Conclusion générale
p. 515-521
Texte intégral
1En achevant cette étude sur le devenir d’une société provinciale du règne de Louis XV à la Belle Epoque, on ne reprendra pas le détail des observations présentées au fil des chapitres. En revanche, il convient de revenir sur les thèmes majeurs qu’elle a placés au cœur de sa réflexion : celui des structures de la société du Vendômois ; celui du devenir de cette société ; celui des causes de l’évolution constatée ; celui enfin de la manière dont cette société vit et pense son devenir.
2Présenter une société, comme on s’est attaché dans les deux premières parties à le faire pour celle du Vendômois du xviiie siècle, suppose d’abord que lui soient appliquées les classiques grilles matérielles ou culturelles de l’historien dans l’intention de découvrir les ressorts qui l’organisent. L’analyse a révélé l’importance du rôle que jouaient à cet égard deux types de structuration de la population régionale. En premier lieu, et sans surprise, celle des habituelles hiérarchies de la richesse et des honneurs, des niveaux culturels aussi — au sens le plus classique du terme — et de toutes les subordinations qui en découlent. De telles hiérarchies s’observent nettement à la campagne, et il est même possible de distinguer à partir de leurs caractères — plus tranchés en Beauce, moins marqués dans le Perche, atténués par un état d’esprit plus égalitaire dans le vignoble — des manières de vivre sensiblement différentes de la population rurale. Mais elles sont très fortement affirmées aussi en ville, et elles se constatent encore entre la ville et la campagne, cette dernière relation constituant même l’un des ressorts essentiels de la vie régionale. Dans ces conditions, la hiérarchisation de la société vendômoise du xviiie siècle ne peut être discutée : trop d’indices la confirment, en effet, en matière de fortune, de genre de vie, de comportement, de niveau d’alphabétisation... Encore faut-il bien marquer cependant — et on y a souvent insisté, notamment en matière culturelle — que la superposition des niveaux n’implique pas nécessairement ici frontière sociale étanche, mais que bien au contraire des passages sont possibles de l’un à l’autre.
3Cependant, cette vision en quelque sorte verticale ne rend pas compte à elle seule de toutes les réalités de la société régionale. L’analyse — et d’abord celle de la mobilité — a montré qu’il fallait compter aussi avec une autre structuration, horizontale celle-là : alors que la première fonctionnait à partir de clivages du type dominant-dominé, la seconde s’organise sur la base de couples tels que centre-périphérie ou cohésion-atomisation. Naturellement, cette double structuration, dont les deux principes, sans coïncider, ne sont pas nécessairement exclusifs, ouvre un vaste champ à toutes les complémentarités, à toutes les oppositions, à tous les glissements, et l’analyse a montré à plusieurs reprises que c’est largement au sein de ces dynamiques que s’inscrivent les évolutions vécues par la société provinciale pendant les deux siècles étudiés.
4Ces évolutions, qui sont considérables, se manifestent d’abord dans l’allure même des changements que vivent les populations de la région. Sur quantité de plans, et notamment sur ceux qui concernent les bases les plus fondamentales, biologiques et matérielles, de l’existence des hommes, on voit les oscillations brutales mais tendanciellement peu orientées qui scandaient traditionnellement leur histoire céder le pas à un type d’évolution nouveau, caractérisé par l’apaisement des oscillations, dont l’effacement permet de mieux apercevoir les changements en profondeur qui travaillent à préparer peu à peu un nouveau visage à la société régionale. A la Belle Epoque, ces transformations ont fini par atteindre tous les aspects de l’existence de cette dernière.
