Conclusion
Texte intégral
1Si de nos jours l’archéologie dispose généralement d’un cadre institutionnel favorable, du fait du développement des législations qui encadrent la protection et l’étude du patrimoine ancien à travers le monde, il subsiste des milieux – naturels comme anthropisés – intrinsèquement difficiles à explorer pour les chercheurs, pour des raisons techniques et physiques. Ces milieux peuvent être souterrains, d’altitude ou immergés, soumis à l’érosion, ou encore être caractérisés par des sols gelés, pollués… La recherche ne se fait pas non plus sans rencontrer des freins systémiques qui peuvent entraver ou limiter son ouvrage : obstacles économiques, politiques, sécuritaires, parfois également administratifs. Quand l’archéologue doit aussi se faire alpiniste, spéléologue, plongeur, médiateur, ou encore diplomate, quels compromis scientifiques et méthodologiques formule-t-il pour mettre au jour, collecter et enregistrer les données ?
2Ces dernières années, la question des fouilles en zone de conflits a connu un intérêt particulier, par exemple lors du colloque Archéologie des conflits/archéologie en conflit organisé par l’association Routes de l’Orient en novembre 2017, ou dans le récent ouvrage coordonné par Paul Newson et Ruth Young, The Archaeology of Conflict-Damaged Sites: Hosn Niha in the Biqaʾ Valley, Lebanon (2015). Récemment de nombreux sites ont été rendus particulièrement inaccessibles ou ont été directement menacés (voire ciblés) par des conflits armés, des tensions religieuses, ethniques ou tout autre événement ayant rendu le milieu hostile à l’homme.
3Il existe cependant toute une gamme de situations plus ordinaires/quotidiennes auxquelles les archéologues sont confrontés, à l’image des zones polluées en milieu urbain, qui peuvent rendre l’accès aux vestiges archéologiques et aux terrains d’enquête particulièrement délicats. Ces obstacles, allant de l’ordinaire contrainte topographie à la violence de guerre, ne compliquent pas simplement la préservation du patrimoine mais entravent aussi la préparation et le travail de terrain de l’archéologue.
4Les milieux naturels dans lesquels évoluent certains archéologues peuvent être parfaitement inhospitaliers et fortement complexifier le processus de constitution de la documentation archéologique (prospection – décapage – fouille stratigraphique classique – prélèvement de mobilier – enregistrement – étude – publication). Ces terrains nécessitent de la part des chercheurs et des étudiants de développer des compétences au-delà du champ de l’archéologie et parfois de mobiliser des technologies coûteuses ou relevant d’un répertoire technique rare, afin de contourner intelligemment toutes les altérations qui s’interposent entre la fouille idéale, celle du manuel, et l’exploration in situ, celle soumise aux contraintes de l’instant. L’environnement devient alors un élément inhérent à l’étude du site mais également à toute la logistique de la fouille (coût de transport, logistique d’acheminement de l’équipe, calendrier et fenêtre météorologique adaptée, matériel, objectifs, stockage et conservation des vestiges mis au jour). La spécificité de certains milieux va généralement de pair avec une rareté de la documentation archéologique associée.
5Les écueils logistiques (la localisation, l’accessibilité etc.), les moyens et les compétences supplémentaires déployés sont généralement laissés dans l’ombre des études publiées sur ces sites, et ne constituent souvent pas un champ à part entière des monographies dédiées aux sites archéologiques. Pourtant, ces contextes considérés comme difficiles, qui demandent une accumulation d’adaptations qui peut apparaître fastidieuse à la lecture des rapports, donnent à voir une véritable richesse pluridisciplinaire, témoignant d’un important répertoire de solutions élaborées à travers le monde pour contourner ces différentes contraintes. Toutes ces adaptations au terrain et aux obstacles, bien que partie intégrante des recherches de nombre d’entre nous, ne sont que rarement mises en lumière dans le cadre de travaux de jeunes chercheurs. La dimension internationale, extra-européenne, des terrains notamment difficiles, est une composante de premier plan dans la conception de l’archéologie pratiquée à Paris 1. Pour ces raisons, la XVIe Journée doctorale d’archéologie de l’École doctorale 112, sur « L’archéologie et les fouilles en contexte difficile », qui s’est tenue le 26 mai 2021, se proposait de traiter de ces différents sujets autour de travaux doctoraux français et internationaux aux thématiques aussi variées qu’originales. Cette journée avait pour modérateur David Pleurdeau (UMR 7194 – Histoire naturelle de l’homme préhistorique), maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle, que nous remercions chaleureusement pour son implication tout au long de la préparation et du déroulé de cette rencontre ainsi que pour la rédaction de l’introduction de cet ouvrage.
