Chapitre 9. Les notables sur la défensive (seconde moitié du xixe siècle)
p. 465-511
Texte intégral
1Le programme de modernisation que se fixaient les notables au cœur du xixe siècle est largement réalisé au cours des décennies qui suivent. Sur des plans aussi divers que l’allongement de l’espérance de vie ou l’amélioration de l’agriculture, le développement des réseaux routier et ferroviaire et l’essor de la scolarisation, des progrès décisifs s’accomplissent alors, et ce sera l’objet de la première partie de ce chapitre que de rapidement présenter ces mutations qui affectent aussi bien la vie matérielle que la vie culturelle des populations vendômoises. Mais contrairement à ce qu’on pourrait attendre, ces évolutions ne satisfont pas toujours les notables : c’est que si le but qu’ils visaient est bien atteint, les modalités selon lesquelles ce résultat est obtenu ne sont pas toujours celles qu’ils avaient imaginées ; trop souvent en effet, elles leur paraissent menacer leur position même au sein de la société régionale. Une seconde partie s’attachera à analyser cette déception. Il reviendra alors à un dernier développement d’examiner comment les notables réagissent à ce désappointement, et comment en particulier certains d’entre eux se détournent d’un progrès tourné vers l’avenir dont ils se sont si longtemps considérés comme porteurs, pour se tourner avec nostalgie vers le passé.
LA MODERNISATION DU VENDÔMOIS
L’ÉVOLUTION DÉMOGRAPHIQUE
2En matière de population, la belle croissance constatée à l’époque de la monarchie parlementaire s’essouffle nettement pendant la seconde partie du siècle (graphique p. 448). En fait, on le sait, ce fléchissement s’amorce dès les années 1840, la crise de 1846-1847 entraînant même un léger repli de la population (—0,37 % entre 1846 et 1851). Cette crise surmontée, la croissance reprend bien pendant les belles années du Second Empire, si bien que l’arrondissement compte 80 460 habitants en 1866. Mais cet effectif constitue un maximum séculaire. En effet, les dramatiques événements de la guerre de 1870-1871 provoquent un recul brutal (76 206 habitants en 1872), que la reprise des débuts de la IIIe République ne compense qu’en partie. En 1886, l’arrondissement ne compte encore que 78 237 habitants, et à partir de cette date sa population baisse inexorablement : en 1911, elle n’est plus que de 74 890 habitants, ce qui signifie qu’elle est revenue à son niveau de 1826.
3L’évolution des différents cantons aide à comprendre cette histoire. Ceux de l’ouest, dont la population avait commencé à baisser dès la première partie du siècle, stabilisent certes leur effectif au cours des décennies suivantes, mais à un niveau qui n’est pas plus élevé que celui de 1806. Pendant ce temps, les autres cantons finissent tous par s’orienter à la baisse, à partir de 1870 à Morée et Vendôme, à partir de 1886 à Selommes et Saint-Amand. Ces derniers cantons ont certes mieux tenu que les autres, et ils terminent le siècle à un niveau sensiblement plus élevé que celui qu’ils connaissaient au départ. Néanmoins, ils finissent eux aussi par être affectés par la tendance générale de la région, qui est de perdre des habitants.
4Une telle tendance ne peut être mise au compte du mouvement naturel de la population (graphique ci-dessous). Sans doute la natalité baisse-t-elle régulièrement en Vendômois pendant le xixe siècle : de 32 ‰ à la fin de la Restauration, elle descend à 25 ‰ à la fin du Second Empire, et au début du xxe siècle elle ne dépasse guère 20 ‰. Mais à aucun moment le taux n’en devient inférieur à celui de la mortalité. C’est que cette dernière aussi recule régulièrement, de 27-28 ‰ à la fin de la Restauration à 23-24 ‰ sous le Second Empire, et à à peine 20 ‰ au début du xxe siècle, selon des modalités que peut éclairer l’analyse des âges au décès (graphique ci-dessous). Jusqu’aux années 1880 un quart à un tiers des décès constatés dans l’arrondissement concernent des bébés de moins d’un an : ce n’est qu’au début du xxe siècle que cette part s’abaisse à 20 %. En même temps, les adultes de 20 à 60 ans, qui représentaient un bon tiers des décès au début du siècle, et encore près d’un quart pendant le Second Empire, en représentent moins d’un cinquième à partir de 1880. Dans ces conditions, la part des gens de plus de 60 ans ne cesse de grandir : de 20 % environ au début du siècle et 30 % dans les années 1840, elle s’élève à près de 40 % pendant le Second Empire et le début de la IIIe République, avant de franchir au tournant du xxe siècle la barre des 50 %. Sans doute de telles statistiques attestent-elles la persistance, fort avant au xixe siècle, de structures déjà observées au xviiie : on continue en effet à savoir mieux allonger l’existence des adultes que sauver la vie fragile des jeunes, notamment les tout petits, et ce n’est qu’à la fin de la période que s’efface le schéma qui a dominé l’histoire démographique des deux siècles considérés jusqu’alors, et que commencent à s’affirmer les traits qui domineront le xxe. Il reste qu’avec ses limites le recul de la mortalité suffit à maintenir jusqu’à la Belle Epoque un excédent naturel au sein de la population vendômoise1.
5Dans ces conditions, c’est bien au solde migratoire qu’il faut demander l’explication du recul de la population de l’arrondissement. Celui-ci, assez régulièrement négatif déjà pendant le premier xxe siècle (en dehors des belles années de la Monarchie de Juillet), le demeure au cours des décennies suivantes, et à partir des années 1880, il devient suffisamment puissant pour annuler l’excédent naturel de la population régionale (graphique, p. 449). Ce déficit migratoire est avant tout, il faut le souligner, le fait des campagnes : c’est au niveau des communes rurales en effet que se constate un recul de la population, alors que les effectifs urbains se maintiennent (graphique ci-dessus). Pour autant, les villes ne grandissent pas (graphique ci-dessous) : à Vendôme comme à Mondoubleau et à Montoire, leur effectif apparaît stabilisé au niveau atteint en 1840, et incapable de franchir ce plafond, si ce n’est par le jeu d’une conjoncture exceptionnelle, et toute temporaire, par exemple à l’occasion de la présence d’un chantier de chemin de fer (ainsi en 1866 à Vendôme, ou en 1886 à Montoire et à Mondoubleau). Cette stabilité, qui n’est pas sans évoquer la démographie de bourg décrite autrefois par Philippe Ariès à propos de Monnaie2, signifie que les villes vendômoises sont incapables de capter à leur profit l’exode rural qui prend naissance dans les campagnes environnantes. A n’en pas douter, tous ces phénomènes — recul de la population rurale, stagnation de la population urbaine — sont à relier aux conditions économiques de la période, et c’est en étudiant ces dernières qu’on les retrouvera dans un instant. Mais leur développement n’échappe pas aux plus perspicaces des contemporains, qui s’en inquiètent : en témoigne, parmi beaucoup d’autres signes, l’étude que publie en 1885 dans le Bulletin de la Société archéologique du Vendômois le marquis de Nadaillac, notable et érudit local, sur l’ « affaiblissement progressif de la natalité en France »3.
LES MUTATIONS ÉCONOMIQUES
6Le visage de l’économie vendômoise connaît pendant le second xxe siècle de réelles transformations, qui affectent de manière souvent décisive l’existence des populations de la région. C’est pourquoi il est indispensable de les présenter ici. Encore s’en tiendra-t-on, dans ce rapide rappel, aux principaux aspects de ces évolutions, renvoyant pour les détails à la thèse de Georges Dupeux, qui a longuement abordé ce problème, et à laquelle sont empruntées la plupart des données qui suivent4.
7Pendant le second xixe siècle, la céréaliculture connaît d’indiscutables progrès. Contrairement à ce qui se passait avant 1850, ceux-ci ne sont pas à mettre au compte d’un accroissement des surfaces cultivées, puisque l’étendue des terres labourables demeure stable. En revanche, les méthodes de culture se perfectionnent. En Beauce, la jachère disparaît dès la première décennie du Second Empire pour laisser place à des plantes sarclées, comme elle le fera progressivement ensuite dans le Perche : ainsi se met en place une amélioration décisive des assolements, à laquelle contribue aussi, surtout en Beauce, l’essor des prairies artificielles. D’autres progrès, très marqués durant le Second Empire, plus modérés ensuite, concernent les amendements et les engrais. Les résultats de cette intensification de la céréaliculture vendômoise sont spectaculaires : les rendements, qui avaient stagné pendant la première moitié du siècle, connaissent alors un bel essor ; par rapport à un indice 100 en 1850, ils sont à 128 en 1860, à 160 en 1886 et à 193 en 1902.
8Dans le domaine de l’élevage aussi, on joue davantage pendant le second xixe siècle la carte de l’intensification que celle de l’extensification. Le cheptel chevalin connaît bien un essor relatif, en raison de l’élevage des percherons : encore cette production connaît-elle une longue stagnation pendant tout le Second Empire, après les difficultés liées à la crise du milieu du siècle, et elle ne retrouvera une certaine prospérité qu’à partir de 1875. Dans le même temps, le cheptel bovin demeure stable, et si celui des porcins poursuit au début du Second Empire la hausse qui était la sienne avant 1850, il se stabilise lui aussi par la suite. Enfin, à partir de la fin des années 1850, le cheptel ovin s’oriente nettement à la baisse, cette évolution s’expliquant assez bien par le recul de la jachère.
9Globalement, les troupeaux ne sont donc pas plus nombreux en Vendômois à la Belle Epoque qu’un demi-siècle plus tôt. Mais les bêtes sont de bien meilleure qualité. Le rendement en viande a crû de 10 % pour les porcins, de 40 % pour les vaches et les ovins, et de près de 100 % pour les veaux. Le rendement en lait a lui aussi connu une hausse spectaculaire, difficile à calculer avec précision, mais qui ne peut être inférieure à 150 %. Seul le rendement en laine n’augmente pas : mais c’est qu’entre 1850 et 1914, l’élevage ovin a changé de finalité, en se réorientant vers la production de viande5.
10Ces hausses de rendement ont des conséquences considérables pour la population régionale. Si l’on s’en tient au produit le plus vital, à savoir le grain (graphique, p. 444), on constate que son prix connaît encore pendant le Second Empire des flambées douloureuses pour la population, en 1856, en 1861 et en 1868. Mais ces crises ne sont pas aussi dramatiques que celle de 1846-1847, et sur la moyenne durée, la hausse des salaires accompagne au moins celle des prix. Au cours des décennies suivantes (et une fois passées les difficultés de 1871 liées à la guerre franco-prussienne), le prix du blé ne connaît plus de pointes aussi marquées qu’auparavant, et rapidement il s’oriente à la baisse. Or, pendant ce temps, les salaires se maintiennent ou ne diminuent que très peu. Cela signifie que par suite du succès remporté sur le front des rendements, le souci séculaire de la subsistance s’est estompé. Mais du même coup se fait jour une autre préoccupation, celle de la surproduction. Dès 1884, la Chambre d’agriculture de l’arrondissement de Vendôme déplore que « les denrées ne se vendent pas », et considérant que ce mal est imputable à la concurrence étrangère, elle revendique bientôt des mesures protectionnistes. N’insistons pas davantage sur une histoire bien connue. Mais il faut cependant souligner ce qu’a pu représenter, pour des hommes héritiers d’une civilisation rurale habituée depuis toujours à redouter la pénurie, cette brutale irruption d’un marché faisant de l’abondance le principal souci — au point qu’une société traditionnellement prompte à revendiquer la taxation du grain en vienne, en guère plus d’une génération, à souhaiter qu’on en soutienne les cours. C’est bien un bouleversement considérable que vivent les gens de la fin du xixe siècle, quand les circuits artificiels du marché prennent le pas sur les humeurs incontrôlables du ciel pour déterminer leurs conditions d’existence.
11Cette évolution n’est pas sans conséquences sociales. En effet, les exploitants, et d’abord les plus gros d’entre eux, s’efforcent de la compenser. Alors que pendant le Second Empire, période de hauts prix, leur effort portait surtout sur les instruments de labour (notamment les charrues, qui alors se multiplient et se perfectionnent) et sur la consommation d’engrais, gages d’un meilleur rendement, avec le repli et bientôt, pendant les années 1880-1890, l’effondrement du prix du blé, l’objectif est plutôt de réduire les frais de production par l’amélioration de la productivité. Et cet effort une fois amorcé se poursuit bien au-delà de la dépression de la fin du xixe siècle, avec des modalités d’ailleurs différentes selon les types d’exploitation, comme le souligne ce rapport de 1909 : « Dans la Beauce et le Perche, l’outillage est [...] très perfectionné dans les grandes et les moyennes exploitations, et assez rudimentaire dans les petites. 11 existe des syndicats de battage, vraies coopératives ayant acheté en commun une batteuse qui travaille chez les sociétaires. D’autres coopératives sont en formation pour l’achat de machines diverses »6.
12En raison de sa meilleure productivité, la céréaliculture vendômoise nécessite donc de moins en moins de bras à la fin du xixe siècle : nul doute qu’on tienne là une des grandes raisons de l’exode rural qui se développe dans la région à cette époque. Mais celui-ci s’alimente aussi, au même moment, des difficultés rencontrées par la viticulture.
13Dans cette branche, le second xixe siècle avait pourtant bien commencé. Jusqu’au début de la IIIe République, l’étendue du vignoble, stable dans le canton de Vendôme, a continué à se développer ailleurs : 1 300 ha ont ainsi été gagnés dans les cantons de Morée, Montoire et Savigny. Mais cet essor est brutalement brisé par la crise du phylloxera. Introduit dans la région en 1866 par un viticulteur qui avait fait venir des plants du Bordelais, l’insecte s’y répand en quelques années. Même si vignerons et propriétaires dissimulent un temps le mal pour ne pas porter atteinte à la valeur de leur vigne, il faut dans les années 1870 se rendre à l’évidence : l’ensemble du vignoble est atteint, sans que le recours à la chimie parvienne à résoudre le problème. Dès lors, la vigne recule, au point qu’en 1913 tous les gains réalisés depuis 1850 sont annulés. Dans les sites les plus favorables, elle est remplacée par des labours. Sur les coteaux difficiles à travailler à la charrue, elle fait place à la friche ou à de médiocres bois, caractéristiques jusqu’à aujourd’hui des paysages vendômois.
14Quand on connaît les exigences en bras de la viticulture, on conçoit sans peine l’effet du repli de la vigne sur l’essor de l’exode rural : il est d’autant plus spectaculaire qu’il survient à peu près au moment où la céréaliculture commence à réduire sa demande en bras.
15Or, les bras que libère ainsi l’agriculture ne trouvent guère à s’employer dans d’autres secteurs de l’économie vendômoise. L’industrie régionale manque il est vrai de dynamisme. Le plus souvent, elle demeure fidèle à sa vocation rurale, ne s’accommodant guère, jusqu’à la fin du siècle, que des activités répondant traditionnellement à une économie domaniale d’exploitation de la forêt ou de la force des rivières. C’est ainsi qu’à la Belle Epoque, les tanneries de Mondoubleau et de Cormenon, la forge de Fréteval, la verrerie du Plessis-Dorin poursuivent une existence souvent modeste : leur activité est affectée par les à-coups de la conjoncture (qui se traduisent par les fluctuations de la population des communes où elles sont implantées), et les villages ouvriers où se rassemble leur main-d’œuvre sont bien proches des campagnes environnantes. Dans ces branches, le Vendômois maintient tout au plus, souvent péniblement, ses positions traditionnelles. Dans le textile, ce n’est même pas le cas : le travail du coton achève, on le sait, de disparaître sous le Second Empire, et celui de la laine est en recul dès le milieu du siècle7.
16L’industrie ne se développe pas davantage dans les villes. Ici aussi, la continuité est de règle, et à Vendôme, on continue à citer à la Belle Epoque la tannerie, la ganterie et le moulin à papier de Montrieux : l’apparition pendant le second xixe siècle d’une usine à gaz et de la fonderie de Saint-Ouen ne suffit pas à corriger ce que ce tableau peut avoir de traditionnel8. En fait, Vendôme demeure dominée, comme les autres villes de la région d’ailleurs, par des fonctions de direction, de service et d’échange, et celles-ci n’appellent pas de croissance de la population. Dès lors, il ne faut pas s’étonner de ce que l’exode rural issu de la région s’écoule en dehors de ses limites.
LE CONTRÔLE AMÉLIORÉ DE L’ESPACE
17Grâce aux efforts réalisés avant 1850, le second xixe siècle dispose d’un équipement routier incontestablement amélioré, qu’il travaille du reste à perfectionner encore, surtout en ce qui concerne les chemins vicinaux9.
18Cet équipement favorise l’essor de la circulation, dont les indices sont alors nombreux. A la Prazerie, hameau de Lunay situé sur l’une des routes de Vendôme à Montoire, le recensement de 1841 ne mentionne que 18 habitants, la seule profession représentée étant celle de cultivateur ; celui de 1866 découvre 29 habitants, parmi lesquels un débitant et un marchand, dont l’activité ne se concevrait pas sans la route ; encore vingt ans, et la population du hameau monte à 44 habitants, parmi lesquels deux cafetiers, un charron-forgeron, deux marchands et un négociant : s’affirme donc clairement une fonction de passage et de halte qui ne cessera de se développer jusqu’à l’installation d’un mécanicien-garagiste au xxe siècle. A une vingtaine de kilomètres de là, à Artins, existait anciennement une auberge à l’enseigne du Plat d’Etain, installée sur la route qui par la rive gauche du Loir conduit de Montoire à La Chartre. Autour de celle-ci, la fonction de passage est assez puissante pour déterminer l’apparition d’un hameau, et durant les années 1860, ce dernier a acquis une importance suffisante pour que le chef-lieu de la commune d’Artins, jusque-là implanté sur la rive droite de la rivière, y soit transféré, une nouvelle mairie et une nouvelle église étant en la circonstance édifiées au Plat d’Etain. Cette évolution est d’autant plus spectaculaire que le site alors délaissé est un lieu d’occupation humaine très ancienne, en liaison avec un gué sur le Loir : des ateliers gallo-romains y ont existé, et l’église abandonnée passe pour avoir succédé à un temple païen dans lequel saint Julien aurait réalisé un de ses plus célèbres miracles : ce sont donc bien des repères séculaires de l’espace communal et régional qui sont ici bouleversés, du fait de l’essor de la circulation routière10.