5Ainsi les Vendômois des premières décennies de la IIIe République, mieux soignés et surtout mieux nourris que leurs aïeux contemporains de la jeunesse de Louis XV, vivent-ils nettement plus longtemps qu’eux. La hantise séculaire de la disette a disparu au cours du xixe siècle de l’univers quotidien des populations, par suite des progrès que connaît alors l’agriculture. Mais ces progrès sont à l’origine de nouvelles préoccupations, liées au risque de surproduction. D’autre part, les horizons spatiaux se sont considérablement élargis pendant les deux siècles considérés : sans doute les habitants du Vendômois se sont-ils toujours beaucoup déplacés localement, et les voyages que quelques-uns entreprenaient plus loin, ainsi que les contacts avec des passants venus d’ailleurs pouvaient leur laisser entrevoir que le monde ne se restreignait pas à la dizaine de clochers entourant le village familier. Mais l’amélioration du réseau routier d’abord, l’arrivée du chemin de fer ensuite, une meilleure information géographique enfin développent leur ouverture sur l’extérieur. En même temps, la meilleure structuration de l’espace qui en résulte renforce les cohésions internes du Vendômois, avant de précipiter l’intégration de la région au sein d’un espace national dans lequel sa spécificité tend à s’effacer. Sur un autre plan, la population majoritairement analphabète du cœur du xviiie siècle acquiert peu à peu les moyens, même modestes, de pénétrer l’univers de la culture écrite, lentement d’abord jusqu’aux premières décennies du xixe, puis de manière plus décisive à partir de la monarchie parlementaire. Dans ces conditions, on ne doit guère s’étonner que, longtemps maintenues dans la soumission à un ordre monarchique manifesté jusqu’au village par la lecture des déclarations royales et les Te Deum de la messe dominicale, les populations s’émancipent progressivement jusqu’à affirmer massivement leur préférence politique, non pas tant pendant la décennie révolutionnaire, à cet égard souvent vécue, semble-t-il, sur le mode de la confusion et d’une relative indifférence — manque de compréhension plus qu’hostilité sans doute — que pendant le second xixe siècle, quand l’électorat affirme très majoritairement sa préférence républicaine. L’évolution de la pratique religieuse n’est pas sans lien avec cette histoire politique : massive par la force des choses sous l’Ancien Régime, elle est brutalement affectée par la déchristianisation révolutionnaire, dont l’effet n’est certes pas aussi immédiat et aussi définitif que l’escomptaient ses promoteurs, mais dont force est d’observer qu’après elle les niveaux antérieurs de pratique ne seront jamais retrouvés, et que c’est au contraire une tendance à la baisse qui sur ce plan s’établit durablement dans la région.
6Ces dernières observations introduisent le problème de la périodisation de l’histoire décrite au fil des chapitres. En la racontant, on a insisté surtout sur les permanences en ce qui concerne le xviiie siècle, et sur les transformations pour ce qui est du xixe. Une telle présentation revient à souligner l’inflexion majeure représentée par la Révolution, laquelle, sans aboutir dans l’immédiat, aurait impulsé à plus long terme de manière décisive des évolutions transformatrices dans tous les domaines. Pareille vision de l’histoire régionale et de son interprétation n’est pas indéfendable, à condition toutefois d’en fortement nuancer le schématisme. Même s’il est volontiers perçu comme tel, le xviiie siècle n’est pas une époque sans histoire : sur de nombreux plans, les hommes n’y vivent et n’y pensent pas de la même manière que pendant les décennies antérieures — ainsi qu’en témoignent les caractères des crises démographiques ou la relation à l’esprit de contre-réforme. Un tel constat interdit, soit dit au passage, de considérer le Vendômois du xviiie siècle comme représentatif d’une « civilisation traditionnelle » immuable, dans la perspective d’un « autrefois » intemporel qui n’est qu’une vue de l’esprit, sans fondement historique. Surtout, dans beaucoup de domaines se dessinent d’indiscutables évolutions, que l’épisode révolutionnaire contribuera d’ailleurs, dans certains cas, à faire apparaître en pleine lumière. A l’inverse, le xixe siècle peut bien connaître de considérables transformations, liées pour beaucoup à l’ébranlement provoqué par la Révolution, celles-ci n’excluent pas la persistance, souvent durable, de traits traditionnels : ainsi, par exemple, dans l’ordre des courants de migration constatés au xviiie siècle, et dont certains continuent à jouer fort avant au xixe . En bref, les grandes lignes de force à partir desquelles peut s’organiser une présentation de l’histoire du Vendômois aux xviiie et xixe siècles s’accommodent dans le détail de multiples nuances : celles-ci en traduisent toute la richesse, mais elles n’en simplifient pas l’explication.
