est fort vraisemblable que certains aspects du changement de la physionomie de l’agglomération à l’époque romaine (Brun, 2006, p. 23‑25), notamment « hors des remparts », aient concerné les aménagements de bord de mer. La datation de leur édification, située probablement au changement d’ère comme en témoigne le mobilier céramique découvert au cœur de la structure, pris dans le mortier d’assemblage des blocs, semble le confirmer. Même s’il est certain que la finalité première de leur édification est bien de protéger une étendue d’eau, dont nous ne connaissons pas la nature (espace lagunaire, bassin portuaire ?), des assauts de la houle, l’emplacement d’une partie des infrastructures portuaires reste incertain et discuté. Même si elles sont contiguës, nous divisons ici en deux ensembles distincts les constructions étudiées (fig. 10).
15Le premier ensemble est parfois qualifié par différents auteurs de digue (Long, 1997 ; Long et al., 2002, p. 72 ; Long et Corré, 2003 et 2004, p. 60) ou de jetée (Lécaille, 1976, p. 2 ; Brun 2006, p. 23), d’autres fois de môle (Long, 1997 ; Pasqualini, 2000, p. 37 ; Vella et al., 2000, p. 44 ; Long et Cibecchini, 2001, p. 64 ; Long et al., 2002, p. 72 ; Long et Corré, 2003 ; Long et Valente, 2003, p. 159 ; Long et Vella, 2003, p. 171 ; Long, 2004, p. 51) ou de quai (Long, 1997), voire de musoir (Long et Corré, 2004, p. 60) ou de voie (Long, 1997 ; Long et Valente, 2003, p. 159 ; Long et Vella, 2003, p. 171). Il est composé de trois tronçons de murs en maçonnerie dont la forme en plan s’approche de celle d’un Y2. Les deux petites branches du Y (b1 et b2) mesurent respectivement 27 m de long, selon un axe nord/sud pour la première, et 64 m de long, selon un axe ouest/est, pour la seconde. Aujourd’hui leurs connexions avec le rivage ne sont plus visibles. Depuis leur extrémité la plus à terre et dans le prolongement de leur axe longitudinal, la distance qui les sépare du trait de côte actuel est de 18 m, pour la branche b1, et de 64 m, pour la branche b2. Quant au tronçon b3, son extrémité la plus à terre est située à 55 m du rivage. C’est en ce point que se rencontrent les trois branches (b1, b2 et b3) du Y. Le tronçon b3, qui s’avance vers le large et dont l’axe longitudinal est orienté nord-est/sud-ouest, mesure 70 m. Sa largeur, d’un peu moins de 10 m, est constante sur toute sa longueur.
16Les limites latérales des branches b1 et b2 étaient très vraisemblablement bordées par des murs érigés en moellons (fig. 11). D’une dimension moyenne de 35 x 20 x 55 cm, les moellons sont assemblés au mortier. La hauteur des murs pouvait atteindre par endroit au moins 2,00 m. Des fragments des pans de murs cabanés, situés à l’extrémité de la branche b2, l’attestent. Très peu de ces pans de murs nous sont parvenus. Ils ont certainement été disloqués par le battage de la houle à leur base. On peut cependant déterminer leur emplacement et leur emprise grâce à l’observation de leurs substructures conservées sur un plus grand linéaire. Celles-ci sont constituées de pierres de taille en petit appareil. La largeur des tronçons b1 et b2, de parement extérieur à parement extérieur, est de 6 m. Dans les deux cas, après soustraction de l’épaisseur des deux murs latéraux, l’espace résiduel entre les murs est d’un peu moins de 5 m.