19A partir du Second Empire, le chemin de fer vient compléter cet équipement routier : la ligne Brétigny-Vendôme-Tours est ouverte en 1867. Sous la IIIe République, un véritable réseau régional se met en place (carte, p. 474) avec les lignes Blois-Vendôme et Vendôme-Angers par la vallée du Loir (1881), Courtalain - Pont-de-Braye (1885) et Château-Renault - Sargé (1894), que complètent à partir des années 1890 les tramways départementaux. Dans les localités qui en sont pourvues, la gare s’impose comme un des principaux pôles de la vie urbaine. A Vendôme, où les voitures des principaux hôtels de la ville vont régulièrement attendre les voyageurs à l’arrivée du train, elle favorise l’extension de l’agglomération vers le nord. A la gare de Montoire, l’animation n’est pas moindre : chaque jour, ce ne sont pas moins de 12 convois de voyageurs et de 4 de marchandises qui y font halte.
20Plus globalement, la circulation accrue, tant routière que ferroviaire, laisse prévoir des échanges commerciaux plus importants. De fait, les lieux où se cristallisent ces échanges se multiplient pendant tout le siècle. C’est vrai du commerce de détail. Les registres de la patente, dont on peut admettre en première approximation qu’ils en reflètent l’importance à travers le nombre des cotes, révèlent sur ce point une augmentation générale, même si elle est inégale, dans l’ensemble des campagnes de la région : sur le siècle, le nombre des cotes progresse d’environ 25 % dans le Perche, de l’ordre des deux tiers dans la vallée du Loir, et il fait plus que doubler en Beauce11. Mais cet essor du commerce ne remet pas en cause la vitalité de structures d’échanges plus traditionnelles. Foires et marchés demeurent actifs, et les produits qui s’y échangent sont de plus en plus diversifiés. En outre, ces institutions font l’objet d’une demande accrue de la part de la population : ainsi de nombreuses communes sollicitent-elles l’autorisation de créer une foire. Cette revendication n’est pas toujours satisfaite : les autorités doivent tenir compte de l’avis évidemment très réservé des communes voisines déjà pourvues, elles redoutent que la multiplication des foires n’entraîne un morcellement excessif du marché, et elles craignent que ces réunions commerciales ne favorisent la paresse et la débauche. Cependant, neuf nouvelles foires sont établies en Vendômois entre 1849 et 188112.
21Ainsi l’espace régional apparaît-il incontestablement de mieux en mieux desservi, et de mieux en mieux organisé, à mesure que le siècle avance. Mais l’histoire de son système de circulation et d’échange ne peut s’en tenir à ce seul constat. En même temps que se réalise un progrès quantitatif se développent aussi des mutations structurelles dont la portée est considérable.
22Partons, pour les présenter, de la situation au cours des années 1840, quand le Vendômois ne dispose encore que de routes. A ce moment, c’est dans la vallée du Loir (Vendôme-Château-du-Loir) que le trafic est le plus développé (325 colliers) ; suivent Montoire - Château-Renault (212 colliers) et Blois-Laval (156 colliers), la grande route royale Paris-Bayonne n’arrivant quant à elle, avec 136 colliers, qu’en quatrième position13. Ainsi la circulation régionale s’organise-t-elle alors autour de l’axe majeur traditionnel de la vie du Vendômois, celui de la vallée du Loir, en fonction des nécessités de la desserte locale et des rééquilibrages qu’appellent les complémentarités entre les différents secteurs de l’arrondissement. Sa logique est celle d’une relative autonomie par rapport aux réseaux nationaux, et d’une cohésion renforcée de la région. C’est celle aussi d’une stabilisation de la population, dans la perspective de l’hypothèse présentée dans un précédent chapitre.
23Mais cette logique de l’autonomie ne résiste pas à l’évolution du siècle. En effet, le rôle de la route recule, d’abord du fait de la crise économique qui s’ouvre en 1846-1847, mais surtout, plus durablement, à cause de l’essor du chemin de fer. La route n’est pas pour autant condamnée, mais elle prend désormais figure de prolongement et de complément de la voie ferrée : des correspondants du chemin de fer, les facteurs, acheminent par voiture jusqu’au village les colis parvenus dans les gares.
24Cette réorganisation du système de circulation régional a pour conséquence de substituer à la logique de l’autonomie qui l’organisait celle de la hiérarchisation — une hiérarchisation qui place souvent la région en position subordonnée14 — et à l’effet de cohésion interne qui en résultait celui d’une ouverture croissante vers l’extérieur. Pour dire les choses autrement, la longue entreprise de structuration de l’espace régional projetée dès le XVIIIe siècle n’a contribué que pendant un temps à stabiliser la population régionale, en consolidant toute une société provinciale. Quand pendant le second xixe siècle elle achève de se déployer, en développant l’intégration du Vendômois à l’espace national15, voire international, ses conséquences s’inversent : c’est par cette intégration que jouent les concurrences extérieures déstabilisantes, notamment celle des pays neufs, et c’est elle aussi qui facilite l’exode rural, lequel constitue une des réponses aux problèmes posés par ces concurrences. Ainsi passent par les voies de toutes sortes dont s’est doté le Vendômois, ou auxquelles il s’est rattaché, des transformations décisives qui au cœur de la Belle Epoque contribuent à effacer peu à peu certains de ses traits traditionnels.
25Cependant, comme pendant les périodes précédentes, l’approche de l’espace ne saurait dans le Vendômois du second xixe siècle se réduire à la seule question de sa desserte. Une fois encore, il faut s’interroger aussi sur la vision qu’en ont les contemporains. Il n’est pas douteux que celle-ci soit servie par une information améliorée : en témoigne par exemple la précision des indications géographiques que donne Stanislas Neilz en décrivant les opérations de la guerre de 1870-187116. De nouveaux instruments sont, il est vrai, mobilisés au service de la connaissance de l’espace, lointain comme proche. Parmi eux, la carte, à laquelle l’ensemble de la population n’accède sans doute pas d’emblée, mais dont les notables et les autorités saisissent parfaitement la portée. Ainsi l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées souligne-t-il nettement en 1857 « que sans nivellement, sans carte topographique comme celle de l’état-major, sans cadastre bien fait et sans carte géologique, agronomique, aucune conception d’ensemble en vue de quelque intérêt d’utilité générale ne saurait être étudiée, arrêtée, appréciée et conduite à son terme »17.
26C’est dans ce contexte que se développe dans la région une représentation mieux informée et plus rigoureusement organisée de l’espace. On en saisit une belle illustration à travers la manière dont Pétigny ouvre en 1859 son Histoire archéologique du Vendômois18, Après avoir précisé que « le pays de Vendômois était situé à l’extrémité occidentale du plateau de Beauce et de la cité des Carnutes », il consacre une quinzaine de pages à en préciser les limites, donnant à son lecteur le sentiment qu’il le convie à un véritable « tour du propriétaire » : d’une part par l’usage du possessif (« nos contrées », « notre vieux château »), qui suggère une véritable appropriation ; et d’autre part par l’adoption du langage du guide (« Non loin de là... », « Transportons-nous... », « Nous voici revenus à notre point de départ... »). Tout cela renvoie à la vision « domaniale » de l’espace évoquée déjà au xviiie siècle à propos de l’ouvrage de l’abbé Simon, et qu’on retrouve ici perfectionnée encore par rapport à ce qu’elle était chez ce dernier.
27Sans doute s’agit-il là d’une vision de notable, et c’est de fait dans ce milieu que se développe d’abord une approche mieux dominée de l’espace régional. Encore ne faut-il pas ici schématiser à l’excès : d’une part parce que des gens de milieux plus modestes sont gagnés par cette approche, que les notables s’efforcent de diffuser parmi eux19 ; et d’autre part parce que les notables, tout imprégnés de culture savante qu’ils soient, n’échappent pas toujours pour autant à certaines déterminations traditionnelles.
28Mais, en tout état de cause, Pétigny vérifie, par la vision domaniale qu’il manifeste, une hypothèse présentée déjà dans un précédent chapitre, celle de l’importance que revêt en matière d’appréhension organisée de l’espace le regard extérieur. En effet, Pétigny est au départ un homme étranger à la région20. Or il est frappant de constater que tous les grands noms de l’érudition vendômoise qui ont produit au xixe siècle les œuvres à la portée la plus globale sont eux aussi dans ce cas, de Duchemin de la Chenaye et Gaucher de Passac à l’abbé Métais et à Saint-Venant21. Sans doute ne faut-il pas tirer de ces constats de conclusion abusive en en déduisant avec la rigueur d’une loi physique qu’un lien établi tardivement avec la région prédispose nécessairement à l’étude globale de cette dernière. Du reste, on trouve à citer des éru-dits authentiquement originaires du Vendômois. C’est le cas des Martellière, issus d’une famille d’hommes de loi et de magistrats anciennement implantée dans la région, et qui produisent des travaux importants. Mais ces derniers ont la particularité — est-ce un hasard ? — d’être enracinés dans la vie la plus intime du terroir, qu’il s’agisse du Glossaire réuni par Paul, ou de la publication par Jean des écrits de Pierre Bordier22 : leur inspiration est donc toute différente de celle des travaux évoqués auparavant.
29Enfin, on ne saurait négliger le rôle que jouent dans l’évolution de l’approche qu’ont de l’espace les populations de la région au xixe siècle certaines des expériences, souvent fortes, qu’elles vivent alors. Soulignons d’abord que le souvenir des guerres de la Révolution et de l’Empire demeure longtemps vivace en Vendômois : en 1850 encore, Arsène Gendron observe que « dans les moments de loisir, les vignerons se réunissent dans leurs caves [...] ; et s’il se trouve parmi eux un ancien soldat de Napoléon, ses récits les promènent dans toutes les capitales de l’Europe »23 . On saisit là, poussé à l’extrême, le facteur d’ouverture constitué par les campagnes militaires lointaines, lequel continue à jouer, encore qu’à un degré moindre, durant le Second Empire.
30Beaucoup plus marquante encore, parce qu’affectant l’ensemble de la population, est la guerre de 1870-1871. Sans doute le Vendômois avait-il connu pendant l’été 1815 une première occupation prussienne : celle-ci avait coûté cher en fournitures, et elle n’avait pas manqué de frapper des esprits habitués pendant des années aux nouvelles des victoires impériales, et pour qui un tel événement était sans précédent depuis des générations. Mais les mois de l’hiver 1870-1871 sont infiniment plus dramatiques. C’est que cette fois, avant de connaître jusqu’à la mi-mars une occupation souvent rigoureuse, la région se trouve en décembre-janvier au cœur des combats — ce qui signifie passage de troupes des deux camps, arrivée de renforts de Mobiles, convois de réfugiés ou de prisonniers, organisation d’ambulances, épidémies... Nul doute que l’événement constitue l’expérience collective la plus douloureuse que la région ait vécue au xixe siècle. On n’entreprendra pas ici d’en faire le récit, renvoyant pour cela à la chronique minutieuse qu’en a établie Stanislas Neilz24. Mais en raison de la tension psychologique qu’il provoque, l’épisode est souvent révélateur des réactions de la population : c’est ce point qu’il convient d’examiner maintenant.
31Sans doute dans leur désarroi les populations se tournent-elles d’abord vers leurs repères les plus familiers. C’est ainsi que se trouvent fortement réaffirmés, en ces mois dramatiques, les traits traditionnels de la structuration de l’espace régional. Décrivant une patrouille à laquelle il participe le 24 novembre, Neilz rapporte : « La nuit venue, nous prenons la route de Mondoubleau [depuis Cloyes, où la colonne a été conduite par le train] ; nous marchons en silence, droit devant nous, dans un pays que nous connaissons à peine »25. Ainsi à la fin du Second Empire un vigneron de la vallée du Loir continue-t-il à se sentir dépaysé dans le Perche, simplement parce que ce n’est pas de ce côté que s’orientent généralement ses pas. Très révélatrices aussi les réflexions inspirées à Neilz, le 3 octobre, par le « lugubre défilé » des réfugiés venant de Beauce : « Nos routes se trouvaient ainsi encombrées de braves et laborieux cultivateurs, fuyant sans but, à la recherche d’un asile, à la merci de la Providence [...] Mais le Vendômois est hospitalier : ces malheureux trouvèrent partout bon accueil [...] C’est triste à dire, mais si nos cultivateurs avaient dû remonter des rives du Loir vers le plateau de Beauce, ils auraient été accueillis avec cet esprit dur et hautain qui caractérise le fermier beauceron »26. On ne saurait mieux exprimer la force des préventions héritées de plusieurs générations de migration saisonnière, du fait de ceux temporairement contraints à s’expatrier, à l’encontre de ceux auprès desquels il leur faut s’embaucher. Sur un autre plan enfin, faut-il s’étonner de ce que l’habituelle méfiance face à l’inconnu que représente tout ce qui vient de l’extérieur se trouve en temps de guerre puissamment réactivée ? De fait, une véritable psychose de l’espionnage se constate en Vendômois à la fin de l’année 1870 : Neilz, qui y adhère largement, en signale de nombreuses manifestations27.
32Ce serait aller vite en besogne, cependant, que de conclure que les événements de 1870-1871 n’apportent rien de neuf aux représentations spatiales des populations du Vendômois. Ces quelques mois de guerre entraînent de considérables brassages humains. Les Vendômois voient affluer quantité de gens, combattants, réfugiés ou blessés, et beaucoup d’entre eux sont mis en mouvement par la guerre, comme soldats de l’armée régulière, comme Mobiles, ou plus modestement pour participer à une patrouille ou pour accompagner un convoi. Les contacts qui se nouent à l’occasion de tous ces déplacements ne peuvent manquer de constituer à terme pour tous un puissant facteur d’ouverture géographique. D’autre part, la guerre franco-prussienne achève de tourner vers l’est les yeux des habitants de la région — si longtemps préoccupés par les menaces venues de l’ouest... 1814-1815 avait sans doute amorcé ce renversement décisif, mais 1870-1871 ne peut que le précipiter par son caractère dramatique.
33Ainsi à la fin du xixe siècle l’horizon géographique des Vendômois apparaît-il profondément modifié par rapport à ce qu’il pouvait être quelques décennies plus tôt. D’une part, il s’est précisé, ce à quoi contribuent aussi bien l’essor de l’enseignement de la géographie à l’école que l’attention accrue portée à la carte. D’autre part, il s’est beaucoup élargi, en fonction aussi bien d’événements militaires comme la guerre de 1870 que de la progressive mise en place d’un marché national. Enfin, si le regard porte plus loin, il s’est aussi tourné vers de nouvelles directions, et l’est supplante désormais l’ouest dans les préoccupations des habitants de la région : ce n’est plus du bocage que vient le principal danger, mais du Rhin...
L’ACHÈVEMENT DE LA SCOLARISATION
34L’histoire de l’école en Vendômois pendant le second xixe siècle est d’abord dominée par la conjoncture politique. En raison de leur engagement républicain, certains instituteurs de la région sont inquiétés, voire parfois suspendus et révoqués, à partir de 1850, quand s’affirme l’évolution conservatrice de la IIe République. Cette reprise en main se poursuit durant le Second Empire, pendant lequel les maîtres vendômois sont, selon l’Inspecteur d’Académie, l’objet d’« une surveillance active, constante, qui permet de réprimer les abus avec promptitude ». Cela explique qu’ils soient, face aux curés, « déférents et respectueux, [concourant] de tous leurs efforts à l’instruction religieuse des enfants », et que « dans leurs rapports avec les autres autorités [ils] se montrent dociles aux directives de leurs supérieurs »28. Leur condition morale est alors placée sous le signe de la soumission, et le souvenir en pèsera lourd dans l’histoire ultérieure de la profession.
35Cependant, le même Inspecteur d’Académie qui insiste sur la sujétion des instituteurs peut écrire que ces derniers « sont d’une précieuse utilité pour la coopération qu’en leur qualité de secrétaires de mairie ils prêtent aux maires » et souligner qu’ils « ne manquent pas pour la plupart de faire les plus actives démarches pour obtenir des parents qu’ils envoient leurs enfants à l’école ». Ainsi l’étroit contrôle auquel est soumis le maître d’école s’éclaire-t-il d’un jour complémentaire : ce n’est pas seulement celui qui s’exerce à l’encontre de l’opposant potentiel ; c’est aussi la surveillance d’un homme investi par les autorités et les notables d’un rôle de relais dans les actions qu’ils entreprennent en direction de la masse de la population. Loin de nuire à ce rôle social, la subordination de l’instituteur vise à le rendre plus efficace.