7Expliquer une telle histoire, c’est bien évidemment rendre compte du changement, de ses caractères et de ses rythmes, tels qu’ils ont été décrits tout au long de ce travail. Chemin faisant, bien des relations de causalité ont été dégagées, qu’on ne rappellera pas ici. Mais en général, elles ne concernaient que tel ou tel aspect de la vie sociale, et donc telle ou telle modalité du changement, et non pas l’ensemble du processus de transformation de la société régionale sur lequel nous réfléchissons maintenant.
8A cet égard, puisque changement il y a eu, il convient d’abord de s’interroger sur la responsabilité qui revient en la circonstance à ceux qui ont clairement conçu un programme de transformation : les notables du premier xixe siècle, et parfois de plus tôt — ainsi un Salmon du Châtellier —, mais aussi d’autres agents, comme l’Eglise ou l’Etat monarchique (ce dernier relayé par les régimes successeurs). Toutes ces forces sociales mettent en œuvre une imposante stratégie directive, conçue sur le modèle de la diffusion parmi « ceux d’en bas » d’évolutions décidées par « ceux d’en haut ». Les chapitres de ce travail ont montré ce qu’il en advint : des changements réels sans aucun doute, mais des changements qui à l’arrivée ne sont pas exactement ceux voulus au départ par les notables ou par l’Eglise. C’est que sur le terrain le programme élaboré par ces derniers a dû composer avec la masse d’une société qui sans le refuser s’en saisit à sa manière et ne l’adopte qu’à travers des adaptations qui en constituent comme une lecture oblique. Ainsi dans le domaine de l’école élémentaire le système de la fondation illustre-t-il tout à fait la stratégie descendante évoquée à l’instant, puisqu’il réserve aux notables le maximum d’initiative et de contrôle. Pourtant, il n’est pas seul à fonctionner en Vendômois, où existent au xviiie siècle, notamment en Beauce, des écoles dont l’existence repose sur la volonté de la communauté des villageois. On voit bien que ces deux systèmes ne peuvent être radicalement opposés, car tous deux répondent à un même objectif de scolarisation : mais ce qui les différencie, quantitativement et qualitativement, indique bien qu’ils ne répondent pas exactement à la même attente... De ces accommodements et de ces distorsions, il résulte qu’on ne peut pas considérer que le programme de modernisation initial a été pleinement appliqué : le sentiment d’échec qu’éprouvent à cet égard, à la fin du xixe siècle, les notables ou l’Eglise est sur ce point éloquent. Pour autant, on ne peut pas considérer que les transformations du Vendômois correspondent à l’application d’un autre programme : les couches populaires, que leur culture jamais très éloignée de la nature conduit à raisonner d’abord en termes de permanence, n’en ont évidemment jamais élaboré.
9C’est pourquoi on peut affirmer que les transformations, qui pour beaucoup sont des progrès, échappent toujours en partie dans leur déroulement à la société régionale, même si celle-ci en est en dernière analyse bénéficiaire. En effet, à côté de celui qu’aurait représenté l’effet d’une volonté programmatique qui n’est jamais complètement parvenue à développer sa logique, d’autres processus ont joué pour modifier du xviiie au xixe siècle le visage du Vendômois, et deux d’entre eux semblent avoir joué un rôle important.
10Il s’agit d’abord de l’impact des impulsions venues de l’extérieur. On a dit leur importance au moment de la Révolution, dont l’initiative n’est certes pas vendômoise, et dont le déroulement met nettement en évidence le rôle que jouent localement les inquiétudes nées des événements de l’Ouest ou les infléchissements politiques décidés dans la capitale. Mais le jeu des influences extérieures s’observe en bien d’autres circonstances, parfois spectaculairement, comme au moment des guerres de 1814-1815 et surtout de 1870-1871, d’autres fois plus discrètement. Ce dernier cas est celui de certaines évolutions économiques, qui se constatent localement, mais ne peuvent se comprendre qu’en tenant compte de ce qui se passe ailleurs : ainsi l’affaissement de l’activité textile vendômoise au xixe siècle s’explique-t-il par les redistributions qui affectent alors cette branche sur le plan national en marginalisant les zones productrices secondaires ; de même la vaste révision qui progressivement fait passer l’ensemble, ou peu s’en faut, de la population régionale de la revendication de la taxation du prix du grain à une attitude protectionniste cherchant à le soutenir par des tarifs est-elle à mettre au compte d’une intensification de la production locale, sans doute, mais surtout à celle de la concurrence des pays neufs, qui se joue très loin du Vendômois, et sur laquelle celui-ci n’a aucune prise. Sur tous ces plans, l’histoire locale dépend d’évolutions générales qui la dépassent.