6Nous avons ainsi pu bénéficier de l’expérience de jeunes chercheurs issus de l’université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, mais également d’autres universités, françaises et étrangères : université d’Aix-Marseille, université de Bordeaux, université Félix-Houphouët-Boigny Cocody-Abidjan, université du Witwatersrand, université de Copenhague. Nous remercions tous les doctorants qui, grâce à la présentation de leurs travaux, ont donné vie à cette journée, avant de donner corps à cet ouvrage. Il nous a semblé qu’attribuer également une place notable à l’archéologie préventive, particulièrement concernée par ces problématiques étant donné la nature même et la temporalité des travaux de terrain, était nécessaire. Nous avons donc fait le choix de laisser la parole, en introduction de chaque session, à des chercheurs non doctorants dont les sujets d’étude nous semblaient parfaitement liés à la thématique, considérant que cette journée, qui a pour vocation le partage d’expérience et l’apprentissage en groupe des différents outils de gestion des terrains considérés comme difficiles, ne pouvait se faire sans prise en compte des nombreux profils d’archéologues confrontés quotidiennement à ce type de problématique. Nous remercions également ces chercheurs non doctorants, issus des rangs de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), opérant au sein de services archéologiques de conseils départementaux et de directions régionales des affaires culturelles, au sein d’entreprises privées ou encore d’universités, pour la qualité de leurs présentations et de leurs articles, qui ont nourri, grâce à leur expérience de terrain, ces discussions autour du thème des contextes difficiles, en présentant notamment des panels de solutions techniques et de protocoles d’approches actuellement en usage en France.
7Cette journée doctorale et sa publication n’auraient pas pu voir le jour sans l’aide d’Hélène Criaud, responsable administrative de l’ED112, que nous remercions sincèrement. Son engagement auprès de nous, des premières étapes de la préparation de la journée doctorale jusqu’à la publication de ce numéro, nous a permis la mise en place de cette journée aussi originale que riche en enseignements. Cet événement a pu être organisé grâce au soutien financier de l’ED112 et du collège des ED de l’université Paris 1, que nous remercions également. Nous remercions pour finir Pascal Butterlin et François Giligny, respectivement directeurs de notre école doctorale lors de cette journée doctorale et lors de la publication de ce numéro, ainsi que l’ensemble des enseignants-chercheurs qui ont relu les travaux des jeunes chercheurs qui ont accepté de se prêter au jeu de l’écriture d’articles.
8Cette journée, composée de douze communications de doctorants, complétées par quatre introductions de sessions et par quatre posters, s’est organisée en quatre sessions. Le premier thème questionnait le travail de l’archéologue face à des obstacles liés à la présence et à l’action humaine. Il y a notamment été évoqué des entraves immatérielles telles que le droit international ou les écueils causés par les guerres et leurs répercussions, à l’image de l’instabilité politique, des problèmes de conservation des archives et des jeux d’intérêts évoqués par Alexandrine Roche dans le cadre de sa présentation sur l’étude du centre-ville de Beyrouth en 1997, au sortir de la guerre civile, qui complétait parfaitement celui de Zoé Vannier sur la question de la conservation des collections archéologiques libanaises pendant cette même guerre. Ce rapport entre guerre et archéologie n’est pas totalement nouveau, comme en témoigne la naissance de l’archéologie aérienne dans le cadre du développement de la photographie aérienne militaire (qui facilita, elle, l’identification des sites) au tournant des années 1920-1940. Au-delà des répercussions actuelles de conflits passés, ce thème était aussi l’occasion de traiter de l’adaptabilité nécessaire au travail archéologique au moment où éclatent les conflits, ce qu’a permis de questionner la prise de parole d’Ashraf Abou Trabah grâce à l’exemple de ses travaux de terrain en Syrie entre 2009 et 2014. L’archéologie dans ces zones, bien qu’à risque est, comme l’écrit Matthias Metzger, un « travail essentiel [qui] doit être réalisé en pleine conscience des enjeux géopolitiques ». Il est apparu clairement au fil des discussions que le travail archéologique ne peut se faire sans une réelle prise en compte des contextes sociopolitiques actuels des pays étudiés et de leurs impacts sur les modalités d’accès au terrain et de conservation du patrimoine.