36Cette subordination ne diminue pas davantage son efficacité pédagogique. Sur ce plan, le Second Empire prolonge et amplifie l’élan donné à la scolarisation par la Monarchie de Juillet. Entre 1845-1846 et 1866-1867, le nombre des instituteurs de l’arrondissement n’augmente certes que de 2 %, mais celui des institutrices s’accroît de 60 % ; en même temps, la fréquentation scolaire des garçons progresse de 47 %, et celle des filles de 66 %. Les progrès sont également qualitatifs : beaucoup d’instituteurs sont passés par l’Ecole normale (ouverte à Blois en 1835), et l’Inspecteur d’Académie se plaît à reconnaître leur valeur ; d’autre part, la méthode simultanée l’emporte désormais sur la méthode individuelle. Sans doute des améliorations sont-elles encore possibles : la fréquentation gagnerait à s’étendre davantage sur l’année, et à cesser moins rapidement dans l’existence des jeunes enfants ; d’autre part demeure posé le problème de la rétribution du maître, toujours liée au nombre de leurs élèves — ce qui peut poser problème, par exemple quand l’ouverture d’une école de filles le prive brutalement d’une partie de son public. Mais ces réserves ne doivent pas faire perdre de vue la vitalité d’une institution qui a désormais achevé de conquérir sa place dans la société régionale, où son rayonnement atteint l’ensemble de la population : non seulement le maître exerce souvent une influence comme secrétaire de mairie, mais il n’est pas rare encore qu’il mette en place des cours pour adultes, et certains instituteurs obtiennent même une récompense du Comice agricole en raison de la bonne tenue de leur jardin. D’un point de vue plus scolaire, les taux d’alphabétisation attestent l’efficacité de l’école du Second Empire : entre 1855 et le début des années 1880, ils s’élèvent de 62 à 93 % pour les hommes, et de 48 à 89 % pour les femmes ; autant dire que la longue entreprise d’alphabétisation de la population régionale est alors pratiquement achevée.
37La IIIe République dispose donc de bases solides pour asseoir son œuvre scolaire. Ce constat ne vise pas à minimiser l’importance des grandes lois fondatrices de l’école primaire contemporaine. Outre qu’elles permettent de parachever les progrès déjà réalisés, celles-ci posent avec force des principes fondamentaux — obligation et gratuité notamment — et sur de nombreux points elles entraînent de nouvelles avancées : en matière par exemple de durée de la fréquentation, d’ampleur des programmes d’enseignement effectivement appliqués, de constructions scolaires29, et naturellement de dignité accrue conférée à l’instituteur, que la laïcité de l’école, autre principe nouveau, libère de la tutelle des autorités religieuses. Mais il convient de bien marquer qu’elles prennent place après plusieurs décennies d’efforts de scolarisation, souvent conduits dans des conditions difficiles, et dont l’héritage ne peut être tenu pour négligeable. Du reste, la vigueur même des débats qui se développent pendant les années 1870 autour de l’école et de l’organisation qu’il convient de lui donner30 ne témoigne-t-elle pas à sa manière, en attestant que cette école est devenue un enjeu essentiel pour tous, de la réussite de l’entreprise de tous ceux qui ont travaillé pendant plusieurs générations à la mise en place en Vendômois d’un réseau scolaire efficace ?
UNE AUTORITÉ SOCIALE ÉBRANLÉE
38Les notables vendômois du milieu du xixe siècle sont plus que jamais assurés de leur prééminence, et c’est cette dernière du reste qui justifie, en même temps qu’elle en fait un devoir, le rôle dirigeant qu’ils entendent jouer. Cette prééminence est assez importante à leurs yeux pour qu’ils continuent, on le verra, à en tirer un sentiment de solidarité plus puissant que tous les clivages politiques qui peuvent les partager. De même les différences de niveau qui s’observent parmi eux ne suffisent-elles pas à sérieusement altérer la cohésion et la force du groupe. Comme le souligne Judith-Ann Silver31, les notables ne sont pas tous d’égale importance, mais les plus puissants d’entre eux ont besoin de l’appui des autres, l’influence régionale des premiers ne pouvant s’exercer qu’en s’appuyant sur des hommes de moindre renom sans doute, mais reconnus localement. La force de ce milieu dirigeant se nourrit donc à la fois d’une réelle communauté de vue en matière de représentation de la société, et du réseau structuré qu’il constitue à travers la région.
39C’est cette force que les notables entendent mettre au service du projet modernisateur décrit dans le précédent chapitre. Les progrès de toutes natures qui viennent d’être présentés démontrent que sur ce plan leur entreprise n’est pas vaine. Mais à mesure qu’ils se développent, ces progrès ne mettent pas seulement en cause la routine que les notables dénonçaient au départ : affectant tous les aspects de la vie régionale, ils en viennent à atteindre les bases mêmes de leur position. Des mécomptes de la modernisation à l’inéluctable démocratisation se joue ainsi en une trentaine d’années, l’espace d’une génération, tout un reclassement des réalités provinciales qu’il faut maintenant analyser, avant d’examiner comment les notables en vivent les effets.
LES MÉCOMPTES DE LA MODERNISATION
40Dans le domaine de la modernisation qu’ils développent avec succès au sein de la région, les notables découvrent rapidement que si les paysans sont moins rétifs au progrès qu’ils n’avaient tendance à l’imaginer, ils sont également moins soumis à leur programme qu’ils ne le souhaiteraient. Concernant le premier point, les paysans savent se saisir de la modernisation. Ainsi apparaissent-ils complètement impliqués dans les débats relatifs aux voies de communication. Lorsqu’il s’agit de choisir le tracé de la ligne ferroviaire Vendôme-Tours, 33 communes de la vallée du Loir envoient à la préfecture une pétition réclamant que soit retenu l’itinéraire par Montoire, cependant que 26 communes de Petite Beauce font de même en faveur du passage par Saint-Amand, finalement retenu32. En cette circonstance, c’est l’ensemble de la population provinciale qui intervient, et qui le fait dans le sens de l’ouverture.
41Plus généralement, les ruraux mesurent parfaitement l’importance du marché, et donc des lieux — foires et marchés — où s’organise l’échange. Ils savent jouer de toutes les possibilités qu’ouvre leur réseau existant. Mais surtout ils revendiquent, non sans succès on le sait, une extension de ce réseau, sous forme de création de foires spécialisées. Très concrètement, ils en attendent un marché plus fluide, parce que bénéficiant de possibilités de comparaison accrues qui laissent espérer au rural l’accès au meilleur prix, à l’achat comme à la vente : de cette manière, ils comptent se libérer de l’intermédiaire, traditionnellement accusé, lors des transactions qu’il conduit isolément avec les ruraux, de profiter de l’opacité d’un marché trop peu structuré pour leur imposer des conditions défavorables. En outre, la multiplication des lieux de transaction a pour effet de les rapprocher, ce qui entraîne un gain de temps lors de leur fréquentation. Tel n’est pourtant pas toujours l’avis de certains notables, et plus encore des pouvoirs publics, aux yeux desquels les marchés multipliés augmentent le nombre d’occasions de pertes de temps, et qui se prononcent donc pour de grands marchés régionaux centralisés. Mais les ruraux ne l’entendent pas ainsi : ils persistent à réclamer foires et marchés, et à réitérer leur demande en cas de refus. Il est clair qu’ici la divergence entre notables et paysans ne porte pas sur la modernisation, mais sur ses modalités, et que face à cette divergence les ruraux peuvent manifester beaucoup d’opiniâtreté pour faire prévaloir leur point de vue.
42Cette attitude, à la fois ouverte, autonome et déterminée des ruraux complique la tâche des notables. Le statut de ces derniers implique à la fois une position économique éminente, généralement de propriétaire terrien, et par rapport à la masse rurale, une position de porte-parole (face à la société englobante et à l’Etat) et de guide. Or, tous les aspects de ce statut sont affectés par la manière même dont le processus de la modernisation tend à échapper aux notables.
43Comme porte-parole, ces notables éprouvent de grandes difficultés à faire entendre par les autorités supérieures l’argumentation que déploient les ruraux pour refuser certaines innovations : ainsi quand la municipalité de Saint-Quentin, en 1860, maintient contre l’avis du gouvernement ses communaux dans leur usage traditionnel de terrain de parcours ouvert à tous ; ou quand en 1877 celle de Lunay se refuse à acquérir des batteuses, en expliquant que « peut-être la proposition en soi est-elle bonne, cependant ce n’est pas une méthode qui convient au village de Lunay, du fait de l’extrême division de son agriculture »33. Hommes de terrain, les notables peuvent comprendre ce raisonnement. Mais il n’en va pas de même à la préfecture, et plus encore à Paris, où les réticences des ruraux conduisent le gouvernement à considérer les campagnes qu’il voulait d’abord moderniser comme peuplées de paysans à l’incorrigible routine, auxquels il ne s’intéresse plus que d’un point de vue social et moral, à des fins de stabilité politique. Cette incompréhension ne facilite naturellement pas la tâche des notables, d’autant qu’eux-mêmes ne sont pas dans cette affaire dépourvus de contradictions.
44En effet, il n’y a pas toujours coïncidence d’objectifs entre les intérêts des grands propriétaires qu’ils sont souvent et la fonction de guide qu’ils entendent assumer. On le sent bien déjà dans les exemples cités à l’instant, concernant Saint-Quentin ou Lunay : l’argumentation des ruraux est celle de petits exploitants, qui ne sont pas nécessairement propriétaires, et qui en tout état de cause pensent leur activité en termes de petite unité. Sans doute se trouve-t-il au Comice, au début du Second Empire surtout, des gens comme Martellière pour penser que le petit cultivateur doit être pris en compte autant que le gros. Mais cette ambition s’efface peu à peu : à la fin du Second Empire déjà, au début de la IIIe République plus nettement, le Comice ne prend plus guère en compte que les intérêts des grands propriétaires, ce qui l’isole évidemment d’une masse rurale constituée essentiellement de petits exploitants, de fermiers et de métayers, et enfin de domestiques agricoles — une masse qu’à son tour il discrédite en la qualifiant de routinière34.
45Tout le problème vient, plus fondamentalement, de ce que les notables souhaitent développer l’économie rurale sans accepter les transformations sociales qu’entraînera inévitablement cet essor. Ainsi sont-ils favorables aux grandes exploitations, selon eux facteur de progrès agricole, alors qu’elles prolétarisent les ruraux, ce qui nuit à la cohésion sociale des campagnes à laquelle ils sont attachés. Deux dossiers illustrent particulièrement ces contradictions entre la direction sociale des notables et leurs intérêts propres : celui de la main-d’œuvre, et celui des tarifs douaniers.
46Concernant la main-d’œuvre, la hantise des notables est celle de sa pénurie, qui en renchérit le coût. Une telle crainte, qui se lisait déjà chez Passac, ou dans l’Almanach agricole de 185135, est constamment exprimée par les notables du Comice. En 1859, Beaumetz, son vice-président, déplore que « le taux du salaire agricole double, non seulement à cause de la rareté de la population, mais aussi comme le résultat des mauvaises habitudes des domestiques. Ils volent sans scrupules et avec les plus vains prétextes renoncent à des coutumes considérées autrefois comme sacrées ». En 1868, Bezard, vice-président de la section du Perche, préfère chercher à enrayer la pénurie en faisant valoir les avantages de la campagne, où « la nourriture est meilleure, les exercices plus variés », où « il y a davantage de liberté et d’indépendance [...], davantage de satisfactions qui contribuent au bonheur », où « les dépenses sont moindres et le chômage moins fréquent qu’à la ville ». Mais en 1878 Démanche, président du Comice, doit se rendre à l’évidence : la ville offre trop d’avantages, avec ses structures d’enseignement plus diversifiées, ses institutions charitables et « l’hôpital où les médecins [...] soignent gratuitement » pour ne pas exercer un irrésistible pouvoir d’attraction36.
47Ces constats dénonciateurs, séducteurs ou résignés traduisent en fait les difficultés croissantes que les notables ont le sentiment d’éprouver à trouver un personnel satisfaisant en qualité et en quantité. Aux yeux de ces derniers, une telle insuffisance en main-d’œuvre explique son renchérissement — ce qui pose un problème économique —, mais plus gravement, dans la mesure où ils la relient à l’exode rural, elle participe aussi à la désagrégation de toute une structure sociale, celle précisément sur laquelle sont fondées leur autorité et leur prééminence. Telle est, très pessimiste de leur point de vue, la manière dont les notables analysent la pénurie de main-d’œuvre. Mais la vision qu’ils en ont est par rapport à la réalité très déformée. Car s’il y a bien au cœur du xixe siècle un exode rural en Vendômois, il demeure sous le Second Empire et au début de la IIIe République très modéré, et en tout cas pas supérieur à ce qu’il a été dans le passé (excepté pendant les belles années de la Monarchie de Juillet) : il n’a alors rien de comparable à celui, sensiblement plus ample, qui se développera pendant les années 1880 et 1890, en conjoncture de crise, et en soi il ne justifie pas les alarmes qu’il provoque chez les notables entre 1850 et 1880. En fait, si pendant les années 1850-1880 la main-d’œuvre se fait plus rare, c’est sans doute aussi parce qu’en conjoncture de croissance générale la demande s’en fait plus forte ; et c’est peut-être encore parce que l’offre de bras se réduit dans la mesure où certains ruraux qui auparavant devaient compléter leurs ressources en recourant pour tout ou partie de leur temps au travail salarié trouvent maintenant dans d’autres activités autonomes (petit élevage par exemple) soutenues par la hausse générale des prix de quoi pourvoir à leur subsistance. Dans ces conditions, les doléances des notables ne font que recouvrir d’une argumentation placée sur le terrain de l’intérêt général la défense d’avantages particuliers. Ce faisant, non seulement ils n’assurent plus la fonction de direction du reste de la société rurale qu’ils prétendent assumer : mais, plus gravement, ils donnent encore le sentiment de se prononcer contre les intérêts de cette dernière.
48Cela est plus apparent encore à propos de la question des tarifs. Les notables la posent dès les années 1870, quand le prix du blé commence à s’orienter à la baisse. Le Comice agricole de l’arrondissement, qui a alors adhéré à la Société des agriculteurs de France, laquelle se donne pour but d’obtenir l’élévation des tarifs, milite activement dans le sens de l’accroissement des droits. Mais la campagne de pétitions de conseils municipaux qu’il développe dans la région en 1880 ne donne pas les résultats escomptés. C’est qu’alors le tarif est loin de constituer, comme ce sera le cas dix ou quinze ans plus tard, quand l’effondrement du prix du blé menacera l’équilibre de l’ensemble de la société rurale, une revendication majeure au sein de la population régionale, même dans les campagnes. Nombreux en effet sont ceux qui, y compris dans l’agriculture, sont en position de consommateurs, et donc se réjouissent de la baisse des prix. Pour tous ceux-là, l’action des notables prend figure de défense égoïste d’intérêts des grands propriétaires. Une fois encore, les notables se trouvent donc coupés de la masse des ruraux : c’est d’autant plus vrai que leur campagne prend place dans un contexte d’hostilité au gouvernement républicain, au moment où précisément la majorité de la population s’est ralliée à la République.
L’INÉLUCTABLE DÉMOCRATISATION
49La révolution de 1848 ne peut pas ne pas constituer un choc pour les notables vendômois : en plaçant au premier rang de ses valeurs l’égalité, et en lui donnant une matérialisation juridique avec le suffrage universel, la IIe République rompt en effet avec le système institutionnel de la monarchie parlementaire, dont le scrutin censitaire s’accordait si bien à leur prééminence.
50Ce n’est pas le lieu de raconter ici en détail comment sur ces bases nouvelles évolue à partir de février 1848 l’histoire politique de la région37. Il suffit d’indiquer que les républicains modérés, vainqueurs des élections à la Constituante, en avril 1848, voient leurs positions se dégrader rapidement par la suite, et que leur effacement laisse face à face deux courants principaux : la droite conservatrice d’une part, où se retrouvent aussi bien des bonapartistes que des royalistes, et une gauche républicaine qui s’organise à partir de 1849 autour du journal La Solidarité démocratique du Loir-et-Cher, et qui dispose de nombreux partisans dans certains secteurs, en particulier à Vendôme et dans le canton de Selommes. En dépit de la répression qui la frappe à partir de fin 1849, la gauche républicaine, alors qualifiée de démoc.-soc, manifeste une réelle vitalité. Lors d’une élection législative partielle, en mars 1850, Crosnier, orléaniste rallié au bonapartisme, devance certes dans l’arrondissement le socialiste Etchegoyen ; mais il se trouve quatre cantons sur huit (Vendôme, Selommes, Montoire, Droué) pour donner l’avantage à ce dernier. En fait, c’est le coup d’Etat du 2 décembre 1851, et la répression qui le suit, qui mettent fin à l’incertitude politique. La gauche républicaine est alors décapitée, et étroitement ramenée, lors du plébiscite du 14 décembre, à ses bases de départ, le non au coup d’Etat ne mobilisant plus de 10 % des inscrits que dans les cantons de Vendôme et de Selommes.