17Depuis son extrémité nord-est, les quarante premiers mètres linéaires de la branche b3 semblent être bordés, comme b1 et b2, par des pans3 de murs latéraux. Leurs élévations sont elles aussi de même facture4. Au-delà et sur 30 m, à partir du croisement entre la branche b3 et le cordon littoral induré5, les matériaux de construction sont mis en œuvre diffèrent. Les élévations sont faites en pierres de taille de moyen appareil et non plus en moellons. Les substructures sont, là aussi, en pierres de taille avec l’emploi de panneresses pour la face orientale et de boutisses pour la face occidentale qui est plus exposée à la houle. Des élévations qui surmontaient ces substructures nous ne connaissons que très peu d’éléments. Pour la face orientale, une seconde assise est conservée sur 11 m tandis que cette seconde assise n’est conservée que sur 8 m sur la face occidentale. Ici, les panneresses sont en grand appareil. Ce mur occidental est doublé au sud-est par un deuxième mur parallèle dont seule une partie des substructures est conservée. Les pierres de taille mises en œuvre sont en petit appareil. Grâce à un croquis de Benoît Blanc dont nous avons pu relocaliser les vestiges dessinés, nous apprenons que les scellements horizontaux de ces pierres de taille conjointes ont été assurés par des crampons métalliques placés dans des mortaises en double queue d’aronde. L’axe longitudinal de ces mortaises est situé sur les lits d’attente de pierre de taille, à environ 10 cm du nu du parement. L’extrémité sud-ouest des trois murs de la branche b3 est marquée par un enfoncement de substrat. Cette rupture bathymétrique correspond par ailleurs à la limite entre le cordon littoral induré et le fond sableux. Par basse mer, une partie des vestiges émerge de la surface de l’eau d’environ 50 cm. Entre ces murs parallèles, un sondage réalisé en 2021 a montré la présence d’une grande dalle en béton (fig. 12) dont le caractère hydraulique devra être confirmé par des analyses. En grande partie érodée, cette dalle semble reposer directement sur le substrat, préparé pour l’occasion par un léger creusement encore visible en stratigraphie. Elle constituerait elle-même le socle sur lequel était élevée cette partie de la structure.
18Le deuxième ensemble débute à l’extrémité sud-ouest du précédent. La distance qui le sépare du trait de côte actuel, selon l’axe longitudinal de la branche b3, est de 130 m. À cet endroit, des vestiges architecturaux gisent entre 0,40 et 4,5 m de fond. Ils sont étendus sur une aire d’un peu plus de 1 000 m². La forme en plan du périmètre de cette aire est rectangulaire. La médiatrice des petits côtés de ce rectangle de 30 x 35 m est dans le prolongement de l’axe de la branche b3.
19Cette partie des vestiges est caractérisée, par les différents auteurs, comme étant une étendue de blocs ou une plateforme (Lécaille, 1976, p. 2‑3), un empilement de blocs (Vella et al., 2000, p. 44), une esplanade de blocs (Long et Cibecchini, 2001, p. 63 ; Long et Corré, 2003, p. 72), une esplanade (Long, 1997 ; Long et Cibecchini, 2001, p. 63 ; Long et Valente, 2003, p. 159 ; Long et Vella, 2003, p. 171), ou encore un musoir (Long et Cibecchini, 2001, p. 64). À cet emplacement, plusieurs milliers de blocs sont disséminés sans ordre apparent. Cet ensemble est majoritairement composé de pierres de taille de grand appareil et de quelques blocs architecturaux. Leurs dimensions sont variables mais des ensembles typologiques semblent se constituer. Sur la totalité de l’étendue ainsi que sur ces abords immédiats, aucune structure architecturale n’a été identifiée.
20Une autre particularité de ces vestiges vient du fait que, dans la plupart des cas, les blocs portent des traces de scellements. Les scellements permettant de relier deux blocs conjoints sont largement représentés mais nous avons également observé des traces de scellements permettant de relier entre eux deux blocs superposés. Certaines pierres de taille présentent par ailleurs ces deux types de scellements (fig. 13). La typologie de ces scellements est très variée et de nombreuses traces ont été observées et documentées grâce à un nettoyage bloc par bloc, qui a également révélé d’autres éléments constructifs. Il s’agit de résidus de gangues en plomb, qui scellaient les crampons et qui ont été mis au jour dans les mortaises de certains blocs (fig. 14). Sur l’ensemble de l’étendue, aucun assemblage de blocs conjoints ou de blocs superposés encore en place n’a été aperçu. De même, aucune limite bâtie ne circonscrit l’amas de pierres de taille qui, de prime abord, ressemble plus à un chaos de blocs qu’à une construction éboulée ou démantelée. La réalisation d’un sondage à l’extrémité sud des vestiges n’a pas révélé de présence de sédiments meubles. Les blocs reposent directement sur le substrat.