9Le deuxième thème concernait les nouvelles technologies et méthodes, toujours en développement et indispensables afin de faire face et de dépasser certaines barrières physiques et naturelles propres à un milieu. Qu’ils soient utilisés pour des recherches subaquatiques ou en grotte, les développements technologiques et méthodologiques récents appliqués à l’archéologie permettent d’accéder à un niveau d’enregistrement et de perception optimal des vestiges et traces du passé, comme ont pu l’illustrer les prises de parole d’Alex Sabastia et de Laurent Borel sur l’utilisation de la photogrammétrie dans le cadre de l’enregistrement de structures semi-immergées à Olbia de Provence, ou encore celle de Daniele De Simone sur l’utilisation de méthodes d’analyse propres à la spéléologie dans le contexte souterrain des cavités artificielles du parc archéologique des Terme di Baia, au nord de la baie de Naples en Campanie. Cette utilisation de diverses technologies au profit de l’archéologie ne se limite pas au simple fait de permettre une meilleure acquisition des données. Elle apporte également la possibilité, comme le montre l’étude virtuelle d’Armance Jouteau, de reconstituer des perceptions et sensibilités sans la nécessité de se rendre sur le terrain, au risque de le dégrader et de compromettre la préservation de certains sites menacés, fragiles, clos au public pour des raisons de conservation préventive.
10Le troisième thème s’inscrivait dans la continuité du précédent et interrogeait les difficultés liées au milieu géographique et naturel des sites archéologiques. Qu’il s’agisse de la lointaine aridité des paysages escarpés d’Arabie Saoudite décrite par Josselin Pinot ou au contraire de l’humidité plus voisine des vallées tourbeuses du nord de la France évoquées par Gilles Leroy, des sols humides du canton Kpekplessou en Côte d’Ivoire étudiés par Gnankou Florent Sosthène Houphouët, ou encore du climat oscillant entre aridité et inondations du bassin de l’Indus étudié par Alexandre Houdas, les conditions climatiques impactent indiscutablement la conservation des mobiliers archéologiques et contraignent le travail de terrain. En dehors du climat, d’autres éléments naturels impactent évidemment la recherche et la conservation, ce que n’a pas manqué de nous rappeler le poster de Raphaël Hanon sur les gisements karstiques plio-pléistocènes d’Afrique du Sud. Les communicants ont ainsi pu exposer les multiples possibilités d’accès, de collecte, d’enregistrement et de préservation des traces du passé, dans des milieux caractérisés par des conditions de conservation exigeantes.
11La quatrième et dernière session abordait la question des contextes politiques et culturels. Ces derniers peuvent impacter le travail de l’archéologue, le pousser à une adaptation plus sensible, quasi diplomatique, afin de travailler au mieux avec les dépositaires du patrimoine local et acteurs du monde de la culture, dans le respect et l’éthique du patrimoine matériel comme immatériel et des histoires culturelles. L’archéologie est souvent – si ce n’est toujours – fonction du contexte socioculturel au sein duquel elle est pratiquée. Ainsi, les contextes et influences politiques orientent les recherches impactant le développement de la recherche dans certaines régions, comme l’a évoqué Ninon Bour dans sa présentation concernant l’archéologie de l’Amazonie et des Antilles, et leur développement complexifié par des jeux d’influence et de pouvoir politique. Au-delà du manque de recherches et de données, comme l’a illustré la communication d’Affoua Eugénie Kouame sur l’archéologie dans la localité d’Anyama en Côte d’Ivoire, l’évolution des contextes politiques et le développement urbain peuvent avoir un impact important sur la préservation des restes archéologiques mais aussi sur la persistance des traditions et de la mémoire des savoirs et savoir-faire que l’archéologie tente de préserver ou de reconstituer, à l’image de la production céramique autrefois développée dans la région et dont les techniques ont été peu à peu oubliées. La mémoire et le rapport entre mémoire et histoire nationale sont aussi des éléments importants propres aux différentes sociétés, avec lesquels l’archéologue se doit de composer avec attention. Comme l’a démontré Gabriela Martinez Rocourt lors de sa présentation sur l’archéologie de l’esclavage en Haïti, le travail de recherche archéologique peut se confronter à la construction nationale de l’histoire et de la mémoire, par exemple dans le cas de pays anciennement colonisés, marqués par l’esclavage et ayant souvent connu des régimes d’exclusion raciale ou d’apartheid. Volonté de taire les atrocités passées dans un but de reconstruction nationale des pays anciennement colonisés, volonté de freiner les recherches sur ces atrocités par les pays ex-colonisateurs, les thématiques de recherches peuvent amener les chercheurs à évoquer des sujets mis à la marge, volontairement occultés par les sociétés actuelles à cause de leur poids mémoriel. De la même manière, notre vision européenne et parfois européocentriste du rapport à l’archéologie et aux vestiges matériels peut se confronter aux traditions, croyances et organisations sociales distinctes, comme l’a montré la présentation de Raphaëlle Bruneau et Inga Merkyte. Tout un enjeu de l’archéologie devient alors de conserver la possibilité d’évoquer et d’étudier des sujets complexes, qui ont parfois un impact politique et social important, tout en respectant les sensibilités et croyances des populations dont nous étudions le passé et auxquelles nous sommes extérieurs.