51Sans doute à partir de l’amnistie décidée par le régime en 1859 assiste-t-on à une certaine renaissance de ce courant : les élections de 1867 et de 1869, et le plébiscite de 1870, démontrent que les républicains ont retrouvé une audience dans la petite bourgeoisie de Vendôme, dans quelques communes du vignoble — encore que les vignerons, satisfaits par la bonne conjoncture de l’époque, se tiennent quelque peu en retrait —, et parmi les journaliers du canton de Selommes. Mais à aucun moment les républicains ne menacent en Vendômois les positions de l’Empire. En effet, les candidats du régime — Crosnier, puis après sa mort, Dessaignes, l’ancien député de la Monarchie de Juillet, lui aussi rallié à Napoléon III — sont constamment et facilement élus. Il est vrai qu’ils bénéficient de la pratique de la candidature officielle, des pressions administratives et de la bonne conjoncture de l’époque. Tous les notables d’ailleurs se retrouvent derrière le régime : sans nécessairement oublier leurs préférences politiques, ils apprécient sa solidité et l’ordre qu’il fait prévaloir. Dans ces conditions, les connivences sociales peuvent à nouveau jouer à plein, au-delà des oppositions partisanes. Comme l’observe Judith-Ann Silver, le légitimiste comte de Gouvello n’est pas gêné d’inviter le préfet dans son domaine à la saison de la chasse, invitation reprise à son compte par le président du Comice, Martellière, un orléaniste. Il est vrai que ses convictions n’empêchent pas ce dernier, dont le beau-père n’est autre que le député Crosnier, de souhaiter travailler avec l’Empire38.
52Ainsi présentée, l’histoire politique de la période peut sembler tout à fait rassurante pour les notables, puisqu’elle est en permanence dominée par les forces attachées à la conservation de l’ordre social existant — celui précisément qui garantit le maintien de leur prééminence. Mais l’histoire politique ne peut se réduire à la seule relation entre les principales idéologies qui se disputent le pouvoir en France au xixe siècle. Plus subtilement, elle se joue également sur le terrain le plus local, celui de la commune, à l’occasion de multiples débats et conflits qui considérés isolément peuvent apparaître anecdotiques mais qui, avec le recul, se révèlent beaucoup plus chargés de signification. Ce qui est en cause cette fois, ce ne sont plus des rapports de force relevant de la politique générale, mais bien l’ensemble des ressorts de l’autorité et de la représentation, tels qu’ils jouent jusqu’au cœur de la société rurale.
53Comme le montre Judith-Ann Silver, c’est bien pendant le Second Empire que les ruraux découvrent à l’occasion de tous les conflits qui peuvent éclater au village à propos de l’école, du presbytère, des chemins, etc., de nouveaux moyens de se faire entendre. Parmi eux d’abord, la démission collective du conseil municipal, destinée à faire pression sur la préfecture : de fait, le procédé place cette dernière en situation difficile ; car si elle peut substituer à l’équipe démissionnaire une commission provisoire, elle est très gênée quand la population reconduit par son vote la précédente équipe municipale. Ainsi une volonté collective villageoise parvient-elle à progressivement s’affirmer sur le terrain institutionnel. C’est si vrai qu’à la fin de la période on voit la préfecture entériner le choix des électeurs, et désigner comme maire un opposant qui a obtenu une forte majorité lors de l’élection du conseil, alors que juridiquement elle n’est pas tenue à un tel choix : ainsi en 1865 voit-on le légitimiste La Rochefoucauld accéder à la mairie de La Ville-aux-Clercs, et le républicain Fortier à celle de Villiers.
54Le recours à la pétition participe de la même évolution — et cela doublement. En soi d’abord, la pétition émane de la base de la société, ce qui par rapport à la vision des notables constitue un renversement décisif. D’autre part, la forme de la pétition évolue de manière significative : au début du Second Empire, ceux qui recourent au procédé cherchent à obtenir avant tout la signature des notables. Mais au cours des années 1860 l’accent est mis de plus en plus sur le nombre de signataires, et il arrive même qu’on mentionne dans le document ceux qui ne savent pas signer : une pétition envoyée en 1875 par la commune de Saint-Jean Froidmentel au sous-préfet compte 275 signatures, soit pratiquement autant que d’électeurs39 ; c’est bien la volonté de la majorité — voire de l’unanimité — qui se trouve ainsi exprimée.
55Cette attitude, qui met directement en cause les autorités, apparaît intolérable aux notables. Aussi ceux-ci, quand ils ne recourent pas à la raillerie (comme le curé d’Epuisay qui en 1853 observe que les membres du conseil municipal qui s’opposent à lui doivent des hypothèques et mangent sans fourchettes), en dénoncent-ils l’illégitimité. C’est ce que fait à Danzé M. de la Marlière en contestant que « des paysans [...], les plus grossiers et les plus ignorants » puissent prendre une décision opposée aux vœux d’un homme fortuné : autrement dit, à ses yeux, le notable qu’il est est mieux à même que les habitants de la commune de déterminer où est leur intérêt40. Ce point de principe posé, M. de la Marlière met aussi en cause le cabaret, en expliquant que l’opposition que lui manifeste le conseil municipal est directement liée aux réunions à boire qu’y tiennent ses membres : cette fois, c’est à travers les modalités pratiques de leur mise en œuvre que les prétentions des conseillers municipaux sont dénoncées. Et significativement, c’est le cabaret, de longue date désigné comme lieu d’immoralité et plus récemment de ralliement de l’opposition au régime, qui se trouve clairement présenté ici comme centre d’un contre-pouvoir villageois.
56Mais face à cette manifestation croissante d’une opinion villageoise qui se ressent de plus en plus comme légitime, dénoncer pour les notables ne suffit pas. Il faut encore réagir. Les curés, acculés à la défensive, parce que souvent visés dans de nombreux conflits portant sur l’école, le presbytère, l’église, dans lesquels ils sont partie prenante, le font, une fois passé le temps de la raillerie, en se plaçant sur le terrain institutionnel, et notamment en invoquant les droits de l’Eglise. Mais ce faisant, ils entérinent l’affaiblissement de leur autorité personnelle, décidément devenue insuffisante pour en imposer, en même temps qu’ils transforment une attaque contre leur personne en une mise en cause de l’Eglise, voire de la religion : redoutable déplacement, qui à terme ne sera pas sans responsabilité dans l’évolution d’une partie de la population locale vers l’anticléricalisme ou même l’hostilité au catholicisme.
57Les réactions des autres notables aussi, d’une certaine manière, préparent en profondeur d’importants changements dans les relations qui s’établissent au sein de la société locale. Constatant qu’une nouvelle légitimité, celle de la volonté villageoise majoritaire, est en train de s’affirmer face à celle qui traditionnellement fondait leur autorité, les notables songent rapidement à la récupérer pour la mettre au service de leur prééminence. Concrètement, cela signifie qu’ils demandent au suffrage universel de consacrer leur autorité sociale. Le comportement des électeurs, il est vrai, les encourage à procéder de la sorte : ne voit-on pas, aux législatives de 1867, le canton de Morée, qui se prononçait jusqu’alors massivement pour le candidat du régime Crosnier, voter tout aussi massivement pour le légitimiste vicomte de La Panouse, contre le candidat officiel Dessaignes (cependant élu) ? Il ne faut pas voir dans ce revirement l’effet d’une soudaine conversion politique. Plus simplement, il se trouve que La Panouse est comme Crosnier implanté dans le canton, et les suffrages qu’ils recueillent l’un et l’autre sont d’abord personnels. C’est qu’en sollicitant le suffrage de leurs concitoyens pour bénéficier d’une légitimité nouvelle, les notables ne se privent pas de recourir aux privilèges de l’ancienne, c’est-à-dire à tous les ressorts du patronage. Cette stratégie est illustrée jusqu’à la caricature par le duc de La Rochefoucauld-Doudeauville, qui à la fin du Second Empire fait édifier l’imposant château de la Gaudinière à La Ville-aux-Clercs, et entreprend d’asseoir son autorité sur le secteur du Vendômois centré sur cette commune. Lorsqu’à partir de 1863 ce puissant notable qui jusqu’alors s’était surtout posé en agent de la modernisation de l’agriculture de son canton décide de se porter candidat au conseil général, on le voit inviter les maires du canton pour les aider à résoudre leurs problèmes : il propose une aide pour les actions de charité, donne 3 000 F à la commune de Danzé pour alléger ses impôts, et davantage encore à celle de Morée pour construire son école et réparer son église. Mais à aucun moment il ne renonce aux privilèges de la notabilité. Ainsi n’entend-il rien céder dans le conflit entraîné par les dégâts causés par les lapins provenant de ses bois dans les communes de Saint-Hilaire-la-Gravelle et de Fréteval : il n’accepte pas que soit autorisée la chasse publique de ces lapins, et bien que contraint par voie de justice à le faire, ce n’est qu’avec beaucoup de difficultés qu’il se résout à indemniser les victimes des dégâts. Pour La Rochefoucauld, son autorité de notable est bien l’essentiel, et à ses yeux son élection au conseil général en 1867 n’en est que la légitime consécration. Ce qu’il ne voit pas cependant, c’est qu’en demandant au suffrage universel de valider sa position, il valorise la procédure, et contribue donc à conforter un peu plus l’importance de la volonté majoritaire : et que celle-ci joue pour l’instant dans un sens favorable aux notables ne signifie pas nécessairement qu’il en ira toujours ainsi.
58C’est d’autant plus vrai que les notables valorisent l’importance de l’opinion majoritaire par une autre voie : lorsqu’un conflit éclate entre eux, ils n’hésitent pas, en effet, pour l’emporter, à en appeler à la population. C’est le cas par exemple à Lunay quand à partir de 1862 les notables de la commune se divisent sur le tracé d’une voie communale : le notaire conteste en l’occurrence le choix fait par le maire, soutenu par le médecin. En fait chacun, dans cette affaire, défend des avantages particuliers (puisque ayant des propriétés le long du tracé qu’il soutient), mais toutes les parties affectent de prendre en compte l’intérêt général et prétendent de ce fait avoir l’opinion de la majorité de la population communale de leur côté, ce qu’elles s’attachent à démontrer notamment par le biais de pétitions. On voit bien à travers cet exemple comment une fois de plus la volonté majoritaire se trouve valorisée, et comment peut progressivement se préparer le glissement décisif par lequel l’élu, qui jusqu’alors était l’homme disposant d’un statut lui permettant de jouer un rôle de guide et de porte-parole (et donc d’intermédiaire), devient peu à peu celui qui, indépendamment même de sa personnalité propre, est choisi parce que les vues qu’il exprime apparaissent les meilleures. Pour dire les choses autrement, de personnel, le choix tend à devenir politique41.
59Ces considérations aident à comprendre comment la République proclamée à Paris en septembre 1870 est facilement acceptée dans la région en quelques années, alors que jusqu’à la fin du Second Empire ce type de régime ne semblait correspondre qu’aux vœux d’une étroite minorité de la population. Victorieux dès les élections de 1871 et de 1873, les républicains l’emportent définitivement lors des scrutins de 1876 et de 1877, en dépit de la vigoureuse résistance des partisans de la politique de l’Ordre moral : l’édification de bâtiments destinés à abriter la mairie et les écoles, bases du nouvel ordre politique, symbolise bientôt jusqu’au cœur de nombreuses communes cet ancrage de la région dans la République.
60Sans doute cette rapide réussite du nouveau régime peut-elle s’expliquer par le fait que la vie politique n’est plus désormais aussi faussée qu’elle l’était sous le Second Empire par la pratique de la candidature officielle (encore qu’au temps de l’Ordre moral les pressions administratives demeurent très sensibles), ce qui permet aux républicains de développer plus aisément leur propagande et leurs propres réseaux d’influence (à travers leur presse et leurs comités). Dans ce contexte d’un débat plus ouvert, il est clair, comme le souligne Georges Dupeux, que l’argumentation de la droite, qui agite le spectre de la Terreur, porte infiniment moins que celle de la gauche, attentive d’abord à dénoncer le risque d’un retour à l’Ancien Régime42. Peut-être aussi la personnalité rassurante des dirigeants républicains, majoritairement issus des professions libérales, comme l’avocat Bozerian dont l’élection au Sénat en 1876 couronne la carrière parlementaire, n’est-elle pas étrangère à cette évolution, qui a pour effet de rassembler dans la même adhésion à la République les salariés que sont les journaliers et les petits propriétaires que sont les vignerons. Mais plus profondément, il est essentiel pour notre propos de souligner également à quel point l’hostilité au pouvoir personnel dont est alors porteur le programme républicain rencontre la sensibilité des populations vendômoises qui ont appris durant le Second Empire, à l’occasion des multiples conflits qui émaillent la vie la plus locale, à prêter une attention grandissante et bientôt décisive à la volonté majoritaire. De ce point de vue, c’est bien une base essentielle de l’ordre traditionnel des notables qui disparaît pendant le dernier tiers du xixe siècle.
LE TEMPS DE LA NOSTALGIE
61Une autorité définitivement remise en cause, une modernisation qui souvent a emprunté, à leurs dépens, d’autres voies que celles qu’ils recommandaient : tout cela, et d’autres éléments encore, comme le recul de l’influence de l’Eglise sur laquelle ils avaient souvent cherché à s’appuyer43, tout cela donc suggère une évolution bien différente de celle qu’ambitionnaient d’impulser les notables au milieu du siècle encore, et débouche sur un bilan à leurs yeux bien négatif.
62Sur le terrain de la société provinciale, ce déclin de l’influence du groupe des notables se manifeste encore à travers l’effacement des positions personnelles de certains de ses membres. Ainsi Georges Dupeux constate-t-il qu’en Vendômois et dans le Perche la grande propriété recule pendant le second xixe siècle (sauf dans le canton de Vendôme). Cette appréciation globale recouvre certes des évolutions contradictoires. Concernant la seule noblesse par exemple, Georges Dupeux observe des disparitions — comme celle des Courtarvel —, mais il souligne aussi l’exceptionnelle puissance foncière de La Rochefoucauld-Doudeauville, prolongement amplifié de la fortune des Montmorency pendant le premier xixe siècle. Dans l’ensemble pourtant, c’est bien la tendance au recul qui l’emporte. Le Dictionnaire du Vendômois de Saint-Venant en témoigne, qui accumule les notations sur les grands domaines partagés, vendus au détail ou livrés aux marchands de biens et autres spéculateurs qui les démembrent44. De tels faits ne signifient pas nécessairement le déclassement de l’ancien propriétaire, qui peut réinvestir le produit de la vente dans d’autres secteurs économiques. En revanche, ils impliquent presque à coup sûr son éloignement, de tels réinvestissements ne se concevant guère qu’en dehors du Vendômois, et ils entraînent la disparition de domaines qui traditionnellement constituaient une des principales assises de l’autorité des notables : de ce double point de vue, c’est donc bien tout l’univers des propriétaires, si caractéristique du premier xixe siècle, qui se défait.
63Le devenir des châteaux confirme cette impression. Non qu’ils disparaissent, sauf exception45 : en 1901 encore, l’Annuaire de Loir-et-Cher trouve à en mentionner 76 à travers l’arrondissement46. Mais souvent leur signification sociale n’est plus la même qu’au temps de la monarchie parlementaire. A Lunay, des trois châteaux visités en 1841, seule la Mézière connaît encore en 1886 l’animation constatée à l’époque de Louis-Philippe : autour du comte de Déservilliers, qui l’a acquis en 1859 (après qu’il a été saisi en 1849 sur les Sarrazin), de sa femme, née de Lavau, et de sa fille veuve vivent en effet huit domestiques et trois enfants de ces derniers. Mais à la Blotinière, la propriétaire, la veuve de Nully, n’y est entourée que d’une domestique, d’un jardinier et de sa femme. Quant à la Montellière, où en 1866 le propriétaire Abel de Brunier, veuf, vivait entouré de trois enfants et de six domestiques, elle n’est plus habitée en 1886 que par un couple de domestiques et leur jeune fils : c’est que Démanche, qui a acquis le château en 1872, peu après la mort de De Brunier survenue en 1869, n’y réside pas. Cette situation préfigure celle qui prévaudra partout en 1901, les trois châteaux n’étant plus alors habités que par des domestiques. C’est bien la fin du temps des châtelains.
64Comment dans ces conditions les notables n’éprouveraient-ils pas le triste sentiment de vivre la fin d’un monde, un monde qui justement était le leur ? Et comment, à partir de là, ne verseraient-ils pas dans l’amertume et le doute ? C’est sans doute Raoul de Saint-Venant, auteur du Dictionnaire du Vendômois souvent cité, et à ce titre l’une des plus brillantes figures de l’érudition régionale de la fin du xixe et du début du xxe siècle qui, au détour d’une note infrapaginale, exprime le mieux ce sentiment, avec des accents qui annoncent étonnamment, un quart de siècle à l’avance, ceux de Paul Valéry : « A bon droit nous serions orgueilleux de ces progrès, et nous pourrions jouir en paix des conquêtes des temps nouveaux, si parfois une catastrophe imprévue et quelque coup terrible préparé dans l’ombre ne venaient nous donner le vague pressentiment d’une désorganisation finale, redoutée par tous, prédite par bon nombre, et laissant au cœur la crainte que les arrière-neveux de nos arrière-neveux ne traitent un jour de cette civilisation dont nous sommes si fiers, comme nous traitons nous-mêmes les autres civilisations à jamais disparues des Egyptiens, des Perses, des Grecs et des Romains »47.
65Cependant, la réflexion de Saint-Venant n’est pas instructive seulement en ce qu’elle reflète un état d’âme. Elle l’est aussi par la manière dont se développe son argumentation. Celle-ci se construit en effet dans une perspective temporelle, qui fait se succéder des progrès et une désorganisation. N’est-ce pas là, transposée sur le plan de l’histoire générale, la courbe même de l’évolution qui a affecté, au xixe siècle, la position et les ambitions des notables vendômois ? Ce n’est pas par hasard du reste que cette note se rapporte à un article d’histoire médiévale. L’étude de cette période lointaine permet à l’auteur de mesurer l’écart, et un écart positif, que traduit le terme progrès, entre l’époque qu’il décrit et celle où il vit. En stricte méthode historique d’ailleurs, Saint-Venant ne devrait pas pousser plus loin sa réflexion. Mais l’expérience personnelle de l’auteur — celle de tous les déclins qui viennent d’être évoqués, particulièrement ressentis par cet homme aux convictions monarchistes affirmées —, son expérience donc l’a trop marqué pour qu’il puisse taire l’impression de désorganisation qu’il en a retenue.