Interprétation
21Fondée au ive siècle av. J.-C. à la racine du double tombolo de Giens, les pieds dans l’eau, la colonie d’Olbia était certainement dès sa conception tournée vers la mer. Dès les premiers temps, les Olbiens ont probablement pratiqué au moins une pêche de survivance et utilisé les routes maritimes pour l’importation ou l’exportation de marchandises. Sans disposer à cette époque d’un port à proprement parler, avec ses infrastructures complexes et raisonnées, il est probable qu’elle bénéficiait d’une zone dédiée aux activités maritimes, notamment une portion de plage sur laquelle tirer les barques au sec, probablement sur un tronçon du paléo-cordon occidental à l’est du promontoire (Long et Vella, 2003). En effet, le cordon induré qui aujourd’hui marque physiquement cet espace, à l’ouest, ne s’est solidifié qu’entre le ixe et le xie siècle (Long et Vella, 2003, p. 170). Les Olbiens n’auront donc pas connu ce secteur tel qu’il est actuellement visible.
22Au changement d’ère la cité évolue, change de fonction. Des thermes sont construits dans les remparts mais également à l’extérieur, tout proche de l’eau. Avec ces nouvelles installations, Olbia attire à elle une population de curistes aisés, qui en plus de profiter des thermes sur le front de mer, font certainement le bonheur des boutiquiers de la cité. C’est à cette époque et en lien avec ces nouvelles activités qu’une partie des vestiges aujourd’hui visibles sous l’eau sont établis. Difficile, à l’heure actuelle, de dire si cette implantation se fait ex novo, si elle recouvre une construction plus ancienne ou si les constructeurs ont au moins mis à profit une particularité du terrain.
23Les sondages réalisés en 2020 et 2021 indiquent que le substrat a été préalablement préparé, par creusement, à recevoir une importante quantité de béton dont le caractère hydraulique et donc la mise en place dans un milieu sinon entièrement immergé, au moins très humide, reste à confirmer. C’est à l’extrémité sud de cette avancée vers la mer que les blocs de pierre de taille sont en plus gros appareil. L’un d’entre eux, de forme triangulaire (fig. 15), indique la rotondité d’une partie de la construction, peut-être un musoir, à moins que l’on n’ait établit pour le prestige de la cité un amer reconnaissable depuis la mer par les marins, comme celui construit à Fréjus (Gébara et Morhange, 2010, p. 58‑63). Plus proche de la terre, des murs sont dressés afin de protéger ceux qui se tiennent sur la structure du vent et des vagues. Les modules de blocs et le type de construction semblent correspondre aux restes des thermes du bord de mer, encore visibles actuellement. Le tout forme peut-être un ensemble cohérent du point de vue architectural et fonctionnel, destiné à guider les curistes depuis leur arrivée par la mer jusqu’aux établissements thermaux. À cet effet, les visiteurs peuvent donc mouiller leurs embarcations dans un bassin protégé du vent d’est, au pied du rempart. Le sondage réalisé près de l’actuelle tartane, à l’ouest des vestiges immergés de la colonie d’Olbia, indique par la quantité de mobilier retrouvé que cet espace pouvait également servir de débarcadère pour les navires de commerce (Long et Cibecchini, 1997 ; Long et Valente, 2001).