11Mais le destin de la région et de ses habitants ne se détermine pas qu’au-delà de ses limites. Il se joue aussi à l’intérieur, et en deçà de choix consciemment mûris et clairement réfléchis. C’est que le cheminement des pratiques et des mentalités est complexe, compte tenu notamment de la double structuration, verticale et horizontale, de la société régionale : la manière dont cette société se saisit du programme des notables en l’infléchissant éventuellement dans le sens qui lui paraît le mieux lui convenir est à cet égard révélatrice. Plus généralement, l’histoire du Vendômois paraît se construire à partir de multiples causes s’enchaînant pour déterminer autant de retouches successives, causes dans le développement desquelles les habitants de la région ont certes leur responsabilité, mais dont le changement global qui résulte de leur accumulation n’est contrôlé par personne, nul n’ayant jamais, sinon a posteriori, une fois donc qu’il est achevé, une vision globale du processus transformateur, de ses origines à son aboutissement. On comprend dans ces conditions que le changement tende à se constituer en objet autonome, par rapport auquel chacun est conduit à se déterminer.
12Du même coup, la relation au changement s’impose comme un élément essentiel de l’histoire de la région et de ses habitants. Cette relation peut s’analyser sur trois plans, complémentaires mais néanmoins distincts : celui de la perception de ce changement, celui de sa prise en charge, celui enfin de son appréciation.
13Le changement en effet n’est pas nécessairement perçu par ceux qui en sont contemporains. Ce n’est qu’au-delà d’une certaine intensité que ces derniers peuvent en prendre conscience, et ce degré est d’autant plus élevé qu’ils sont culturellement moins préparés à y prêter attention. Au xviiie siècle, Pierre Bordier et l’abbé Simon, bien que n’appartenant pas au même milieu, demeurent tous deux largement indifférents à ce type de préoccupation, leurs écrits s’attachant d’abord à retrouver ce qui est permanent et cyclique — à leurs yeux l’essentiel : avec eux, comme avec la plupart de leurs contemporains, le changement se développe comme à leur insu, et la seconde histoire de Fernand Braudel, l’« histoire sociale [...] des groupes et des groupements », se construit avec des hommes qui en sont les acteurs sans doute, mais des acteurs qui n’ont pas vraiment conscience de l’être. Ce constat situe l’importance de la Révolution, irruption brutale de l’événement : 1789 est bien le « grand tremblement », qu’évoque le vigneron François Lattron en ouvrant pour la première fois ses notes à un fait qui ne relève pas de la succession des saisons et des récoltes, ni de son horizon villageois habituel. A partir de ce moment, il n’est plus possible d’ignorer le changement.
14Dès lors se pose la question de sa prise en charge. A cet égard, on ne reviendra pas sur les analyses des précédents chapitres. Il suffit de rappeler comment les notables se saisissent de ce changement afin de développer un progrès général, mais aussi — car pour eux, l’un ne va pas sans l’autre, dans la mesure où dans ce processus ils se posent comme initiateurs et comme guides — afin de conforter leur position propre. Dans ce contexte, le débat s’organise d’abord, alors, entre le changement (pensé en termes de progrès) et la routine.
15Mais rapidement ce schéma se brouille. La routine est bien vaincue, mais le changement qui s’impose alors n’est pas exactement celui imaginé au départ. Un exemple permet d’illustrer cette idée : le projet rationalisateur des notables peut bien au départ viser à mieux structurer le territoire du Vendômois en renforçant l’effet des compémentarités qui traditionnellement l’organisent ; en réalité, il débouche rapidement sur l’intégration de la région à l’espace national, et donc sur un recul de l’identité provinciale — les équilibres internes sur lesquels se construisait l’autonomie de fait de la petite région étant désormais relayés par des relations de plus grande ampleur géographique. Or cette évolution a une portée sociale. Elle atteint en effet la légitimité des notables locaux, qui avec l’ouverture du pays perdent les fonctions d’encadrement et d’intermédiaire qu’ils exerçaient traditionnellement par rapport à lui : ces fonctions s’exercent désormais à un autre niveau, qui leur échappe. Faut-il dès lors s’étonner que Pétigny déplore l’effacement du Vendômois, et que plus largement les notables regrettent les évolutions qu’ils observent, tendant à considérer maintenant en termes de déclin et de décadence un changement qu’au départ ils appelaient de leurs vœux au nom du progrès ? A la limite ils immobiliseraient bien un temps qu’ils voulaient tant investir, et après avoir vigoureusement combattu la routine ils s’accommodent volontiers du conservatisme, voire de la réaction qui s’accordent le mieux à leur nostalgie.