66D’un point de vue temporel toujours, rappelons-nous comment, face à la routine des paysans enfermés dans un temps immobile — ou jugés tels — les notables de la première partie du siècle entendaient donner une impulsion décisive au progrès, ce qui leur donnait l’impression exaltante de vivre un commencement. A la Belle Epoque, leurs enfants ou leurs petits-enfants demeurent bien convaincus que les temps changent, et pas plus que leurs devanciers ils n’adhèrent à la conception d’un temps immobile. Mais c’est bien là le seul élément de continuité de la perception temporelle des notables du xixe siècle. Car pour le reste tous les points de vue ont changé : des progrès ont bien eu lieu, mais leur contrôle a échappé aux notables, le temps qui était conçu comme vecteur de progrès est pensé maintenant comme porteur de déclin, et là où l’on raisonnait en termes de commencement, on met en avant surtout maintenant, comme l’écrit Saint-Venant, l’idée de catastrophe, de désorganisation et de fin. Confiants pendant une bonne partie du siècle dans leur raison éclairée et éclairante, les notables ont désormais l’impression d’être inexorablement entraînés dans ce qu’un physicien qualifierait de processus d’entropie — processus dont le danger s’aggrave du fait qu’il se développe « dans l’ombre ». Dans ces conditions, c’est bien un sentiment d’échec qui les domine. Pour eux, il n’est plus question d’ambition conquérante. L’idéal désormais ne saurait se situer dans l’avenir. Naturellement, le passé s’en trouve revalorisé d’autant : le temps est venu du repli nostalgique.
LE REPLI SUR L’HISTOIRE
67Il n’est pas étonnant dans ces conditions que l’histoire occupe dans l’esprit des notables une place de premier plan. Cela justifie donc qu’on considère avec attention le puissant essor de l’histoire locale dans la région au xixe siècle. Encore ne faut-il pas succomber ici à l’esprit de système : s’il est vrai que les déceptions et les incertitudes de la fin du siècle conduisent certains esprits à se tourner alors vers le passé, et singulièrement le passé régional, tous les travaux d’histoire locale réalisés en Vendômois au xixe siècle ne s’expliquent pas par cette seule raison : d’une part parce que le goût pour l’histoire locale s’y est manifesté dès la première partie du siècle, avant donc que le réflexe nostalgique décrit dans ce chapitre ait des raisons de jouer (mais on verra que d’autres nostalgies ont pu alors entrer en ligne de compte) ; et d’autre part parce qu’à toute époque l’étude de l’histoire, et donc de l’histoire locale, répond à des inspirations trop diverses pour qu’il ne soit pas abusif d’en rendre compte par une seule cause. En bref, le propos de l’analyse sera de replacer le repli sur le passé des notables de la fin du siècle dans le cadre plus large de toutes les activités historiennes pratiquées dans la région depuis la fin de la Révolution, et de retenir ce qui dans ces activités historiennes illustre le mieux la sensibilité nostalgique qui est au cœur de ce développement — étant entendu que ce dernier ne saurait à lui seul rendre compte de l’ensemble des travaux réalisés à l’époque sur le passé régional. Pour organiser cette réflexion, on présentera d’abord le bilan des initiatives isolées réalisées avant 1850, puis on analysera la naissance et les débuts de la Société archéologique scientifique et littéraire du Vendômois, dont l’existence institutionnalise les recherches d’histoire locale dans la région à partir de 1862.
BILAN DE L’HISTOIRE VENDÔMOISE AU CŒUR DU XIXe SIÈCLE
68Pendant la première partie du siècle, trois publications majeures ont témoigné de l’intérêt alors manifesté dans la région pour l’histoire : Vendôme et le Vendômois, de Philippe Jérôme Gaucher de Passac (1823), l’Histoire de Vendôme et de ses environs de l’abbé Simon (rédigée on le sait depuis le xviiie siècle, et enfin publiée en 1834) et l’Histoire archéologique du Vendômois de Jules de Pétigny (1849). Ces œuvres ne sont pas sans rapport : Passac a consulté à la bibliothèque de Vendôme le manuscrit de l’abbé Simon, et Pétigny a naturellement pu lire les deux ouvrages qui précédaient le sien. D’autre part, certaines personnalités se retrouvent dans l’entourage des différents auteurs, comme Hippolyte de la Porte, fils de l’ancien seigneur de Meslay, propriétaire dans cette localité, dont il possède le château : à l’origine, avec trois notables de la région, de la publication du livre de l’abbé Simon, il est cité par Passac au premier rang de ceux dont il a utilisé les notes, et Pétigny le mentionne au nombre de ceux qui l’ont « secondé de leur obligeance et de leurs lumières ». Plus largement, les mêmes catégories de notables se retrouvent au sein du cercle étroit où prennent vie ces entreprises, notamment des propriétaires (outre de la Porte, le comte de Querhoent, mentionné par Passac, Leroy-Buffereau, de Vendôme, cité par Pétigny, Bénier, d’Ambloy, l’un des responsables de la publication du travail de l’abbé Simon) ou des médecins (comme Beaussier-Bouchardière, autre éditeur de l’abbé Simon, ou Gendron, cité par Pétigny). Parmi ses informateurs, Pétigny mentionne encore feu M. La Haye (il s’agit de Jacquet La Haye), curé de Vendôme, Renou, notaire à Vendôme, Mareschal, maire de Vendôme, Delaunay, professeur, Josse-Beauvoir, conseiller à la Chambre des comptes. Enfin, il faut évoquer la place tenue par les imprimeurs dans la genèse des trois ouvrages : Passac cite Morard, qui imprime et édite son livre, parmi ceux qui ont rédigé les notes qu’il a consultées ; un ancien imprimeur, Cottereau-Pinçon, figure au nombre des éditeurs de l’abbé Simon, et c’est son successeur, Henrion-Loiseau, qui l’imprime — comme il imprimera le livre de Pétigny.
69Pour ce qui est de leur public, la liste des souscripteurs de l’ouvrage de l’abbé Simon et celle du livre de Pétigny révèlent des continuités et des différences instructives pour apprécier la manière dont l’histoire locale du Vendômois est reçue dans la région, et au-delà, en ce premier xixe siècle48.
70D’un point de vue purement quantitatif, Pétigny l’emporte nettement sur l’abbé Simon, avec 430 ouvrages souscrits, contre seulement 157. Il est vrai que son livre ne comporte qu’un seul volume (contre trois pour celui de l’abbé Simon), ce qui peut en faciliter la diffusion. En outre, il s’agit d’une œuvre plus récente, servie on le verra par une réelle qualité historique et littéraire. Cependant, la prise en compte de la résidence des souscripteurs relativise l’apparent avantage de Pétigny. En effet, il apparaît que si les souscriptions sont plus nombreuses en 1849 qu’en 1834, c’est avant tout du fait des clients résidant dans l’arrondissement et plus encore à l’extérieur de celui-ci : sans être négligeable, l’avantage du livre de Pétigny est sensiblement moins marqué dans la ville même de Vendôme49. Autrement dit, si l’ouvrage de Pétigny se vend mieux, c’est pour l’essentiel en raison d’une plus large diffusion géographique. Cette diffusion élargie tient à plusieurs raisons. Certains souscripteurs éloignés sont des gens originaires de la région, mais qui l’ont quittée pour des raisons familiales ou professionnelles50. D’autres sont au contraire de gens qui l’ont fréquentée, soit au cours d’une carrière de fonctionnaire, soit comme élève du collège (ce qui explique la concentration des souscriptions dans la Gironde, ou à Dunkerque). Au fil de la liste des souscripteurs se repèrent aussi quelques-uns des grands noms de l’érudition des régions voisines (de Buzonnière ou l’abbé Desnoyers à Orléans, La Saussaye à Blois, Gouin ou Sourdeval à Tours) : à travers ces personnalités se saisissent les relations que tisse à travers la province française, dès avant 1850, tout un réseau d’historiens locaux. Enfin, il se trouve aussi des souscripteurs qui commandent le livre de Pétigny en raison de leur activité commerciale — cas d’un libraire de Berlin — ou du fait de leurs fonctions, comme le responsable de « la bibliothèque de S. M. le Roi des Français » (10 souscriptions), ou le bibliothécaire de S.M. le roi de Prusse.
71Géographiquement, les 293 souscriptions extérieures à l’arrondissement sont nombreuses surtout à Paris et dans les zones proches du Vendômois, à commencer par le reste du Loir-et-Cher. L’effet de proximité joue jusque dans les départements voisins : on souscrit davantage à Saint-Calais qu’au Mans, et à Châteaudun qu’à Chartres. Au-delà des départements proches, les souscriptions se font beaucoup plus rares. Pour l’essentiel, elles se regroupent dans un grand arc occidental, étendu de Dunkerque à la Gironde, avec une relative concentration en Bretagne et dans le Centre-Ouest. Ailleurs, on note une pointe en direction du Midi toulousain, quelques souscriptions isolées dans le Centre-Est, de la Lorraine au Dauphiné en passant par la Bourgogne et le Vivarais, et aucune dans le Midi méditerranéen. Une telle carte rappelle beaucoup celles établies à partir de l’étude des migrations à la fin du xviiie siècle. L’intérêt pour le passé du Vendômois apparaît donc développé dans les mêmes zones que celles qui sont traditionnellement liées à ce pays par des relations migratoires. Ce constat ne saurait surprendre : il a cependant le mérite de confirmer combien certaines lignes de force structurent étroitement la société provinciale du xixe siècle — et la portée de cette conclusion ne se borne sûrement pas au Vendômois51.
72Les listes de souscription permettent d’autre part de déterminer le statut social des acheteurs. Celle du livre de l’abbé Simon mentionne bien des propriétaires (19 % des souscriptions) et des fonctionnaires (18 %), qui sont les notables par excellence ; mais ceux-ci sont devancés par les capacités, qui toutes réunies représentent un tiers du total, et par les gens engagés dans des activités économiques, qui en représentent un quart. Surtout, il se trouve au sein de ces deux derniers groupes des gens très modestes — 5 instituteurs, une demi-douzaine d’huissiers, 13 artisans et boutiquiers —, ainsi que 2 cultivateurs : l’intérêt pour le travail de l’abbé Simon s’étend donc profondément au sein de la société provinciale ; militaires et ecclésiastiques demeurent au contraire nettement en retrait.
73Les mêmes catégories se retrouvent sur la liste des souscripteurs de l’ouvrage de Pétigny ; mais, sauf pour les fonctionnaires, elles apparaissent dans des proportions très différentes. Sont en recul, cette fois, les capacités et plus encore les professions économiques, et au sein de ces deux ensembles ce sont les éléments les plus modestes, évoqués à l’instant parmi les souscripteurs du livre de l’abbé Simon, qui sont le plus touchés. En revanche, les propriétaires, les ecclésiastiques et aussi les militaires (qui sont en général des aristocrates), c’est-à-dire les notables les plus traditionnels, apparaissent beaucoup plus fortement représentés que dans le cas de l’ouvrage précédent : il est significatif du reste qu’à l’intérieur du Vendômois les acheteurs du livre de Pétigny soient particulièrement nombreux à Vendôme et dans la vallée du Loir, qui constituent la zone majeure de la notabilité dans la région.
74Le délai d’une quinzaine d’années séparant les deux souscriptions étant plutôt court, c’est vers les ouvrages eux-mêmes, et la relation qu’ils peuvent entretenir avec les préoccupations de la société vendômoise du premier xixe siècle qu’il faut se tourner pour rendre compte de leurs différences. En le faisant, toutefois, on étendra l’analyse au livre de Passac : sans doute, faute de sources, n’est-il pas possible de préciser l’audience de ce dernier ; mais il est important de prendre en compte ses caractères, afin de présenter un tableau aussi complet que possible des visions de l’histoire locale qui ont cours dans le Vendômois du premier xixe siècle.
75A cet égard, le livre de l’abbé Simon, rédigé au xviiie siècle, ne peut évidemment pas se relier directement aux débats qui traversent le public auquel il est proposé pendant la Monarchie de Juillet, compte tenu surtout de l’importance des événements survenus entre l’époque de sa rédaction et celle de sa publication. Mais cela ne signifie pas que son contenu ne puisse pas leur être rapporté : on pourrait imaginer en effet que tel ou tel groupe de la société provinciale s’empare du discours de l’abbé Simon pour appuyer sa cause, et même que ce soit cet objectif qui rende compte de l’initiative de la publication. Or, ce n’est visiblement pas le cas, comme en témoigne le court avant-propos de quatre pages que donnent au livre les quatre personnalités qui décident de l’éditer. Ce texte adopte en effet un profil très bas, et la seule justification qu’il donne à la publication du livre est celle de la réparation d’une injustice : « Nous avons pensé que ce serait absoudre les habitans de Vendôme et du Vendômois de l’indifférence, de l’apathie même dont on les accusait, que de publier une production tellement remarquable. Notre entreprise [...] a été conçue et dirigée sans autre but que celui de tirer de l’oubli un manuscrit qui n’a jamais dû y être condamné ». Quant au livre lui-même, à aucun moment il n’est apprécié à un autre point de vue qu’à celui de la stricte érudition locale, terrain sur lequel il est l’objet d’un jugement très flatteur, puisqu’il est qualifié de « monument précieux ». En bref, ce qui se joue en 1834, c’est la publication d’un livre d’histoire, et rien de plus. Cette publication s’inscrit dans le goût des antiquités qui se développe alors dans la société française, et dont a témoigné l’année précédente la création de la Société française d’archéologie par Arcisse de Caumont — précisément l’un des souscripteurs de l’ouvrage de l’abbé Simon. Dans ces conditions, on peut penser que l’audience du livre répond d’abord à ce goût, et que c’est la diffusion de ce dernier au sein de la société régionale qui en explique les caractères.
76Une dizaine d’années plus tôt, la publication du livre de Passac s’inscrivait dans une perspective toute différente. Sans doute le travail de Passac ressemble-t-il beaucoup à celui de l’abbé Simon, dont on sait qu’il l’a eu entre les mains. La structure, en particulier, en est la même (une description générale de la région et de ses lieux remarquables, puis des notices consacrées aux comtes et aux ducs de Vendôme, et enfin une suite de biographies d’abbés, de saints, d’évêques, de prêtres, de militaires, de magistrats, de médecins, de poètes). Il s’en distingue pourtant sur deux points. D’une part l’auteur est cette fois un homme clairement engagé dans le camp de la royauté restaurée : son passé d’émigré, le souvenir d’un frère fusillé à la suite de l’échec du débarquement de Quiberon, ses amitiés sont à cet égard sans ambiguïté. Cette conviction ne va certes pas jusqu’à le conduire à réécrire l’histoire de la période récente, et donc à proposer, notamment, sa vision de l’époque de la Révolution et de celle de l’Empire. Mais certains développements relatant, de manière d’ailleurs quelque peu arrangée, le passage de la duchesse d’Angoulême à Vendôme, des rapprochements aussi (comme celui entre les campagnes espagnoles du grand Vendôme et l’expédition de Cadix qui aboutit à « la délivrance d’un roi malheureux, que des sujets rebelles tenaient dans une odieuse captivité »), le ton de certaines biographies enfin (en particulier celles des Vernage, des Rochambeau, des de la Porte, des Passac) témoignent sans équivoque sur l’opinion royaliste de l’auteur.
77L’autre différence que présente le livre de Passac par rapport à celui de l’abbé Simon tient à son sous-titre : « Tableau statistique, historique et biographique du duché aujourd’hui arrondissement de Vendôme ». Le terme statistique exprime ici la volonté de décrire non seulement le passé du Vendômois, mais encore son présent. L’abbé Simon n’avait pas complètement ignoré cette ambition, puisque son livre s’ouvrait sur une présentation du Vendômois de son époque. Mais par rapport à son devancier, Passac dispose de nombreuses supériorités : celle de la certitude, tirée de son statut de notable, d’avoir un rôle dirigeant à jouer, et donc la conviction qu’il est nécessaire de réunir l’information permettant de le jouer au mieux ; et celle que lui assure sa proximité sociale et idéologique avec les milieux dirigeants de l’époque où il écrit, qui sont comme lui des royalistes, et souvent des aristocrates52. Cela explique que son livre contienne des données parfois fort précises : ainsi en ce qui concerne la population de toutes les communes de l’arrondissement, publiée d’après le recensement de 1820, ou encore pour ce qui est du montant de la contribution foncière acquittée dans les différents arrondissements du Loir-et-Cher de 1818 à 1823. L’idée de rassembler de telles données n’est certes pas neuve : les bureaux de l’administration l’ont fait, de manière plus complète, bien avant Passac, et tout comme ce dernier ils ont livré au public les résultats de leurs investigations, ainsi qu’en témoignent les contributions de Petitain à l’Annuaire de Loir-et-Cher au début de l’Empire, particulièrement en 1806. Tout compte fait, Passac n’a pas plus inventé la description statistique mise au point avant lui par les fonctionnaires de la préfecture qu’il n’a créé une histoire locale illustrée déjà par l’abbé Simon, qu’il pille sans vergogne. En revanche, il a rapproché les deux genres, conformément à une tendance alors largement répandue dans les provinces françaises53 : en cela consiste son principal apport de méthode à l’historiographie vendômoise.