12Cette rencontre, grâce à la qualité des présentations et des discussions qui ont suivi ainsi que grâce au nombre d’auditeurs et à leur implication, a parfaitement illustré l’importance d’échanger entre disciplines et spécialités sur ces sujets qui, par une approche ou une autre, touchent tous les acteurs du monde de l’archéologie. Elle nous permet de dessiner les contours d’une typologie des solutions que les archéologues élaborent, sur le vif ou par expérimentations successives, pour améliorer leur approche des sites les moins accessibles, les moins explorables, les plus reculés, sans résumer l’archéologie à une suite d’aventures extraordinaires. Ces échanges nous laissent également entrevoir le futur de l’archéologie, qui ne cesse de se nourrir des avancées méthodologiques et technologiques afin de toujours œuvrer pour la compréhension, la préservation et la valorisation des patrimoines anciens et récents.
Auteurs
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – ED112, UMR 8096 – ArchAm
Thèse sous la direction de Stéphen Rostain et Valentine Roux : Caractérisation socio-culturelle des populations de la Sierra Nevada de Santa Marta à la période pré-hispanique. Approche technologique des assemblages céramiques taironas (Colombie, 1100 – 1600 apr. J.-C.)
Doctorante jusqu’en 2022 à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – ED 112, UMR 7041 – ArScAn
Thèse sous la direction de Hara Procopiou La nature des occupations des grottes en Crète minoenne, du Néolithique à l’Âge du Bronze
Docteur en archéologie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – ED 112, UMR 7041 – ArScAn. Thèse sous la direction d’O. de Cazanove (PR en archéologie romaine) soutenue en décembre 2022 : Armes, métiers des armes et armées en Italie centrale et méridionale, vie-iiie s. av. J.-C. : une archéologie du guerrier italique,
Professeur agrégé d’histoire, ATER en histoire ancienne à l’université du Havre
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – ED 112, UMR 7041 – ArScAn
Thèse sous la direction de Claire Alix, Valérie Daux et Christophe Petit : Sociétés thuléennes et changements environnementaux au début du IIe millénaire de notre ère : apports de la dendroarchéologie à la reconstitution des dynamiques de peuplements du nord-ouest de l’Alaska
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Appréhension et qualification des espaces au sein du site archéologique
Antoine Bourrouilh, Paris Pierre-Emmanuel et Nairusz Haidar Vela (dir.)
2016
Des vestiges aux sociétés
Regards croisés sur le passage des données archéologiques à la société sous-jacente
Jeanne Brancier, Caroline Rémeaud et Thibault Vallette (dir.)
2015
Matières premières et gestion des ressources
Sarra Ferjani, Amélie Le Bihan, Marylise Onfray et al. (dir.)
2014
Les images : regards sur les sociétés
Théophane Nicolas, Aurélie Salavert et Charlotte Leduc (dir.)
2011
Objets et symboles
De la culture matérielle à l’espace culturel
Laurent Dhennequin, Guillaume Gernez et Jessica Giraud (dir.)
2009
Révolutions
L’archéologie face aux renouvellements des sociétés
Clara Filet, Svenja Höltkemeier, Capucine Perriot et al. (dir.)
2017
Biais, hiatus et absences en archéologie
Elisa Caron-Laviolette, Nanouchka Matomou-Adzo, Clara Millot-Richard et al. (dir.)
2019