16Ce sont là, dira-t-on, opinions et réflexes de notable. Encore une telle affirmation doit-elle être fortement nuancée, et doublement. D’une part parce que le monde des notables ne forme pas un bloc. Dans la configuration qui se met en place durant le second xixe siècle, des réseaux inédits se constituent, de nouveaux rôles se dessinent, qui offrent leur chance aux notables — anciens ou nouveaux — qui savent s’en saisir.
17Ainsi par exemple les membres des professions libérales jouent-ils un rôle croissant au sein d’un courant républicain en plein essor, cependant que l’aristocratie terrienne lie généralement son sort à la droite, c’est-à-dire au courant politiquement déclinant.
18D’autre part, et c’est la seconde des nuances annoncées, la nostalgie qui s’observe chez beaucoup de notables de la Belle Epoque ne se restreint pas à leur seul milieu. Ce type de réaction s’observe aussi dans d’autres secteurs de la population. Dans certains cas, une telle attitude peut se lire comme un refus de se détacher de la vision traditionnelle du temps centrée sur l’idée de permanence. N’est-ce pas ainsi que doit se comprendre la manière dont Stanislas Neilz, « cultivateur illettré et savant » selon Saint-Venant, construit son Histoire de la Condita de Naveil en y opposant un rythme saisonnier donné une fois pour toutes qui, présenté dès le premier chapitre, en constitue le fond essentiel, et les événements qui surviennent ensuite, dont le statut est à l’évidence beaucoup plus superficiel à ses yeux ? Mais même ceux qui adhèrent aux changements reçus négativement par les notables peuvent à leur tour verser dans la nostalgie passéiste et le regret. Il suffit pour cela que surgissent des difficultés, et que s’en observent clairement les signes : on le voit bien à la fin du xixe siècle, quand se développent la crise agricole et l’exode rural.
19Progrès et déclin, espérance et nostalgie : ces catégories qui décrivent et apprécient le changement — et qui le font avec d’autant plus de netteté que celui-ci est de moins en moins masqué par les brutales fluctuations à très court terme qui dans de très nombreux domaines ont pendant longtemps clairement empêché de l’apercevoir —, ces catégories donc sont bien au cœur de la réflexion des hommes et des femmes du Vendômois du xixe siècle. A travers elles, c’est en fait tout l’écart entre les réalités objectives et les représentations que s’en font les contemporains (écart qui retrouve celui séparant les reconstructions statistiques de l’historien et les textes rédigés à l’époque) qui se trouve mis en jeu. Cet écart — entre ce qui a été (ou qu’on pense avoir été) et ce qui est, entre ce qui est et ce qui devrait être, entre ce qui est et ce qui devra être — est évidemment fondé sur la prise en compte par les contemporains de la dimension temporelle de leur existence. Ainsi le temps n’est-il pas seulement le cadre dans lequel se déploie le devenir historique. Dès lors que le déroulement en est clairement perçu, il apparaît aussi comme un enjeu majeur de ce devenir, enjeu par rapport auquel se déterminent les stratégies et les attitudes de l’ensemble des acteurs du jeu social. C’est bien le moins que l’historien, qui par définition travaille avec le temps, prenne en compte cette dimension temporelle. Ainsi, par une sorte de jeu de miroir, qui sans aucun doute pourrait se transposer en d’autres temps et en d’autres lieux, le regard qu’il porte sur le Vendômois des xviiie et xixe siècles se trouve-t-il rencontrer celui porté par les Vendômois de l’époque sur leur histoire.
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