78En 1849, le livre de Pétigny n’appelle pas les mêmes commentaires. Pétigny est pourtant lui aussi un royaliste convaincu : ancien élève du lycée Louis le Grand et de l’Ecole des Chartes, il devient en 1823, à 22 ans, secrétaire particulier du comte de Saint-Luc, préfet de Loir-et-Cher, puis, trois ans plus tard, conseiller de préfecture à Blois. Mais cette prometteuse carrière est brutalement interrompue par la révolution de 1830 ; refusant de collaborer avec le nouveau régime, Pétigny démissionne et, fort de sa formation de chartiste, il se consacre désormais à des travaux historiques : des études sur l’époque mérovingienne lui valent le grand prix Gobert en 1845, il devient en 1846 correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et naturellement il travaille à son livre sur l’histoire du Vendômois.
79Ainsi, alors que Passac écrivait dans une France gouvernée conformément aux principes politiques qu’il défendait, Pétigny est quand il réalise son œuvre historique un homme politiquement vaincu. A ce titre, il représente la première incarnation en Vendômois (du moins parmi ceux dont les travaux ont été publiés) des gens qui au xixe siècle cherchent dans l’étude du passé une compensation aux déboires du temps présent. Par ailleurs, son livre est une Histoire archéologique, et rien que cela. Il n’est plus question chez Pétigny de tableau statistique. Non qu’il soit incapable d’en élaborer, ainsi qu’il l’a démontré en réalisant pendant la Restauration une étude sur la population du département54. Mais la révolution de 1830 a sans doute brisé chez lui l’ambition de notable dirigeant capable de sous-tendre de telles recherches : depuis lors, Pétigny distingue nettement le champ de l’administration et celui de l’érudition, qu’on trouvait au contraire rapprochés sous la plume de Passac.
80Pétigny ne fait pas davantage de son livre un manifeste royaliste. Sans doute ses sympathies peuvent-elles percer ici ou là. Mais ce n’est jamais que de manière accessoire. Il est vrai qu’il ne veut pas se donner « la satisfaction stérile [...] de remuer les cendres révolutionnaires, pour y ranimer quelques étincelles de haines heureusement éteintes ». De plus, loin de construire sa présentation du passé vendômois à partir de la seule opposition monarchie-Révolution, il le fait largement aussi, comme le montre son introduction, à partir de l’antagonisme libertés provinciales-centralisation politique et administrative (y compris monarchique). A cet égard, on le voit souligner que « l’abbaye cardinalice de la Trinité, qui ne reconnaissait ni la suprématie des évêques, ni l’autorité des rois, ni le pouvoir des seigneurs, et se vantait de ne relever que de Dieu dans le ciel, et du Saint-Siège sur la terre [...] sait défendre [...] ses droits et sa liberté » ; se réjouir de l’indépendance administrative de Vendôme aux xve et xvie siècles ; s’attacher, sinon à justifier les positions ligueuses et donc rebelles à Henri IV des Vendômois en 1589, du moins à démontrer « que cette résistance sévèrement jugée par l’histoire, qui se met toujours du côté des vainqueurs, ne fut pas, comme on l’a dit, sans honneur et sans courage » ; dénoncer en Henri IV, pourtant présenté comme un des meilleurs et des plus grands rois qu’ait connu la France, un « fils ingrat qui renia la patrie de ses ancêtres, et, Vendômois de famille et d’origine, se fit appeler le Béarnais » ; et enfin constater amèrement que pour le Vendômois, « sous Louis XIV les derniers débris de son indépendance allèrent se perdre, comme toutes les libertés de nos provinces, dans le gouffre de la centralisation politique et administrative ». Réactionnaire, Pétigny ne l’est pas seulement par attachement à la monarchie légitime, il l’est aussi par provincialisme : seul l’intéresse le Vendômois qui a une histoire autonome (il ose même l’expression de « nationalité vendômoise ») ; aussi passe-t-il rapidement sur les derniers ducs, et arrête-t-il son livre au moment où en 1712 le duché fait retour à la Couronne. Bien qu’écrivant au xixe siècle, il ne va donc pas plus loin que l’abbé Simon, dont la réflexion désabusée sur la tristesse qu’il y a à voir périr une ville qui a été quelque chose de si grand est reprise comme conclusion de son livre.
81Dans sa construction, l’histoire de Pétigny, comme celle de l’abbé Simon, est d’abord celle des comtes et des ducs qui ont dirigé la région ; et comme elle aussi, elle trace, par-delà la succession des individus, une courbe qui fait alterner phases de grandeur et temps de repli. Mais chez Pétigny une telle vision est beaucoup plus dominée que chez l’abbé Simon, et elle est explicitement affirmée dès l’introduction du livre : « Deux époques surtout méritent d’être distinguées par le grand nombre de monuments qu’elles ont produits, et par le génie spécial qui a présidé à leurs œuvres. Toutes deux pourraient être également appelées époque de renaissance, quoique l’usage n’applique ce nom qu’à l’une d’elles ; car toutes deux ont succédé à des temps de destruction [...] Quatre noms représentent pour le Vendômois ces périodes si : brillantes et en même temps si fécondes. Au xie siècle Geoffroy Martel et Agnès de Poitiers, au xve François de Bourbon et Marie de Luxembourg ». Sur ce plan donc, c’est moins sur le fond que Pétigny se distingue de son prédécesseur que par la vigueur et la clarté de sa vision globale du passé régional.
82Sur un autre point cependant, le travail de Pétigny est beaucoup plus neuf. Contrairement à l’abbé Simon en effet, il ne fait pas commencer l’histoire du Vendômois à la création du comté, ou à la fondation de l’abbaye de la Trinité. A ses yeux, « l’origine de Vendôme remonte à travers la nuit des temps jusqu’à l’époque Gauloise, et pour bien comprendre la suite de son histoire, il est indispensable de pénétrer d’abord dans ces âges reculés ». De là toute une longue première partie, intitulée « Antiquités », qui n’occupe pas moins de 142 des 388 pages du livre, et qui s’étend jusqu’à la fin du xe siècle, quand les Capétiens montent sur le trône. Mais avec cette première partie, l’innovation ne tient pas seulement à une considérable extension du champ temporel de l’histoire régionale. Elle réside aussi dans la méthode qu’utilise Pétigny dans un domaine bien peu étudié avant lui. C’est que dans ces époques reculées il n’est plus guère question des textes si familiers au chartiste qu’est notre auteur, comme il le démontre dans le reste de son livre. Le seul recours ici est constitué par les monuments, au sens le plus large du terme, dont seul le déchiffrement peut éclairer le passé : c’est à cette tâche que s’attelle longuement Pétigny, ce qui en fait le véritable fondateur de l’archéologie régionale.
83Tels se présentent donc les principaux caractères de l’Histoire archéologique de Pétigny. Dans une large mesure, ils rendent compte du succès rencontré par cet ouvrage. Par la personnalité de son auteur, celui-ci pouvait bénéficier de la faveur des milieux légitimistes, que sa lecture ne décevrait pas. Par sa construction maîtrisée, et par ses aspects novateurs, il était de nature à intéresser ceux qu’on serait tenté de qualifier de spécialistes de l’histoire, si le terme n’était quelque peu anachronique : pour dire les choses autrement, le livre de Pétigny a toute sa place dans le mouvement de production historique qui se développe en France pendant le premier xixe siècle. Enfin, sa qualité d’écriture, complétée par les nombreuses planches de gravures qui l’illustrent, ne pouvait que lui attirer un vaste public cultivé. Il reste à expliquer pourquoi dans ces conditions les gens des couches modestes se montrent beaucoup moins empressés à souscrire à cet ouvrage qu’ils n’avaient été à le faire pour celui de l’abbé Simon. Sur ce point, on est réduit aux hypothèses. Il est possible que Pétigny et son éditeur n’aient pas cherché autant qu’on l’avait fait en 1834 à atteindre cette catégorie de clientèle. Mais on peut penser aussi que les (relativement) modestes Vendômois intéressés par l’histoire régionale se sont considérés comme suffisamment informés par l’ouvrage de l’abbé Simon et n’ont pas jugé nécessaire de consacrer une somme tout de même importante à se procurer un nouveau livre d’histoire locale. Cependant, deux éléments surtout ont dû peser lourd dans cette circonstance : d’une part la personnalité politiquement marquée de Pétigny qui, même si elle apparaît peu dans son livre, a pu avoir au sein des couches moyennes de la société vendômoise un effet négatif symétrique de celui, positif, qu’elle entraînait auprès de beaucoup de notables ; et peut-être aussi la nouveauté de l’ouvrage, qui, séduisante pour des esprits éclairés, pouvait sembler moins rassurante aux yeux de gens moins avertis que le texte de l’abbé Simon consacré par les années.
LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE, SCIENTIFIQUE ET LITTÉRAIRE DU VENDÔMOIS
84Les réflexions qui précèdent le suggèrent bien : un courant de recherche et de production historique locale ne se développe pas indépendamment de la société régionale. C’est vrai naturellement pour ce qui est de l’accueil réservé aux publications. Mais ce l’est aussi du cercle plus restreint au sein duquel se réalisent les travaux et s’élaborent les ouvrages. De ce point de vue, ces derniers s’enracinent dans toute une sociabilité, à laquelle les auteurs ne manquent pas de faire référence, quand ils procèdent à leurs remerciements ou quand ils présentent leur bibliographie. Cependant, jusqu’aux années 1860, cette sociabilité est demeurée placée sur le plan des relations personnelles, celles qui résultent du jeu combiné des communautés d’intérêt intellectuel et des affinités personnelles, tous éléments renforcés, cela va de soi, par l’appartenance aux mêmes milieux sociaux. Certains ont bien songé alors à structurer le réseau historien régional par une institutionnalisation plus rigoureuse, mais pendant l’ensemble de la période, toutes les tentatives faites en ce sens sont demeurées inabouties. Tel est le cas de la Société des Amis des Sciences et des Lettres qui apparaît en 1806, et à laquelle on peut prêter des préoccupations historiques, en raison de la présence parmi ses membres de Passac et d’Hippolyte de la Porte, même si ses discussions semblent davantage prétexte à discussions littéraires, à banquets et à chansons : en butte à l’hostilité du régime impérial, lequel ne pouvait qu’être heurté par le royalisme de la plupart de ses membres et par l’esprit de localité qui semblait animer l’entreprise, cette Société disparaît rapidement55.
85Une nouvelle tentative a lieu en 1843, autour de Gervais Launay. Professeur de dessin au collège, celui-ci est aussi un amateur éclairé d’histoire locale, auteur des planches qui quelques années plus tard illustreront le livre de Pétigny, et aussi de nombreux croquis de tous les sites et monuments de la région, lesquels seront ensuite regroupés dans de remarquables albums, base du Répertoire archéologique de l’arrondissement, qui sera publié en 1899. Affilié à la Société française d’archéologie d’Arcisse de Caumont en mai 1842, correspondant du comité historique des arts et monuments à partir du début de 1843, Launay était tout désigné pour animer une telle entreprise. De fait, le journal Le Loir annonce le 14 avril 1843 qu’ « une petite Société, soit Archéologique, soit Historique, est sur le point de s’établir parmi nous »56.
86En fait, les temps ne sont pas encore mûrs pour que ce programme soit rempli, et il faudra encore deux décennies pour que le projet présenté par le journal Le Loir prenne enfin corps. C’est le 7 octobre 1861 en effet qu’au cours d’une excursion à Fréteval quatre amateurs d’histoire locale mettent enfin sur pied la Société archéologique du Vendômois, qui tiendra sa première séance le 9 janvier 1862. L’érudition est bien la motivation première de ces quatre initiateurs, puisqu’autour de Launay, doyen du groupe (étant né en 1804), que par sa présence il relie aux entreprises antérieures se retrouvent un ancien magistrat, Charles Chautard (né en 1814), un jeune artiste qui commence alors une longue carrière de conservateur du musée de Moulins, Armand Queyroy (né en 1830), et surtout Charles Bouchet (né en 1814), ancien professeur devenu en 1857 bibliothécaire de la ville de Vendôme57.
87Mais si la nouvelle Société répond dans son origine première à une inspiration érudite, elle ne peut prendre forme qu’en s’enracinant au sein de l’ensemble des notables de la région. La liste de ses 81 membres fondateurs — ceux qui sont adhérents à sa première séance — est à cet égard éloquente58. Elle compte bien 31 % de gens appartenant à ce qu’on appelait pendant le premier xixe siècle les capacités (professions libérales, professions de santé, enseignants, notaires) et même 9 % à être engagés en quelque sorte par état dans l’érudition (libraires et imprimeurs d’une part, archivistes, bibliothécaires et conservateurs de l’autre). Mais ces catégories n’équilibrent pas la masse des notables les plus traditionnels que sont les propriétaires (24 % du total), les fonctionnaires (16 %), les ecclésiastiques (15 %) et les militaires (4 %) qui réunis représentent pratiquement les trois cinquièmes de l’effectif total. Cette domination notable est sensible aussi à certains détails, comme les appréciations, déjà signalées, portées sur la personnalité de Neilz, le seul cultivateur à figurer parmi les membres fondateurs, dont l’activité érudite ne suffit pas à faire oublier qu’il est un paysan. Certaines présences aussi témoignent sur la pérennité de l’autorité des notables : ainsi trouve-t-on parmi les membres fondateurs Guy de Lavau, son frère Charles et son fils Adrien. Or, ce Guy de Lavau est depuis 1817 neveu par alliance d’Hippolyte de la Porte (par mariage avec une Salaberry), et il en a hérité en 1852 la terre de Meslay ; en outre, il partage les mêmes convictions royalistes que son oncle (ce qui n’est évidemment pas le cas de tous les membres fondateurs), puisqu’il a été pendant la Restauration préfet de police et membre influent de la Congrégation. Rapidement d’ailleurs, cette famille joue un rôle important dans la nouvelle Société, puisque dès 1866 Charles accède à sa présidence, et qu’il est le premier à l’occuper pendant deux années consécutives. Dans ce cas donc, la continuité, à la fois sociale, idéologique, érudite et familiale est évidente.
88Cette continuité se retrouve dans les relations qui s’établissent entre les différents membres de la Société archéologique. La sociabilité qui s’observait entre les érudits vendômois du premier xixe siècle ne disparaît pas, en effet, avec l’officialisation que constitue la création de 1861-1862. On en veut pour preuve ces notations d’E. Peltereau : « Quand M. de Trémault était revenu s’installer définitivement à Vendôme [au début des années 1870], il y avait retrouvé de vieux camarades, MM. Launay, Bouchet, Charles Chautard, Boutrais, "les quatre sergents", bientôt réduits à trois par la mort de ce dernier. M. de Trémault remit au complet la petite phalange. Dans ce temps-là, on se promenait tous les soirs ensemble, causant des choses de l’Etat et surtout de celles de la ville ; l’archéologie avait sa large part dans la conversation. Mais bientôt, les jambes refusèrent leur service au doyen ; il fallut se réunir chez lui et c’est ainsi que se forma cette réunion d’hommes instruits, la parlotte comme on la désignait dans le public. Tous les soirs à cinq heures, fidèles au rendez-vous, les amis se réunissaient chez M. Launay. De nouvelles recrues vinrent se joindre aux anciens [...] Ce petit cénacle a certainement eu une grande influence sur la marche et la prospérité de notre société archéologique ; il comprenait les fondateurs, les artisans de la première heure ; on y discutait toutes les questions et la lumière sortait de la contradiction. Mais, hélas, la mort vint éclaircir les rangs. Après M. Launay, la parlotte lui survécut, et elle se transporta chez l’un et chez l’autre à tour de rôle, puis d’autres vides se firent [et de nouveaux décès] lui portèrent le dernier coup »59.
89Continuité donc quant aux hommes, quant à leurs centres d’intérêt et à leurs relations. Faut-il à partir de ce constat tenir pour simple événement formel la création de 1861-1862 ? Certes pas. Outre que l’événement répond à une aspiration ancienne, il a pour effet de donner aux érudits locaux davantage de moyens : la Société archéologique a un budget, et elle publie chaque trimestre un substantiel bulletin qui légitime la recherche érudite en diffusant les résultats de ses travaux en même temps qu’il lui attire de nouvelles vocations. D’autre part, la création de la Société représente pour ceux qui l’animent une consécration officielle : sa première séance se tient le jeudi 9 janvier 1862 dans la grande salle de l’hôtel de ville. De cette consécration résultent deux conséquences : d’une part que la cohésion du réseau des érudits locaux, qui jusqu’alors se construisait surtout à partir de relations personnelles, aura aussi désormais une base institutionnelle capable de relayer les premières si leur force venait à s’atténuer ; et d’autre part qu’en acquérant un statut officiel la Société se trouve en quelque sorte associée aux autorités publiques — comme cela se vérifie concrètement en certaines circonstances, en particulier lors des fêtes de 1872 et de 190060 — ce qui accroît sa représentativité : d’une certaine manière, dans ce qui s’impose comme son objet premier, à savoir l’étude du passé, la Société peut largement être considérée comme l’expression en même temps que le guide de toute la population régionale.
90L’histoire locale ne constitue certes pas la seule préoccupation de la Société archéologique. Comme le suggère l’élargissement de son nom auquel elle procède dès les premières années de son existence, elle se veut aussi scientifique et littéraire61. Il est de fait que ses bulletins contiennent régulièrement, jusqu’à la fin du xixe siècle, des poésies et des commentaires scientifiques. Mais il est non moins certain que la très large majorité des travaux de la Société est consacrée à l’histoire, et singulièrement au passé régional.