24Ces hypothèses se heurtent encore au manque de données. Si les campagnes réalisées ces trois dernières années ont permis de lever le voile sur une partie du mystère des vestiges immergés d’Olbia, de nombreuses questions restent aujourd’hui sans réponse et nécessiteront un approfondissement dans le futur. À cet effet, la poursuite des travaux engagés, cette fois-ci en post-fouille avec la réalisation d’un SIG destiné à la mise en regard des différents niveaux de données collectées et à leur organisation en vue d’une étude architecturale complète, devrait permettre de déterminer si quelles pistes de restitution peuvent être suivies et menées à leur terme.
Bibliographie
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Long L., Valente M., « Un aspect des échanges et de la navigation depuis l’Antiquité dans les îles et sur le littoral d’Hyères. Synthèse des récents travaux du DRASSM », dans M. Pasqualini, P. Arnaud, C. Varaldo, M. Pagni (dir.), Des Îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes-Maritimes, Ligurie, Toscane) . Actes de la table ronde de Bordhigera, 12-13 décembre 1997, Aix-en-Provence, Association Provence Archéologie, 2003, p. 149‑164.
Long L., Vella C., « Site néolithique et exploration du tombolo de Giens », Bilan scientifique du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines, 1997, 2001, p. 60-63.
Long L., Vella C., « Du nouveau sur le paysage de Giens au Néolithique et sur le port d’Olbia », dans M. Pasqualini, P. Arnaud, C. Varaldo, M. Pagni (dir.), Des Îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes-Maritimes, Ligurie, Toscane) . Actes de la table ronde de Bordhigera, 12-13 décembre 1997, Aix-en-Provence, Association Provence Archéologie, 2003, p. 165-173.
Pasqualini M., « Les ports antiques d’Olbia (Hyères) et Toulon, environnement historique et géographique », Méditerranée, 94, 2000, p. 33‑38. DOI : 10.3406/medit.2000.3151
10.3406/medit.2000.3151 :Vella C. et al., « Contexte géomorphologique de trois ports antiques provençaux : Fos, Les Laurons, Olbia », Méditerranée, 94, 1, 2000, p. 39-46. DOI : 10.3406/medit.2000.3152
10.3406/medit.2000.3152 :Notes de bas de page
1 Ce carnet de croquis est conservé aux archives de la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence. L’auteur ne mentionne que le titre des planches : « Pomponiana [Olbia], près d’Hyères, 19 avril 1863 (Dans la mer) », p. 31. Nous remercions Michel Bats de nous avoir transmis une copie numérique de ces documents.
2 Pour faciliter la description, les petites branches du Y sont nommées b1 pour le tronçon dont l’axe longitudinal est orienté nord/sud et b2 pour le tronçon dont l’axe longitudinal est orienté ouest/est. La troisième branche, qui elle est à son longitudinal orienté nord-est/sud-ouest, est nommée b3.
3 On trouve un autre fragment de pan de mur, particulièrement bien conservé, à environ 10 m, en direction du large, de l’extrémité nord/est du tronçon b3.
4 Ces pans de mur retrouvés en mer sont aussi très proches de la facture des pans de mur cabanés situés à la limite des eaux en contrebas des « Thermes du bord de mer ». Il reste encore deux petits fragments de pans en élévation au début de la plagette à l’ouest des thermes. Ils ont les pieds dans l’eau et sont régulièrement battus par les flots.
5 Situé au nord-ouest de b3, celui-ci s’entend jusqu’à la plage, vers le nord-ouest, en suivant un arc de cercle tendu dont le rayon fait environ 125 m. Il fait environ 30 à 35 m de large.
Auteurs
Inrap, Institut national de recherches archéologiques préventives
Université d’Aix-Marseille
Centre Camille Jullian - Histoire et archéologie de la Méditerranée et de l’Afrique du Nord de la protohistoire à la fin de l’Antiquité, CNRS
Université d’Aix-Marseille
Centre Camille Jullian - Histoire et archéologie de la Méditerranée et de l’Afrique du Nord de la protohistoire à la fin de l’Antiquité, CNRS
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