91Ce passé est d’abord exploré, et il l’est avec un esprit d’investigation méthodique. Dès 1862, la Société manifeste l’intention de former des collections d’archéologie, de paléontologie et d’histoire naturelle — lesquelles constitueront le premier fonds du musée de Vendôme, et se rattachent toutes au passé, comme le suggèrent le vocabulaire (« histoire naturelle ») et la définition de la géologie que donne alors Renou : « La géologie, cette archéologie des monuments de la nature, monuments infiniment plus anciens que ceux des hommes et plus anciens que l’homme lui-même »62. Toujours en 1862, il est question aussi d’une biographie vendômoise (projetée par Achille Lacroix-Rochambeau qui ne la réalisera que très partiellement) et d’un « dictionnaire géographique de l’arrondissement de Vendôme [devant comprendre] l’archéologie et la statistique ». Ce dernier projet fut un moment repris par Rochambeau (vers 1875-1890), mais c’est finalement Raoul de Saint-Venant qui, on le sait, le mènera à terme, après plus de vingt ans d’un travail considérable, et en dépit de l’affaiblissement de sa vue : le Dictionnaire du Vendômois paraît en 1912-1917, plus d’un demi-siècle après que le projet en a été conçu63. C’est dans le même esprit d’inventaire systématique que dans l’intervalle sont menées à bien la publication du Répertoire archéologique de l’arrondissement de Launay (1889) et celle des grands cartulaires intéressant la région, notamment le cartulaire vendômois de Marmoutier (1893) et celui de l’abbaye de la Trinité (1893-1904)64. Dans toutes ces entreprises se retrouvent deux traits caractéristiques de la démarche traditionnelle des notables : d’une part, une prétention « statistique », très fidèle, dans le cas du Dictionnaire de Saint-Venant notamment, à celle qui animait les érudits locaux du premier xixe siècle ; de l’autre la conviction que les notables regroupés au sein de la Société ont par rapport au reste de la population une fonction de direction et d’animation ; très significatifs sont à cet égard les buts assignés à la nouvelle institution par l’article 2 de ses statuts : provoquer les offrandes destinées à alimenter les collections, indiquer et faire exécuter des fouilles, veiller à la conservation des monuments anciens, stimuler les travaux littéraires, scientifiques ou artistiques65. Mais la grande différence avec les notables du premier xixe siècle est que ceux de la Société archéologique ne mettent pas leur autorité au service du présent (ce que proscrirait, au demeurant, l’article 2 des statuts stipulant, conformément à la tradition des sociétés savantes, que « toute discussion sur des matières politiques ou religieuses est formellement interdite ») mais à celui du passé. C’est ce qu’exprime bien Déservilliers, quand au cours de la deuxième réunion de la Société il définit ses objectifs : « Rattacher, par l’intérêt qu’il nous inspire, le passé au présent ; rétablir la solidarité des temps ; rompre l’isolement de notre époque, plus triste encore peut-être que l’isolement des individus ; réunir dans une pensée commune tous les hommes qui s’intéressent à l’histoire de leur pays, chez qui les monuments du passé excitent un double sentiment de curiosité et de sympathie »66.
92Cette sympathie pour le passé conduit les membres de la Société archéologique à en défendre les vestiges, comme l’exigent d’ailleurs les statuts. L’important ici, du point de vue des mentalités, tient moins aux faits qu’aux intentions. En effet, la Société n’évite pas plus certaines catastrophes archéologiques — comme la destruction en 1866 de l’hôtel de Rochambeau et surtout en 1907 la destruction à peu près totale du cloître de la Trinité, sacrifié au réaménagement de cuisines militaires —, qu’avant sa naissance les érudits locaux n’étaient parvenus à empêcher que l’église Saint-Martin ne soit entièrement rasée en 1857 (à la seule exception du clocher), libérant du même coup l’espace nécessaire à l’établissement d’une place au cœur de la cité. Mais dans toutes ces circonstances, ses membres manifestent une volonté de conservation du patrimoine archéologique local clairement distincte des impératifs de la vie contemporaine, et ce quelles que soient les justifications de ces derniers. On est loin dans leur cas de l’attitude d’un Passac envisageant sans vergogne en 1823 la suppression du pilier central de la principale porte de la façade flamboyante de l’église de la Trinité afin de dégager « une entrée plus grande, plus libre et plus favorable aux cérémonies religieuses » et regrettant que « des préjugés contre la solidité de cette opération déjà opérée sans inconvénient dans plusieurs autres villes, des idées peu étendues en architecture, et quelques autres motifs ont fait rejeter cette utile proposition »67. Bien des interprétations peuvent sans doute être proposées pour expliquer une telle évolution par rapport au monument en quelques décennies, et les sensibilités individuelles y ont sans doute leur part. Il est permis de penser cependant qu’il y a aussi entre elles toute la distance qui sépare l’homme assuré de sa position dominante, et qui à partir de là se sent fondé à agir, du notable sur la défensive porté à se défier de son époque, et du même coup à valoriser tout ce qu’ont légué celles du passé. Aménager et conserver, aménager ou conserver, ces deux options, complémentaires et contradictoires, ouvertes en permanence aux hommes, s’inscrivent bien en effet dans la perpective temporelle qui est au cœur de ce chapitre : aménager, c’est d’abord s’ouvrir vers l’avenir, par une démarche offensive qui n’exclut pas les risques, quand conserver revient à se replier vers le passé, et à la limite à nier le temps qui passe. Ainsi considérée, on voit mieux comment la seconde attitude s’accorde aux sentiments qui dominent l’esprit de la majorité des notables de la fin du siècle — même s’ils n’en constituent pas nécessairement la seule explication.
93Du reste, pour beaucoup, le passé n’est pas seulement défendu. Dans une large mesure aussi, il est encore idéalisé. C’est le cas, on l’a dit, d’un Saint-Venant, plus que réservé quant aux progrès dont s’enorgueillit son époque. Sans doute sa réaction peut-elle être mise au compte de l’amertume d’un royaliste déçu par l’échec de la cause qui lui tient à cœur. De même peut-on expliquer l’attitude de l’abbé Métais, porté à gonfler le niveau d’alphabétisation dans la région à la fin de l’Ancien Régime par les nécessités de la défense de l’école confessionnelle contre la concurrence laïque que la République est en train de lui opposer68. De ce point de vue, le repli sur le passé marcherait de pair avec le conservatisme politique : constat à la fois banal et exact, mais qui n’épuise pas la réalité. Dans le Vendômois de la fin du xiie siècle en effet, la séduction du passé ne s’exerce pas seulement sur ceux qui occupent la partie droite de l’échiquier politique. Voici par exemple l’avoué Jean Martellière, l’éditeur (pour partie avec Ernest Nouel) des textes de Bordier : à l’évidence, l’histoire à laquelle il s’attache en concentrant son attention sur une existence paysanne n’appartient pas au même registre que celle des lignages aristocratiques et de leurs fiefs que cultive Saint-Venant. En outre, les deux hommes, qui sont tous deux d’authentiques notables69 ne se bornent pas à porter un regard différent sur le passé régional. Les lettres qu’écrit Martellière à Saint-Venant au moment de la publication du Compendium révèlent aussi entre eux de solides désaccords idéologiques et de belles susceptibilités érudites : « Il y a trois ans vous avez eu le courage de me faire savoir que mes articles constituaient un péril pour notre Société », écrit Martellière, qui ajoute : « alors j’ai travaillé de plus belle pour les Annales fléchoises qui sont dirigées par un curé » (cette dernière précision n’étant évidemment pas donnée sans arrière-pensée...). Plus loin, Martellière, décidément ulcéré, écrit : « Je sais bien ce que valent mes travaux, c’est pour cela que je les fais, et tant pis pour qui ne sait pas les apprécier ». Dans une autre lettre écrite quelques mois plus tard, Martellière se plaint encore à Saint-Venant : « Chacun de mes travaux a obtenu de vous, soit des blâmes solennels, soit des épluchages saladiformes »70. En bref, ces lettres, outre qu’elles témoignent clairement des oppositions rarement aussi apparentes (et aggravées ici par la forte personnalité des deux protagonistes) pouvant traverser une institution composée de gens partageant pourtant des objectifs communs — ces lettres donc suggèrent de nettes différences de sensibilité à la fois idéologique, historienne et érudite entre les deux hommes. Pourtant, leurs approches du passé sont moins éloignées qu’on pourrait le penser, et à lire Martellière, on a le sentiment qu’à ses yeux aussi le progrès ne va pas toujours de soi. Telles notes dont il accompagne le texte de Bordier, à propos des salaires des domestiques, ou de la sanction des vols qu’ils commettent, suggèrent bien que du xviiie siècle à la fin du xixe il y a eu sur ce plan amélioration, par adoucissement des mœurs. Mais le ton sur lequel elles sont présentées laisse percer quelque doute : Martellière donne assez clairement l’impression de penser que ces progrès ont été poussés trop loin, et qu’en cette matière le mieux commence peut-être à devenir l’ennemi du bien71...
94De ce passé qui est donc à la fois exploré, défendu et jusqu’à un certain point idéalisé, il reste à déterminer plus précisément les contours. C’est à examiner ce point, à la fois dans l’ordre temporel et dans l’ordre spatial, qu’il faut pour finir s’attacher.
95D’un point de vue temporel, les intérêts de la Société archéologique peuvent se saisir à partir des articles à caractère historique publiés dans son bulletin72. Pendant les années 1860, 46 % de ces études concernent les antiquités et 27 % le Moyen Age : ces deux époques tiennent donc dans les préoccupations de la Société la même place que dans celles de Pétigny. Pour le reste, 14 % des articles traitent du xvie siècle, autre temps fort de l’histoire vendômoise, comme le soulignait déjà, cette fois encore, Pétigny. Avec seulement 11 % des études à eux deux, le xviie siècle et surtout le xviiie sont beaucoup moins représentés. Quant à la période postérieure à 1789, elle est alors pratiquement absente des travaux de la Société.
96Passé 1870, le Moyen Age continue à occuper une grande place dans les bulletins : 34 % pendant les années 1870, et encore 23 % pendant les années 1880. Cette fascination pour le Moyen Age, qu’illustre encore pendant les décennies suivantes la publication des cartulaires, puise à bien des racines. En premier lieu joue l’intérêt pour une époque féodale largement pensée en termes d’autonomie — on y reviendra. Mais la sensibilité romantique développée pendant la première moitié du siècle y a sans doute aussi sa part, dont l’effet se fait sentir pendant de longues décennies. En l’interprétant largement, on peut en déceler l’influence chez les artistes qui tels le Blésois Henri Sauvage ou le Montoirien Charles Busson fréquentent pendant le dernier quart du siècle le village de Lavardin. Sans doute viennent-ils y chercher une certaine lumière et l’inspiration d’une nature bucolique à partir desquelles ils construisent une œuvre pré-impressionniste assez comparable à celle qui s’élabore au même moment à Barbizon ou à Pont-Aven73. Mais l’analyse de l’œuvre d’un Sauvage montre aussi la place de thèmes davantage marqués par une nostalgie passéiste : les ruines du château de Lavardin, les intérieurs de ferme, les intérieurs d’église. Par-delà d’éventuelles influences picturales, on voit combien de tels choix reflètent le puissant attrait qu’exercent la vie paysanne « traditionnelle », ou le charme que les édifices féodaux ou romans tirent de leur ancienneté et du caractère d’altérité qui en résulte. Sur ce dernier point d’ailleurs, les artistes qui viennent d’être évoqués ne sont pas très éloignés des érudits qui se lancent à l’époque dans une fiévreuse redécouverte des fresques romanes (recherche mal comprise d’ailleurs des fidèles, attachés aux décors d’esprit baroque ou sulpicien établis aux xviie , xviiie ou xixe siècles). Ces érudits sont souvent des ecclésiastiques : est-il surprenant que dans une société en voie de déchristianisation, ceux-ci se tournent vers une époque qui apparaît entièrement placée sous le signe de la foi ?
97Contrairement au Moyen Age, les antiquités n’occupent plus dans les travaux de la Société la même place après 1870 qu’avant : de 46 % pendant les années 1860 leur part s’effondre à 15 % pendant la décennie suivante, et ne remonte qu’à 27 % pendant les années 1880 : peut-être, il est vrai, les études réalisées pendant le Second Empire ont-elles épuisé l’analyse des sites alors connus, de nouveaux travaux ne pouvant désormais se réaliser que lors de nouvelles découvertes, dont le rythme est nécessairement ralenti. Les articles sur le xvie siècle, en léger progrès pendant les années 1870 (de 14 à 17 %), voient leur part reculer nettement après 1880 (10 %) : ici aussi, on songe à l’épuisement de la veine offerte par une période riche de ses ducs prestigieux et du poète Ronsard. La part des travaux sur le xixe siècle connaît quant à elle un spectaculaire essor pendant les années 1870 (de 0 à 8 %), avant de retomber pendant la décennie suivante à 2 % : cette évolution est à mettre au compte de la guerre de 1870, qui n’inspire pas moins de huit études entre 1874 et 1877, avant de disparaître des pages du bulletin ; dans ce cas, ce n’est pas une vision du passé qui est en cause, mais bien la force d’un choc — celui de la guerre, de la défaite, des combats et de l’occupation —, et d’un choc vécu localement et au présent, avec assez d’intensité pour s’introduire jusqu’au cœur des travaux de la Société, selon un processus dont l’histoire de cette dernière ne présente plus d’équivalent par la suite, jusqu’à nos jours.
98Puisque ni le xvie siècle ni le xixe ne compensent, sauf exception temporaire, le recul des études consacrées aux époques les plus anciennes, c’est évidemment de la période intermédiaire qu’il faut attendre les principaux progrès. De fait, le xviie et le xviiie siècle (celui-ci considéré jusqu’en 1789) qui ne représentaient qu’un dixième des travaux de la Société avant 1870, en dépassent régulièrement le quart après cette date. Plus modérée et plus tardive, l’évolution de la place accordée dans les bulletins à la période révolutionnaire et impériale est cependant orientée dans le même sens : pratiquement absente des travaux de la Société jusqu’en 1880, cette époque y apparaît pendant la décennie suivante pour un bon dixième. A suivre ces constatations, il y a donc extension du champ chronologique des travaux de la Société archéologique : concentrés d’abord sur les antiquités, le Moyen Age et le xvie siècle, ceux-ci s’annexent d’abord les deux derniers siècles de l’Ancien Régime, à partir de 1870, puis la Révolution et l’Empire, après 1880. Avec les membres de la Société, l’érudition se fait donc conquérante, et ce constat témoigne indéniablement en faveur de la réussite intellectuelle de l’institution. Mais dans la perspective de notre propos, il faut souligner surtout combien cette évolution confirme la position défensive qui est celle des notables. Dans certains cas, il arrive que l’extension chronologique de leurs travaux se rattache à des débats qui leur sont tout à fait contemporains : ainsi des études de l’abbé Métais sur l’époque révolutionnaire publiées pendant les années 1880, à un moment où la République achève de s’installer74 ; mais le succès même de cette dernière démontre bien que dans cette affaire nos notables mènent un combat d’arrière-garde. En tout état de cause, ce cas de figure n’est pas le plus fréquent. Le plus souvent, l’annexion de nouveaux siècles au champ de la recherche signifie que ceux-ci sont définitivement rattachés au passé, qui est l’objet normal des travaux de la Société : pour cette dernière, s’intéresser au xviiie siècle, c’est reconnaître que cette époque, dans les structures de laquelle beaucoup de notables se retrouvent assez bien, même s’ils peuvent naturellement avoir des réserves à formuler sur elle, est définitivement entrée dans l’histoire, qu’elle est bien révolue ; c’est se résigner à admettre qu’en dépit de toutes les vertus qui peuvent lui être reconnues, ce passé, en constante extension vers l’aval, est bien fini et radicalement extérieur au présent. Du reste, l’absence quasi totale de travaux sur le xixe siècle confirme la distance qui sépare l’époque étudiée par les membres de la Société archéologique de celle où ils écrivent, et contribue à mettre un peu plus en évidence le décalage entre un passé quelque peu idéalisé et un présent vécu sur le mode du déclin.
99D’un point de vue spatial, l’intérêt de la Société archéologique se concentre d’abord sur le Vendômois, même si les nécessités du travail érudit la conduisent à entretenir des relations (à travers notamment des échanges de publications) avec des sociétés réparties sur l’ensemble du territoire national. Cette priorité locale ne saurait surprendre : elle est la raison d’être de la Société, et en outre elle correspond aux recherches que ses membres sont, de par leur implantation, le mieux à même de réaliser. Mais l’impératif d’efficacité scientifique, tel que l’expose par exemple Renou en janvier 186275, n’est pas seul en cause dans l’esprit local qui anime l’institution. Trois mois plus tard, Déservilliers insiste sur le fait que le Vendômois « a eu ses souverains propres, son existence à lui : j’allais presque dire son autonomie »76. Or cette idée, qu’on trouvait déjà chez Pétigny (lequel, on le sait, est allé jusqu’à parler de « nationalité vendômoise »), est exprimée par des notables pénétrés du sentiment de vivre, à un titre ou à un autre, une époque de déclin. Significativement, elle ne se retrouve pas sous la plume d’un Passac, qui au début de son livre considère d’un œil froidement administratif l’ancien duché de Vendôme, en se bornant à en énumérer les institutions (tant passées que contemporaines, dans le cadre de l’arrondissement successeur) : mais Passac écrit pendant la Restauration, à une époque où les doutes et les nostalgies n’occupent pas encore dans les esprits des notables la place qu’ils y tiendront plus tard.
100C’est donc bien au cours du xixe siècle, et singulièrement de sa seconde partie, que le sentiment de cette identité perdue se développe chez nos notables. Or ce provincialisme, dont à tort ou à raison ils puisent l’inspiration dans le passé, apparaît nettement décalé dans un Vendômois que tout contribue alors à ouvrir à l’extérieur et à intégrer au marché national, ainsi que l’a montré l’analyse des structures de transports et d’échanges. Comme leur repli sur le passé, la focalisation des membres de la Société archéologique sur leur petit pays a certes des raisons d’ordre intellectuel. Après tout, pas plus que le goût de l’histoire, l’intérêt pour l’horizon familier n’est propre à une époque ni à un groupe social : du point de vue de l’organisation du travail de recherche, il peut même présenter de réels avantages, en délimitant pour l’étude un champ d’investigation étroitement circonscrit. Mais à la fin du xixe siècle la force du repli sur le local et sur le passé qui domine la sensibilité des notables vendômois a d’autres raisons. A l’évidence, cette sensibilité nostalgique se nourrit aussi du désarroi insidieux qu’introduisent dans l’esprit de beaucoup d’entre eux des évolutions qu’ils ne maîtrisent pas. Comment s’étonner en effet que, confrontés à des changements déstabilisants, ils se tournent pour y réagir vers leurs racines, celles du terroir comme celles de l’histoire ?
Notes de bas de page
1 Les données de ce développement sur l’évolution démographique sont tirées des sources indiquées n. 1, p. 449.
2 Ariès (P.), Histoire des populations françaises, Paris, 1948, rééd. 1971, p. 67.
3 Nadaillac Q.-F. de), « De l’affaiblissement progressif de la natalité en France, ses causes et ses conséquences », SAV, 1885, p. 160.
4 Dupeux (G.), Aspects de l’histoire sociale et politique du Loir-et-Cher, 1848-1914, Paris, 1962.
5 Notamment en croisant des moutons mérinos avec des Southdowns plus robustes et plus précoces.
6 Cité par Dupeux (G.), op. cit., p. 213.
7 Sur l’industrie en Vendômois pendant le second xixe siècle, Dupeux (G.), op. cit. ; Rébérioux (M.), postface de l’ouvrage de Chabot (M.), L’escarbille, histoire d’Eugène Saulnier, ouvrier verrier, Paris, 1978 ; Saint-Venant (R. de), Dictionnaire, notamment articles « Cormenon », « Fréteval », « Meslay », « Plessis-Dorin ».
8 Saint-Venant (R. de), Dictionnaire, article « Vendôme ».
9 Ainsi dans le Perche l’abbé Blanchard ne déplore-t-il plus à la fin du siècle le mauvais état des chemins comme pouvait le faire Beauvais de Saint-Paul pendant la Monarchie de Juillet. Blanchard (O.), Perche et Percherons, Vendôme, 1893 ; Beauvais de Saint-Paul (P.-A.), op. cit., n. 4, p. 29.
10 Indications tirées des listes nominatives de recensement de Lunay pour la Prazerie (AD 41, 202M 184) et de Saint-Venant (R. de), Dictionnaire, article « Artins », pour le Plat d’Etain.
11 AD 41, registres de la patente, série P non cotée.
12 Silver (J.-A.), French rural response to modernisation: The Vendômois, 1852-1885, Michigan, Ann Arbor, 1973.
13 Statistiques tirées de AD 41, 1S 40 (pour les routes départementales), et de 1S 41 (pour les routes royales, devenues impériales). Dans ces documents, un collier vide est compté pour un quart de collier.
14 Outre la subordination de la route au chemin de fer, cette hiérarchisation se vérifie au fait qu’en matière ferroviaire le Vendômois n’est desservi que par des lignes de second ordre par rapport aux axes majeurs du premier réseau.
15 Ce à quoi contribue aussi la loi de 1837 rendant obligatoire à partir de 1840 l’usage du système métrique. Plusieurs ouvrages sont alors publiés dans la région pour en faire connaître les caractéristiques aux ruraux : Mareschal, Essai analytique sur les subdivisions et parties décimales de l’unité dans les mesures cubiques anciennes et nouvelles, suivi d’une méthode simplifiée pour renseignement du système métrique, Vendôme, 1840 ; Renou, Conversion, suivant la loi du 4 juillet 1837, des anciens poids et mesures en nouveaux, Vendôme, 1840 ; Fautras et Personne, Baréme-Pantographe ou système métrique appliqué à toutes les surfaces et à tous les solides, Vendôme, 1840.
16 Neilz (S.), Journal d’un Vendômois. Cinq mois et dix jours d’invasion (1870-1871), Vendôme, 1877. Neilz est capable de situer les combats avec exactitude, et même d’entrer dans leur logique territoriale. On est loin ici des approximations de Bordier décrivant la guerre de Sept Ans — et le fait que la guerre de 1870 soit à la fois plus proche et plus dramatique n’explique pas à lui seul la différence.
17 AD 41, 1S 41, Rapport de l’ingénieur en chef du département, 10 août 1857.
18 Pétigny ;(J. de), Histoire archéologique du Vendômois, Vendôme, 1849.
19 L’ensemble de la population sait en effet se saisir, quand son intérêt est en jeu, des nouveaux outils intellectuels qui en la matière s’offrent à elle : c’est nettement le cas avec le cadastre ; mais on verra que ce peut l’être aussi avec la carte — notamment pour le choix du tracé des lignes ferroviaires.
20 Né à Paris en 1807, il doit ses attaches vendômoises essentiellement à son mariage en 1835 avec une fille de De Brunier.
21 Duchemin de la Chenaye, auteur de Mémoires historiques sur la ville de Vendôme et le pays vendômois, rédigés en 1806, repris au début de la Restauration et demeurés manuscrits, est né à Mortagne où il a été lieutenant-général du bailliage, et il ne devient vendômois que par son mariage avec une fille de Jabre des Belles, à la suite duquel il vient habiter le château de Beaulieu, à Azé. De même Passac, né à Vouvray, en Touraine, ne devient-il pleinement vendômois que par son mariage en 1790 avec la fille de Bûcheron-Boisrichard, conseiller au bailliage et maire de Vendôme (toutefois, sa mère était fille d’un président en l’élection de Vendôme). L’abbé Métais, auteur de nombreux travaux et éditeur d’importants cartulaires, est né près de Parthenay, et sa carrière ecclésiastique, après l’avoir conduit en Vendômois (vicaire de la Trinité, curé de Saint-Rimay) s’achève dans le diocèse de Chartres. Enfin, Raoul Barré de Saint-Venant, auteur du monumental Dictionnaire du Vendômois, est issu d’une famille implantée dans la région parisienne, aux intérêts tournés au xviiie siècle vers Saint-Domingue.
22 Travaux cités respectivement n. 1, p. 29 et n. 1, p. 26.
23 Almanach agricole, op. cit., Vendôme, 1851, p. 56.
24 Neilz (S.), op. cit., n. 2, p. 476.
25 Neilz (S.), op. cit., p. 64.
26 Neilz (S.), op. cit., p. 5.
27 Neilz (S.), op. cit., notamment p. 21-22, 40, 41, 51.
28 Rapport de l’inspecteur d’Académie du Loir-et-Cher, juillet 1868, auquel sont empruntées beaucoup des indications qui suivent, AD 41, série T non cotée.
29 Selon le Relevé général des constructions scolaires, Paris, 1895, 32 communes de l’arrondissement connaissent de tels travaux entre 1878 et 1885.
30 Ces débats se matérialisent notamment par les pétitions qui circulent alors dans la région, pour l’enseignement obligatoire, pour l’enseignement obligatoire et gratuit, pour l’enseignement obligatoire, gratuit et laïque, et pour la présence de l’instruction morale et religieuse dans l’enseignement (pétition dite des évêques). Sur ces pétitions, Regards sur l’école primaire au xixe siècle en Loir-et-Cher, Blois, 1981, p. 113-125.
31 Silver (J.-A.), op. cit.
32 Le tracé beauceron bénéficie du soutien de Vendôme (qui redoute l’établissement d’une gare concurrente à Montoire-Lavardin) et de la préfecture qui préfère le bonapartisme fidèle de La Rue du Can, tenant du passage par Saint-Amand, à l’indépendance d’esprit parfois tapageuse de Chauvin, maire de Montoire.
33 Silver (J.-A.), op. cit., p. 64.
34 La distance qui s’établit ainsi entre les notables du Comice et les ruraux est renforcée par l’opposition politique entre le conservatisme des premiers et les choix républicains qu’effectuent en majorité les seconds. Sur ce point, Silver (J.-A.), op. cit., notamment chap. VI.
35 Almanach agricole, op. cit., p. 58.
36 Citations de Beaumetz, Bezard et Démanche tirées de Silver (J.-A.), op. cit., respectivement p. 69, 70-71 et 76-77.
37 Sur cette histoire, voir Dupeux (G.), op. cit., et ce que j’en ai écrit dans Wagret (P.), Histoire de Vendôme et du Vendômois, Toulouse, 1984, p. 186-196.
38 Silver (J-A-), Op. cit., chap. V.
39 Silver (J.-A.), op. cit., chap. VI.
40 En l’occurrence, le conflit porte sur l’établissement d’une école.
41 Silver (J.-A.), op. cit., chap. V.
42 Dupeux (G.), op. cit., notamment p. 483-485 et 488-489.
43 Sur ce point, Boulard (F.), Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français (xixe-xxe siècles), Paris, 1982, dont les tableaux des p. 215 et 217 font clairement ressortir la baisse du nombre de pascalisants dans les cantons de Mondoubleau et de Saint-Amand à la fin du xixe siècle et au début du xxe.
44 C’est le cas sous le Second Empire pour le Bouchet-Touteville à Crucheray et pour la Montellière à Lunay. Au cours des décennies suivantes, ce l’est aussi pour Ranay à Saint-Martin-des-Bois, pour la Grapperie à Saint-Firmin, pour les Chauvellières à La Chapelle-Vicomtesse, pour la Jousselinière à Saint-Ouen, etc.
45 Telle celle du château des Chauvellières, à La Chapelle-Vicomtesse, que son propriétaire Crignon de Mérainville laisse peu à peu tomber en ruine au xixe siècle.
46 Annuaire de Loir-et-Cher, 1901, p. 245-249.
47 Cette note infrapaginale se trouve dans Saint-Venant (R. de), « Les seigneurs de Renav, Champlain et Chêne-Carré », SAV, 1895, p. 329.
48 Ces listes de souscripteurs sont publiées à la fin de l’édition originale de chacun des deux ouvrages.
49 On compte dans la ville 78 souscripteurs de l’ouvrage de l’abbé Simon, et 137 de celui de Pétigny (non compris pour celui-ci 34 souscriptions d’élèves du collège).
50 On trouve ainsi, au fil de la liste des souscripteurs du livre de Pétigny, une baronne de La Roque, née Taillevis de Jupeaux, domiciliée à Tournon, un Dessaignes, notaire à Paris, un Boutrais, substitut du procureur du roi à Baugé.
51 Le petit nombre de souscripteurs de l’ouvrage de l’abbé Simon en dehors de l’arrondissement ne permet pas une analyse aussi fine que celle qui vient d’être présentée à propos du livre de Pétigny. Cependant, leur répartition suggère des conclusions voisines. La plupart sont implantés dans des zones proches du Vendômois. Les autres résident dans la capitale, ou dans l’ouest du pays (Calvados, Vienne, Charente).
52 Rappelons que Passac est gendre de Bûcheron-Boisrichard, maire de Vendôme au début et à la fin de la Révolution, et encore pendant pratiquement tout l’Empire. a travers cette personnalité, Passac s’est toujours trouvé très proche des dirigeants locaux. Sur Passac et son entourage, Arnould (J.), « Panache blanc et cocarde tricolore, 1750-1830. Chronique de la Société vendômoise au temps de son historien Monsieur de Passac », SAV, 1989, p. 21-88.
53 Sur ce point, Vovelle (M.), De la cave au grenier, un itinéraire en Provence au xviiie siècle. De l’histoire sociale à l’histoire des mentalités, Québec, 1980, notamment chap. IV, 1 : « La découverte de la Provence, ou les primitifs de l’ethnographie provençale », p. 407-435.
54 Pétigny (J. de), « Essai sur la population du département de Loir-et-Cher au xixe siècle », publié (ultérieurement) dans les Mémoires de la Société des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher, année 1867.
55 Sur cette Société, Martllière (J.), « Une ancêtre de notre société », SAV, 1903, p. 83-91 ; Arnould (J.), « Panache blanc... », op. cit., SAV, 1989, p. 57-59
56 Nouel (E.), « Notice biographique sur M. Gervais Launay, ancien professeur de dessin au Lycée de Vendôme », SAV, 1891, p. 185-215.
57 Saint-Venant (R. de), Dictionnaire, consacre des articles à ces quatre personnages. Il existe aussi, pour trois d’entre eux, des notices nécrologiques : par Bouchet (C.) pour Charles Chautard (SAV, 1885, p. 57-65) ; par Nouel (E.) pour Charles Bouchet (SAV, 1886, p. 84-88) et pour Gervais Launay (SAV, 1891, p. 185-215). Sur le débuts de la Société archéologique du Vendômois, Arnould (J.), « Pour les 120 ans de la Société archéologique du Vendômois », SAV, 1982, p. 21-23.
58 Cette liste se trouve dans SAV, 1862, p. 1-3. On connaît le statut social de 85 % de ses membres (et c’est sur ce total que portent les calculs qui suivent). Tout laisse à penser que la plupart des autres sont des propriétaires.
59 Peltereau (E.), « Notice sur M. Auguste de Trémault et sa famille (1821-1903) », SAV, 1903, p. 67-82.
60 Fête de 1872 en l’honneur de Ronsard ; de 1900 en l’honneur de Rochambeau.
61 Lorsqu’elle tient sa première séance le 9 janvier 1862, la Société porte le nom de Société archéologique du Vendômois (SAV, 1862, p. 1), et c’est sous ce nom qu’un arrêté du ministère de l’Instruction publique l’autorise le 25 juillet 1863 (SAV, 1863, p. 142). Mais dès la première séance, Renou, son président, affirme « que les sciences, les lettres et les arts trouveront au sein de la Société le même accueil et le même intérêt [que l’archéologie] » (SAV, 1862, p. 5). De fait, un nouvel arrêté, du 11 mars 1867, l’autorise à prendre son titre définitif de Société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois (SAV, 1867, p. 75).
62 SAV, 1862, p. 6.
63 Lacroix de Rochambeau (A.), « Projet d’une biographie vendômoise », SAV, 1862, p. 27, « Biographie vendômoise », SAV, 1881, p. 31, 1883, p. 166 ; Saint-Venant (R. de), Dictionnaire, n. 1, p. 45.
64 Trémault (A. de), Cartulaire Je Marmoutier pour le Vendômois, Paris-Vendôme, 1893 ; Métais (abbé C), Cartulaire de l’abbaye cardinalice de la Trinité de Vendôme, 5 vol. , Paris, 1894.
65 SAV, 1862, p. 7. C’est nous qui soulignons.
66 Discours de Déservilliers, SAV, 1862, p. 18.
67 Gaucher de Passac (P.-J.), op. cit., p. 37.
68 Métais (abbé C), Les petites écoles à Vendôme et dans le Vendômois, Orléans-Vendôme, 1886 ; « L’instruction publique à Vendôme pendant la Révolution », SAV, 1886, p. 96-135 et 181-206.
69 Ce qu’atteste notamment leur lieu de résidence. Saint-Venant vit au château de Villeporcher à Saint-Ouen. Martellière quant à lui habite rue Saint-Jacques à Vendôme, mais la plupart de ses travaux, et les lettres qu’on va citer, sont rédigés dans sa closerie du Bois-aux-Moines, à Naveil, loin des sollicitations de la vie urbaine et professionnelle : cette double résidence est tout à fait révélatrice d’un genre de vie, et donc d’une position sociale ; celle-ci est d’ailleurs solidement enracinée, Martellière étant issu d’une famille comptant plusieurs générations d’avoués et de procureurs, comme il l’explique lui-même (SAV, 1903, op. cit. [n. 1, p. 502], p. 90).
70 Le premier extrait est tiré d’une lettre du 23 septembre 1910, le second d’une lettre du 18 avril 1911. Ces lettres sont conservées à la bibliothèque de la Société archéologique du Vendômois.
71 Sur ce point, se reporter aux réflexions qu’inspire à Martellière le Journal de Pierre Bordier en juin 1749, en mars 1759 ou encore en juin 1752, Martellière (J.) et Nouel (E.), op. cit., n. 1, p. 26.
72 Analyse conduite à partir de Peltereau (E.), Table méthodique et par noms d’auteurs des 50 premières années du bulletin (1862-1911), Vendôme, 1912.
73 Sur le foyer artistique que constitue au xixe siècle la région de Lavardin, Aubert (M.), « Les peintres de la vallée du Loir au xixe siècle », HTPBV, n° 2 et n° 3, juillet-décembre 1980 et janvier-juin 1981, non paginés.
74 Métais (abbé C.), Vendôme pendant la Révolution, Vendôme, 1891-1892 ; « L’église et l’abbaye de la Trinité pendant la Révolution », SAV, 1886 ; à quoi il faut ajouter les travaux sur l’instruction cités n. 1, p. 507.
75 Discours prononcé à la première séance de la Société, SAV, 1862, p. 3-5.
76 SAV, 1862, p. 18.
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